Le congé individuel de formation

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Le congé individuel de formation
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REPÈRES
Le congé individuel
de formation
Principal outil de formation continue de longue durée, le congé individuel de
formation (CIF) offre la possibilité à tout salarié, de suivre une formation qui
répond à un projet individuel indépendamment des actions de formation de
l’employeur. Le CIF est un droit reconnu depuis les lois de 1971 qui suppose
une décision initiale prise par l’individu lui-même. Or cette démarche
personnelle apparaît souvent difficile à mettre en œuvre.
Le congé individuel de formation (CIF) est une disposition
sociale qui permet à tout salarié
d’obtenir une autorisation d’absence pour suivre une formation de son choix, pendant les
heures de travail et sans perte
totale de rémunération, que
celle-ci ait un lien ou non avec
la fonction occupée. Le CIF a
été créé en 1971 avec la loi fondatrice du 16 juillet qui pose
les jalons de l'organisation de la
formation professionnelle continue. La loi de 1971 a mis l’accent sur la formation comme
moyen d’adaptation des travailleurs aux changements des
techniques et des conditions de
travail. Le texte a conduit à
opposer les objectifs définis par
l’employeur : le plan de formation ; à ceux que chaque salarié
pouvait se fixer : le congé de
formation. Ce dernier est supposé répondre à des intérêts
personnels et non professionnels dans le cadre de l'éducation
permanente.
Se former contre
l’avis de
son employeur
La loi du 4 mai 2004 « relative
à la formation professionnelle
tout au long de la vie » transcrivant les principales dispositions
de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 20 septembre 2003, a considérable-
ment remodelé le système législatif en cherchant notamment à
réconcilier les deux volets antagoniques de la loi de 1971
(congé de formation et plan de
formation). Le CIF a survécu
au texte de loi qui a introduit
une modalité supplémentaire
d’accès à la formation pour les
salariés : le « droit individuel de
formation » (DIF). Aujourd’hui,
trois voies sont offertes aux
salariés pour organiser leur
départ en formation. D’abord, le
plan de formation de l’entreprise qui regroupe les formations déterminées par les projets
de l’employeur et qui correspond à sa politique de gestion de
ressources humaines ; ensuite
les actions de formation qui sont
décidées en commun par le salarié et l’employeur et qui prennent
la forme soit du droit individuel
à la formation soit de la période
de professionnalisation ; enfin le
CIF qui reste à la seule initiative du salarié. Le processus de
formation tourné vers les salariés mobilise ainsi plusieurs
outils en distinguant ce qui relève de l’initiative de l’employeur
(plan de formation), des
branches professionnelles (professionnalisation) et du salarié
(CIF). Au cœur de la réforme, le
DIF accorde à tout salarié d’accéder à 20 heures de formation
par an cumulables pendant 6
ans. Dans la mise en œuvre de
ce dispositif comme dans celui
du CIF, l’initiative de la forma-
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tion appartient au salarié mais,
dans le cadre du DIF, le salarié
demandeur doit toutefois recevoir l’accord de l’employeur
sur le choix des actions dispensées. En cas de désaccord deux
années consécutives, le salarié
peut formuler une demande de
CIF. Celle-ci bénéficie alors
d’une priorité d’instruction et de
prise en charge par l’organisme
paritaire agréé au titre du congé
individuel de formation (OPACIF) dont il relève. Si la demande est acceptée, parce qu’elle
satisfait aux priorités et critères
de l’organisme paritaire, l’employeur doit verser à l’OPACIF,
le montant de l’allocation de
formation correspondant aux
droits acquis par le salarié au
titre du DIF. Selon un rapport
de la Délégation générale à
l’emploi et à la formation professionnelle (« Premiers éclairages sur la réforme de la formation professionnelle »,
octobre 2006), les refus de
l’employeur sont faibles en
nombre et portent généralement
sur des erreurs dans la procédure : la durée de la formation
souhaitée excède les droits
ouverts du DIF.
Les attraits du CIF
A l’instar de cette disposition,
d’autres articles de la loi du
4 mai 2004 viennent renforcer
la légitimité du CIF. Nombreux
sont les salariés qui ne cher-
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REPÈRES
chent pas nécessairement à
s’adapter à leur entreprise mais
souhaitent améliorer leur situation professionnelle et sociale.
Le CIF fait partie intégrante des
moyens offerts au salarié pour
lui permettre d’être "en mesure,
tout au long de sa vie professionnelle, de développer, de
compléter ou de renouveler sa
qualification, ses connaissances,
ses compétences et ses aptitudes
professionnelles". Toute formation peut faire l’objet d’une
demande de CIF, à condition
que celle-ci réponde à la définition d’une « action de formation » avec un objet précis :
adaptation à un nouvel emploi,
promotion dans l’emploi occupé, adaptation à de nouvelles
techniques ou à de nouvelles
structures de l’entreprise. Mais
elle peut s’inscrire dans un projet pour changer d’activité ou de
profession, pour accéder à un
niveau supérieur de qualification voire pour accéder plus largement à la culture, à la vie
sociale et à l’exercice des responsabilités associatives bénévoles. Le congé peut également
être accordé à un salarié pour
préparer et pour passer un examen ou un bilan de compétences, pour valider les acquis
de son expérience. La durée
classique du CIF est d’un an
maximum pour une formation à
temps plein, et de 1 200 heures
pour un stage à temps partiel,
tout en étant rémunéré à hauteur
de 80 % de son salaire. Pour
bénéficier de ce droit, le salarié
titulaire d’un CDI doit justifier
d’une ancienneté de 24 mois
dont 12 mois dans l’entreprise.
Le CIF est assimilé à une période effective de travail pour la
détermination des congés et de
l’ancienneté. Le contrat de travail n’est pas rompu mais suspendu et à l’issue de la formation, le salarié doit réintégrer
son poste de travail ou un poste
équivalent. La situation des salariés en CDD prenant un congé
individuel de formation est particulière puisqu’il ne s’agit pas
vraiment d’une absence au poste
de travail. La formation se déroule généralement en dehors de la
période d’exécution du CDD, au
plus tard 12 mois après le terme
du contrat. Parmi toutes les possibilités offertes au salarié, le
CIF semble être le dispositif le
plus ouvert à un projet individuel en dehors de l’entreprise.
Il permet à tout salarié, au cours
de sa vie professionnelle, de
suivre, à son initiative et à titre
individuel, des actions de formation, indépendamment de sa
participation aux stages compris
dans le plan de formation de son
entreprise et mis en œuvre au
titre du DIF ou des périodes
de professionnalisation.
L’employeur, qui peut demander
à différer un CIF, ne peut le refuser à un salarié qui remplit les
conditions pour en bénéficier.
L’initiative individuelle : une notion
trompeuse
Outre la difficulté dans de
nombreuses situations professionnelles à s’absenter de son
travail pour suivre une formation longue, les contraintes,
qu’impose le dispositif, limitent fortement la liberté de
choix des salariés. Les organismes paritaires agréés gèrent
l'excès de demandes par rapport aux possibilités de financement selon les critères et les
priorités qui tendent à favoriser les moins qualifiés et les
catégories professionnelles les
plus éloignées de l’accès à la
formation. Ainsi l’offre de formations est calibrée en fonction des différents types de
stages qualifiants ou diplômants, comme ceux notamment mis en œuvre par l’AFPA
ou les GRETA (plus du tiers de
l’ensemble des CIF) dans le
cadre d’autres dispositifs ou
programmes. Si la décision de
s'inscrire à un CIF relève bien
de l'individu, cette initiative
se voit donc fortement organisée et contrainte par le fonctionnement des organismes
paritaires. Les salariés ne sont
guère en situation de peser sur
les offres pour obtenir une formation qui correspond à leurs
aspirations personnelles. Ils se
rabattent sur des stages qui
sont souvent des réponses à
des problèmes d’emploi ou
d’activité professionnelle axée
Connexions 12
sur les objectifs productifs des
entreprises alors que le CIF
doit s’ouvrir sur des formations ayant une tout autre portée, plus largement à la culture et à la vie sociale comme le
précise la loi. De nombreux
chercheurs se sont intéressés à
la question de l'initiative individuelle dans la formation des
adultes. Fabienne Berton et
Mario Correia soulignent à ce
propos que « les individus qui
souhaitent suivre une formation, quelle qu'en soit la motivation, ne peuvent le faire que
sous réserve de se couler dans
les formats de l'offre de formation. L'initiative individuelle se développe ainsi en
situation contrainte, soit par
la nécessité de financements
dont les individus ne sont pas
maîtres, soit par la nécessité de
s'adapter aux objectifs de formation et de diplôme». Un rapport de la DARES (Premières
informations, Premières synthèses, mars 2001) vient compléter la question des interactions entre « individuel » et
« collectif » en matière de formation. Cette étude soulignait
les liens entre logiques de
management des entreprises et
initiatives individuelles dans
le cas particulier du CIF. C'est
dans les entreprises qui forment le moins leurs salariés
que l'on trouve aussi le moins
de demandes de congé et ce
sont les salariés des entreprises
particulièrement impliquées
dans la formation continue qui
en bénéficient le plus. Une
meilleure connaissance du système de formation de la part
des salariés, ainsi que des pratiques dispensatrices de formation de la part de la hiérarchie et
des responsables de ressources
humaines, contribue certainement à des départs plus fréquents
en congé de formation. S’il
appartient au salarié de
« construire » son CIF, le recours
à la notion d’initiative peut difficilement se penser en dehors de
la situation de travail et plus
généralement des cadres collectifs à l’exercice des droits individuels ; d’où la difficulté d’opposer initiative individuelle et
initiative des entreprises.
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En France, 38 000 salariés ont
bénéficié en 2004, d’un congé
de formation (près de 0,3 % de
l’ensemble des salariés concernés). 31 000 congés ont été
accordés en CIF-CDI (ce qui
correspond à un taux d’acceptation de 57 %) et 7 000 en CIFCDD (taux d’acception de
74 %). A la RATP, l’organisme
paritaire chargé de collecter et
de gérer les fonds au titre de la
formation continue, l’AGECIF
RATP, a accepté, en 2006, 133
demandes sur 276 demandes
recevables soit un taux d’acceptation de 48 %.
Un système
inégalitaire
Les raisons qui peuvent conduire un salarié à suivre un CIF, sont
nombreuses. Cependant ce droit
à la formation n’a jamais réussi,
malgré les différentes réformes du
système, à drainer l’ensemble de
la demande individuelle de formation. Une récente étude du
Fongecif Île-de-France, destinée
à améliorer la qualité de l’offre de
formation, a mesuré l’impact de
ce dispositif sur les parcours professionnels des salariés (« Le
congé individuel de formation en
Ïle-de-France : qui s’en empare et
à quelles fins ? », A. d’Agostino
et M. Möbus, Céreq). Les bénéficiaires visent majoritairement
un diplôme ou un titre homologué
(57 % de la population étudiée).
Au second rang, mais nettement
moins représentés, figurent ceux
visant une attestation (39 %).
Enfin, la préparation d’un titre
professionnel est très minoritaire (4 %). Les certifications
préparées par les bénéficiaires
correspondent principalement, et
à part pratiquement égale, à trois
niveaux de formation : le niveau
CAP-BEP (27 %), le niveau
bac+2 (25 %) et les niveaux
supérieurs (licence, maîtrise…
soit 25 %). Quant aux spécialités de formation préparées, 47 %
d’entre elles concernent celles
qui ont trait aux grandes fonctions de l’entreprise (informatique, gestion de production,
comptabilité, secrétariat, etc.)
et 32 % des spécialités tertiaires
sectorielles (tourisme, hôtellerie-restauration, santé, etc.). Les
formations préparées dans le
cadre du CIF ont très majoritairement (60 %) une durée supérieure à 800 heures, dont la
moitié atteint ou dépasse les
1 200 heures. Enfin, 85 % des
bénéficiaires ont obtenu la certification visée. L’échec est plus
fréquent parmi ceux qui recherchaient un titre professionnel
(26 %). D’une manière générale,
il ressort de l’enquête que le CIF
est avant tout perçu comme un
dispositif porteur d’aspirations,
un vecteur de mobilités professionnelles. Les bénéficiaires souhaitent avant tout se reconvertir
professionnellement. Après leur
sortie de formation, 41 % des
bénéficiaires ont changé de
profession, 32 % ont changé
d’employeur, et autant (31 %)
occupent un emploi de niveau
de qualification supérieur. Le
bilan relatif à la sécurité de
l’emploi, est en revanche plus
mitigé : un cinquième des bénéficiaires sont sans emploi après
leur sortie de CIF.
Par ailleurs, l’étude fait écho aux
nombreuses critiques du dispositif de formation professionnelle
en montrant la persistance des
inégalités d’accès. Ce sont les
salariés débutants déjà diplômés
qui sont surreprésentés parmi les
candidats au CIF. A l’inverse, la
demande de CIF est relativement plus limitée parmi les
moins formés des salariés et plus
particulièrement ceux, nombreux, qui ont une ancienneté
professionnelle importante.
Alors que le CIF est le seul dispositif qui permet d’acquérir un
niveau de qualification supérieur à celui que l’on détient, il
bénéficie surtout à une population déjà de haut niveau de formation initiale. Ce constat invite
à s’interroger plus globalement
sur les causes de désintérêt pour
la formation des actifs les moins
qualifiés. Selon les auteurs, la
démarche préalable à la constitution d’un dossier de demande
est jalonnée de difficultés (compréhension et intégration des
règles, réalisation du dossier,
information sur les formations et
leur accès) qui pénalisent sans
aucun doute les salariés les
moins dotés en formation.
RAISONS DU RECOURS AU CIF ET OBJECTIFS POURSUIVIS
Objectifs poursuivis
Faire
reconnaître
son expérience
par une
qualification
Évoluer dans
son métier
Changer
d’activité ou de
profession
Autre
Total
2%
3%
6%
1%
12%
Se préparer face
à un risque de
licenciement
pour motif
économique
2%
3%
5%
0%
9%
Quitter l’entreprise sans pour
autant que l’emploi soit menacé
2%
2%
5%
0%
9%
Avant tout réaliser un projet
personnel et/ou
professionnel
7%
2 2%
35%
2%
65%
Autre raison
1%
1%
2%
1%
4%
Total
13 %
31 %
53 %
3%
100 %
Raisons du
recours
au CIF
À titre personnel dans une
position difficile
au sein de
l’entreprise
Source : enquête Céreq –Fongecif IDF 2003
R EPARTITION PAR NIVEAU DE FORMATION ATTEINT
100%
90%
2%
21%
3%
25%
31%
80%
70%
27%
60%
35%
50%
40%
30%
35%
19%
13%
20%
19%
17%
Ayants droit
Demandeurs
18%
20%
10%
12%
0%
Bénéficiaires
Niveaux I,II (lience ou plus, écoles d'ingénieurs)
Niveaux III (BTS, DUT)
Niveau IV (baccalauréat)
Niveau V (BEP, CAP)
Niveau V bis, VI
Source : INSEE (enquête Emploi 2001) et Fongecif Île-de-France
STAGES CIF (STAGES CIF CDI DE L’AGECIF RATP)
2003
2004
2005
2006
Demandes enregistrées recevables
346
424
336
276
Demandes acceptées
118
124
128
133
Dossiers financés
109
121
121
119
0,27%
0,29%
0,29%
0,31%
Demandes acceptées/
effectif moyen (en %)
Source : AGECIF RATP, rapport d’activité 2006
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