La Belgique doit continuer son investissement dans le
Transcription
La Belgique doit continuer son investissement dans le
La Belgique doit continuer son investissement dans le secteur de la justice au Burundi 1. La coopération au développement belge s’intéresse aux Etats fragiles, mais peu à la gouvernance « La coopération belge au développement se concentrera à l’avenir sur les pays fragiles et les zones postconflit »1 : le nouveau ministre de la coopération au développement est clair sur ce point. Dans les documents de politique sur les Etats fragiles, tant au niveau international qu’au niveau belge, il existe un consensus fort sur le fait que la gouvernance, la sécurité et la construction de l’État constituent des éléments prioritaires de la coopération au développement avec les États fragiles. Le New Deal pour l’engagement dans les États fragiles2, et la note de stratégie belge3 classent la justice, la sécurité et la légitimité parmi les cinq objectifs prioritaires de tout appui visant à réduire la fragilité des Etats. Cet ordre de priorité signifie que les donateurs doivent s’investir activement tant dans le dialogue politique que par le financement de programmes dans ces domaines. La Belgique a pris conscience de l’importance cruciale des secteurs sensibles que sont la justice et la bonne gouvernance. Cet engagement est particulièrement apprécié et reconnu au Burundi par les acteurs de terrain (société civile, organisations de développement, population en générale, autorités). Pourtant, dans ses programmes de coopération, elle semble dorénavant prioriser ses appuis à des secteurs plus traditionnels, comme la santé par exemple. Les secteurs sensibles sont pris en compte sous la forme de thèmes transversaux, ou au sein de la coopération déléguée, mais les budgets qui leur sont accordés demeurent relativement limités. Il est vrai que les secteurs de la sécurité, la gouvernance ou la construction de la paix sont particulièrement délicats : ils sont sensibles sur le plan politique, leurs résultats sont peu tangibles, et il est plus difficile dans ce secteur de débourser rapidement des sommes importantes. Il est incontestablement plus gratifiant d’investir dans le désenclavement rural ou l’enseignement. Pourtant, si l’on veut aider les États fragiles à combattre et réduire leur vulnérabilité, leur manque de légitimité ou les risques de conflit, il est essentiel d’agir sur les fondements mêmes de la légitimité de ces Etats, au 1er rang desquels se situe la bonne gouvernance.4 2. Le besoin d’investissement dans les secteurs ‘sensibles’ au Burundi Cette réticence de la Belgique de s’investir dans l’appui à la gouvernance et à l’Etat de droit est en particulier constaté au Burundi, où la Belgique est le plus grand bailleur bilatéral et exécute actuellement un programme indicatif de coopération (2010 – 2013) de 200 millions d’euros. Une évaluation conjointe des donateurs, réalisée en 2013, est parlante : l’écart qui sépare l’analyse des origines des conflits au Burundi de la définition des priorités belges est « particulièrement flagrant ». 1 Note de politique coopération au développement, http://www.dekamer.be/FLWB/PDF/54/0588/54K0588006.pdf http://www.oecd.org/fr/cad/incaf/principespourlesetatsfragiles.htm 3 http://diplomatie.belgium.be/nl/binaries/strategienota_fragiele_situaties_tcm314-223149.pdf 4 Pour plus d’information : http://www.11.be/11/11dossiers/artikel/detail/cooperation_belge_au_developpement_etats_fragiles_ecart_entre_politi que_pratique,104833 2 1 Une analyse profonde du contexte démontre clairement que le Burundi a cruellement besoin de renforcement en matière de gouvernance, de droits humains et d’Etat de droit. L’histoire du pays se caractérise par une succession de dictatures militaires et de guerres civiles dévastatrices, résultant en un niveau de fragilité élevé. Le conflit armé ouvert ne s’est que récemment terminé après la signature de différents accords de paix : les accords d’Arusha (2000) et les accords de cessez-le-feu avec les ex-groupes rebelles CNDD-FDD (2003) et FNL (2006). La tenue d’élections générales en 2005 et 2010, largement remportées par le CNDD-FDD de Pierre Nkurunziza, l’actuel président, n’a cependant pas permis de normaliser le climat politique qui reste tendu, ni d’améliorer la gouvernance du pays. A moins de 6 mois des élections de 2015 qui s’annoncent d’ores et déjà turbulentes, les défis restent énormes : les violations des droits humains sont régulières et structurelles5, et le secteur de la justice est menacé à plusieurs titres. 3. Les défis du secteur judiciaire Depuis 2005, le Burundi a amorcé une importante réforme de la justice, dont les priorités stratégiques sont précisées dans la politique sectorielle 2011-2015 du Ministère de la Justice. Tandis que des efforts importants sont consentis au niveau central pour réformer en profondeur le secteur aux niveaux structurel et organisationnel, la justice continue à souffrir de nombreux dysfonctionnements et fait régulièrement l’objet de critiques virulentes, parmi lesquelles la faiblesse des moyens alloués au secteur ; la faible capacité et efficacité des cours et tribunaux; le faible niveau de confiance de la population dans la justice ; et le manque d’indépendance de la magistrature et du pouvoir judiciaire en général. La forte immixtion de l’exécutif dans l’action de la justice et son manque de conformité aux standards internationaux se sont récemment illustrés dans des dossiers emblématiques, tels que le procès des membres du MSD, parti de l’opposition, ou la détention de Pierre Claver Mbonimpa, défenseur de droits de l’homme actuellement en liberté provisoire. Les appuis octroyés par les partenaires techniques et financiers (PTF) permettent néanmoins de constater des progrès notoires. Suite à la mise sur pieds du Centre de formation des professionnels de la justice (CFPJ), le premier concours de la magistrature, qui sera suivi d’une formation de une année, a été organisé en juin 2014 avec l’appui de la CTB de manière transparente et objective. Une évaluation de la revue sectorielle du Ministère de la justice a eu lieu en mars 2014. Des avancées sont aussi enregistrées au niveau des conditions de détention (en particulier pour les mineurs et les femmes), et des délais de jugements. Depuis 2010, des efforts soutenus par les différents acteurs nationaux et internationaux pour la mise en œuvre d’une Stratégie Nationale d’Aide Légale (SNAL) sont en train de porter leurs fruits : un budget d’affectation spécial a été autorisé. De plus, la situation spécifique du Burundi est étudiée dans le cadre d’une étude globale sur l’aide légale, actuellement menée conjointement par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (UNODC)6. Le pays, utilisé comme cas d’étude, doit pouvoir compter sur le soutien des Partenaires Techniques et Financiers pour poursuivre la réforme du secteur de la justice. Ces progrès requièrent cependant un engagement et un accompagnement de long terme pour produire des effets durables. Si les atteintes à la liberté et aux droits fondamentaux font tristement l’actualité judiciaire du Burundi, elles ne doivent pas empêcher une appréciation plus globale des réformes en cours. Toute sanction à court terme du secteur serait contreproductive en ce qu’elle réduirait à néant les investissements effectués depuis près de 15 ans. 5 Pour plus d’info sur les élections au Burundi, voir http://www.11.be/component/docman/doc_download/1630-briefingpaper-vreedzame-verkiezingen-of-politiek-geweld-in-burundi 6 http://www.inprol.org/news-features/seeking-input-on-a-global-study-on-legal-aid 2 C’était au lendemain des Accords d’Arusha de 2000 qu’ont démarré les premiers appuis au secteur de la justice au Burundi, avec un rôle important des acteurs belges. La Belgique intervient sur le plan opérationnel via trois acteurs principaux : la coopération technique belge (CTB) et deux ONG, RCN Justice & Démocratie et Avocats Sans Frontières (ASF). Ces trois acteurs entretiennent une collaboration active et se répartissent les interventions (zones d’intervention, cibles,…) à des fins de synergie et de complémentarité. RCN Justice & Démocratie est présent au Burundi depuis 2000 et a bénéficié depuis le début de ses programmes de financements de la Belgique à hauteur de 6 millions d’euros. Son action cible en particulier la justice de proximité, à travers (1) le renforcement des capacités des acteurs de justice à la base (magistrats, autorités administratives, OPJ, chefs coutumiers,…), (2) l’appui aux organisations de droits humains, (3) la vulgarisation du droit à destination de la population, et (4) le dialogue communautaire sur la consolidation de la paix et la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle. De son côté ASF a démarré ses programmes en 1999 et a bénéficié depuis cette année-là de financements de la Belgique à hauteur de 12 millions d’euros. Ses activités se concentrent actuellement à des appuis sur (1) la mise en place d’un système nationale d’aide légale, (2) le renforcement des avocats et des barreaux, (3) la représentation légale des défenseurs des droits humains, et (4) l’accompagnement d’acteurs locaux de la société civile sur les mécanismes de justice transitionnelle. Quant à la CTB, elle est active opérationnellement depuis 2008, et s’engage dans des réformes plus structurelles, telles que la modernisation des services du Ministère de la Justice, la construction d’infrastructures judiciaires ou la mise en place du centre de formation des professionnels de la justice (CFPJ). Aujourd’hui, la justice au Burundi souffre d’une raréfaction des PTF engagés dans le secteur, conséquence de la répartition des secteurs d’intervention entre les différents bailleurs et du retrait d’acteurs majeurs ces dernières années (comme DFID ou la Suède). La Belgique, l’Union Européenne et le BNUB (dont le mandat se termine en décembre 2014) constituent les acteurs clé du secteur. La Belgique a décidé en 2013 de consolider son appui aux secteurs de la police et de la justice via le budget de la tranche incitative, en insistant sur l’importance des synergies entre les deux secteurs. Tandis que le programme de consolidation de l’appui à la police a été approuvé en 2013, l’approbation du projet de consolidation pour la justice est encore pendante et semble menacée. 4. Notre position D’après ASF, RCN Justice & Démocratie et 11.11.11, la Belgique doit continuer à s’investir dans le secteur de la justice au Burundi. Les avancées qui ont été constatées grâce à l’appui de la Belgique depuis 15 ans doivent être consolidées, car les défis du secteur judiciaire nécessitent un soutien continu, et à long terme. Dans un état fragile comme le Burundi, il est fondamental que le premier bailleur bilatéral du pays soutienne les secteurs sensibles en assumant que la bonne gouvernance est un préalable nécessaire au développement pérenne et durable du pays. La Belgique, en tant que partenaire indispensable dans la région, devrait appuyer les domaines de la gouvernance et de la sécurité pour contribuer au retour à la paix et à la stabilité dans la région. Un désengagement dans ces secteurs pourrait avoir un impact sur la paix et la sécurité au niveau national et régional. Les problèmes qui caractérisent la justice burundaise, notamment sa faible indépendance vis-à-vis de l’exécutif, nécessitent néanmoins une approche taillée sur mesure, qui soit plus politique. Ceci n’implique pas que l’assistance technique doive disparaitre, au contraire. Mais elle doit impérativement s’accompagner d’un suivi et d’un positionnement forts. 3 Le dialogue politique de la Belgique avec les parties prenantes du secteur de la justice doit ainsi être renforcé. La Belgique devrait créer,, conformément à ce qui s’est fait pour la police, un noyau de bailleurs impliqués dans l’appui au secteur (UE, Belgique, ONU), piloté par la Belgique. Pour ce faire, la Belgique peut se coordonner avec ses partenaires techniques (CTB, société civile) et se positionner face à des violations flagrantes des droits humains ou de l’indépendance de la justice. Ceci doit être renforcé en introduisant dans le projet justice de la Belgique des indicateurs techniques de progrès (benchmarks) concrets et mesurables, en collaboration avec les autres bailleurs. Les indicateurs proposés et validés lors de la revue de la politique sectorielle 2011-2015 peuvent servir de source d’inspiration, notamment sur la réforme du statut des magistrats et du Conseil supérieur de la magistrature, tout en veillant à la conformité de ces réformes aux normes internationales. Pour plus d’info, veuillez contacter: - pour 11.11.11 : [email protected] ou 02/536 11 50 - pour ASF : [email protected] ou 02/223 36 54 - pour RCN Justice & Démocratie : [email protected] ou 02/347 02 70 4