70ème anniversaire de la libération d`Auschwitz: les Roms et la

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70ème anniversaire de la libération d`Auschwitz: les Roms et la
Dépêches tsiganes
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70ème anniversaire de la libération d'Auschwitz: les Roms
et la question du génocide tsigane largement absents des
commémorations et des médias
Date : 29 janvier 2015
Ce mardi 27 janvier marquait le 70ème anniversaire de la libération par l’armée soviétique du
camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau (Pologne), devenu le symbole du génocide des
Juifs mené à échelle industrielle par les Nazis et leurs alliés. Quand les soldats pénétrèrent
dans le camp, il ne restait que 7.000 déportés, les plus faibles. Les autres avaient été évacués
vers Loslau (aujourd’hui Wodzislaw Slaski, en Pologne) lors d’une « marche de la mort » au
cours de laquelle tout signe de faiblesse valait à l’être humain qui le laissait échapper une balle
dans la nuque.
Les cérémonies officielles sur les lieux même de l’horreur on réuni une cinquantaine de chefs
d’Etat, dont les présidents français François Hollande, allemand Joachim Gauck et ukrainien
Petro Porochenko, et une centaine de survivants, pour la plupart nonagénaires et se faisant de
plus en plus rares au fil des ans. Des cérémonies officielles internationales ont également eu
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lieu au Mémorial de la Shoah à New York et en République tchèque. Mais en cette journée
internationale de mémoire de l’Holocauste et de prévention des crimes contre l’Humanité et
des génocides bien peu de place a été accordée sur les tribunes, dans les discours officiels et
dans les médias aux survivants tsiganes et à la question du génocide tsigane qui reste
largement méconnu, voire tenu délibérément à l’écart de la mémoire collective. Tout juste a-ton pu lire au détour d’une phrase dans certains médias que parmi les 1, 1 million de personnes
exterminées à Auschwitz-Birkenau, figuraient « des tsiganes » au côté des 1 million de Juifs qui
y furent assassinés. En vérité ce sont au moins 23.000 tsiganes dont 6.000 enfants qui furent
enfermés dans le « camp des familles tsiganes » à Birkenau, où un mémorial aux victimes
Roms et Sinti a été érigé.
« Toutes les victimes ont droit à la dignité », ont protesté des associations européennes de la
société civile militant pour les droits des Roms et la reconnaissance à part entière du génocide
qui a frappé quelque 500.000 tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale. Quelque 23.000
tsiganes dont 6.000 enfants ont été emprisonnés à Auschwitz-Birkenau et « le summum de
l’horreur de la solution finale » appliquée aux tsiganes s’est produit dans le « camp des
familles » le 2 août 1944, lorsque 2, 897 tsiganes, des personnes âgées, des femmes et des
enfants, ont été « liquidés » dans des chambres à gaz. « Les Nazis avaient l’intention
d’exterminer totalement les Roms », écrivent ces associations dans un communiqué rédigé en
anglais et intitulé « pour l’inclusion des Roms dans les commémorations du 27 janvier ». « Ces
leçons de l’Histoire n’ont pas été intégrées dans la mémoire collective de nos sociétés »,
soulignent ces ONG comprenant European Roma Grassroots Organization (ERGO) Network,
basé à Bruxelles, European Roma and Travellers Forum (ERTF), basé à Strasbourg,
R.R.O.M.A. (Kratovo, Macédoine), Roma Active Albania (Tirana), Slovo 21 (Prague), Integro
(Razgrad, Bulgarie).
« Malgré des demandes en ce sens et une pétition ayant réuni 2.000 signatures, aucun orateur
Rom n’a été invité à la cérémonie du 27 janvier au mémorial de la Shoah de New York,
déplorent ces associations. De même, les victimes Roms « ont été ignorées » lors des
commémorations qui se sont déroulées en République tchèque, s’indignent-elles, rappelant les
marches néo-nazies que subissent actuellement les Roms en République tchèque ainsi que le
fait qu’une porcherie se trouve toujours sur les lieux d’un camp où périrent des tsiganes à
Léty.
Inclure des Roms dans les célébrations de la journée internationale de la mémoire de
l’Holocauste est d’autant plus nécessaire, ajoute le texte, que la communauté internationale
n’a toujours pas reconnu une journée internationale de commémoration du génocide tsigane,
les associations de défense des droits des Roms souhaitant que cette journée soit fixée au 2
août.
« Nous ne pouvons tolérer que les leçons de l’histoire n’aient pas été apprises. Nous ne
pouvons accepter d’être effacés de l’Histoire une nouvelle fois », martèlent les associations
signataires du texte. « Nous devons mettre en lumière le génocide oublié des Roms, l’exclusion
sociale, l’anti-tsiganisme et les discours de haine que les Roms subissent encore aujourd’hui
et qui découlent de l’ignorance et de l’absence de reconnaissance du génocide Rom ».
De son côté l’ONG tchèque Konnexe, qui soutient les populations Roms confrontées à des
violences néo-nazies en République tchèque a participé à une commémoration du génocide
tsigane à Terezin avant la commémoration internationale. « Les victimes Roms de l’Holocauste
ont également droit à la dignité », a souligné l’ONG. « De nombreux Roms ont été prisonniers à
Auschwitz, déportés depuis des territoires occupés par les Nazis. Il y a eu un « camp des
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familles » tsiganes à Bikenau. Les Roms y ont terriblement souffert. Des enfants Roms y ont été
transformés en cobayes pour des expérimentations inhumaines menées par des +médecins+
nazis », a rappelé Konnexe, qui « proteste contre la négation du génocide Rom en République
tchèque, non seulement par une partie de la société mais aussi par des dirigeants politiques de
premier plan et des membres du parlement ».
Les Nazis considéraient les tsiganes comme « racialement inférieurs » et, tout comme les Juifs,
les tsiganes subirent des internements arbitraires, du travail forcé et des assassinats de masse.
Dès 1933, les municipalités allemandes, sans ordre central, commencèrent à repérer les
familles tsiganes ou celles qui « vivaient comme des tsiganes » et les enfermèrent dans des
camps (zigeunerlager). Deux ans plus tard, la persécution des Tsiganes fut inscrite dans les lois
de Nuremberg. C’est la police criminelle, chargée de la traque des « asociaux », qui fut chargée
de mettre en place un département de recherche et de liquidation des tsiganes. Cette politique
d’extermination fut étendue au Grand Reich et pratiquée à l’échelle européenne. En mai 1940,
le régime nazi décida de déporter les tsiganes de l’ouest de l’Allemagne vers l’est. Les
tsiganes du camp de Lackenbach, en Autriche, furent déportés au ghetto de Lodz (Pologne).
Fin 1942, sur ordre d’Himmler, la centralisation des déportations familiales de tsiganes à
Auschwitz fut décrétée. Quelque 23.000 tsiganes dont environ 6.000 enfants furent déportés
dans ce camp spécial construit à Auschwitz-Birkenau, le centre de la « solution finale » des juifs.
Certains seront utilisés comme cobayes pour des expérimentations médicales iniques. Le 16
mai 1944, les Nazis décidèrent de tuer tous les tsiganes qui se trouvaient dans ce « camp des
familles », ainsi nommé car des familles entières y furent internées et exterminées. Mais, dans
un acte de résistance désespéré et peu connu, les intéressés, armés de barres de fer et de
bâtons, refusèrent de sortir des baraques. Ils n’obtinrent que quelques mois de sursis. Le 2
août, les baraques furent encerclées. 2.897 hommes, femmes et enfants furent chargés dans
des camions et emmenés jusqu’à la chambre à gaz V où ils furent exterminés. Les corps furent
brûlés. Dans le Grand Reich, les tsiganes furent exterminés à plus de 80%, à l’extérieur de 40
à 80% selon les régions et le degré de collaboration avec les nazis des régimes concernés.
Ainsi les oustachi croates menèrent une politique d’extermination systématique des tsiganes.
En ex-Yougoslavie environ 90.000 d’entre eux furent tués. A l’échelle européenne, les
historiens estiment actuellement à quelque 500.000 les Tsiganes tués par les Nazis et leurs
alliés. Ce chiffre pourrait être revu à la hausse au fur à mesure des recherches historiques qui
ont été tardives, certaines archives commençant à peine à être exploitées.
Après la guerre, les rescapés tsiganes des camps n’ont pu récupérer ni leur nationalité
allemande ni leurs biens et l’Allemagne de l’Ouest a longtemps nié le caractère racial de la
déportation et de l’extermination des tsiganes, assurant qu’ils avaient été persécutés comme «
asociaux ». La reconnaissance officielle du génocide tsigane, également appelé Samudaripen
en romani, n’est intervenue qu’en 1982 en Allemagne de l’Ouest. Et ce n’est que fin 2012
qu’un mémorial aux Roms et Sinti victimes du nazisme a été inauguré à Berlin. Malgré ces
quelques étapes franchies, le génocide tsigane reste peu connu. Il n’est quasiment pas
enseigné et reste en marge de la recherche historique. L’association TernYpe, un réseau de
jeunesse internationale Rom (International Roma Youth Network), regroupant des organisations
de jeunesse militant pour les droits des Roms et venant d’Albanie, Bulgarie, Allemagne,
Hongrie, Italie, Macédoine, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Espagne, réclame la
reconnaissance officielle de la date du 2 août pour la commémoration du génocide tsigane. Elle
a réuni à l’été 2014 à Cracovie, l’une des plus belles villes d’Europe centrale, située à 70 km à
l’est du site d’Auschwitz, un millier de jeunes Roms et non Roms d’une vingtaine de pays qui
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ont dialogué avec des survivants et des chercheurs afin de devenir des vecteurs de mémoire.
Cette initiative vise à faire connaître aux jeunes Européens, à la société civile et aux décideurs
le génocide Rom mais aussi les mécanismes de l’anti-tsiganisme dans un contexte de montée
du racisme, des discours de haine et de l’extrémisme en Europe. « Ce chapitre de l’histoire
européenne reste encore dans une large mesure non reconnu », souligne TernYPe. « Le
génocide Rom n’est pas encore entré dans les canons de l’histoire moderne et est très peu
enseigné ou même mentionné dans les programmes scolaires », déplore-t-il. Ce n’est qu’au
cours des dernières années, et grâce aux efforts conjugués des organisations Rom et non Rom
et de particuliers que le génocide rom a obtenu progressivement une reconnaissance officielle:
en 2011, le gouvernement polonais a passé une résolution pour la reconnaissance officielle du
2 août comme journée de commémoration, en 2012 le parlement européen a débattu d’une
déclaration pour cette même reconnaissance mais elle doit encore être votée.
Témoin de la puissance du souvenir du génocide tsigane dans les familles touchées, de
nombreux voyageurs français et de nombreux Roms à l’étranger ont échangé ces derniers
jours sur les réseaux sociaux des paroles de deuil, de douleur mais aussi d’amertume face à la
négation systématique de leurs droits en France et en Europe, à la non reconnaissance de
l’internement en France et de l’extermination systématique des tsiganes dans les autres
territoires dominés par les Nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Certains ont également
exprimé, à l’instar de certains juifs voyant ressurgir l’antisémitisme en Europe, la peur du
retour de l’anti-tsiganisme, une logique qui a mené à l’extermination aveugle de centaines de
milliers des leurs. Et ils auraient pu reprendre les mots prononcés ce mardi par un rescapé juif:
« je parle et je lutte pour que notre passé ne soit pas l’avenir promis à nos descendants ». De
nombreux voyageurs français ont perdu des proches à Auschwitz-Birkenau ou dans d’autres
camps de la mort et certains se rendent dans le camp-musée pour se recueillir.
Isabelle Ligner
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