Lire l`interview tirée de la revue FNAIR n°128

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vie pratique
« Nous voulons faire changer
le regard sur les aidants »
Actuelle présidente de l’Association Française des Aidants,
Florence Leduc a travaillé pendant
30 ans dans l’accompagnement à
domicile des personnes fragiles et
de leurs proches aidants. Ces derniers constituent une population
de l’ombre, dont la souffrance est
méconnue et peine à s’exprimer.
/ Photo R.B.
Vous présidez l’Association Française des Aidants… Comment définiriez-vous
un « aidant » ? Comme une personne qui prend soin de quelqu’un d’autre ?
C’est plus que cela. Il prend soin de manière régulière, avec une fréquence des tâches qui peut aller
de deux à plusieurs fois par semaine. Ce n’est pas juste celui qui est sympa avec celui qui ne va pas
bien. Ce n’est pas juste non plus la fille qui habite à 800 km de son père, et qui va le voir une fois
de temps en temps. Cette fille-là fait partie de la galaxie des aidants. Elle l’aide, elle l’aime mais ce
n’est pas elle qui se coltine tous les jours les soins, qui l’habille, lui donne à manger, etc. La personne
aidante s’assure dans le temps et la durée d’une surveillance et de tâches répétitives.
Quelles missions s’est fixé votre association ?
Elle a d’abord une mission politique. Nous voulons faire changer le regard sur les aidants. Ça fait
des années que l’on nous serine avec l’aide aux aidants et cette aide, dans l’esprit de beaucoup de
monde, consiste à leur donner un petit coup de main pour qu’ils continuent encore plus à aider. On
dit stop ! On est tous concernés, ou on le sera tous un jour, par cette question des aidants. Aider
les aidants ne devrait pas consister à leur apprendre des tâches réservées à des professionnels. Notre
message consiste à dire qu’un aidant doit se dévouer à son proche, s’il le veut, s’il le choisit. De plus,
on doit mettre à la disposition des personnes qui ont besoin d’aide et de soins les interventions professionnelles dont elles ont besoin pour être soignées et accompagnées. Le proche aidant doit rester
vis-à-vis de l’autre ce qu’il est initialement, son fils, sa compagne, sa mère, etc. Cela n’empêche pas,
tout en restant dans son rôle, d’apprendre les gestes les plus simples pour lever une personne, la
transférer du lit au fauteuil. Une mère me confiait récemment qu’elle était tout pour son enfant, une
éducatrice, une rééducatrice, une kiné, une infirmière, mais plus une mère. C’est ça qui est grave,
qui la faisait véritablement souffrir !
Par voie de conséquence, en restant lui-même, l’aidant doit aussi pouvoir continuer à vivre en société. Il y en a marre d’entendre dire : il faut que l’aidant arrête de travailler. Ce n’est pas vrai qu’il
faut rester tout le temps à côté d’une personne malade, ce sont des cas rarissimes et même dans
ces cas de personnes lourdement handicapées, des solutions existent. C’est magnifique d’être un
aidant, à condition de ne pas être dans cette insupportable assignation à résidence.
Vous voulez changer le regard
de la société sur les aidants. A
quoi ressemble aujourd’hui ce
regard et comment le changer ?
Ce regard ressemble au code
civil, à l’obligation alimentaire, au rôle de la famille, à
la récupération sur succession, toutes ces petites graines distillées dans la loi ou dans des affirmations fausses du type :
Plus l’on reste ce que l’on est
à l’autre et à la société,
plus l’on est fort pour aider
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LE DOSSIER - les patients et leurs proches
Mais souvent les aidants ont
du mal à demander de l’aide,
parce qu’ils estiment ne pas en
avoir le droit…
Il y a tout de même de plus en
plus de personnes qui cherchent à
savoir comment concilier leur vie
d’homme ou de femme avec celle d’aidant, mais pour que ces gens fassent cet effort, il faut qu’ils
sentent un regard qui les autorise à ne pas être celui qui se sacrifie.
Ce qui guette les aidants, c’est la fatigue,
l’isolement, la dépression,
les problèmes alimentaires, de sommeil…
Comment pouvez-vous, en tant qu’association accompagner ces personnes ?
De deux manières : d’un côté global, politique et plus individuellement. Politiquement, nous travaillons beaucoup, avec Roselyne Bachelot notamment, sur des questions comme : Comment être
aidant et continuer à travailler ? Nous essayons aussi de faire en sorte que ces aidants soient particulièrement sensibles à leur état de santé, parce que ce qui guette les aidants, c’est la fatigue,
l’isolement, la dépression, les problèmes alimentaires, de sommeil…
Votre association organise aussi des « Café des aidants ». En quoi cela consiste ?
Ils existent depuis 2004, à la création de notre association. Notre spécificité est de nous intéresser aux aidants, quel que soit l’âge, la pathologie de la personne aidée. L’objectif de ces cafés est
d’abord de faire sortir les aidants de chez eux. Ces cafés sont des espaces de rencontre, d’échange,
de partage. Un animateur propose un thème de réflexion, un psychologue est là pour réguler les
échanges. Mais ce ne sont pas des groupes de parole. On peut venir une fois de temps en temps. On
se forme, on s’informe, on discute de ce qu’est un aidant et de ce qu’il n’est pas. On fait aussi très
attention à ce que les gens qui participent à ces cafés soient au cœur d’un tissu d’acteurs. Qu’ils
puissent ressortir de ces cafés avec une orientation vers une consultation, une institution spécialisée,
un conseil général pour avoir de l’aide, etc. Notre philosophie consiste à dire que tous les gens qui
entrent dans notre association doivent pouvoir y trouver les moyens d’en sortir. C’est pour cela que
nous avons beaucoup de partenariats.
Vous avez également un rôle de formation et d’information…
Les proches aidants ont besoin de savoir, c’est le constat que l’on a fait. L’information peut consister
à expliquer comment évolue une maladie, quelles sont les associations qui la représentent, si la personne peut recourir à des aides sociales, médicales, s’il existe des lieux de détente, de parole pour la
personne aidante mais aussi pour la personne aidée ! Vous savez, il n’est pas toujours facile d’avoir
un saint à la maison… La personne aidée ne peut plus dire « lâche-moi ! » tant l’interdépendance
est forte. Je choque parfois en disant ça, mais je pense profondément qu’un dispositif comme l’accueil de jour fait autant de bien à l’aidant qu’à l’aidé.
Il y a un également un besoin de formation quand on est embarqué dans une aide au long court.
On réfléchit alors à comment les gens peuvent se mettre au travail avec des formateurs pour mieux
aider l’autre, dans leur pratique quotidienne.
Nous faisons aussi de la formation au sein des équipes médico-sociales, des conseils généraux, des
MDPH, à la Sécurité sociale pour les aider dans leurs évaluations, pour les aider donc à trouver une
juste place aux aidants. Un troisième public est constitué par les intervenants professionnels, dans
le public ou en institution. Il y a chez eux un assez grand embarras avec cette question des aidants.
Tout le monde a des difficultés à reconnaître la place, la compétence, le rôle de l’autre.
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Décembre 2011 - FNAIR N°128
vie pratique
on a abandonné les vieux pendant la canicule. C’est de l’intox. Il faut voir ce que de jeunes enfants peuvent se coltiner, lorsqu’ils ont un parent alcoolique, dépressif, accidenté
de la route ! Il faut sortir de ce regard qui semble dire « c’est une sainte, c’est un héros ! ».
Laissez tomber, on n’est pas là pour être des saints et des héros !
Dans l’esprit de beaucoup de gens, il ne faut pas s’amuser pendant que l’autre souffre. Les résultats
de cette vision des choses, typiquement judéo-chrétienne, sont édifiants… on a tout de même un
tiers des aidants en France qui vont très mal. Chez les vieilles personnes, on voit d’ailleurs beaucoup
de personnes aidantes mourir avant celles qu’elles aidaient. On est là pour être dans cette présence
à l’autre, mais l’on est pas obligé d’être dans le regard de l’autre irréprochable, saint, presque déjà
en deuil. C’est parce que je m’occupe de quelqu’un à la maison que j’ai encore plus besoin de sortir,
d’aller au resto, de m’amuser entre amis. Plus l’on reste ce que l’on est à l’autre et à la société, plus
l’on est fort pour aider et moins l’on embête la personne que l’on aide, j’en suis convaincue.
vie pratique
Aujourd’hui, les aidants sont le plus souvent des aidantes…
C’est vrai pour les populations les plus âgées parce qu’elles survivent souvent aux hommes. Mais en
population générale, on est à égalité. En matière d’Alzheimer, par exemple, il y a plus d’hommes
aidants, parce que les femmes sont plus touchées par cette maladie. Les hommes ne réagissent
pas comme les femmes qui veulent souvent tout faire, avoir une emprise sur tout (c’est finalement
inscrit dans notre tradition matriarcale). Les hommes, eux, savent qu’ils ne savent pas, qu’ils ne peuvent pas tout faire. Lorsqu’ils ont un âge avancé, ils font beaucoup plus facilement que les femmes
appel à des services extérieurs, ils hésitent moins à faire en sorte, par exemple, que leur épouse aille
dans un établissement d’accueil pour personne âgée dépendante, et ils vont la voir. Ils ont, mieux
que les femmes, anticipé la question d’être aidant et continuer à être.
Si on réfléchit un peu au système de santé actuel, à comment il fonctionne ou dysfonctionne, quel constat peut-on dresser ? De quoi manquent le plus les personnes en situation
de dépendance ? D’offres de soins à domicile ? De moyens pour accéder à ces soins ?
Notre système dysfonctionne
tout de même un peu. Il y a
10 ans, avec la loi du 2 janvier
2002, on a construit un système
d’aide et d’accompagnement à
domicile, avec une volonté de
structuration d’un maillage territorial. Puis, on a tout détruit.
On a voulu ces dernières années
ouvrir ce secteur à la concurrence, faire du service à la personne, un grand méli-mélo en fait, - merci Borloo -, mettre au même
niveau le jardinier, la femme de ménage et l’aide à domicile des personnes vulnérables. La libre
concurrence lorsqu’on touche au gaz, à l’électricité, d’accord ! Mais pas quand on touche à des
personnes vulnérables. Tout le monde s’autorise tout dans ce secteur.
Aujourd’hui, les Conseils Généraux travaillent très dur pour voir comment on peut reconstruire.
Mais il faudra attendre 5 à 6 ans pour mailler le territoire et proposer des solutions transparentes,
très lisibles qui ne soient pas seulement investies par les politiques de l’emploi. On revient de loin.
On fait aujourd’hui un travail pour bien distinguer deux systèmes de réponse. Un premier système
de services et prestations que l’on achète, que l’on commande (pour le ménage, le repassage, etc).
Et puis, il y a la réponse médico-sociale. Celle-ci ne peut pas être une réponse à la commande. Cette
demande doit être travaillée, avec une évaluation de la situation de la personne et de son environnement. Elle fait l’objet d’une négociation pour construire un plan d’intervention à l’intérieur duquel
chacun a sa juste place. C’est cette confusion des deux modèles qui a généré des catastrophes. Les
proches se sentent du coup autorisés à faire de la commande de service médico-social, et les services
à la personne soumis à des commandes s’autorisent à faire de l’évaluation. C’est n’importe quoi !
Nous travaillons aujourd’hui à tout reconstruire.
La libre concurrence lorsqu’on touche
au gaz, à l’électricité, d’accord !
Mais pas quand on touche
à des personnes vulnérables
Propos recueillis par Romain Bonfillon
Qui sont les aidants ?
Selon l'enquête BVA pour la fondation Novartis présentée le 4 octobre dernier au cours de la
conférence de presse de lancement de la Journée nationale des aidants, le nombre d'aidants se
situe entre 3,5 millions et 4 millions. Ils sont répartis de manière égale sur le territoire et appartiennent à toutes les catégories socio-professionnelles. Les aidants représentent entre 6 % et 8 %
de la population active. Ils seront 15 % d'ici à 10 ans. Les femmes constituent une forte majorité
(60 %) des aidants, dont 42 % sont âgées de 55 à 75 ans. Particularité : quand le patient a plus
de 75 ans, les hommes aidants deviennent majoritaires : 55 % contre 45%. Le lien familial est
prédominant dans le couple aidant-aidé. Plus de 80 % des aidants font partie de la famille. Les
17 % à 18 % restants évoluent dans le cercle amical ou de voisinage de la personne. 89 % des
aidants vivent avec la personne aidée. Neuf personnes sur dix, vivant dans un domicile distinct,
s'occupent de la personne tous les jours ou plusieurs fois par semaine. Les aidants attendent
beaucoup des pouvoirs publics : 71 % estiment être insuffisamment aidés et considérés.
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