Bien-être et Qualité de Vie au Travail

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Bien-être et Qualité de Vie au Travail
Bien-être et Qualité de Vie au Travail
Marc LORIOL – IDHES Paris 1
Sous la pression de l’évolution récente des cadres réglementaires (accord sur le stress) et de la
jurisprudence (responsabilité de l’employeur dans des cas de suicide de salariés), mais aussi pour attirer et
garder les salariés les plus compétents, nombre de grandes entreprises se sont lancées dans des programmes
d’amélioration du « bien-être » et de la « qualité de vie » au travail. En offrant à leurs employés des séances de
yoga-relaxation, de massages, de soutien psychologique (souvent par téléphone avec un numéro vert),
différents services sur le lieu de travail (pressing, entretien de la voiture, livraison de repas, garde d’enfants,
etc.), les employeurs espèrent prévenir les souffrances et soulager les soucis quotidiens de leurs salariés afin de
les garder le plus longtemps concentrés sur leur travail. Mais, si ces offres peuvent parfois être appréciées,
elles passent à côté de l’essentiel : les salariés ne travaillent pas que pour le salaire ou les avantages annexes,
mais cherchent également à donner du sens à ce qu’ils font.
Le travail peut aussi être un plaisir
Lors d’enquêtes par entretien semi-directifs auprès d’ouvriers (menées avec des étudiants en sociologie) et
d’employés – des catégories « modestes » dont certains intellectuels semblent penser de façon condescendante que leur travail n’a que peu d’intérêt – plus de 90 % déclaraient spontanément ne pas travailler
seulement pour le salaire. Deux grands types de motivations intrinsèques (par opposition aux motivations
extrinsèque comme les avantages, le salaire, etc.) étaient citées : tout d’abord la satisfaction de faire un travail
utile, de qualité, beau, dont on peut être fier, dans lequel on peut faire la preuve de ses compétences, de son
intelligence, de son courage ou de sa force. Ensuite, le plaisir des contacts avec les collègues, et
éventuellement les clients ou les usagers, l’échange de coups de main, de plaisanteries, de points de vue, qui
donne le sentiment d’appartenir à une communauté partageant un certain nombre de valeurs ou d’objectifs en
commun.
A l’occasion de recherches auprès de policiers, d’infirmières, de travailleurs sociaux, de travailleurs de la
culture, comme dans celles d’autres observateurs du travail (chercheurs, syndicalistes, journalistes), il n’est pas
rare de rencontrer des salariés qui s’investissent dans leur métier au-delà de ce qu’impose leur fiche de poste
ou leurs obligations contractuelles. Si cela est parfois motivé par la peur de perdre son emploi qui pousse à
faire du zèle, on retrouve souvent ce comportement chez des salariés en CDI ou des fonctionnaires qui ne sont
pas menacés par le chômage. La passion pour l’activité de travail, le plaisir de faire une activité qui a du sens,
d’être reconnu par les collègues, les clients ou les chefs, le don contre-don qui construit du collectif – comme
l’a montré l’anthropologue Marcel Mauss – sont aussi des sources de motivation.
L’accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 intitulé « vers une politique d’amélioration de la
qualité de vie au travail et de l’égalité professionnelle », définit la qualité de vie au travail comme « un
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sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement qui englobe l’ambiance, la culture
de l’entreprise, l’intérêt du travail, les conditions de travail, le sentiment d’implication, le degré d’autonomie et
de responsabilisation, l’égalité, un droit à l’erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du
travail effectué. » Ce sentiment de bien-être au travail est une construction sociale locale, spontanée et fragile
basé sur l’affirmation de l’intérêt du travail, le sentiment de pouvoir être fier de son travail et de ses efforts.
La fabrique du sens
L’exemple des contrôles routiers
Arrêter des voitures sur la voie publique pour vérifier leur conformité (ou celle de leur conducteur) avec le
code de la route n’est pas a priori une activité très passionnante. Routinier et répétitif, ce travail met en outre
souvent en porte-à-faux les gardiens de la paix avec des « citoyens ordinaires » mécontents de se voir
contrôler. « Vous êtes payés avec nos impôts pour emmerder les gens qui vont au travail »… « Plutôt que
d’embêter les honnêtes gens, vous feriez mieux de courir après les voyous ! » sont des remarques plusieurs fois
entendues lors de observations. Elles sont d’autant plus blessantes pour les policiers qu’ils préfèrent le plus
souvent arrêter de « vrais bandits » et espèrent le soutien de la population pour leur mission de sécurité
publique. Le comble est qu’il s’agit d’une activité dangereuse, plusieurs policiers ayant été fauchés
intentionnellement ou non, dans le cadre de ce type d’activité1. Accepter de prendre des risques pour une
activité peu valorisante suppose de pouvoir redonner un sens positif à ce travail. C’est le cas de certaines
brigades de police-secours. Dans ces brigades, les « anciens » (policiers plus expérimentés) font tout un travail
subtil et pédagogique pour convaincre leurs collègues que le contrôle routier n’est pas inutile et fait bien partie
de la « vraie mission » de la police. A l’occasion d’accidents de la circulation, par exemple, l’on souligne que les
causes (vitesse excessive, alcool, mauvais état du véhicule, etc.) auraient pu être l’objet de contrôles plus
rigoureux. De même des histoires édifiantes sont rappelées (tel cycliste ou maman avec poussette renversé
pour avoir dû contourner un véhicule mal garé, tel enfant fauché à un feu rouge par un conducteur ivre, etc.).
Lors des patrouilles, les policiers sont incités à être attentifs à certaines infractions dont la sanction fait sens
(siège-bébé non attaché, place pour handicapés occupée indûment, etc.). Ces brigades n’ont généralement pas
de mal à atteindre les chiffres de timbres-amende exigés par la hiérarchie et ont donc plus d’autonomie dans
l’organisation et le déroulement des contrôles : elles peuvent choisir les lieux qui leur semblent pertinents
(d’après leur expériences des accidents) et l’heure qui les arrange pour casser la routine de moments trop
calmes, où il ne se passe rien d’intéressant. De plus, les policiers y sont plus libres de « négocier » avec les
usagers pris en faute : celui qui est respectueux et reconnaît ses torts ou la jolie fille qui accepte de plaisanter
bénéficie d’indulgence, ce qui aide à préserver une bonne ambiance et des relations moins tendues. Au total,
les contrôle routiers ne sont pas envisagés comme pénibles et peuvent même parfois être vécus comme de
bons moments.
A l’inverse, dans des brigades où il n’y a pas d’anciens (ou de mauvaises relations entre jeunes et anciens),
rien n’est fait pour justifier et revaloriser l’importance du contrôle routier et cette activité est généralement
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Un blog tenu par un policier sur ses collègues « mort en service » recense 27 décès lors de contrôles de véhicule ou de contrôles routiers entre 1971 et
2012.
Marc Loriol, Bien-être et Qualité de Vie au Travail - texte de son intervention à la Journée d’étude IRT-DIRECCTE 2014
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délaissée. La hiérarchie, qui subit des pressions pour atteindre un certain quota de timbre-amende2, doit alors
imposer de façon autoritaire des temps de contrôle fixe. Ne choisissant ni l’endroit ni le moment de ces
contrôles, les policiers les perçoivent comme peu efficaces et parfois dangereux (s’il s’agit par exemple d’un
axe où les voitures roulent à grande vitesse). Le travail est fait de façon plus mécanique, désinvestie et favorise
moins les contacts positifs avec les usagers. Bref, les contrôles routiers sont pensés comme des tâches ingrates
qui détournent les gardiens du « vrai travail policier ».
Le plaisir dans les situations de crise ou d’urgence
« Les trois ans à Bangui, réputé poste difficile, ce sont les trois années où je me suis le plus éclaté à mon
boulot. On a été bombardé, toutes les fenêtres qui sautent, on avait les gardes du corps, c’était la guerre civile,
on faisait des médiations, on retrouvait la nuit les rebelles et le gouvernement en terrain neutre à
l’archevêché…. Quand on fait ce boulot de diplomate, c’est ce qu’il y a de plus noble, la médiation pour la paix,
la gestion de conflits », explique ce diplomate lors d’un entretien. Plusieurs de ses collègues ont livré des
témoignages similaires. Les ingrédients de ce plaisir apparemment paradoxal sont souvent les mêmes : le
sentiment de participer à une missions très valorisée par le groupe professionnel (sentiment de faire l’Histoire,
d’être au centre des événements qui font la une de l’actualité), les contacts humains exceptionnels ou
inhabituels, la cohésion du groupe tourné vers un but commun fortement partagé, l’urgence qui réduit la
pesanteur des rapports hiérarchiques au profit de l’efficacité (Peneff, 1992 ; Loriol, 2011), etc.
On retrouve des mécanismes similaires dans d’autres professions comme les policiers en intervention sur
un braquage, des pompiers combattant un incendie, des militaires en opération ou encore des infirmières en
réanimation, comme l’illustrent les deux extraits d’entretien suivants : « J’ai demandé à travailler en réa, parce
que quand on a connu la réa, c’est très difficile de travailler ailleurs. Il y a une ambiance complètement
différente. C’est un service qui est fermé, alors on ne sort pas beaucoup, on est plus confrontées à la mort, donc
il y a une espèce de solidarité. On travaille en équipe, quand un patient va mal, toute l’équipe va donner un
coup de main ! Alors qu’ailleurs, il y a plus de tensions entre équipes, entre médecins et soignants ». « On est
stressé parce qu’on est dans l’urgence, on a tendance à être, moi et même d’autres, à oublier un peu les bonnes
manières. Quand il y a une situation un peu dure, je peux envoyer bouler de façon un peu rugueuse n’importe
qui ! Ça peut s’appeler directeur, n’importe qui. Donc il y a ce sentiment de puissance un peu ». Une troisième
de leur collègue, explique que le plaisir de sauver un malade qui va vraiment mal est difficile à faire
comprendre à ceux qui ne travaillent pas dans ces services car il résulte d’un travail en commun autour d’un
objectif émotionnellement fort et partagé : sauver la vie.
Un tel principe, s’il est intériorisé par les membres de l’équipe permet de donner du sens à des situations
pourtant a priori difficiles. C’est le cas dans les services de soins palliatifs où des infirmières ont pu exprimer le
fait que l’accompagnement des mourants pouvait être professionnellement stimulant. La mort n’est plus un
échec, mais peut être l’objet d’un « beau travail » si la souffrance physique et psychique est maîtrisée pour
arriver à une « bonne mort ». La théorie des cinq étapes de la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross (phase de choc
et de refus de la mort, colère et révolte, marchandage où le patient tente de « négocier » l’échéance fatale,
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Le principe, au moment de l’enquête, pour la fixation de ces quotas, est celui de la moyenne (une brigade ne doit pas être en dessous de la moyenne de
son commissariat, un commissariat ne doit pas être en dessous de la moyenne de son département, etc.), ce qui produit artificiellement des « bons » et
des « mauvais » (si une brigade est au-dessus de la moyenne, mathématiquement, au moins une autre doit être en dessous) qui génère des cercles
vertueux (plus d’autonomie, moins de turn-over des agents) ou vicieux (conflits, autoritarisme, turn-over, mauvaises relations entre collègues…)
Marc Loriol, Bien-être et Qualité de Vie au Travail - texte de son intervention à la Journée d’étude IRT-DIRECCTE 2014
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épisode dépressif, puis acceptation apaisée) permet de donner un sens aux réactions, y compris négatives, du
patient. Le maintien d’une telle croyance collective n’est possible qu’à certaines conditions : l’organisation,
tout d’abord permet une maîtrise des incertitudes qui pourraient rendre plus pénible le travail soignant. Ainsi,
les patients admis dans les unités de soins palliatifs font-ils l’objet d’une sélection rigoureuse. Il s’agit en grande
partie de malades cancéreux plutôt que de maladies neurologiques responsables de démence ou liées au
vieillissement. L’équipe évite alors les malades dont le décès serait trop proche ou trop lointain (autour de trois
semaines semble être la durée idéale), ceux qui sont trop difficiles. Le personnel est en nombre suffisant pour
permettre de nombreuses réunions et périodes de réflexion collective3, pour favoriser le retrait temporaire
d’un soignant impliqué dans une interaction difficile, ou encore pour s’adapter au rythme et aux besoins des
patients. Le personnel des unités de soins palliatifs a pu intérioriser, grâce à la discussion collective et à de
nombreuses formations, un certain nombre de valeurs fortes : refus de l’euthanasie, de l’acharnement
thérapeutique, de la douleur. Tout un ensemble de routines relationnelles (prendre la main du malade,
s’agenouiller auprès de lui ou s’asseoir sur son lit…) et de techniques de maîtrise de la douleur. La lenteur, le
calme, la nécessité de prendre son temps pour la relation et le travail d’équipe, constituent des normes
temporelles qui contrastent fortement avec le rythme habituel de l’activité hospitalière. De même, « à l’unité
de soins palliatifs, le style de visite est dépourvu de toute solennité : on est loin du cortège traditionnel du
praticien accompagné de ses étudiants que l’on connaît dans d’autres services » (Castra, p.172).
La régulation des passions
Les salariés très engagés et motivés, peuvent également eux-mêmes se « fixer la barre trop haut », ou ne
pas bien savoir où doit être fixée la barre et ainsi de lancer dans la quête d’un idéal inatteignable. L’étude sur
deux structures (la Portée, association de 28 salariés, et le Rézo, établissement industriel et commercial de
neuf salariés) gérant chacune une salle de concert permet de montrer comment la forte passion mise par les
salariés est ambivalente. Dans l’établissement industriel et commercial la passion partagée pour la musique Hip
Hop dans laquelle cette structure est spécialisée donne aux salariés un fort sentiment de reconnaissance et
d’accomplissement personnel. Au Rézo, il est plus facile de produire un « concert réussi » pour lequel tout le
monde sera content des efforts consentis et des résultats obtenus parce que les critères de qualité et les
attentes sont les mêmes pour tous, que la structure a établi des liens de confiance et d’interconnaissance avec
les groupes de rap et sait lesquels vont répondre aux attentes (passer du temps avec les groupes amateur, faire
peuvent de créativité dans la musique et les textes…). Personne ne se plaint du stress : « On est tous
passionnés. La vie privée est proche du travail. Des fois, tu es obligé donc de recadrer car des fois ça déborde
comme tout groupe, mais il y a une très bonne ambiance en général ». Dans l’association La Portée, à l’inverse
des plaintes sont exprimées par les salariés sur le manque de reconnaissance et la définition insuffisamment
précise du contour des tâches de chacun tandis que des conflits interpersonnels, le turn-over dans certains
postes, des problèmes de santé (burn out, surmenage, accidents cardiaques, troubles dermatologiques, etc.)
attribués au travail par les intéressés ou leurs collègues, témoignent de ces difficultés. Le problème vient du
fait que chaque salarié, comme la direction, est porteur d’une vision personnelle du travail bien fait ; il n’y a pas
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L’importance du temps disponible pour des discussions formelles ou informelles rapproche cet exemple de celui déjà présenté des policiers, qui dans
leur voiture, en attendant des appels ou pendant les patrouilles peuvent échanger sans être pressurisé par différentes formes de rationalisation du
travail puisque les interventions ne sont pas prévisibles (Loriol, 2009).
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d’accord sur le type de musique qui motive les salariés et justifie le mieux l’action culturelle envisagée4, du
coup, les salariés parviennent difficilement à être contents de leur action et on toujours le sentiment qu’ils
pourraient toujours en faire plus (et n’en font donc jamais assez), comme le montrent les deux témoignages
suivants : « On est trop débordé ou trop fatigué, mais dès qu’il y a un projet intéressant, on va le faire » ; « On a
du mal à déconnecter. C’est un truc, on est tout le temps en ébullition, mais en même temps c’est tellement
passionnant ». Un déficit de régulation collective entraîne un investissement potentiellement sans limite, donc
un risque de ne pas être satisfait, de se sentir dépassé et stressé.
Thomas Marshall (2012) cite, dans le même sens, l’exemple d’un apprenti menuisier qui évoque la façon
dont il a pris conscience, par l’apprentissage, des limites de l’engagement passionné : « On peut être passionné,
perfectionniste à un certain niveau, et être content du résultat. D’autres sont passionnés, très perfectionnistes,
et donc ne peuvent pas être très contents du résultat, parce qu’ils ont peut-être raté un petit truc. […] Souvent
c’était ça, j’étais très peu satisfait du boulot. Il y avait toujours un petit truc que j’aurais aimé faire autrement ».
Mais peu à peu l’apprentissage auprès de son patron et de ses collègues plus expérimentés lui apprend à
considérer le processus de fabrication comme un compromis entre les normes contradictoires de la qualité et
les différentes contraintes (matérielles, économiques, etc.) du métier artisanal ; à construire son estime de soi
non sur un idéal inatteignable, mais sur un idéal tenant compte de son évolution professionnelle et des
circonstances.
Ce que montrent ces différents exemples, c’est que sens de telle ou telle situation de travail n’est pas
donné a priori mais produit en continu par les individus et les groupes au travail. Les salariés vivent et
expérimentent les exigences et difficultés de leur travail en fonction du sens qu’ils donnent à la situation et à
leur métier. Ce sens est largement produit au sein des collectifs de travail (groupes de collègues partageant la
même tâche ou se reconnaissant dans un même métier, les collectifs peuvent aller des formes informelles
d’échange et de coopération au sein des équipes à des formes plus organisées comme les associations
professionnelles ou syndicats de métier) : définition du travail bien fait, répartition légitime des tâches,
régulation des conflits, entraide et partage des expériences et savoir-faire, etc.
Les prérequis de la qualité de vie au travail
Les stratégies de fabrique du sens ou de re-travail du travail participent au bien-être du groupe, mais ne se
décrètent pas. Ces formes de coopération et de régulation collective sont largement autonomes et ne peuvent
être instrumentalisées par le management. Elles supposent un certain niveau de confiance entre les salariés et
leur encadrement de proximité, une certaine stabilité des équipes afin de construire des références partagées,
des routines… Il est donc plus facile, pour les directions de casser ces dynamiques collectives que de les
susciter.
Malheureusement, les conditions d’organisation du travail ne favorisent pas toujours la reconnaissance et
la valorisation des efforts produits collectivement par les salariés. La fierté de son travail et la reconnaissance
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A la question « Quel est votre meilleur souvenir professionnel ? », les salariés de la Portée ont tous évoqué un événement différent, tandis que presque
tous ceux du Rézo ont cité le même.
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apparaissent comme de moins en moins évidents. Partager un certain nombre de références communes avec
ceux qui exercent le même métier est un moyen de voir reconnu son travail par des pairs qui évaluent le travail
« bien fait » avec les mêmes critères que vous et d’être relativement protégé contre les demandes indues
(faires des tâches qui n’ont rien à voir avec le métier exercé, bâcler et faire de la mauvaise qualité, etc.) venant
de la hiérarchie si celle-ci connaît les exigences du métier. Mais de plus en plus de salariés se plaignent que leur
travail n’a pas de sens ou que leurs efforts ne sont pas reconnus. L’évaluation quantitative de l’activité oublie
tout ce qui ne peut être facilement compté. Une enquête (Samotrace de l’INVS) menée dans trois régions
françaises auprès de 6000 salariés a montré que les femmes qui ressentent un décalage entre leur
investissement et les gratifications obtenues sont trois fois plus nombreuses (contre 2,5 fois pour les hommes)
que les autres à déclarer un trouble psychique.
Les évolutions économiques, les transformations du travail et du management remettent en cause ces
formes de construction collective du plaisir et de la fierté au travail. Alors que pendant longtemps, travailler
était pensé comme une façon d’apporter sa contribution à l’effort collectif, d’accomplir son devoir social en
étant utile sans vivre « aux crochets des autres », celui qui a un emploi est de plus en plus considéré comme un
« privilégié » qui doit s’écraser ou « prendre la porte ».
La comparaison de services similaires d’une même entreprise ou d’une même administration montre qu’il
peut exister de fortes différences dans le niveau de satisfaction ou de difficultés exprimées. D’un service à
l’autre, le nombre de plaintes de stress ou les confits aves les usagers varie de façon significative. Ces
différences ne peuvent s’expliquer uniquement par les caractéristiques individuelles. L’observation des services
où les plaintes de stress sont rares et où les problèmes sont collectivement gérés avant qu’ils ne deviennent
des sources de mal-être, montre qu’il s’agit de services où les agents et la hiérarchie de proximité échangent
régulièrement sur le travail, ses objectifs, les moyens pour réaliser les missions, les astuces ficelles ou
arrangements pour surmonter les problèmes rencontrés, etc. Les discussions au sein du groupe de collègues
permettent de relativiser les contraintes ou les difficultés afin de les considérer comme acceptables ou
normales, faisant partie des « risques du métier » et nécessaires pour la réalisation d’un beau travail dont on
peut collectivement être fier. Enfin, le collectif peut redéfinir le sens de la pénibilité ou de l’inconfort ressenti
pour en faire non pas la manifestation d’une fragilité individuelle, mais le symptôme d’une condition partagée
collectivement et contre laquelle on doit lutter ensemble. Plutôt que de parler de souffrance, de stress ou de
harcèlement, on décrit la situation comme de l’exploitation, de l’aliénation, un conflit d’intérêt entres « eux »
(les chefs, les patrons, la direction) qui ne connaissent rien au travail et ne voient que la rentabilité à court
terme et « nous », les gens du métier qui savent ce qu’est la qualité.
Cela suppose un certain nombre de conditions : que les temps de discussion ne soient pas considérés
comme du temps perdu, que la hiérarchie de proximité ait de vraies marges de manœuvre et ne soit pas
seulement le relais des directives venues d’en haut, qu’il n’y ait pas trop de turn-over et de mobilité dans les
équipes afin que s’installent une interconnaissance et une confiance réciproque et que se construisent des
repères communs sur les buts et les moyens de l’activité. Le bien-être au travail suppose donc de prendre le
travail au sérieux, de reconnaître les efforts et les compétences mises en œuvre, les métiers et les critères de
qualité qu’ils définissent.
Marc Loriol, Bien-être et Qualité de Vie au Travail - texte de son intervention à la Journée d’étude IRT-DIRECCTE 2014
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Pour aller plus loin :
 Marc Loriol (dir.), 2013, « Dossier : L’humour au travail », Les Mondes du Travail, n°13
 Marc Loriol, 2012, La construction du social, Souffrance, travail et catégorisation des usagers dans
l'action publique, PU Rennes, coll. « Le sens social », 214 p.
 Enfin, nombre de mes articles peuvent être trouvés sur le site HAL-SHS du CNRS (utiliser le moteur de
recherche du site et taper « Loriol) : http://halshs.archives-ouvertes.fr/aut/LORIOL
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