Un corps inattendu

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Un corps inattendu
Un corps inattendu
Pistes pédagogiques
Avec cette exceptionnelle exposition « Un corps inattendu » c’est une véritable histoire de
la figuration dans la seconde moitié du XXème siècle qu’il nous est donné de rencontrer. Le corps
apparaît sous de multiples formes. Sa représentation est, pour ces artistes majeurs, le théâtre de
leurs doutes, de leurs interrogations qui marquent cette période. C’est aussi l’objet de nombre de
manipulations et d’expérimentations plastiques.
Dans ces lignes vous trouverez abordées, sans visée exhaustive, quelques questions qui
jalonnent les pratiques artistiques mais aussi l’enseignement de l’histoire des arts, discipline au
croisement des enseignements et qui trouvera ici un écho très riche.
Dans la mesure du possible les œuvres sont abordées en fonction de leur accrochage. Celui-ci
organisé par Jean-Louis Prat, commissaire de l’exposition, établit une sorte de dialogue entre les
œuvres et invite le spectateur à construire lui-même ses compréhensions.
Cette exposition, « Un corps inattendu » c’est aussi une façon de se remettre en mémoire
– si tant est que cela soit nécessaire – combien la question de la représentation du corps reste un
inépuisable sujet.
Histoire des arts :
Pablo Picasso,
(1881, Malaga - 1973,
Mougins)
Femme assise - 1962
- Huile sur toile 156 x 114 Collection particulière
Les élèves trouveront ici une multitude de sujets d’interrogation de
questionnement et d’éblouissement. Les relations aux programmes d’arts
plastiques sont nombreuses et vous en trouverez quelques unes dans les
lignes qui suivent. C’est aussi une rencontre avec l’histoire des arts et
donc la possibilité d’alimenter l’interdisciplinarité qui est la marque de cet
enseignement. Les regards croisés permettront d’enrichir la compréhension
réfléchie de ces œuvres et, tout autant, de « constater la pluralité des goûts
et des esthétiques et de s’ouvrir à l’altérité et à la tolérance » (programme
d’histoire des arts).
Les noms prestigieux qui caractérisent, entre autre, cette exposition
sont l’occasion d’une rencontre réelle avec des artistes qui ont marqué
l’art du siècle passé. Cette rencontre peut être l’occasion de découvrir des
œuvres au travers de leur réalité physique. En prenant d’abord en compte
leur présence dans l’espace des salles d’exposition. Les dimensions des
œuvres, en majorité réduites, sont un premier constat que l’on peut faire
dans le rapport au corps, mais aussi à l’image qui en est donnée. Ces
œuvres s’inscrivent également dans l’histoire des arts dans la mesure où
elles prolongent des questions, des images, revisitent des archétypes.
Les archétypes :
Jaume Plensa (1955)
Philip Glass (W14784)
- 2008 - Aluminium,
pièce unique 99 x 61 x 91 cm Courtesy Galerie
Lelong, Paris
Ou comment l’histoire des arts peut être une source d’inspiration directe
ou pas.
Yves Klein avec Portrait relief d’Arman (PR1) revisite la statuaire
antique des Kouros représentés les bras le long du corps, les coudes
légèrement décalés, les poings serrés. Le fond doré fait penser quant à lui
à la tradition Byzantine.
Dans les œuvres de Basquiat les symboles christiques, comme la
couronne d’épine, sont souvent présents. C’est le cas dans Robotman
and Woman, œuvre dans laquelle la femme frappée de stéatopygie peut
rappeler les vénus préhistoriques. Robert Combas quant à lui puise dans
le quotidien.
La posture de la sculpture de Jaume Plensa évoque le scribe
égyptien, avec l’évidence des genoux comme un point fort, elle évoque
aussi la posture de Bouddha. Gilbert Perlein « pense également aux
momies aztèques que l’on a retrouvées les jambes repliées et enlacées par
les bras, figées pour l’éternité, tu parles d’un point d’origine : le point fœtal.
(…) - Absolument, répond Jaume Plensa. Je crois que si nous essayons
d’aller dans la direction intérieure, nous empruntons le chemin qui croise
inévitablement toutes les cultures et religions, qui éclaire à nouveau tous
les lieux communs oubliés et qui nous montre les points de rencontre avec
les grandes traditions de la pensée du monde. » (Interview dans : http://
www.mamac-nice.org/francais/exposition_tempo/musee/pensa2007/
entretien.html).
Alechinsky puise lui, dans la littérature, de Lewis Carroll à Carlo Collodi
(auteur de Pinocchio) et déclare en commentant son œuvre : « Et si mon
Alice n’était plus mon Alice ? Qui me dit que ... Rouge avec un long, long
nez. C’est Pinocchio, parole d’honneur ! On l’avait pourtant prévenu : « Si
tu mens, ton nez s’allonge. »
Germaine Richier
(1902, - 1959, Montpellier)
L’hydre - 1954 Bronze - 79 x 28 x 32
cm - Collection
Famille Germaine
Richier
Pour Germaine Richier c’est dans la mythologie qu’elle puise. L’hydre,
monstre à plusieurs têtes que dût combattre Héraclès, est présenté ici avec
un corps humain, les bras tendus. Pour Velickovic, c’est son expérience
personnelle qui lui fait traduire en peinture les tragédies du XXème siècle.
L’artiste est âgé de six ans lorsqu’il fuit la ville de Belgrade envahie par
les Nazis. Il aperçoit à cette occasion ses premiers pendus. «Je n’étais
probablement pas conscient de ce que je voyais, mais la scène s’est en
effet gravée au fond de ma mémoire, et je l’ai emportée avec moi, elle
m’a accompagné avec quelques autres jusqu’à aujourd’hui», se souvientil. La Libération, quelques années plus tard, imprime aussi fortement des
images d’horreur sur la rétine du jeune garçon, avec notamment le corps
d’un soldat russe au visage calciné. (Catalogue de l’exposition V. Velickovic
- Peinture depuis 1968, Montélimar, 2010.)
Dans Figure tressement 1 et 2 François Rouan représente un personnage
allongé qui rappelle de façon assez explicite le nu présent dans l’œuvre
Etant donnés: 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage de Marcel Duchamp.
Pour Ernest Pignon Ernest et Sam Szafran c’est en prolongeant une
tradition du métier et du savoir faire, qu’ils renouvellent leur pratique. Le
premier revisite ici l’art religieux qui pourra rappeler certaines figures de
l’extase comme celle de Sainte Thérèse du Bernin ou La Conversion de
Saint Paul du Caravage.
Sam Szafran
(1934)
Gisant - 1968 Fusain sur papier
- 77 x 59 cm Collection particulière
La Stèle bleue de Raoul Ubac s’érige, semblant sortir du sol, sans
socle, tel un mégalithe.
Marc Chagall va puiser dans l’imagerie populaire des éléments
constitutifs de sa peinture, comme les éléments architecturaux présents
sur la droite de la toile. Pour Giacometti, c’est le hiératisme des ses œuvres
qui permet de l’inscrire dans une tradition artistique là aussi héritée de la
période archaïque de l’antiquité.
Représenter le corps :
Représenter le corps au XXème siècle c’est se positionner par rapport à une longue tradition
de la figuration, qui remonte aux premières empreintes de l’art pariétal. Mais c’est aussi se situer
dans l’histoire. « Le corps est, avant tout, un résultat : le signe que le corps est une formule instable,
figure qui s’esquive, s’échappe parfois, que l’on ne saurait représenter sans douter bientôt de la
valeur de ce que l’on représente » écrit Paul Ardenne. Et plus loin il précise que la représentation
« adopte une forme non plus fixe mais en constant devenir, souvent brutalisée et déshumanisée
quelquefois carrément portée à radier l’objet même. » (L’image corps éditions du Regard p.9)
Dans les programmes la question de la représentation est récurrente,
et questionnée par tous les écarts générés par les conditions et les moyens
de réalisation. Elle engage aussi la question de la ressemblance. Francis Bacon (1909
1992)
Tête (Homme en bleu)
- 1961 - Huile sur toile
- 45,8 x 38,1 cm Collection particulière
Yves Klein (1928–
1962) Paris.
Portrait relief
d’Arman, (PR 1) 1962 - Pigment pur
et résine synthétique
sur bronze monté sur
panneau recouvert
de feuilles d’or 176 x 94 x 26 cm Collection particulière
Jean-Michel
Basquiat
1960 - 1988)
Robotman and Woman - 1982 - Crayon
gras, feutre et crayon
sur papier - 56 x
76,5 cm - Collection
Enrico Navarra
Représenter c’est présenter à nouveau, une présentation qui passe
par des filtres multiples, du regard à la main. Pour Hegel « on ne représente
jamais le corps pour lui-même mais pour l’idée qu’on s’en fait » (cité par
Paul Ardenne L’image corps p12). Les œuvres ici présentées en dressent
quelques constats. A commencer par la première salle où La chasse,
femme fétichisée, de Richard Lindner affiche au regard du spectateur, les
atouts de sa féminité. Le personnage d’Adami se perd lui dans les arcanes
de l’architecture.
Les deux œuvres d’Yves Klein présentées dans la même salle,
poseraient un tout autre postulat : celui de s’affranchir de la représentation?
Le recours à l’empreinte, dans la série des anthropométries permet à Klein
une distanciation. Hissé sur un escabeau, il est chef d’orchestre et dirige
ses « femmes pinceau ». Le nu apparaît ici comme un signe sur la surface de
la toile, il est aussi le résultat d’un contact, d’une affinité avec le subjectile.
«Le tableau n’est que le témoin, la plaque sensible qui a vu ce qui s’est
passé. La couleur à l’état chimique, que tous les peintres emploient, est
le meilleur médium capable d’être impressionné par l’événement» déclare
l’artiste (http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-yves_
klein/ENS-Yves_Klein.htm). Il représente sans passer par le filtre de la main.
Avec le moulage c’est une réalité physique qui se présente à nous, au plus
près du modèle. Le moulage pouvant être assimilé à une photographie en
trois dimensions.
Ce rapport au réel se retrouve dans l’œuvre de Jaume Plensa Philip
Glass (W14784). Par le titre, l’œuvre renvoie directement à un individu. Les
traits ne sont à proprement parler pas reconnaissables et, sans doute,
encore moins le corps dont la représentation est récurrente dans l’œuvre
de cet artiste.
Le corps dans l’œuvre de Dubuffet est le résultat d’un assemblage
de formes qui s’agglutinent jusqu’à la défiguration.
Pour Basquiat, la représentation se fait sans savoir-faire apparent
mais dans un vocabulaire qui lui est propre. Il développe une narration
autour de sujets comme la condition noire aux Etats-Unis au début des
années 1980, le racisme et l’injustice, la part des artistes noirs dans la
création américaine, la mémoire de l’esclavage et celle de l’Afrique.
Combas s’inspire du rock dont il est un fin amateur, des images populaires,
des livres d’enfance, des manuels scolaires de tout ce qui fait une culture
populaire accessible à tous. Les personnages se déploient et saturent
l’espace avec une multitude de détails.
A l’étage, dans la première salle, la représentation est mise en péril par le travail dans la
matière. Qu’elle soit picturale comme dans Alice grandit de Pierre Alechinsky ou terreuse dans le
corps recroquevillé d’Antoni Tapiès. Willem de Kooning pétrit la terre de ses mains jusqu’à l’informe
de ce corps sans squelette qu’est Grand torse, qui pourrait faire penser à la dépouille de Michel
Ange dans Le Jugement Dernier à la Chapelle Sixtine. C’est un « art de la convulsion » dit Philippe
Sollers.
Germaine Richier
(1902 - 1959)
Le pentacle - 1954
- Bronze - 80 x 36 x
23 cm - Collection Famille Germaine Richier
Henry Moore (18981986) Working model for
reclining figure - 1976
- Bronze - 30,5 x 79,5 x
40 cm Collection particulière
Germaine Richier « travaille corps amplifiés, remodelés, tout
simplement nés d’autres certitudes et de dissemblances … Nardone qui fut
le modèle de Rodin pour son Balzac sera le modèle de Germaine Richier et
le détonateur de nombreuses sculptures. Ainsi une imposante morphologie
sculptée, paraissant issue de temps plus anciens, deviendra dès lors le
symbole d’une époque libérée des contraintes imposées par les canons
d’une beauté surannée » écrit Jean louis Prat (Catalogue de l’exposition
p108). Ce qui frappe dans la représentation des corps de Vladimir Velickovic
ce sont les positions des corps qui semblent s’accrocher ou chuter. Ces
figures, traduisant ses expériences passées, hantent sa peinture. « Il y a
sans doute une guerre en moi que le spectacle du monde d’aujourd’hui ne
risque ni d’effacer ni de guérir, mais au contraire de raviver» (Catalogue de
l’exposition V. Velickovic - Peinture depuis 1968, Montélimar, 2010.)
Les sculptures d’Henri Laurens sont souples, organiques, gardant le
souvenir de l’expérience cubiste qu’engendre la multiplication des points
de vue, comme on peut le constater également dans les deux œuvres de
Pablo Picasso.
Cette fragmentation de la forme conduit à un rapport plein vide que
l’on retrouve dans l’œuvre d’Henry Moore. Ce dernier cherche moins à
reproduire qu’à produire des formes organiques se justifiant par leur seule
présence et conduisant à une autonomie de la sculpture. L’asymétrie
est utilisée comme principe dynamique. Quand à la position allongée de
Working model for reclining figure il l’explique en disant qu’«il existe trois
positions fondamentales de la figure humaine : debout, assise, étendue
(...). Des trois positions, c’est la position étendue qui laisse le plus de
liberté du point de vue de la composition et de l’espace. La figure assise
doit être assise sur quelque chose. On ne peut la séparer de son piédestal.
Une figure étendue peut l’être sur n’importe quelle surface. Elle est à la fois
libre et stable. » (in La Sculpture éditions Taschen p.1040).
La représentation de la figure dans le travail de François Rouan
passe par une procédure essentielle : le découpage et le tissage de la
toile. La fragmentation qui en résulte de l’image du corps peut aller jusqu’à
la perte comme dans Tête Membrillo.
Henry Moore
(1898-1986)
Working model
for reclining figure
- 1976 - Bronze 30,5 x 79,5 x 40 cm
- Collection particulière
Pour Georg Baselitz il « fallait prendre dans la peinture ce qui était
traditionnel — au niveau du motif — c’est-à-dire un paysage, un portrait,
un nu et je les retourne et je les peins à l’envers. C’est le meilleur moyen
de vider de son contenu ce que l’on peint. Quand on peint un portrait à
l’envers, il est impossible de dire : ce portrait représente ma femme et je
lui ai donné une expression particulière. Il n’existe aucune interprétation
littéraire possible avec cette méthode » (Catalogue de l’exposition p42).
Il serait possible de rapprocher cette démarche de l’anecdote rapportant les conséquences que
vont avoir, pour Kandinsky, la découverte d’un de ses tableaux posé à l’envers. Il s’agit moins
d’interroger le motif dans son rapport au réel que de redevenir plus attentif aux dimensions
plastiques de l’oeuvre. Il s’agit en quelque sorte d’évacuer le motif, la ressemblance qui se réduisent
à quelques lignes et zones colorées.
Dans Bacchus penché de Paul Rebeyrolle, c’est dans le rapport fond / forme que s’opère
la figuration. Un monde à part entière c’est bien celui d’Eugène Leroy qui semble perdre, au cours
de la réalisation de sa peinture, son référent. Corps de femme ici représenté se trouve englué dans
la matière picturale jusqu’à s’y dissoudre. C’est de l’autonomie de la peinture qu’il s’agit quand il
déclare en 1996 : «Je crois que je n’ai pas voulu faire une belle toile, j’ai simplement voulu faire de
la peinture» (catalogue de l’exposition p18).
Ernest Pignon Ernest se réfère dans ces dessins à des textes rédigés
par des femmes, religieuses pour la plupart, et qui ont traité de l’extase.
Ces portraits sont nés de ce qu’elles ont dit d’elles mêmes. Le corps est
travaillé dans une attitude théâtralisée pour mieux signifier les tourments
qui les habitent. Se pose ici la question non de la ressemblance mais celle
de la vraisemblance.
Joan Miró (1893 –
1983)
Jeune fille s’évadant
- 1968 - Bronze peint
- H.C.II /II - 166 x
34.5 x 63 cm Collection Successió
Miró
Miro est un artiste qui travaille par collages, dans une démarche
surréaliste, pour construire ses personnages. On pourra en faire ici le constat
tout aussi bien avec les deux sculptures qu’avec le dessin Personnage. Pour la sculpture, le corps procède d’assemblages d’objets
hétérogènes, dans une grande liberté de représentation, puis un élément
botanique ou objet du quotidien peuvent de la même façon évoquer une
tête.
L’œuvre de Martial Raysse est aussi en quelque sorte un collage. Il
met en tension représentation et présentation avec les chaussures posées
directement au sol. La présence du Jeune garçon s’en trouve affirmée,
dans l’espace du spectateur.
Dans la salle suivante les deux peintures de Nicolas de Staël
évoquent le corps plus qu’elles ne le représentent. La forme silhouettée de
Figure est un entre deux comme il le dit lui-même : « Trop près ou trop loin
du sujet, je ne veux être systématiquement ni l’un ni l’autre ».
Martial Raysse
(1936)
Le jeune garçon 1983 - Détrempe
sur papier marouflé sur carte,
chaussures - 200
x 100 x 20- FRAC
Auvergne
Le Nu mauve de Marc Chagall est une œuvre dans laquelle
trois personnages apparaissent qui semblent voler. Elle témoigne de la
puissance poétique du peintre. S’écarter de la réalité et la réinterpréter en
empruntant au fantastique quand cela est nécessaire, c’est tout l’enjeu de
ce travail comme dans la sculpture Bête fantastique.
A travers les sculptures de Giacometti c’est la construction de la
forme dont il est question. Il déclare : « Pour moi, une sculpture doit être la
représentation d’autre chose qu’elle-même. Une sculpture ne m’intéresse
vraiment que dans la mesure où elle est, pour moi, le moyen de rendre la
vision que j’ai du monde extérieur…Ou, plus encore, elle n’est aujourd’hui
pour moi que le moyen de connaître cette vision. A tel point que je ne sais
ce que je vois qu’en travaillant. » (Catalogue de l’exposition du FRAC p64)
Alberto Giacometti
(1901- 1966)
Lotar 1 - 1964 Bronze - 25,8 x 28,3
x 14,9 cm - Collection particulière
Pour Giacometti, la question de la ressemblance est importante.
Yves Bonnefoy explique que «Loin de comprendre que l’être d’autrui est
perceptible par nous mais n’en reste pas moins de l’invisible, sinon par
l’énergie ou l’angoisse d’une expression fugitive, il crut jusqu’à sa mort
qu’il y accéderait par l’observation de la figure - du nez, en particulier,
du point au sommet du nez entre les deux yeux - et il ne cessa jamais
de parler de la ressemblance, même si ses portraits montraient, de façon
saisissante, le visage de son modèle dégagé de ses propres traits, réduit
au feu de ses yeux, debout dans cet absolu du regard comme un Lazare
ressuscité. » (Télérama Hors série Giacometti p76).
Cette question de la ressemblance est l’un des paradoxes de l’œuvre
de Bacon. Malgré ce qu’il fait subir à l’image du corps de déformations,
d’amputations, de dislocation, la référence à la réalité des traits d’un
individu reste présente. Peut-être lui-même ici, en homme inquiet hanté
par la mort : «chaque jour dans la glace je vois la mort au travail, c’est l’une
des plus jolies choses qu’ait dites Cocteau » (Cité par Harry Bellet dans
Francis Bacon hors série Beaux Arts magazine p 18).
Dessin :
Ernest PignonErnest
Né en 1942
Etude pour Marie
de l’incarnation
(W15490) - 2008 Pierre noire, encre,
acrylique sur papier
120 x 100- Collection
particulière - Courtesy Galerie Lelong,
Paris
Alors qu’au cours du XXème siècle on n’a eu de cesse que
d’annoncer la mort de la peinture cela n’a jamais été le cas pour le dessin.
« Est-ce, comme le fait remarquer malicieusement Emma Dexter, parce
que le dessin était si insignifiant qu’il ne méritait pas d’être mentionné,
ou bien le croyait-on déjà mort ? » (Emma Dexter Vitamine D, Nouvelles
perspectives en dessin éditions Phaïdon 2006, p8).
Toujours est-il qu’il est bien vivant dans les pratiques artistiques
contemporaines autant que dans celles des élèves. Il apparaît clairement
dans les nouveaux programmes du collège, au même titre que la peinture
ou le collage, dans le champ des pratiques bidimensionnelles, graphiques
et picturales. Au lycée, il est au cœur du programme de seconde et le
dossier préparé par les élèves pour l’évaluation terminale prend en compte
cette composante des arts plastiques. Le dessin est lié étroitement à la
pratique, comme le fait remarquer Richard Serra : « Tout ce que l’on peut
projeter d’expressif par le dessin –idées, métaphores, émotions, structures
linguistiques- résulte de l’acte de faire. » (Cité par Emma Dexter Vitamine
D, Nouvelles perspectives en dessin editions Phaïdon 2006, p7).
Ainsi que le dit le sculpteur Henry Moore : « Le dessin constitue un
moyen de parvenir à une compréhension plus intime des objets et une
façon, plus rapide que ne le permet la sculpture, de constater l’effet de
certains essais ou expériences préliminaires. »
Valerio Adami
(1935 )
Great northern hotel
- 1970 - Huile sur
toile - 198 x 156 cm Collection particulière
Pour Valerio Adami il est « une façon de penser ». Il transparaît aussi
parfois dans les œuvres achevées illustrant le rapport souvent conflictuel
entre peinture et dessin.
Au dessin rigoureux et précis de Lindner celui d’Adami fait écho avec
des modulations de la ligne qui suggèrent les volumes que ne traduisent
pas les aplats de couleurs. Valerio Adami précise que «Pour bien dessiner,
il faut des gestes larges, je dirais dans le style d’un joueur de tennis…
Une fois trouvée l’amorce d’une idée, il faut continuer sans dévier et sans
s’arrêter à cueillir trop de petites fleurs. En matière de signes, se montrer
plus économe, etc. Et relire ensuite chaque ligne, plusieurs fois, à haute
voix.» Cette amplitude du geste est visible dans son travail : la fluidité
de son trait. « Le rôle premier est dévolu au dessin en tant que travail de
coupe et de montage, comme au cinéma, de déconstruction-construction
: les formes se composent comme des mots, les lignes s’articulent comme
des phrases, avec des effets d’association, de métonymie, d’ellipse ou de
métaphore» (http://www.moreeuw.com/histoire-art/valerio-adami.html).
Ce type de dessin, qui pourrait être associé à la « ligne claire »
(traits simples et aplats de couleur), est à l’opposé du dessin de Basquiat
: heurté, impulsif et empruntant aux graffitis et à l’art de la rue. Mais
contrairement aux apparences, c’est un art pétri de culture, « Basquiat est
un jeune homme qui feuillette les catalogues et lit beaucoup et un peu de
tout.», précise Philippe Dagen (Le Monde du 16 10 10).
Robert Combas
Né en 1957 Colonel Pieplu - 1986 Acrylique sur toile - 195
x 144 cm - collection
particulière
Le cerné on le retrouve dans la sculpture de Dubuffet qui fragmente
un peu plus la forme et ainsi la déstructure. Ce rôle dévolu au trait c’est
aussi le cas dans l’œuvre de Robert Combas. Pour Hector Obalk «dans
les peintures de R. Combas, le dessin d’un sandwich, d’une fleur, d’une
chaussure ou d’un nuage possède la même nervosité imprévisible et
brutale que celui d’un moteur, d’un revolver ou d’une fourchette – de telle
sorte que tous les détails explosent et rebondissent aux quatre coins du
tableau » (Il était une fois la figuration libre Fondation Coffim 2001 p.49).
Le dessin est souvent un travail d’atelier, un travail préparatoire,
souvent essentiel pour les artistes comme le déclare Vladimir Velickovic
« On pourrait m’empêcher de peindre, mais m’empêcher de dessiner serait
pour moi une punition mortelle » (catalogue de l’exposition p136).
Lucian Freud
(1922 - ) Benefits
supervisor sleeping - 1995 - Eau
forte sur papier
- 73 x 59 cm - Collection particulière
L’oeuvre Benefits supervisor sleeping de Lucian Freud montre un
modèle dont il existe des versions en peinture, on notera que l’image est ici
inversée en raison de la technique d’impression. Il s’agit de traduire par la
ligne la perception haptique de la forme. Des hachures indiquent les zones
d’ombre par des valeurs de gris. Les chairs ont une grande importance
dans le travail de cet artiste.
On retrouve le trait incisif dans les deux œuvres Tressement 1 et 2
de François Rouan. Ici aucune ligne ne vient détourer la forme, celle-ci a
plutôt tendance à se fondre dans le fond.
Joan Miró (1893 –
1983)
Personnage - 1979
- Crayon noir,
fusain, aquarelle
sur papier chiffon
- 160 x 54 cm Collection
particulière
Dans la grande salle deux artistes témoignent de la persistance de
ce langage qu’est le dessin.
Pour San Szafran le savoir-faire est déterminant dans son
apprentissage. Ses œuvres, comme celles présentées ici, traduisent
l’ambiance de l’atelier encombré de plantes, ou de jeux de transparences,
de perspectives qui s’imbriquent, « donnant l’impression que ces espaces
sont impénétrables, comme s’ils plongeaient le spectateur dans un vertige
» (Werner Spies dans : http://www.artnet.fr/magazine/portraits/spies/
Sam-Szafran.asp?artno=1)
Avec les trois dessins d’Ernest Pignon Ernest c’est un dessin
à l’apparence classique où la ligne cède le pas aux effets d’ombres,
traduisant ainsi le conseil de Goya « où voient-ils des lignes, je ne vois que
des formes éclairées ou des ombres, des plans qui avancent ou des plans
qui reculent ».
La virtuosité du dessin est mise au service d’une fiction. Le recours
à cette pratique ne représente, pour lui, que le tiers de son travail artistique.
Les autres composantes étant la relation au lieu dans lequel les dessins
trouvent place. Pour lui « par nature le dessin est étranger au réalisme, il
induit toujours une distance. » et précise « il faut que mes images produisent
assez d’« effet de réel » pour qu’elles s’insèrent physiquement dans le lieu,
qu’elles ne restent pas à la surface comme une affiche. » (Ninety n°24).
Les dessins présentés ici ont été réalisés pour une intervention au
musée d’art et d’Histoire de Saint Denis, dans une chapelle. (http://www.
dailymotion.com/video/xfd6ny_ernest-pignon-ernest-s-expose-a-saintdenis_news).
Joan Miro élabore dans son œuvre un vocabulaire singulier, et c’est
par le dessin qu’il y arrive. Points, lignes sont conjugués à partir d’accidents.
« De toute façon, il me faut un point de départ, ne serait-ce qu’un grain de
poussière ou un éclat de lumière. Cette forme procrée une série de choses,
une chose faisant naître une autre chose. Ainsi un bout de fil peut-il me
déclencher un monde», dit-il (Catalogue de l’exposition du FRAC p88).
Pablo Picasso (1881 1973)
Tête de femme - 1962 Tôle découpée, tordue,
assemblée et peinte
en polychromie sur les
deux faces
50 x 50 x 30 cm - Collection particulière
Dans Femme assise, Pablo Picasso associe plusieurs points de vue.
Il donne la primauté au dessin, c’est d’abord la ligne qui construit la forme.
Il en est de même dans la sculpture-mât Tête de femme où, travaillant sous
un éclairage violent, il accentue les contours. Le dessin se déploie ainsi
dans la troisième dimension en imposant au spectateur un déplacement.
La matérialité et l’expression :
La matérialité des œuvres apparaît dans les programmes du collège où il faut « tirer parti
du matériau » en 6ème, « construire des images par des interventions (gommage, recouvrement,
déchirure…) » en 5ème, « étudier les modalités de production des images » en 4ème, « Construire
et fabriquer des volumes en tirant parti des qualités physiques et formelles des matières » en 3ème.
Au lycée il en est de même.
Dans l’introduction à son ouvrage Histoire matérielle et immatérielle
de l’Art Moderne, Florence de Mérédieu indique que « l’histoire de l’art est,
pour une large part, celle de matériaux ». L’art procède d’une « rencontre
entre deux facteurs opposés, et par voie de conséquence, complémentaires
: la matière et la forme ». Mais la forme résulte d’une volonté d’expression
elle-même conjuguée avec les spécificités de la matière, et ce d’autant
plus qu’au cours du XXème siècle aucune limite n’a entravé le recours à
des matières nouvelles.
Yves Klein (1928–
1962)
Anthropométrie sans
titre, (ANT26) - 1960 Pigment pur et résine
synthétique sur papier
- 98 x 57,5 cm
Collection particulière
Yan Pei-Ming
(1960)
Homme invisible
- 2000 - Huile sur
toile - 180 x 200 cm
- Collection FRAC
Auvergne
Willem de Kooning
(1904- 1997)
Grand torse - 1974
- Bronze - 93 x 91
x 70 cm - Collection Musée Frieder
Burda, Baden-Baden
Pour Yves Klein le bleu qu’il met au point (le brevet est déposé le
19 mai 1960, voulant souligner par là ce qu’a d’unique le choix du peintre),
l’International Klein Blue n’est ni matériel ni immatériel.
On le découvre ici sur l’anthropométrie mais surtout sur le moulage. Pour
lui « le bleu n’a pas de dimensions, il est hors dimension, alors que les
autres couleurs, elles en ont. Toutes les couleurs amènent des associations
d’idées concrètes, tandis que le bleu rappelle tout au plus la mer ou le ciel,
ce qu’il y a après tout de plus abstrait dans la nature tangible et visible
» (cité dans L’art moderne éditions Scala p40). La surface dorée a une
véritable présence, une densité imposée par son épaisseur. Dans ce travail
c’est la dimension métaphysique de la couleur qui est revendiquée.
L’homme invisible de Yan Pei-Ming montre l’implication du corps
dans la production de l’œuvre. Peinture « gestualisée », c’est aussi un
corps à corps avec la matière.
Les textes en relief, textes poétiques, phrases ou simplement
mots, que Jaume Plensa introduit dans ses sculptures agissent comme
des matériaux constitutifs de l’œuvre, couleurs ou coups de pinceau. Ils
rajoutent un relief à la matérialité du corps, mais aussi une expression qui
s’oppose à la neutralité de la figure.
A l’étage deux ensembles se dégagent en terme de matérialité. L’un
composé de sculptures fait apparaître combien la matière ne se résume pas
à la seule présence du matériau, le plus souvent du bronze. On rappellera au
passage que le bronze est une matière qui inscrit l’œuvre dans la pérennité
mais n’est pas directement travaillé par l’artiste. Cependant le travail du
bronzier n’altère en rien les qualités plastiques de l’œuvre. L’autre, du
domaine de la peinture, explore jusqu’à l’extrême les contingences de la
frontalité de l’œuvre.
De Kooning pétrit, malaxe, triture la matière à l’infini dans une forme
très chaotique. Symbiose du geste et de la matière, chaque geste visible
dans la plasticité du médium, participe de l’implication du corps et par là
de l’expression.
Pour Germaine Richier, c’est sans doute plus dans la forme que
s’exprime sa force créative. Il n’en demeure pas moins que, là aussi, «
leur peau est semblable à l’écorce, burinée, ravinée, à l’inverse du trop
nécessairement beau que donnerait le doux et le poli.
La rugosité de cette couverte en dit long sur cette oeuvre intense, lourde et pleine qui semble
taillée dans le vif et le fût des arbres et dont on compterait les années en fonction des couches
concentriques, évolutions successives de cette écorce poussée sans fin vers de nouvelles frontières,
afin de trouver l’exacte justesse des volumes et de l’espace » écrit Jean Louis Prat. (Catalogue de
l’exposition du FRAC).
Dans les sculptures de Laurens la rugosité de la matière accroche la lumière et joue des
brillances du matériau sous l’éclairage.
En cela elles se rapprochent de l’œuvre de Moore. Pour Ernst Gombrich «Moore ne part
pas d’un modèle. Il part d’un bloc de pierre. Il veut en « faire quelque chose ». Non en l’écartelant
délibérément, mais en tâtonnant, en cherchant, pourrait-on dire, le « vouloir » de la pierre. S’il en
sort la suggestion d’une figure humaine, parfait. Mais, dans cette figure même, le sculpteur désire
conserver quelque chose de la solidité, de la simplicité d’un roc. Il ne cherche pas à faire une
femme de pierre, mais une pierre qui suggère une femme. » (Ernst Gombrich Histoire de l’art –
éditions Flammarion 1990 p46)
Paul Rebeyrolle
(1926 – 2005)
Bacchus penché 1998 - Huile sur toile
- 160 x 130 cm Collection particulière
L’assemblage d’objets pour inventer des formes zoomorphiques
anthropomorphiques est un ressort inépuisable dont ont usé les artistes
surréalistes. Processus transposable avec les élèves de sixième pour
produire des objets beaux comme « la rencontre fortuite, sur une table de
dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » écrit Lautréamont.
Joan Miro en offre deux exemples ici dont la chatoyante Jeune fille
s’évadant.
Avec les tôles pliées, Picasso, parachève sa recherche cubiste en la
déployant dans l’espace. La sculpture-mât affirme, sans doute encore un
peu plus, cette démarche qui multiplie les points de vue. Le traitement n’en
demeure pas moins graphique et pictural. Mais pour « savoir » la sculpture,
il n’est d’autres moyens que d’en faire le tour, ce qui n’est pas le cas dans
la sculpture traditionnelle. Picasso ménage ainsi des surprises à chaque
angle de vue.
C’est le contraire pour Giacometti qui frontalise la sculpture. La
matérialité est ici très affirmée au travers des empreintes que laisse la main
du sculpteur. Elle traduit la lente élaboration : « Les « choses » que je fais et
refais pendant des mois, je les finis en trois heures. » (Catalogue du FRAC
p62).
L’autre ensemble est constitué d’œuvres en deux dimensions.
En travaillant dans la matière comme dans Vision première mais
aussi Peinture au fumeur Antoni Tapiès affirme la présence physique de
l’image. Dans la seconde œuvre les traces laissent deviner la gestuelle qui
a accompagné la réalisation. Dans la première le titre est incisé dans la
matière tandis qu’un « t » est tracé sur le corps du personnage en position
fœtale. La forme est travaillée en bas relief, dans la matière, comme pétrie.
Pierre Alechinsky
Né en 1927
Alice grandit - 1961
- Huile sur toile - 205
x 245 cm - Collection
particulière
Pierre Alechinsky utilise un médium fluide qui génère des formes
souples dans une grande spontanéité d’exécution. Les formes très
expressives s’inscrivent dans la veine du mouvement Cobra.
Dans les œuvres de Vladimir Velickovic bien souvent le noir domine :
«Je suis passé au noir pour rétrécir, donner plus de force aux éléments, les
dégager.» (Catalogue de l’exposition V. Velickovic - Peinture depuis 1968,
Montélimar, 2010.) « J’essaie que ce soit la peinture proprement dite qui
s’impose, « de dire plus avec moins », disait Mies Van der Rohe, et par là
d’échapper à un certain réalisme et de n’avoir à faire qu’avec la peinture
elle-même, sans perdre de vue non pas le « sujet » mais le « sens » qu’elle
provoque. » Cette force expressive de la peinture est particulièrement
éloquente dans Crochet fig.3.
Vladimir
Velickovic (1935)
Crochet fig.3 1999 - Huile sur
toile - 210 x 150
cm - Collection
particulière
Dans la grande salle la matérialité des œuvres est très affirmée
au travers des pratiques de Paul Rebeyrolle ou d’Eugène Leroy. Pour ce
dernier la peinture est travaillée dans son épaisseur, par rajouts successifs.
La rugosité de la surface, le relief ainsi produit sont sources d’expression
pour cet artiste. Paul Rebeyrolle rajoute des ingrédients multiples dans ses
peintures. Ils conduisent à des déformations formelles. Cette matérialité
exacerbée est pour lui le moyen de traduire son rapport au monde : « on ne
peut pas peindre la violence du monde avec un petit pinceau à trois poils
» disait-il.
Nicolas de Staël travaille la peinture dans sa matérialité, sa présence
physique, avec un geste qui laisse juste deviner ce qu’il faut de la figure. La
peinture est appliquée en larges plages de couleur. Elles se superposent
sans s’effacer, dans un traitement de la pâte, qui produit des effets de
feuilletage, c’est la peau de la peinture.
On retrouve ces effets de texture dans L’homme au chapeau vert de
Dubuffet.
Nicolas de Staël
(1914 – 1955)
Figure - 1953 Huile sur toile - 162
x 114 cm Collection
particulière
Document réalisé par Patrice Leray professeur correspondant culturel auprès du FRAC, permanence
le mardi 10h à 12h tel : 04 73 90 5000 ou [email protected]