prevention et traitement du paludisme dans la

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prevention et traitement du paludisme dans la
PREVENTION ET TRAITEMENT DU PALUDISME
DANS LA REGION DE BRAZZAVILLE (CONGO)
I - MESURES PRISES POUR LES ENFANTS
B. CARME (1, 2), P. KOULENGANA (2), A. NZAMBI (2), H. GUILLO DU BODAN (3)
RESUME
SUMMARY
Prevention and treatment of malaria
in the Brazzaville region.
Les pratiques préventives, vis-à-vis du paludisme, suivies par les enfants congolais vivant dans la région de
Brazzaville, en milieu urbain et rural, ont été analysées en 1989 et au cours du premier trimestre 1990.
Les informations ont été obtenues par interrogatoire
et sont donc subjectives. Trois mesures ont été plus
particulièrement étudiées : la chimioprophylaxie, le
traitement systématique des accès fébriles par un antipaludéen et l’utilisation des moustiquaires. Les informations ont été obtenues auprès de 895 personnes :
600 mères de famille interrogées au cours d’une
enquête réalisée selon la méthode des sondages en
grappe, et 295 parents accompagnant leur enfant à
l’Hôpital ou au dispensaire. Globalement, la chimioprophylaxie est moins utilisée que le traitement systématique des accès fébriles, surtout en milieu rural.
Celui-ci serait pratiqué, avant toute consultation, dans
plus de 50 % des cas. Les posologies seraient insuffisantes une fois sur 3, et (trop) importantes 2 fois sur
10. Deux mères de famille sur 3 déclarent que leurs
enfants dorment sous moustiquaire. Celles qui n’en
possèdent pas paraissent prêtes à l’acquérir pour un
prix maximum souvent inférieur à celui pratiqué dans
le commerce. Selon le niveau socio-économique des
ménages, on retrouve, pour les moins favorisés : une
fréquence : 1- plus faible : 1-1 de la chimio p ro phylaxie, 1-2 de la présence de médicaments antipaludéens au domicile, 1-3 de la possession de moustiquaires ; 2- plus forte : 2-1 de la préférence des injections,
2-2 de l’achat des médicaments au marché local ;
3 - comparable pour : 3-1 le traitement systématique des
fièvres, 3-2 le respect ou non des posologies pour la chloroquine, 3-3 l’utilisation des insecticides ou des produits
à effet répulsif.
The preventive measures taken against malaria by
Congolese children living in urban and rural areas of
the Brazzaville region were analyzed in 1989 and in the
first quarter of 1990. The information was obtained in
interviews. Three measures were studied in particular :
chemoprophylaxis, systematic treatment of fever with
an antimalarial, and the use of mosquito nets.
Information was obtained by interviewing a total of 895
subjects. These included 600 mothers interviewed at
home in a survey in which the households were selected
by cluster sampling, and 295 parents or relatives who
accompanied children to the hospital or clinic. Overall,
chemoprophylaxis was used less than the systematic
treatment of fever, especially in rural areas. Fever was
treated before seeking medical advice in over 50 % of
the cases. The dosage regimen was insufficient in one
case out of three and excessive in one case out of five.
Two mothers out of three reported that their children
slept under mosquito nets. For those who did not own a
net, the maximum acceptable price for one was often
less than the market price. Analysis according to the
socio-economic standard of the families found that
those in the lower categories reported a lower frequency
for the use of chemoprophylaxis, the presence fo
antimalarials in the home and the ownership of
mosquito nets. A higher frequency was noted with
regard to pre f e rence for injections and purc h a s i n g
drugs at the market. The frequencies of systematic
treatment of fever, correct chloroquine dosage, use of
insecticides or insect repellents were similar in all socioeconomic categories.
Mots-clés : Paludisme, enfants, prévention, traitement,
Brazzaville, Congo.
Key-words : Malaria, children, prevention, treatment,
Brazzaville, Congo.
1 - Faculté de Médecine et CHRU d’Amiens, Hôpital Sud, 80054 Amiens, France.
2 - Centre Hospitalier et Universitaire de Brazzaville - BP 32 - Brazzaville (Congo).
3 - Centre Hospitalier de Linzolo, Congo.
Ce travail a bénéficié d’un financement du Ministère Français de la Coopération
(Projet CAMPUS 109/CD/87, Mission Française de Brazzaville).
1 - Measures taken in children
Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (11)
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B. CARME , P. KOULENGANA, A. NZAMBI, H. GUILLO DU BODAN
1 - INTRODUCTION
Depuis 1985, le Congo, comme tous les pays d’Afrique
Centrale, est confronté au problème de la chimiorésistance
de Plasmodium falciparum (5). Cette situation, bouleversant les schémas thérapeutiques classiques, est à l’origine d’une grande confusion, tant au sein des populations,
autochtone et expatriée, que dans le corps médical (4, 7).
Dans ce contexte, il apparaît de plus en plus nécessaire de
connaître le type et les modalités de prévention contre le
paludisme prises par les populations infectées ; enfants et
femmes enceintes en premier lieu ; ceci afin d’adapter
et/ou de préconiser des actions correspondant le mieux à la
situation locale.
En 1989 et au cours du premier trimestre de 1990, nous
avons tenté d’évaluer les pratiques préventives, vis-à-vis
du paludisme, suivies par la population congolaise de la
région de Brazzaville. Trois types de mesures ont été plus
particulièrement étudiés : la chimioprophylaxie (CP) (prise
régulière d’un antimalarique à visée préventive), le
traitement systématique des fièvres par un antipaludéen
(TSF) et l’utilisation des moustiquaires.
2 - METHODOLOGIE
2.1 - Lieux des enquêtes (Figure 1)
Cette étude s’est déroulée en milieu urbain (ville de
Brazzaville) et en milieu rural (village de Linzolo) de la
région de Brazzaville.
FIGURE 1
Présentation de la région de Brazzaville avec localisation du village de Linzolo
et de la zone géographique avoisinante (zone hachurée)
Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (11)
PREVENTION ET TRAITEMENT DU PALUDISME…
Brazzaville, capitale et principale ville du Congo, comte
650 000 habitants (recensement 1984 : 575 000), soit 30 %
de la population du pays. Si le paludisme à Plasmodium
falciparum y est encore solidement implanté, les taux de
transmission sont très variables d’un quartier à l’autre
allant de moins d’une piqûre infectante par personne tous
les 2 ans à plus de 100 piqûres infectantes par personne par
an (33). L’aménagement de l’écoulement des eaux de pluie,
mais également la pollution du milieu, contribuent à
l’élimination du vecteur essentiel : Anopheles gambiae. De
plus, sa dispersion est très faible en milieu urbain peuplé ce
qui contribue à focaliser la transmission. Ainsi , ce sont les
quartiers les plus anciens, avec une forte densité d’habitants, qui seront les moins infectés : arrondissements Poto
Poto et Moungali.
Linzolo, village important d’environ 2 000 habitants, est
situé à 25 km au Sud Ouest de Brazzaville. La transmission
du paludisme, également assurée par A. gambiae, est très
forte (de 200 à 1 000 piqûres infectantes par an), sans
variations saisonnières importantes (33).
Aucune action concertée de lutte antivectorielle et/ou de
chimioprophylaxie systématique n’a été entreprise dans
cette région depuis plus de 20 ans. C’est le traitement systématique des accès fébriles par une Amino-4-quinoléine
(A4Q) qui est actuellement préconisé comme moyen de
lutte contre le paludisme. La chimiorésistance de P. falciparum est connue depuis 1985 pour les A4Q (5). Depuis
1989, la situation semble s’être stabilisée pour la chloroquine et l’amodiaquine (9). La quinine restait tout à fait
efficace en 1989 pour le traitement des accès palustres
hospitalisés à Brazzaville (8). Toutefois, on relevait en
1990, par rapport à 1987, une moindre efficacité, in vitro,
pour la quinine et les amino-alcools (11).
2.2 - Populations étudiées et méthodologie
Cinq groupes différents de personnes ont été individualisés :
4 à Brazzaville (groupes B1 à B4) et un (groupe L1) à
Linzolo. Elles ont toutes été interrogées par la même équipe
d’enquêteurs constituée de licenciés de l’Institut Supérieur
de la Santé de Brazzaville, ayant suivis une formation
spéciale d’une semaine avant le début des enquêtes. Les
interrogatoires des mères, ou dans certains cas, pour les
enquêtes hospitalières, d’un proche parent (père, tante ou
oncle), se sont déroulés soit à domicile (Groupe 1), soit à
l’Hôpital (autres groupes).
Les caractéristiques des différents groupes sont les suivantes :
715
Groupe B1 : Mères de famille, ayant au minimum un
enfant à charge âgé de moins de 10 ans, vivant dans l’agglomération brazzavilloise. Enquête réalisée, à domicile,
par sondage en grappe ayant intéressé l’ensemble de la
commune de Brazzaville. L’unité de sondage est le foyer.
30 grappes de 20 foyers ont été constituées selon le recensement général de 1984 (chiffre tiré au sort : 6 772, pas de
sondage : 19 836). Pour chaque grappe, le premier foyer a
été choisi, géographiquement, de façon aléatoire, puis les
19 suivants selon la méthode de proche en proche).
Groupe B2 : Parents (mère, père, tante ou oncle) d’enfants
hospitalisés au Centre Hospitalier et Universitaire (CHU)
pour accès palustre, diagnostic porté selon les critères
suivants : température > à 38° C, pas d’autre étiologie évidente, plus de 10 000 P. falciparum par mm3 de sang.
Groupe B3 : Parents d’enfants hospitalisés pour une autre
étiologie, mais présentant une faible parasitémie à P.
falciparum (inférieure à 500/mm3).
Groupe B4 : Identique à B3 mais parasitémie négative (GE
négative).
Les groupes B2, B3 et B4 ont été appariés pour le sexe,
l’âge des enfants et la période de l’année.
Groupe L1 : Parents d’enfants venus en consultation à
l’Hôpital de Linzolo, quel que soit le motif (dans 30 % des
cas, il s’agissait d’une fièvre).
Les effectifs des différents groupes sont présentés dans les
tableaux de résultats (1 à 3).
Les questions posées permettaient d’obtenir des informations d’ordre général, socio-économique et médical. Pour
ces dernières, l’accent était mis sur les habitudes préventives (CP, TSF, usage d’une moustiquaire et de produits
insecticides et/ou répulsifs) et curatives (lieux et modalités
des traitements, préférences, etc.).
L’influence du niveau socio-économique des sujets
interrogés, estimé selon différents critères (profession,
quartiers de résidence, niveau de scolarisation, équipement
audiovisuel), n’a été étudiée que pour le groupe B1, seul
représentatif de l’ensemble de la population brazzavilloise
et comportant des effectifs suffisants.
Les données ont été saisies et analysées sur micro-ordinateur PC avec le logiciel Epidémio (B. DUFLO), version
1988.
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B. CARME , P. KOULENGANA, A. NZAMBI , H. GUILLO DU BODAN
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3 - RESULTATS
TABLEAU 2
Autres mesures prises ou suivies concernant
le paludisme en fonction du niveau social (selon la
compréhension du français) (effectif : 600).
Enquêtes menées à domicile
Les modalités préventives et thérapeutiques, prises pour les
enfants par les mères de famille brazzavilloises, globalement et en fonction du niveau socio-économique, sont résumées dans les tableaux 1 et 2.
TABLEAU 1
Modalités thérapeutiques et préventives mises
en oeuvre par les mères de familles (Groupe B1,
effectif : 600) représentatives de l’ensemble de la
population brazzavilloise (interrogatoire à domicile)
Groupes
Globalement
CP
< 6 ans
> 6 ans
48 %
39 %
TSF
Moustiquaire
Insecticides
Fréquence prix* ou répulsifs**
45 %
73 %
4 837 F
10 %
Selon l’âge : 15-24 ans : 27 % - 25-34 ans : 47 % - >= 35 ans : 26 %
Compréhension du Français
Bonne
Médiocre Nulle
Statistique Globalement
Antipaludéens
à la maison
75 %
56 %
48 %
p < 0,00001
70 %
Achat médicaments
au marché
6%
19 %
20 %
p = 0,00001
9%
Posologie
chloroquine
exacte
37 %
35 %
42 %
DNS
38 %
insuffisante
30 %
38 %
27 %
DNS
31 %
trop importante
23 %
18 %
15 %
DNS
21 %
ininterprétable
9%
8%
15 %
DNS
10 %
Préférence infection 18 %
29 %
29 %
p = 0,024
20 %
15-24 ans
58 %
44 %
48 %
76 %
9%
25-34 ans
47 %
43 %
45 %
75 %
12 %
Durée traitement
(en jours)
>= 35 ans
39 %
34 %
40 %
64 %
7%
* comprimés
3,83
4,28
3,71
(3,6-4,1) (3,6-5,0) (3,2-4,2)
DNS
3,86
(3,7-4,1)
statistique
p = 0,0031
DNS
DNS p = 0,027
* injection
3,38
3,18
3,26
(3,2-3,5) (3,0-3,3) (3,0-3,5)
DNS
3,33
(3,2-3,4)
p < 0,00001
49 %
DNS
Selon la compréhension française : nulle : 10 % - médiocre : 12 % - bonne :
78 %
Pourquoi pas de
moustiquaire
non
20 %
18 %
54 %
61 %
8%
Trop cher
36 %
74 %
87 %
oui +-
37 %
33 %
51 %
62 %
10 %
Pas commode
49 %
17 %
9%
oui ++
52 %
43 %
43 %
76 %
10 %
p = 0,0036
DNS
statistique
p 0,00001 p = 0,00063 DNS
Prix maximum pour moustiquaire
en F CFA (si n’en possèdent pas)
Moyenne
Selon l’équipement Audiovisuel : aucun : 23 % - Radio seule : 32 % - TV :
45 %
rien
37 %
22 %
47 %
68 %
5%
radio
48 %
38 %
48 %
68 %
8%
radio et/ou TV 52 %
46 %
41 %
77 %
14 %
statistique
p = 0,017 p = 0,00001 DNS
DNS
p = 0,0077
CP = Chimioprophylaxie,
TSF = Traitement Systématique Fièvre,
Prix = Prix maximum moyen acceptable en cas de non possession,
DNS = Différence Non Significative
* Prix en francs CFA (100 CFA = 2 FF)
** utilisation fréquente de...
Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (11)
38 %
Effectif
Ecart type
5 122
4 240
4 278
88
25
18
DNS
4 837
131
2 385
1 608
1 825
2 210
DNS : Différence non significative
Les différences observées sont essentiellement liées au
niveau socio-économique du foyer et les résultats sont
concordants que l’on prenne en compte comme critère le
niveau de compréhension du français ou de scolarisation, la
profession ou le niveau de l’équipement audiovisuel.
Pour les familles défavorisées, on retrouve : une moindre
fréquence : 1 - de la chimioprophylaxie des enfants, 2 - de
la possession de moustiquaires (ceci pour des raisons financières), 3 - de la présence de médicaments antipaludéens au
PREVENTION ET TRAITEMENT DU PALUDISME…
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domicile. De plus, le traitement initial des fièvres est plus
tardif car débuté moins souvent à la maison. On ne relève
pas de différence notable concernant :
1 - le TSF,
2 - l’utilisation des insecticides, en sachant qu’il s’agit
avant tout de répulsifs,
3 - la durée des traitements,
4 - la connaissance des posologies pour la CQ (satisfaisante
dans près de 40 % des cas). Enfin, l’achat des médicaments
au marché est plus fréquent (une fois sur 5) et les infections
sont plus appréciées.
Les différences en fonction de l’âge sont essentiellement
dues à une moins bonne scolarisation, et par conséquent à
un plus faible niveau socio-économique, pour les mères les
plus âgées.
Enquête menée à l’Hôpital (tableau 3)
Les conditions d’interrogatoire étant différentes, il paraît
difficile de comparer les résultats obtenus à l’hôpital avec
ceux obtenus à domicile. Pour Brazzaville, les réponses
positives concernant la chimioprophylaxie et le traitement
systématique des fièvres sont plus fréquentes. Cela peut
être dû à une meilleure condition sociale des familles car
bénéficiant de l’hospitalisation au CHU.
TABLEAU 3
Modalités thérapeutiques et préventives mises en oeuvre pour les enfants (parents interrogés à l’Hôpital)
Groupes
Effectifs
Age moyen
(enfants)
CP
3,4 ans
4,2
3,5
9%
16 %
26 %
TSF
Fréq.
Moustiquaire
prix m.
Insecticides
ou répulsifs
BRAZZAVILLE
B2
B3
B4
66
64
62
Statistique
B2/B3/B4 p = 0,045
B2/B4 p = 0,005 (Odds ratio : 2,98)
B3/B4 p = 0,051
69 %
62 %
44 %
78 %
62 %
79 %
5 650
DNS
29 %
27 %
16 %
DNS
LINZOLO
L1
103
3,3
22 %
62 %
71 %
5 160
25 %
CP = Chimioprophylaxie,
TSF = Traitement Systématique Fièvre,
prix m. = prix maximum moyen (en FCFA) acceptable en cas de “pas de moustiquaire”.
NB. : L'odds Ratio se rapporte à la comparaison B2/B4
Mais il est possible qu’un certain conditionnement, associé
à un sentiment de culpabilité, ait pu jouer. Plus intéressante
est la comparaison des différentes catégories sélectionnées
à l’hôpital d’autant plus que les enfants ont été appariés par
âge. La CP, le TSF et la protection par moustiquaire sont
significativement plus fréquemment retrouvés pour les
enfants non impaludés. Pour ceux-ci, la CP serait régulière
dans près des deux tiers des cas, contre 36 % pour les
enfants hospitalisés pour accès palustres. A Linzolo, milieu
rural, on relève une plus faible fréquence pour la CP mais
pas pour le TSF et la possession d’une moustiquaire.
4 - DISCUSSION
La chimioprophylaxie semble encore largement utilisée,
surtout chez les enfants de moins de 6 ans. Toutefois, il est
permis de douter de sa régularité et du respect des posologies. La comparaison des résultats obtenus par interrogatoire et selon le dosage des antimalariques dans les urines
et/ou dans le sérum montre le plus souvent des discor-
Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (11)
718
dances dans le sens d’une plus grande fréquence si l’on se
réfère à l’interrogatoire (31).
On retrouve plus de réponses négatives, concernant la CP,
chez les parents d’enfants hospitalisés pour accès palustres
(p < 0,001). Pour les autres motifs, les pourcentages sont
proches de ceux retrouvés au sein de la population générale. Ces données sont en faveur de la persistance d’une
certaine efficacité de la CP par chloroquine malgré la
chimiorésistance. De même, la constatation d’une plus
faible utilisation de la CP dans les familles brazzavilloises
ayant déploré la survenue récente d’un accès pernicieux est
à prendre en compte (10). Toutefois, dans cette étude, outre
le facteur CP, on relève également des différences de
niveau socio-économique pouvant expliquer par ellesmêmes un facteur de risque. La gravité du paludisme est
plus importante en milieu défavorisé. Elle est plus élevée à
Kinshasa (20) qu’à Brazzaville (6) bien que ces 2 capitales
soient situées à proximité immédiate de chaque côté du
fleuve Congo. Le produit intérieur brut par habitant est 5
fois plus faible au Zaïre qu’au Congo : 160 et 880 US dollars en 1989.
Quoi qu’il en soit, au Congo, comme dans l’ensemble des
pays africains de forte endémicité à P. falciparum, la
chimioprophylaxie n’est plus recommandée par les autorités sanitaires en dehors de la population expatriée et des
femmes enceintes (26). Il lui a été reproché d’entraver
l’acquisition de l’immunité protectrice (27) et de faciliter le
développement de la chimiorésistance (16). De plus, sa
mise en application, de façon prolongée et continue, s’est
toujours heurtée aux difficultés d’ordre organisationnel
liées aux conditions socio-économiques des pays concernés
(22, 32). C’est le traitement systématique des accès fébriles
qui est conseillé, tout au moins dans le cadre des soins de
santé primaire (2, 26). Cette attitude, habituelle dans la
région de Brazzaville, depuis déjà de nombreuses années,
serait la cause essentielle de la faible mortalité palustre
retrouvée localement (3, 17, 34). Cette conception n’est
pas partagée par tout le monde (13, 29). Dans une étude
longitudinale menée en Gambie, de 1983 à 1985, par
conséquent avant l’apparition de la chimiorésistance dans
cette région, l’absence d’efficacité, au plan de la mortalité
infantile, de cette mesure utilisée isolément, contrairement
au recours à la chimioprophylaxie par le pyriméthamine/
dapsone (Maloprim®) associée au traitement des accès
fébriles (21), paraît bien documentée. Ce résultat s’est
trouvé conforté à long terme (25). Toutefois, l’efficacité de
Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (11)
B. CARME , P. KOULENGANA, A. NZAMBI , H. GUILLO DU BODAN
ces mesures est conditionnée par un bon encadrement
sanitaire dans les village et/ou les quartiers ; ce qui est loin
d’être la règle en Afrique Noire. En effet, même avant
l’extension de la chimiorésistance, l’efficacité de la CP par
la chloroquine avait montré ses limites, essentiellement
pour des raisons d’ordre logistique (22).
La forte consommation médicamenteuse liée à une forte
automédication, retrouvée dans notre enquête avait déjà été
soulignée à Brazzaville (3). Elle est également fréquente à
Yaoundé où la fréquence des sous dosages est déplorée (23).
De même, au Zimbabwe, on insiste sur ce point tout en
soulignant la possibilité des surdosages (30). A Bobo
Dioulasso (Burkina Faso), c’est le personnel de santé luimême qui est mis en cause (19). La possibilité d’erreur dans
la fabrication et le dosage des comprimés d’A4Q est
également à prendre en considération en région tropicale
(24). L’usage des antipaludéens est habituellement plus
fréquent en milieu urbain bien que la transmission y soit plus
faible. Mais ce moindre risque n’est pas forcément un
élément favorable dans le cas où le paludisme reste intensément implanté dans les environs. Une fraction importante
des enfants des villes grandissent en étant peu exposés au
paludisme (18). Un déplacement, à l’origine d’une contamination massive, peut alors se révéler dangereux. Ainsi,
dans ce contexte, une moindre exposition à l’infection palustre, pourrait constituer, paradoxalement, tout au moins pour
la population autochtone, un facteur de risque (6). Si cela se
confirmait, l’opportunité de la reprise d’une CP systématique, pour les jeunes citadins, pourrait se poser à nouveau
malgré la chloroquino-résistance. Au Cameroun, alors que
les dépenses de santé en rapport avec les maladies liées aux
moustiques sont élevées (achats d’insecticides surtout), les
moustiquaires sont peu utilisées à Yaoundé (14,5 %) (14) ;
sensiblement plus à Douala(48 %) (15). Par contre, dans la
région de Brazzaville, leur usage est largement répandu aussi
bien en ville qu’en milieu rural environnant. Bien que 2 fois
sur 3, c’est le manque d’argent qui est avancé pour motiver
l’absence de moustiquaire, ceux qui n’en possèdent pas
semblent dis-posés à en acquérir pour des prix proches de
ceux pratiqués dans le commerce. Cette constatation est un
encouragement pour la mise en place d’une lutte antipalustre
par moustiquaires imprégnées d'insecticides. En effet, l'efficacité des moustiquaires n’est réelle que si elles sont imprégnées (11). En cas de large utilisation, on peut obtenir une
réduction notable de la morbidité (28) et semble-t-il, de la
mortalité (1).
PREVENTION ET TRAITEMENT DU PALUDISME…
719
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