fractures et luxations du rachis cervical inferieur (c3-c7)
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fractures et luxations du rachis cervical inferieur (c3-c7)
FRACTURES ET LUXATIONS DU RACHIS CERVICAL INFERIEUR (C3-C7) ATTITUDES THERAPEUTIQUES AU GABON P.M. LOEMBE (1), S. AKOURE-DAVIN (2), L. MWANYOMBET-OMPOUNGA (1), J. KOUMBA (3), Y. ASSENGONE-ZEH (1), Ph. KOUNA (4), M. MOUBEKA-MOUNGUENGUI (4). RESUME Cette étude rétrospective portant sur une période de 14 ans (1981-1994) fait ressortir les différentes attitudes thérapeutiques adaptées aux moyens locaux. L’approche pluridisciplinaire met le patient dans les meilleures conditions d’une récupération psychologique et neurologique éventuelles. En Afrique, elle constitue une modalité thérapeutique d’avenir. Mots-clés : Fracture - luxation du rachis cervical, tétraplégie traumatique, approche pluridisciplinaire, Gabon. SUMMARY Management of 160 cases of subaxial (c3-c7) cervical fractures in Gabon. The authors re p o rt their experience of 160 cases of subaxial (C3-C7) cervical fractures managed locally over a 13-year period, from 1981 to 1994, at the Fondation Jeanne Ebori hospital, by a multidisciplinary approach. This method provides an optimum environment for psychological and neurological recovery. lt will also provide new perspectives for the future, particulary in Black Africa. Key-words: Cervical spine, fracture-dislocation, traumatic tetraplegia, multidisciplinary approach, Gabon. cales appelées à les déceler (8, 9). L’attitude thérapeutique dépend, bien entendu, des moyens humains et matériels dont on dispose. C’est pourquoi nous décrivons notre expérience portant sur 160 cas de fractures/luxations C3C7 traités par approche pluridisciplinaire. MATERIEL ET METHODE Cette étude porte sur 160 patients porteurs d’une fracture/ luxation C3-C7 traités à la Fondation Jeanne Ebori (Libreville, Gabon) de 1981 à 1994 et dont 107 ont un recul variant de 8 à 144 mois (moyenne : 38 mois). Certains d’entre eux nous étaient référés du Centre Hospitalier de Libreville. L’équipe chirurgicale comprenait l’orthopédiste et le neurochirurgien. Notre attitude à l’arrivée du blessé ainsi que les indications opératoires ont été précisées dans des articles antérieurs (3, 4, 5, 7). En cas de tétraplégie complète de niveau lésionnel moyen C4 avec assistance ventilatoire, nous nous sommes donnés un délai d’observation d’environ 8 jours (3, 4). L’intervention n’avait lieu que si les troubles respiratoires rétrocédaient, ce qui était exceptionnel (2). La voie d’abord a été postérieure ou antérieure, utilisant en arrière, le laçage au fil d’acier associé le plus souvent à une greffe osseuse ou, plus récemment, la plaque de Roy-Camille sans greffe complémentaire et, en avant la plaque antérieure vissée, associée ou non a une greffe osseuse. Des minerves en matériaux thermoformables ont été imposées en post-opératoire. RESULTATS INTRODUCTION Seul un petit nombre de travaux décrivent les traumatismes vertébromédullaires en Afrique Noire (1, 2, 3, 4, 5, 6). Les lésions rachidiennes C3-C7 étant souvent instables dans notre expérience (3, 4, 5, 7), il apparaît donc indispensable de prévenir les complications qui leur sont liées en sensibilisant davantage les équipes de secours et les équipes médi- La série comportait 134 hommes (84 %) et 26 femmes (16 %) de 17 à 70 ans (âge moyen : 37 ans). Les causes du traumatisme étaient: . accidents de la voie publique : 108, . chute : 29, . agression : 15, . sport : 8. 1 - Service de neurochirurgie 2 - Orthopédie 3 - Rééducation fonctionnelle et appareillage, Hôpital Fondation Jeanne Ebori 4 - Neurologie, Centre Hospitalier de Libreville - BP 212, Libreville, Gabon Médecine d'Afrique Noire : 1998, 45 (11) FRACTURES ET LUXATIONS… 631 Les polytraumatismes étaient au nombre de 38 dont 22 touchaient le crâne. 78 % des patients nous sont parvenus dans les 24 à 48 heures qui ont suivi le traumatisme. La tétraplégie complète était fréquente (37 cas), accompagnée d’une paralysie phrénique dans 22 cas. Des syndromes médullaires partiels étaient présents dans 33 cas et des syndromes radiculaires dans 16 cas. La majorité des patients se plaignait de douleurs cervico-céphaliques. Nous avons observé 38 subluxations (déplacement antérieur de 4 à 5 mm), 47 luxations (déplacement antérieur de plus de 5 mm), 41 fractures-luxations, 22 «tear drop» fractures, 12 fractures corporéales (Tableau I). Tableau 1: Aspects radiologiques (N = 160) Type de lésion N % Luxation Subluxation Fracture - luxation Tear-drop fractures Fractures corporéales 47 38 41 22 12 29 24 25,6 14 7,5 45 blessés sur 160 (Tableau II) ont bénéficié d’un traitement orthopédique consistant en une traction crânienne au moyen de l’étrier de Gardner-Wells suivie, 14 à 21 jours plus tard, d’une immobilisation à l’aide d’une minerve moulée. Tableau II: Traitement conservateur (non-chirurgical) (N=45) Etat Neurologique Type de lésion SMP TC* N Luxation 4 1 8 13 Subluxation 21 2 1 24 1 4 5 3 3 Tear-drop fracture Techniques N A - Ostéosynthèse antérieure (72,2 %): 1- Plaque vissée sans greffe 2- Corporectomie et greffe 3- Corporectomie, greffe et plaque vissée 4- Greffe intersomatique et plaque vissée 83 24 8 27 24 B - Ostéosynthèse postérieure (23,5 %) 27 C - Voie combinée (4,3 %) 5 L’abstention opératoire a semblé justifiée uniquement chez les tétraplégiques complets avec assistance respiratoire (2). Aucune réintervention n’a été nécessaire chez les 115 cas initialement opérés. 30 patients sont décédés: 27 tétraplégiques complets dont 22 précocement, 1 hépatite, 1 aggravation postopératoire et un décès de cause indéterminée. 23 patients ont été perdus de vue deux à trois mois après leur sortie de l’hôpital. 100 bonnes consolidations et 7 mauvaises : . expulsion partielle du greffon : 1, . angulations du rachis : 2 , . luxations mal réduites : 4. Les six dernières complications (angulations et luxations) sont survenues au décours du traitement orthopédique et ont donc justifié une stabilisation chirurgicale secondairement. Enfin, la récupération neurologique n’a été observée que dans les lésions incomplètes. DISCUSSION Normal Fracture - luxation Tableau III: Techniques opératoires (N=115) SMP = syndromes médullaires partiels TC* = tétraplégie complète avec paralysie phrénique. 115 traumatisés ont été opérés 10 à 14 jours après la réduction: 83 par voie antérieure (fractures corporéales, subluxations, luxations); 27 par voie postérieure (subluxations, luxations, fractures-luxations); 5 par voie combinée (Tableau III). L’approche pluridisciplinaire associant l’orthopédiste, le neurochirurgien, le médecin rééducateur et, dans certains cas, l’anesthésiste-réanimateur voire le psychiatre, présente des avantages incontestables. Celle-ci est malheureusement peu utilisée en Afrique Noire, alors qu’en Amérique du Nord et bien d’autres pays occidentaux, elle devient courante. Elle met le patient dans les meilleurs conditions d’une récupération psychologique et neurologique éventuelles, même si d’autres facteurs interviennent également (infrastructure, environnement socio-culturel) (2, 4). Dans le cadre de la globalisation des soins particulièrement en Afrique, nous pensons que l’approche pluridisciplinaire constitue une modalité thérapeutique d’avenir. Les examens cliniques et radiologiques conventionnels Médecine d'Afrique Noire : 1998, 45 (11) 632 P.M. LOEMBE , S. AKOURE-DAVIN, L. MWANYOMBET-OMPOUNGA , J. KOUMBA, Y. ASSENGONE-ZEH , Ph. KOUNA , M. MOUBEKA-MOUNGUENGUI nous ont permis de baser nos indications opératoires sur la gravité des signes neurologiques et sur l’instabilité des lésions osseuses et surtout disco-ligamentaires (3). La fixation de celles-ci par le procédé le plus simple et le plus rapide explique la fréquence de notre choix chirurgical (de plus en plus la voie antérieure), d’autant que la minerve plâtrée engendre des difficultés pratiques et un inconfort lié au climat. Des minerves en matériaux thermoformables sont mieux supportées. Nous pensons que la progression de la chirurgie en Afrique passe par une adaptation des techniques aux moyens et non par une application stricte des méthodes propres aux pays industrialisés. Dans ce contexte, la stabilisation chirurgicale antérieure par plaque vissée, sans greffe intersomatique (10, 11), prend alors tout son intérêt, pour faire bénéficier le plus grand nombre de blessés de ses avantages, par analogie avec l’ostéosynthèse postérieure par plaque de type Roy-Camille (12,13) qui ne nécessite pas d’apport osseux. Nous n’avons observé ni débricolage ni reluxation sur les 24 cas où cette technique de stabilisation antérieure simple a été utilisée (subluxations, luxations et certaines fractures-luxations non complexes réduites avant l’intervention chirurgicale) (3, 11). Par contre, en présence de lésions corporéales majeures, l’ostéosynthèse antérieure doit être associée à une greffe, avec ou sans plaque. En cas d’abord par voie postérieure (accrochage des articulaires), notre préférence va de plus en plus à la stabilisation par plaque de Roy-Camille, bien que disponible occasionnellement. Celle-ci apparaît plus fiable et plus sûre que le cerclage avec greffe dont les risques ont été rappelés dans des articles antérieurs (5, 10). La mortalité globale dans notre centre s’est légèrement améliorée: 25 % avant (2, 7) et 18.7 % depuis la création d’un service de rééducation fonctionnelle avec atelier d’appareillage. Cependant, elle reste élevée mais identique à celle de certaines études africaines (1, 6) et même occidentales (14); cela confirme la gravité d’ensemble de cette pathologie. La tétraplégie complète avec atteinte du nerf phrénique a été responsable de 90 % de nos décès. L’attitude conservatrice adoptée devant celle-ci résulte d’une concertation entre l’anesthésiste, les chirurgiens et le psychiatre (2). Elle témoigne des problèmes moraux et socioéconomiques propres à notre contexte africain. BIBLIOGRAPHIE 1- ALLIEZ B., GUEYE M., DUCOLOMBIER A., N’DIAYE M. Les traumatismes graves du rachis cervical. DakarMédical 1981; 26: 404-14. 2- BOUGER D., LOEMBE P.M., MBOUSSOU M., POITEVIN J., ASSENGONE-ZEH Y., KOUMBA Les tétraplégies traumatiques. Problèmes moraux et socioéconomiques au Gabon. Réadapt.Méd 1986; 6: 136-196. 3- LOEMBE P.M., BOUGER D., DUKULY L. Traumatismes du rachis cervical: Revue de 70 cas traités sur une période de cinq ans à la Fondation Jeanne Ebori (1981-1986) Neurochirurgie 1988; 34: 258-261. 4- LOEMBE P.M., BOUGER D., DUKULY L., NDONG-LAUNAY M. Traumatismes vertébro-médullaires : Attitudes thérapeutiques au Gabon. Acta Orthop. Belg 1991; 57: 31-43. 5- LOEMBE P.M., CHOUTEAU Y., BOUGER D. Lésions traumatiques instables du rachis cervical inférieur sans signe de déficit neurologique. Notre expérience à la Fondation Jeanne Ebori. J. Chir. 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