LA du quinzième tableau de Roberto Zucco de B M KOLTES : Zucco
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LA du quinzième tableau de Roberto Zucco de B M KOLTES : Zucco
LA du quinzième tableau de Roberto Zucco de B M KOLTES : Zucco au soleil INTRODUCTION. Situation KOLTES : Bernard-Marie Koltès est un dramaturge français. Né à Metz en 1948, il s'essaye à l'écriture durant sa jeunesse mais il y renonce. Il ne met jamais les pieds au théâtre jusqu'à l'âge de vingt ans. Il assiste en 1970 à une représentation de "Médée" dans une mise en scène de Jorge Lavelli interprétée par Maria Casarès; c'est un choc. Koltès se met alors à l'écriture théâtrale. En 1997, il publie un long monologue, "La Nuit juste avant les forêts", qui est monté au Festival Off d'Avignon. Ses pièces suivantes seront montées en étroite collaboration avec Patrice Chéreau au Théâtre des Amandiers de Nanterre : "Combat de nègre et de chiens", "Quai Ouest", "Dans la solitude des champs de coton", "Retour au désert". Elles connaîtront un grand succès. Aujourd'hui, il est joué dans le monde entier. Il meurt en 1989. Situation RZ : Roberto Zucco est une pièce de théâtre de Bernard-Marie Koltès écrite en 1988 et inspirée de faits réels, qui relate l'histoire du tueur en série italien Roberto Succo, élevé à une dimension mythique et croisé à l'histoire de la « gamine », jeune fille en perdition. Cette pièce provoqua un énorme scandale, parce qu'elle se fonde sur des événements réels et tragiques. Situation de l’extrait : Dans le tableau 15 on retrouve le décor liminaire de la prison car Zucco vient d'être réincarcéré. Comme dans la 1ère scène, à peine est-il enfermé qu'il s'échappe. Au milieu des voix de gardiens et de prisonniers, en plein midi, il apparaît torse nu sur les toits de la prison en même temps que se lève une tempête solaire. Ce tableau final met en scène la disparition de Roberto Zucco. Miroir inversé de la scène d'exposition, il offre au personnage la promesse d'un nouveau départ et d'une nouvelle vie après la mort. S'amorce ici la transfiguration paradoxale : le criminel devient un saint et un pur esprit. Lecture du texte. Reprise de la problématique : Comment Koltès clôt-il sa tragédie ? I) Une scène de dénouement en forme de scène d'exposition. II) Une scène d'apocalypse. III) Le sacre de Zucco. DÉVELOPPEMENT. I) Une scène de dénouement en forme de scène d'exposition. Poursuivant la logique dramatique circulaire de la pièce, le tableau 15 apparaît comme le retour de la 1ère scène. Or, même s'il en reprend le décor et l'action, le dénouement répond à un 1er renversement, puisque le dernier tableau constitue la seule scène d'exposition de la pièce. A) Le dénouement : une scène d'exposition. La didascalie initiale. Cette dernière scène marque le dénouement de la tragédie. Le retour à l'espace initial de la prison traduit une circularité, expression de l'impossibilité irréductible de Zucco à vivre dans l'espace ouvert de la société. Dans la première scène on pouvait lire « Il ne faut pas chercher à traverser les murs (…). Il faut s’échapper par les toits, vers le soleil. On ne mettra jamais un mur entre le soleil et la terre » : Cette réplique du 1er tableau explique la fin de la pièce. De ce point de vue, si ce retour à la « prison-départ » vaut comme métaphore de l'échec d'une vie, la didascalie introduit aussi des informations qui dépassent la simple représentation d'une contingence. D’abord, l'indication temporelle « à midi » contraste avec « l'obscurité » de l'évasion initiale (tableau 1). Ici, l'action de Zucco sera en pleine lumière, son destin est scellé, il ne s'agit plus de se cacher ni d'échapper Le titre du tableau « Zucco au soleil », développe des connotations positives qui laissent penser qu'il ne s'agit plus de montrer un meurtrier mais le terme d' « une trajectoire d'une pureté incroyable » (entretien de Koltès dans L'Événement du jeudi, 12 janvier 1989). De même que le 1er tableau s'offrait comme le dénouement, le 15ème remplace les signes attendus du dénouement par ceux d'une scène d'exposition. Si l'évasion initiale de Zucco prenait place dans un cadre nocturne synonyme d'achèvement, l'évasion finale se déroule sous le soleil de midi : « Le soleil monte, brillant, extraordinairement lumineux » et s'affirme comme la métaphore de la vie et de la naissance. Dans la tableau initial, Zucco disparaissait ; ici il se matérialise (p°91). Cette apparition en pleine lumière expose véritablement le personnage. L'auteur transpose son personnage dans un espace, représentation, « Le sommet des toits de la prison ». devenu lieu de Dans l'entretien cité, Koltès rappelait à quel point cette situation l'avait fasciné et décidé à écrire sur Roberto Succo : « moi qui ne regarde jamais la télé, je l'allume pour les informations, et je tombe sur cette scène absolument incroyable où l'on voyait Roberto Succo sur les toits de la prison ». Enfin présent après son errance, enfin central et trônant sur le toit, Zucco se dévoile et s'apprête à prendre un nouveau départ. On le constate, la didascalie initiale sort l'intrigue et son personnage éponyme d'une fin réaliste et conventionnelle et projette le lecteur / spectateur vers la représentation poétique et dramatique d'un mystère humain. La scène de dénouement se métamorphose ainsi en scène d'exposition. B) Le début de la « joie ». Pour Roberto Zucco, dénouement semble alors rimer avec dénuement et mise à nu. Le tableau 15, ultime étape du parcours humain et terrestre du héros, dessine son arrivée dans le royaume céleste symbolisé par le soleil. Ici, à la différence de la tragédie classique, la mort ne signe pas la fin du héros. Ré-interprétation de la catharsis aristotélicienne , la mort lui ouvre une voie vers la sérénité : Roberto n'a plus peur de rien, s'étant libéré : extérieurement –il s'évade intérieurement –il échappe à la pression de la société. La fin du conflit et la logique de la catharsis débouchent sur la « joie », laquelle, selon Nietzsche, loin de signer la perte du héros dans la mort, le promet à une renaissance. II) Une scène d'apocalypse. A) Un personnage solitaire Zucco s'affirme dans le tableau 15 comme l'homme de la nature, qui, par sa force surhumaine, a surmonté l'obstacle de la société et se sent prêt à retourner à l'état naturel. « Quand j'avance, je fonce, je ne vois pas les obstacles, et, comme je ne les ai pas regardés, ils tombent tout seuls devant moi. Je suis solitaire et fort, je suis un rhinocéros ». Cette réplique est une réponse à une question formulée par une voix anonyme : « D'où te vient ta force, Zucco, d'où te vient ta force ? ». Elle participe au processus d'héroïsation du personnage en laissant supposer que, tout comme ses actions, sa « force » n'est pas humaine. D'ailleurs la formulation du personnage échappe aux connotations du fait divers et se place sur un plan décalé, presque abstrait. La première phrase est composée sur un rythme ternaire : 1er temps : une accumulation de verbes d'action au présent de l'indicatif mime la puissance et la rapidité d'un « je » impérieux, 2ème temps : la césure, fortement marquée par les 2 virgules qui encadrent la conjonction « et » auxquelles s'ajoute la conjonction de cause « comme », introduit l'aveuglement d'un personnage et son rapport à autrui, réifié ici en « obstacles », 3ème temps : la conséquence, « ils tombent tout seuls devant moi » traduit l'inconscience et l'irresponsabilité de Zucco. Dans la 2nde phrase, bâtie sur un parallélisme, Zucco se caractérise « solitaire et fort » dans la 1ère proposition, tandis que la 2nde, une métaphore, « je suis un rhinocéros », en soulignant autant l'animalité du personnage que sa faculté onirique, le déplace hors du champ de l'humanité (tableau 6, il se comparait à « un hippopotame » et dans le tableau 8, il aspirait à « renaître chien »). Mais =t référence à la pièce de Ionesco : Rhinoceros (=/= solitude de Bérenger « Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitule pas ! ») Ainsi, cette solitude revendiquée et cette dénégation de l'humanité participe à l'ambition de Koltès qui était de construire un personnage « mythique, un héros comme Samson ou Goliath monstres de forces » (4ème de couverture) La comparaison avec Samson Samson et Dalila (Ancien testament, livre des Juges, XVI) Les princes Philistins, ennemis d'Israël, promettent à Dalila, une Philistine, une récompense si elle parvient à découvrir le secret de la force de Samson. Dalila séduit Samson et harcèle le héros, jusqu'à ce que celui-ci lui révèle que sa force extraordinaire réside dans ses cheveux. Dalila lui coupera les cheveux pendant son sommeil et le livrera aux Philistins. La Gamine est ici comparée à Dalila, la maîtresse qui trahira Samson. La Gamine va dénoncer Zucco aux policiers et participera ainsi à la chute du héros. « Il y a toujours une femme pour trahir » dit une voix au dernier tableau de la pièce. S'ouvre alors une scène d'apocalypse, au double sens étymologique du terme : nouveau royaume et révélation mystique. B) Une tempête mythique et mystique. La didascalie « Le soleil monte, brillant, extraordinairement lumineux. Un grand vent se lève » met en scène les forces naturelles qui vont modifier le cours du tableau. Personnage à part entière, le soleil y occupe le 1er plan. Il symbolise le côté solaire de Zucco (voir son désir d'Afrique). Mais il peut aussi être considéré comme une métonymie du personnage : désireux de retourner à l'état de nature, Roberto est l'être des éléments (il s'adresse au soleil et au vent : « Regardez ce qui sort du soleil. C'est le sexe du soleil ; c'est de là que vient le vent »). Il est capable de déclencher un ouragan solaire. Ouvrant à une scène fantastique, il retrouve les accents bibliques de la tempête évoqué par Jean dans son Évangile, qui engloutissait le monde des hommes (ici le soleil a une puissance « atomique ») pour faire advenir le règne de l'esprit dont Zucco serait un avatar. Usage de l'impératif 4 des 5 dernières répliques de Zucco, dialogue avec des voix anonymes, débutent par un impératif. Plus que des injonctions elles invitent à une direction « Regardez le soleil », « regardez ce qui sort du soleil », « Bougez la tête », « tournez votre visage » comme s'il s'agissait de transmettre une expérience, peut-être une connaissance révélée comme le suggère la répétition des présentatifs : « c'est le sexe du soleil », « c'est de là », « c'est la source des vents » et du futur : « vous le verrez », « il s'y déplacera », « il vous suivra ». Si d'ordinaire l'emploi du mode impératif exprime la volonté d'un émetteur tourné vers un destinataire qu'il s'agit de contrôler, ici le moi semble s'estomper derrière l'importance ou l'urgence du message à transmettre. Contrairement aux autres scènes, le « je » du personnage n'exige plus rien pour lui-même. C) Avènement et révélation. Le tableau 15 est celui de l'avènement de Zucco. Commandant jusqu'au soleil, le personnage perd son caractère humain : s'il disparaît à la fin de la scène, c'est parce qu'il est parvenu à fusionner avec la nature. Promis à l'illumination, Roberto Zucco métamorphose ce milieu de journée en crépuscule de la société en en début du monde. III) Le sacre de Zucco. Cette dernière scène est à lire comme une métaphore : en effet, si elle reprend le thème de la scène initiale, l'évasion, ici, ce n'est plus le Zucco meurtrier qui s'échappe en pleine nuit, mais un personnage porteur d'une radicalité exemplaire et tragique qui va l'anéantir sous nos yeux, en pleine lumière, « à midi », au zénith. Le titre du tableau « Zucco au soleil » marque symboliquement ce changement de statut qui s'opère. Scène d'adieu à la société et à son oppression, scène d'avènement et de naissance au monde, ce dénouement consacre le début du règne de Zucco sur les éléments et sur l'homme. Ce dernier a disparu de la scène : hormis Zucco, il ne reste plus que des voix sans corps. Dans le tableau 15 le personnage est sacré héros. A) Des voix anonymes. Plusieurs éléments concourent à ce détachement du réel au profit de la fable et de son processus d'héroïsation la mise en place d'une polyphonie anonyme, la didascalie initiale indique qu'il s'agit de « voix de gardiens et de prisonniers mêlées », sorte de chœur antique qui caractérise progressivement Zucco pour le faire accéder à son statut final, quelques exemples « tout seul, comme les héros », « « « « « tu es un héros, Zucco », C'est Goliath », C'est Samson », il s'est fait baiser par une femme », Dalila. Une histoire de cheveux. Je connais ». L'ultime discours métaphysique de Zucco s'inscrit dans la liturgie de Mithra et fait référence explicite l'exergue de la pièce : « Après la seconde prière, tu verras le disque solaire se déployer et tu verras pendre de lui le phallus, l'origine du vent ; et si tu tournes ton visage vers l'Orient, il s'y déplacera, et si tu tournes ton visage vers l'Occident, il te suivra ». Enfin, la présence du collectif est ici désincarné, « On ne voit personne pendant toute la scène, sauf Zucco » ; Les voix s’expriment comme par proverbes « Il ne faut pas toucher à ses parents », « On ne tue pas un enfant », « On tue ses ennemis, on tue des gens capables de se défendre », « Il y a toujours une femme pour trahir » Ce sont des « Voix de gardiens et de prisonniers mêlées » qui accompagnent cet ultime instant. Zucco est seul avec ces / ses voix. Dans la première partie de la scène, K mêle à peu près à parts égales gardiens et prisonniers et joue de leurs oppositions : ainsi les gardiens vouvoient Zucco : « Que faites-vous là ? », « Descendez immédiatement », « Zucco, vous êtes fichu », alors que les prisonniers le tutoient : « Zucco, Zucco, dis-nous comment tu fais pour ne pas rester une heure en prison », « comment tu fais ? ». De cette façon se développe une sorte de chant alterné, qui procède par reprises systématiques : « Mais qui le gardait ?/ Qui en avait la charge ? » (Double question, allitérations construites en chiasme) « Il faut chercher dans les recoins de couloir » (Allitération en r, k, assonance en oi) « Il doit être planqué quelque part . Il doit être recroquevillé dans un cagibi, et il tremble » (Anaphore, allitération en p et q) Cette reprise vaut également pour le vocabulaire : trembler utilisé trois fois, « se foutre de votre gueule » également 3 fois, « être fichu » : « Zucco est fichu », « Zucco est peut-être fichu », « Zucco, Zucco vous êtes fichu ». Mais dans ce premier temps, le mélange des prisonniers et des gardiens créent un effet presque comique (le gendarme et le voleur), d’autant plus que le vocabulaire se veut extrêmement familier (« l’air de cons », « foutre de votre gueule »). Ce parti-pris comique permet à Koltès de mettre en valeur l’arrivée de Zucco : la scène bascule alors et l’on retrouve pleinement le chœur de la tragédie. Ainsi très vite, le chœur redevient symbolique d’une humanité banale et vulgaire : tous les éléments mythiques du personnage (l’assimilation à Goliath ou à Samson) sont rabaissés de manière triviale: « un truand marseillais » « une vraie bête…Il pouvait casser la gueule à dix personnes à la fois » « il s’est fait baiser par une femme ». Les détails même de l’histoire sont évoqués platement : « Non, avec une mâchoire d’âne. Et il n’était pas de Marseille », « Dalila. Une histoire de cheveux. Je connais ». Même la critique finale des femmes est banale : « Il y a toujours une femme pour trahir » « On serait tous en liberté sans les femmes (répétition : toujours/tous ; passage du singulier au pluriel : le renchérissement médiocre de la misogynie ordinaire. Peu étonnant dès lors que dans la dernière partie de la scène, Zucco soit seul face à un chœur qui ne comprend rien, et qui accumule les incompréhensions (phrases la plupart du temps interrogatives ou négatives : « On ne voit rien » « Le soleil nous fait mal aux yeux. Il nous éblouit » « On ne voit plus rien. Il y a trop de lumière » « Le quoi ? Le soleil a un sexe ? » « Qu’est-ce qui bouge ? Je ne vois rien bouger, moi. » « Comment voudrais-tu que quelque chose bouge ? » Les reprises et les répétitions suggèrent ici une parole figée, caractéristique d’une humanité elle –même figée : « Tout y est fixé depuis l’éternité, et bien cloué, bien boulonné ». Zucco apparaît ainsi comme le seul capable de mouvement, le seul en quête d’élévation, même si comme tout héros sa démesure le conduit à la mort. B) Une chute ascensionnelle. Le sacre de Zucco repose sur un ultime renversement. Sa chute n'entraîne pas sa mort mais sa consécration héroïque. Enfin, la présence des dernières didascalies instaure une temporalité et une action hors du commun où la connotation de puissance domine et où le personnage semble comme soustrait à la vision commune : « Le soleil monte, brillant, extraordinairement lumineux. Un grand vent se lève », « Un vent d'ouragan se lève. Zucco vacille. », « Le soleil monte, devient aveuglant comme l'éclat d'une bombe atomique. On ne voit plus rien ». Ce dénouement tragique et nécessaire marque la fin de Roberto Zucco et son inscription dans une lignée mythique, ambition que le dramaturge affichait dans son travail de genèse, lors d'un entretien : « Cet homme (Succo) tuait sans aucune raison. Et c'est pour cela que, pour moi, c'est un héros. Il est tout à fait conforme à l'homme de notre siècle, peut-être même aussi à l'homme des siècles précédents. Il est le prototype même de l'assassin qui tue sans raison. Et la manière dont il perpétue ses meurtres nous fait retrouver les grands mythes, comme par exemple le mythe de Samson et Dalila. Cet assassin qui est au centre de ma nouvelle pièce a été trahi par une femme comme Dalila qui coupa les cheveux de Samson, le privant ainsi de sa force ». Parallèle à la montée du soleil et consécutive au déchaînement des éléments, sa mort est le symbole d'une passation de pouvoir et d'une métamorphose fabuleuse (voir les dernières lignes du texte). La chute ouvre à la survie de Zucco : débarrassé de son corps, il libère son esprit et son pouvoir de rayonnement. Référence explicite à la chute d'Adam et Ève, ce moment final s'offre comme une relecture inversée du livre de la Genèse : dans la Bible, la chute entraîne l'homme dans les vicissitudes d'un corps mortel. Ici, la chute n'est pas initiale mais finale et, dénuée de toute connotation négative, elle permet au héros de quitter son corps pour retrouver son âme. Sa chute correspond à une ascension vers le paradis de la Genèse. C) Une transfiguration sensationnelle. Zucco retrouve ici, la puissance qui lui a fait défaut tout au long de la pièce. Pouvant enfin faire corps avec lui-même et découvrant une unité dont le manque le faisait souffrir, le personnage, transfiguré, quitte toute figure humaine « Il est fou » dit une voix. La tempête se présente comme l'ultime étape du récit d'apprentissage de Zucco, celle où le héros prend la mesure de ses pouvoirs et peut coïncider avec sa fureur mythique. Cette scène finale consacre l'héroïsation de Zucco et met en lumière un dernier paradoxe : devenu surhumain, le personnage ne peut plus être montré sur scène, et lors de son couronnement, le plateau reste vide, le théâtre n'étant qu'une métaphore de la prison qu'est la société. Après sa chute, Zucco retourne au monde, il retrouve le désert, là où « On ne voit plus rien ». CONCLUSION : Une scène d’autant plus frappante qu’elle est une fin à de multiples égards : fin de la pièce, mais aussi dernières paroles de Koltès lui-même . derrière la mort de Zucco, c’est bien la sienne qu’annonce cette scène. Les derniers mots « Il tombe » sont suffisamment significatifs, et l’évocation de « l’éclat d’une bombe atomique » suggère une destruction fulgurante, peut-être dans l’espoir d’échapper à une déchéance lente, douloureuse et inexorable. Après quoi le silence est de rigueur. Ouverture : une mise en scène problématique Dispositif scénique proposé par Denis Marleau en 1993 1) Les personnages Première difficulté : seul Zucco est visible ainsi que l’indique la première didascalie : « On ne voit personne, pendant toute la scène, sauf Zucco quand il grimpe au sommet du toit ». Il faut donc que le comédien parvienne à concentrer sur lui toute l’attention des spectateurs, alors qu’il n’a lui même que peu de texte à prendre en charge. Ainsi toute la première partie de la scène n’est qu’une annonce de son arrivée : on n’entend seulement les voix des prisonniers et celles des gardiens qui alternent : « On a l’air de cons » GARDIEN « Vous avez l’air de cons » PRISONNIER « Il faut chercher dans les recoins de couloir » GARDIEN « Il doit être planqué quelque part » GARDIEN « Il doit être recroquevillé dans un cagibi et il tremble » GARDIEN « Pourtant ce n’est pas vous qui le faites trembler » PRISONNIER « Zucco n’est pas en train de trembler mais de se foutre de votre gueule » PRISONNIER « Zucco se fout de la gueule de tout le monde » PRISONNIER Sa présence devra être d’autant plus forte que la didascalie « torse et pieds nus » le livre pour ainsi dire totalement au regard du spectateur. 2) La représentation du lieu « Le sommet des toits de la prison » : on retrouve ici la même difficulté que dans la scène 1 : la représentation ne peut se faire sans un dispositif scénique fondé sur la hauteur. Ce problème de hauteur se retrouve avec les didascalies relatives au soleil : « Le soleil monte » (x 2). L’espace de la représentation se doit donc très vaste et nécessite des infrastructures importantes : l’élévation de Zucco est à voir par le spectateur. Nombre de metteurs en scène choisissent ainsi de représenter Zucco s’élevant à travers une sorte de cage métallique (cf. Mise en scène de Denis Marleau), voire utilisent une plate-forme capable de s’élever de plusieurs mètres vers le haut (Mise en scène de Philippe Calvario). 3) La représentation des éléments météorologiques La mort de Zucco est évoquée par le déchaînement du vent et l’éblouissement du soleil : les didascalies marquent la progression : « Le soleil monte, brillant, extraordinairement lumineux », « le soleil monte, devient aveuglant comme l’éclat d’une bombe atomique » ; « Un grand vent se lève », « un vent d’ouragan ». Les deux comparaisons utilisées par Koltès, l’ouragan et la bombe atomique sont évidemment très parlantes, mais difficiles à mettre en œuvre sur une scène de théâtre. Le choix d’un éclairage frontal très blanc directement tourné vers le public est souvent privilégié. Le vent est évoqué par le son ainsi que par des fumées. Ainsi, il est clair que cette dernière scène se doit d’être impressionnante pour le spectateur. De ce point de vue, on a le sentiment de revenir aux fondements du théâtre, la représentation comme moment solennel, voire religieux. De fait, Koltès ici n’hésite pas à s’appuyer sur des éléments premiers de la tragédie grecque : la confrontation du chœur et du héros.