Chapitre 1 La motivation au travail : questions empiriques et
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Chapitre 1 La motivation au travail : questions empiriques et
Chapitre 1 La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales de l’analyse économique de la relation d’emploi Viewing this "transformed" organizations simply as ones in which the agency problem has been e¤ectively addressed seems to miss much of the spirit behind the newer forms of work organization [...] to an important extent employees identify their interest with those of the enterprise and appear to engage in voluntary forms of behavior which would be extremely di¢cult to induce via monitoring. Osterman (1994) 14 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.15 Introduction Les modèles Principal-Agent de la relation d’emploi sont fondés sur un con‡it d’intérêt entre un employeur (qui souhaite obtenir l’e¤ort le plus grand de son employé au moindre coût) et un employé (qui prétend à la rémunération la plus élevée tout en limitant son e¤ort productif). L’enjeu de ces modèles est de comprendre comment, sous des conditions contractuelles et informationnelles variables, la relation d’emploi est possible (enjeu positif) en élaborant des schémas de rémunération permettant d’aligner les intérêts de l’employeur et de l’employé (enjeu normatif). Les incitations salariales jouent ainsi un rôle exclusif dans la motivation des employés à fournir le niveau d’e¤ort requis par l’employeur. Nul espoir pour l’employeur d’obtenir l’e¤ort de l’employé et donc pas de relation d’emploi viable en l’absence d’incitations salariales adéquates. Lazear1 illustre la valeur empirique de ces modèles : ses travaux démontrent en e¤et la sensibilité de l’e¤ort des travailleurs à l’instauration d’incitations salariales adéquates2 . Mais précisément, les conditions ne sont pas toujours réunies qui permettent une telle instauration. Prendergast (1999) observe que les résultats du type de ceux de Lazear sont obtenus pour des emplois "simples" i.e. o¤rant des mesures de performance individuelle claires sur lesquelles asseoir un schéma salarial incitatif. Les choix en matière d’organisation du travail ne sont probablement pas indépendants de cette observation. L’optique des modèles Principal-Agent recommande aux employeurs de dé…nir les postes de travail de façon : (i) à ce qu’ils permettent l’observation de mesures de performance individuelle claires ; à défaut, (ii) à ce qu’ils puissent être l’objet d’une supervision e¢cace. Cela représente un complément d’explication à la prépondérance d’organisations fondées sur une forte division du travail traditionnellement observée dans l’industrie donc une forme de validation des mo1 Lazear (2000, pp. F619-F622). Il rapporte par exemple ses résultats concernant une entreprise spécialisée dans la pose de pare-brises. Entre 1995 et 1996, à l’occasion d’un changement de direction, la rémunération des opérateurs est progressivement passée d’une base horaire à un régime à la pièce. Lazear mesure l’e¤et proprement incitatif d’une telle mesure en considérant la variation de productivité moyenne au sein de la population des opérateurs ayant connu les deux régimes : le passage à une rémunération à la pièce a accru la productivité de l’opérateur moyen de 22%. 2 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.16 dèles Principal-Agent de la relation d’emploi. En ce sens, le développement des organisations du travail post-Taylorisme (OTpT) depuis la …n des années 80, dans l’industrie américaine notamment, représente une source importante de questionnement pour l’analyse économique de la relation d’emploi. De fait, tandis que le Taylorisme préconise une stricte division entre travail manuel et intellectuel3 , les OTpT reposent sur la participation intellectuelle de chaque travailleur au fonctionnement de l’entreprise4 . Or cette participation ne peut ni faire l’objet de mesures de performance individuelle claires ni donner lieu à une supervision étroite. Ce constat est au coeur de la discussion proposée dans ce chapitre des hypothèses comportementales de l’analyse économique de la motivation au travail. Il s’agit de justi…er empiriquement l’élargissement, voire la réforme, de ces hypothèses. D’abord, en soulignant l’inadéquation des analyses usuelles à la compréhension du fonctionnement des OTpT. Ensuite, en avançant les éléments empiriques permettant cet élargissement. Les objectifs de ce chapitre sont ainsi : de documenter la nécessité pour l’analyse économique de ne pas réduire le problème de la motivation au travail au thème de l’incitation salariale5 ; de présenter les éléments empiriques re‡étant les limites des outils usuels d’analyse de la relation d’emploi ; de démontrer l’opportunité des approches comportementales de la relation d’emploi. Ce chapitre est composé de deux sections. La première porte sur l’étude des OTpT et des conditions de leur e¢cacité. Nous indiquons en quoi cette e¢cacité constitue une source de questionnement pour l’analyse économique de la relation d’emploi. Cela nous amène à souligner la nécessité d’élargir - voire de réformer les hypothèses comportementales de cette analyse. La seconde section est consacrée 3 Le Taylorisme repose notamment sur une dé…nition étroite des tâches a…n de contrôler leur exécution et de limiter les temps morts : la tâche con…ée à chaque travailleur est limitée à un nombre restreint de gestes ; les mouvements improductifs sont éliminés ; un temps (le plus faible possible) est a¤ecté à chaque opération productive. Le salaire aux pièces, pratiqué dans la mesure du possible, vise à motiver les travailleurs. Ce mode d’organisation du travail est, dans une large mesure, conforme aux présupposés comportementaux des analyses usuelles de la relation d’emploi. 4 Cela implique la délégation d’une part du contrôle du processus productif aux travailleurs (thème de l’empowerment). 5 Il s’agit d’asseoir empiriquement la nécessité d’une généralisation des sources de motivation au travail. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.17 à l’information empirique disponible à même de nourrir cet élargissement. Nous présentons ainsi les fondements empiriques de l’approche comportementale de la relation d’emploi. 1 Les organisations du travail post-Taylorisme Le but principal de cette section est de présenter les éléments empiriques justi- …ant le questionnement développé dans cette thèse. Ces éléments tiennent au constat que des organisations du travail privant l’employeur de mesures de performance individuelles ou de possibilités de supervision e¢cace, les OTpT, tendent à se développer. Il s’agit d’une tendance d’autant plus remarquable qu’elle concerne notamment un secteur d’activité qui se prête particulièrement bien à un contrôle étroit des travailleurs : l’industrie. Les OTpT peuvent être dé…nies par un certain nombre de pratiques de gestion du personnel (GP) quali…ées d’innovantes dans la littérature. Le tableau 1 contraste pratiques "traditionnelles" (privilégiées notamment par le Taylorisme) et "innovantes" de GP. Tableau 1 - Pratiques de GP "Traditionnelles" 1) Rémunération horaire ou dépendant de mesures de performance fragmentaires. 2) Assignation étroite des travailleurs. Absence de rotation. 3) Division et individualisation du travail. 4) Embauche peu sélective pour les emplois de base (sans dimension d’encadrement). 5) Formation pratique, sur le tas. 6) Information sur résultats peu circulante. Communication ascendante limitée. 7) Ajustement des e¤ectifs à l’activité. "Innovantes" 1) Rémunération dépendant de mesures de performance globales. 2) Assignation souple des travailleurs. Emploi dé…ni de façon large. 3) Travail en équipe. Résolution en équipe des problèmes de production. 4) Embauche sélective à tous les niveaux d’emplois. 5) Formation transversale, pratique et organisationnelle. 6) Partage de l’information sur résultats. Communication ascendante encouragée. 7) Garanties de sécurité de l’emploi. Le principal enjeu des OTpT est d’obtenir l’implication des travailleurs de front6 au fonctionnement de l’entreprise dans son ensemble d’où la place qu’elles laissent à 6 Par travailleurs (ou employés) de front, il faut entendre ici, le groupe le plus large de travailleurs 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.18 des pratiques participatives. Cet enjeu se manifeste donc notamment par : l’instauration d’équipes détachées à la résolution de problèmes productifs ; la rotation des travailleurs entre di¤érents postes de production ; une embauche sélective, permettant de …ltrer les travailleurs les plus souples tant sur le plan productif que relationnel ; des garanties en matière de sécurité de l’emploi ; le partage de l’information sur les résultats de l’entreprise ; une politique de formation active. Cette section est composée de trois parties. La première est consacrée à la démonstration empirique des gains productifs procédant de l’adoption de pratiques d’OTpT dans l’industrie (automobile et sidérurgique). Ces gains sont évalués par comparaison à ce que permettent les pratiques traditionnelles d’organisation du travail. La deuxième partie est une analyse empirique des canaux par lesquels les OTpT in‡uencent les performances productives. Ces canaux tiennent principalement à une utilisation intensi…ée du facteur travail. En…n, la troisième partie confronte les outils usuels d’analyse économique de la relation d’emploi (centrés sur ses aspects informationnels et contractuels) aux résultats précédents. L’e¢cacité avec laquelle les OTpT utilisent le facteur travail vient questionner la portée empirique des analyses concevant l’incitation salariale comme source exclusive de motivation au travail. 1.1 Les performances productives associées aux OTpT Nous exposons dans cette section les éléments empiriques établissant les progrès, en termes de productivité et de qualité, permis par les OTpT. Ces éléments sont de deux ordres : les uns procèdent de l’étude de cas, les autres, de l’analyse économétrique. L’étude de cas permet de cerner les réalités concrètes que recouvrent les OTpT ; l’analyse économétrique de montrer la signi…cativité statistique du phénomène. 1.1.1 Une étude de cas classique Le cas de l’usine automobile New United Motor Manufacturing Inc. (NUMMI), investissement commun General Motors (GM)-Toyota réutilisant une usine GM de sans fonction d’encadrement, directement mobilisés dans le processus de production du bien ou du service 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.19 Fremont (Californie), permet de faire ressortir le potentiel et les limites d’une OTpT. L’ancienne usine GM était en proie à de sérieux problèmes : une faible qualité de la production, un fort absentéisme et de très mauvaises relations entre direction et salariés. Bien que fonctionnant pour l’essentiel avec une technologie semblable et la plupart des salariés de l’ancienne usine, NUMMI est parvenu, en l’espace de quelques années : à réduire le nombre d’heures par voiture produite d’environ 40% ; à atteindre le standard de qualité des meilleures usines automobile des Etats-Unis ; à atteindre le taux d’absentéisme le plus bas de l’industrie américaine. Des équipes de travail se sont vu chargées de la gestion du roulement des tâches, de la répartition de la charge de travail et engagées à une amélioration constante de la sécurité, de la qualité et de l’e¢cacité de leur emploi. Dans la présentation que nous faisons ci-dessous, nous insistons sur les aspects les plus directement reliés aux thèmes généralement explorés par l’économie du personnel (rémunération, bonus, carrière, sécurité de l’emploi,...). GM-Fremont, 1963-1982. Avant d’être reprise par NUMMI, l’usine était gérée selon les principes du Taylorisme. Nous l’avons vu, l’un des principaux aspects du Taylorisme est la séparation entre la plani…cation du travail et son exécution, les travailleurs de front n’ayant voix ni à la dé…nition de leur emploi ni à l’organisation du travail. Au sein de GM-Fremont, les principaux instruments d’incitation étaient la prime, la promotion et le licenciement. La gestion du personnel était fondée sur l’idée que les travailleurs devaient être étroitement encadrés pour prévenir l’opportunisme. On les supposait incapables et/ou non désireux de produire des idées intéressantes quant à la meilleure façon d’accomplir leurs tâches. Il y avait d’ailleurs peu d’incitation à faire des propositions susceptibles d’accroître la productivité : la direction aurait été tentée d’alourdir la charge de travail ou de réduire les e¤ectifs. Les employés, présumés non-coopératifs par la direction, l’étaient e¤ectivement peu. En particulier, des e¤ets de groupe délétères contribuaient à de faibles performances productives. Un travailleur plus productif que la moyenne aurait élevé le standard de performance pour l’ensemble des employés : il s’exposait pour cela à l’isolement et aux brimades de ses pairs. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.20 La mise en route de NUMMI. Au moment de sa fermeture - qui occasionna des licenciements en masses - GM-Fremont était le site connaissant les plus lourdes di¢cultés d’une entreprise elle-même en situation délicate. Pour ce site, l’absentéisme non-justi…é dépassait parfois les 20%, les niveaux de qualité et de productivité étaient largement au dessous des standards GM (a fortiori largement inférieurs de ceux de Toyota). Bien que Toyota ait été réticent à l’idée de réembaucher les anciens employés de GM, en septembre 1983, NUMMI leur a donné la priorité. Parmi les employés de l’usine au moment de la reprise de la production, en décembre 1984, 99% des employés travaillant à l’assemblage et 75% du personnel quali…é étaient d’anciens employés de GM. Notons que très peu des candidatures ont été rejetées. Concernant la technologie, peu de choses ont changé. Au moment de la reprise, NUMMI béné…ciait d’une technologie moyenne, avec quelques robots mais peu des équipements high-tech des usines les plus récentes de GM. Cela étant, NUMMI a rapidement atteint des niveaux de productivité presque deux fois supérieurs à ceux qu’obtenait GM-Fremont en ses meilleures années, 40% supérieurs à la performance d’une usine d’assemblage GM moyenne. Quant à la qualité, elle n’était pas seulement la meilleure qu’ait connu GM mais également la meilleure qu’ait connu l’industrie automobile américaine dans son ensemble. La satisfaction des employés a également progressé. Le nombre des employés déclarant être "satisfait de [leur] emploi et de leur environnement de travail" a augmenté de 65% en 1985 à 90% en 1991. Pour l’année 1992, le taux d’absentéisme de NUMMI n’a jamais dépassé 4%, à comparer à une moyenne de près de 9% sur l’ensemble de GM. Le système de production Toyota. Le système de production Toyota, appliqué par NUMMI repose sur trois piliers : la production en ‡ux tendu, la poursuite d’un objectif de production sans erreur, la progression continuelle. Le système ‡ux tendu vise à réduire les coûts de stockage et d’inventaire, et exerce une pression à l’apprentissage organisationnel. Ce système requiert un haut niveau d’implication des travailleurs. La poursuite d’un objectif de production sans erreur se traduit par un contrôle direct des travailleurs sur la qualité et le rythme de travail : le cor- 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.21 don andon. Situé au dessus de chaque poste de travail, le cordon andon permet à chaque travailleur d’interrompre la chaîne de montage lorsqu’un problème survient. Selon les cadres de NUMMI, ce cordon représente la con…ance de la direction en ses employés. Le troisième pilier, consiste dans l’élaboration de protocoles d’exécution standardisée des tâches. Sur cet aspect, l’approche de NUMMI di¤ère de celle de GM dans une double mesure : d’une part, ce sont les travailleurs eux-même, non les ingénieurs, qui dé…nissent les protocoles ; d’autre part, à NUMMI, le meilleur protocole est une cible en perpétuelle évolution, les employés sont encouragés à améliorer continuellement leur emploi. La gestion du personnel de NUMMI. Les incitations et opportunités qui fondent la gestion du personnel de NUMMI di¤èrent de celles de GM-Fremont. L’accent est mis sur une forte implication des travailleurs, la sécurité de l’emploi, et une grande souplesse productive des travailleurs. La formation est un canal majeur d’implication des travailleurs. Au cours de leur 6 premiers mois en emploi, les employés de NUMMI reçoivent plus de 250 heures de formation contre un maximum de 40 heures sur l’ensemble de la première année pour un travailleur typique de l’industrie automobile américaine. Près de 75h de la formation initiale se déroule en salle de classe où les travailleurs apprennent les grandes lignes de la politique de NUMMI concernant la gestion du personnel, où ils étudient des techniques de maîtrise, de sécurité, de résolution de problèmes et de standardisation du travail. Chaque année, par la suite, ils reçoivent 50 heures de formation contre à peu près 20 chez les autres gros producteurs automobiles. L’implication des travailleurs repose également sur un système de primes. La prime est basée sur l’amélioration du taux d’activité de la chaîne de montage et sur les résultats de trois études de satisfaction de la clientèle. Les préoccupations d’équité sont aussi plus fortes au sein de NUMMI qu’au sein de GM. Cadres supérieurs et travailleurs béné…cient des mêmes commodités (parking, restaurant d’entreprise,...), les rapports entre les échelons sont facilités. Les écarts de rémunération entre travailleurs et cadres au sein de NUMMI sont inférieurs à ce qu’ils étaient au sein de GM-Fremont. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.22 NUMMI promet en outre à ses employés une certaine sécurité de l’emploi. Cette promesse a déjà été mise à l’épreuve et a été tenue. Durant un ralentissement d’activité étalé sur deux années, ne tournant qu’à 65% de sa capacité, l’entreprise a envoyé l’intégralité de son personnel de production en formation, accrue les activités de maintenance et placé les travailleurs surnuméraires au sein d’équipes chargées de concevoir les protocoles de production du futur modèle. NUMMI encourage la mobilité interne des travailleurs. La mobilité horizontale, tout d’abord, à partir de formations transversales : chaque travailleur est encouragé à maîtriser 4 ou 5 des fonctions représentées au sein de son équipe de production et d’alterner entre ces fonctions plusieurs fois par jour. La promotion représente une autre forme de mobilité interne. Echelon intermédiaire jusqu’au poste de chef de groupe (qui supervise entre 3 et 5 équipes), le chef d’équipe se voit attribuer les tâches précédemment attribuées au premier contremaître à l’époque de GM-Fremont. Sélectionné par un comité associant direction et syndicats selon des critères largement objectifs, il béné…cie d’une légère augmentation. Indépendamment de leur activité de production, les employés travaillent également en équipe sur des projets. Ceux-ci portent sur des problèmes de sécurité ou sur l’organisation des chaînes de production pour l’année suivante. Ce travail sur projets représente un canal additionnel d’accumulation de compétences et de mobilité horizontale et verticale. Au total, NUMMI o¤re davantage de possibilités de mobilité que GM. L’analyse du cas NUMMI véhicule quantité d’informations empiriques sur la relation d’emploi. Dans le développement précédent, certaines de ces informations nous semblent mériter une attention particulière. Le fait que l’adoption d’une OTpT ait permis des progrès quant à la qualité de la production est révélateur. L’impact qualitatif d’une contribution productive individuelle est en e¤et généralement di¢cile à observer7 . L’hypothèse d’une coopération volontaire stimulée est ainsi spécialement pertinente. D’autant plus à considérer l’impact de l’organisation du travail de NUMMI sur l’absentéisme. Conjugué à l’élévation du taux de satisfaction déclarée des employés de front, un faible absentéisme peut être tenu pour un indice de leur 7 Instaurer des incitations individualisées à l’amélioration de la qualité de la production et/ou exercer une supervision e¢cace de l’e¤ort-qualité s’avère pour cela particulièrement délicat. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.23 bonne volonté. Un autre aspect intéressant est le rôle stratégique des employés de front dans l’organisation de NUMMI. Ils exercent un contrôle productif direct et sont à la source de l’apprentissage organisationnel. Leurs emplois, traditionnellement manuels, incorporent sous la nouvelle organisation une large composante intellectuelle. On comprend en ce sens l’importance d’une formation professionnelle e¢cace. Si le bilan du cas NUMMI paraît au total largement positif, Levine (1995) observe néanmoins un certain nombre de limites. Par exemple, des problèmes de sécurité se sont fait jour. Plus globalement, l’implication des travailleurs n’a pas permis de résoudre pleinement les con‡its touchant au rythme de travail. Nous venons de documenter l’e¤et positif d’une OTpT sur les performances d’une …rme particulière. Cet e¤et peut-il être généralisé ? Répondre à cette question est le but de l’étude statistique des e¤ets des OTpT proposée désormais. On notera que l’attention reste portée sur l’industrie. 1.1.2 L’étude statistique des e¤ets des OTpT Ichniowski, Shaw et Pennushi (1997) étudient statistiquement l’e¤et des pratiques liées aux OTpT sur les performances productives. Leurs données sont constituées d’observations portant sur un processus de production spéci…que : le traitement de l’acier. Cette spéci…cité permet d’écarter la plupart des sources d’hétérogénéité a¤ectant les comparaisons de productivité sur données plus agrégées. Une fois déterminées les variables de contrôle relevant de la technologie de production, Ichniowski et al. montrent que le niveau e¤ectif de production ne dépend que de la fraction du nombre total d’heures plani…ées, perdue du fait d’incidents. Le taux d’activité d’une ligne de production8 est ainsi leur principale mesure de productivité. Leur mesure de qualité est la part de la production totale satisfaisant les critères de qualité de l’industrie. Parmi les variables indépendantes, l’attention est donc centrée sur celles qui re‡ètent des pratiques spéci…ques d’organisation travail. Les principaux aspects de la gestion de personnel sont considérés : la rémunération, le recrutement, la place du travail en équipe, la sécurité de l’emploi, la délimitation des postes, la formation 8 Rapport temps e¤ectif de fonctionnement sur temps total plani…é. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.24 professionnelle, les procédures de communication. Systèmes de gestion du personnel. Au delà des e¤ets propres des différentes pratiques de GP, leurs interactions sont susceptibles d’in‡uencer la productivité. Des complémentarités entre ces pratiques sont clairement suggérées par l’analyse de corrélations. Pour examiner l’importance de blocs de pratiques de GP fortement corrélées les unes avec les autres, il convient d’analyser leurs interactions. Ichniowski et al. identi…ent des blocs cohérents de pratiques de GP. Ils distinguent quatre systèmes de GP. ² Le système de GP 4 correspond au système le plus traditionnel. Il ne contient aucune des pratiques caractérisant les OTpT. Les installations productives sont étroitement supervisées par des contremaîtres ; les règles d’exécution sont strictes et la responsabilité de chaque poste étroitement dé…nie ; les incitations salariales ne portent que sur des mesures quantitatives fragmentaires ; il n’y a pas de travail en équipe ; pas de communication verticale active sur le résultat de l’entreprise ; pas de principe de …ltrage à l’embauche ; la formation se fait essentiellement sur le tas. ² Le système de GP 3 est semblable au 4 sauf sur deux points : des formes de travail en équipe sont initiées ; la communication verticale est améliorée quant au contenu (partage de l’information sur le résultat), quant aux dispositions (réunions). ² Le système de GP 2 reprend le 3 en lui ajoutant deux innovations : une large place à la formation professionnelle, un haut niveau d’implication de chaque employé dans une équipe de travail. L’une au moins des pratiques suivantes fait défaut : un principe de …ltrage à l’embauche, la rotation entre plusieurs postes de travail ou une classi…cation élargie des emplois, des incitations salariales basées des mesures de performance globales, ou la sécurité de l’emploi. ² Le système de GP 1 incorpore des pratiques innovantes dans tous les aspects de la GP. Le tableau 2 donne la distribution des observations et la productivité moyenne (Pté) pour chaque système de GP. Si la plupart des lignes de production ont maintenu la même organisation du travail tout au long de la période étudiée, 13,8% de l’échantillon (comprenant 2190 observations) est constitué de lignes qui ont changé 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.25 de système de GP, passant des systèmes les plus traditionnels à des systèmes plus innovants. Le tableau 2 distingue donc entre les lignes qui en sont restées à leur système initial et celles qui en ont changé - le cas échéant, la productivité antérieure (Pté ant.) est spéci…ée. Tableau 2 - Distribution de l’échantillon et pté moyenne par système de GP Syst. de GP …nal Syst. de GP initial Syst. de GP 4 Syst. de GP 4 Syst. de GP. 3 Syst. de GP 2 Pté en syst. 4 Pté en syst. 3 Pté en syst. 2 0! 899(0! 036) [" = 782] 0! 912(0! 039) 0! 939(0! 021) Pté ant. (syst. 4) Pté ant. (syst. 3) 0! 901(0! 034) [" = 172] 0! 912(0! 028) Syst. de GP 1 ¡ Pté ant. (sys. 4) 0! 894(0! 081) [" = 59] Syst. de GP 3 ¡ Pté en syst. 3 Pté en sys. 2 0! 930(0! 032) [" = 742] 0! 964(0! 011) ¡ Pté ant. (sys. 3) 0! 949(0! 027) [" = 82] Pté en syst. 2 Syst. de GP 2 ¡ Syst. de GP 1 ¡ ¡ 0! 924(0! 070) [" = 287] ¡ ¡ ¡ 0! 940(0! 041) [" = 77] Pté en syst. 1 Note : les écart-types sont entre parenthèses ( ) ; la taille de l’échantillon de chaque cellule entre crochet [ ]. Les lignes qui ont modi…é leur GP dans un sens innovant ont vu leur productivité progresser de 1 à 2%. Spéci…cation économétrique et estimations. Cet examen des écarts moyens ne permet ni de neutraliser les autres facteurs susceptibles d’expliquer le niveau de productivité, ni de comparer les gains de productivité des lignes ayant changé d’organisation du travail à ceux des lignes qui n’en ont pas changé sur la période. Le 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.26 tableau 3 récapitule les principaux résultats d’Ichniowski et al. (1997) sur ces plans. Tableau 3 - E¤ets pté estimés des syst. de GP dans des modèles MCO et à e¤ets …xes Variable dépendante : taux d’activité des lignes de production [" = 2190] 9,10 Modèles MCO Modèle à e¤ets …xes11 Sans variables Avec variables Sans ctrôler En ctrolant Syst. de ctrôle détaillées de ctrôle détaillées les variations de les variations de de GP de la technologie de la technologie pté avant chgt pté avant chgt (1) (2) (3) (4) Syst. 1 0! 097¤¤¤ (0! 007) 0! 067¤¤¤ (0! 007) ¡ ¡ ¤¤¤ ¤¤¤ ¤¤¤ ¤¤¤ Syst. 2 0! 038 (0! 004) 0! 032 (0! 005) 0! 035 (0! 008) 0! 068 (0! 019) Syst. 3 0! 011¤¤¤ (0! 002) 0! 014¤¤¤ (0! 003) 0! 025¤¤¤ (0! 006) 0! 043¤¤¤ (0! 011) #2 0! 246 0! 409 0! 066 0! 068 ¤¤¤ Signi…catif à 1%. Les régressions (1) et (2) mettent en évidence une hiérarchie dans les contributions nettes de chacun des 4 systèmes de GP à la productivité : les lignes utilisant le système 1 ont la productivité la plus grande ; elles sont suivies, dans l’ordre, par les lignes privilégiant les systèmes 2, 3 et 4. Les résultats des équations (1) et (2) peuvent être biaisés si les variables de contrôle ne neutralisent pas des déterminants propres à chaque ligne de production qui seraient corrélés aux choix d’un système de GP (biais de sélection12 ). L’échan9 Les variables de contrôle de l’équation (1) sont : le nombre d’années d’activité de la ligne et son carré ; l’année où la ligne à été construite et son carré ; une variable dummy pour les lignes en période de lancement ; un indice de qualité de l’input ; le nombre d’opérations de maintenance par an. 10 Les variables de contrôle de l’équation (2) rassemblent : toutes les variables mentionnées pour l’équation (1) ; une variable dummy pour le type de débouché de la production ; la vitesse maximale de la ligne, son carré ; la largeur maximale de la ligne et son carré ; neuf variables dummy indiquant les équipements spéci…ques utilisés tout au long de la ligne et une mesure de l’âge de certains équipement de bout de chaîne ; une variable dummy indiquant le degré plus ou moins élevé de contrôle informatique de la ligne de production ; une variable mesurant la valeur des derniers équipements installés. 11 L’absence de coe¢cient estimé pour le système 1 tient au fait qu’aucune ligne initialement régie par un système 4 à 2 n’est passée au système 1. Les autres variables de contrôle pour les équations (3) et (4) sont : l’âge de la ligne de production et son carré ; des variables caractérisant la période de lancement de la ligne de production ; un indice de 1 à 5 re‡étant la qualité des matières premières ; l’âge des équipements de …n de chaîne ; une variable mesurant la valeur d’un équipement important installé au cours de la période d’observation. 12 La raison la plus probable d’un tel biais est que les lignes de production privilégiant la qualité choisissent plus que la moyenne les pratiques de GP innovantes. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.27 tillon mobilisant des données longitudinales, Ichniowski et al. neutralisent cette source éventuelle de biais à l’aide d’un modèle à e¤ets …xes. Les résultats de ce modèle - équation (3) - mettent encore en évidence un e¤et positif de l’introduction de pratiques de GP innovantes. Les estimateurs obtenus avec le modèle à e¤ets …xes seront trompeurs si l’adoption de pratiques innovantes de GP est corrélée à des di¤érences de productivité préexistant. Les lignes de production connaissant des gains de productivité inférieurs à la moyenne du secteur pourraient être plus enclines à adopter de nouvelles pratiques de GP. Pour neutraliser cette possibilité, Ichniowski et al. intègrent le taux de variation de la productivité avant l’adoption de nouvelles pratiques de GP équation (4). Les coe¢cients du modèle correspondant révèlent que les lignes ayant changé de système de GP sur la période présentaient e¤ectivement une productivité inférieure à la moyenne : le modèle (3) sous-estime donc l’e¤et des pratiques de GP innovantes sur la productivité. La valeur des gains de productivité prêtés ci-dessus aux OTpT devrait être relativisée s’ils s’avéraient accompagnés d’une dégradation de la qualité. Ichniowski et al. estiment l’e¤et des di¤érents systèmes de GP sur la qualité de la production. Ils retrouvent la même hiérarchie que pour la productivité : les organisations du travail cumulant le plus de pratiques innovantes correspondent aux meilleures qualités. L’exposé précédent a donc permis de mettre en évidence les gains en performance (productivité et qualité) associés aux OTpT. L’analyse économétrique d’Ichniowski et al. (1997) a montré le cas NUMMI n’était pas anecdotique en quanti…ant l’impact de l’adoption de pratiques d’OTpT sur l’ensemble d’une branche. Cela étant, à ce stade, les canaux par lesquels ces gains en performance sont obtenus ne sont pas pleinement déterminés. L’étude de cas suggère quelques orientations mais quelle en est la portée ? Faut-il invoquer la circulation de l’information, la qualité des dispositifs incitatifs accompagnant les OTpT ? Les gains attribués aux OTpT ne tiennent-ils pas à des réalités collatérales telles que la qualité des responsables de site, un e¤ort accru des employés face à des craintes de licenciement ? Voyons quels compléments d’information peut nous fournir l’analyse empirique des OTpT. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.28 1.2 Analyse empirique des performances des OTpT et des pratiques de gestion du personnel qui les accompagnent Le but de cette section est : d’indiquer ce que l’analyse empirique peut dévoiler du rôle spéci…que des OTpT dans les gains en performance qui leur sont associés d’une part ; d’entrer dans le détail des pratiques de GP qui accompagnent ces OTpT d’autre part. Ce second point vise en particulier à cerner la place des incitations salariales dans l’e¢cacité des OTpT : il s’agit de fournir les bases empiriques des discussions proposées ultérieurement. 1.2.1 Circonscription des déterminants des performances associées aux OTpT On tente donc dans ce qui suit de circonscrire les réalités susceptibles d’expliquer les performances des OTpT. Une première étape consiste à indiquer les pistes qu’Ichniowski et al. (1997) parviennent à écarter. Une seconde à lister les explications avancées par les analystes de terrains qui sont compatibles avec l’examen statistique. 1.2.1.1 A quoi ces performances NE tiennent PAS. Les coe¢cients des régressions réalisées par Ichniowski et al. indiquent que l’introduction de pratiques d’OTpT accroît la productivité des travailleurs. Néanmoins, d’autres facteurs qui ont varié sur la période - tels qu’un changement de responsable de site ou la menace de destruction d’emplois - pourraient être la cause des gains de productivité observés. Ichniowski et al. estiment donc des spéci…cations alternatives intégrant ces facteurs. A la qualité de la gestion des responsables de site. Si les meilleurs responsables de site adoptent des systèmes innovants de GP avec une probabilité plus grande et que, dans le même temps, ils prennent des mesures inobservées qui améliorent la productivité, l’e¤et spéci…que des OTpT tendra à être sur-estimé dans les régressions (1) à (4). L’introduction de plusieurs mesures standard de qualité des responsables de site n’a¤ecte pas les coe¢cients estimés plus haut. Les résultats obtenus indiquent que les e¤ets des OTpT sont indépendants de la qualité des 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.29 responsables de site. A des craintes de fermeture ou de revente de site. Certaines lignes de production peuvent être menacées par des réductions d’e¤ectif ou même par la faillite et ces craintes peuvent représenter pour les employés une incitation à plus d’e¤ort. Si les lignes exposées sont également plus enclines à adopter des pratiques innovantes de GP, l’interprétation proposée précédemment des coe¢cients des régressions (1) à (4) sera erronée. Ichniowski et al. ajoutent des mesures de la santé économique des lignes : cela n’a¤ecte pas sensiblement les coe¢cients obtenus précédemment. Ils démontrent que si une anxiété économique a pu faciliter l’adoption de pratiques d’OTpT, les craintes correspondantes ne sont pas à la source des gains de performances obtenus. Au niveau de rémunération des travailleurs. Une autre possibilité est que les travailleurs des sites intégrant des pratiques innovantes de GP soient plus productifs du fait de meilleures rémunérations (argument de salaire d’e¢cience). Ichniowski et al. introduisent des variables de rémunération moyenne dans leurs équations et obtiennent des coe¢cients non-signi…catifs : les coe¢cients pondérant le rôle des systèmes de GP restent donc inchangés. Des facteurs indépendants de la productivité des lignes de production déterminent le niveau de rémunération moyen. Un rôle propre des OTpT ainsi con…rmé, il reste à examiner ce que l’analyse empirique permet de dire quant aux canaux par lesquels les performances soulignées précédemment sont obtenues. 1.2.1.2 A quoi ces performances pourraient tenir. Les analystes de terrain ont proposé un certain nombre d’hypothèses quant à la façon dont les pratiques associées aux OTpT pouvaient accroître la productivité, la satisfaction et la qualité des biens produits - voir Levine (1995, p. 38). Ces hypothèses sont centrées sur les pratiques favorables à l’implication, à la participation des travailleurs de front qui font le propre des OTpT - travail en équipe, résolution de problèmes de production, partage de l’information, communication horizontale et verticale. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.30 Certaines hypothèses ne sont pas intrinsèquement motivationnelles : ² Les pratiques participatives peuvent déboucher sur des décisions mieux ins- truites, les travailleurs disposant d’informations inaccessibles à la direction. Les pratiques participatives peuvent permettre des remises en cause de dispositions organisationnelles inadaptées. ² Les pratiques participatives peuvent améliorer la communication et la coopéra- tion ; les travailleurs de front communiquent directement entre eux (communication horizontale) ne mobilisant pas systématiquement l’encadrement. Ils laissent ainsi davantage de temps aux cadres pour gérer d’autres problèmes. ² Des travailleurs impliqués se supervisent mutuellement, ce qui limite le besoin d’encadrement et réduit le coût du travail. La participation enseigne aux travailleurs de nouvelles compétences, relayant la formation. Elle permet de détecter des personnalités portées à l’encadrement (d’où un meilleur encadrement). D’autres font explicitement intervenir une motivation non-pécuniaire qui accompagnerait les OTpT : ² Selon Porter, Lawler et Hackman (1975), les employés appliquent plus volon- tiers des décisions auxquelles ils ont contribué. Ils savent mieux ce qui est attendu d’eux et le fait de contribuer aux décisions les engage. Staw (1980) ajoutent que les pratiques participatives peuvent réduire la désutilité de l’e¤ort, en stimulant une motivation intrinsèque. ² Les pratiques participatives peuvent contribuer à satisfaire des besoins psycho- logiques tels que ceux de créativité, de réalisation, ou le besoin d’être respecté. Les pratiques participatives peuvent satisfaire un besoin d’a¢rmation et de dignité des travailleurs, évitant ainsi des démonstrations de force contre-productives. ² Les pratiques participatives stimulent la loyauté et l’identi…cation à l’organisa- tion. Si participation et récompenses ont lieu au sein d’un groupe, une pression du collectif peut s’exercer sur chacun pour qu’il se conforme aux décisions. ² Les pratiques participatives sont fréquemment associées à la dé…nition d’ob- jectifs. La …xation d’objectifs est une technique de motivation démontrée, particulièrement lorsque les travailleurs en …xent eux-mêmes les termes. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.31 Ces pistes d’explication proposées par les analystes de terrain sont cohérentes avec les résultats d’études telles que celle de Bartel, Ichniowski et Kleiner (2003) qui isolent l’impact de l’attitude des travailleurs de front sur les performances d’établissements bancaires. 1.2.2 Circonstances et dispositions de GP associées à la délégation du contrôle productif aux travailleurs de front. Nous avons vu que les OTpT réduisaient les possibilités de supervision et d’individualisation de la rémunération du travail. "L’esprit" des OTpT va d’ailleurs à la délégation du contrôle productif aux employés de front (empowerment). En focalisant sur cet aspect, on recentre donc l’attention de "l’esprit" des OTpT. Osterman (1994b) propose une analyse statistique transsectorielle des dispositions de GP accompagnant la délégation du contrôle productif aux employés de front. L’enquête, menée en 1992, a été réalisée sur un échantillon aléatoire d’établissements de plus de 50 employés (l’unité d’observation) du secteur privé13 . Bon nombre des questions posées concernaient l’établissement dans son ensemble mais certaines se référaient spéci…quement aux employés de front, c’est à dire aux travailleurs sans fonction d’encadrement et directement impliqués dans le processus de production du bien ou du service14 . Les variables re‡étant le degré de contrôle laissé aux travailleurs de front. On a demandé aux personnes contactées d’indiquer : l’étendue du contrôle des employés de front sur leur méthode de travail ; l’étroitesse de la supervision qui s’imposait à ces employés. Le tableau 4 expose la distribution des réponses obtenues. 13 14 L’échantillon comportait 875 observations et le taux de réponses a atteint 65,5%. Une présentation plus détaillée est disponible dans Osterman (1994a). 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.32 Tableau 4- Le degré de contrôle des travailleurs de front sur leur emploi Pourcentages Ensemble des travailleurs de front Cols bleus de front Cols blancs de front Etroitesse de la supervision : Aucune 0! 25 0! 29 0! 90 Faible 16! 6 16! 91 30! 65 Modérée 53! 02 61! 95 43! 08 Forte 24! 26 14! 96 20! 56 Complète 5! 87 5! 88 4! 81 Discrétion quant à la méthode : Complète 4! 81 3! 13 8! 97 Forte 39! 86 39! 88 45! 77 Modérée 37! 04 39! 70 32! 59 Faible 14! 21 11! 24 12! 67 Aucune 4! 07 6! 05 0! 0 Source : Enquête intitulée "Organization of Work in American Business" - voir Osterman (1994). Une fraction minoritaire mais importante des employés de front dispose d’une autonomie substantielle : près de 17% d’entre eux ne sont soumis à aucune ou qu’à une faible supervision, près de 45% béné…cient d’une forte à complète discrétion. Observons encore que les cols blancs disposent d’une autonomie plus grande que les cols bleus. Dans ce qui suit, les variables dépendantes sont "Supervision" et "Méthode". Il s’agit de variables dichotomiques : "Supervision" prend la valeur 1 si la supervision des employés de front est faible ou inexistante ; "Méthode" prend la valeur 1 si la discrétion des employés de front quant à leur méthode de travail est forte ou complète. La discrétion sur la méthode et la présence d’une supervision plus ou moins étroite re‡ètent des notions di¤érentes. En principe, les employés peuvent décider de la façon dont ils font leur travail tout en étant soumis à une étroite supervision. Dans les faits, on montre que ces deux aspects sont indépendants - voir Osterman (1994). "Supervision", "Discrétion" et OTpT. Un bon moyen de tester la validité de ces mesures est d’examiner leur corrélation aux choix organisationnels des entreprises. L’enquête demandait pour chaque établissement la place réservée à di¤érentes 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.33 pratiques innovantes de GP. Pour chacune d’entre elles, les personnes interrogées devaient indiquer la part des employés de front concernés. On s’attendrait à ce que les établissements au sein desquels supervision faible et forte discrétion sont le plus probable présentent une OTpT. Les données sont cohérentes avec cette hypothèse : au sein des établissements où ne s’exerçait qu’une supervision lâche, 42% des travailleurs de front étaient impliqués dans des cercles de qualité contre 24% dans les autres établissements. Une di¤érence comparable est obtenue concernant la présence d’équipes de travail autonomes (51 contre 37%). Des constats similaires découlent de la comparaison en termes d’organisation du travail d’établissements laissant ou non une large discrétion à leurs employés. La délégation du contrôle productif aux employés de front est bien un aspect central des OTpT. Variables indépendantes. L’enquête a collecté quantité d’informations détaillées sur toute une gamme de pratiques de GP : les résultats correspondant constituent les variables indépendantes des régressions réalisées par Osterman. Ces pratiques peuvent être rassemblées en plusieurs blocs de dispositions touchant : à la rémunération, aux droits sur l’emploi, aux accommodements du travail, aux quali…cation et formation15 . ² Rémunération. On a demandé aux personnes contactées si leur établissement avait mis en place des plans de partage de gain (Pay group), des plans de partage ou de primes de pro…t (Pay pro…t). On leur a encore demandé si une politique consistant à rémunérer les employés de front au dessus des rémunérations versées (à emploi comparable) par les autres entreprises du même secteur géographique était en vigueur. La réponse renseigne sur le versement par l’établissement d’un salaire d’e¢cience (E¢ciency-wage). ² Droits sur l’emploi. Un établissement peut o¤rir des droits sur l’emploi à tra- vers di¤érentes pratiques. La plus traditionnelle consiste à établir une échelle d’accès 15 L’hypothèse est qu’une haute quali…cation, qu’une participation à de nombreuses formations, réduisent la nécessité d’une étroite supervision et permette de laisser au travailleur davantage de discrétion. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.34 aux emplois fondée sur l’ancienneté. L’enquête comprend deux mesures de cette pratique : la première indique si les emplois vacants sont d’abord réservés aux employés déjà présents (Ladder1) ; le cas échéant, la seconde indique si l’ancienneté est un critère d’attribution de ces emplois (Ladder2). On a de plus demandé aux personnes contactées s’il existait, au sein de leur établissement, des engagements (plus ou moins explicites) envers les employés de front d’éviter les licenciements hors situations exceptionnelles (Employment security). ² Accommodements du travail. L’enquête comprend des questions détaillées sur la place des programmes visant à accommoder travail et vie familiale (garderie, horaires adaptés, congés parentaux,...). Osterman propose un indice consistant en un simple décompte des programmes mis en place au sein de l’établissement (Child index). ² Compétences et formation professionnelle. On a demandé aux personnes contac- tées de caractériser le niveau de quali…cation exigé par les emplois de front16 . Deux mesures relatives à la place de la formation professionnelle ont en outre été collectées : le pourcentage d’employés de front ayant reçu une formation non-exclusivement pratique (O¤-job training) ; le pourcentage ayant reçu une formation transversale (Cross-training). En…n, une variable de niveau d’éducation est incluse (High-school or less)17 . ² Autres variables de contrôle. L’étendue de l’autonomie laissée aux employés de front peut également dépendre : de la taille de l’établissement (Size1, Size2, Size4, Size5) et de la période à laquelle l’établissement a été fondé (Age). Cette étendue peut encore dépendre de l’implantation syndicale18 et de la catégorie des emplois occupés par les travailleurs de front. Analyse. Les résultats d’Osterman (1994) sont présentés dans le tableau suivant. Les écart-types sont proposés entre parenthèses. 16 La variable de quali…cation (Skill level) prend la valeur 1 pour les emplois requérant une quali…cation forte à très forte. 17 Qui prend la valeur 1 lorsque la plupart des employés de front ont au plus le niveau bac. 18 Parce que les syndicats poussent à une stricte dé…nition des emplois, leur intervention peut réduire la discrétion laissée aux employés de front. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.35 Modèle LOGIT de contrôle Contrôle Variable E¢ciency-wage Ladder1 Ladder2 Pay Group Pay pro…t Employment security Child index Age Size1 Size2 Size4 Size5 High school of less Skill level O¤-job training Cross-training Union Blue-collar Sales Service Clerical Constant Log vraisemblance : Supervision ¤ 0! 714 (0! 216) 0! 031 (0! 240) 0! 423! (0! 253) 0!367 (0! 299) ¡0!021 (0! 237) ¡0!455¤ (0! 232) ¡0!061 (0! 049) ¡0!008! (0! 005) ¡0!830! (0! 446) ¡0!699! (0! 429) ¡0!957 (0! 772) ¡0!771 (1! 361) ¡0!096 (0! 274) 0!467! (0! 253) 0!119 (0! 274) 0!230 (0! 253) ¡0!049 (0! 309) ¡0!814¤ (0! 353) ¡1!545¤ (0! 451) ¡1!323¤ (0! 384) 0!186 (0! 503) ¡0!211 (0! 624) ¡297!811 ": 723 Méthode 0!467¤ (0! 169) ¡0!330! (0! 183) 0!030 (0! 201) ¡0!127 (0! 230) 0!042 (0! 180) 0!320! (0! 168) 0!096¤ (0! 037) 0!001 (0! 003) 0!393 (0! 399) ¡0!187 (0! 389) ¡0!903 (0! 638) ¡0!944 (1! 140) 0!200 (0! 205) 0!412¤ (0! 196) 0!880¤ (0! 213) 0!509¤ (0! 197) 0!063 (0! 231) ¡0!353 (0! 303) ¡0!393 (0! 324) ¡0!517! (0! 311) 0!336 (0! 415) ¡1!340¤ (0! 538) ¡455!850 723 Source : Enquête intitulée "Organization of Work in American Business" - voir Osterman (1994). ! Statistiquement signi…catif à 10%, ¤ Statistiquement signi…catif à 5%. Ces résultats viennent soutenir que le versement d’un salaire d’e¢cience est une alternative à une supervision étroite d’une part, qu’il permet aux employeurs de laisser davantage de discrétion aux employés d’autre part. Dans chaque régression, le coe¢cient de la variable de salaire d’e¢cience est positif et signi…catif. On notera encore que, dans les deux cas, la variable de quali…cation des emplois de front est positivement associée à des niveaux d’autonomie plus élevés. La délégation du contrôle productif aux employés de front semble accompagnée du versement de salaires d’e¢cience. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.36 Au-delà de ces résultats convergents, cependant, les deux équations re‡ètent les di¤érences entre les variables "Supervision" et "Méthode". Les niveaux de supervision les plus faibles apparaissent pour les établissements les plus récents et les plus petits. Lorsque les employés béné…cient d’une certaine sécurité de l’emploi, la supervision tend à être plus étroite. Au contraire, la discrétion quant aux méthodes de travail est plus grande au sein des établissements o¤rant une certaine sécurité de l’emploi, plus d’accommodements pour la vie familiale et une formation professionnelle substantielle. Bien que le rôle du salaire d’e¢cience soit souligné dans les deux modèles, "Supervision" et "Méthode" correspondent bien à des phénomènes di¤érents. L’interprétation d’Osterman est que le degré de supervision est plutôt relié à la structure de l’entreprise (âge et taille) et présente une dimension plus punitive (les employés béné…ciant d’une certaine sécurité sont étroitement supervisés pour les empêcher d’abuser de la situation). Au contraire, la discrétion quant aux méthodes de travail correspondrait davantage selon lui à l’esprit des OTpT : elle est reliée positivement à la sécurité de l’emploi, aux politiques d’accommodement entre vies familiale et professionnelle et à l’investissement dans la formation des travailleurs. Nous récapitulons dans le tableau suivant les principaux résultats de l’analyse empirique des performances des OTpT et des pratiques de GP qui les accompagnent. Résultats centraux de l’analyse empirique des performances des OTpT 1) Les performances accompagnant les OTpT dans l’industrie de l’acier sont bien imputables aux pratiques qui leurs sont associées. 2) L’impact des OTpT sur les performances des lignes de production d’acier NE passe PAS par le niveau de salaire moyen. 3) Le taux de pénétration des pratiques associées aux OTpT est signi…cativement plus fort au sein des établissements : exerçant une supervision faible sur leurs employés ; o¤rant une large discrétion (quant à leurs méthodes de travail) à leurs employés. 4) Le fait que les travailleurs de front béné…cient de salaires d’e¢cience accroît la probabilité d’une large délégation du contrôle productif. 5) La présence de schémas collectifs de rémunération n’a¤ecte pas signi…cativement la probabilité d’une large délégation du contrôle productif. 6) Des garanties de sécurité de l’emploi accroissent : la probabilité d’une supervision étroite des employés concernés ; la probabilité d’une large discrétion. Les éléments empiriques exposés dans le développement précédent montrent que 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.37 les OTpT peuvent élever la productivité du travail et accroître la qualité du produit. Renoncer à une organisation enserrant les employés de front dans une supervision étroite semble permettre une utilisation plus e¢cace du facteur travail. Cela semble contradictoire avec les implications des modèles Principal-Agent de la relation d’emploi. Nous avons d’ailleurs observé que les OTpT présentaient un certain nombre d’obstacles à l’instauration de schémas individualisés de rémunération au rendement. Nous souhaitons à présent examiner ce que les outils usuels de l’analyse économique de la relation d’emploi permettent de dire sur les éléments empiriques précédents. 1.3 OTpT et analyses économiques de la relation d’emploi Le but de cette section est : (i) d’évoquer la façon dont les outils usuels d’analyse économique sont appliqués à la compréhension des OTpT par Ichniowski et Shaw (2003) ; (ii) de préciser les questions que persiste à poser l’e¢cacité des OTpT aux analyses usuelles de la relation d’emploi ; (iii) de montrer qu’une approche comportementale peut contribuer à une meilleure compréhension du fonctionnement des OTpT. Par "outils usuels" nous entendons les outils d’analyse centrés sur les aspects informationnels et contractuels de la relation d’emploi. Le fond de notre argument est que les outils usuels de l’analyse économique de la relation d’emploi ne permettent pas d’expliquer le niveau de participation volontaire obtenue des travailleurs de front dans les OTpT (l’intensité avec laquelle le facteur travail est utilisé). Directement ou non, les sources non-pécuniaires de motivation au travail semblent en e¤et jouer un rôle crucial dans le fonctionnement des OTpT. 1.3.1 L’application des outils usuels de l’analyse économique de la relation d’emploi aux OTpT Ichniowski et Shaw (2003) proposent d’examiner les éléments empiriques soutenant l’e¢cacité des OTpT à l’aune des outils usuels de l’analyse économique de la relation d’emploi. Mobilisant les approches insistant sur les obstacles informationnels et contractuels caractérisant la relation d’emploi, ils présentent les OTpT comme des systèmes de pratiques et d’incitations complémentaires. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.38 1.3.1.1 Les pratiques associées aux OTpT comme complément de sché- mas de rémunération de second rang C’est parce que les conditions d’une politique salariale de premier rang (schéma de rémunération au rendement) ne seraient, le plus souvent, pas remplies (contraintes techniques) que, dans une situation de second rang, les OTpT contribueraient à de meilleures performances. Complément d’un schéma de rémunération relatif. Une façon de concevoir des schémas de rémunération incitatifs lorsque la performance individuelle ne peut être aisément mesurée (en termes objectifs et absolus) est de fonder la rémunération de chaque travailleur sur sa performance relative (selon une évaluation subjective). Il s’agit d’une logique de tournoi correspondant, par exemple, à une politique de promotion incitative. Ichniowski et Shaw rappellent que ce type de schéma présente plusieurs inconvénients. D’une part, il peut décourager la coopération entre les travailleurs voire inciter à saboter le travail des collègues. Pour modérer cette possibilité, les entreprises peuvent recruter des employés portés à la coopération, ou circonscrire les emplois de façon à éviter que les employés les plus agressifs n’aient à travailler ensemble - Lazear et Rosen (1981), Lazear (1989). Les entreprises peuvent donc rendre les schémas de rémunération relatifs plus e¢caces en les combinant à des pratiques innovantes en matière de dé…nition d’emploi et de …ltrage de la main d’oeuvre. D’autre part, parce que ce type de schéma repose sur des contrats "relationnels" ou implicites (i.e. sur des évaluations subjectives), il n’existe pas de méthode permettant de les rendre exécutoires - Gibbons et Murphy (2002). En ce sens, des pratiques susceptibles d’accroître la crédibilité des promesses de l’employeur (et donc la valeur présente de la relation d’emploi), telles l’investissement dans un capital humain spéci…que peuvent compléter ces schémas de rémunération subjectifs Baker, Gibbons et Murphy (1994, 2002). Complément d’un schéma collectif de rémunération. Les schémas collectifs de rémunération constituent un autre exemple d’alternative aux rémunérations fondées sur le rendement individuelle. Ces schémas peuvent s’imposer pour des raisons diverses : dans une fabrique, par exemple, l’output d’une machine peut être 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.39 aisément mesuré sans que la contribution de chacun des opérateurs ne le soit. Les politiques de partage du pro…t constituent un autre exemple de schéma collectif de rémunération. Les schémas collectifs de rémunération ont beau être exposés au problème du passager clandestin, plusieurs analyses, citées par Ichniowski et Shaw (2003), suggèrent qu’il peut être modéré par l’utilisation de certains des dispositifs caractéristiques des OTpT. Kandel et Lazear (1992) soutiennent que l’orientation des normes de travail et l’endoctrinement améliorent l’e¢cacité des rémunérations collectives en créant un environnement de travail au sein duquel la pression du groupe s’exerce dans le sens d’un e¤ort plus grand de chaque individu. Ils montrent encore que, sous ce type de schéma, les travailleurs les plus performants ne s’auto-sélectionneront pas, de sorte qu’un …ltrage systématique des candidats à l’embauche peut aussi constituer un complément indispensable d’une rémunération sur une base collective. Après le …ltrage et l’orientation des travailleurs, Ichniowski et Shaw (2003) observent que des pratiques telles que le travail en équipe peuvent être aussi importantes pour leurs e¤ets culturels (esprit d’équipe, supervision mutuelle des travailleurs) qu’elles le sont dans une optique strictement productive. De façon parallèle, une "culture" manageriale insistant sur l’importance de respecter chaque travailleur et de traiter équitablement chacun, permettra des e¤ets de pairs positifs rendant les schémas collectifs de rémunération plus e¢caces - Kreps (1990). Plus généralement, toute pratique d’organisation du travail contribuant à établir une "norme d’e¤ort" élevée et donnant à penser à chaque travailleur qu’autour de lui chacun tentera d’atteindre cette norme, peut permettre de surmonter le problème du passager clandestin MacLeod (1987, 1988). 1.3.1.2 L’idée que les OTpT seraient un système de pratiques et incita- tions complémentaires trouve des soutiens empiriques. Cette perspective voyant dans les performances des OTpT le résultat d’un système de pratiques et incitations complémentaires est corroborée par Ichniowski et al. (1997). Empiriquement, la complémentarité entre les pratiques des OTpT implique que l’e¤et global de l’instauration d’un système de GP innovant excède la somme des e¤ets propres à chacune 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.40 des pratiques incorporées dans ce système. Ichniowski et al. (1997) comparent l’e¤et de chaque pratique de GP prise isolément à celui des di¤érents systèmes de GP. Les résultats obtenus - voir Ichniowski et al. (1997, p. 310) - montrent que l’adoption d’une pratique innovante isolée n’a qu’un e¤et faible tant sur la productivité d’une ligne que sur la qualité de la production. Les pratiques et incitations associées aux OTpT paraissent e¤ectivement complémentaires. L’e¤et des schémas de rémunération incitatifs sur la productivité du travail est nettement meilleur lorsqu’il est couplé à des pratiques innovantes19 plutôt que traditionnelles. L’idée principale des arguments précédents est que, partant d’incitations de second rang, les pratiques d’OTpT représentent des mesures complémentaires, venant améliorer l’e¢cacité de ces schémas incitatifs. C’est implicitement le jeu d’implication suivant qui est invoqué : Contraintes techniques ) Schéma incitatif de second rang ) Adoption de pratiques d’OTpT complémentaires Cela revient à mettre de côté la valeur intrinsèque des pratiques associées aux OTpT qui est pourtant privilégiée par les analystes de terrain. 1.3.1.3 Les performances des OTpT tiennent d’abord à une utilisation intensi…ée du travail. Le travail des employés de front change de nature dans les OTpT, les schémas d’incitations salariales peuvent être estimés secondaires dans l’explication des performances des OTpT. Le jeu d’implication pertinent serait alors : Utilisation intensi…ée ) du travail Adoption de pratiques ) d’OTpT Schéma d’incitations adéquat ce qui n’est évidemment pas incompatible avec l’idée d’une complémentarité : l’e¢cacité des OTpT serait moins grande amputées de schémas adéquats de rémunération. 19 Dé…nition souple des postes de travail, travail en équipe, formation professionnelle transversale, …ltrage systématique à l’embauche, dispositions favorables à la communication verticale et horizontale, sécurité de l’emploi. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.41 L’utilisation intensi…ée du travail au principe des OTpT consiste avant tout selon Ichniowski et Shaw (2003) dans la sollicitation des idées des travailleurs de front et implique des situations types tâches multiples. Obtenir des travailleurs qu’ils communiquent leurs idées. Pour qu’ils communiquent à l’entreprise des idées valables, il convient avant tout d’épargner aux employés de front des incitations inadaptées20 . En particuliers, nous l’avons vu, ils ne doivent pas craindre que des gains de productivité résultant de leurs suggestions puissent impliquer une élévation des objectifs de production ou des réductions d’e¤ectifs. O¤rir des garanties de sécurité de l’emploi est donc une manière pour l’employeur d’écarter ces craintes. La pérennité des relations d’emploi qui en résulte est favorable au développement de liens sociaux entre collègues de travail, ce qui représente une condition des e¤ets de groupes positifs (supervision mutuelle) invoqués par Kandel et Lazear (1992). Ainsi, on peut découler les schémas d’incitations salariales de l’objectif des OTpT d’obtenir des travailleurs qu’ils communiquent leurs idées. L’incitation à l’e¤ort dans les modèles à tâches multiples. De nombreux travailleurs accomplissent toute une gamme de tâches et produisent plus d’un type d’output. Une telle situation - dite à tâche multiple, voir Holmstrom et Milgrom (1994) - est en particulier une implication des OTpT : conformément au point précédent, on demande par exemple aux opérateurs de développer des idées susceptibles d’améliorer leur productivité tout en les considérant responsables de la manipulation de leur machine et du traitement des pannes. Si les entreprises souhaitent obtenir des employés qu’ils soient rigoureux sur la chaîne de production (première tâche) et qu’ils imaginent des dispositions susceptibles d’améliorer la productivité dans le long terme (seconde tâche), elles devront équilibrer plusieurs pratiques de gestion du personnel pour mettre en cohérence les di¤érentes incitations requises. Il peut par exemple être optimal de concevoir des schémas de rémunération tels qu’un critère ob20 Il existe de nombreuses recherches portant sur la conception d’incitations susceptibles de motiver les travailleurs à participer à un processus décisionnel décentralisé : voir, par exemple, Jensen et Mecking (1992), Baker (1992). 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.42 jectif s’applique à la rémunération des tâches simples tandis qu’un principe subjectif s’applique aux tâches di¢ciles à mesurer. Mais là encore, la première exigence soulignée par Holmstrom et Milgrom (1994) est d’éviter les incitations contradictoires : il peut être optimal pour l’employeur de s’en tenir à une simple rémunération horaire. Si les considérations précédentes mettent en évidence le rôle des schémas d’incitation comme condition nécessaire de l’e¢cacité des OTpT, il reste à savoir s’ils en constituent une condition nécessaire et su¢sante. Les outils usuels de l’analyse économique de la relation d’emploi permettent-ils une compréhension complète du fonctionnement des OTpT ? 1.3.2 Les questions posées par les OTpT à l’analyse économique de la relation d’emploi Nous observons dans cette section que les outils usuels contribuent plus à circonscrire les questions posées par les OTpT qu’à expliciter des schémas de rémunération expliquant leur e¢cacité. Les hypothèses comportementales usuelles semblent limitatives. Cela justi…e l’utilisation de nouveaux outils d’analyse : des aspects informationnels et contractuels de la relation d’emploi, l’attention se déplace sur ses aspects comportementaux. 1.3.2.1 Les limites de l’application des outils d’analyse usuels. Notre but, dans ce qui suit, est de discuter la portée des explications théoriques des performances des OTpT avancées plus haut. La portée des outils d’analyse usuels. Pour l’essentiel, les analyses usuelles de la relation d’emploi attribuent les performances des OTpT au fait qu’elles réconcilient les intérêts pécuniaires de l’employeur et de l’employé. Nous avons présenté ci-dessus les moyens de cet alignement tels qu’ils sont avancés par Ichniowski et Shaw (2003). Discutons en à présent la portée. L’utilisation de la promotion dans une optique de tournoi semble peu cohérente avec l’esprit des OTpT. Dans une organisation privilégiant le travail en équipe, on voit mal en quoi l’instauration d’une concurrence entre équipiers peut contribuer à 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.43 aligner l’intérêt des travailleurs sur ceux de l’employeur. Levine (1995) nous fournit d’ailleurs des informations qui vont à l’encontre de cette possibilité : les chefs d’équipe sont sélectionnés par un comité associant direction et syndicats selon des critères largement objectifs. Cela conteste l’argument reposant sur une logique de tournoi dans une double mesure. D’une part, le fait que les promotions aient d’abord lieu sur la base de critères objectifs réduit l’intérêt de recourir au tournoi. D’autre part, le fait que les décisions de promotion impliquent les syndicats est peu compatible avec une utilisation stratégique de la promotion par l’employeur. Au sein d’une OTpT, les schémas collectifs de rémunération permettent-ils d’aligner les intérêts individuels des travailleurs sur celui de l’employeur ? Ces schémas s’accordent en tous cas avec les principes dé…nissant les OTpT : l’e¢cacité des pratiques qui leur sont associées requiert une bonne coopération entre employés ce à quoi un schéma collectif de rémunération contribue certainement. Une autre question est celle de l’acuité du problème du passager clandestin dans les OTpT. Les performances des OTpT semblent en e¤et démentir qu’il s’agisse d’un obstacle signi…catif. Même en l’absence d’une embauche sélective, comme c’est le cas pour NUMMI, le travail en équipe conduit à des performances supérieures à ce qu’obtient le Taylorisme. Comme le montrent implicitement Ichniowski et Shaw, le fonctionnement des équipes de travail tient moins au schéma de rémunération adopté qu’à des facteurs tels que les e¤ets de pairs. Au total, il apparaît que les éléments apportés par Ichniowski et Shaw (2003) pour soutenir l’opportunité d’un schéma collectif de rémunération font la part belle à des outils d’analyse non conventionnels : normes, e¤ets de pairs, culture. Les OTpT révèlent en ce sens la portée des outils usuels de l’analyse économique de la relation d’emploi en imposant l’utilisation d’outils complémentaires non conventionnels. C’est bien le caractère limitatif des hypothèses comportementales usuelles qui est ici en question. Une autre analyse usuelle de la relation d’emploi est contestée par les OTpT : les théories du salaire d’e¢cience à la Shapiro et Stiglitz (1984). Salaire d’e¢cience et sécurité de l’emploi. En l’absence d’une mesure de performance véri…able ou de garanties contractuelles, l’incitation à l’e¤ort peut pro- 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.44 céder, dans l’optique usuelle, de la conjugaison de deux éléments : une promesse de prime salariale si l’employé réalise un niveau de performance satisfaisant (évaluation subjective), une menace de licenciement dans le cas contraire. Cette solution, mobilisant le caractère répété de la relation d’emploi, est notamment proposée par Shapiro et Stiglitz (1984). La place réservée à la sécurité de l’emploi dans les OTpT est à cet égard instructive. De fait, les contributions sollicitées des travailleurs par les OTpT (attention portée à la qualité de la production, transmission d’informations, idées d’amélioration du processus productif...) peuvent di¢cilement être l’objet de mesures de performance individuelles véri…ables : o¤rir aux employés des garanties de sécurité de l’emploi implique pour l’employeur qu’il renonce au mécanisme incitatif précédent. Cette remarque, jointe à la renonciation à une utilisation stratégique de la promotion (voir plus haut), débouche sur le constat que les instruments usuels de traitement du problème de l’invéri…abilité ne s’appliquent pas aux OTpT. Les résultats d’Osterman (1994) suggèrent pourtant que le versement d’un salaire d’e¢cience est une pratique signi…cativement associée aux OTpT. La coexistence de cette pratique et du choix de garantir aux employés une certaine sécurité de l’emploi permet de discriminer entre les di¤érentes théories du salaire d’e¢cience. Si le versement d’un salaire d’e¢cience joue un rôle dans les OTpT, ce rôle est plus proche de ce que suggère Akerlof (1982) que de celui qu’avancent Shapiro et Stiglitz (1984) : c’est encore en faveur d’une approche comportementale que plaide l’analyse empirique de l’e¢cacité des OTpT. Au total, il apparaît que, tout en écartant les principaux schémas de rémunération fondés sur l’évaluation subjective des performances individuelles (tournoi, salaire d’e¢cience à la Shapiro et Stiglitz), les OTpT sollicitent des travailleurs des contributions ne donnant pas lieu à des mesures de performance objectives. Et pourtant, nous avons montré que ce type d’organisation du travail pouvait être e¢cace. Les performances des OTpT représentent à ce titre une source de questionnement pour l’analyse économique de la relation d’emploi. Nous tentons dans la section suivante, à partir des éléments empiriques rassemblés, d’indiquer en quoi il convient de s’intéresser aux sources non-salariales de motivation au travail. Cela nécessite des 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.45 outils d’analyse comportementale de la relation d’emploi. 1.3.2.2 La nécessité d’une analyse comportementale des performances des OTpT. Ichniowski et al. (1997) ont montré que l’impact des OTpT sur les performances des lignes de production d’acier ne passait pas par des rémunérations moyennes plus élevées. L’étape précédente de notre cheminement nous à permis d’af…rmer que les conditions d’e¢cacité de schémas individualisés d’incitations salariales n’étaient pas réunies dans les OTpT. Nous avons encore observé que l’instauration de schémas de rémunération collectifs représentait une condition nécessaire à l’ef…cacité des OTpT, non une condition su¢sante. Les avantages proprement organisationnels des OTpT - meilleure communication, meilleures décisions, économie d’encadrement... - ne sont pourtant accessibles qu’en présence d’une participation volontaire des travailleurs de front. Au principe des OTpT, le souci d’impliquer les travailleurs de front aux choix productifs et organisationnels. A en croire les études de cas, cette implication des travailleurs de front répond avant tout au choix de la direction de leur déléguer le contrôle productif. Comment une participation volontaire est-elle obtenue des travailleurs de front ? Osterman (1994) a donc montré que les OTpT étaient associées à une large discrétion des travailleurs de front quant à leur méthode de travail. Cet aspect semble l’une des clés de l’e¢cacité des OTpT : les analystes de terrain suggèrent une connexion entre cette discrétion et le traitement dans les OTpT du problème de la motivation. Or, laisser aux employés de front une autonomie substantielle implique un contrat de travail incomplet donc une exposition plus grande de l’employeur à l’opportunisme de ses employés. Une observation comparable peut être faite concernant la pratique propre aux OTpT consistant à démultiplier le nombre de tâches constituant la contribution productive d’un employé donné. Introduire dans la dé…nition d’un poste des tâches multiples, c’est, dans l’optique usuelle, compliquer la supervision et donc accroître les risques d’opportunisme. C’est encore écarter les béné…ces d’une division détaillée du travail et alourdir les coûts de formation. Néanmoins, les travailleurs de front paraissent fournir davantage d’e¤ort que ce ne serait le cas dans l’exercice d’un emploi dé…ni selon les préceptes du Taylorisme. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.46 Comment, dans l’optique usuelle, le fait d’être libre d’établir sa méthode de travail peut-il constituer une source de motivation ? Comment peut-on à la fois étendre les possibilités d’opportunisme et obtenir plus d’e¤ort des travailleurs ? Il paraît dif…cile de répondre à ces questions sans approfondir la ré‡exion quant à la forme des préférences des individus dans le cadre de la relation d’emploi. Le fait de rechercher les sources de la motivation des travailleurs dans les seules incitations salariales ne permet pas de comprendre les ressorts motivationnels des OTpT. Il semblerait d’ailleurs qu’une organisation de travail centrée sur l’instauration des conditions d’application de schémas individualisés de rémunération au rendement, quand elle est possible, ne soit pas nécessairement souhaitable en termes d’e¢cacité. L’industrie est l’un des secteurs qui se prête le mieux à l’individualisation des rémunérations (rémunération à la pièce) : les exemples évoqués précédemment concernent pourtant précisément l’industrie et démontrent la supériorité des OTpT sur les organisations du travail type Taylorisme. Parmi les travaux théoriques cités ci-dessus, Kandel et Lazear (1992) fournissent l’une des analyses qui s’applique de la façon la plus de cohérente au fonctionnement des OTpT : l’invocation d’e¤ets de groupe favorables à l’employeur permet de comprendre le rôle du travail en équipe dans les OTpT. Cette invocation repose sur des motifs (sentiments de honte, de culpabilité) très écartés des motivations économiques usuelles et sur des notions périphériques telles que celle de norme. Y a-t-il lieu d’attribuer à ces notions un rôle systématique dans l’analyse de la relation d’emploi ? Une compréhension approfondie des performances des OTpT nous semble constituer un enjeu empirique justi…ant une réponse positive à cette question. La question des sources non-pécuniaires de motivation au travail appelle une analyse comportementale. Sur quels éléments empiriques une telle approche de la relation d’emploi peut-elle s’appuyer ? Nous en exposons les principaux dans la section suivante. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.47 2 Les fondements empiriques de l’approche comportementale du problème de la motivation au travail La section précédente a été consacrée à la présentation de la principale question empirique à laquelle entend s’atteler l’analyse proposée au chapitre 3 : l’e¢cacité des OTpT telle qu’elle résulte de la stimulation d’une motivation non-pécuniaire chez les employés de front. Relativement aux organisations traditionnelles du travail, les OTpT donnent en e¤et lieu à une utilisation intensi…ée du travail sans mettre en place les conditions d’application de schémas individualisés d’incitations. Du point de vue de l’analyse de la relation d’emploi, apparaît la nécessité d’une approche comportementale susceptible d’expliciter les motivations au travail à l’oeuvre dans les OTpT. L’objet de la présente section est de présenter les fondements empiriques des principales analyses comportementales de la relation d’emploi évoquées par la suite. Cette approche repose sur une analyse empirique systématique des déterminants des préférences. Nous passons ici en revue l’essentiel des résultats empiriques disponibles renseignant sur la forme des préférences individuelles dans le cadre de la relation d’emploi. Il s’agit d’explorer en particulier la place du salaire et des incitations salariales dans le bien-être des actifs, les sources non-pécuniaires de motivation au travail. Trois sources complémentaires d’observations sont mobilisées : l’économie expérimentale, l’approche statistique, les enquêtes de terrain. 2.1 Les résultats de l’économie expérimentale Les résultats obtenus par l’approche expérimentale en économie du travail sont déjà nombreux. Certains soutiennent l’attachement des approches usuelles de la relation d’emploi aux seuls motifs de revenu et d’aversion au risque. Par exemple, Fehr, Kirchsteiger et Riedl (1996)21 , dans un cadre statique avec punition aléatoire 21 Fehr, E., G. Kirchsteiger and A. Riedl (1996). "Involuntary unemployment and noncompensating wage di¤erentials in an experimental labour market." Economic Journal, 106(434), pp. 106-21. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.48 en cas de sous-e¤ort, observent qu’accroître les transferts permet d’accroître l’e¤ort réalisé par les sujets. Mais bon nombre de travaux révèlent que des motifs négligés par les analyses conventionnelles sont bel et bien opérants ; que ces motifs peuvent a¤ecter l’impact des incitations pécuniaires. 2.1.1 Le motif de réciprocité. De nombreux résultats expérimentaux attestent du fait que les individus présentent des préférences sociales i.e. des préférences vis-à-vis du sort d’ autrui22 . Le motif de réciprocité traduit des préférences sociales contingentes au comportement d’autrui. Dans le cadre de la relation d’emploi, l’hypothèse de réciprocité suggère que si l’employé perçoit les actions de l’employeur comme bienveillantes (respectivement hostiles), il devrait pondérer positivement (respectivement négativement) le paiement de celui-ci. Les expériences d’échanges de dons permettent de tester cette hypothèse. Décrivons le protocole correspondant - nous reprenons la spéci…cation de Gächter et Falk (2002)23 . On commence par assigner de façon aléatoire un rôle à chaque sujet : "entreprise" ou "travailleur". Dans une première étape, les "entreprises" font une o¤re d’emploi c’est à dire proposent un salaire $ correspondant à un entier pris entre 20 (salaire minimum) et 120. A chaque période d’expérimentation, chaque "entreprise" est appariée à un "travailleur" donné. Celui-ci peut accepter ou refuser la proposition d’emploi de "l’entreprise" à laquelle il s’est trouvé apparié. S’il accepte, une deuxième étape est consacrée par le "travailleur" au choix de son niveau d’e¤ort. Niveaux d’e¤ort % permis et coûts induits & (%) sont reproduits dans le tableau suivant : Niveau d’e¤ort % et coût induit & (%) % 0! 1 0! 2 0! 3 0! 4 0! 5 0! 6 0! 7 0! 8 0! 9 1 & (%) 20 21 22 24 26 28 30 32 35 38 Les gains de chacun peuvent alors être calculés. Le gain d’un "travailleur" est 22 Le thème des préférences sociales peut être appréhendé comme un sous-ensemble de celui des préférences interdépendantes. Pour une revue de la littérature voir Sobel (2001). 23 Gächter S. and A. Falk (2002). "Reputation and reciprocity - consequences for the labour relation." Scandinavian Journal of Economics, 104, pp. 1-26. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.49 donné par '= ½ $ ¡ & (%) si l’o¤re de l’entreprise est acceptée 0 autrement celui d’une "entreprise" par ½ (120 ¡ $) % si l’o¤re de l’entreprise est acceptée (= 0 autrement où 120 représente ici la pro…tabilité maximale de la relation d’emploi pour "l’entreprise". Ces fonctions de gains sont connues de tous les sujets. A la …n de l’expérience, chaque sujet est récompensé conformément aux paiements indiqués. Le protocole précédent re‡ète une situation d’incomplétude contractuelle : les "entreprises" ne peuvent conditionner leur rémunération sur l’e¤ort de leur "employé". Le seul niveau d’e¤ort exécutoire est % = 0! 1. Les "entreprises" n’ont donc aucune raison d’o¤rir un salaire supérieur à $ = 21 qui est juste su¢sant pour obtenir la participation d’un "travailleur" égoïste. Les e¤ets de réputation sont en particulier complètement neutralisés : à chacune des 10 périodes d’expérimentation, une "entreprise" donnée est appariée à un nouveau "travailleur". Tandis que l’hypothèse de "travailleurs" égoïstes implique un niveau d’e¤ort de 0! 1 quelle que soit l’o¤re $ ) 20, l’hypothèse que les "travailleurs" soient sensibles à une norme de réciprocité implique que l’e¤ort réalisé dépende de l’o¤re salariale. Gächter et Falk (2002) observent que le niveau d’e¤ort choisi par les "travailleurs" est fonction croissante de $. Plus généralement, il apparaît que : les sujets dans le rôle de l’employeur misent sur le sens de la réciprocité des sujets dans le rôle de l’employé ; qu’en moyenne, les "employés" manifestent par leur réponse un souci de réciprocité. L’expérience est répliquée et les résultats con…rmés avec des enjeux représentant jusqu’à trois mois de salaire. De plus, en laissant aux "employeurs" la possibilité de récompenser ou de punir les "employés", Fehr, Gächter et Kirchsteiger (1997) mettent en évidence : que les "employeurs" récompensent et punissent (souci de réciprocité) ; que les "employés" anticipent ce comportement (l’e¤ort moyen est accru). Gächter et Falk (2002) montrent que la répétition accroît le rôle de la réciprocité en permettant des e¤ets de réputation. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.50 Les sujets paraissent donc mus par une propension à la réciprocité. Pour user de la complémentarité entre enquête et résultats expérimentaux, notons cependant l’observation de Bewley (1997, Chp 10, p.7) sur l’e¤et de réciprocité : selon les responsables d’entreprise interrogés, cet e¤et est fugace. 2.1.2 L’importance du salaire relatif (le problème de l’interprétation de l’incitation salariale). Le souci qu’ont les actifs des montants de rémunération obtenus dans leur entourage professionnel est régulièrement invoqué dans la littérature - voir notamment Frank (1985)24 , Fershtman, Hvide et Weiss (2002)25 pour des travaux théoriques, Clark et Oswald (1996)26 pour des travaux empiriques. Bewley (1999, Chp 6, p.70) souligne l’attention des employeurs à verser des rémunérations perçues comme équitables. Nous voudrions évoquer ici l’étude proposée par Zizzo et Oswald (2001). Ces derniers étudient la possibilité d’interdépendances négatives entre les préférences des individus. Des motifs comme l’envie ou l’aversion aux inéquités sont-ils su¢samment puissants pour conduire les sujets à sacri…er une part de leur gain à la réduction des gains d’autrui (en particulier celui des mieux lotis) ? Le protocole comporte deux étapes. Dans une première étape, les sujets peuvent utiliser leur dotation initiale (dont un bonus accordé arbitrairement par l’expérimentateur) dans une loterie leur permettant de doubler leur mise avec la probabilité 1/3. En début de seconde étape, chaque sujet est informé du gain (et de son origine plus ou moins équitable27 ) des autres participants et se voit donné la possibilité d’utiliser ses ressources à réduire le gain …nal de participants de leur choix (à "brûler de la monnaie"). Les sujets s’avèrent prêts à abandonner une part de leurs gains à réduire les inégalités perçues (même au prix fort). De plus une corrélation forte est obtenue entre la richesse des sujets en …n de première étape et l’ampleur de la réduction qui leur est in‡igée : la 24 Frank, R.H. (1984). "Interdependent preferences and the competitive wage structure." Rand Journal of Economics, 15, pp. 510-520. 25 Fershtman, C., H.K. Hvide and Y. Weiss (2002). "A behavioral explanation of the relative performance evaluation puzzle." Mimeo. 26 Clark, A.E., and A.J. Oswald (1996). "Satisfaction and comparison income." Journal of Public Economics, 61, pp. 359-381. 27 résultant du don arbitraire de l’expérimentateur ou de la loterie. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.51 plupart des sujets ciblent le participant le plus riche au moins autant que le deuxième plus riche, et le deuxième au moins autant que le troisième. Pour autant que de tels résultats soient reproduits, on peut manifestement faire fond sur une propension humaine à évaluer son propre bien-être à l’aune de celui d’autrui. Levine (1995) souligne, dans l’étude du cas NUMMI, l’attention prêtée par la direction à traiter équitablement les di¤érentes catégories de travailleurs. Cela traduit peut-être un aspect important des OTpT : en "intellectualisant" la contribution des employés de front, ce type d’organisation brouille en e¤et les distinctions de statut entre travailleurs. Cela étant, la section 1 a laissé apparaître le rôle crucial, dans l’e¢cacité des OTpT, d’une motivation à l’e¤ort dont les sources semblent non-pécuniaires. Que peut dire l’économie expérimentale sur ce point ? 2.1.3 Les sources non-pécuniaires de la motivation à l’e¤ort et les dysfonctions des incitations. Deux résultats sont exposés ici. D’une part, il apparaît que le fait de béné…cier de la con…ance de "l’employeur" motive les "employés" à la coopération. D’autre part, des incitations plus fortes ne permettent pas toujours d’obtenir des comportements plus favorables. Le premier de ces résultats contribue à expliquer que les OTpT conjuguent une large discrétion laissée aux employés à de faibles coûts de supervision. Le second con…rme l’opportunité de schémas de rémunération indépendants de mesures de performance individuelles tels qu’ils sont privilégiés par les OTpT. Falk et Kosfeld (2004)28 étudient la possibilité que la con…ance accordée par un employeur à ses salariés contribue à les motiver. Dans le cadre d’une relation principal-agent, les "employeurs" choisissent entre restreindre l’ensemble des stratégies de leur "employé" (imposer un e¤ort minimal) ou le laisser tel quel29 . L’établissement d’une relation de con…ance s’avère avoir un e¤et positif sur l’e¤ort, les incitations explicites constituant un signal de dé…ance. Il peut être optimal de ne pas user d’incitations explicites. 28 Falk A., and M. Kosfeld (2004). "Trust and incomplete contracts." Mimeo. La restriction peut être interprétée comme une exigence de présence (ou de production) minimale ou comme le choix de mettre en place un dispositif de surveillance empêchant l’employé d’adopter ses stratégies les plus défavorables à l’entreprise. 29 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.52 Fehr et Gächter (2000) font une expérience composée de trois traitements. Les "employeurs" proposent des contrats de travail prévoyant un niveau de salaire de base, un niveau d’e¤ort et une pénalité si l’employé est surpris à tirer au ‡anc (probabilité 1/3). Les "employés" peuvent refuser ou accepter le contrat qui leur est proposé, auquel cas ils décident d’un niveau d’e¤ort. Le nombre "d’employeurs" est inférieur au nombre d’agents en sorte qu’une pression concurrentielle s’exerce sur ces derniers. Les résultats obtenus sont comparés à un traitement sans possibilité de sanction i.e. où les "employeurs" doivent faire con…ance aux "employés" (contrat de con…ance) : tout e¤ort correspond alors à ce que les auteurs appellent une "coopération volontaire". L’e¤ort moyen obtenu avec possibilité de sanction est inférieur à ce qui émerge du traitement sans possibilité de sanction. L’interprétation proposée par Fehr et Gächter est que la présence ex ante d’une menace explicite de sanction est perçue par les "employés" comme une marque d’hostilité à laquelle ils répondent en se montrant hostiles (en tirant au ‡anc). Dans un troisième traitement, Fehr et Gächter substituent à la possibilité de sanction, une possibilité de bonus versé lorsque l’ "employé" n’ est pas surpris à tirer au ‡anc : contrat logiquement équivalent. L’e¤ort moyen obtenu alors est supérieur à ce que l’on obtenait en présence de sanctions mais reste en dessous de ce qui prévalait dans le cadre de simples contrats de con…ance. Les paiements moyens sont reportés pour chaque traitement dans le tableau suivant. Paiements moyens et e¢cacité Contrainte d’incitation violée Contrainte d’incitation satisfaite Contrat de con…ance "Employés" "Employeurs" Possibilité de sanction "Employés" "Employeurs" Possibilité de bonus "Employés" "Employeurs" 25,7 7,1 19,6 1,8 9,1 18,2 17,6 7,3 11,6 8,8 Source : Fehr et Gächter (2000). Ce tableau distingue les paiements moyens obtenus parmi les couples "employeur"- 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.53 "employé" ayant conclu un contrat violant la contrainte d’incitation d’un côté, un contrat satisfaisant la contrainte d’incitation de l’autre. Deux observations : le contrat de con…ance est le plus e¢cace ; il permet aux "employeurs" d’obtenir un paiement proche du mieux qu’ils puissent obtenir à partir d’un contrat violant la contrainte d’incitation. Cela étant, leur paiement reste inférieur à ce sur quoi débouchent les contrats satisfaisant la contrainte d’incitation. Au total, à supposer qu’il ne soit pas possible aux employeurs d’élaborer des contrats satisfaisant cette contrainte, cela vient soutenir la rationalité que comporte le fait de proposer des contrats incomplets. Face aux e¤ets ambigus des incitations pécuniaires, Falk (2004) dresse une liste des explications compatibles selon lui avec les résultats expérimentaux. Des incitations fortes peuvent révéler aux employés de "mauvaises nouvelles" (sur la di¢culté de la tâche à accomplir) ; elles peuvent être interprétées comme l’expression d’un manque de con…ance de la part de l’employeur ; être tenues pour insultantes ("l’argent n’est pas le moteur de mes actions") ; être jugées inéquitables ; transformer une relation de coopération en une relation d’échange ; évincer des motivations intrinsèques. Tournons-nous à présent vers les informations statistiques renseignant sur la forme des préférences des actifs et les sources de la motivation au travail. 2.2 Résultats statistiques : satisfaction et motivation au travail L’appréhension statistique de la satisfaction au travail s’appuie sur plusieurs variables. Un indicateur de satisfaction globale est construit à partir des réponses apportées à la question "Etes-vous globalement satisfait de votre emploi actuel ?". D’autres indicateurs portent sur un ensemble d’aspects associés à l’emploi. Les principaux aspects intervenant dans la satisfaction au travail sont : (a) la rémunération, (b) les opportunités de promotion, (c) les avantages divers, (d) le collectif de travail, (e) la supervision, (f) les politiques suivies par l’entreprise et (g) l’emploi "en luimême". Beaucoup d’économistes se montrent réticents vis-à-vis de l’utilisation de 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.54 ce type de variable (purement déclarative). De fait, certaines étrangetés dissuadent d’amalgamer déclarations et comportements. Cela étant, Clark et Oswald (1996) montrent que cette variable reste informative30 . Ils relèvent en particulier qu’il existe des corrélations fortes, dans le sens attendu, entre la satisfaction au travail et : la santé psychique - Wall et al (1978)31 ; la durée de vie - Palmore (1969)32 ; l’exposition aux infarctus - Sales et House (1971)33 ; le taux de rotation des employés - Freeman (1978)34 , McEvoy et Cascio (1985)35 , Akerlof et al (1988)36 ; l’absentéisme - Clegg (1983)37 ; les pratiques de travail contre- ou non-productive - Mangione et Quinn (1975)38 . 2.2.1 Les déterminants de la satisfaction au travail Que savons-nous des déterminants de l’utilité des actifs ? Un certain nombre d’informations sont réunies ci-dessous. Deux types d’arguments sont distingués : les arguments intervenant en termes absolus ; les arguments intervenant en termes relatifs. 2.2.1.1 Les arguments non-comparatifs de la satisfaction au travail. Nous examinons ici les aspects qui déterminent la satisfaction au travail hors de toute comparaison qu’un travailleur pourrait établir entre sa situation et celle d’autres actifs. Igalens et Roussel (1999) mettent en relation des déclarations de satisfaction sur des 30 Voir aussi Travailler pour être heureux ? de Baudelot et alii. Wall, T.D., C.W. Clegg and P.R. Jackson (1978). "An evaluation of the Job Characteristic Model." Journal of Occupational Psychology, 51, pp. 183-196. 32 Palmore, E. (1969). "Predicting longevity : a follow-up predicting for age." Journal of Gerontologie, 39, pp. 109-116. 33 Sales, S.M. and J. House (1971). "Job dissatisfaction as a possible risk factor in coronary heart disease." Journal of Chronic Diseases, 23, pp. 861-873. 34 Freeman, R.B. (1978). "Job satisfaction as an economic variable." American Economic Review, 68, pp. 135-141. 35 McEvoy, G.M. and W.F. Cascio (1985). "Strategies for reducing employee turnover : a metaanalysis." Journal of Applied Psychology, 70, pp. 114-116. 36 Akerlof, G.A., A.K. Rose and J.L. Yellen (1988). "Job switching and Job satisfaction in the U.S. labor market." Brookings Papers on Economic Activity, 2, pp. 495-582. 37 Clegg, C.W. (1983). "Psychology of employee lateness, absence and turnover : a methodological critique and an empirical study." Journal of Applied Psychology, 68, pp. 88-101. 38 Magione, T.W. and R.P. Quinn (1975). "Job satisfaction, counter-productive behaviour and drug use at work." Journal of Applied Psychology, 60, pp. 114-116. 31 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.55 aspects précis de la relation d’emploi et la satisfaction globale des employés. Parmi les résultats obtenus il apparaît que : plus les employés sont satisfaits du rythme de leur progression salariale plus ils tendent à être globalement satisfaits de leur emploi ; la satisfaction vis-à-vis des avantages non-salariaux associés à l’emploi (logement, voiture de fonction, ligne de téléphone personnelle, indemnités de transport) n’in‡uence pas la satisfaction globale vis-à-vis de l’emploi ; la satisfaction concernant la partie ‡exible de la rémunération n’in‡uence pas la satisfaction globale vis-à-vis de l’emploi - les employés peuvent par exemple être satisfaits des dividendes et bonus qu’ils perçoivent sans que cela accroisse leur satisfaction globale au travail. Ces résultats font écho aux trois premiers aspects (a), (b) et (c). Taber et Alliger (1995) font le point sur une littérature éclairant les aspects (e) et (g). Quelles propriétés intrinsèques des emplois déterminent la satisfaction au travail ? Cette question est principalement éclairée par le modèle des Caractéristiques de l’Emploi qui mêle intimement motivations et satisfaction au travail : nous développons ce modèle plus bas à propos des propriétés "motivationnelles" des emplois. A ce stade évoquons seulement les résultats concordant de Csikszentmihaly (1975)39 et Hackman et Oldham (1975)40 . Parmi les propriétés déterminant la satisfaction au travail on compte : la variété, l’intérêt, le caractère de dé… que comporte l’emploi, le statut social qui lui est attaché, l’autonomie autorisée par son exercice, le rythme de travail. Compte tenu de la corrélation mise à jour par Wall et al. (1978), il n’est pas inintéressant d’examiner ici le lien entre conditions d’emploi et santé psychique. De nombreux travaux - voir Reynolds (1997)41 - proposent des éléments de distinction entre emplois favorables et emplois défavorables au bien-être psychologique. Les emplois psychologiquement favorables mobilisent des tâches complexes, nonroutinières, dont l’exécution est a¤ranchie d’une pesante supervision. Les emplois défavorables mobilisent des tâches simples, routinières et sont supervisées de près. Ce type d’emploi a¤ecte le bien-être psychologique des travailleurs : en ne requérant 39 Csikszentmihalyi, M. (1975). Beyond Boredom and Anxiety. Jossey-Bass, San Francisco, CA. Hackman, J.R. and G.R. Oldham (1975). "Development of the Job Diagnostic Survey." Journal of Applied Psychology, 60, pp. 159-70. 41 Reynolds, J.R. (1997). "The e¤ect of industrial employment conditions on job-related distress." Journal of Health and Social Behavior, 38, pp. 105-116. 40 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.56 qu’un faible investissement cognitif ; en réduisant le sentiment d’auto-détermination du travailleur ; en faisant un usage intensif d’un nombre réduit des facultés du travailleur. Les avantages psychologiques des emplois favorables procèdent : de la possibilité de développer ses compétences dans l’exercice même de son activité ; des stimulations mentales qu’ils suscitent ; du sentiment d’auto-détermination éprouvé par l’employé. Lopez (1982) étudie le lien entre la performance productive individuelle et la satisfaction au travail. Le fait d’être performant dans son emploi intervient-il dans la satisfaction au travail ? La satisfaction a¤ecte-t-elle la performance ? Les travaux passés en revue par Lopez plaident pour une réponse a¢rmative à l’une, au moins, de ces questions : une corrélation positive est généralement obtenue entre les deux variables. Le point intéressant développé par Lopez tient au fait que cette corrélation varie selon la population d’actifs considérée42 . La corrélation entre performance productive individuelle et satisfaction au travail est signi…cativement plus forte parmi les actifs manifestant une estime de soi élevée. Korman (1977)43 propose à ce constat une explication fondée sur la théorie de la dissonance cognitive. L’argument44 est que, toutes choses égales par ailleurs, les individus privilégient et tirent satisfaction des comportements minimisant le sentiment de dissonance cognitive, en sorte que All other things being equal, individuals will engage in and …nd satisfying those behavioral roles which maximize their sense of cognitive balance or consistency. Korman (1976, p. 51)45 La satisfaction au travail et le niveau de performance dans l’emploi tiendraient à la réalisation par l’employé de l’image qu’il se fait de lui-même. Pour un individu manifestant un haut niveau d’estime de soi, meilleur est le niveau de performance plus le degré de dissonance cognitive est bas (ses performances étant à la hauteur de ses prétentions) et plus l’individu tire de satisfaction de son emploi. Pour les 42 Cela, d’une façon particulièrement instructive, au regard de l’analyse développée à partir du chapitre 3 du présent travail. 43 Korman, A.K. (1977). Organizational Behavior. Englewood Cli¤s, N.J. : Prentice-Hall. 44 Nous reviendrons sur la théorie de la dissonance cognitive en début de chapitre 2. 45 Korman, A.K. (1976). "Hypothesis of work behavior revisited and extension." Academy of Management Review, 1(1), pp. 50-63. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.57 individus manifestant un faible niveau d’estime de soi, le niveau de performance n’a¤ecte pas le degré de satisfaction. On s’étonnera peut-être que le rôle du salaire, en niveau absolu, n’ait pas encore été évoqué. C’est qu’il semble moins intervenir sous cette forme que par son niveau comparatif. 2.2.1.2 Les arguments comparatifs de la satisfaction au travail. Clark et Oswald (1996) fournissent une évaluation empirique de l’opportunité d’intégrer le salaire relatif plutôt que le salaire absolu comme déterminant de la satisfaction des actifs. Au stade des analyses de corrélation Clark et Oswald constatent que la satisfaction au travail présente une corrélation plus forte au salaire relatif qu’au salaire absolu. Les régressions e¤ectuées con…rment ce résultat inattendu : le revenu absolu intervient négativement dans la satisfaction déclarée par les individus. Au contraire l’importance accordée par les psychologues au salaire relatif est justi…ée : le revenu de référence à l’aune duquel les individus examinent leur propre sort, intervient signi…cativement et négativement. L’e¤et du salaire de référence sur la satisfaction est quantitativement important et statistiquement signi…catif. Plutôt qu’au montant absolu de leur salaire, les actifs seraient sensibles à leur salaire relatif. Nous avons vu que l’analyse économique s’appuie depuis longtemps sur cette hypothèse à travers deux interprétations principales : celle d’une aversion individuelle aux inéquités, celle d’une quête de statut social. Ces deux interprétations ne sont pas mutuellement exclusives, elles peuvent même se rejoindre. Les résultats obtenus par Igalens et Roussel (1999) plaident pour l’hypothèse d’une aversion aux inéquités (bien plus qu’aux inégalités). Ils montrent en e¤et que plus les employés jugent leur rémunération équitable plus ils tendent à être satisfaits de leur emploi. Mais cette évaluation est faite au regard de leur contribution individuelle par rapport aux autres travailleurs. Selon Igalens et Roussel, les travailleurs jugent de leur contribution productive, et par conséquent du caractère équitable de leur salaire, en considérant : leur e¢cacité ; l’e¤ort déployé ; leurs quali…cations, formations et compétences ; leur ancienneté et expérience. Le critère de justice appliqué semble donc être "à contribution égale, salaire égal". Igalens et Roussel interprètent 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.58 ainsi leurs résultats comme traduisant de la part des employés une forte aspiration à des rémunérations individualisées (sous la forme de salaires de base et non pas de bonus) et à la juste reconnaissance de leur contribution productive. Les actifs tireraient satisfaction de la reconnaissance véhiculée par leur rémunération. Fershtman et Weiss (1993) évoquent les travaux créditant l’hypothèse selon laquelle l’activité professionnelle permettrait de satisfaire une demande individuelle de statut social. La littérature sociologique reconnaît en e¤et que des statuts sociaux di¤érents sont associés aux diverses professions, que les travailleurs ne tirent pas satisfaction de leur seul salaire mais également du fait même d’occuper tel ou tel emploi. Max Weber46 dé…nit le statut social comme une "revendication satisfaite à l’estime sociale". Il conçoit les professions comme des "groupes à statut" c’est à dire comme "une pluralité de personnes qui, au sein d’un groupe plus large, revendiquent avec succès une estime sociale particulière". Il défend l’idée que le statut d’une profession dépend "avant tout" du niveau de formation requis et des opportunités de rémunération (Weber, 1978, pp. 141, 302-7). Des mesures statistiques de cotes professionnelles ont été obtenues aux Etats-Unis depuis les années vingt à partir de questionnaires. Les personnes interrogées estimaient la cote de chaque profession : "parmi les professions suivantes cochez la quali…cation qui re‡ète le mieux votre opinion sur le prestige que son exercice confère". En haut de classement les juges, les médecins, les scienti…ques et les professions de la haute administration. A mi-classement, les artistes, les enseignants et les policiers. En bas de classement, les plombiers, les gardiens et les éboueurs - Hodge et al (1966)47 . Des classements similaires ont été obtenus dans d’autres pays et Treiman (1977, p. 59)48 d’observer que "people in all walks of life, rich and poor, educated and ignorant, urban and rural, male and female view the prestige hierarchy in the same way". Tentons de concilier les deux interprétations précédentes du rôle du salaire relatif 46 Weber, M. (1978). Economy and Society. Berkeley : University of California Press. Hodge, R., P. Spiegel and P. Rossi (1966). "Occupational prestige in the United States : 1925-1963." In Class, Status and Power : Social Classi…cation in Comparative perspective (eds R. Benedix and M. Lipsett) (2nd edn). Glencoe : Free Press. 48 Trieman, D. (1977). Occupational prestige in comparative perspective. San Diego : Academic Press. 47 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.59 dans la satisfaction au travail en mettant l’accent sur une implication commune déjà souligné plus haut. Dans les sociétés industrialisées, de nombreux actifs semblent valoriser le salaire pour ce qu’il signi…e (reconnaissance d’une contribution productive, statut social) autant que pour sa contrepartie consommatoire. Au total, les déterminants de la satisfaction au travail paraissent déborder les arguments usuellement introduits dans les fonctions d’utilité individuelles : la consommation, le loisir et l’e¤ort. Si cela ne su¢t pas à les contester, les résultats précédents permettent d’alimenter la discussion sur l’exhaustivité des préoccupations usuelles. 2.2.2 La question des propriétés "motivationnelles" des emplois Dans une discussion informelle de la possibilité de motivations non-pécuniaires au travail, Kreps (1997) fait écho au sens commun en considérant que la …erté puisée par un travailleur dans son emploi peut induire une utilité marginale de l’e¤ort positive49 . De quoi procède l’éventuelle …erté professionnelle des actifs ? Pourquoi certains emplois produisent-ils cette …erté et d’autres non ? Autrement dit : pourquoi certains emplois produisent-ils des motivations intrinsèques et d’autres non ? 2.2.2.1 Visibilité de la contribution productive individuelle et motiva- tion à l’e¤ort. Commençons par les observations d’ordre général réalisées par Igalens et Roussel (1999). Igalens et Roussel montrent que la perception qu’ont les travailleurs de l’e¢cacité de leur e¤ort est un prédicteur important de leur motivation. L’hypothèse selon laquelle la perception qu’ont les travailleurs du lien de leur e¢cacité à leur rémunération conditionnerait leur motivation est en revanche rejetée. La satisfaction déclarée par les travailleurs vis-à-vis de la partie ‡exible de leur rémunération n’in‡uence pas la motivation au travail. Igalens et Roussel obtiennent encore un résultat intéressant : les employés jugeant les avantages non-salariaux liés à leur emploi incitatifs tendent à être moins motivés que la moyenne ; inversement, moins les employés décrivent ces avantages comme incitatifs plus ils sont motivés 49 "Workers may take su¢cient pride in their work so that e¤ort up to some level increases utility." Kreps (1997, p. 361). 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.60 dans leur emploi. Selon Igalens et Roussel : "Making bene…ts attractive can favour satisfaction, but this is done to the detriment of motivation." 2.2.2.2 Le modèle des Caractéristiques de l’Emploi. Le modèle des Carac- téristiques de l’Emploi - Hackman et Lawler (1971)50 , Hackman et Oldham (1976)51 , déjà évoqué, a donné l’impulsion d’une vaste littérature tentant d’expliquer les propriétés motivationnelles des tâches exécutées au travail. Cette approche théorique pose que des attributs objectifs des emplois imprègnent les perceptions des travailleurs et produisent des états psychologiques qui a¤ectent ses réponses a¤ectives (satisfaction) et comportementales (performance). Ces attributs comptent : la variété des compétences mobilisées (le fait d’utiliser des compétences et talents divers, d’accomplir des activités variées), l’identité de la tâche (la complétude de la contribution productive), l’importance de la tâche (l’impact de la contribution individuelle sur l’ensemble du processus productif), l’autonomie (la liberté, l’indépendance et la discrétion décisionnelle accordée à l’employé), la répercussion52 (le fait de disposer d’informations sur son niveau de performance). Dodd et Gangster (1996) mettent l’accent sur trois de ces attributs : la variété des compétences mobilisées, l’autonomie et la répercussion. Ces trois dimensions présentent les corrélations les plus robustes au comportement productif des sujets. Des théories comportementales du rôle de la variété sont disponibles53 - par exemple, Kopelman (1986)54 établit que la répercussion des informations concernant le niveau de performance a¤ecte sensiblement le comportement productif des sujets. Les dimensions d’autonomie, de variété et de répercussion caractérisant des emplois sont donc manipulées par Dodd et Gangster de façon à faire notamment apparaître leurs e¤ets sur l’e¢cacité des travailleurs. Ils obtiennent les résultats suivant55 : accroître 50 Hackman, J.R., and E.E. Lawler (1971). "Employee reactions to job characteristics." Journal of Applied Psychology Monograph, 55, pp. 259-86. 51 Hackman, J.R., and G.R. Oldham (1976). "Motivation through the design of work : test of a theory." Organizational Behavior and Human Performance, 16, pp. 250-79. 52 Peut-être est-il plus clair d’en rester à la version originale : le "feedback". 53 Pour une liste de référence, voir Dodd et Gangster (1996). 54 Kopelman, R.E. (1986). Managing productivity in organizations : a practical, people-oriented perspective. McGraw-Hill, New York. 55 Une interaction semblable (entre variété et autonomie) est obtenue en ce qui concerne la 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.61 l’autonomie de travailleurs occupant des emplois caractérisés par une grande variété de tâches a contribué à accroître de 16% leur e¢cacité. Les dimensions d’autonomie et de répercussion interagissent également. Pour les emplois caractérisés par une large autonomie, accroître la répercussion a permis un supplément de performance de 16% ; un supplément de répercussion laisse inchangé le niveau de performance des emplois laissant peu d’autonomie aux travailleurs. Pour nous résumer, citons Lambert qui écrit : Intrinsic motivation is de…ned as the extent to which workers are motivated for reasons other than …nancial reward, such as "feelings of heightened self-esteem, personal growth, and worthwhile accomplishment" Lawler, Hackman, and Kaufman (1973, p. 50). Jobs leading to intrinsic motivation allow workers to use a variety of valued skills, to do tasks they …nd meaningful, to complete an identi…able piece of work, to select and schedule job tasks, and to gain knowledge of the results of their e¤orts Hackman and Oldham (1980). Lambert (1991, p. 434) Logiquement, les résultats statistiques concernant la satisfaction et la motivation au travail sont particulièrement cohérents avec le constat de l’e¢cacité des OTpT. Par rapport aux résultats expérimentaux, ils présentent l’intérêt de mettre au premier plan l’impact des caractéristiques de l’emploi en tant que tel sur la motivation des travailleurs. Les OTpT doivent leurs performances à une utilisation intensi…ée du facteur travail. Ce que suggèrent les résultats précédents, c’est qu’à cette intensi…cation correspond une amélioration du pouvoir motivationnel des emplois. Les enquêtes de terrain amènent-elles des observations cohérentes avec cette lecture ? 2.3 Résultats d’enquête : le statut du salaire et le thème du moral au travail Le problème de la motivation au travail émerge à travers deux questions principales qui animent les enquêtes de terrain menées par les économistes : quelles satisfaction au travail : pour les emplois caractérisés par une grande variété de tâches, accroître l’autonomie a conduit à une satisfaction plus grande ; dans les autres emplois ce gain en autonomie n’a pas a¤ecté la satisfaction des travailleurs. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.62 idées les acteurs du marché du travail se font-ils de l’impact de réductions de salaires ? Quels sont les canaux par lesquels les salaires a¤ectent le comportement des travailleurs ? 2.3.1 Ce qu’un salaire veut dire : l’importance de l’interprétation qu’en font les employés. La plupart des enquêtes posent directement la question : pourquoi ne réduisezvous pas les salaires ? Deux thèmes principaux émergent des réponses des responsables d’entreprise : le souci de la façon dont les employés interprètent une réduction de salaire (critère d’équité), le souci du moral du collectif de travail. 95% des responsables d’entreprise interviewés par Blinder et Choi (1990, p. 1009)56 estiment que réduire les salaires nominaux pour pro…ter de l’atonie du marché du travail serait perçu comme injuste par leurs employés ; Kaufman (1984)57 obtenait un taux comparable. Selon Bewley (1995) et Campbell et Kamlani (1997), le principal souci des employeurs est l’impact d’une telle mesure sur le moral des salariés. Cela étant, l’appréciation par les responsables d’entreprise des résultats d’une réduction de salaire est contingente (dans toutes les enquêtes) à la situation de la …rme : si celle-ci est au bord du dépôt de bilan ou si réduire les salaires permet de sauver des emplois, les responsables d’entreprise ne craignent pas des réactions négatives en cas de baisses de salaires nominaux - voir Bewley (1997, Chp 13, p.20) et Kahneman et al. (1986)58 . Sur l’importance de l’interprétation que font les employés de leur salaire (équitable ou non), Blinder et Choi (1990), Bewley (1997), Campbell et Kamlani (1997) rapportent qu’une augmentation de salaire accordée à un seul salarié peut rester sans e¤et sur son niveau d’e¤ort à moins qu’elle ne traduise un critère d’équité accepté par l’ensemble du groupe de travail. Le groupe semble donc exercer une contrainte sur la décision d’e¤ort individuel. 95% des responsables d’entreprise interrogés par 56 Blinder, A.S. and D.H. Choi (1990). "A shred of evidence on theories of wage stickiness." Quarterly Journal of Economics, 105(4), pp. 1003-15. 57 Kaufman, R.T. (1984). "On wage stickiness in Britain’s competitive sector." British Journal of Industrial Relations, 22, pp. 101-12. 58 Kahneman, D., J.L. Knetsch and R. Thaler (1986). "Fairness as a constraint on pro…t seeking : entitlements in the market." American Economic Review, 76(4), pp. 728-41. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.63 Hall (1993)59 estiment que la décision par les employés de leur niveau d’e¤ort est a¤ectée par les conventions du groupe de travail ou par des normes quant à ce qu’est une journée de travail jugée convenable. 2.3.2 Salaire et moral au travail - Bewley (1999). Les responsables d’entreprise interrogés par Bewley organisent leur discours sur leurs pratiques de gestion des ressources humaines autour de la notion de moral. Qu’entendent-ils par-là ? Deux extraits d’entrevues sont jugés représentatifs par Bewley. "Morale is having employees feel good about working for the company and respecting it. The employee with good morale likes his work and is willing to cooperate in moving from job to job. A positive attitude makes it possible to work out good teamwork." - Owner of a nonunion manufacturing company with 37 employees. "Morale equals motivation. ... Morale in business is di¤erent from what it is in the army. In the army, you react at times on the basis of orders. Here, you have individual thinkers. I want them to think." - General manager of a two-year-old, nonunion manufacturing company with 140 employees. Bewley (1999, Chp 4, p.41) Bewley les interroge sur ce qui a¤ecte le moral des employés. Les réponses mettent l’accent sur la nécessité d’instaurer le sens d’une démarche collective en permettant aux employés de comprendre les choix, les politiques menées par l’entreprise et en faisant en sorte que ces choix soient perçus comme justes. D’autres facteurs important sont évoqués : l’état d’esprit des employés, les satisfactions d’amour-propre qu’ils tirent de leur emploi, leur con…ance dans le collectif de travail et dans leur hiérarchie. La sécurité de l’emploi et le salaire exercent une forte in‡uence sur le moral par leur impact sur l’amour-propre et la vie privée ainsi que par l’interprétation 59 Hall, J.D. (1993). "The wage setter guide the wage rigidity." Master’s thesis (University of Southampton). 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.64 qu’en font les employés en termes d’équité. Au sein d’une entreprise, une rémunération jugée inéquitable o¤ense (parfois même indigne) les employés et a¤ecte la con…ance - voir Bewley (1999, Chp 6). Les augmentations de salaire apaisent les préoccupations d’amour-propre tandis que les réductions les exacerbent. La place de l’image que les employés se font d’eux-mêmes à travers leur travail est soulignée par les responsables d’entreprise. "People take more pride and interest in their work if they know what the part they are making will do." - General manager of a nonunion machine shop with 60 employees. "It is necessary to pay competitively, but [employees] can be motivated in other ways. The best way to motivate people is to give them important work to do and to recognize them for that. Their morale is good if they feel they are contributing." - The president of a community service organization with 80 employees. Bewley, (1999, Chp 4, p.43) "If you train people well and entice them, they will work for you. You can’t just order people around. People more and more realize that they are important and that they matter. The feeling of self-worth has become a major aspect of business." - Vice president of administration of a unionized manufacturing company with 900 employees. Le souci du moral de leurs employés manifesté par les responsables d’entreprise re‡ète une préoccupation de productivité. Ils estiment que, lorsque le moral est bas, les employés se distraient les uns les autres par leurs plaintes ; qu’un bon moral les rend plus enclins à faire des extra, à rester tard jusqu’à ce que le travail soit achevé, à s’encourager et à s’entraider, à faire des suggestions pour améliorer le fonctionnement de l’entreprise. Ces compte-rendus nous semblent aller dans le même sens que les résultats statistiques. Les OTpT paraissent stimuler d’autres formes de motivation que strictement pécuniaires, ce qui expliquerait leur e¢cacité économique. 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.65 Conclusion Ce chapitre comportait deux parties. La première, à travers l’examen empirique de l’e¢cacité des OTpT, avait pour but de justi…er l’élargissement du socle d’hypothèses comportementales de l’analyse économique de la relation d’emploi, voire leur réforme. Les performances des OTpT soulignent l’opportunité des analyses comportementales de la relation d’emploi en mettant au premier plan les dimensions non-pécuniaires de la motivation au travail. La seconde partie visait à rassembler l’information empirique disponible sur le thème de la motivation au travail. Le caractère démonstratif de notre examen des performances associées aux OTpT tient à deux éléments principaux. D’abord au fait que les OTpT font un usage intensi…é du facteur travail sans recourir à des schémas d’incitations salariales individualisés ni resserrer la supervision. Il tient ensuite au fait de considérer l’impact des OTpT dans l’industrie. En e¤et, ce secteur est particulièrement propice à l’instauration d’une étroite supervision des travailleurs de front et d’évaluations objectives de leur performance individuelle. Dans cette mesure, le passage d’un organisation du travail fondée sur le taylorisme à une OTpT et les gains en performance qui en résultent, témoignent des limites des outils usuels d’analyse économique de la motivation au travail. D’autres formes de motivation accompagnent la rémunération du travail. L’examen de l’information empirique disponible con…rme ce point. Economie expérimentale, études statistiques et enquêtes de terrain aboutissent à un certain nombre de résultats cohérents qui permettent de dresser un tableau des di¤érentes aspects de la motivation au travail. Un premier constat est que l’impact des incitations pécuniaires n’est pas indépendant de l’interprétation qu’en ont les travailleurs : l’expérimentation révéle que des incitations monétaires équivalentes ne suscitent pas les mêmes réactions selon qu’elles sont perçues comme punitives ou compensatrices, les enquêtes de terrain, qu’une baisse de salaire sera suivie de comportements di¤érents selon qu’elle survient dans un contexte économique déprimé ou ‡orissant. Un deuxième constat tient au fait, qu’en tant que source de motivation, le salaire semble jouer de façon relative. Relativement aux rémunérations des autres d’abord - voir l’aversion aux inéquités obtenue expérimentalement, le souci de statut social sou- 1. La motivation au travail : questions empiriques et hypothèses comportementales.66 ligné par les études statistiques - mais aussi relativement à la situation antérieure d’un même individu - la satisfaction quant à la progression de leur rémunération est le principal déterminant de la satisfaction globale des travailleurs selon Igalens et Roussel. Un troisième constat est que la motivation des travailleurs est sensible aux conditions non-salariales de la relation d’emploi telles que l’autonomie dont ils disposent : l’économie expérimentale suggère que les signaux de con…ance stimule la coopération des travailleurs, les études statistiques que l’autonomie fait partie des propriétés motivationnelles des emplois. Nous présentons dans le chapitre suivant les analyses théoriques auxquelles ces éléments empiriques ont donné lieu.