Poétesse, de Rodrigo Ciriaco, en ligne et en entier

Transcription

Poétesse, de Rodrigo Ciriaco, en ligne et en entier
Poétesse
˜ž›ȱ ž—Žȱ ꕕŽȱ šž’ǰȱ ›¦ŒŽȱ ¥ȱ •Šȱ ™˜·œ’Žǰȱ œȂŽœȱ ·Œ˜žŸŽ›Žȱ Ž––Žǯ
˜Œ‘Žǯȱ ’’Œž•Žǯȱ ˜››’‹•Žǯȱ ¹–ŽȬ™ŠœȬŠ—œȬ˜—Ȭ™’›ŽȬŒŠžŒ‘Ž–Š›ǯȱ
›˜œȱ ™’ǯȱ ‘˜—ǯȱ Šȱ ˜žěŽǯȱ Š—’Œ‘Žǯȱ ‘ȂŸŽž¡ȱ Ž—ȱ ™˜’•œȱ Žȱ Œž•ǯȱ Š•Ž’—Žǯȱ
P’tite grosse. Bigleuse. Pue le fauve. Négresse. Haleine de chacal.
Pachyderme. Laideron. Haleine de phoque. Gourde. Miro. Nez de
Œ˜Œ‘˜—ǯȱ ȂŠœȬž—Žȱ ™ŠŠŽȬ¥Ȭ•ŠȬ™•ŠŒŽȬžȬ™’ǯȱ žŽ—˜—ǯȱ ¹Žȱ Š—œȱ •Žȱ Œž•ǯȱ
Hamster. Dents pourries. Bouche d’égout. Laideron.
˜žœȱ Ž—ȱ ˜ž’Ž£ȱ ™ŽžȬ¹›Žǰȱ –Š’œȱ •Šȱ –·Œ‘Š—ŒŽ·ȱ Ž¡’œŽǰȱ Œ˜––Žȱ Ž—ȱ
·–˜’—Ž—ȱšžŽ•šžŽœȬž—œȱŽœȱœ˜‹›’šžŽœȱšž’ȱŠěž‹•Š’Ž—ȱŽ••¢ǯȱ›Žœœ·Žǯȱ
Blessée. Maltraitée. Insultée, presque quotidiennement. Dès qu’elle metŠ’ȱ •Žȱ —Ž£ȱ Ž‘˜›œǯȱ ¸œȱ šžȂŽ••Žȱ ŽœŒŽ—Š’ȱ žȱ ›˜Ĵ˜’›ȱ ™˜ž›ȱ ·Ÿ’Ž›ȱ •Žœȱ
groupes de jeunes, en cercle. Dès qu’elle marchait dans le couloir du
Œ˜••¸Žǯȱ ’ȱ Ž••Žȱ œŽȱ ›’œšžŠ’ȱ ¥ȱ ™ž‹•’Ž›ȱ ž—Žȱ —˜žŸŽ••Žȱ ™‘˜˜ȱ œž›ȱ œ˜—ȱ ™›˜ę•ǰȱ
˜—ȱ •ž’ȱ ’œŠ’ȱ DZȱ ȍȱ ˜—ȱ –Š’œȱ žȱ ȂŽœȱ ŸžŽȹǵǵǵȱ Ȏȱ ȱ Ž••Žȱ œŽȱ ›ŽŠ›Š’ǰȱ œȂ˜‹œŽ›ŸŠ’ǯȱ••ŽȱŠ’–Š’ȱ‹’Ž—ȱŒŽȱšžȂŽ••ŽȱŸ˜¢Š’ǯȱ¹–Žȱœ’ȱœŠȱ‹ŽŠž·ȱ·Š’ȱ’—Ÿ’œ’‹•Žȱ
¥ȱ•Šȱ·•·ǯȱ¹–Žȱœ’ȱŽ••Žȱ—ȂŠ™™Š›Š’œœŠ’ȱ™Šœȱœž›ȱ•ŽœȱŒ˜žŸŽ›ž›ŽœȱŽœȱ–ŠŠ£’—Žœǰȱ œž›ȱ •Žœȱ ™ž‹•’Œ’·œǯȱ ¹–Žȱ œ’ȱ Ž••Žȱ —Ȃ·Š’ȱ “Š–Š’œȱ •Žȱ œž“Žȱ ȂŠ›’Œ•Žœȱ
optimistes, d’informations positives.
D’une certaine façon, elle se sentait perdue. Isolée. Elle avait
quelques amis, mais c’était juste pour faire semblant, faire du social,
servir de façade. Elle mit du temps à se trouver. À trouver son groupe,
faire son trou. Elle s’était toujours sentie comme un poisson hors de
124
ȱȱȱ
l’eau. Jusqu’à connaître un sarau1ǯȱ ž’ǰȱ ž—ȱ sarau : un espace culturel,
ž—Žȱ ¹Žȱ ˜ùȱ •Žœȱ Ž—œȱ œŽȱ ›Ž›˜žŸŽ—ȱ Šž˜ž›ȱ Žȱ •ȂŠ›ǰȱ ™˜ž›ȱ ›ŠŒ˜—Ž›ȱ Žœȱ
histoires, réciter des poèmes, interpréter la vie. Avec supplément extrafort de lyrisme, de dramaturgie, de poésie. Et pour couronner le tout :
le sarau a lieu dans la favela. Tout près de chez elle. Cet endroit que
ŒŽ›Š’—Žœȱ™Ž›œ˜——ŽœȱšžŠ•’ꎛŠ’Ž—ȱȂŠžœœ’ȱ–˜Œ‘ŽȱšžȂŽ••ŽǯȱŽȱžŠ›’Ž›ǰȱ•Šȱ
banlieue, la périphérie.
Ž••¢ȱ žȱ œž›™›’œŽȱ Žȱ ·Œ˜žŸ›’›ȱ •Žȱ Œ˜—ŒŽ™ȱ Žȱ ŒŽȱ Ž—›˜’ǰȱ ŒŽȱ šžȂ’•ȱ
proposait. Des dizaines, des centaines de personnes qui se rencontraient,
se rassemblaient pour communier autour du mot. Déversaient leurs
‘Š’—Žœǰȱ •Žž›œȱ ›Š—Œêž›œǰȱ •Žž›œȱ “˜’Žœǰȱ •Žž›œȱ ›·Ÿ˜•Žœǰȱ •Žž›œȱ Š–˜ž›œǯȱ
Déclamaient des nouvelles, des chroniques et beaucoup, beaucoup de
poésie. Au sarauǰȱ Ž••¢ȱ œȂ’––Ž›ŽŠȱ Š—œȱ ž—ȱ ‹Š’—ȱ Žȱ –˜œǰȱ Žȱ œ˜ž›’›Žœǰȱ
›Ž³žȱŽœȱ’ĚŽœǰȱžȱ˜žŒ‘·Žȱ™Š›ȱŽœȱŸ·›’·œȱšž’ȱ•Ȃ·–ž›Ž—ȱ™›˜˜—·–Ž—ǰȱ
dans son intimité qu’elle seule connaissait. Elle se sentit respectée, remerŒ’·Žǯȱ žȱ ž—Žȱ –Ž’••Žž›Žȱ Žœ’–Žȱ ȂŽ••ŽȬ–¹–Žǯȱ
Vivante. Il lui avait fallu dix-sept ans pour respirer à fond et sentir
šžŽ•šžŽȱ Œ‘˜œŽȱ Žȱ ’ě·›Ž—ȱ DZȱ Ž••Žȱ ›Žœ™’›Š’ȱ Žȱ œŽȱ œŽ—Š’ȱ Ÿ’ŸŠ—Žǯȱ
ȱ ŒȂŽœȱ ŠŸŽŒȱ ŒŽȱ –¹–Žȱ Œ˜ž›ŠŽǰȱ ž—Žȱ ˜œŽȱ Ȃ’›˜—’Žȱ Žȱ ž—Žȱ ™Ž’Žȱ
Ž—Ÿ’ŽȱŽȱŸŽ—ŽŠ—ŒŽȱšžȂŽ••Žȱ·Œ’ŠȱŽȱ˜žȱ–ŽĴ›Žȱœž›ȱ•ŽȱŠ™’œǯȱŽȱ™›Ž—›Žȱ
•Žȱ ›˜–‹˜—Žȱ Žȱ Žȱ œ˜žĝŽ›ȱ ŽŠ—œǰȱ Žȱ ›·™˜—›Žȱ ¥ȱ ˜žȱ ŒŽȱ šžȂŽ••Žȱ ŠŸŠ’ȱ
subi, d’expulser les paroles refoulées depuis toujours. Les feuilles sur
la table, les mots à la main. Le premier vers mit du temps à sortir, mais
ŒŽȱ žȱ •Žȱ ’›ȱ Žȱ ŒŠ—˜—ȱ Žȱ œŠȱ ›·Ÿ˜•ž’˜—ǯȱ ȱ Ž••Žȱ ’›Šǰȱ ’›Šǰȱ ’›Šǰȱ œŠ—œȱ Š››¹ǰȱ
jusqu’à parvenir à sa domination. Dans la salle de cours. Dans le couloir
de l’école. Dans le centre culturel, dans les bars, dans les rues. La jeune
ꕕŽȱŠž›Ž˜’œȱ–·™›’œ·Žǰȱ’—œž•·Žǰȱ‹•Žœœ·ŽȱŠ—œȱœŠȱ’—’·ȱ·Š’ȱ˜›·—ŠŸŠ—ȱ
appelée pour réciter ses poèmes. Le public l’écoutait en silence.
™™•Šž’œœŠ’ȱ ¥ȱ •Šȱ ę—ǰȱ ŠŸŽŒȱ ·–˜’˜—ǯȱ Ž••¢ȱ ·Š’ȱ •Žȱ œ‘˜ ǯȱ
Šȱ “Žž—Žȱ ꕕŽȱ ‘Š›ŒŽ•·Žȱ ™Š›ȱ •Šȱ –·Œ‘Š—ŒŽ·ȱ Žȱ ŒŽž¡ȱ šž’ȱ –Š•›Š’Ž—ȱ
les autres pour se valoriser s’était transformée. La chenille entrée dans
•Žȱ Œ˜Œ˜—ȱ Žȱ •Šȱ •’Ĵ·›Šž›Žȱ œȂ·Š’ȱ ›Š—œ˜›–·Žȱ Ž—ȱ ™˜·ŽœœŽǯȱ ˜––Žȱ ž—ȱ
papillon.
1
Lire à ce sujet l’article de Matilde Maini, page 212.
125
˜›’˜ȱAȱ
ž“˜ž›Ȃ‘ž’ǰȱ˜—ȱ•Šȱ–˜—›Žȱžȱ˜’ȱDZȱȍȱŽŠ›Žǰȱ–ŽŒǯȱŽĴŽȱ–Žžǰȱ
Ž••Žȱ Žȱ Œ˜žŒ‘Žȱ Žœȱ Ž¡Žœǰȱ ŒȂŽœȱ Žȱ •Šȱ ‹Š••Žǯȱ —Žȱ Ÿ›Š’Žȱ –’›ŠȬ•ŽĴ›Žǯȱ ••Žȱ
est poétesse. C’est du lourd. » Quand elle marche dans le Quartier, elle
—ŽȱŽœŒŽ—ȱ™•žœȱžȱ›˜Ĵ˜’›ȱDZȱ˜—ȱ•ž’ȱ˜žŸ›Žȱ•ŽȱŒŽ›Œ•Žȱ™˜ž›ȱ•Šȱ•Š’œœŽ›ȱ™ŠœœŽ›ǯȱ
Sur les réseaux sociaux, ses poèmes sont commentés. Les gens les
™ž‹•’Ž—ǰȱ •Žœȱ ™Š›ŠŽ—ǯȱ —ȱ •ž’ȱ Šȱ –¹–Žȱ Ž–Š—·ȱ Žȱ ™Š›’Œ’™Ž›ȱ ¥ȱ ž—Žȱ
anthologie de poésie. Les gens prennent des œŽ•ęŽœ avec elle. Et quand
on lui demande quel est son nom de scène, ou de plume, elle sourit.
·™˜—ȱšžȂŽ••ŽȱŠ’–Žȱ‹’Ž—ȱœ˜—ȱ—˜–ǰȱŽ••¢ǯȱ˜žȱœ’–™•Ž–Ž—ǰȱŠžȱœ’—ž•’Ž›ǯȱ
Mais ce qu’elle aimerait vraiment, c’est qu’on se souvienne d’elle comme
une poétesse. Po-é-tesse. Rien que cela.
126

Documents pareils