Malaise chez les franchisés aussi

Transcription

Malaise chez les franchisés aussi
DISTRIBUTION | Carrefour dans l'impasse
Malaise chez les franchisés aussi
L'annonce faite par Carrefour de licencier près de 1.700 salariés dans ses magasins intégrés ne laisse pas les franchisés indifférents. Les patrons
indépendants des supermarchés exposent leurs craintes et leurs griefs. Témoignages.
Le groupe Carrefour a décidé de supprimer 1.672 emplois en Belgique. Les salariés des magasins intégrés sont concernés. Comme le soulignait l'UCM dans
un communiqué, voilà trois ans que l'emploi salarié se contracte (de 14.462 à 13.581 personnes) dans la CP 312 des grands magasins intégrés. Par contre,
dans le commerce de proximité, la tendance est à la création d'emplois (CP 201, de 85.298 à 88.621 emplois). "Si les magasins franchisés et de proximité ont
pu se développer, c'est aussi grâce à l'existence de commissions paritaires propres, qui tiennent compte des réalités de terrain et maintiennent un équilibre
entre les droits des salariés et les besoins des employeurs, notamment en flexibilité." Il était bon de le rappeler. Voilà des années que les franchisés
maintiennent le groupe la tête hors de l'eau. Le chiffre d'affaires de Carrefour a encore reculé, en Belgique, de 2,6 % au quatrième trimestre 2009. Les
supermarchés intégrés du groupe ont encaissé la baisse la plus importante, avec une régression de 5,1 %. Les hypermarchés ont enregistré une chute de 2,9
% alors que les franchisés affichaient un recul modéré à - 0,9 % après plusieurs hausses.
"Le problème remonte à 25 ans !"
"Si le groupe est toujours présent en Belgique aujourd'hui, c'est grâce au dynamisme des franchisés. Nous pourrions être plus agressifs sur les prix et encore
plus concurrentiels", estime Paul De Keyser, le patron franchisé du GB de Dinant. Il a commencé sa carrière sous la bannière Nopri. "Je pense que la
situation que nous vivons provient en grande partie du passé. J'ai appris qu'une caissière d'hypermarché chez Carrefour coûte de 30 à 40 % plus cher en
Belgique qu'en France. C'est énorme. Le problème remonte à 25 ou 30 ans lorsque les syndicats réclamaient des augmentations en menaçant de faire grève.
GB a plié à l'époque. Les coûts de location des bâtiments posent également question. Reste qu'aujourd'hui, tout le monde est perdant. J'ai encore la chance
d'avoir la boule GB sur le devant de mon magasin. Mais les clients se posent inévitablement des questions sur Carrefour. Il y a clairement un déficit d'image.
Les franchisés risquent aussi de payer les pots cassés de ce plan social, notamment à cause des centrales bloquées par les grèves."
"Si nous étions en perte, nous n'existerions plus !"
"J'ai le sentiment que les franchisés ne sont plus estimés à leur juste valeur par la centrale", raconte Joseph Badami des GB de Bièvre et Wellin. "Nous, les
franchisés, nous avons déjà tiré la sonnette d'alarme à de nombreuses reprises. Nous sentons que, depuis un an et demi, la restructuration des enseignes ne
rapporte pas aux franchisés. Tout part dans tous les sens. Il devient difficile de contacter des personnes professionnelles. Les folders semblent faits à la
va-vite. Les franchisés continuent de faire le maximum pour sortir la tête de l'eau malgré les problèmes structurels qui nous sont actuellement
imposés.""Aujourd'hui, les employés intégrés sont en train de payer un lourd tribut, car Carrefour n'a pas été capable de mettre en place une bonne structure
de management, tant d'un point de vue humain que commercial, poursuit-il. Des magasins intégrés sont en perte depuis des années. Nous, si nous étions en
perte, nous n'existerions plus. C'est aussi simple que ça. Des employés vont manifestement moins gagner leur vie en changeant de commission paritaire. Les
franchisés ne pourraient jamais s'aligner au niveau de la CP de la centrale. Ils se battront par contre jusqu'à la dernière minute pour sauvegarder leur magasin
et donc les emplois ! Je crois que de petites structures comme la nôtre, plus flexibles, peuvent passer les crises. Au contraire des grands magasins aux
historiques salariaux énormes. Le coût salarial n'explique néanmoins pas tout. Les concurrents comme Delhaize arrivent d'ailleurs à tirer leur épingle du
jeu… Enfin, il faut peut-être craindre le départ de Carrefour de Belgique. Quand on voit le nombre de magasins qui vont fermer, spécialement en Flandre, ce
n'est pas ainsi que le distributeur va maintenir ses parts de marché. Allons-nous finalement assister à une vente par appartements, un départ de Flandre et
l'entrée de Mestdagh dans les magasins wallons ?"
Des clients déboussolés
"Nous avons été assaillis de questions, a raconté sur La Première Ulrich Bartolas, le gérant franchisé des magasins GB de Leval et Couvin. Des clients sont
venus vider les points de leur carte Bonus. Comme d'autres vidaient, hier, leurs comptes chez Fortis. Il y a clairement confusion dans l'esprit des
consommateurs qui ne distinguent pas nécessairement les magasins indépendants des autres. La crainte est également présente de voir nos magasins non
approvisionnés.""Je ne suis pas particulièrement étonné par l'annonce faite par Carrefour, embraie Dominique Servais de Network & Franchise Consult,
bureau-conseil en franchise et réseaux commerciaux. L'alimentaire en franchise demeure néanmoins un secteur intéressant à condition d'y apporter le
recyclage nécessaire et de maintenir le dynamisme commercial. Les franchisés ne doivent cependant pas paniquer outre mesure. D'autres chaînes ne
demandent pas mieux que d'occuper l'espace qui serait éventuellement laissé vide." "Il existe en outre des opportunités très intéressantes en matière de
franchise pour les personnes qui ont été licenciées par Carrefour, poursuit-il. L'expérience d'un cadre dans la vente est extraordinairement positive. Il s'agit
d'un atout pour quelqu'un qui désire démarrer une activité de commerce dans la grande distribution ou le commerce de détail. Tous les réflexes du
commerçant ont été acquis. Il peut partir plus vite sur une voie gagnante."
"Un sentiment de malaise"
"Je partage l'avis de mes autres collègues, c'est un sentiment de malaise qui domine, conclut Martine Denuit du GB franchisé de Ben-Ahin. Je comprends la
tristesse des travailleurs. De notre côté, il y a des craintes quant à l'approvisionnement du magasin. Si je prends du recul, je me dis que le plan de
restructuration actuel devrait permettre au groupe Carrefour de demeurer en Belgique. C'est un mal nécessaire. Il faut en outre tirer des leçons pour le futur.
La franchise est sans doute la voie du développement pour Carrefour chez nous. Les franchisés prennent beaucoup de risques dans un contexte difficile pour
mener à bon port leur commerce avec tous les employés à bord. Or, ils ne sont pas toujours bien considérés par le monde syndical. Nous avons des
entreprises, souvent familiales, où la communication est directe. Nous avons rarement des mouvements sociaux dans la franchise. Nous avons une approche
directe et humaine des problèmes. Si un collaborateur a un souci, il franchit la porte du bureau et expose ses requêtes. Simplement."
L'Association
professionnelle
du
libre
service
indépendant
en
alimentation
(Aplsia) existe depuis 1993.
Elle a vocation à défendre les
intérêts des chefs de PME
actifs dans le libre service et,
plus particulièrement, dans les
produits d'alimentation
générale.
Rodolphe Masuy

Documents pareils