Le clavardage (chat) - Distances et Savoirs

Transcription

Le clavardage (chat) - Distances et Savoirs
TÉMOIGNAGES
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com
Le clavardage (chat),
média de support à l’apprentissage ?
Le présent texte consacré aux usages du chat – le clavardage selon les
Québécois – comme support à l’apprentissage dans une formation à distance (FAD)
se veut avant tout un témoignage de l’usage de ce média lors de la réalisation d’une
formation destinée à des étudiants en sciences de l’éducation (licence, maîtrise,
Diplôme d’études approfondies). Ce cours « trans-cursus », cette expérience ayant
permis de vérifier que les aptitudes des différents étudiants à aborder la formation à
distance tiennent moins à leurs parcours académique qu’à leur désir d’expérimenter
des formes différentes de la relation pédagogique, est le fruit d’une collaboration
entre une université française et une université québécoise. Cette formation qui a
regroupé douze étudiants s’est déroulée sur quatre mois. L’objectif prioritaire de ce
cours était de permettre aux étudiants de mesurer, à la fois par expérience et par
acquisition de savoirs quels étaient les enjeux, les modèles et les caractéristiques
spécifiques de la formation à distance. Le cours a été dispensé en France durant le
second semestre de l’année universitaire 2001-2002 selon une formule mixte :
rencontres en classe et contenu en ligne (internet). Les étudiants qui ne possédaient
pas de matériel informatique pouvaient venir travailler en centre de ressources sur
campus lors d’une permanence hebdomadaire. Nous avons, pour notre part, été en
charge de l’encadrement des étudiants et du support à l’apprentissage en qualité de
tuteur et de référent technique.
La mise en place de la formation devant être réalisée dans un délai relativement
court (quelques semaines), les concepteurs optèrent pour une solution internet
standard et gratuite (Communauté MSN)1, facilement et rapidement opérationnelle,
dont les fonctionnalités bien que non modifiables permettent la diffusion de
documents sous différents formats (doc, xls, rtf, htm, pdf, gif, jpeg) et contient les
outils collaboratifs de base (courriel, forum et clavardage). Le système de
visioconférence de la Maison des sciences de l’homme de Paris Nord complétait la
panoplie des médias retenus afin de communiquer avec des étudiants québécois
ayant précédemment suivi le même cursus. Ainsi, ce cours que nous qualifions
volontiers de « FOAD sur la FAD en e-formation » se situe selon la typologie de
François Bocquet entre le « présentiel allégé » et le « présentiel réduit »2.
1. http://www.microsoft.com/france/internet/ressources/dossiers/msn-communaute/default.asp
2. Dans une présentation PowerPoint (non distribuée) intitulée « Enseigner et apprendre avec
les technologies », François Bocquet précise que dans le présentiel allégé « l’essentiel de la
formation (cours) se réalise en présence des enseignants. Quelques heures de cours ou de TD
400
Distances et savoirs. Volume 1 – n° 3/2003
L’encadrement des apprenants, le tutorat et le support à l’apprentissage sont des
éléments indispensables à la planification d’une formation à distance. C’est à
l’occasion de sa production que doivent être identifiés et dimensionnés les différents
usages des médias choisis (Paquette, 2002). Pourtant, tous les praticiens ont été
amenés à le constater, des prescriptions aux pratiques, les écarts sont parfois grands
et les surprises bien présentes. Ainsi, l’appropriation par les apprenants des
ressources qui leur sont offertes illustre que tel média prévu pour tel usage sera en
réalité détourné et utilisé différemment. Si ceci ne démontre pas toujours un exercice
conscient de l’autonomie des étudiants, il faut bien constater l’apparition de ces
pratiques et tenir compte de leur adéquation avec les besoins de communication
manifestés par les apprenants. À cet égard, le cours que nous évoquons s’est révélé
tout à fait exemplaire du détournement des utilisations planifiées du clavardage.
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com
L’encadrement des apprenants à distance
Les principales raisons d’être d’un dispositif de support à l’apprentissage sont de
répondre à des attentes, des besoins, exprimés ou non, par l’apprenant, de lui
permettre de surmonter ses difficultés sur les plans administratif et pédagogique, de
soutenir sa motivation et de l’accompagner dans son exercice de l’autonomie
(Abrioux, 1985). Legendre (1993) précise que l’encadrement consiste à proposer des
activités susceptibles d’apporter un soutien personnel à l’apprenant en l’incitant à
prendre en charge son apprentissage. Pour Deschênes et al. (à paraître),
« L’encadrement constitue une dimension qui apparaît fondamentale dans
l’apprentissage à distance, en particulier dans les formules n’utilisant pas
l’enseignement direct (par audio ou vidéoconférence). Il peut permettre en effet de
mieux prendre en compte les dimensions motivationnelles, sociales et affectives de
l’apprentissage en offrant, par exemple, des interactions avec les pairs, la personne
qui encadre ou les ressources d’un programme. » Pour sa part, Geneviève Jacquinot
(1999) tout en indiquant que le tutorat est « un service rendu aux apprenants »
indique qu’il vise à « faire circuler les signes de présence » et peut être qualifié de
« virtuel » lorsque le tuteur et les apprenants ne sont pas présents ensemble
physiquement mais recourent aux médias pour communiquer. Louise Marchand
(2001) avance qu’il existe un grand avantage à « utiliser de nouveaux moyens de
communication pour mettre en contact apprenants et formateurs qui peuvent
communiquer selon leur disponibilité soit de façon asynchrone (en temps différé)
grâce au courriel, aux forums de discussion, aux babillards électroniques ou encore
sont remplacées par : des modules d’autoformation multimédias (très complexes et coûteux à
produire en général), de la formation asynchrone (susciter le questionnement individuel et
collectif), du tutorat asynchrone (aide à la réalisation des tâches par des tuteurs) » et que
dans le présentiel réduit « l’essentiel de la formation se fait en dehors de la présence de
l’enseignant. La structuration des ressources et la scénarisation pédagogique sont
stratégiques. L’enseignant intervient de façon synchrone essentiellement pour reformaliser,
préciser et/ou expliquer différemment, motiver et évaluer. »
Témoignages
401
de façon synchrone (en temps réel) en utilisant la visioconférence, les bavardoirs ou
clavardages (chats) ».
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com
Le clavardage
Comme le sont fréquemment les néologismes québécois, le clavardage,
concaténation des mots « clavier » et « bavardage » évoque avec pertinence la
pratique désignée, ici, la discussion écrite à distance en temps synchrone. Le
protocole IRC (Internet Relay Chat) est un système de conférences textuelles sur
internet. Il permet à un utilisateur de communiquer en temps réel avec une ou
plusieurs autres personnes branchées en même temps sur le même canal. La
communication est basée sur la publication de textes écrits à partir des claviers des
ordinateurs des participants. Les interfaces des nombreuses solutions de clavardage3
comportent habituellement la liste des personnes connectées, un espace de saisie du
texte (fréquemment limité à deux ou trois lignes) et un autre où les messages
apparaissent, à tous les participants, dans l’ordre dans lequel ils ont été transmis. Le
clavardage de la Communauté MSN, outre ces fonctions de base, permet l’envoi de
messages privés qui ne sont visibles que par son émetteur et par la personne à qui ils
sont destinés. Par ailleurs, le script des conversations collectives peut aisément être
sauvegardé et reproduit.
Les concepteurs du cours avaient spécifié que le clavardage serait utilisé à des
fins d’encadrement collectif sur les travaux (production individuelle sur un thème
choisi) que les étudiants devaient effectuer. Le premier objectif était de permettre
aux étudiants de présenter les thèmes qu’ils traiteraient et de décrire les principales
étapes qu’ils prévoyaient pour y parvenir. Le second visait à aider les étudiants à
faire face aux difficultés rencontrées dans leurs travaux. Le choix du clavardage se
justifiait par l’objet même du cours axé sur la construction de connaissances sur la
FAD par la pratique de la FAD, et par le caractère collectif des échanges dans lequel
chaque étudiant pouvait repérer des réponses à ses préoccupations, ses
questionnements, ses incertitudes et se rendre compte qu’il n’était pas seul à les
formuler. Les étudiants étaient informés de ces objectifs et il leur était demandé de
préparer leurs interventions afin que le temps prévu (1h30 par séance) soit
pleinement mis à profit. Les concepteurs misaient sur les caractères synchrone et
collectif des communications pour contribuer à l’émergence du sentiment
d’appartenance au groupe et pour créer les conditions d’un apprentissage
collaboratif.
3. Le ministère de la Communauté française de Belgique présente plusieurs d’entre elles à
l’adresse suivante :
http://www.agers.cfwb.be/pedag/tice/logiciels/internet/chat.asp
Le réseau de télématique scolaire québécois propose un dossier complet sur le clavardage :
http://io.rtsq.qc.ca/communiquer/rencontres_virtuelles.htm - Clavardage et p%E9dagogie
402
Distances et savoirs. Volume 1 – n° 3/2003
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com
Relativement tôt dans le semestre et bien avant la tenue des séances planifiées,
plusieurs étudiants qui avaient déjà utilisé ce média dans d’autres contextes,
entamèrent un clavardage (certains sur campus et d’autres à distance) durant lequel
les messages se révélèrent essentiellement d’ordre socio-affectif. Manifestement, ils
trouvaient là la possibilité de rompre la distance tout en la vivant. Ce premier essai
spontané nous confirma que les regroupements en présentiel qui avaient inauguré ce
cours avaient facilité la constitution du groupe et que, de façon naturelle, les
étudiants s’engageaient dans le processus d’appropriation des ressources à leur
disposition pour entretenir les relations déjà initiées.
L’inclination des étudiants pour le clavardage ainsi que la relative désaffection
du forum nous incitèrent, en réponse aux attentes d’aide manifestées, à prévoir une
nouvelle séance de clavardage qui serait plus orientée sur l’apport de précisions sur
les textes contenus dans le matériel pédagogique et, de manière circonstancielle, sur
l’annonce d’informations techniques sur la diffusion de documents dans la
Communauté MSN. L’analyse du script de ce clavardage montre que ces objectifs
ont été diversement atteints. Un gros tiers des messages concernait la constitution de
la conférence, un autre tiers relevait des questions et réponses sur les textes étudiés,
les messages restants traduisaient le ressenti des participants sur le média et
l’expérience en cours. La transmission prévue des informations techniques se
révélant peu adaptée au clavardage, car longue et unidirectionnelle, a fait l’objet
d’un message postérieur sur le forum. A partir des réactions des participants, il est
possible de constater que certains réclamaient une meilleure organisation du
clavardage, voire une distribution de la parole, d’autres un ordre du jour plus strict,
d’autres encore soulignaient l’intérêt de pouvoir suivre plusieurs discussions en
même temps (modalité néanmoins abandonnée par la suite). La plupart regrettaient
le temps passé au regroupement synchrone de tout le groupe et convenaient que
chacun se devait être ponctuel au rendez-vous fixé.
C’est à partir de ces constats que furent planifiées et organisées de nouvelles
séances de clavardage. Celles-ci se divisèrent en deux catégories, d’une part, des
débats thématiques et d’autre part, des sessions d’encadrement sur les travaux. Les
débats ont été précédés de la publication sur le forum d’ordres du jour minutés et de
la diffusion de références documentaires en lien avec les sujets abordés. Les
étudiants étaient ainsi encouragés à faire le point sur leurs connaissances et à
déterminer les questions qui les intéressaient. La ponctualité s’instaurant, le temps
du clavardage se révélait suffisant à la tenue de débats où chacun pouvait
s’exprimer. La limite des deux lignes de saisie de message a été contournée par
l’adoption d’un code en fin de message indiquant aux autres participants la fin du
propos ou sa poursuite dans un message suivant immédiatement (points de
suspension pour un message non terminé et AV, pour « à vous » à la fin d’un
propos). Ces débats n’ont pas été l’objet d’un pilotage fort de la part du tuteur qui a
joué le rôle d’animateur en introduisant, relançant lorsque nécessaire et en proposant
une synthèse. La sauvegarde et la diffusion sur la Communauté MSN des scripts de
Témoignages
403
ces clavardages ont largement été plébiscitées par les étudiants qui ont trouvé dans
leurs relectures, des éléments qu’ils ont pu, par la suite, exploiter dans leurs travaux.
Le clavardage d’encadrement collectif sur les travaux a tiré bénéfice des
expériences précédentes qui avaient validé les règles d’usage du clavardage issues
de la pratique. Il a permis à chaque étudiant d’obtenir les réponses à ses
interrogations et de contribuer à l’élaboration de réponses aux questions de ses pairs.
La dimension collaborative a également été facilitée par les intérêts de plusieurs
étudiants pour les mêmes thèmes, quoique traités sous des angles différents. Durant
la période de vacances scolaires, une étudiante et le tuteur se sont trouvés être les
deux seuls connectés. La séance prévue initialement s’est transformée en
encadrement individuel. Le clavardage s’est montré être un média bien adapté à ce
type d’activité dans la mesure où il cumule les avantages d’un entretien privé et
celui de la trace écrite que l’étudiante a conservée et réutilisée. Ainsi, les usages du
clavardage, comparativement à ceux qui étaient prévus par les concepteurs, ont été
beaucoup plus nombreux et variés.
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com
Nous retiendrons que le clavardage est opérationnel pour renforcer le sentiment
d’appartenance au groupe, pour organiser des échanges à portée cognitive et pour
encadrer collectivement ou individuellement les étudiants.
Le clavardage, média de support à l’apprentissage
À partir de cette expérience, il est possible d’examiner en quoi le clavardage peut
être considéré comme un média de support à l’apprentissage, c’est-à-dire comme
canal autorisant la circulation de signes de présence créatrice des interactions entre
le tuteur et les apprenants afin de répondre à leurs attentes et de leurs besoins, de les
aider à surmonter leurs difficultés cognitives, d’entretenir leur motivation et de
faciliter leur autonomie.
Si les échanges par clavardage font l’objet de recherches de plus en plus
nombreuses (Anis, 2003, 2000 ; Germain, 2003 ; Marcoccia, 2000) celles-ci
s’attachent prioritairement à analyser des situations de communication hors contexte
pédagogique et universitaire. C’est pourquoi nous ne retenons pas les grilles
d’analyses suggérées et nous proposons une modélisation des messages tirée des
données-mêmes des sept clavardages qui se sont tenus durant le cours.
Le texte écrit est le seul système de symboles à la disposition des participants
d’un clavardage. La modalité synchrone des échanges ainsi que la longueur réduite
des messages modifient de manière sensible la manière d’aborder l’écriture. Les
signes de présence manifestés sont tributaires de l’habileté des usagers à s’adapter à
ces conditions particulières de rédaction. De la composition de messages préalables
au clavardage permettant une meilleure structuration du propos à la réaction usant
d s . r e v
s u r
g r a t u i t
e t
l i b r e
a c c e s
e n
d i s p o n i b l e
e s t
L a v o i s i e r
E d i t i o n s
d e s
a r t i c l e
C e t
404
Distances et savoirs. Volume 1 – n° 3/2003
d’abréviations et de binettes4, les stratégies d’écriture constatées sont variées. Nous
en retiendrons cinq : messages à portée conviviale (A) ; messages rédigés à l’avance
(B) ; messages longs durant le clavardage (C) ; messages courts que nous
qualifierons de réactifs (D) ; non émission de messages (E). Afin d’identifier les
situations dans lesquelles elles ont été adoptées par les participants, nous distinguons
les phases suivantes d’un clavardage : constitution de l’assemblée (I), annonce du
début du clavardage (II), annonce et négociation de l’ordre du jour (III), énoncé
introductif (IV), réactions et interruptions (V), débat (VI), apartés et digressions
(VII), proposition d’une synthèse (VIII), annonce d’informations diverses et de la
prochaine rencontre (IX), dispersion de l’assemblée (X), fin du clavardage (XI).
Les stratégies d’écriture des participants des clavardages
Stratégies
A
Phases
T et É
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
T et É
X
XI
T : tuteur ; É : étudiants
B
C
T
T
T
T et É
T et É
D
E
É
É
É
T et É
T et É
T et É
T
T et É
T et É
T et É
T et É
É
T et É
T et É
Figure 1. Les stratégies d’écriture des participants des clavardages
Cette modélisation des messages ne se veut en aucun cas prescriptive d’une
bonne pratique du clavardage, mais plus modestement, révélatrice du fait que ce
média ne cantonne pas ses utilisateurs à un bavardage écrit sans objectif. Il ressort,
au contraire, que les participants sont amenés à passer constamment de l’une à
l’autre des différentes stratégies repérées.
4. Appelées aussi « émoticones », ou smileys, les binettes sont des petits visages formés de
signes de ponctuation qui permettent d’ajouter de l’émotion aux écrits.
http://bcev.nfrance.com/binettes.htm
http://rencontrez.branchez-vous.com/binettes.html
Témoignages
405
La stratégie A étant la plus commune et naturelle aux rencontres à distance, nous
insistons seulement sur le fait que l’animateur du clavardage a tout intérêt à être
attentif aux débordements possibles qui limitent le temps consacré aux autres
échanges.
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com
La stratégie B est facilement mise en œuvre par les fonctions de copier/coller du
texte préparé à l’avance sur un traitement de texte. Ses avantages essentiels sont de
partager un contenu élaboré qu’il serait long de formuler en ligne et d’engager
rapidement les échanges entre participants. Il s’avère ainsi que l’usage des médias
synchrones ne s’improvise pas mais bien au contraire gagne a être préparé. Il est
souhaitable que durant l’émission d’un message long de la part d’un participant, les
autres s’abstiennent d’écrire.
La stratégie C est certainement celle qui va le plus à l’encontre des habitudes des
usagers du clavardage. Il est vrai que structurer un message long n’est pas encouragé
par la limite des deux ou trois lignes qu’imposent les systèmes de clavardage et que,
d’autre part, le temps passé à son émission peut inciter les autres participants à
entamer de nouveaux échanges. Néanmoins, cette stratégie nous est apparue
incontournable pour une communication plus substantielle. Elle nécessite l’adoption
de règles de courtoisie entre les participants qui, comme en présentiel, commandent
la distribution de la parole et la non-interruption de celui qui la prend. Elle est
utilisable par des personnes dont la rapidité de saisie, sans être comparable à celle
des dactylos, permet la rédaction de deux lignes en moins d’une minute. Au-delà, le
temps passé est pénalisant pour la dynamique des échanges. L’adoption d’une
marque indiquant la poursuite ou la fin du message facilite la tenue des échanges.
La stratégie D est, elle, la plus répandue parmi les usagers du clavardage. La
lecture des scripts de clavardages démontre que si elle a été fréquemment utilisée,
les messages produits ont joué essentiellement le rôle de palliatifs à la
communication non verbale d’une rencontre en présentiel. À cet égard, le recours
aux binettes lorsqu’elles ponctuent un propos réserve le meilleur, comme le pire,
quand son utilisateur est trop confiant envers leur pouvoir d’évocation.
La stratégie E comme tous les silences est plus ambiguë. En l’adoptant, le
participant peut favoriser une posture d’écoute tout comme manifester son
désintérêt. La présence effective à un clavardage n’étant révélée que par l’émission
de messages, chaque participant, de temps à autre, devrait recourir à l’une ou l’autre
des stratégies décrites.
À travers ce témoignage, nous avons voulu, d’une part, souligner que
l’appropriation des médias par les étudiants à distance pouvait déboucher sur des
usages non prévus. Ainsi, si le clavardage apparaît utile au renforcement de
l’identité du groupe d’apprenants, il est également adapté sous certaines conditions
aux échanges à portée cognitive et performant pour encadrer collectivement et
individuellement les apprenants. D’autre part, ces utilisations divergentes du
clavardage ont été le cadre de réelles activités de support dès lors que les habiletés et
les stratégies qui les caractérisent ont été identifiées et que les acteurs se les sont
406
Distances et savoirs. Volume 1 – n° 3/2003
appropriées. Il semble donc que c’est par la pratique créatrice, collective et réflexive
du clavardage qu’un petit groupe d’apprenants peut le transformer en média de
support à l’apprentissage.
Remerciements
Nous remercions amicalement Geneviève Jacquinot pour ses remarques
précieuses et son soutien lors de la rédaction de ce témoignage.
Bibliographie
Abrioux D., « Les formules d’encadrement », in F. Henri, Le savoir à domicile, PUQ, 1985.
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com
Anis J., « Communication électroniques scripturale et formes langagières : chat et SMS »,
Réseaux humains/Réseaux technologiques 4, S’écrire avec les outils d’aujourd’hui, Université
de Poitiers, CRDP Poitou-Charentes, 2003, p. 57-70.
Anis J., « L’écrit des conversations électroniques de l’internet », Le français aujourd’hui 129,
« Ordinateurs et textes : une nouvelle culture ? », Plane, S. and Huyn, J.-A. (éds), Paris AFEF,
2000, p. 59-69.
Deschênes A.-J., Bégin-Langlois L., Charlebois-Refae N., Côté R., Rodet J., L’encadrement
par les pairs en apprentissage à distance : la formation des pairs anciens, à paraître.
Germain M., « Messageries professionnelles », Réseaux humains/Réseaux technologiques 4,
S’écrire avec les outils d’aujourd’hui, Université de Poitiers, CRDP Poitou-Charentes, 2003,
p. 37-54.
Jacquinot G., « Le tutorat dans la FAD » In Nouvelles Technologies pour la formation. Cours
sur internet http://www.edusud.org/ressources/ntic/tut/, 1999.
Legendre R., Dictionnaire actuel de l’éducation (2e édition). Montréal : Guérin, 1993.
Marchand L., De l’encadrement en présentiel vers le télé-encadrement grâce aux nouvelles
technologies, document GRAVTI (Groupe de recherche à vie sur les TIC), inédit, 2001.
Marcoccia M., Les smileys : une représentation iconique des émotions dans la communication
médiatisée par ordinateur, Les émotions dans les interactions communicatives, ARCI, PUL,
Lyon, 2000, p. 249-263.
Paquette, Gilbert. L’ingénierie pédagogique. Pour construire l’apprentissage en réseau,
PUQ, 2002.
Jacques Rodet
Concepteur pédagogique – consultant formateur en e-formation
[email protected]

Documents pareils