165-178 - Netcom

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165-178 - Netcom
Networks and Communication Studies,
NETCOM, vol. 25 (2011), n° 3-4
pp. 165 - 178
DEVELOPPEMENT NUMERIQUE DES ESPACES RURAUX
PEUT-ON TRANSFORMER UN PROBLEME EN RESSOURCE
TERRITORIALE ?
DIGITAL DEVELOPMENT OF RURAL TERRITORIES:
COULD WE TRANSFORM A PROBLEM INTO TERRITORIAL
RESOURCE?
JEAN-PIERRE JAMBES1
Résumé – La politique française en matière d’aménagement numérique des territoires
ruraux suscite, notamment de la part des Collectivités Territoriales, nombre de réserves. Les travaux
réalisés cherchent à comprendre ce qui fonde ces réserves. Par-delà ces aspects, ils tentent aussi de
montrer en quoi ces questions interrogent la Géographie et prolongent les chantiers scientifiques menés
autour du concept de territoires apprenants. Il explore ainsi le concept de terroir numérique compris
comme des espaces de mise en culture d’une socio-économie davantage organisée autour des services en
ligne et des attentes des usagers.
Mots-clés – Aménagement numérique du territoire, Solidarité numérique, Très Haut
Débit, Collectivités territoriales, Espaces ruraux, Expérimentations, Partenariat Public-Privé
Abstract – There are many concerns caused by the French policy of digital development of
country areas, expressed especially by local authorities. Our study tends to understand these
reservations and to show how they question geography as well as on-going scientific projects on the
concept of learning territories. It therefore explores the concept of digital local area meant as a space for
cultivation of a socio-economy that better integrates online services and users expectations.
Key-words – Digital planning, Digital solidarity, Very high-speed broadband, Local
authorities, Rural areas, Experiments, Public-Private Partnership
1
Maître de conférences en Aménagement. Université de Pau et des Pays de l’Adour.
[email protected]
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INTRODUCTION
Le gouvernement français a fixé en 2010 ses priorités en matière de
développement de solutions d’accès performantes à l’Internet. Près de 2 milliards
d’euros seront consacrés au déploiement des infrastructures Très Haut Débit (THD)
afin de tenter de tenir l’objectif d’une couverture totale du territoire en 2025. Le grand
emprunt français, récemment renommé « investissements d’avenir », cible ainsi une
première vague de financement de 53,1 millions d’aides affectée à 14 projets, dont la
moitié concerne des territoires en zone blanche. Ces opérations visent à définir les
conditions de déploiement de la fibre optique dans les zones les moins denses du
territoire national. Pourtant, à l’image de l’appel lancé le 31 août 2011 par sept
collectivités délégantes de réseaux d’initiative publique2, la politique gouvernementale
en matière d’aménagement numérique des territoires questionne. Nombre de
collectivités locales, d’acteurs numériques et d’observateurs redoutent en effet que les
choix opérés ne permettent pas d’avancer au risque de creuser de nouvelles fractures
numériques. Dans un premier temps, il sera donc nécessaire de comprendre les
fondements à la fois de la politique nationale dans ces domaines et des craintes qu’elle
suscite.
Par-delà ces aspects concernant une actualité par définition éphémère, ces
questions nous semblent surtout offrir un prisme original pour approfondir les
travaux théoriques présentés dans « Territoires apprenants » (Jambes 2001) et dans
« Le lien plus que le lieu » (Jambes 2005). Dans ces ouvrages, nous tentions d’analyser,
à travers le prisme du développement territorial, quelques-unes des modalités
d’émergence d’organisations apprenantes, c’est-à-dire plus à même d’appréhender la
complexité des questions à résoudre en étant capable d’apprendre davantage de son
action et de celles des autres. Nous montrions alors de quelles manières cette
approche inspirée des théories cognitives sous-tendait une transformation significative
du concept de territoire pris dans son acception politique. Nous esquissions enfin une
direction scientifique construite autour de formes d’apprentissage et de conventions
organisées en projets.
Les travaux réalisés au sujet de l’aménagement numérique du territoire
prolongent ce chantier géographique. Ils révèlent notamment de quelles manières une
situation problème, en matière d’aménagement numérique dans notre cas, peut parfois
renforcer les liens entre espace et sociétés locales pour forger des organisations de
proximités sociales plus solides. Les entretiens, les portraits, les enquêtes et les
expérimentations développés dans les domaines du numérique territorial se révèlent à
ce titre riche d’enseignements. Ils seront abordés dans une seconde partie.
2
http://maitrisernotreamenagementnumerique.wordpress.com/
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L’aménagement numérique du territoire national aujourd’hui
La politique de l’Etat français en matière d’aménagement numérique se
cherche encore une véritable matérialité. Seules en fait à ce jour, les programmes des
opérateurs de télécommunications et les initiatives des collectivités territoriales
proposent, au cas par cas, des solutions opérationnelles pour déployer des réseaux
Haut et Très Haut Débit. En zone rurale notamment, affermages, concessions,
partenariats public-privé demeurent encore les seules véritables solutions déployées.
Au niveau national, les débats n’ont pris que récemment une tournure plus précise. Il a
fallu attendre le rapport commandé par la DATAR aux cabinets Tactis et Seban (2010)
pour affiner les questions budgétaires. La somme de 15 à 30 milliards d’euros
représente désormais un ordre de grandeur communément accepté pour raccorder la
quasi majorité des français à des solutions larges bandes. Selon les auteurs, on
retrouverait d’ailleurs, dans cette estimation, les enveloppes budgétaires, en euros
constants, mobilisées voici plusieurs décennies pour la construction, par exemple, des
infrastructures de distribution électrique.
Comme c’est le cas pour tous les réseaux, le rapport de la DATAR rappelle le
coût important du raccordement des abonnés les plus éloignés. Le budget nécessaire
pour atteindre un taux de couverture de 80% de la population en fibre optique à
l’abonné se monterait ainsi à environ 15 milliards d’euros, dont 6 seraient issus de
financements publics. Mais pour atteindre un taux de couverture de 100%, le montant
des investissements totaux double, la part des aides publiques culminant alors à 15
milliards d’euros. Bien entendu, ce coût du « dernier mètre » impacte particulièrement
les résidents ruraux. Cet argument, rationnel en regard des logiques qui président aux
modes traditionnels de construction des réseaux, s’avère toutefois âprement discuté
par les défenseurs de solutions alternatives. Nous y reviendrons plus avant. Leurs
propositions ne sont d’ailleurs pas sans rappeler des formes de mutualisation de
moyens, de type CUMA, coopératives ou associations syndicales par exemple, bien
connues du monde rural. Mais ces pistes demeurent aujourd’hui à l’état d’idée. En
France tout au moins, aucune véritable solution alternative de construction de réseaux
Très Haut Débit, sous la forme par exemple de coopérative, n’a été tentée. Les
collectivités territoriales et les opérateurs du marché demeurent les maîtres d’ouvrage
quasi exclusifs de ces projets.
Afin de contribuer aux efforts d’aménagement numérique du territoire, l’Etat
a également pris récemment des décisions dans ces domaines. Les annonces actuelles
du Gouvernement portent sur une promesse d’engagement de 2 milliards d’euros. Il
s’agit notamment, via des partenariats avec des opérateurs privés, de jouer un effet
levier. La gestion de ces fonds est confiée à la Caisse des Dépôts et Consignation qui
intervient, en tant que mandataire, pour gérer les subventions et les avances
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remboursables, et pour agir via des financements en fonds propres ou en quasi fonds
propres dans une logique d'investisseur avisé.
Ce montage paraît sans doute adapté aux espaces urbains sur lesquels des
perspectives de rentabilité existent. Son efficacité paraît toutefois sujette à caution
pour l’ensemble des autres espaces. C’est en tout cas l’observation de nombreuses
collectivités territoriales. L'Assemblée des Départements de France (ADF) a ainsi
adopté, le 9 décembre 2010, une motion qui conteste la philosophie et l'économie
générale du Plan Très Haut Débit gouvernemental. Elle demande que l'Etat investisse
au minimum 15 milliards d'euros sur 15 ans pour le déploiement du Très Haut Débit
fixe et mobile. L'ADF affirme que la politique du gouvernement, qui consiste à
subordonner le développement des infrastructures aux opérateurs privés, est néfaste
car seulement guidée par la rentabilité et non par l'intérêt général. Elle réclame
également que les collectivités territoriales puissent désormais être considérées comme
des opérateurs au même titre que les opérateurs privés. Elle estime en outre que les
deux milliards de l’ex « grand emprunt » dédié à l'aménagement numérique du
territoire ne garantissent pas un développement du Très Haut Débit à long terme.
L’Association des Maires Ruraux de France (AMRF) partage ce type de
positions. Elle préconise une solution de financement via la TVA. Il s’agirait de
réserver à l’aménagement numérique des territoires peu denses une part des recettes
de la hausse de TVA sur les offres triple play. Dans un communiqué de presse de
2010, l’association rappelle que “cette idée a fait l’objet d’un amendement au projet de
loi de finances pour 2011 qui a été rejeté lors du vote du Sénat”. Elle entend toutefois
peser de tout son poids pour que la mesure soit présentée de nouveau devant
l’Assemblée Nationale. Le sénateur Hervé Maurey, auteur en 2011 d’un rapport sur les
modalités de financement du déploiement du Très Haut Débit, suggère lui aussi
l’instauration de plusieurs taxes dont une sur les abonnements Internet et téléphonie
mobile. Cette mesure permettrait d’abonder le Fonds d’Aménagement Numérique du
Territoire (FANT) à hauteur de 660 millions d’euros par an pendant 15 ans en
complément des deux milliards d’euros prévus par le grand emprunt. Cette
proposition reste toutefois encore lettre morte.
Le financement de la solidarité numérique demeure donc en chantier. Or, sans
système de péréquation, toute politique d’aménagement des territoires paraît
impossible. Le rapport DATAR (2010) propose à ce sujet un comparatif des solutions
de péréquation utilisées en France. Electricité, gaz, autoroutes, Poste, Eau (…), les
auteurs rappellent que la péréquation géographique a été largement la règle.
Schématiquement, elle utilise les recettes tirées des zones denses, supposées rentables,
pour financer le déploiement des infrastructures ou des services dans des secteurs peu
denses. Les décisions prises pour soutenir le déploiement des réseaux électriques,
solutions bien connues des communes françaises, illustrent l’une des pistes possibles.
Les concessionnaires de ces réseaux sont soumis à un prélèvement proportionnel au
nombre de kilowatts/heure fournis. Ces prélèvements viennent abonder les Fonds
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d’Amortissement des Charges de l’Electricité (FACE) dont les recettes financent
ensuite la couverture rurale.
Directement liée à la question budgétaire précédente, les possibilités
d’utilisation des infrastructures existantes, en particulier celles de l’opérateur
historique, s’avèrent elles aussi mal définies. Une très grande partie des fourreaux de
France Telecom s’avère en effet propriété des collectivités territoriales.
Schématiquement, ceux datant d’avant 1996 ont été financés en totalité ou en grande
partie par les collectivités locales. Ceux posés ultérieurement ont eux aussi
fréquemment bénéficié de l’intervention publique des collectivités. Or, les possibilités
d’occupation de ces fourreaux butent sur de nombreux problèmes. Inventaire des
infrastructures existantes tenu quasi secret, modalités juridiques de remise à la
disposition des collectivités peu opérantes, systèmes d’information défaillants, le flou
reste la règle. Cosignataire d’une proposition de loi relative au service public local du
Très Haut Débit3 , le sénateur Gérard Bailly estime d’ailleurs à ce sujet que la
législation doit évoluer. Il réclame une transparence complète et veut savoir ce qui
existe et ce que l’on peut en faire.
Le chantier du déploiement de réseaux Très Haut Débit a donc du mal à
véritablement démarrer en France. Pourtant, si l’on parvenait à jouer de manière
complémentaire à la fois sur les possibilités d’utiliser les infrastructures existantes, sur
les solutions de mutualisation de réseaux entre plusieurs opérateurs qui permettent de
réduire significativement les coûts de génie civil4 et sur les solutions de déploiement
de fibre optique en aérien sur des lignes électriques basse tension, le projet se dévoile
en fait sous un jour beaucoup moins sombre que celui parfois présenté.
Techniquement, ces projets ne posent pas problème. Commercialement, les
expériences réalisées montrent l’appétence des consommateurs ruraux pour ces
offres ; les parts de marché fibre optique progressent plus rapidement dans les
campagnes que dans les villes. Techniques connues, possible maîtrise des coûts de
déploiement, performances commerciales significatives (…), le problème de
l’aménagement numérique des campagnes ne serait-il pas au moins autant politique et
organisationnel que financier ? Politique, car la France reste dans l’attente de décisions
fortes de la puissance publique, notamment quant à la séparation des activités
infrastructures et services de l’opérateur historique. Organisationnel puisque la
maîtrise des budgets et des calendriers exige à la fois une véritable consolidation des
coopérations et souvent un élargissement des compétences « d’acteurs réseaux locaux
». Il en est de même sur le lancement de politiques de soutien aux services en ligne,
notamment d’intérêt public. Services à la personne, solutions « habitat intelligent »,
plates-formes éducatives au sens large (…), les discussions financières et techniques
sur l’aménagement numérique occultent bien trop souvent ce volet pourtant clé.
Autant de préalables sans lesquels le devenir numérique des zones peu denses reste
3
http://www.senat.fr/rap/l03-021/l03-0210.html
Le budget Génie civil représente entre 50 et 80% du coût total de déploiement des réseaux
Très Haut Débit.
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mystérieux et l’intérêt des choix politiques en matière d’aménagement numérique des
territoires largement discuté.
Le modèle français en matière de solutions Très Haut Débit donne partout,
en ville comme dans les campagnes, la priorité aux infrastructures. Le modèle retenu
en milieu rural consiste à subventionner les réseaux en laissant « le marché » faire son
affaire des services. Ce choix peut sembler logique, tout au moins en regard de la
rationalité qui préside aux décisions publiques dans ces domaines. Il s’inscrit
notamment dans le droit fil de la loi française, en particulier de l’article 1425.1 du
Code Général des Collectivités Territoriales. Il correspond également à la tradition
aménagiste française en matière d’infrastructures et aux compétences des personnes
publiques concernées. C’est d’ailleurs cette voie qui anime l’essentiel des projets de
Réseaux d’Initiative Publique lancés en France. En 2010, plus de 20 d’entre-deux
intègrent une composante fibre optique à destination des particuliers (FTTH5
notamment). Autant de « bonnes raisons » par conséquent pour avancer ainsi.
Les expériences étudiées depuis plusieurs années révèlent pourtant les limites,
parfois même les impasses, de cette approche à dominantes infrastructure et marché :
modèle juridico-financier difficile à inventer pour les zones peu denses ; absence
d’opérateurs nationaux comme ceux utilisés pour la plupart des autres réseaux,
électrique par exemple ; logiques de construction des réseaux contestées… Blogs et
forums fourmillent de réactions, de prises de positions ou d’idées qui attestent du
décalage entre la réalité des chantiers de déploiement, en particulier en zones peu
denses, et l’ampleur des attentes.
Parallèlement, dans les zones urbaines cette fois, les performances
commerciales des réseaux Très Haut Débit se révèlent médiocres. Toutes solutions
cumulées6, environ 6 millions de foyers français peuvent aujourd’hui se raccorder à
une solution optique. Or, moins de 400000 ont décidé de souscrire à une offre7. Selon
un article de Réseaux Telecoms du 10 juin 20108, les abonnés au haut débit ne seraient
pas intéressés par la fibre : « le réseau DSL est excellent et personne ne voit l’intérêt de
basculer sur la fibre ». Une étude réalisée en 2009 par Free auprès de ses abonnés
indiquait que 76% d’entre eux refuseraient de se désabonner pour basculer sur la fibre
d’Orange, même si l’opérateur historique affichait un tarif du très haut débit similaire à
celui de Free pour le DSL. Les particuliers résidant en zones denses estimeraient
Ftth : Fiber To The Home.
Ftth, Fttb (building / fibre en pied d’immeuble et remontée en cuivre), Fttla (dernier
amplificateur – solution type Numéricable)…
7 http://www.clubparlementairedunumerique.fr/actualite-secteur/septembre-2010/169deploiement-des-reseaux-fibre-ou-en-est-la-france8 http://www.reseaux-telecoms.net/actualites/lire-tres-haut-debit-les-francais-pas-convaincus22145-page-1.html
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n’avoir pas encore aujourd’hui de vraies bonnes raisons de passer du cuivre à la
lumière.
Entre des zones rurales en demande, mais orphelines de politique nationale,
des espaces urbains cibles naturelles des premiers réseaux optiques mais dont les
abonnés s’avèrent encore peu intéressés, et des grands opérateurs encore largement
concentrés sur l’exploitation de leurs « mines cuivre », l’aménagement numérique des
territoires se cherche en cultivant les paradoxes. Pareille situation interroge. Comment
et où véritablement lancer le Très Haut Débit en France ? Avec les options
actuellement retenues, quel sera le rythme de déploiement de solutions performantes
d’accès à l’Internet pour les zones peu denses ? Pourquoi ce qui a été possible dans les
autres réseaux, notamment le recours à un système national de péréquation, s’avère
toujours en attente dans le cas d’infrastructures de télécommunications pourtant
chaque jour davantage synonyme de services d’intérêt public? Les interrogations
restent nombreuses ; elles pourraient laisser augurer de sombres perspectives en
matière d’aménagement numérique des territoires ruraux.
Face à une telle situation, les réactions ou les prises de position sont légions.
Les unes s’organisent sur un mode revendicatif ; elles réclament les moyens d’une
vraie solidarité numérique nationale. Les autres expérimentent au quotidien, souvent
avec succès, des solutions juridiques et organisationnelles alternatives. PME, centres
d’affaire ou de télétravail, associations de développement numérique, petits et moyens
Fournisseurs d’Accès Internet (…), les territoires ruraux français fourmillent
d’initiatives. Bien entendu, ces projets restent limités; ils constituent encore le plus
souvent de simples expériences. Ils esquissent toutefois des principes alternatifs et
révèlent surtout l’intérêt de favoriser, aussi, les organisations locales.
Des « initiatives ressources » pour le rural : portraits de défricheurs
numériques
Zones blanches mais territoires actifs : pareille dialectique nous replonge ainsi
aux origines du développement local, aux sources de ces processus organisés dans la
proximité en réaction aux dysfonctionnements du « marché » par des groupes
particulièrement féconds. Le cas des actions organisées sous l’impulsion de la Jeunesse
Agricole Chrétienne, aux tournants des années 1960, constitue l’un des exemples les
plus intéressants de ce type de réactions productrices. Projets, organisations, filières ou
processus, bien des piliers de l’économie rurale contemporaine ne trouvent-ils pas
quelques-unes de leurs racines dans ces mouvements? L’étude des quarante dernières
années semble le démontrer. En ce qui concerne la situation numérique actuelle des
territoires ruraux, l’hypothèse que nous formulons se réclame de cette épistémologie
du développement local. Les expériences, les projets et les travaux réalisés dans ce
domaine laissent en effet à penser que la quasi déshérence numérique dans laquelle
restent tenues bien des campagnes de notre pays peut parfois constituer un puissant
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socle de développement territorial. La volonté de dépasser une situation problème
produirait, au titre de cette hypothèse, à la fois de nouvelles adhérences et de nouvelles
ressources territoriales.
Par nouvelles adhérences, nous désignons les liens qui se créent entre des
entrepreneurs du numérique, au sens large, et des territoires ruraux numériquement
enclavés pour lesquels lesdits entrepreneurs se transforment en véritables acteurs
locaux. Les exemples de ces cas de figure s’avèrent nombreux. Selon des modalités
d’actions différentes, Laurent Caplat et son entreprise9 installée dans un village de
Lozère, Xavier de Mazenod promoteur du télétravail, Pierre Ygrié animateur du web
du Gévaudan, Olivier Zablocki qui en appelle à une autre logique de construction des
solutions réseaux, ou Bernard Garrigues défenseur des « sections de commune10 »
comprises comme des lieux naturels de déploiement d’infrastructures de
télécommunication neutres, font partie de cette longue liste de défricheurs. Leurs
intuitions, leurs projets ou leurs réalisations confirment l’existence de solutions pour
des territoires ruraux parfois pourtant considérés comme autant d’impuissantes
victimes expiatoires d’un marché de l’accès à Internet obnubilé par les zones denses.
C’est parce que c’était difficile que ces acteurs locaux ont décidé d’agir ; c’est de cette
difficulté originelle que naissent ce que nous nommons ces initiatives ressources,
certes quantitativement modestes mais dont la créativité semble pouvoir jouer un rôle
d’entraînement.
Les travaux réalisés à ce sujet associent, d’un point de vue méthodologique, un volet
« expérimentations », notamment à travers la direction technique de projets de
développement numérique territorial11, et un dispositif d’enquêtes, d’entretiens ou
d’échanges avec un panel d’acteurs numériques français publics et privés12. La partie
expérimentale a permis à la fois d’entrouvrir les boites noires de la complexité des
processus de prises de décision politique et de mieux appréhender les dimensions
financières, juridiques ou techniques inhérentes à ces opérations. Le volet entretien et
construction de réseaux d’échanges donne les moyens d’enrichir cette plate-forme de
travail initiale en la confrontant aux idées, aux propositions et aux inventions de
partenaires. Ces instruments offrent un prisme complémentaire pour analyser les
politiques actuelles en matière d’aménagement numérique national sous l’angle du
développement local et des moyens d’actions ou de négociations des territoires ruraux.
L’agence BM Services connue via le portail de E commerce bienmanger.com
La section de commune est définie par les articles L2411-1 À L2412-1 du Code Général des
Collectivités Territoriales et les articles réglementaires correspondants. « Constitue une section
de commune toute partie d’une commune possédant à titre permanent et exclusif des biens et
des droits distincts de ceux de la commune ».
11 Direction technique de 1999 à 2009 d’un des premiers projets français de déploiement de
solutions très haut débit fibre optique, l’opération Pau Broadband Country lancée par la
Communauté d’Agglomération Pau Pyrénées.
12 Une partie de ces échanges est partagée dans le blog créé à cet effet ; un blog dédié au
développement numérique territorial : http://numericuss.com.
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Les trois portraits proposés plus avant s’intègrent dans ce dispositif. Ils ne
revendiquent aucune espèce de représentativité de la population des acteurs
numériques. Ils cherchent avant tout à mettre en perspective les politiques
d’aménagement numérique des territoires ruraux. On lira ainsi les idées comme les
positions qui suivent comme autant de manières d’interroger ces politiques. Impact du
numérique en matière de relocalisation d’activités en zones rurales, créativité sociotechnologique, modalités innovantes de déploiement des réseaux Très Haut Débit,
invention de nouveaux métiers, tels sont schématiquement les domaines que nous
avons choisis d’explorer grâce aux entretiens réalisés avec Laurent CAPLAT, Xavier
de MAZENOD et Olivier ZABLOCKI.
Laurent CAPLAT dirige l’agence web B.M Services installée à une
cinquantaine de kilomètres au nord de Millau, à La Canourgue, le chef lieu d’un
canton de Lozère d’environ 3000 habitants. Sa société a notamment lancé, voici déjà
dix ans, le site de vente en ligne spécialisé dans les produits du terroir
www.bienmanger.com. L’entreprise emploie aujourd’hui une trentaine de salariés
permanents et une quinzaine en plus dans les périodes de fortes activités. Dans ce
village, la présence de l’agence est également synonyme d’une trentaine d’enfants
scolarisés.
Laurent CAPLAT, chef d’entreprise issu d’une famille lozérienne, a grandi et
a développé ses premières activités professionnelles ailleurs. Il a choisi La Canourgue,
aux hasards de parcours familiaux et amicaux, à la fois comme le résultat d’un choix
raisonné et comme un défi. Un choix raisonné car la comparaison des coûts
d’installation en région parisienne, un des sites initialement envisagés, et en Lozère
militait pour cette dernière. Un choix raisonné car il lui semblait plus logique, pour
une entreprise spécialisée dans la vente de produits de terroir, d’être elle-même
installée dans un terroir. Ce chef d’entreprise explique l’importance qu’attachent ses
clients à cette proximité. Une localisation rurale, comme le choix de vie qui en
découle, ne pouvaient toutefois pas se faire au détriment des outils de travail
indispensables à l’entreprise. Agence Web et E-commerce obligent, au premier rang
d’entres eux figuraient bien entendu les aspects liés aux conditions d’accès à l’Internet.
Le défi consistait à trouver ces solutions et, plus encore, à pouvoir les faire évoluer au
fur et à mesure de l’augmentation des besoins d’une entreprise passée, en quelques
années, d’une poignée de collaborateurs à plus d’une trentaine.
Pour résoudre pareille question, Laurent CAPLAT illustre l’une des modalités
de réponses parmi les plus fréquemment observées dans les expériences que nous
avons étudiées en France. Il représente le cas de ces entrepreneurs ruraux qui ont
décidé de jouer local et réseaux de proximité. Comme si les difficultés d’accès au
réseau Web refaisaient territoire, on remarque en effet de quelles manières, et souvent
avec quelle intensité, ces situations problème produisent de l’organisation locale.
Créations d’associations, expérimentations, inventions, comme cela a été d’ailleurs
souvent le cas dans les coopératives ou d’autres formes de groupements agricoles, la
gestion du problème numérique renforce à la fois les bonnes raisons de devenir acteur
et les liens entre individus et territoire. Laurent CAPLAT est par exemple l’un des
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membres fondateurs des Web du Gévaudan13, une association qui entend promouvoir
le développement de la Lozère via, l’économie et les services numériques.
Les web du Gévaudan croient dans le potentiel de ce département d’environ
75.000 habitants. Ils estiment possible d’accueillir entre 20.000 et 30.000 personnes
supplémentaires et défendent pour cela une politique de relocalisation économique
fondée, notamment, sur le numérique. Laurent CAPLAT démontre à ce sujet de
quelles manières l’économie numérique transforme le rapport à l’espace et comment
elle élargit les champs des possibles en matière de localisation d’activités et d’emplois.
Son entreprise confirme que l’économie numérique offre de nouvelles opportunités
pour des espaces ruraux. Dans les métiers de l’entreprise de Laurent CAPLAT, les
centres de connaissance se développent en effet aujourd’hui de plus en plus sur
l’Internet. Partage de documents, travail collaboratif, visioconférences, échanges
électroniques, wiki (…), le Web stimule une autre forme de proximité avec les clients
et rend possible des localisations encore baroques voici 5 à 10 ans.
Xavier de MAZENOD illustre une autre forme d’adhérence entre le
numérique et la socio-économie rurale. Cet entrepreneur a créé en 2002 à Nanterre la
société Adverbe14 qui prodigue du conseil et de la formation pour le développement
des entreprises par Internet. Ses domaines de compétence concernent en particulier la
E-réputation de ses clients et leur identité en ligne. En 2003, Xavier de MAZENOD a
décidé de quitter la région parisienne et a cherché à adapter son métier à sa future
localisation. En 2004, grâce aux solutions de télétravail déployées, il s’installe ainsi à
Boitron, à 20 km d’Alençon dans l’Orne, où il exerce toujours son métier. Le choix de
ce village de 300 habitants est le résultat d’une part de sa relative proximité de Paris,
moins de 2 heures, et, d’autre part, de la décision du département de déployer un
réseau radio (Wimax) permettant de sortir de l’impasse des vieux modems 56k.
Depuis, Xavier de MAZENOD est devenu un véritable promoteur du télétravail et un
acteur du développement de l’Orne. Il a participé à plusieurs opérations de marketing
territorial qui ciblent les candidats au départ et anime des réseaux sociaux dédiés. Pour
lui, le télétravail constitue l’un des principaux leviers à même d’attirer de l’activité en
milieu rural. La France reste en effet largement sous-développée dans ce domaine.
Notre pays compte, selon Xavier de MAZENOD, environ 7 et 9% de télétravailleurs.
C’est l’un des taux les plus bas des pays de l’OCDE où la moyenne oscille autour de
19%, avec un record de plus de 35% en Finlande. Le potentiel de relocalisation
d’actifs ruraux s’avère donc considérable.
A partir de son expérience réussie, Xavier de MAZENOD a créé une
communauté dédiée au sein du site Internet zevillage.com. Il anime également un
réseau de plus de 100 télétravailleurs, souvent ruraux, et participe activement au
développement d’une véritable politique d’accueil dans l’Orne. A l’instar des
opérations déjà lancées en Limousin, dans le Gers ou dans le Cantal, l’Orne a en effet
13
14
http://websdugevaudan.wordpress.com
http://www.adverbe.com
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récemment décidé de construire un réseau de « télécentres » pour lequel celui de
Boitron, ouvert en 2010 sous maîtrise d’ouvrage communale, fait office de prototype.
Ces espaces tertiaires proposent notamment des solutions d’accès à l’Internet
performantes. Pour celui de Boitron par exemple, installé dans une ancienne école
aménagée, un marché a été passé avec un opérateur spécialisé15 pour la fourniture d’un
lien de 30 Mbps symétriques pour 100 euros par mois. Xavier de MAZENOD, néorural télétravailleur, a ainsi pris une place significative dans la société locale. Membre
du conseil municipal et du comité des fêtes, partenaire du département et de la région
pour soutenir l’accueil de nouveaux actifs télétravailleurs, le cas de cet entrepreneur
montre de quelles manières les chantiers d’aménagement numériques ruraux
débouchent sur d’autres projets de développement territorial, notamment en
renforçant les liens entre des territoires et des citoyens devenant de plus en plus
acteurs.
Le dernier des entretiens, avec Olivier ZABLOCKI, confirme l’observation
de Xavier de MAZENOD. Il l’élargit même à des perspectives à la fois sociales,
économiques et industrielles. Depuis la naissance de GeoRezo, l’expérience du Collège
Régional de Prospective (Poitou-Charentes) et de RadioPhare sur l’île de Ré, Olivier
suit, expérimente et travaille le développement numérique dans une logique de contrepied. Aux méthodes de déploiement des réseaux haut débit depuis ce que l’on pourrait
schématiquement nommer les «autoroutes de l’information », ces grandes artères et
places de marché qui organisent le Web, Olivier préfère les logiques de construction à
partir de la maison. Il fait partie de ceux qui ont inventé la formule du « premier
mètre » en lieu et place du redoutable « dernier mètre » séparant le backbone de
l’abonné final et sur lequel butent nombre d’opérateurs. Olivier pense en effet que l'on
néglige les attentes et les capacités des «gens de base ». Il suggère d’inverser les
logiques qui président aux chantiers très haut débit et recommande de travailler
d’abord le réseau domestique, celui de la maison, de l’appartement, de la copropriété,
pour permettre de mieux exploiter ensuite, au service des habitants, les potentialités
des réseaux numériques. Il cherche notamment ainsi à dépasser les limites des seules
offres triple play et leur incapacité avérée dans les réseaux très haut débit à créer
véritablement de la valeur et de l’emploi. « Puisque le marché demeure embryonnaire
et l’appropriation des services un mystère16, puisqu’il n’y aura pas d’habitat intelligent
sans désir, consentement et maîtrise de la part des habitants, alors commençons
vraiment par le commencement, la maîtrise d’ouvrage des propriétaires ». Olivier
ZABLOCKI résume ainsi son projet qui consiste à faire du plus grand nombre de
foyers possibles de véritables nœuds d’échanges et de services.
Pour lancer ce type d’opérations, Olivier travaille au projet de reprise d’une
entreprise artisanale rurale, installée au sud de Clermont-Ferrand, dont les
compétences s’organisent à la fois sur toute la chaîne de construction des réseaux
numériques et électriques à partir d’une offre complète dédiée « maison
Altitudes Telecom - Wibox
Amandine Bruguière responsable du groupe « Habitants Connectés » à la Fondation Internet
Nouvelle Génération
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interconnectée ». A partir de son implantation rurale, Olivier ZABLOCKI compte
déployer ses services en ville. « La stratégie de l'entreprise, c'est bien de se qualifier
d’abord sur un territoire rural plus propice à ce type d’innovation pour s'attaquer
ensuite à des marchés importants. Ce ne sont pas les villes à la campagne que l'on va
mettre mais la campagne à l'assaut des villes ! » Il considère ainsi les
télécommunications de nouvelle génération comme un possible produit d'exportation
du rural vers l'urbain. Le rural s’avère pour lui synonyme de terre de « mise en culture
» et de création de solutions innovantes. En ville, explique-t-il « comme il y a "tout" et
comme les opérateurs ne veulent et ne peuvent rien donner, on bricole avec ce "tout"
de pauvres solutions de déploiement dont la médiocrité (aussi bien dans la mise en
œuvre que dans le résultat) est l’une des causes du désintérêt des gens. Dans le rural, il
n'y a "rien". La page est blanche, toutes les questions peuvent être reformulées. Il est
du coup possible d’y faire naître, ainsi que dans les zones moyennement denses où l'on
peut avoir également beaucoup de chantiers collectifs, le savoir-faire qui fait partout
défaut aujourd'hui. » On imagine sans peine les impacts de ces projets dans le domaine
de l’économie, de l’artisanat et des services. Réseaux d’artisans spécialisés,
certifications associées, services à la personne, solutions territoires augmentés (…)
semblables opérations de développement numérique territorial représenteraient enfin,
pour Olivier, un chantier à la mesure des potentialités des réseaux très haut débit.
De la zone blanche aux terroirs numériques ?
Laurent CAPLAT, Xavier de MAZENOD et Olivier ZABLOCKI illustrent
ainsi le cas de ces défricheurs qui tentent de transformer des espaces encore en marge
de la société de l’information en ce que nous nommons des terroirs numériques. Ces
derniers forment des écosystèmes d’invention et de production de solutions
numériques créatrices de plus-values sociales et économiques. Ils constituent des
espaces de mise en culture numérique davantage organisés autour des services et des
attentes des usagers. Lieu d’accueil de télétravailleurs, sites de développement de
nouvelles activités, laboratoires d’expérimentation dédiés aux innovations « réseaux »
demain, centres de production plus tard, la gamme de leurs réalisations et de leurs
projets parcourt une grande partie du spectre de la socio-économie. Les initiatives
examinées montrent ainsi de quelles manières le traitement de la question numérique
recrée de l’organisation collective apprenante et participe à la production de cet effet
territoire (Jambes 2001) au cœur des processus de développement local. CAPLAT, De
MAZENOD, ZABLOCKI illustrent le cas de ces acteurs du contre-pied. Ils montrent
de quelles manières certains territoires ruraux tentent d’inventer, dans la proximité et
dans des formes de travail réticulaire sur projets, une grammaire alternative aux temps
encore bien imparfaits de la construction de l’aménagement du territoire national.
Les tentatives qui animent les processus étudiés se fondent sur une quasi
inversion des logiques traditionnelles. Aux procédures aménagistes organisées à partir
de travaux d’infrastructures, elles répondent services nécessaires et construction de
chemins vicinaux. Plutôt que d’attendre d’improbables offres d’accès à l’internet par
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les grands opérateurs, elles choisissent de s’auto-organiser ou de jouer la carte
d’acteurs alternatifs. Loin de l’image d’espaces ruraux dépourvus de moyens d’actions
ou de négociations, ce sont donc de véritables politiques territoriales qui s’esquissent
ainsi. Elles se construisent à la fois dans un rapport plus fort entre acteurs et espaces
ruraux et dans une logique de consolidation des liens entre espaces ruraux et villes, sur
le modèle d’un terroir numérique. Des territoires utilisés comme l’un des moyens
d’action, des ressources réseaux pour localiser durablement des activités via des
marchés non locaux, cette économie numérique rurale ne reprendrait-elle pas à son
compte quelques-uns des fondements de l’économie agricole ? Les études de cas
réalisées le laisse à penser aujourd’hui ; leur futur le confirmera, ou pas, demain. Mais,
quel que soit leur destin, les projets étudiés confirment la nécessité de revoir, ou tout
au moins de diversifier, les objectifs qui président à la construction des politiques
nationales d’aménagement numérique. Les expérimentations sélectionnées par le
Gouvernement, présentées comme autant de moyens de préparer le lancement du
programme national « très haut débit », ignorent en effet la piste esquissée par ces
territoires ruraux. Elles se focalisent sur les aspects financiers. Elles pensent «
juridique ». Elles discourent techniques. Mais ne connait-on pas déjà le prix moyen
d’un raccordement en techniques traditionnelles en zone rurale ? N’a-t-on pas déjà
testé, avec succès d’ailleurs, des solutions alternatives, comme le déploiement en aérien
sur support ligne électrique basse tension ? N’est-on pas déjà convaincu de la nécessité
de mutualiser les travaux entre opérateurs de réseau différents ? Ne sait-on pas que
l’une des clés sera la possibilité de maîtriser les infrastructures existantes de l’opérateur
historique ? A toutes ces questions, la réponse est bien entendu affirmative. On a donc
du mal à cerner l’intérêt véritable des expérimentations pour ces sujets. En revanche,
a-t-on tenté de réellement soutenir une politique d’innovations services numériques
très haut débit ? Cherche-t-on à se préparer au monde interconnecté de demain, celui
par exemple des objets communicants, des proximités augmentées ou des habitats
intelligents ? Sait-on ce que seront les économies de ces mondes numériques et
comment notre pays pourrait en tirer profit ? Où sont les terres de mise en culture
expérimentale de la socio-économie numérique de demain ? Si ces réponses existent,
elles demeurent encore non seulement dissimulées mais surtout oubliées des discours
sur le développement numérique national.
Implicitement, les pistes désormais ouvertes, par exemple par les précédents
défricheurs numériques, suggèrent que les espaces ruraux pourraient être certains de
ces territoires laboratoires. Ces pistes suggèrent de mener expériences en campagnes
autour d’une économie du service numérique dont les enjeux sont majeurs :
compétitivité et croissance, modernisation du service public, généralisation de l'accès à
l'information, création et diffusion de nouveaux services dans les domaines de la
culture, de l'éducation, de la formation, de la santé ou du développement durable.
Selon le gouvernement17, un quart de la croissance mondiale provient déjà du secteur
du numérique. Ne faudrait-il alors pas reformuler dans cette direction, le sens des
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http://www.gouvernement.fr/gouvernement/le-developpement-de-l-economie-numerique
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expérimentations de déploiement de réseaux en zones rurales récemment retenues
justement par le Gouvernement ?
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