le recours de l`employeur sous l`article 2091 ccq

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le recours de l`employeur sous l`article 2091 ccq
LE RECOURS DE L’EMPLOYEUR
SOUS L’ARTICLE 2091 C.C.Q. :
POUR LE MEILLEUR OU POUR LE PIRE?
Me Serge Bouchard, avocat associé, CRIA*
Me Julien Sirois, avocat*
*
avocats au sein du cabinet Morency, société d’avocats S.E.N.C.R.L.
TABLE DES MATIÈRES
Aux employeurs persévérants! ........................................................................................ 1
I.
Pourquoi interpréter l’article 2091 C.c.Q.? ............................................................ 2
II.
Abécédaire d’une démission................................................................................. 4
a)
b)
c)
d)
La définition ..................................................................................................... 4
Quand et comment démissionner? ................................................................. 6
Les conséquences légales de la démission .................................................... 8
Les droits et obligations des parties pendant la durée du préavis de
démission ........................................................................................................ 9
III.
Le motif sérieux de démission (2094 C.c.Q.) ...................................................... 11
IV.
Le cas particulier de la démission de masse de salariés .................................... 13
V.
La réparation du dommage à l’employeur .......................................................... 15
a)
b)
c)
d)
Le salarié syndiqué ....................................................................................... 15
L’injonction : recours utile? ............................................................................ 16
Le calcul du caractère raisonnable du délai de congé .................................. 17
Les autres dommages ................................................................................... 21
VI.
L’abus de droit et la démission ........................................................................... 22
VII.
Obligation de l’employeur de minimiser les dommages ...................................... 23
VIII.
La clause pénale ................................................................................................ 24
Pour le meilleur ou pour le pire? ................................................................................... 27
ANNEXE I – Modèle d’une clause pénale de préavis de démission assortie de
dommages et intérêts liquidés ................................................................. 28
LE RECOURS DE L’EMPLOYEUR SOUS L’ARTICLE 2091 C.C.Q.;
POUR LE MEILLEUR OU POUR LE PIRE?
Me Serge Bouchard, avocat associé, CRIA*
Me Julien Sirois, avocat*
Aux employeurs persévérants!
La résiliation du contrat de travail à durée indéterminée peut être provoquée par
l’employeur ou le salarié1. Cette résiliation est qualifiée de congédiement (ou
licenciement) si elle origine de l’employeur, et de démission, si elle découle de la
volonté du salarié. L’article 2091 C.c.Q. codifie la faculté unilatérale de résiliation du
contrat. Il s’agit d’un droit purement discrétionnaire à son titulaire. Pour reprendre le
droit des obligations, c’est une condition à caractère potestatif qui émane du droit du
créancier d’exercer son droit de résiliation2.
Ce droit est accompagné d’une seule autre modalité : l’obligation de donner un délai de
congé raisonnable. Cependant, le droit de résiliation unilatéral n’est pas lié à cette
modalité de donner le préavis. Si la partie qui résilie le contrat ne donne pas le délaicongé à l’autre, ce dernier ne peut que réclamer une indemnité équivalente au délai de
congé raisonnable dont il a été privé, mais sans que cela affecte la résiliation ellemême. En d’autres termes, la résiliation ne devient pas illégale du fait de ne pas donner
de délai de congé raisonnable.
La Cour d’appel a reconnu qu’il existe un préjudice manifeste lorsque la résiliation est
faite (notamment par l’employeur), mais il n’est pas indemnisable, car inhérent à la
discrétion d’exercer une prérogative accordée par la loi3. Pourtant, le départ volontaire
d’employés qualifiés représente des coûts importants pour un employeur. Par exemple,
l’agence de recrutement Drake propose sur son site Internet une formule4 pour évaluer
l’impact du roulement de la main-d’œuvre sur les bénéfices d’une entreprise. Elle prend
en compte le salaire des employés repères, le coût du travail de remplacement effectué
par d’autres employés pendant la vacance du poste, les coûts de dotation et
1
2
3
Évidemment, il existe des situations où l’une ou l’autre des parties ne saurait valablement résilier
le contrat de travail, même en respectant le délai de congé ou son équivalent, lorsque le motif
réel est expressément prohibé par la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12)
ou une loi telle que la Loi sur les normes du travail (L.R.Q., c. N-1.1), le Code du travail (L.R.Q.,
c. C-27), le Code canadien du travail (L.R.C., ch. L-2), etc.
Ponce c. Montrusco & Associés inc., 2008 QCCA 329, par. 12, 18 et 19.
Id., par. 18.
2
d’intégration (formation) et attribue un coût à la faible productivité pendant les trois
premiers mois (un nouvel employé a une productivité équivalente à 50% de celle de
l’employé talentueux en poste depuis longtemps). Selon ce calcul, une réduction des
coûts de roulement de la main-d’œuvre pourrait se traduire par une augmentation de
20% des bénéfices de l’employeur. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il y ait des
employeurs persévérants comme les appellent certains auteurs5.
Le but de cet article est d’examiner la phase terminale d’un contrat de travail à durée
indéterminée dans le contexte des droits et obligations des parties avec une approche
pratique et critique pour prendre en contexte les préoccupations des employeurs au
niveau de la rétention du personnel. Nous allons traiter de huit (8) sujets les plus
souvent questionnés par les spécialistes des relations du travail lors d’une démission.
Comment interpréter l’article 2091 C.c.Q.? Faut-il en rechercher sa finalité et prendre en
compte son contexte d’égalité entre les parties malgré que le salarié soit le plus
vulnérable? Quelle est la durée du préavis raisonnable de démission? Relativement à
l’obligation de minimiser les dommages pour l’employeur, les tribunaux doivent-ils être
moins exigeants? Par ailleurs, la bonne foi, l’abus de droit et la clause pénale seront
analysés dans un contexte où le démissionnaire cherche à améliorer son gagne-pain, et
ce, chez un concurrent de son ex-employeur. Nous nous intéresserons aussi à la
démission en bloc de salariés et à la notion de motif sérieux de résiliation en faveur du
salarié pour terminer par l’examen des recours et dommages de l’employeur dans de
telles circonstances.
I.
Pourquoi interpréter l’article 2091 C.c.Q.?
Montesquieu mentionnait dans « De l’esprit des lois » qu’il est parfois nécessaire que
les lois soient interprétées pour que l’esprit dans lequel elles ont été édictées ne soit
pas trahi! Quel est donc l’esprit de la loi?
4
5
http//www.drakeintl.com/ca-fr/engage-turnovercost.aspx
Georges AUDET, Robert BONHOMME et Clément GASCON, Le congédiement en droit
e
québécois, volume I, 3 édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 3-34, no 3.3.5.
e
L’auteur Robert P. GAGNON dans Le droit du travail, 6 édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2008, p. 130, no 171, déclare qu’en pratique, le droit de l’employeur de réclamer des dommages
et intérêts à la suite du défaut du salarié de lui donner un préavis de démission raisonnable
s’avère plus souvent théorique que réel, vu l’obligation de faire la preuve d’un préjudice.
3
L’historique législatif nous indique que l’article 2091 est une codification de la
jurisprudence développée sous le Code civil du Bas-Canada. L’article 1668 C.c.B-C. ne
prévoyait des délais de congé que pour certaines catégories d’employés, tels les
domestiques, les journaliers, etc. Le délai variait en fonction de la période de service.
Pour combler les lacunes à l’égard des autres catégories d’employés, les tribunaux
québécois ont élaboré la règle selon laquelle l’une ou l’autre des parties à un contrat de
louage de service à durée indéterminée pouvait y mettre fin en tout temps en donnant
un préavis raisonnable6. Le nouveau Code adopte cette règle à l’article 2091 C.c.Q. et
ne la modifie pas en substance7.
À l’évidence, il reconnaît l’égalité des parties; chacun a le même droit de résiliation. On
retrouve ce même principe à la théorie des obligations du Code civil du Québec inspirée
par le Code civil de Napoléon après la révolution de 1789. Faut-il aller au-delà de cette
apparence et rechercher la finalité de l’article 2091 C.c.Q. sans être trop égalitaire dans
les droits et obligations des parties? Certains répondent par la négative tels que Me
Pierre Verge dans « Le contrat de travail selon le Code civil du Québec : pertinence ou
impertinence »8 qui rappelle l’esprit tout à fait libéral du contrat de travail et mentionne
que la faculté de résiliation pour l’employeur est de façon formelle identique, mais non
réellement dans les faits. MORIN, BRIÈRE, ROUX ET VILLAGGI dans « Le droit de l’emploi
au Québec »9 abondent dans le même sens et il faut éviter une approche trop
symétrique des règles de droit applicables aux parties au contrat de travail. La Cour
suprême du Canada a souvent rappelé le contexte d’inégalité de pouvoirs dans les
relations employeur/employé et de prendre en compte davantage la vulnérabilité
inhérente des employés10.
Comment interpréter la vulnérabilité inhérente des employés? Jusqu’où une personne
a-t-elle une liberté fondamentale de travail? Il nous apparaît que les tribunaux
6
7
8
9
10
Isidore Garon Ltée c. Tremblay Filion & frères (1976) Inc. c. Syndicat national des employés de
garage du Québec, [2006] 1 R.C.S. 27, Mme la juge Deschamps, par. 56 et ss.
Commentaires du ministre de la Justice, Code civil du Québec : un mouvement de société, 1993,
tome II, p. 1315.
1993 24 RGD 237.
e
Fernand MORIN, Jean-Yves BRIÈRE, Dominic ROUX et Jean-Pierre VILLAGGI, 4 édition,
Montréal, Wilson & Lafleur Ltée, 2010, p. 495, par. II-178.
Slaight Communication c. Davidson, 1989 1 R.C.S. 1038, p. 1051-1052; Wallace c. United Grain
Growers Ltd, [1997] 3 R.C.S. 7901, par. 91 et 93; F. MORIN, J.-Y. BRIÈRE, D. ROUX et J.-P.
VILLAGGI, op.cit., note 9, p. 95.
4
analysent, dans un contexte de liberté de travail et de vulnérabilité, la notion de
démission favorablement au salarié. Pour l’employeur, doit-on lui exiger une preuve
d’embauche rapide d’un salarié assurant la relève d’un démissionnaire? La clause
pénale; un outil dans l’arsenal de l’employeur? Les critères du préavis raisonnable de
démission devraient-ils avoir les mêmes résultats en termes de délai que ceux
appliqués à l’employeur dans un cas de congédiement et de licenciement?
Comme nous le verrons ci-après, la balance de la justice oscille entre la symétrie des
droits des parties à 2091 C.c.Q. et le caractère de vulnérabilité inhérent au statut d’un
employé.
II.
Abécédaire d’une démission
a) La définition
La liberté du salarié de démissionner de son emploi est le corollaire de l’article 2091
C.c.Q. qui reconnaît le droit de résilier le contrat de travail à durée indéterminée en tout
temps. Mentionnons que la démission, c’est-à-dire la rupture anticipée du contrat à
durée déterminée à l’initiative du salarié, n’est pas autorisée par le Code civil du
Québec11. Ainsi, en l’absence de motif sérieux, le salarié pourrait être condamné à
payer à l’employeur des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi12.
Pour pallier à l’absence de définition légale de la démission au Code civil du Québec, la
jurisprudence et la doctrine définissent cette notion comme une manifestation du salarié
par des actes positifs et sans équivoque de son intention de quitter son emploi13. Des
critères précis ont été adoptés par les tribunaux, prenant en compte l’inégalité des
parties, pour constater la démission véritable du salarié. Sept (7) critères sont identifiés
comme suit14 :
11
12
13
14
Sauf dans le cas d’un motif sérieux selon 2094 C.c.Q.
F. MORIN, J.-Y. BRIÈRE, D. ROUX et J.-P. VILLAGGI, op.cit., note 9, p. 500 et 501, no II-180 et
note 919; Cependant, il semble que la mise en demeure soit un préalable nécessaire : Goulet c.
Poissonnerie de La Baie, D.T.E. 2003T-692.
G. AUDET, R. BONHOMME et C. GASCON, op.cit., note 5, p. 3-32.1, no 3; F. MORIN, J.-Y.
BRIÈRE, D. ROUX et J.-P. VILLAGGI, op.cit., note 9, p. 498 et ss.
G. AUDET, R. BONHOMME et C. GASCON, op.cit., note 5, p. 18-88 à 18-92; pour des exemples
d’application, voir : Cadet c. Industrie Transcontinental, D.T.E. 2007T-300 (CRT); Dumont c.
5
1) Toute démission comporte à la fois un élément subjectif (l’intention) et un
élément objectif (la conduite du salarié);
2) Comme c’est un droit qui appartient au salarié, elle doit être volontaire;
3) Elle s’apprécie différemment selon que l’intention est ou non exprimée;
4) Elle ne se présume que si la conduite de l’employé est incompatible avec toute
autre interprétation;
5) L’expression de l’intention n’est pas nécessairement concluante quant à la
véritable intention de l’employé;
6) L’ambiguïté empêche de conclure à une démission;
7) La conduite antérieure et ultérieure des parties constitue un élément pertinent.
Cette définition permet de la distinguer des notions connexes telles le départ à la
retraite ou le congédiement déguisé. La retraite n’est pas une démission ni davantage
un licenciement puisque l’acte n’est pas exclusivement celui du salarié ni même celui
de l’employeur15. La notion de congédiement déguisé peut être alléguée dans le
contexte d’une modification substantielle et unilatérale du contrat de travail ou par
subterfuge (l’employeur tente de provoquer la démission du salarié). La démission qui
survient en pareil cas ne saurait être qualifiée d’un acte libre et volontaire par le salarié.
Par contre, l’intention de l’employeur de provoquer cette rupture n’est pas pertinente
selon la Cour suprême du Canada16. En cas de litige, la qualification par le tribunal
d’une démission comme étant un congédiement déguisé entraîne le paiement d’un délai
de congé par l’employeur.
Un salarié peut-il rétracter sa démission? Non, en principe, à moins de démontrer le
caractère équivoque de la démission, notamment lorsqu’elle est provoquée par
l’employeur par des menaces, des craintes ou lorsque donnée définitivement sur un
coup de tête du salarié au cours d’une discussion orageuse17.
15
16
17
Matériaux Blanchet, D.T.E. 2007T-260 (CRT) (révision judiciaire refusée : CSQ no : 200-17008560-070 le 18 décembre 2007).
F. MORIN, J.-Y. BRIÈRE, D. ROUX et J.-P. VILLAGGI, op.cit., note 9, p. 501, no 181.
Farber c. Compagnie Trust-Royal, [1997] 1 R.C.S. 846.
Auto Albi inc. c. CRT, 2003T-1138; Petridis c. Assurance André Birbilas inc. D.T.E. 2003T-138;
Houle c. Wyeth-Ayerst Canada inc., D.T.E. 2001T-486 (C.A.).
6
La démission assortie de conditions fixées par le salarié n’en est pas vraiment une. Elle
doit être acceptée par l’employeur et le salarié doit en être informé. Il s’agit plutôt d’une
offre de départ et une invitation à négocier une entente18. Le contrat de travail peut
prendre fin par l’entente des parties (article 1439 C.c.Q.) ou par transaction qui aura
l’autorité de la chose jugée selon les articles 2631 et 2633 C.c.Q.
b) Quand et comment démissionner?
Le droit de démissionner est acquis dès qu’il y a formation du contrat de travail 19! Dans
la mesure où un contrat de travail est intervenu (habituellement par la signature du
contrat), un employé peut devenir démissionnaire malgré qu’il n’ait aucune journée de
travail à son actif chez le nouvel employeur20. Pour déterminer si nous sommes en
présence d’un contrat de travail, nous devons nous référer aux règles relatives aux
obligations, notamment aux articles 1385 et 1398 C.c.Q. À cet effet, il importe de
souligner que le contrat de travail n’est soumis à aucun formalisme.
La démission se réalise aux mêmes conditions que celles applicables à l’employeur qui
procède à une résiliation unilatérale ou un licenciement, comme nous l’indique l’article
2091 C.c.Q. Le salarié peut résilier le contrat de travail en donnant un préavis à
l’employeur. La loi n’impose aucune forme particulière au préavis de démission21. Ainsi,
en principe, la démission peut être verbale (même par téléphone), écrite ou résulter
d’un comportement non ambigu du salarié. Cependant, certains mentionnent22 que
lorsque le contrat de travail est par écrit, le préavis de démission devrait l’être aussi.
Nous ne croyons pas qu’un tel formalisme devrait encore être appliqué par les tribunaux
aujourd’hui, prenant en compte que le législateur le précise lorsqu’il désire un écrit,
comme aux articles 2089 C.c.Q. ou 82 de la Loi sur les normes du travail.
Pour éviter toute contestation, notamment celle concernant l’intention de démissionner
du salarié ou de la date de fin de contrat de travail, il est préférable d’en faire état par
18
19
20
21
22
R. P. GAGNON, op.cit., note 5, p. 125 no 166; De Montigny c. Valeurs mobilières Desjardins inc.,
2011 QCCS 235, par. 231-232 (inscription en appel 500-09-021456-116, 24 février 2011).
R. P. GAGNON, op.cit., note 5, p. 131 no 171, note 221.
Corporation Triposbec c. Spartan Marketing Services Inc. et Elio Spensieri, 2006 QCCQ 5840.
R. P. GAGNON, op.cit., note 5, p. 131, no. 171.
Id., p. 131; Bulkens c. Municipalité d’Oka, 1966 R.D.T. 316 (C.S.), p. 319; G. AUDET, R.
BONHOMME et C. GASCON, op.cit., note 5, p. 5-2, no 5.1.3.
7
écrit avec un accusé de réception. L’employeur qui accepte une démission verbale
encourt le risque, selon les circonstances, qu’un tribunal qualifie la démission comme
étant un congédiement déguisé. Il est donc conseillé à l’employeur de ne jamais
accepter une démission verbale et d’exiger un écrit ou à défaut, d’entreprendre une
procédure en confirmation par l’envoi d’une lettre à l’employé aux fins de confirmer qu’il
y a bien eu démission.
Finalement, rien n’empêche les parties d’intégrer au contrat de travail ou à une
convention collective les modalités d’une démission23. Par exemple, l’obligation de
fournir un préavis d’une durée déterminée à l’employeur en cas de démission (sujet à
son caractère raisonnable) pourrait être assortie, le cas échéant, d’une clause pénale.
L’acte de démission n’a pas à être autorisé par l’employeur. Cependant, le salarié doit
la lui communiquer. Il peut toujours retirer sa démission avant que l’employeur en ait
pris connaissance24. Malgré le caractère unilatéral de l’avis de résiliation de l’article
2091 C.c.Q., il y a donc nécessité d’aviser l’autre partie. Il y a égalité des parties sur
cette question puisque l’employeur a la même obligation25.
Terminons avec le cas particulier de la période probatoire. Rien n’empêche en droit
d’établir une période déterminée pendant laquelle les parties se réservent le droit de
résilier le contrat de travail. Il s’agit d’une reconnaissance que chacune des parties
conserve un pouvoir discrétionnaire supplémentaire pour mettre fin à la relation de
travail. Ajoutons que si la période probatoire est pour une durée déterminée, les parties
doivent la respecter et nous sommes dans le cadre d’un contrat à durée déterminée. Si
la période probatoire est d’une durée indéterminée (par exemple, pour un maximum de
3 mois), l’article 2091 C.c.Q. s’applique. L’impact concret demeurera nominal pour le
préavis de démission26.
23
24
25
26
Il s’agit d’une condition de travail. Les conventions collectives prévoient souvent l’obligation de
remettre une démission par écrit, un délai pour la rétracter, etc.
Industries Moplastex c. Roland Tremblay, D.T.E. 91T-694 (C.A.). En prenant acte d’une
démission que l’employé avait plutôt retiré, l’employeur a, statue l’arbitre, congédié l’employé.
Pour la nécessité d’aviser l’employé de la part de l’employeur, voir G. AUDET, R. BONHOMME
et C. GASCON, op.cit., note 5, p. 5-2, no 5.1.4.
R. P. GAGNON, op.cit., note 5, p. 117, no 156.
8
c) Les conséquences légales de la démission
La démission est l’expression du départ volontaire du salarié de son emploi. Elle
présente pas que des avantages pour ce dernier. Lors d’une démission libre
volontaire, le salarié perd le droit à une indemnité de fin d’emploi ou à un délai
congé27. Par ailleurs, l’article 29 c) de la Loi sur l’assurance-emploi28 exclut
ne
et
de
le
prestataire du bénéfice des prestations s’il quitte volontairement son emploi sans motif
valable. Lors d’une démission, le salarié ne peut bénéficier de l’application de l’article
2095 C.c.Q. pour soulever la nullité d’une stipulation de non-concurrence. Pour un
exemple de démission qualifiée par les tribunaux de congédiement déguisé, nous citons
Flexart ltée c. Baril29, où la Cour d’appel a référé au non-respect du contrat de travail, à
la non-conformité des représentations faites au salarié et aux gestes de l’employeur qui
ont heurté ses attentes raisonnables pour conclure à un congédiement déguisé, et non
une démission, pour ainsi libérer le salarié de ses clauses restreintes d’emploi.
Par ailleurs, un employeur ne peut juridiquement refuser une démission 30, car il s’agit
d’une décision unilatérale du salarié. Par contre, il n’est pas déraisonnable que
l’employeur tente de négocier avec le démissionnaire un « nouveau » contrat de travail.
Cette pratique n’est pas illégale31.
Le débauchage (employé recruté par un concurrent) n’est pas une pratique
condamnable ou déloyale32. La liberté de travail autorise tout salarié à entrer au service
d’un concurrent de son ex-employeur33. Ce droit trouve, par contre, ses limites avec les
clauses restrictives d’emploi, le devoir de loyauté prévu à 2088 C.c.Q. et les obligations
de bonne foi selon les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. Il serait donc important, lorsqu’un
employeur débauche un employé, de prévoir des clauses restreintes d’emploi et de
27
28
29
30
31
32
33
Duchesne c. Centre de santé et de services sociaux du Lac des Deux-Montagnes, 2010 QCCA
643, par. 2; G. AUDET, R. BONHOMME et C. GASCON, op.cit., note 5, p. 5-32.1, no 3.31.
L.C. 1996, chapitre 23.
200-09-003476-014, 3 février 2003 (C.A.), par. 102. Pour un exemple contraire où la démission a
été confirmée : Simard c. BDC, 2012 QCCS 3240.
Évidemment, nous parlons d’un contrat à durée indéterminée. Dans le cadre du contrat à durée
déterminée, la démission est impossible à moins que l’employeur l’accepte.
Corporation Triposbec c. Spartan Marketing Services Inc. et Elio Spensieri, précité, note 20, par.
36 à 39. Une clause restreinte d’emploi pourrait empêcher cette démarche.
Id., par. 41.
e
Nathalie-Anne BÉLIVEAU, Les normes du travail, 2 édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2010, p. 365.
9
préavis de démission au contrat de travail. Cela pourrait empêcher une démarche de
mise à l’enchère de l’employé et de multiples offres et contre-offres dans le cadre d’une
négociation entre l’employeur, le démissionnaire et le nouvel employeur.
d) Les droits et obligations des parties pendant la durée du préavis de
démission
Le préavis de démission est un délai pendant lequel le contrat de travail continue d’être
exécuté moyennant rémunération alors que le salarié a dénoncé à l’employeur sa
décision de le résilier. Le délai commence à courir à compter de la rupture du contrat de
travail jusqu’à sa cessation effective. Le salarié a le droit de travailler et de recevoir son
salaire pendant la période de préavis qu’il donne à l’employeur34. Par contre, ce dernier
pourrait refuser de le garder à l’emploi et lui payer l’équivalent du délai de congé jusqu’à
la date de démission35. De plus, l’employeur peut résilier le contrat de travail. Ce droit
est reconnu par l’article 2091 C.c.Q. Il devra néanmoins payer un délai de congé
suffisant, sauf s’il peut démontrer un motif sérieux de congédiement36. Cependant, la
démission du salarié n’est pas un motif sérieux de résiliation du contrat de travail par
l’employeur37. Une des motivations profondes des employeurs, pour exiger le départ
immédiat du salarié, est de soulever qu’il s’est placé en conflit d’intérêts, car s’étant
trouvé un emploi chez l’un de ses concurrents dès l’expiration de son préavis de
démission. Ce seul motif ne peut justifier une fin d’emploi par l’employeur 38.
34
35
36
37
38
Id., p. 364 et note 719; Tessier c. Municipalité de Danville et Lombard du Canada, compagnie
d’assurance, 10 avril 2003, no : 450-22-002640-002, M. le juge Patrick Théroux, J.C.Q; Me
e
Charles CAZA, Loi sur les normes du travail, 11 édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, no
82/45, 82/47.
F. MORIN, J.-Y. BRIÈRE, D. ROUX et J.-P. VILLAGGI, op.cit., note 9, page 496, no 11-179; CNT
c. Gaudette-Gobeil, D.T.E. 93T-568.
R. P. GAGNON, op.cit., note 5, p. 131, no 171.
N.-A. BÉLIVEAU, op.cit., note 33, page 364; G. AUDET, R. BONHOMME et C. GASCON, op.cit.,
note 5, page 3-36, no 3.3.8; Georges AUDET, Robert BONHOMME et Clément GASCON, Le
e
congédiement en droit québécois, volume 2, 3 édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p.
2210, paragraphe 22.3.8; F. MORIN, J.-Y. BRIÈRE, D. ROUX et J.-P. VILLAGGI, op.cit., note 9,
p. 496, note 898, p. 493 et 500; R. P. GAGNON, op.cit., note 5, p. 131 et la jurisprudence citée
par ces auteurs.
CNT c. Asphalte Desjardins inc., 2010 QCCQ 7474, par. 33 et ss.; CNT c. Olier Grise et
compagnie ltée, D.T.E. 88T-373 (C.Q.); CNT c. Sport du temps inc., D.T.E. 97T-1004 (C.Q.);
CNT c. Café d’Orsay inc., no : 540-22-005894018 (C.Q.), 29 novembre 2002;
10
Si l’employeur fait en sorte que le salarié ne puisse travailler pendant la durée de son
préavis de démission et ne reçoit pas son salaire, il sera tenu au paiement notamment
de l’indemnité compensatrice prévue aux articles 82 et suivants de la Loi sur les normes
du travail si un tribunal conclut à un congédiement39. L’employeur sera considéré
comme ayant congédié son salarié dès sa décision de ne plus requérir de prestation de
travail de la part de ce dernier40.
Une décision de la Cour du Québec mérite d’être traitée. Dans l’affaire Chemaction c.
Clermont41, le juge Christian M. Tremblay affirme :
[49] Une démission ne devient pas un congédiement du seul fait
que l’employeur renonce à son droit au délai de congé
raisonnable que lui doit le salarié.
Comme le soulignent les auteurs Audet et Bonhomme42 :
Il faut distinguer la situation où un salarié annonce son intention
de démissionner à une date déterminée dans le futur de celle ou
un salarié annonce son intention de démissionner sur-le-champ
tout en offrant de travailler pendant un certain temps (période
indéterminée). Dans ce cas, si l’employeur décline l’offre, on
considère alors que l’employeur a renoncé à recevoir le préavis.
Cette interprétation doit être limitée à un court délai comme le mentionnent ces auteurs.
Par exemple, l’employé annonce qu’il va démissionner le 1er janvier, soit une période de
plus de 10 mois de l’avis. La raison est de lui permettre de bénéficier d’un boni payable
en fin d’année. Le démissionnaire retarde son départ pour cette raison. Si l’employeur
met fin à l’emploi durant cette période, il s’agira d’un congédiement.
39
40
41
42
N.-A. BÉLIVEAU, op.cit., note 33, p. 364.
Château inc. (Le) c. Franco Niro, 2009 QCCA 2314.
2008 QCCQ 7553.
Op.cit., note 37, p. 2210, par. 22.3.8.
11
Si le salarié commet une faute grave durant le préavis, l’employeur peut le congédier
immédiatement sans indemnité43. Cela pourrait être le cas notamment lors d’un conflit
d’intérêt ou de concurrence déloyale avec son employeur pendant la durée du préavis.
La date de fin d’emploi peut devenir une question importante pour trancher le droit du
salarié à certains avantages de nature pécuniaire tels que les options d’achat d’action,
la participation à l’assurance collective, au régime de pension, etc. En principe, la date
de terminaison de l’emploi coïncide généralement avec la fin de la période du préavis.
Cependant, le contrat de travail peut être rompu avant cette date, par exemple, lorsque
la décision de l’employeur est de ne plus requérir de prestations de travail de la part de
son employé. Dans l’affaire Château (Le) inc. c. Franco Niro44, la Cour d’appel a
considéré le contrat de travail comme terminé non pas à la date de la fin du délai de
congé pour la démission, mais plutôt à celle de la cessation de la prestation de travail
par M. Niro. Elle a distingué entre le préavis de fin d’emploi et la date de rupture qui ne
coïncidait pas avec la fin du préavis. Dans le même ordre d’idées, même si le salarié
avise l’employeur de changer sa date de départ suite à sa démission, l’employeur peut
exiger qu’il quitte à la date initialement prévue45.
Finalement, le préavis de démission ne peut être suspendu par un arrêt de travail
consécutif à un accident ou une maladie. Par contre, si le salarié démissionnaire ne
quitte pas à la date prévue, il nous apparaît qu’il y a renouvellement du contrat de
travail à durée indéterminée, surtout si le salarié continue d’effectuer son travail durant
cinq (5) jours sans opposition de la part de l’employeur après l’arrivée du terme. Il s’agit
du principe de la tacite reconduction (article 2090 C.c.Q.).
III.
Le motif sérieux de démission (2094 C.c.Q.)
Il appartient (caractère obligatoire) à l’employé d’aviser son employeur de sa
démission46 comme le précise l’article 2091 C.c.Q. Il n’a pas à donner de motivation
pour sa décision. Néanmoins, l’employé n’est pas tenu d’aviser son employeur s’il a un
43
44
45
46
N.-A. BÉLIVEAU, op.cit., note 33, p. 365.
Précité, note 40,, par. 35 et 36.
N.-A. BÉLIVEAU, op.cit., note 33, p. 365.
G. AUDET, R. BONHOMME et C. GASCON, op.cit., note 5, p. 3-33, no 3.3.2.
12
motif sérieux de démissionner au sens de 2094 C.c.Q. Le salarié peut même quitter son
emploi et poursuivre l’employeur pour obtenir un délai de congé. Constitue
certainement un motif sérieux de démission, le non-respect par l’employeur de ses
obligations telles que le défaut de payer le salaire pendant le préavis de démission47 ou
d’assurer la santé et sécurité du travail (2087 C.c.Q.)48. Une promesse de promotion ou
un engagement de formation peut constituer un motif sérieux de démission, et ce,
malgré qu’il n’a pas été consigné par écrit au contrat de travail. Dans Métal 7 inc. c.
Gariépy49, la Cour supérieure n’a pas hésité à conclure que le salarié avait un motif
sérieux pour résilier son entente du fait qu’on lui promettait de devenir le directeur
général (promotion). Il s’agit de l’application des principes découlant de l’exception
d’inexécution prévue à l’article 1591 C.c.Q.
L’employeur peut-il renoncer au préavis de démission du salarié? Cette question
soulève la notion d’ordre public de l’article 2091 C.c.Q. S’agit-il d’un cas d’ordre public
de direction pour lequel la nullité du contrat est absolue pour la protection de l’intérêt
général (article 1417 C.c.Q.) ou d’une situation d’ordre public de protection sur un acte
juridique dérogatoire? (article 1419 C.c.Q.). Dans ce dernier cas, la jurisprudence a
établi qu’une telle cause de nullité fondée sur l’ordre public de protection permet
seulement à la partie en faveur de qui la protection a été énoncée ou à son
cocontractant de l’invoquer (sous réserve de leur bonne foi et d’un préjudice sérieux).
Dans l’arrêt récent de Isidore Garon ltée c. Tremblay Fillion & frères et Syndicat national
des employés de garage du Québec50, Mme la juge Marie Deschamps conclut, au nom
de la majorité, que l’article 2091 C.c.Q. est d’ordre public de protection en faveur du
salarié et ce dernier peut y renoncer une fois son droit cristallisé. D’ailleurs, la
jurisprudence51 reconnaît que l’employeur peut faire remise au salarié de son obligation
concernant le préavis de démission (article 1687 C.c.Q.). En appliquant ces principes,
l’employeur serait donc libre d’accéder ou non à la demande de dispense du salarié de
donner le préavis selon l’article 2091 C.c.Q. Dans le cas où l’employeur refuse la
dispense, le salarié doit travailler le préavis.
47
48
49
CNT c. Compogest inc., D.T.E. 2003T-490 (C.Q.), par. 6.
Id., page 3-33, no 3.3.3; F. MORIN, J.-Y. BRIÈRE, D. ROUX et J.-P. VILLAGGI, op.cit., note 9, p.
497.
D.T.E. 2002T-485, par. 117.
13
De plus, l’employeur peut renoncer tacitement au préavis de démission du salarié. Par
exemple, il y aura renonciation au préavis dû par le salarié lorsque l’employeur est
informé de la démission le même jour où il décide de licencier le salarié52.
Finalement, si l’exécution du préavis est rendue impossible par un cas de force
majeure, il y a dispense de le donner selon l’article 1693 C.c.Q.53 Par exemple,
l’incendie des locaux de l’employeur, après que le salarié ait donné son avis de
démission, rend impossible à ce dernier d’effectuer sa prestation de travail. Il devient
libéré de son obligation.
IV.
Le cas particulier de la démission de masse de salariés
La démission de masse de salariés mérite des commentaires dans le contexte de
l’article 2091 C.c.Q. L’exode massif de plusieurs salariés a sûrement un effet
perturbateur dans l’entreprise. Le départ précipité de salariés peut même causer un
véritable désastre économique. Notre intérêt concerne la démission en bloc au profit
d’un concurrent ou le débauchage systématique par ce dernier (dans un contexte
d’absence de clauses restreintes d’emploi). Rappelons que la liberté de travail autorise
tout salarié à constituer sa propre entreprise ou entrer au service d’un concurrent. Ce
droit trouve sa limite dans le devoir de loyauté selon 2088 C.c.Q., l’obligation de bonne
foi et les clauses restrictives d’emploi selon 2089 C.c.Q.54
Est-ce que l’article 2091 C.c.Q. constitue une assise juridique pour interdire à l’employé
démissionnaire de faire concurrence à son ex-employeur pendant la période de préavis
de démission? La Cour suprême du Canada a répondu par la négative dans l’affaire
50
51
52
53
54
Précité, note 6, par. 60. La Cour d’appel a adhéré à cette opinion majoritaire dans Betanzos c.
Premium Sound’ and Picture inc., 2007 QCCA 1629, par. 6 à 9.
Chemaction inc. c. Clermont, précité, note 41, par. 52.
Meunerie mobile Guy Benjamin c. Couture, 27 juillet 2004, no : 750-22-002420-036 (C.Q.), M. le
juge Yves Morier.
R. P. GAGNON, op.cit., note 5, p. 123, no 164.
Robert BONHOMME, « Obligation de loyauté post-emploi : plusieurs visages, gare à
l’imposteur », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, volumme 289,
Développements récents sur la non-concurrence (2008), Cowansville, Éditions Yvon Blais.
14
RBC Dominion valeurs mobilières inc.55. Elle mentionne qu’il n’existe aucune obligation
implicite interdisant à un employé de faire concurrence à son ex-employeur en
l’absence de clauses restreintes d’emploi. Un employé n’a plus d’obligation de ne pas
concurrencer son employeur dès l’instant où il cesse de travailler pour ce dernier. Lors
d’un départ intempestif, le démissionnaire peut aller concurrencer son ex-employeur.
Cependant, il sera tenu à payer un délai de congé. Bien que cette décision interprète
des principes de la common law, il nous apparaît que leurs conclusions sont tout à fait
applicables au droit civil du Québec.
Dans l’arrêt Valeurs mobilières Desjardins inc. c. Lambert56, le tribunal, en traitant de
l’obligation de loyauté et de concurrence déloyale, fait un lien en mentionnant que
l’article 2088 C.c.Q. doit se lire avec l’article 2091 C.c.Q. Il ajoute que le salarié doit
aussi donner un délai de congé raisonnable s’il décide de quitter son emploi, mais sans
plus de commentaires57. Nous ne pouvons tirer d’argument de ce court passage.
L’article 2091 C.c.Q. ne peut être une assise juridique pour interdire au démissionnaire
de faire concurrence à son ex-employeur pendant la durée du préavis. Dans l’affaire
Financière Banque nationale c. Jean58, la Cour supérieure était saisie d’une requête
pour une ordonnance d’injonction provisoire en vue d’interdire à des conseillers en
valeurs mobilières de communiquer avec la clientèle de l’ex-employeur. Le juge Robert
Mongeon, en référant à l’obligation de loyauté de l’article 2088 C.c.Q., mentionne que,
même dans le cas d’un départ de plusieurs conseillers en bloc, il n’y a pas concurrence
déloyale à l’égard de l’ex-employeur du simple fait qu’il communique avec leur clientèle
pour les informer qu’ils sont partis d’un endroit pour aller à l’autre 59. La conclusion du
juge : le départ de 8 personnes en même temps ne nous amène pas automatiquement
en situation de concurrence déloyale. Par contre, si les salariés préparent leur sortie en
mobilisant à leur bénéfice les ressources de leur ex-employeur, il s’agira d’agissements
55
56
57
58
59
RBC Dominion valeurs mobilières inc. c. Merrill Lynch Canada, [2008] 3 R.C.S. 79, opinion de 6
juges rendue par Mme la juge en chef McLachlin, par. 18 à 20, Mme la juge Abella était
dissidente, mais en accord sur ce point, par. 34.
Valeurs mobilières Desjardins inc. c. Lambert, 2009 QCCS 4278 (désistement des requêtes pour
permission d’en appeler le 18 novembre 2009).
Valeurs mobilières Desjardins inc. c. Lambert, précité, note 56, par. 30 et 31.
Financière Banque nationale c. Jean, D.T.E. 2005T-264 (C.S.)
Id., note 58, par. 14, 17, 22, 28 et 30.
15
déloyaux, mais l’assise juridique ne sera pas l’article 2091 C.c.Q.60. Retenons
néanmoins que la jurisprudence considère comme une contravention au devoir de
loyauté et de la bonne foi que le démissionnaire sollicite d’autres employés avant son
départ61, surtout s’il est employé de niveau cadre.
V.
La réparation du dommage à l’employeur
a) Le salarié syndiqué
Avant de traiter des mesures de réparation, on doit s’interroger sur le choix du tribunal
pour entendre le litige concernant un salarié syndiqué démissionnaire pour le défaut ou
l’insuffisance du préavis de l’article 2091 C.c.Q. En principe, les litiges découlant de la
convention collective sont référés impérativement à l’arbitre de grief. Faut-il que
l’employeur dépose un grief patronal pour réclamer le préavis raisonnable au salarié
démissionnaire syndiqué?
Cette problématique soulève la question du contenu implicite ou explicite d’une
convention collective. La Cour suprême du Canada62 a déterminé la compétence de
l’arbitre de grief par un test à deux étapes, soit d’établir la nature du litige (d’après son
essence) et de déterminer son rattachement à la convention collective par un contenu
explicite ou implicite.
Le contenu explicite de la convention collective peut inclure des conditions de travail
reliées à la démission, à un préavis et ses modalités. Dans ce cas, il nous apparaît que
60
61
62
9022-4197 Québec inc. (M&R Transport) c. Côté, 2012 QCCS 29; Métrivis ltée c. Capano & als.,
REJB 2000-20701 (C.S.); Soquelec Télécommunications ltée c. Microvolt électronique inc. & als.,
REJB 2002-32103; 2552-5577 Québec inc. c. Stevens & als., REJB 2001-24638 (C.S.);
Équipement fédéral inc. c. Gaudreault, J.E. 2007-102.
Léonard c. Girard, [1999] RJDT 134, p. 139 et 140 (appels principal et incident rejetés : D.T.E.
2001T-248 (C.A.)) ; voir aussi Marque d’Or inc. c. Clayman, [1988] R.J.Q. 706 (règlement à
l’amiable du jugement porté en appel : 500-09-000160-887). Dans ce cas, il s’agissait du
débauchage des meilleurs employés de l’ex-employeur dans un contexte avec d’autres gestes
illégaux; RBC Dominion valeurs mobilières inc. c. Merrill Lynch Canada, précité, note 55.
Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; Nouveau-Brunswick c. O’Leary, [1995] 2 R.C.S.
697; Regina Police Assn. inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2001] 1 R.C.S.
360.
16
la compétence de l’arbitre est exclusive et intégrale et l’employeur doit déposer un grief
patronal pour réclamer au démissionnaire les dommages découlant de son défaut63.
Notre opinion devient plus nuancée lorsqu’il y a absence de clauses de préavis à la
convention collective concernant la démission d’un salarié syndiqué. Dans l’arrêt Isidore
Garon ltée c. Tremblay; Fillion & frères 1976 inc. c. Syndicat national des employés de
garage du Québec inc. (CSD)64, la Cour suprême du Canada a tranché un litige en
déclarant que l’article 2091 C.c.Q. ne fait pas partie du contenu implicite d’une
convention collective. La Cour d’appel, à la suite de cette décision, a exclu l’article 2094
C.c.Q. pour la même raison65. Pour compliquer les choses, le processus d’analyse du
contenu implicite d’une convention collective a été complètement modifié par l’arrêt de
la Cour suprême du Canada Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec
(Procureur général)66. L’analyse doit maintenant se faire sous l’angle de la hiérarchie
des sources de droit67. Le recours de l’employeur, en l’absence de clauses concernant
le préavis de démission, serait devant les tribunaux judiciaires et non le grief patronal
soumis à un tribunal d’arbitrage. Nous n’avons recensé aucune décision sur cette
question depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada. Il serait donc prudent de
déposer un grief patronal et une requête introductive d’instance dans l’attente que le
droit soit fixé sur cette question68.
b) L’injonction : recours utile?
La requête en injonction n’est pas le recours utile pour forcer un salarié démissionnaire
à travailler durant le préavis requis selon 2091 C.c.Q. Un auteur mentionne que sous le
63
64
65
66
67
R. P. GAGNON, op.cit., note 5, p. 584 et ss., no 697. Pour un exemple de grief patronal pour des
dommages en conséquence d’une démission sans préavis d’une enseignante, voir : École
Armen-Québec de L’U.G.A.B. et Le Syndicat du personnel d’Armen-Québec, Me Serge Brault,
arbitre, 27 avril 2000.
Précité, note 6.
SCFP, section locale 4296 c. Commission scolaire de la Seigneurie des Mille-Iles, 2006 QCCA
1646.
[2010] 2 R.C.S. 61.
Me Nathalie FAUCHER, Conférence des arbitres : L’abus de droit, conférence des 17 novembre
er
et 1 décembre 2011, p. 8. Voir aussi : Michel COUTU, « Les décisions récentes de la Cour
suprême du Canada sur l’article 124 de la Loi sur les normes du travail : la quadrature du
cercle? » dans Arbitrage de grief, Collection Blais, volume 8, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2011.
17
régime français, la coutume de Paris appliquée en Nouvelle-France forçait les
serviteurs à demeurer chez leurs maîtres et, en cas de désertion, prohibait toute
personne de les embaucher69. On ne saurait guère se servir de cette base historique
malgré que l’article 1601 C.c.Q. permette l’exécution en nature par voie judiciaire.
D’autres auteurs affirment que l’exécution forcée en nature présente peu d’intérêt pour
l’employeur victime d’une démission illégale de la part du salarié70. C’est aussi la
solution des tribunaux judiciaires de common law comme le rapportent les auteurs
Barnacle et Wood71. Toutefois, ces auteurs réfèrent à une décision de la Cour d’appel
d’Angleterre où une injonction a été accordée dans un contexte particulier 72. Ajoutons
que le droit de résiliation unilatéral du contrat de travail à durée indéterminée (quel que
soit le motif) ne justifie pas un droit apparent à la réintégration du salarié
démissionnaire. L’injonction n’est pas le bon recours, car la résiliation est sans motif et
possible en tout temps73.
c) Le calcul du caractère raisonnable du délai de congé
Le défaut par le salarié de donner le délai de congé à l’employeur (ou donner un délai
insuffisant) permet la réclamation de dommages et intérêts en réparation du préjudice
causé selon les articles 1590 et 1607 C.c.Q.74. Les dommages et intérêts dus à
l’employeur sont pour compenser la perte qu’il subit et le gain dont il est privé (article
1611 C.c.Q.). Le principe de la réparation du dommage est de permettre de replacer
l’employeur dans la situation où il se serait trouvé si le démissionnaire avait fidèlement
68
69
70
71
72
73
74
Surtout que la jurisprudence est divisée sur l’interprétation de l’article 2895 C.c.Q. et le droit de
saisir un autre tribunal lors d’un défaut de compétence.
Pierre LAPORTE, La réintégration du salarié : nouvelles perspectives, Montréal, Wilson &
Lafleur, 1995.
R. P. GAGNON, op.cit., note 5, p. 135, no 176.
Peter BARNACLE et Roderick WOOD, Employment Law in Canada, volume 2, 4e édition,
Butterworth, p. 13.14, no 13.18.
Evening Standard c. Anderson, 1987 I.R.L.R. 64 (C.A.).
P. BARNACLE et R. WOOD, op.cit., note 71, page 136, no 178; Computer time Network Corp. c.
Zucker, [1994] R.J.Q. 2852
R. P. GAGNON, op.cit., note 5, p. 130, no 171; G. AUDET, R. BONHOMME et C. GASCON,
op.cit., note 5, p. 3-33, no 3.3.2.
18
exécuté la prestation de travail, conformément au contrat de travail, sans toutefois
enrichir le premier aux dépens du second75.
Le caractère raisonnable du délai de congé est de création purement jurisprudentielle
au Québec. Cependant, dans certaines autres provinces du Canada, il existe des
législations obligeant notamment à donner à l’employeur un préavis de démission d’une
durée minimale.
Les auteurs soulignent la difficulté pour l’employeur de faire la preuve du préjudice de
ne pas avoir reçu de préavis de démission raisonnable76. Examinons le calcul du
caractère raisonnable du délai de congé. Les dommages comprennent notamment
deux éléments distincts : (1) la perte subie (les sommes dépensées par l’employeur
comme frais de dotation, honoraires professionnels, etc.) et (2) le gain manqué (profits
qu’aurait réalisés normalement l’employeur) pendant la durée du préavis. La nature du
profit peut découler de la perte d’un client, d’un contrat ou le profit futur qui aurait été
réalisé avec le travail du démissionnaire. Dans tous les cas, il s’agit du profit net avant
impôts. Il est difficile de tirer des règles générales de la jurisprudence reliée au préavis
d’un démissionnaire. La mesure de ces dommages et intérêts correspondra au délai de
congé. La Cour suprême du Canada, dans l’affaire RBC Dominion valeurs mobilières
inc.77, a confirmé la condamnation de 40 000,00 $ pour un préavis de 2 semaines et
demie calculé en fonction des profits que l’employeur aurait pu réaliser pendant cette
période. La quasi-totalité des conseillers en placement de RBC avaient quitté cette
entreprise pour se joindre à Merrill Lynch, dans une opération coordonnée par le
directeur de la succursale.
Ajoutons quelques mots pour dire que, dans certains cas, la jurisprudence utilise
quelquefois le salaire gagné par l’employé et établit le calcul du préavis en prenant ce
montant78. Par exemple, un salaire annuel de 52 000 $ donnerait un préavis de 6
semaines, soit 6 000 $. En principe, on ne peut arriver à de tels résultats sauf si la
75
76
77
e
Jean-Louis BAUDOIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 6 édition, Cowansville, Édition
Yvon Blais, 2005 p. 904, no 896, p. 911, no 899; F. MORIN, J.-Y. BRIÈRE, D. ROUX et J.-P.
VILLAGGI, op.cit., note 9, p. 497.
R. P. GAGNON, op.cit., note 5, p. 113; G. AUDET, R. BONHOMME et C. GASCON, op.cit., note
5, p. 3-34, no 3.3.4 et ss.
Précité, note 55, par. 14, 18 à 20.
19
preuve démontre qu’il s’agit de la perte financière de l’employeur découlant du défaut
de ne pas avoir reçu de préavis de démission.
Le but du délai de congé raisonnable est de donner à l’employeur suffisamment de
temps pour recruter et former un employé pour remplacer le démissionnaire ou modifier
ses manières de faire pour adapter l’exploitation de son entreprise au départ de cet
employé79. À l’inverse, dans le cas d’une réclamation du salarié pour un délai de congé,
le motif principal est de lui permettre de se chercher un nouvel emploi80. Prenant en
compte le caractère plus vulnérable de l’employé et les buts différents du préavis, il
n’est donc pas surprenant de constater que les préavis raisonnables payés à
l’employeur seront beaucoup plus courts que ceux payés à l’employé!
L’article 2091 C.c.Q. nous donne des critères pour établir le délai de congé raisonnable
et précise le mot « notamment », démontrant ainsi son caractère non limitatif. Les
tribunaux en la matière font preuve d’une grande souplesse concernant les critères
retenus. Par exemple, on a accepté, comme critères réducteurs du préavis, que
l’employeur connaissait depuis longtemps les intentions du démissionnaire d’obtenir un
poste chez un autre employeur (poste permanent) alors qu’il avait déjà sa permanence
depuis 16 ans81, qu’il y avait un roulement de 15 à 20 vendeurs durant la période
d’emploi du salarié82 ou la perte d’un client important pour l’employeur. En principe, les
critères acceptés par les tribunaux devraient avoir un caractère symétrique applicable
aux deux parties. En d’autres termes, le critère devrait être applicable au préavis
payable par l’employeur comme celui payable par l’employé. Il s’agit du principe
d’égalité prévu à l’article 2091 C.c.Q.
Le critère le plus important est le poste occupé par le salarié au moment de son départ
et l’analyse doit prendre en compte le salaire gagné, le statut de salarié-clé (par
exemple, un répartiteur dans une entreprise de transport et ses liens avec la clientèle,
un représentant des ventes), le cas échéant, et la durée de service de l’employé dans
78
79
80
81
Entreprise R.E.R. inc. c. Boivin, D.T.E. 2005T-657, par. 15.; Lemyre c. 2867-8225 Québec inc.,
D.T.E. 2004T-1079, par. 94.
Tessier c. Municipalité de Danville et Lombard du Canada, compagnie d’assurance, no: 450-22002640-002, 10 avril 2003 (C.Q.), par. 30 ; Rose c. Denis, [2002] R.J.Q. 797, par. 43.
Standard Broadcasting Corporation c. Stewart, [1994] R.J.Q. 1751 (C.A.), p. 5 à 7.
Les services d’inspection BG inc. c. Jocelyn Duclos, 2008 QCCQ 11665 (requête pour
permission d’appeler d’un jugement rejeté, 2008 QCCA 2474).
20
l’entreprise. Ces éléments devraient permettre d’évaluer le temps nécessaire à
l’employeur pour pallier à ce départ. Les principaux postes, dans ce contexte, nous
apparaissent être ceux occupés par des dirigeants et des professionnels
particulièrement ceux où la prestation de travail est intimement tributaire de la qualité de
la personne (radio, télévision, journaux, spectacles, technicien spécialisé, etc. 83). Il nous
apparaît que les tribunaux devraient prendre en compte les changements dans le
marché du travail, la rareté de certains types d’emploi et la formation requise pour
remplacer le démissionnaire.
La jurisprudence que nous avons recensée accorde un délai de congé à l’employeur
pour un départ intempestif ou un délai de congé insuffisant entre quelques jours et 3
mois84. Le délai le plus long que nous avons recensé est de 3 mois, accordé à un
employeur pour la démission d’une salariée dentiste85. Pourtant, dans les autres
provinces du Canada, on retrouve des préavis pouvant aller jusqu'à 18 mois (par
exemple, Tree Savers International ltd c. Savoy, 39 CCEL 253).
La jurisprudence analysée est souvent dans un contexte plus large que la simple
application du préavis de démission, par exemple. Les employés quittent de façon
intempestive pour aller travailler chez un employeur concurrent. Dans ce contexte, nous
sommes en accord avec les auteurs Morin, Brière, Roux et Villaggi 86 que les critères les
plus importants sont :
« L’importance relative du poste occupé par le salarié au moment
de son départ, de même que la bonne ou la mauvaise foi du
salarié ou encore, la violation ou non du devoir de loyauté (article
2088 C.c.Q.) qui constituent les principaux facteurs considérés
par les tribunaux aux fins d’évaluer le caractère raisonnable du
préavis. »
82
83
84
85
86
Burns c. Action Chevrolet-Oldsmobile inc., AZ-93031354 (C.Q.).
F. MORIN, J.-Y. BRIÈRE, D. ROUX et J.-P. VILLAGGI, op.cit., note 9, p. 497 et ss.
Service d’inspection BG inc. c. Jocelyn Duclos, 2008 QCCQ 11665; Carrefour immobilier de
l’Estrie (Groupe Sutton de l’Estrie) c. Louise Gagnon, 2007 QCCS 4471 ; Richard Lemyre c.
2867-8225 Québec inc., D.T.E. 2004T-1079 ; Entreprise RER inc. c. Guy Boivin, précité, note 78;
Rose c. Denis, D.T.E. 2002T-217 ; RBC Dominion valeurs mobilières inc. c. Merrill Lynch
Canada, préité, note 55.
Poirier c. Charron, [1995] R.J.Q. 1197 (C.S.).
Op.cit., note 5, p. 497.
21
Dans l’affaire Vibration et balancement Borgia c. Richard87, la Cour conclut que trois
salariés ont mis fin abruptement, sans préavis et de façon déloyale, voire de mauvaise
foi, à leur contrat de travail. Le juge retient notamment les obligations de prudence,
diligence et loyauté et fait référence à l’article 1375 C.c.Q. concernant la bonne foi dans
la conduite des parties. Le juge a condamné les salariés à payer la perte de profit d’un
contrat pour une durée d’une année (contrat annuel)88. Par contre, le juge a refusé
d’accorder le préavis selon 2091 C.c.Q. au motif qu’il aurait accordé une double
indemnisation89. Pourtant, dans l’arrêt RBC Dominion valeurs mobilières inc.90, la Cour
suprême du Canada a maintenu la condamnation pour préavis à tous les employés
démissionnaires et a condamné le cadre directeur de la succursale démissionnaire à
payer la somme de 1 483 239,00$ pour perte de profit basée sur la concurrence
déloyale (estimation de la perte de profit de la succursale sur une période de 5 ans).
Nous ne croyons pas qu’il y a double indemnisation dans ce cas, puisque la
responsabilité découle de deux sources de droit différentes, soit l’article 2091 et la
bonne foi des articles 6, 7, 1375 et 1457 C.c.Q.
d) Les autres dommages
On peut dire que les dommages punitifs ou exemplaires sont étrangers au droit civil
(contrairement à la common law)91. Par conséquent, des dommages exemplaires ne
peuvent être accordés au Québec que lorsqu’un texte de loi le prévoit expressément, ce
qui n’est pas le cas pour l’article 2091 C.c.Q. Cependant, les tribunaux n’hésiteront pas
à accorder des indemnités pour les troubles et inconvénients découlant du défaut du
démissionnaire. Bien souvent, il s’agit de l’exercice de la discrétion des pouvoirs du
juge d’évaluer les dommages. Par exemple, dans le dossier Poirier c. Charron92, le
tribunal accordera 15 000 $ pour troubles et inconvénients occasionnés par le départ
87
88
89
90
91
92
Vibration et balancement Borgia c. Richard, no : 450-22-008411-093 (C.Q.), 13 janvier 2011.
Id., par. 98 à 101.
Id., par. 114.
Précité, note 55.
Quantz c. ADT Canada inc., J.E. 2002-1648, par. 36 et 37. Rappelons l’arrêt RBC Dominion
valeurs mobilières inc. c. Merrill Lynch Canada, précité, note 55, où la Cour suprême a maintenu
des dommages punitifs de 5 000 $ à chaque salarié démissionnaire et à l’employeur qui a
débauché les salariés la somme de 250 000 $ à titre de dommages punitifs.
Précité, note 85.
22
intempestif d’une salariée dentiste, tout en précisant qu’il s’agissait d’une situation
exceptionnelle.
VI.
L’abus de droit et la démission
Il est impossible de parler de fin d’emploi sans soulever la question juridique de l’abus
de droit. La jurisprudence reconnaît le principe, notamment en s’appuyant sur les
articles 6, 7 et 1375 C.C.Q. La Cour suprême du Canada a d’ailleurs confirmé cette
notion en matière contractuelle93 et en matière de relations du travail94.
La Cour d’appel du Québec est venue préciser de façon claire, dans l’affaire Ponce c.
Montrustco & associés et Marsan Boulé95, qu’il y a abus de droit lorsque la personne
dans l’exercice de ses facultés de résilier un contrat de travail commet une faute
caractérisée qui, sans être intentionnelle, engendre un préjudice au-delà de celui qui
découle normalement de la résiliation. Ce test s’ajoute bien entendu à celui de la
personne qui agit avec malice ou mauvaise foi en vue de nuire à autrui 96. Au surplus, la
Cour d’appel prend soin d’énoncer que le test va aussi pour la conduite du salarié qui
déciderait d’user de la faculté unilatérale que lui confère 2091 C.c.Q.97. Selon cet
enseignement, il faut que le comportement soit trompeur, mensonger, indûment
tracassier ou grossier, ou qu’il soit fait d’une façon qui dénote une insouciance ou une
négligence fautive ou déréglée98. Rappelons que la démission du salarié, même faite de
façon intempestive et sans motif sérieux, ne constitue pas un abus de droit. Il s’agit de
l’exercice d’un droit purement discrétionnaire. Cependant, les parties pourraient le
restreindre au contrat de travail, notamment en précisant la durée du préavis à donner à
l’employeur. Démissionner pour aller travailler chez une entreprise compétitrice à son
employeur, et ce, sans donner de préavis de démission, n’est pas abusif en soi99.
93
94
95
96
97
98
99
BNC c. Houle, [1991] R.C.S. 122 et Soucisse c. Banque nationale du Canada, [1981] 2 R.C.S.
339.
Standard Broadcasting Corporation ltd. c. Stewart, précité, note 80.
Précité, note 2.
Id., par. 22.
Id., p. 8.
Id., par. 32.
RBC Dominion valeurs mobilières inc. c. Merrill Lynch Canada, précité, note 55, par. 52.
23
Par contre, préparer sa démission avec d’autres salariés pour un employé cadre peut
constituer un abus de droit s’il y a eu préparation alors qu’il était à l’emploi de son
employeur. Notons la dissidence de Mme la juge Abella dans l’affaire RBC Dominion
valeurs mobilières100. Elle considère qu’il s’agit plutôt d’une personne à l’affût de
nouvelles possibilités d’emploi, prête à négocier avec un concurrent ou de faire part de
ses intentions à ses collègues de travail. Pour elle, c’est de maximiser les possibilités
d’emploi et d’être libre de créer un milieu de travail accueillant pour les employés que
l’on désire. La majorité des juges, dans la décision RBC Dominion valeurs mobilières
inc., a considéré que la volonté de vouloir améliorer son gagne-pain ne pouvait se faire
que dans un contexte de bonne foi. Ce n’est pas le cas lorsqu’un employé cadre
n’essaie pas de retenir ses employés lors d’un maraudage et prépare le départ des
employés alors qu’il est dans son emploi.
Dans Vibration et balancement Borgia c. Richard Loiselle et Brault101, les salariés
démissionnaires s’étaient concertés pour être absents ensemble durant la fin de
semaine pour le travail, permettant ainsi au donneur d’ouvrage d’annuler un contrat de
service en faveur de l’employeur pour défaut d’exécution et de l’accorder à une tierce
partie qui a elle-même recruté les démissionnaires. Le juge Théroux, j.c.q., a considéré
qu’ils avaient agi de façon déloyale et de mauvaise foi.
Le fait de simuler un congé de maladie afin de placer l’employeur dans une situation où
il ne peut remplacer rapidement vu le retour probable alors que le futur démissionnaire
prépare sa propre entreprise en compétition est un exemple de résiliation abusive.
VII.
Obligation de l’employeur de minimiser les dommages
La minimisation des dommages est un principe applicable à l’employeur dans le
contexte du préavis de démission du salarié102. Elle est maintenant codifiée à l’article
1479 C.c.Q. et est fondée sur le principe selon lequel le débiteur n’est tenu qu’aux seuls
dommages directs et immédiats103. Le devoir de l’employeur est de tenter d’atténuer
autant que possible le préjudice qu’il subit. Agir autrement constitue, en droit civil, un
100
101
102
103
Id., par. 57.
Précité, note 87.
R. P. GAGNON, op.cit., note 5, p. 136, no 177.
J.-L. BAUDOIN et P.-G. JOBIN, op.cit., note 75, p. 888, no 882.
24
comportement fautif, parce que contraire à la conduite d’une personne normalement
prudente et diligente, et mène à une réduction des dommages autrement alloués.
Combien de temps est-il nécessaire à l’employeur pour se réorganiser et, au besoin,
former un nouvel employé ou prendre les mesures nécessaires pour organiser
l’entreprise sans la présence du démissionnaire? Ces mesures pourront être
l’embauche et la formation de nouveau personnel ou le déploiement du personnel de
façon différente pour éviter une crise organisationnelle. Évidemment, les coûts subis
par l’employeur dans le cadre de la minimisation de ses dommages constituent des
dommages recouvrables contre le démissionnaire. Par exemple, le paiement de
salaires supérieurs à celui du démissionnaire ou les heures supplémentaires payées
aux salariés dans l’entreprise pour effectuer le remplacement constituent un dommage
recouvrable.
La minimisation des dommages peut nécessiter une preuve minutieuse des pratiques
de l’entreprise et pourra s’avérer complexe. Est-ce que les tribunaux ne devraient pas
être moins exigeants pour l’employeur dans ce contexte?
Le fardeau de la preuve de la minimisation des dommages repose sur le
démissionnaire responsable de donner le préavis raisonnable. Par contre, c’est une
obligation de moyens104. Il s’agirait donc d’une preuve très factuelle au procès, mais qui
peut être influencée par les principes d’approche égalitaire des droits découlant de
2091 C.c.Q. et le caractère vulnérable inhérent au salarié. Il sera intéressant de vérifier
comment les tribunaux réagissent au changement du marché du travail et de la difficulté
de recrutement de certains types d’emploi par rapport au désir du salarié d’obtenir une
meilleure rémunération avec un nouvel employeur.
VIII.
La clause pénale
L’obligation de fournir un préavis d’une durée déterminée à l’employeur en cas de
démission prévue dans un contrat de travail ou à la convention collective n’est pas
illégale (dans la mesure où le préavis est raisonnable). Même si le préavis est indiqué
de façon expresse, il est plus simple de liquider à l’avance les dommages qui pourraient
104
Id., p. 888, no 882.
25
résulter d’une inexécution de l’obligation par le salarié. En effet, il est souvent difficile de
faire la preuve du préjudice que l’employeur a subi du défaut d’avoir reçu un préavis de
démission de son salarié105. De plus, l’employeur ne peut invoquer compensation et
retenir une partie du salaire de son employé pour compenser sa perte. La prohibition
découle de l’article 49 de la Loi sur les normes du travail qui exige un consentement
écrit du salarié et, selon le principe du droit des obligations, la compensation n’est
possible que si la dette est certaine, liquide et exigible. Pour éviter ces tracas,
l’employeur a intérêt à convenir avec le salarié d’un délai de préavis de démission et
l’assortir d’une clause pénale.
L’employeur peut recourir à son exécution, sauf si elle est abusive106, selon les articles
1622, 1623 et 1437 C.C.Q. La jurisprudence est sévère dans l’application des clauses
pénales. Dans l’affaire Abadie c. MFQ Vie107, la Cour du Québec a annulé une clause
pénale rédigée comme suit :
« Si elle quitte dans les 24 premiers mois de son emploi :
DATE DE DÉPART
SOMME DUE ET EXIGIBLE
Entre 1 et 6 mois
Moins du solde du fonds de stabilisation ou 7 500 $
Entre 7 et 12 mois
Moins du solde du fonds de stabilisation ou 6 500$
Entre 13 et 24 mois
Moins du solde du fonds de stabilisation ou 3 500$
Selon le tribunal, cette clause dénature le contrat de travail en allant à l’encontre du
droit à la résiliation prévue à l’article 2091 C.c.Q. Un auteur mentionne que le principe
retenu est l’application d’une clause pénale est subordonnée à la notion d’une faute par
105
106
107
R. P. GAGNON, op.cit., note 5, p. 130, no 171; G. AUDET, R. BONHOMME et C. GASCON,
op.cit., note 5, p. 3-34, no 3.3.5.; F. MORIN, J.-Y. BRIÈRE, D. ROUX et J.-P. VILLAGGI, op.cit.,
note 9, p. 497, note 901.
Marius Lessard c. Assurances J.G. Cauchon & associés, D.T.E. 98T-845 (C.S.).
Abadie c. MFQ Vie, [2000] R.J.D.T. 569 (C.Q.); Marius Lessard c. Assurances J.G. Cauchon &
associés, précité, note106.
26
le salarié108. Nous croyons qu’il faut distinguer cette décision, car il faut comprendre que
le droit à la clause pénale ne s’ouvre que s’il y a inexécution fautive de l’obligation; en
d’autres termes, la pénalité n’est pas due si le salarié dispose d’un moyen
d’exonération109, par exemple, la force majeure. Cependant, l’employeur devra faire la
preuve qu’il a eu un préjudice. À défaut, il ne pourra réclamer l’application de la clause
pénale, car il ne pourrait non plus réclamer le paiement de dommages et intérêts110.
Nous joignons à l’annexe I de cet article le modèle de clause pénale qui a reçu
l’assentiment des tribunaux dans un contexte de rareté de la main-d’œuvre et de
preuve des inconvénients et pertes financières causées par un départ intempestif 111. La
compensation découlant de cette clause pénale peut même être soulevée à l’encontre
de la Commission des normes du travail dans le cadre d’une réclamation pécuniaire
pour ce salarié112. De même, rien n’empêcherait l’employeur, dans la même procédure
que celle où il est poursuivi par la Commission des normes du travail, de réclamer par
demande reconventionnelle contre le salarié personnellement les sommes qui lui sont
dues113.
Quelques mots pour mentionner qu’il existe une autre défense à l’exécution de la
clause pénale, qui concerne l’exécution partielle de l’obligation qui a profité à
l’employeur. L’affaire CNT c. Moto Daytona114 traite de cette question, mais à la
négative en précisant ce qu’elle n’est pas. Ainsi, l’exécution partielle de l’obligation n’est
pas liée au délai de préavis. Toujours dans cette affaire, la démission est survenue le
10 août 2006 et, à cette époque, l’employeur n’avait plus droit à six (6) semaines de
préavis puisque l’obligation du salarié prenait fin trois (3) semaines plus tard, soit le 31
août 2006.
Finalement, pour démontrer le caractère raisonnable de la clause, précisons que dans
la décision Moto Daytona115, le dommage liquidé de 3 000,00 $ correspondait à 4.6
108
109
110
111
112
113
114
115
R. P. GAGNON, op.cit., note 5, p. 135, note 236.
J.-L. BAUDOIN et P.-G. JOBIN, op.cit., note 75, p. 917, no 903.
2008 QCCA 314.
CNT c. Motos Daytona inc., 2008 QCCQ 508, par. 12 et ss; Commission des normes du travail c.
Moto Daytona inc., 2009 QCCA 1833, par. 7.
Commission des normes du travail c. Moto Daytona inc., 2009 QCCA 1833, par. 12 et ss.
Id., par. 15 et 16.
Id.
Id., au par. 12.
27
semaines du salaire régulier de l’employé. D’ailleurs, l’employeur avait mis en preuve
qu’il existait une pénurie de main-d’œuvre importante chez les mécaniciens de
motocyclettes de sorte qu’il devait recruter non seulement au Québec, mais en Europe.
Par ailleurs, l’employeur a démontré qu’il y avait beaucoup de contretemps lorsqu’il
recevait une démission sans préavis, notamment concernant l’obligation d’annuler des
rendez-vous de réparation des motocyclettes. Évidemment, il faut aussi évaluer l’impact
économique pour le salarié. Le dommage liquidé équivaut à moins de 10% du salaire
annuel dans l’exemple ci-haut mentionné.
Pour le meilleur ou pour le pire?
L’économie du Québec évolue de plus en plus vers une du savoir et des connaissances
technologiques basées principalement sur le capital humain. La rétention du personnel
devient une priorité pour plusieurs employeurs. Le départ de ressources humaines
d’une entreprise la rend vulnérable et peut lui causer un tort irréparable au niveau de la
perte de contrats ou de clients. Il faut constater que l’article 2091 C.c.Q. est une
protection qui ne peut pas nécessairement répondre à tous les besoins de l’employeur.
Il faut donc qu’il soit proactif et que le salarié soit bien informé pour permettre la
signature de contrat de travail ou de convention collective comportant des préavis
raisonnables de démission.
Par ailleurs, pour l’employeur, concernant son personnel cadre, le préavis raisonnable
de démission et la clause pénale pourraient répondre à des besoins stratégiques.
Rappelons que les tribunaux vont reconnaître le droit à la libre concurrence et à la
liberté de travail de sorte qu’il est nécessaire de faire une réflexion sur les questions de
protection des droits de l’employeur dans une économie de plus en plus concurrentielle.
Il nous apparaît que les tendances du marché du travail entraîneront sûrement un
regain de popularité de ces questions et une volonté d’améliorer les choses pour le
meilleur ou pour le pire.
N/ : Maitre/62829-0001/articles
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ANNEXE I – Modèle d’une clause pénale de préavis de démission assortie
de dommages et intérêts liquidés
L’employé convient de donner à l’employeur un préavis écrit de six (6) semaines de la
date de sa démission. En cas de contravention, l’employé reconnaît qu’il doit
automatiquement à l’employeur une somme de 3 000,00 $ à titre de dommages et
intérêts liquidés sans que l’employeur n’ait à justifier une cession de créances ou une
quelconque poursuite légale pour prouver que ce montant lui est dû. L’employé accepte
que cette somme soit retenue à même les sommes qui lui sont dues au moment de son
départ (incluant l’indemnité de congé annuel, le salaire, etc.) et de payer le solde au
jour de son départ si ces sommes ne sont pas suffisantes pour couvrir la pénalité.