Introduction I. Un poème construit comme un tableau

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Introduction I. Un poème construit comme un tableau
Voici un plan détaillé que vous pouvez vous exercer à rédiger en y intégrant
des références précises au texte commenté.
Introduction
La poésie s’intéresse aux hommes (poésie lyrique) mais aussi, surtout à partir
du XIXe siècle, aux choses… Baudelaire consacre un de ses Petits poèmes en
prose à un objet inattendu et banal – les fenêtres – quoique apprécié des peintres (Vermeer, Rembrandt) : c’était un passionné de peinture.
De ce nouveau « tableau parisien », il fait une sorte d’apologue paradoxal où
il montre que les fenêtres fermées sont plus intéressantes que les fenêtres
ouvertes, Mais il va au-delà : il propose une réflexion qui dépasse l’anecdote du tableau inséré au cœur du poème en prose, et qui encadre la
fenêtre, presque un art poétique, qui définit la nature et le rôle du poète :
c’est un créateur de « légendes », qui prend en charge la misère du monde
(cf. ce que dit Baudelaire à Dieu : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de
l’or » ; en effet il transforme le « Mal » en « Fleurs »).
I. Un poème construit comme un tableau
Au cœur du poème, la scène, le sujet et, comme pour l’encadrer, au début
et à la fin, des réflexions plus générales qui dépassent la simple description,
le tableau, l’étendent, lui donnent sa portée, sa signification symbolique.
1. Le premier élément qui « encadre » le tableau
• Présentation de l’observateur et du sujet : de façon générale d’abord (« celui
qui »), avec une forme impersonnelle, sur le ton d’une affirmation forte :
– présent de vérité générale ;
– termes péremptoires forts : « toujours » « ne […] jamais » (ne modalise pas) ;
– répétition : « vit, vie, vie… vie ».
• Le sujet du tableau : la fenêtre, objet qui a la forme du cadre d’un tableau :
– cinq adjectifs, présentation emphatique (« plus… »), à valeur descriptive et
aussi affective mêlées (« mystérieux, fécond »), d’autres impressions visuelles
(« ténébreux, éblouissant »), mais aussi peut-être valeur esthétique et morale ;
– des éléments concrets : « fenêtre », « chandelle » ;
– les contrastes : ombre/lumière, fenêtre fermée/fenêtre ouverte (fenêtre fermée
= « un trou » (négatif) mais plus riche que tout, même si elle ouvre sur la misère) ;
– aspect paradoxal et provocateur : fenêtre fermée qualifiée négativement
(= « un trou ») alors qu’elle est en fait une occultation, serait plus intéressante qu’une fenêtre ouverte (Baudelaire aime bien choquer et prendre un
point de vue provocateur, voir « Une charogne »).
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2. L’anecdote (2e paragraphe)
• Le poète-peintre passe au « je », s’implique :
– anecdote autobiographique ? Baudelaire, par manque d’argent, était
souvent réduit à des logements sous les toits ;
– présent d’énonciation (« j’aperçois » une seule fois ? un jour ?) ou présent
d’habitude (« j’aperçois » régulièrement ?) ;
– il décrit ce qui ce passe devant ses yeux : « vagues de toits » panoramique, métaphore évocatrice (« vagues de toits » → toits = mer).
• Précision des détails sur le sujet : un gros plan sur « femme mûre »,
« ridée », sur son attitude (« penchée »), sur le « visage », le « vêtement » →
un tableau réaliste représentatif du Paris (la grande ville) de la misère :
– rôle de l’imagination et de la sensibilité compatissante du poète qui transforme la réalité en « légende » ;
– suggestion d’une autre légende à écrire : « si c’eût été un pauvre vieux
homme » (la poésie en devenir).
• Retour à la vie quotidienne du poète : « je me couche ». Le présent est ici
clairement un présent d’habitude.
3. Le deuxième élément qui « encadre » le tableau
Une réflexion, la morale sous la forme d’un dialogue imaginaire (« peut-être ») :
• qui implique directement le lecteur (« me direz-vous ») ;
• vouvoiement, tutoiement :
– étrangeté, mystère du « vous » : vouvoiement de politesse à un seul lecteur,
ou « vous » pluriel qui s’adresse à plusieurs lecteurs ?
– en revanche le lecteur, familier, tutoie… : amical ?
• question qui permet au poète d’affirmer son lien avec la réalité et le
rapport entre la création poétique et sa propre existence.
II. Une réflexion sur la condition humaine et la condition
du poète ; un art poétique
1. Une définition de la poésie
• « La poésie est comme une peinture » (Horace) : travail sur les lumières et
les contrastes (« ténébreux » / « éclairée, chandelle » : sorte de clair-obscur).
• Une poésie du quotidien et du réel :
– l’observation est source de création ;
– un éloge du quotidien (énumération de superlatifs qui aboutissent à un
éloge hyperbolique : « rien de plus… ») mais poétisé (par la « chandelle »,
plus poétique que l’éclairage au gaz).
• Mais elle dépasse la réalité superficielle :
– elle est expression d’une sensibilité tournée vers les autres, les pauvres ;
– poésie de la souffrance, de sublimation de la souffrance.
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• La poésie est aussi romanesque :
– à partir du réel, le poète invente, comme un romancier ; Baudelaire écrit
« une légende », une fiction et peut faire varier ses personnages : une
« vieille femme », un « pauvre vieux homme » ;
– satisfaction – orgueil ? – de cette faculté qu’il maîtrise ; il peut refaire le
monde, la vie des hommes « tout aussi aisément ».
• La poésie est dialogue, tisse des liens avec le lecteur, « mon frère ».
2. Un poète symboliste
• Valeur symbolique de la fenêtre qui prend une portée philosophique.
• Un moyen de corriger, de modifier notre conception habituelle du monde :
fenêtre fermée mieux que fenêtre ouverte…
• Moyen de passer de l’extérieur de la réalité à une réalité intérieure, celle
de la condition humaine, du mystère des êtres.
• Moyen pour le poète de mieux se connaître, de lutter contre le spleen :
cette fenêtre, paradoxalement, ouvre aussi sur le monde intérieur du poète :
« sentir que je suis et ce que je suis ».
3. Un plaidoyer pour le poème en prose ?
Force du poème en prose dans cette démarche :
• Une progression proche de celle d’un sonnet, dont on a ici la
fragmentation : comme deux quatrains et presque deux tercets avec chute
de la dernière interrogation.
• Mais un dépouillement, une fluidité qui ne doit rien aux rimes, à la régularité du vers, mais au rythme intérieur de chaque phrase :
– fréquentes répétitions, énumérations, parallélismes, oppositions ;
– importance aussi des ruptures : entre le premier et le deuxième paragraphe, dernier paragraphe ; changements de mode d’énonciation, de
situation ; mélange entre généralisation et situation personnelle ; dialogue…
Conclusion
Une image du poète moins pessimiste que poète du spleen, dévasté par le
mal de vivre. Ici, au contraire, attentif à la misère des autres, il y trouve un
aliment pour sa création, mais aussi une force pour mieux se connaître et
pour « vivre » ; il se dit « fier », « aidé » par cette expérience.
Et de cette expérience du regard, de ce partage – même lointain – du
malheur des autres, il reste un « objet » poétique, un témoignage : le poème.
Deux autres poètes choisiront les « fenêtres » comme sujet poétique – Mallarmé et Apollinaire –, ainsi que tant de peintres (Vermeer, Van Gogh,
Matisse…).
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