Amitav Ghosh, Un océan de pavots Une saga passionnante, disent

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Amitav Ghosh, Un océan de pavots Une saga passionnante, disent
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
Amitav Ghosh, Un océan de pavots
Une saga passionnante, disent les critiques.
Oui, fascinante, ensorcelante, captivante - exigeante aussi : par la précision technique des descriptions ;
par la diversité des idiomes pratiqués par les uns et par les autres (langue des lascars, créole malgache,
anglais indien, anglais chinois et tant et tant de néologismes idiosyncratiques) ; par la complexité narrative.
Au long des trois volumes, nous suivons une bonne douzaine de personnages dont les histoires se
déroulent simultanément, se coupent et s'entrecroisent sans tenir aucun compte de la division en chapitre,
ni d'ailleurs de la légitime attente des lecteurs, puisque les fils sans cesse s'interrompent. Le foisonnement
de rencontres fortuites et de coïncidences peut sembler excessif ; il est en fait au-deçà des simultanéités
improbables de la vraie vie. Les femmes sont des personnages forts et porteurs, dont Deeti, la veuve d'un
opiomane qui sera sauvée du bucher funéraire par Kalua (plus tard appelé Maddow Culver), un conducteur
de bœufs dont elle tombe amoureuse et avec qui elle s'enfuit sur un navire négrier reconverti au trafic de
travailleurs engagés vers Madagascar, Deeti qui est comme le pivot de la trilogie et qui raconte presque
toutes les grandes aventures rapportées au fil de ces quelque 1800 pages par les images d'une grande
fresque au fond de la grotte devenue son sanctuaire. Ghosh fait de chacun ce que Forster appelait un
personnage rond : multiple, contradictoire, en évolution. Certains se découvrent et découvrent en même
temps une grande sagesse, comme Neel Rattan Halder, qui de raja arrogant devient sage parmi les sages.
D'autres s'égarent, comme le sympathique charpentier de bateau Zachary Reid (Malum Zikri pour ses
lascars), qui devient second, puis capitaine, mais sera saisi par la fièvre du profit, par la spéculation sur
l'opium et sur les terres, et en amassant sa fortune perdra tout sens moral.
Sans que jamais notre intérêt pour les déboires des personnages n'en pâtisse, les romans de Ghosh
esquissent une réflexion historique et politique. Ils montrent à l'envi l'hypocrisie des Occidentaux. Ils
invoquent le libre-échange comme quelque principe divin, mais font appel à la force de l'état quand ils
en ont besoin. Ils pillent, saccagent et instrumentalisent la nature pour en tirer profit. Ils contraignent les
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paysans des terres conquises à s'endetter pour remplacer leurs cultures vivrières par la monoculture de
pavots, les obligent alors, par le système dette, à vendre leur force de travail dans les usines d'opium. Ils
ont ainsi dans un même mouvement nié le droit à la souveraineté alimentaire. Face à la Chine, ils bafouent
allègrement le droit de ce grand pays à décider de ce qui est bon ou non pour sa population et déclenche
une guerre où les moyens techniques leur donnent une victoire facile. Pour autant il n'y a pas de réduction
simpliste. Il y a également des spéculateurs chinois, des propriétaires terriens indiens, qui ignorent tout
scrupule.
Personnage discret, mais omniprésent, l'Ibis, ce « merveilleux véhicule de transformations », qui sillonne les
mers et sillonne les cœurs.
Christine Pagnoulle
Amitav Ghosh, The Ibis Trilogy
Un océan de pavots, trad. Christiane Besse, 10/18, 2013, 672 p.
Un fleuve de fumée, trad. Christiane Besse, 10/18, 2014, 728 p.
Flood of Fire (John Murray, 2015) (traduction française pas encore disponible)
Lectures pour l'été 2016
Romans, nouvelles et récits fictifs
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