Fiche d`oeuvres N°12

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Fiche d`oeuvres N°12
Fiche d’œuvre n° 12
Section : Les découvertes
Les avancées des travaux en
histoire de l’art et le retour en
grâce de la peinture du xixe siècle
ont rendu possible la brillante
redécouverte du Saint joseph père
nourricier du christ de BenjaminConstant conservé à Villers-sur-Mer
(Calvados).
L
’ancienne église de Villers-sur-Mer ayant
été jugée vétuste et impropre à accueillir
les villégiaturistes de plus en plus nombreux,
la municipalité confie à l’architecte caennais
Aymar Lavallée-Duperroux la construction
d’un nouveau lieu de culte. Au sein de l’église
néogothique Saint-Martin, construite progressivement de 1872 à 1898 grâce aux dons des
familles fortunées fréquentant la station, se
déploie un décor de vitrerie de l’atelier Duhamel-Marette d’Évreux. Exécuté en trois phases,
cet ensemble exceptionnel de cinquante
et une verrières, classé Monument historique,
« fait de cet édifice une sainte chapelle balnéaire, par analogie avec la Sainte-Chapelle
parisienne »1. En comparaison, la place occupée par la peinture est demeurée limitée.
Aujourd’hui, les tableaux de l’ancienne église
ayant disparu, seul subsiste le Saint Joseph père
nourricier du Christ signé Benjamin-Constant,
accroché au mur ouest du transept sud. Là, il
côtoie la grande verrière dédiée à saint Joseph achevée en 1878. Cette proximité iconographique indiquerait-elle que la toile a été
commandée pour la présente destination ?
Rien ne permet de l’affirmer d’autant que l’inventaire de 1906 n’indique
dans l’église qu’une Notre-Dame du perpétuel secours et, dans la sacristie,
un tableau sans mention de titre, aux dimensions du saint Joseph. Le donateur anonyme du tableau, familier de la production picturale parisienne des
débuts de la Troisième République, était sans doute un villégiaturiste soucieux d’embellir un édifice nouvellement construit.
L’artiste, François-Jean-Baptiste-Benjamin Constant, qui adopte le
nom de Benjamin-Constant (1845-1902), s’est rendu à plusieurs reprises en
Normandie, mais rien n’indique qu’il a fréquenté Villers-sur-Mer. Il a étudié à
Toulouse à partir de 1860 puis entre à l’École des Beaux-Arts de Paris en 1867
comme élève de Cabanel. Après un échec au Grand Prix de Rome, il débute au Salon en 1869. Il développe une veine orientaliste après un voyage
au Maroc en 1871-1872 et se révèle un des héritiers de Delacroix par ses sujets (Intérieur de harem, musée de Lille, 1878) mais aussi par ses coloris et son
pinceau vibrant (Nuit arabe). Ses nombreuses scènes orientales lui ont apporté le succès, certaines de très grande taille ayant été acquises par l’État.
12 | Beauté Divine Tableaux des églises bas-normandes, 16e - 20e siècles
Villers-sur-Mer
(Calvados)
Église paroissiale
Saint-Martin
Constant Jean-Joseph
Benjamin, dit : BenjaminConstant (1845-1902)
Saint Joseph père
nourricier du Christ
Quatrième quart XIXe siècle, huile
sur toile - h : 130 ; la : 95, avec le
cadre. Inscription : Benj. Constant
Inscrit au titre objet le X
Dans le courant des années 1880, Benjamin-Constant s’affirme comme un
portraitiste de renom et un peintre décorateur pour des grands chantiers
comme l’Hôtel de Ville, l’Opéra-Comique et la Sorbonne, à Paris. Il cumule
les honneurs : professeur à l’école des Beaux-Arts en 1883, succédant à son
maître Cabanel, membre de l’Institut en 1893, Grand Prix de l’Exposition universelle de 1900 ; chevalier de la Légion d’honneur dès 1878, il est élevé au
grade d’officier puis à celui de commandeur en 1901.
Moins connues que les célèbres figures féminines de Judith ou de
Hérodiade, les scènes religieuses tirées du Nouveau Testament sont plutôt
rares dans la production de Benjamin-Constant (Christ au tombeau exposé au Salon de 1882, Résurrection de Lazare et Salomé et la tête de saint
Jean-Baptiste) et se signalent par une ambiance sombre. Ici, au contraire,
la scène baignée dans une douceur pastel à dominante de bleu et de
rose rend compte d’une ambiance apaisée. Le motif des figures assises sur
une terrasse dégageant une perspective vers un paysage à l’arrière-plan
reprend une composition ayant assuré le succès du peintre dans plusieurs
toiles orientalisantes autour de 1880 (Le soir sur les terrasses, Salon de 1879,
musée de Montréal). Mais contrairement à ces dernières, ici, la construction
verticale du tableau donne à la maison au premier plan une ampleur tout
autre. Elle impose sa masse blanche et confère à Jésus et son père nourricier
une hauteur, un statut, qui n’est plus celui de simple mortel. Au-delà d’un
orientalisme dépourvu de réalisme géographique, les montagnes rappelant le massif de l’Atlas marocain plus que les collines autour de Nazareth,
Benjamin-Constant, qui n’a pas fait mystère de ses sentiments religieux, offre
une représentation empreinte de recueillement. Sans céder à l’anecdote, il
renouvelle l’iconographie de saint Joseph, proclamé patron de l’Église universelle par Pie IX en 1870. Figuré âgé avec à ses pieds la scie, attribut du
charpentier, et le lys, symbole de son mariage virginal, il ne porte pas Jésus,
ne le tient pas par la main mais, assis à ses côtés, partage avec lui un même
horizon, comme ils ont partagé durant de longues années l’humble métier
de charpentier. La touche claire et empâtée de Benjamin-Constant livre de
cette complicité laborieuse, de cette communauté de destin, une image
puissante, parmi les plus réussies dans cette veine orientalisante de la peinture religieuse.
Emmanuel Luis, attaché de conservation du patrimoine, chercheur et
responsable des publications à la direction de l’Inventaire général du
patrimoine culturel, Région Basse-Normandie
Beauté divine ! Tableaux des églises bas-normandes, 16e-20e siècles
/ sous la direction d’Emmanuel Luis ; ouvrage réalisé par la Région
Basse-Normandie, avec la collaboration des Départements du Calvados, de la Manche et de l’Orne. Lyon : Lieux Dits, DL 2015.-1 vol. (408p.) :
ill. en noir et en coul., couv. Ill. en coul. ; 27cm.
1 CALLIAS-BEY, Martine. Les verrières de l’église de Villers-sur-Mer, Calvados. Caen : Histoire et patrimoine industriel
en Basse-Normandie, 2002. (Itinéraires du Patrimoine, ISSN, 1559-1722 ; 29), p. 2
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