Vers un cadre légal pour les pratiques en amateur

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Vers un cadre légal pour les pratiques en amateur
Vers un cadre légal pour
les pratiques en amateur
Loi Liberté de création, architecture et patrimoine
Le 29 septembre, les députés ont examiné puis voté un amendement
gouvernemental sur les pratiques en amateur. L’article 11A, a mis à
jour un intérêt unanimement partagé pour ces pratiques en amateur.
Au final, les contestations concernaient surtout la méthode – un article
ajouté en fin de parcours – et non le fond. Avec aussi le sentiment de
porter la responsabilité d’un “moment historique”, car le dernier texte
encadrant les pratiques en amateur remontre à plus de 60 ans (1953).
Présentation de l’article et échos des débats des députés.
Résoudre la question de l’encadrement légal
des manifestations publiques des amateurs suppose de trouver un juste équilibre entre plusieurs
éléments de légitimité qui peuvent se contredire.
- D’une part, il faut répondre à l’engouement croissant pour les pratiques en amateur et au souhait
des citoyens de pouvoir se produire en public. Se
pose alors la question d’une éventuelle billetterie
payante. Peut-il y avoir une transaction d’argent
sachant que la pratique en amateur se définit par
son caractère non lucratif ?
- D’autre part, si une billetterie est autorisée, que
faire de la part de recettes qui excède le remboursement des frais des artistes en amateur et
de l’association ou structure qui les “emploie” ?
Cet excédent peut-il être utilisé à autre chose
qu’à la poursuite de leur activité artistique ? Par
exemple abonder un fonds caritatif ou un projet
de restauration patrimoniale ? Il apparaît en effet
difficile de contester cette manière courante de
lever des fonds au bénéfice de l’intérêt général.
Mais comment alors éviter les abus …
- Par ailleurs, les professionnels craignent, là aussi
de manière légitime, que le recours aux amateurs absorbe une partie de l’emploi artistique.
Ce serait de plus contraire au Code du travail
en tant qu’entorse à la “présomption de salariat”
qui stipule que tout emploi exige salaire.
- Enfin, s’il est certain que les bénévoles contribuent à l’emploi artistique – par exemple pour
des concerts orchestraux avec chœur –, comment
contrer une éventuelle exploitation commerciale
des amateurs ? Selon quels critères (nombre de
représentations ? types de structures ?…) préserver le statut réel de l’amateur et ainsi justifier
la participation de bénévoles dans un cadre professionnel ?
Les possibilités de dérives sont en miroir : d’un
côté, des manifestations en amateur qui se présentent comme des manifestations professionnelles
et, de l’autre, des spectacles professionnels qui se
montent grâce à des amateurs. C’est à cet ensemble complexe de problématiques entrecroisées que
les députés ont tenté de répondre.
L’article 11A s’ouvre par une définition : « Est
artiste amateur dans le domaine de la création
artistique toute personne qui pratique seule ou en
groupe une activité artistique à titre non professionnel et qui n’en tire aucune rémunération », si
ce n’est « le remboursement des frais occasionnés
par son activité sur présentation de justificatifs ».
Pour autant, une billetterie payante est autorisée
et « la part de recette » (ce qui reste après le remboursement des frais) peut servir aux amateurs « à
financer leurs activités ». Cette dernière mention,
sans précision de la nature des activités ainsi finan-
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octobre 2015
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çables – sous-entendu : à condition que ‘‘la part de
recette’’ ne contribue pas à l’enrichissement personnel – peut donc être toute autre qu’artistique :
éducative, sportive, caritative…
bénévoles, que la période d’emploi pourrait devoir
ne pas excéder deux semaines –, « et dans le cadre
d’un accompagnement de la pratique en amateur
ou d’actions pédagogiques et culturelles ».
Puis vient un troisième alinéa traitant de l’emploi
d’amateurs dans des programmations professionnelles. Il est possible de « faire participer des
artistes amateurs et des groupements d’artistes
amateurs à des représentations en public d’une
œuvre de l’esprit sans être tenu de les rémunérer ». A trois conditions.
Un dernier paragraphe concerne les recettes
attribuées aux amateurs dans ces manifestations
“mixtes” (donc hors salaires et bénéfices pour les
professionnels). Ces recettes servent « à financer leurs frais liés aux activités pédagogiques et
culturelles et, le cas échéant, leurs frais engagés
pour les représentations concernées ».
- La première, qui relève d’une position de principe destinée à rassurer les professionnels, est de
ne pas porter préjudice à la présomption de salariat. Un choix que la ministre de la Culture explicite de la manière suivante : le fait que l’amateur
« se produise sur une scène professionnelle sans
contrepartie financière ne constitue ni une dérogation ni même une atteinte à la présomption
de salariat ». Elle propose en conséquence de
modifier la première version de l’amendement
qui parlait de “dérogation” au Code du travail :
« En recourant au terme “sans préjudice de”,
cet amendement permet une parfaite cohérence
avec la définition de l’artiste amateur. »
Tel est le texte de l’article 11A adopté en première lecture à l’Assemblée nationale. Non sans
débats…
- Le seconde consiste à réserver le recours à des
bénévoles aux seules structures de création, de
production, de diffusion et d’exploitation de
lieux de spectacles « dont les missions prévoient
l’accompagnement de la pratique en amateur
et la valorisation des groupements d’artistes
amateurs ». Si la question demeure de comment
identifier les structures privées et associatives
porteuses de telles missions, on peut anticiper
qu’en feront forcément partie les structures
subventionnées et donc tenues au respect d’un
cahier des charges.
- Troisième condition pour éviter un abus “d’emplois” d’amateurs : ils ne seraient autorisés que
« dans la limite d’un nombre annuel de représentations défini par voie réglementaire » – en
séance, la ministre a estimé, sur la base de la durée
maximale courante des festivals recourant à des
Discussions. En début de discussion de l’article,
François de Mazières (apparenté LR) a déposé un
amendement de suppression : « Assez étonnamment, alors que dix millions de personnes sont
concernées, le présent article a été introduit en
commission et ne comporte même pas d’exposé
des motifs. Et si j’ai déposé un amendement de
suppression, c’est qu’il me semble absolument
incroyable que l’on traite ainsi la pratique en
amateur ! Soudain, un article majeur pour notre
histoire culturelle nous tombe dessus sans aucun
travail préalable ! »
S’ensuit un moment de vive discussion où plusieurs orateurs ont souligné la responsabilité qui
incombait aux députés et que dès lors il fallait
légiférer, fusse la main tremblante. Patrick Bloche
(rapporteur, SRC) : « Quand on a la chance, grâce
à la légitimité que nous confère le suffrage universel, de faire la loi ici et maintenant, il faut toujours
s’interroger lorsqu’il s’agit de reculer l’échéance.
Pourquoi attendre ? Le moment est venu ! » François de Mazières en convient et explique ainsi sa
tactique : « Bien évidemment, mon amendement
de suppression était provocateur mais que ce
serait-il passé si je ne l’avais pas présenté ? L’on
aurait glissé sur cette question alors qu’elle est un
élément essentiel. J’ai fait cette proposition pour
que le débat s’anime et j’ai réussi. » Le député des
Yvelines retire son amendement de suppression.
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Inquiétudes et critiques. Rappelant que « bien
souvent, les organisateurs de spectacles et les troupes d’amateurs font l’objet de contrôles injustifiés
de la part de l’URSSAF, ce qui occasionne des
difficultés », le député Marc Le Fur (LR) dit tout
d’abord sa crainte face à l’exigence que les recettes « ne puissent être utilisées que pour certaines
finalités. Je crains simplement que ce texte ne crée
des difficultés pour nos troupes d’amateurs ». Il
ajoute : « Dans ma circonscription, à Lamballe, se
joue régulièrement un spectacle amateur afin de
financer les Restos du cœur. » De fait, la version
initiale de l’amendement stipulait que, que ce soit
dans le cadre d’une manifestation purement en
amateur ou en collaboration avec des professionnels, les recettes devaient être « exclusivement »
consacrées à la valorisation des pratiques artistiques des amateurs. Ce que les députés ont jugé
trop restrictif.
Sur ce point, le texte a été assoupli. Ce qui vaut
alors cette remarque de François de Mazières : « Je
veux insister aussi sur le caractère extrêmement
flou de ce que nous sommes en train d’écrire. La
notion d’“activités” d’un artiste amateur ou d’un
groupement d’artistes amateurs peut aller très loin,
et l’on peut même s’interroger sur son sens. […]
Là est bien le fond du problème : nous sommes en
train de produire un texte qui sera épouvantable à
interpréter. Il fera empirer la situation actuelle ! »
Une autre critique récurrente a concerné la limite
du nombre de représentations mêlant professionnels et amateurs. « Je trouve cela extrêmement
inquiétant et surtout extrêmement flou, car les
artistes amateurs ne pourront se produire que pour
un nombre limité de représentations », note Marc
Le Fur. Réponse de la ministre : « Je ne peux évidemment pas être favorable à votre proposition,
qui reviendrait à ouvrir à une structure professionnelle la possibilité de systématiser son recours aux
artistes amateurs à la seule fin de réduire ses coûts
et d’augmenter sa profitabilité. »
Enfin, cette remarque de Michel Piron (UDI) qui
s’interroge sur la pertinence de définir le critère
d’amateurisme par le nombre de représentations.
« Est-ce vraiment ce critère qui doit servir à définir l’amateurisme ? Ne faudrait-il pas trouver
d’autres critères ? »
Satisfaction devant un moment historique.
« Notre débat de ce jour constitue une étape
majeure dans l’histoire de notre politique culturelle », se félicite la ministre. En effet, et de
manière assez inattendue quand on se rappelle
l’échec d’autres tentatives pour résoudre le conflit
lancinant entre les exigences aussi légitimes et
contradictoires des amateurs et des professionnels
(notamment celui d’une proposition du ministère
en 2000), il n’y aura pas eu réellement d’opposition sur le fond de l’article 11A.
La ministre et le rapporteur ont par ailleurs fait
valoir qui si l’amendement n’a été déposé que
tardivement, le travail de préparation a duré deux
ans, avec de nombreuses concertations. Remarque
de Patrick Bloche : « Sur ce sujet, les professionnels craignaient beaucoup de l’intervention du
législateur. Je dois rendre tout particulièrement
hommage aux syndicats qui ont été amenés à faire
des efforts, qu’il faut leur reconnaître. »
Aux yeux de Marie-George Buffet (GDR), l’article sur les amateurs est « extrêmement important. Il ne vise pas à régler des comptes entre les
amateurs et les professionnels ; il vise à clarifier
le rôle, la place, les droits de chacun, pour que
chacun puisse s’épanouir. » Ce à quoi elle ajoute :
« La culture ne saurait se développer en France
sans artistes ni techniciens professionnels. » Pour
Marcel Rogemont (SRC), « avec cet article, pour
la première fois depuis des lustres, l’activité artistique bénévole est reconnue afin d’éviter, précisément, les requalifications ».
En conclusion, la ministre se réjouit d’un résultat qui va « lever les ambiguïtés qui inquiétaient
encore les associations d’artistes amateurs. Cellesci, au nombre de 300 000, réunissent 12 millions
de nos concitoyens, qui pourront œuvrer dans un
cadre sécurisé. Comme l’a souligné le rapporteur,
La Lettre d’Echanges n°140
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