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mensuel de l’Union
des progressistes juifs de Belgique
février 2009 • numéro 293
éditorial
Gaza et la jeunesse
bruxelloise
Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)
HENRI GOLDMAN*
M
ohamed,
Adam,
Rayan, Nathan, Gabriel, Amine, Ayoub,
Mehdi. Ces prénoms constituent le
« top 8 » de ceux qui ont été attribués aux garçons bruxellois nés en
2007. Cinq de ces prénoms sont à
consonance arabo-musulmane. La
jeunesse bruxelloise d’aujourd’hui
est ainsi, pour le meilleur et le
pire. Le meilleur : c’est grâce à la
vitalité de l’immigration (notamment, mais pas seulement) maghrébine que Bruxelles a mis fin à
son déclin démographique. Le pire : la société bruxelloise n’a toujours pas trouvé le moyen de faire
de ses habitants d’origine populaire extra-européenne des citoyens reconnus et acceptés pour
ce qu’ils sont. À Bruxelles, la pro-
portion de jeunes issus de l’immigration est telle que, souvent,
les politiques dites d’intégration
fonctionnent à l’envers. Sur le
terrain, chacun s’en rend compte. Mais le système institutionnel
continue à tourner sur lui-même
comme si Bruxelles était toujours
composée d’habitants « de souche » répartis entre 85% de francophones et 15% de Flamands.
Cherchez l’erreur…
Les frères et les sœurs de Mohamed, Rayan et Mehdi, avec ou
sans leurs parents, se sont massivement retrouvés à la manifestation du dimanche 11 janvier contre les massacres de Gaza. On a
parlé à ce propos d’une manifestation communautaire. C’était surtout une manifestation bruxelloise. Ce qui est d’ordinaire confiné
➜
BELGIQUE-BELGIE
P.P.
1060 Bruxelles 6
1/1511
février 2009 * n°293 • page 1
sommaire
➜
éditorial
1 Gaza et la jeunesse bruxelloise................................................. Henri Goldman
agir
4 La manif : Oui ? Non ? Oui ! ......................................................... Gérard Preszow
dessiner
5 L’actualité ................................................................................................Jo Dustin
écrire
6 La guerre depuis Bruxelles ................................................. Carine Bratzlavsky
8 Noirceur au pays de Kassam ........................................................ Julia Chaitin
lire
10 Russie 1905. Chronique d’une révolution avortée .......Tessa Parzenczewski
regarder
11 Après ? ......................................................................................... Gérard Preszow
diasporas
12 Musées d’histoire à Varsovie .............................................. Roland Baumann
réflexions
15 De l’usage de certains symboles ............................................... Jacques Aron
16 Un livre important. Comment le peuple juif fut inventé . Michel Staszewski
yiddish ? yiddish !
! widYi ? widYi
18 Un trop fervent socialiste ..........................................................Willy Estersohn
humeurs judéo-flamandes
20 Ça commence bien .....................................................................Anne Gielczyk
le blog allochtone
22 Bande de Gaza et bandes à Bruxelles...................................... Mehmet Koksal
le regard
24 L’an prochain à Jérusalem ou à Bruxelles .............................. Léon Liebmann
communauté/identité
26 « ...et tu aimeras ton prochain comme toi-même » ........................ Didier Buch
cultes et laïcité
28 Coming out à l’ONU .............................................................. Caroline Sägesser
30
activités à venir
upjb jeunes
38 Journal du camp
40 Cela n’en valait-il pas la peine ? ......................................... Noémie Schonker
42
44
éditorial
courrier des lecteurs
les agendas
février 2009 * n°293 • page 2
dans les rues et les maisons de
Molenbeek ou Saint-Josse que
le beau monde ne fréquente pas
a pris ce jour-là possession des
boulevards centraux de la ville.
On a découvert une population
jeune qui avait des valeurs et des
préoccupations situées à des années lumières de Bruxelles - Hal Vilvorde ou de la déconfiture de
Fortis. Et ce qu’elle a montré d’elle a fait peur.
Ces jeunes Bruxellois ont pris
fait et cause pour un peuple écrasé sous les bombes d’une armée
puissante. Un peuple qui n’occupe aucune place particulière dans
l’imaginaire européen, mais dont
le destin tragique résonne dans
tous les foyers arabes à partir des
images d’Al Jazira consommées
jusqu’à la nausée. Comme si le
destin des Arabes de Bruxelles, et
notamment d’une part importante de la jeunesse de cette ville, se
jouait désormais en Palestine.
Cette identification vous choque ? Pourtant, elle ne fait que reproduire ce que tout le monde accepte comme une évidence : la
solidarité « naturelle » des Juifs de
partout avec Israël. À toutes les
manifestations juives de quelque
importance, le drapeau israélien
est déployé. Quand un hymne national est de rigueur, l’Hatikva israélienne accompagne toujours la
Brabançonne. Le Comité de coordination des organisations juives
de Belgique affirme son « soutien
par tous les moyens appropriés à
l’État d’Israël, centre spirituel du
judaïsme et havre pour les communautés juives menacées ». Enfin, l’éditorial du dernier numéro
de Contact J, mensuel très pro-
fessionnel édité par le Cercle Ben
Gourion, réitère son soutien inconditionnel au « peuple d’Israël
engagé dans un combat vital contre des agresseurs qui ont délibérément choisi de tourner le dos à
l’humanité ». (En passant, on se
demandera qui, dans les événements de Gaza, « tourne le dos à
l’humanité ».)
Ce lien privilégié des Juifs avec
Israël a une histoire. Une autre
histoire est en train de tisser un
lien de même type entre les jeunes Bruxellois d’origine maghrébine et les Palestiniens. C’est désormais en Palestine que se joue
leur dignité de vivre en femmes
et en hommes libres et respectés, leur fierté de ne pas courber
l’échine malgré la disproportion
des forces en présence, c’est aussi là que s’élabore un sens à leur
vie puisque, pour beaucoup d’entre eux, celle qui les attend ici n’a
pas de sens. Si l’islamisme a le
vent en poupe aujourd’hui au sein
de cette jeunesse, c’est qu’il apparaît à la fois comme le ferment
de la résistance à l’occupation de
la Palestine et comme porteur de
valeurs là où nos droits de l’Homme à géométrie variable ont été
complètement démonétisés par
notre inconséquence.
Voilà le paysage sur fond duquel se constitue une nouvelle
culture de résistance qui relie ici
et là-bas. Sans aucun doute, cette
culture charrie des références et
se prête à des fréquentations difficiles à admettre pour des démocrates, mais les donneurs de leçon n’ont pas toujours fait la fine
bouche. S’il faut comptabiliser les
crimes selon le nombre de victimes, le Hamas est moins coupable que Tzipi Livni qui fut pourtant
accueillie à bouche que veux-tu
par Sarkozy alors que Gaza croulait sous les bombes. Georges W.
Bush, président élu d’une grande
démocratie et qui sera resté notre
allié jusqu’au bout, a plus de sang
sur les mains que Ben Laden. Attention à ne pas exonérer mentalement du statut de criminel celle
ou celui qui partage nos bonnes
manières. Un crime en Chanel,
avec des mains soignées et un
langage policé, reste un crime.
Il s’agit donc de notre jeunesse.
Nous n’en avons pas d’autre de
rechange. Son engagement existentiel aux côtés des Palestiniens
massacrés est nettement plus honorable que la lâcheté et l’indifférence généralisées, même s’il
y a beaucoup à redire sur les formes que cette solidarité emprunte. En les accompagnant franchement mais de façon critique dans
cette solidarité, nous aiderons les
plus lucides d’entre eux à contenir l’influence suicidaire de l’islamisme qui autrement risque d’occuper seul tout le terrain. Si cette
hypothèse désastreuse devait se
confirmer, c’est notre démission qui lui aura déroulé le tapis
vert. ■
* Auteur de Oublier Jérusalem ? Une approche d’Israël, du sionisme et de l’identité
juive, Quartier Libre, 2002
http://blogs.politique.eu.org/
henrigoldman/index.html
février 2009 * n°293 • page 3
agir
La manif : Oui ? Non ? Oui !
GÉRARD PRESZOW
D
e quoi une opinion
est-elle faite ? Quels
rapports entre une
opinion et la réalité ?
Mais qu’est-ce que
la réalité ? Y a-t-il seulement LA
réalité, qui existerait sans interaction avec le terrain, avec l’autre ?
Peut-on se mettre d’accord sur
UNE réalité pour en faire LA réalité ? Le dialogue n’est-il pas la
preuve et la nécessité de sa propre
incomplétude ? Quels rapports entre une conviction et une opinion ?
Entre penser et agir ? Et qu’est-ce
qu’agir ? À partir de quel moment,
de quel acte commence l’action ? Et puis-je reprocher à mon
ami de ne pas agir comme moi ?
De ne pas penser comme moi ?
Peut-il être mon ami s’il ne partage pas mes idées ? Qu’est-ce que
l’amitié ? De quoi est-elle tissée ?
Est-ce que je pense ? Est-ce que
j’agis ? Faut-il seulement penser
et agir ? Cela se pose-t-il ? Ou cela
s’impose-t-il ? En pensant comme
ceci, en agissant comme cela. En
écrivant ceci, en écrivant cela ? Et
la justice entre les hommes ? Et les
mots pour la nommer ? Et la vérité et le mensonge ? Et la mauvaise
foi ? Et manifester ? Ça sert à quoi,
manifester ? Manifester, n’est-ce
pas avant tout SE manifester ? À
soi-même et aux autres ? Ne doisje manifester qu’avec des amis ?
Ne dois-je manifester que l’amitié ? Et de quel goût sont les couleuvres ? En connaît-on la saveur
avant d’en avoir avalées ? Et ma
mère qui disait : « on est plus intelligent quand on revient du marché que quand on y va ». Et Brecht
qui disait : « quand le peuple vote
mal, changeons de peuple »…Et
la vérité dans tout cela ? Et le jus-
te mot posé sur la réalité ? Il est
un moment où les choses s’imposent …sans imposer à l’autre ce
qui s’impose à soi.
Le carnage commis par Israël
enlève la décision. Toute autre
considération devient secondaire, ce qui ne signifie pas « dérisoire ». Les mots d’ordre de l’appel
sont corrects. Certains de mes comanifestants m’effraient mais ne
m’enlèvent pas le sens d’être là.
La manifestation me paraît historique en Belgique. Pour la première fois, et massivement, la
communauté maghrébine affirme
sa présence en occupant la rue.
Elle s’affirme familialement, communautairement, religieusement.
Pas assez politique ? Ce n’est pas
à moi d’en décider. Ca ne me plaît
pas ? C’est ainsi. Il n’y a guère,
pendant les trente glorieuses, on
pensait voir le monde évoluer selon un progrès linéaire. Annoncée
depuis un siècle, la prophétie de
la mort de dieu devait se réaliser.
Et bien non.
Oublie-t-on qu’en 1967 les
boulevards du centre de Bruxelles
étaient alors occupés par des milliers de Juifs, dont les « hommes en
noir »/versus « barbus », et que l’on
a dansé la hora à l’annonce en direct de la capitulation de l’Égypte.
J’avais 13 ans et j’y étais. Et si les
« hommes en noir »/ versus « barbus » sont nocifs, c’est avant tout
pour ceux - et surtout celles - qui
veulent s’en émanciper.
Il ya des slogans antisémites et
des calicots aux relents nauséabonds ? Oui. Mais si la guerre et
les morts sont là-bas, ici c’est la
guerre des signes et des images.
Et ils obligent à une double vigilance : la dénonciation d’Israël et
février 2009 * n°293 • page 4
la dénonciation de l’antisémitisme. La complexité fait pâle figure
dans l’univers des passions.
Les références à la deuxième guerre mondiale, au nazisme
sont nombreuses. Il en a toujours
été ainsi dans les manifestations.
CRS=SS, US=croix gammée. L’étoile de David, symbole du peuple
juif et de l’État d’Israël, est l’objet de confusion et de détournement glauques. L’ambiguïté, dans
le meilleur des cas, de certaines
expressions n’a d’équivalent que
la prétention d’Israël à être l’État
de tous les Juifs et l’étoile de la
bannière israélienne à se substituer à celle de la menorah de mon
salon. Cela fait mal à mes yeux
que Gaza soit nommé ghetto ? Oui,
mais comment nommer cet espace enclavé qu’Israël ouvre et referme à sa guise ? Et dire ghetto
n’est pas dire génocide.
Mais, au fond, que veut Israël ?
Ni stratège ni politicien prompt
à tirer au cordeau les tenants et
aboutissants, je peux en tout cas
affirmer ceci : Israël ment. Pour
avoir été en Cisjordanie (c’est où
la Palestine ?) par trois fois en
quelques mois, j’ai vu la nouvelle trinité : le Mur, les checks points
humiliants, la floraison des colonies partout dans le paysage. Israël parle de paix alors qu’elle asservit les Palestiniens. Israël
sème la haine pour des générations. Ce pays qui s’enorgueillissait de faire fleurir le désert assèche aujourd’hui les cœurs. Ce
pays qui s’est donné la Bible pour
fondement sait pourtant que des
trompettes suffisent à abattre un
mur et que : qui vit par le glaive
périra par le glaive. ■
dessiner
L’actualité vue par Jo Dustin : “ Si jeunes et déjo terroristes ? ”
février 2009 * n°293 • page 5
écrire
La guerre depuis Bruxelles
CARINE BRATZLAVSKY
L
e 7 janvier, 17 heures. Je
suis en voiture, en route
vers Flagey. J’allume la
Première.
« Gaza, toujours. Au moment où,
dans la région, la diplomatie s’active pour tenter de mettre un terme à l’offensive israélienne, dans
la bande de Gaza, la situation inquiète chaque jour un peu plus.
Suite au bombardement par l’armée israélienne d’une école administrée par les Nations unies
et où, au moins quarante personnes auraient trouvé le mort,
John Ging, le directeur des opérations de l’Office de secours de
l’ONU pour les réfugiés palestiniens a expliqué que le drapeau
des Nations unies flottait au dessus du bâtiment quand celui-ci a
été frappé. En outre, John Ging a
assuré que le personnel de l’école
avait pris soin de vérifier l’identité des civils palestiniens venus s’y
réfugier, afin d’éviter, justement,
la présence de combattants. Il a
appelé à l’ouverture d’une enquête. Pendant ce temps, des tirs de
roquette sont à nouveau tombés
sur Beer sheeva. Ils n’ont heureusement pas fait de victime ».
Je mets mon oreillette. Je tape
Mich sur mon clavier. Le +9 apparaît.
- Ken ?... Ah, c’est toi, Carine !
- Comment ça va depuis la semaine dernière, Mich ? Je viens
d’entendre à la radio.
- Oui, j’avais la télé allumée. Je
viens de voir les images. Les roquettes sont tombées à deux pas
du labo. Heureusement, on l’avait
fermé aujourd’hui. C’est terrible !
- Oui, il faut que ça cesse, ce
bain de sang. Et Adam ? Toujours
pas de problème ?
-Non, il est trop jeune recrue. Ca
fait à peine deux mois qu’il a commencé. Non ,je t’ai dit, il n’y a pas
de problème pour lui. Demain il y
a une cérémonie pour la fin de la
première étape de sa formation. Il
me dit que c’est dur mais bon, il
va s’habituer. Mais moi, franchement, depuis qu’il est parti, j’sais
pas mais j’ai pas trop la forme.
…
Tu vois, ces roquettes, près du
labo, et l’autre fois, sur une école,
heureusement vide, le maire venait de décider de fermer l’école,
c’est bien la preuve qu’ils s’attaquent aux civils.
- …Oui mais tu as vu hier, pour
cette école de l’ONU, …
- Mais tu crois que l’armée israélienne est assez dingue pour
frapper des civils ? ! Ils ont tiré
parce que des roquettes venaient
d’être tirées depuis l’école.
- On dirait qu’on n’entend pas
les mêmes choses chez vous que
chez nous…
- Rega, rega…Attends, attends,
téléphone…C’était pour la nourriture du chien. Ben oui, il faut
bien qu’il mange !
- Ça fait du bien de t’entendre
rire.
- Tu sais, mon frère était ici
février 2009 * n°293 • page 6
avec Hugo. Il y a eu une alerte. Ils
allaient juste prendre le taxi pour
l’aéroport. Mais bon, ça a été. On
est allé dans l’abri, tu sais, à côté
de notre chambre, mais ça a été,
je crois ils n’ont pas eu trop peur.
Mais moi je n’avais qu’une idée
en tête, qu’ils rentrent vite en
Belgique.
- C’est épouvantable !
- Écoute, c’est dur mais franchement, ça va. Ici c’est pas facile mais
à Gaza, c’est terrible. Mais bon,
ça sera bientôt fini.
- Ils ont plutôt annoncé que ce
serait long, non ?
- Oui mais tu sais, c’est à cause
de la guerre du Liban. Ils avaient
tellement dit que ce serait court
et ils s’y sont embourbés qu’ils
préfèrent maintenant annoncer
le contraire. L’armée a beaucoup
changé depuis. T’es où ?
- J’étais en route vers la Place Flagey , qui a beaucoup changé comme tu sais, mais je viens
de faire un détour par l’avenue
Franklin Roosevelt. Je suis curieuse de voir si cette manif à laquelle
ont convié les organisations juives aura beaucoup mobilisé. Ils
ont appelé devant l’ambassade
d’Iran, tu te rends compte ?
- D’Iran ? ! Oui, j’ai vu ce mail,
venant du CCLJ . Comme j’suis
pas là, j’ai pas fait très attention. Il ya plein de choses à dire
sur pourquoi Israël fait cette guerre mais l’Iran, là, j’vois pas. Il y a
du monde ?
-J’sais pas, à la louche, j’dirais
200 personnes, mais bon, il est
encore tôt. Surtout, beaucoup de
flics. Moi, j’y vais pas. Par contre,
j’t’ai pas dit qu’on s’est joint à une
autre manifestation les tout premiers jours, le 31, pour un cessezle-feu immédiat. C’était pas facile parce qu’il y avait des gens du
Hamas qui criaient Allah Ouakbar
à côté de nous et plein de choses
en arabe qu’on comprenait pas.
- …Une manif avec le Hamas ?…
- Ben oui, c’est compliqué. Il y a
des manifs contre la guerre en Israël, j’ai vu ? Et des pétitions, aussi ? Une à Sdérot, signée par les
deux parties, à ce qu’il paraît ?
- J’sais pas trop. Oui, une manif
à Tel-Aviv. J’entends que tu es arrivée.
- Oui, je marche dans la neige.
Je longe l’église et je peux même
voir , en face, l’immeuble de ton
enfance. Il y a une brume épais-
se, la nuit est tombée, il fait froid
et tout est blanc.
- Ca fait longtemps que j’ai pas
vu la neige. Je te laisse. Je t’embrasse très fort.
- Fais attention à toi, on se donne des nouvelles, hein ! Je t’embrasse fort, je t’embrasse, j’tembrasse. ■
Comment Tsahal couvre ses arrières:
le bombardement d’une école des Nations unies
OK, imaginez que vous êtes le commandant de l’armée israélienne (ou son porte-parole), et que vous
apprenez qu’un missile a frappé les bâtiments d’une école des Nations-Unies tuant des civils innocents, y compris des enfants.
Qu’est-ce que vous faites ? D’abord, vous menez une enquête « préliminaire » et vous lâchez une histoire à la presse (vous pouvez allez voir sur le site de l’armée) : « Des activistes du Hamas tués dans
une école des Nations-Unies. D’après une enquête menée il y a une heure, il apparaît que des activistes du Hamas sont morts dans l’école de Jabalya et que des obus de mortier avaient été tirés, depuis l’école, sur les forces de l’armée dans la région. Parmi eux, les activistes du Hamas, Imad Abu
Askhar et Hassan Abu Askhar. »
« Le Hamas fait une utilisation cynique des enfants et des femmes », a déclaré le porte-parole de l’armée, le général Avi Benyahou, après l’incident. Pour embellir l’histoire, vous l’accompagnez d’images de terroristes du Hamas tirant depuis l’école. Pas de chance pour vous, il s’avère que les images datent de 2007 et elles sont contredites par les représentants des Nations-Unies sur le terrain.
Alors, des choses étranges commencent à se produire. D’abord, des officiels des Nations Unies disent
au Haaretz , que lors de discussions qu’ils ont eues avec des officiers de l’armée, ils se sont rétractés
sur l’histoire. Il n’y avait pas de terroristes du Hamas dans l’école. Ensuite, face aux rumeurs croissantes, l’armée mène une autre enquête « préliminaire ». Les terroristes ont mystérieusement disparu de
l’école et de l’histoire. Vous racontez à la presse qu’une équipe de l’armée voulait en découdre avec
des terroristes qui se battaient près de l’école. Un « dysfonctionnement technique » a rendu le recours
à un « missile intelligent » impossible. Alors, le commandant a utilisé un missile doté d’un GPS avec
une marge d’erreur de 30 mètres. Malheureusement, les missiles sont tombés sur l’école. Pour améliorer encore l’histoire, vous pouvez ajouter qu’il n’y a pas eu tant de morts que cela, que le Hamas
exagère toujours sur le nombre de morts. Je n’ai évidemment pas la moindre raison de croire en la
deuxième ou la troisième histoire de l’armée comme je n’en avais pas plus de croire en la première.
Quel être rationnel aurait raison de croire en une organisation comme l’armée qui ment notoirement ?
Vous trouverez [sur son site] la dernière version de l’armée. Demain, ce sera peut-être encore autre
chose. Et comme l’armée interdit aux journalistes l’accès à Gaza et interdit aux habitants d’envoyer
des photos depuis leurs téléphones portables, qui peut nous dire ce qu’il s’y passe vraiment ?
Une dernière chose. La nouvelle « enquête » est racontée dans Haaretz. Mais, juste au cas où, gardez
la première histoire sur le site de l’armée. Tout le monde ne lit pas Haaretz.
Le texte original « How the IDF Covers Its Derrière: The Bombing of the UNRWA School » est paru le 11 janvier sur le blog The
Magnes Zionist (Self-criticism from an Israeli, American, and Orthodox Jewish perspective) tenu par Jeremiah Haber (« le pseudonyme d’un professeur d’études juives vivant entre les États-Unis et Israël »). Adresse : http://themagneszionist.blogspot.com
février 2009 * n°293 • page 7
écrire
Noirceur au pays de Kassam
JULIA CHAITIN*
Membre du kibboutz Orim, Julia Chaitin est professeur au département de
sciences sociales du Sapir Academic College et program developper à l’Institut du Néguev pour les stratégies de paix et de développement. Ce texte est
paru sous le titre Darkness in Qassam-Land dans le Washington Post en date
du 31 décembre 2008.
E
n hiver, le Néguev devient très beau. Même
s’il pleut très peu ici,
tout devient vert et il
flotte dans l’air une pureté que nous n’avons pas pendant la sécheresse des mois d’été.
Mais, depuis ce samedi où une
offensive israélienne majeure a
été déclenchée dans la Bande de
Gaza, à moins de 20 km de ma
maison et 2 du collège où j’enseigne, tout n’est que noirceur, peur
et désespoir.
Cette guerre est une erreur. Une
erreur parce qu’elle ne permettra
pas d’atteindre les objectifs déclarés - une vie « normale » et durable pour les habitants de la région du Néguev. Cette guerre est
une erreur morale parce que la
plupart des victimes sont des civils palestiniens et israéliens dont
le seul « crime » est de vivre dans
le Néguev ou à Gaza. Cette guer-
re est une erreur parce qu’elle ne
conduira pas à une solution viable du conflit mais, au contraire, exacerbe la haine et la détermination des deux peuples à
se meurtrir mutuellement. Cette guerre est une erreur car elle
augmente le sentiment des deux
camps de n’avoir plus rien à perdre à continuer ainsi à se battre et
de plus en plus fort. Cette guerre est une erreur car, même avant
que ne montent au ciel les dernières fumées et que n’arrivent
dans les hôpitaux les dernières
ambulances transportant les derniers corps, nos responsables politiques auront signé un nouvel
accord de cessez-le-feu.
C’est une guerre cruelle, cynique et inutile - une guerre qui
aurait pu être évitée si nos responsables politiques avaient eu le
courage, pendant la trêve de ces
derniers mois, d’œuvrer vraiment
février 2009 * n°293 • page 8
à l’amélioration des conditions de
vie de ces gens dont le seul crime
est de vivre dans le Sud.
Depuis que les forces aériennes israéliennes ont commencé à bombarder Gaza, il est devenu quasiment impossible de
dire ouvertement son opposition
à la guerre. Il est difficile de trouver des forums publiques où l’on
peut en appeler à un cessez-lefeu ou à des solutions alternatives au conflit - de celles qui ne reposent pas sur la force militaire
ou sur le siège de Gaza. Lorsque
les gens sont pris dans la guerre, ils ne sont pas ouverts aux voix
de la paix ; ils parlent (et crient)
sous l’effet de la colère et demandent réparation pour les douleurs
subies. Quand on est pris dans la
guerre, on oublie qu’on peut recourir à des capacités cognitives
supérieures, la raison et la logique. On a, au contraire, tendan-
À Gaza et à Sderot, les petites filles veulent vivre. Image http://orthodoxanarchist.com/
ce à s’appuyer sur ces structures du cerveau qui enclenchent
la peur et l’angoisse en dépit des
menaces objectives à notre survie
où elles nous conduisent. Quand
on est pris dans la guerre, les voix
qui en appellent à la prudence, au
dialogue, à la négociation tombent dans des oreilles de sourds,
quand bien même on leur laisse
même le droit de s’exprimer.
Je vis dans le Néguev et j’enseigne au Sapir Academic College –
l’école située à côté de Sderot- au
coeur de ce qu’on appelle le pays
de Kassam, du nom des roquettes qui sont tombées sur nous. Je
connais l’accélération des battements du cœur et le ventre qui
se noue lorsqu’une alerte rouge - tzeve adom - annonce une attaque de roquettes. Je sais ce que
c’est de rassurer les étudiants et
les collègues lorsque les tirs de
roquettes frappent, près, très près
de vous - et que vous aimeriez,
vous aussi, avoir quelqu’un pour
vous rassurer vous. Je sais ce que
c’est que d’avoir peur de monter
dans la voiture pour aller au travail et d’avoir peur de ne pas arriver vivant, entre le parking et la
salle de classe.
Mais je sais aussi que la réponse à ce conflit ne viendra pas par
cette guerre. Nous ne connaîtrons
la paix que lorsque nous aurons
accepté que les Palestiniens de la
Bande de Gaza auront le droit de
vivre dans la dignité. Nous ne connaîtrons la paix que lorsque nous
aurons admis que nous n’avons
pas d’autre choix que de négocier avec le Hamas, notre ennemi,
même si nous sommes anéantis
que les Palestiniens n’ont pas élu
un parti plus modéré pour les diriger. Nous ne connaîtrons la paix
que lorsque nos responsables politiques cesseront de considérer
nos vies comme moins que rien et
qu’ils nous aideront à construire
un Néguev beau et vert, libéré de
la peur et du désespoir. ■
Traduction : Carine Bratzlavsky
*Julia Chaitin a pris la parole le 10 janvier
dernier à la manifestation organisée par
Shalom Arshav à Tel-Aviv. Voir http://
www.dailymotion.com/La_Paix_Maintenant/video/x80821_manifestation-deshalom-arshav-tel_news
février 2009 * n°293 • page 9
lire
Russie 1905. Chronique d’une
révolution avortée
TESSA PARZENCZEWSKI
É
crit entre 1929 et 1934,
édité brièvement en
1941 et aussitôt envoyé
au pilon par les obscurantistes staliniens qui
y cherchèrent en vain un héros
positif, Viktor Vavitch, le roman
majeur de Boris Jitkov, émerge aujourd’hui de l’oubli et c’est
la découverte d’un immense écrivain. Grèves insurrectionnelles,
répressions féroces et pogroms jalonnent l’année 1905. Multipliant
les angles de vue, passant d’un
milieu à l’autre, du monde ouvrier
aux étudiants révolutionnaires, de
la bourgeoisie libérale aux « basfonds » de l’Okhrana, la police tsariste, l’auteur nous plonge dans
les vies tourmentées, bousculées
d’une série de personnages sans
liens apparents entre eux mais
dont les trajectoires vont se croiser dans cette année cruciale, où
la chasse aux révolutionnaires et
aux Juifs est ouverte, à volonté. De
Viktor Vavitch, le policier ambitieux et implacable à Philippe, militant ouvrier, de Sanka et Nadejda, étudiants révolutionnaires, à
Bachkine, indic ambigu, véritable
personnage dostoïevskien, Boris
Jitkov déploie toute la gamme des
sentiments, du plus noble au plus
corrompu et nous jette dans un
univers d’une brutalité et d’une
violence inouïe. On n’oubliera pas
de sitôt la nuit du pogrom fomenté par la police, où des hordes de
cosaques soutenus par la population massacrent des familles entières.
Une narration haletante, éclatée, menée dans un rythme d’enfer. Des phrases courtes parfois,
sans verbe, les mots qui claquent,
comme syncopés. Des chapitres aux titres brefs, révélateurs,
un mot anodin ou une expression mise en exergue, : « Sortez », « Qu’il me tue », « Avec simplicité », « peut-être »…. Certains ont
parlé aussi d’une approche cinématographique, ce qui est particulièrement vrai dans les
mouvements de foule qui
font penser à Eisenstein :
cavalcades, déploiements
policiers, foules compactes en marche, mais toujours, un zoom sur un visage pour le détacher de la
masse. Un roman foisonnant, riche et questionneur.
Né en 1882 dans une famille juive aux environs de
Novgorod, Boris Jitkov fut
chimiste et marin au long
cours. Il voyage beaucoup
et ne commence à écrire qu’à l’âge de quarante
ans, essentiellement des
ouvrages pour la jeunesse qui eurent beaucoup de
succès et sont encore prisés aujourd’hui en Russie.
Apparemment, il n’a pas
février 2009 * n°293 • page 10
été persécuté sous le stalinisme
comme tant d’autres artistes et
écrivains juifs. Il est mort de maladie en 1938. Il n’a jamais vu son
livre édité. Ce n’est qu’en 1999
que Viktor Vavitch a été édité en
Russie, grâce à quelques exemplaires échappés au pilon. ■
Boris Jitkov
Viktor Vavitch
Traduit du russe par Anne Coldefy - Faucard
et Jacques Catteau
Calmann – Lévy
750 p., 28,05 EURO
regarder
Après ? (*)
GÉRARD PRESZOW
J
im est là pas là.
Jim, cette fois, n’expose
pas. Il se tient dans le coin.
Je dis d’abord « vous », et
puis on se dit « tu ». Jim,
c’est Jim ou Haïm ? J’aime bien
l’appeler Haïm, avec le « h » qui
gratte fort, venu de loin, venu de
longtemps, dans la gorge, avec ce
« h » qui nous rend complices, pour
la vie. « Lé haïm », Jim. De ce « h »
qui se prononce, ou pas, pour « hamas », comme « jamas » en rude
castillan. Le judéo-espagnol, le
ladino, n’a pas la jota de « jamas »,
de « joder », de « jamas sera vencido ».
Je ne peux pas en placer une.
Elle l’appelle : « Jimmeke ! ». Sœur
Sarah dit, elle dit : « c’est moi qui
ai tout fait pour lui ». Il dit en me
regardant : « c’est vrai ».
Enlève ton écharpe Jimmeke : « tu vas prendre froid en sortant ». Jim est dans le coin. Pas
puni, mais c’est pas son jour. Il
observe. C’est pas lui qui expose aujourd’hui mais j’aime qu’il
soit là. J’aime tout ce cirque. J’aime cette histoire. J’aime cette expo en
devenir… J’y suis allé
pendant l’accrochage. Je
suis accroc de tous ceux
qui exposent :Sarah, Marianne, Arié. Et le petit
André qui a conçu l’expo
et qui se tient à l’abri de
la famille… Ses colères le
protègent.
Je dis à André, en tentant de dissimuler le tré- Jim/Haïm Kaliski (Photo Gérard Preszow)
molo dans ma voix : « tu
Ils racontent pareil : la dispasais, c’est historique ton expo ? ».
Il me répond : « je fais, sans me po- rition, l’effacement, la blessure
ser la question ». Il a raison. Moi, du rouge, dire là où l’autre tait,
je vois l’histoire, dans les visa- aimer, baiser, le corps en veux-tu
ges, dans les histoires, dans les en voilà… la chambre à gaz (gaœuvres. Je suis à cran. Je craque. zer gaza : allitération de très mauNous vieillissons ensemble : les vais goût !), la peinture italienne
artistes d’avant et d’après. Les ar- (faire preuve de culture…)… les
tistes juifs bruxellois de la guerre, corps emballés, empalés, le silenles paumés orphelins, les descen- ce de y-a-plus-personne ? Si ce
dants déshérités. Les tristes à ja- n’est celui qui rend visite pour ramais, les coupables de ne pas rire conter la chose.
J’ai demandé des mots à chaà la vie. Lé haïm !
cun :
Marianne : « Le thé répandu s’en
va avec les feuilles / et chaque
jour meurt un coucher de soleil »
Sarah : « sensation de cette carence/le corps/ballon gonflé »
Arié : « Poliptico del esclusion
amorosa »
Après après ?
Tant et trop de proximité. Osez,
osez. ■
(*) Exposition « La mémoire partagée » de
Marianne Berenhaut, Sarah Kaliski et Arié
Mandelbaulm au Centre culturel Jacques
Franck du 21 janvier au 1er mars 2009
(voir annonce page 37)
Arié Mandelbaum, Marianne Berenhaut, Sarah Kaliski (Photo Gérard
Preszow)
février 2009 * n°293 • page 11
diasporas
Musées d’histoire à Varsovie
ROLAND BAUMANN
O
uvert en 2004, le Musée de l’Insurrection,
s’est vite imposé comme le haut-lieu de la
transmission de la mémoire de la Seconde guerre mondiale à Varsovie et le musée le
plus visité de la capitale. Comparé à cette jeune institution, le Musée historique de Varsovie, sur la
place du Marché de la Vieille Ville, semble bien désuet. Curieux
labyrinthe qu’on traverse avec
une sensation d’immersion dans
un univers clos, oublié de l’histoire. Et pourtant, la réouverture
des salles de la Deuxième guerre mondiale, rénovées l’été dernier, montre une volonté de modernisation.
Conservatrice du département
d’histoire, Barbara Hensel-Moszczynska, retrace les origines de
l’institution. Fondé en 1936, le
Musée dépendait du Musée National [Musée des beaux-arts] et occupait trois maisons sur le Rynek
[place du Marché]. Presque toute
ses collections ont disparu dans la
destruction de Varsovie. Dès 1948,
lorsque démarrait la reconstruction de la Vieille Ville, on a décidé de fonder un Musée d’histoire de Varsovie dont l’exposition
permanente évoquerait aussi tous
les grands moments de l’histoire
nationale. Inauguré le 17 janvier
1955, dixième anniversaire de la
prise de Varsovie par l’Armée rouge, le musée bénéficie du « dégel »
relatif qui suit la mort de Staline, puis les évènements de 1956.
En 1958, il accueille une première exposition temporaire sur l’insurrection de Varsovie. Le régime
communiste ne cessera pas pour
autant de présenter l’insurrection
de 1944 comme une aventure,
provoquée par les agents de Londres, interdisant toute commémoration publique le premier août,
date à laquelle les Varsoviens ont
coutume de se réunir au cimetière sur les tombes de leurs parents
morts en 1944.
Le succès du nouveau Musée
de l’Insurrection n’entrainera pas
pour autant un regroupement de
collections et une redéfinition
des périodes de l’histoire représentées au musée historique de
la ville. Barbara précise : C’est ici
même, que se sont livrés les combats les plus acharnés, en août et
septembre 44, avant que les survivants ne s’échappent par les
égouts. Les visiteurs étrangers
qui découvrent l’histoire de la ville et du pays dans notre musée
seraient déçus de ne plus rien y
trouver sur l’insurrection de 44.
Fin 2009, nous devons commencer d’importants travaux, afin
d’éliminer l’humidité qui affecte les caves du musée, dans lesquelles nous installerons une exposition sur les origines de la ville
et les fouilles archéologiques de
l’après-guerre avant la reconstruction du Rynek. Nous moderni-
février 2009 * n°293 • page 12
serons aussi l’ensemble des salles de nos collections. Il faut des
moyens multimedia, de nouvelles scénographies, etc. Tout cela
exige des financements importants de la ville, de l’Union européenne... En attendant le début
des travaux, une exposition temporaire montre le siège de Leningrad vu par les artistes russes et
nous participerons ensuite à une
programmation d’expositions et
d’évènements culturels commémorant l’avènement de la démocratie en juin 1989 et la défense
de Varsovie en septembre 1939.
LA RÉVOLTE DU GHETTO
Les nouvelles salles de la
Deuxième guerre mondiale évoquent la révolte du ghetto, Zegota... mais, l’histoire juive de Varsovie est le plus souvent absente du
reste du musée ! La conservatrice explique: Le Musée voulait jadis donner une vision homogène
de la capitale et de ses habitants.
On sait pourtant à quel point Varsovie était une ville multi-ethnique. Le musée rénové montrera
la multiculturalité de la capitale et
donc la contribution majeure des
Juifs à son histoire. Notre institution chapeaute plusieurs musées
locaux dont celui de Praga duquel
dépend un mikveh du dix-neuvième siècle décoré de peintures
murales. Nous espérions pouvoir
restaurer ce bâtiment, l’intégrant
à une nouvelle structure muséa-
Détail d’une
des nouvelles
salles de
l’Insurrection
de 44 au
Musée
historique de
la ville.
Photo Roland
baumann
le mais pour le moment ce projet semble compromis par le refus des financements promis. De
même, nous souhaitons développer le Korczakianum, notre centre de documentation et de recherche sur l’oeuvre de Janusz
Korczak installé dans les anciens
locaux de l’orphelinat juif qu’Henryk Goldszmit dirigeait avant la
guerre.
Responsable des salles rénovées de l’Insurrection, l’historien
Stanislaw Maliszewski, souligne
l’historicité et la valeur symbolique des objets exposés. Outre
l’intérêt d’une scénographie ingénieuse qui tire parti de l’espace restreint des salles, au dernier
étage du musée, son exposition
rassemble des « reliques », vestiges
divers (armes, pièces d’uniformes,
brassards, etc.) associés à la mémoire d’insurgés qui, pour la plupart, ont combattu ici même. Le
Musée montre aussi pour la première fois une série de diapositives couleur, prises avant la chute
de la Vieille Ville par Ewa Faryaszewska, étudiante des beaux-
arts, tuée le 28 août 1944, quelque jours après avoir capté sur la
pellicule ces images « miraculées »
d’une ville anéantie. Visions quasi
iréelles de rues en feu, réduites à
des monceaux de ruines, reconstruites « à l’identique » après-guerre et parcourues aujourd’hui par
les foules de touristes, où seules
les plaques commémoratives nous
disent encore l‘horreur passée.
L’ENTRE-DEUX-GUERRES
Incendié par la Luftwaffe en
septembre 1939, puis dynamité
par les allemands après l’écrasement des insurgés en septembre
1944, le château royal fut entièrement reconstruit en 1971-1984.
C’est dans ce monument national,
simulacre de l’ancienne résidence
des rois de Pologne, qu’une exposition temporaire du futur Musée
d’histoire de Pologne (créé par le
ministre de la culture et de l’héritage national en mai 2006), évoque la Pologne de l’entre-deuxguerres : l’économie, l’architecture
et les beaux-arts, la mode, les
sports, l’éducation et les jeux des
enfants... Tirant parti des nouvelles techniques muséographiques,
cette exposition évoque bien la
diversité culturelle de la Pologne
d’avant 1939. Tels ces courts-métrages documentaires filmant la
rue juive à Varsovie et à Cracovie,
y compris en couleurs... Des images éprouvantes, tant la couleur
renforce le sentiment de proximité avec ce monde anéanti. Notons aussi que dans son introduction politique l’exposition n’omet
pas de citer le virage antisémite
des autorités polonaises après la
mort du maréchal Pilsudki (1935),
ainsi que le numerus clausus, la
fondation de l’ONR, les pogroms...
Bref, le musée d’histoire à venir,
manifeste sa volonté de dialoguer
avec les pages obscures de l’épopée nationale ! ■
-Musée Historique de la ville de Varsovie
(Muzeum Historyczne m.st. Warszawy)
Rynek Starego Miasta 28-42, www.mhw.pl
-Exposition: « Entre-deux-guerres : les facettes de la modernité », jusqu’au 01.03.09,
Château royal (Zamek Królewski w Warszawie), www.dwudziestolecie.muzhp.pl
-Musée d’histoire de la Pologne: www.
muzhp.pl
février 2009 * n°293 • page 13
Un lourd frémissement de l’aile
Éditorial de la rédaction 11 janvier 2009
Deux semaine environ après le début des combats à Gaza, on ne reçoit que des informations très vagues sur les succès qu’obtient Israël dans les dégâts infligés aux « infrastructures terroristes ». En revanche, les chiffres des dégâts infligés aux civils s’accumulent. Plus
de 800 Palestiniens ont été tués et près de 3 000 blessés, dont une majorité écrasante par
des frappes aériennes. Selon les chiffres des Nations Unies, la moitié des morts sont des civils, et parmi eux, la moitié sont des femmes et des enfants.
Outre les informations sur le nombre de morts et de blessés, il y a des informations sur des
médecins à qui l’on interdit l’entrée, l’incapacité d’ONG de parvenir à entrer en contact
avec les réfugiés et de leur faire parvenir de la nourriture, ainsi que sur une crise sanitaire très grave. La responsabilité de l’armée israélienne n’est pas seule engagée. Le Hamas
et d’autres organisations palestiniennes ont délibérément tiré sur un convoi transportant
de la nourriture parce qu’il cherchait à pénétrer dans Gaza par un autre point de passage
que celui que souhaitait le Hamas. Le Hamas liquide également ses adversaires politiques
de l’intérieur et refuse (comme Israël, ndt) d’adopter l’initiative de cessez-le-feu égyptienne. Mais tout cela ne peut pas servir d’excuse à une guerre cruelle et totale contre 1,5 million de civils palestiniens.
Hier, Israël a annoncé, en lançant des tracts depuis les airs dans des zones densément peuplées de Gaza, qu’il comptait intensifier son opération militaire. Cela suscite des inquiétudes, similaires à celles qui étaient déjà là lors de la seconde guerre du Liban : la raison de
l’entrée en guerre a été oubliée pour être remplacée par le désir illusoire de renverser le régime du Hamas dans la bande de Gaza. Si, il y a quelques années encore, l’opinion criait sa
protestation après le bombardement d’une maison à Gaza et la déclaration de l’ancien pilote, puis chef d’état-major Dan Haloutz, qui avait dit qu’il n’avait ressenti qu’un « léger frémissement de l’aile » en larguant ses bombes sur une maison, aujourd’hui, elle réagit avec
indifférence, voir avec satisfaction, aux souffrances infligées aux Palestiniens.
Les leçons des guerres précédentes, quand l’armée avait détruit des infrastructures et des
maisons de civils, sans pour cela gagner l’accalmie qu’elle recherchait, n’ont pas été tirées.
Les justifications apportées par Israël en agissant contre les lanceurs de roquettes sont de
plus en plus mises à mal ces deux dernières semaines. La légitimité et la compréhension
dont a brièvement joui Israël ont fondu au milieu des images de mort et de destruction.
Israël est accusé de crimes de guerre. Il faut que cette guerre soit immédiatement remplacée par la voie diplomatique et des accords qui, seuls, mettront fin aux fantasmes et aux illusions des deux côtés.
Traduction : Gérard pour La Paix Maintenant France
février 2009 * n°293 • page 14
réflexions
De l’usage de certains symboles
JACQUES ARON
O
n trouvait regrettable
dans Points critiques
(n° 292, janvier 2009)
que la Maison Blanche
ait illustré une invitation du président Bush aux représentants de la communauté juive
américaine par l’arrivée du sapin
de Noël. Ce vieux symbole païen
me paraît au contraire parfaitement indiqué pour caractériser la
dérive idolâtre de tous les monothéismes. Le Conseil européen des
Communautés juives a fait dresser
au cœur du Quartier de l’Europe,
au milieu du Rond Point Schuman,
un chandelier dont les ampoules
se sont allumées progressivement
du 22 au 29 décembre à l’occasion de Hanoukkah 5769. Pourquoi pas ? L’objet sans commentaire était bien un peu perdu au
milieu de la place et ne suscitait
l’attention des passants que par
son groupe électrogène bruyant
et polluant. En se documentant
quelque peu, on découvre que
cette initiative n’était pas isolée et
qu’au contraire ce chandelier en
aluminium aux bras obliques (en
opposition à la menorah aux supports courbes), marque du mouvement loubavitch, était apparu en
même temps à Moscou, à Berlin
et dans d’autres villes d’Allemagne. Manifestement, les nouvelles
communautés allemandes (majoritairement formées de récents
immigrés d’Europe de l’Est) et en
général celles d’Europe orienta-
le font l’objet de l’intérêt missionnaire des différents courants du
judaïsme.
Ainsi, au cœur de l’Ukraine,
à Dnipropetrovsk, le plus grand
centre communautaire de l’Europe de l’Est prendra la forme d’une
gigantesque menorah célébrant
les racines locales de ce rameau
de l’orthodoxie. Avant la Seconde Guerre, on y dénombrait encore 60.000 Juifs, l’une des trente plus grandes communautés. Le
bâtiment de 36.000 m² contiendra, outre un musée juif et un mémorial de l’« holocauste », des institutions communautaires, un
restaurant cachère, une librairie, etc. On y trouvera des salles
de conférences et de séminaires,
des bureaux, dont on espère louer
certains à l’Agence juive et à la
légation d’Israël. Le tout, financé par le mécénat et notamment
par deux milliardaires enrichis
dans les années 1990 et propulsés à la tête des communautés locales. Leur holding de banques et
de sociétés industrielles et financières s’est construit sur l’écroulement du régime soviétique, et le
dynamique rabbin loubavitch, arrivé des États-Unis dans les mêmes années, se réjouit de leur
brillante ascension, pourvu qu’ils
consacrent une partie de leur fortune récente à soutenir son mouvement. Comme il le dit : « Si les
grues s’arrêtent ailleurs en Ukraine, ici nous continuerons à cons-
truire ! » Un bâtiment estimé à 70
millions de dollars, pour une communauté locale qui dispose déjà
d’un budget annuel de 7 millions
de dollars.
Sans doute ceci nous ramènet-il à une longue tradition de rivalités internes entre des courants religieux qui, pendant tout
le 19e siècle et le début du 20e
siècle, formaient un éventail particulièrement large entre la réforme d’esprit libéral et la plus
stricte orthodoxie. Mais dans le
monde juif et dans sa perception extérieure, quelle place y at-il pour une judéité incroyante ?
L’idée même apparaît-elle dans
la conscience générale que l’on a
des Juifs ? L’image du Juif d’après
le génocide est bien plus souvent
celle de l’homme en habits religieux ou traditionnels, voire du
porteur de kippa plutôt que de celui qui va tête nue. La sécularisation des Juifs remonte pourtant à
plusieurs siècles et la distance est
plus grande qu’il n’y paraît entre les communautés synagogales et la judéité consciemment
vécue par beaucoup comme une
communauté de destin historique.
Cette dernière est d’ailleurs parfaitement légitime dans une société démocratique respectueuse
de la liberté religieuse, de la liberté philosophique et d’association. ■
février 2009 * n°293 • page 15
réflexions
Un livre important.
Comment le peuple juif fut inventé
MICHEL STASZEWSKI
D
ès l’avant-propos, cet
« essai à caractère historique »1, comme le
définit Sand lui-même,
m’est apparu comme
l’oeuvre d’un chercheur rigoureux
et honnête, qui « annonce la couleur » en montrant au lecteur «d’où
il parle» : il le fait au travers de
portraits de personnages ayant
compté dans sa vie personnelle au
point d’avoir joué un rôle dans la
genèse de ce livre. Suit une analyse historique approfondie des
origines des concepts de peuple,
d’ethnie et de nation. Puis vient
le «plat de résistance » : Sand s’attaque à des questions le plus souvent ignorées par les historiens
israéliens spécialisés en «histoire du peuple juif»2 telles que : « un
peuple juif a-t-il réellement existé pendant plusieurs millénaires
là où tous les autres « peuples » se
sont fondus et ont disparu ? Comment et pourquoi la Bible (…) dont
personne ne sait vraiment quand
ses parties ont été rédigées et ordonnées, est-elle devenue un livre d’histoire crédible qui décrit
la naissance d’une nation ? Dans
quelle mesure le royaume des Hasmonéens3 de Judée, dont les différents sujets ne parlaient pas la
même langue et, pour la plupart,
ne savaient ni lire ni écrire, pouvait-il constituer un Etat-nation ?
Les habitants de Judée ont-ils
vraiment été exilés après la destruction (…) ? Et s’il n’y a pas eu
d’exil du peuple, qu’est-il advenu
des habitants locaux et qui sont
ces millions de juifs apparus sur
la scène de l’histoire en des lieux
si inattendus ? Si les juifs disséminés de par le monde constituent
un même peuple, quelles composantes communes pourra-t-on
trouver, aux plans culturel et ethnographique (laïc), entre un juif
de Kiev et un juif de Marrakech,
si ce n’est la croyance religieuse
et certaines pratiques rituelles ?
(…) A défaut de dénominateur
commun culturel profane entre les
communautés religieuses, les juifs
seraient-ils unis et distingués par
les « liens du sang » ? Les juifs forment-ils un « peuple-race étranger », comme les antisémites se le
représentaient et ont voulu le faire croire depuis le XIXe siècle ? »4.
LA FIN D’UN MYTHE
Thèse centrale du livre : « les
juifs ont toujours formé des communautés religieuses importantes
qui sont apparues et ont pris pied
dans diverses régions du monde,
mais ne constituent pas un « ethnos » porteur d’une même origine, unique, qui se serait déplacé au cours d’une errance et d’un
exil permanents ».5 Cette thèse
s’oppose à celle qui s’est imposée, en Israël et ailleurs, surtout
depuis les années 1970 mais qui
trouve son origine dans les conceptions essentialistes élaborées
principalement à la fin du XIXe
et au début du XXe siècles. Selon
celle-ci, la grande majorité des
février 2009 * n°293 • page 16
juifs d’aujourd’hui sont les descendants des Hébreux des temps
bibliques qui, malgré leur dispersion, ont toujours réussi à préserver les « liens du sang » entre
leurs communautés pourtant très
éloignées géographiquement.
Sand démonte un à un les mythes « historiques » constitutifs de
cette vision d’un peuple préservé
miraculeusement « malgré l’histoire ». Pour lui la Bible ne peut être
considérée comme un livre d’histoire. Il établit de manière convaincante l’impossibilité historique du
grand exode des Hébreux d’Egypte. Il met en doute l’importance du
royaume de David et de Salomon.
L’exil à Babylone ? Il n’aurait concerné que les élites politiques et
intellectuelles. Celui de l’an 70 de
notre ère n’aurait tout simplement
pas eu lieu : à l’époque de la domination romaine, seule une minorité de prisonniers réduits en
esclavage auraient été forcés de
quitter la Palestine. Ses recherches le mènent à la conclusion
que l’écrasante majorité des habitants de la Judée continuèrent à
vivre sur leurs terres, même après
la destruction du second temple.
Une partie d’entre eux se convertit au christianisme au IVe siècle,
tandis que la majorité se rallia à
l’islam lors de la conquête arabe
au VIIe siècle.
Mais d’où proviennent alors les
nombreuses communautés juives
qui se sont développées en dehors de la Palestine ?
UNE RELIGION
PROSÉLYTE
Du IIe siècle avant J.C. au IIe
siècle après J.C., le judaïsme fut la
première religion prosélyte. C’est
ainsi qu’il se répandit sur tout
le pourtour de la Méditerranée.
Au premier siècle de l’ère chrétienne apparut, sur le territoire
de l’actuel Kurdistan, le royaume
juif d’Adiabène. Malgré la victoire du christianisme au IVe siècle
dans l’empire romain, le judaïsme
continua à se répandre aux marges du monde chrétien : naissance, au Ve siècle, du royaume juif
d’Himyar sur le territoire de l’actuel Yémen et conversion de tribus berbères au VIIe siècle dont
certaines prendront ensuite part à
la conquête de la péninsule ibérique. Au VIIIe siècle, le judaïsme se répandit dans l’immense royaume khazar qui s’étendait
du Caucase à l’Ukraine actuelle. À
partir du XIIIe siècle, de nombreux
juifs issus de ce royaume auraient
été refoulés vers l’est de l’Europe du fait des conquêtes mongoles. Ce serait là qu’avec des juifs
venus des régions slaves du sud
et d’autres issus des actuels territoires allemands, ils auraient posé
les bases de la culture yiddish.
Jusque dans les années 1960,
on trouve des éléments de cette
histoire plurielle de l’origine de
juifs dans l’historiographie sioniste. Mais une « normalisation » interviendra suite à la conquête de
la Cisjordanie en juin 1967 : « Les
conquérants de la cité de David
(…) se devaient d’être les descendants directs de son royaume mythique et non (…) les héritiers de
guerriers berbères ou de cavaliers
khazars ! »6. A la même époque,
à l’appui de la thèse de l’unici-
té d’origine du « peuple juif », des
biologistes israéliens commenceront à défendre l’idée d’une
« proximité génétique » des Juifs
du monde entier.
REMISES
EN QUESTIONS
Depuis la fin des années 1980,
les « nouveaux historiens » israéliens ont fait voler en éclat
les mythes sionistes concernant les conditions de la création de l’État d’Israël7. Il en résulte qu’aujourd’hui, seules des
personnes très mal informées ou
de mauvaise foi soutiennent encore que les dirigeants sionistes étaient prêts à partager la Palestine selon les stipulations de
la résolution 181 votée par l’Assemblée générale de l’O.N.U. en
novembre 1947 ou que les Arabes
de Palestine ont volontairement
quitté leur pays en 1948. Le fait
qu’il soit aujourd’hui scientifiquement établi que les Palestiniens
ont été à cette époque victimes
d’un nettoyage ethnique constitue un argument de poids pour
ceux qui demandent la reconnaissance des droits des exilés.
Avec l’ouvrage de Sand, c’est
un des principaux mythes fondateurs du sionisme qui s’écroule : celui selon lequel, du début
de l’ère chrétienne au milieu du
XXe siècle, les juifs auraient constitué un peuple en exil ayant toujours aspiré au retour dans sa patrie. Sand démontre au contraire,
de manière convaincante, qu’il
n’y a pas eu d’exil massif et que
ce sont par conséquent les Palestiniens d’aujourd’hui qui sont,
pour la plupart, les descendants
des Hébreux de l’Antiquité, majoritairement convertis à l’islam à
partir du VIIe siècle.
Ainsi, s’effondrent une à une
les justifications « historiques » du
dessein sioniste de remplacement
des populations autochtones par
des juifs venus du monde entier.
Non, la Palestine de la fin du XIXe
siècle n’était pas une « terre sans
peuple ». Non, les Arabes de Palestine ne sont pas partis volontairement en 1948. Non les juifs du
monde entier ne constituent pas
un seul peuple et ne sont pour la
plupart pas les descendants des
Hébreux de Palestine.
Ces remises en question me
semblent porteuses d’espoir. Car
comme l’écrit Shlomo Sand pour
terminer son livre : « Si l’on peut
tenter de modifier de façon si radicale l’imaginaire historique,
pourquoi ne pas chercher également à envisager, en faisant
preuve de beaucoup d’inventivité,
un avenir totalement différent ? Si
le passé de la nation relève essentiellement du mythe onirique,
pourquoi ne pas commencer à
repenser son avenir, juste avant
que le rêve ne se transforme en
cauchemar ? ». ■
Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut
inventé, Editions Fayard, 2008.
2
Les universités israéliennes comportent
des départements séparés d’« histoire
générale », d’« histoire du Moyen-Orient » et
d’« histoire du peuple juif ».
3
Hasmonéens ou Asmonéens : dynastie
fondée par Simon Macchabée qui régna sur
la Judée de 140 à 36 av. J.-C.
4
Comment le peuple juif fut inventé, pp.
34-35.
5
Ibidem, p. 36.
6
SAND, S., « Comment fut inventé le peuple
juif », in Le Monde diplomatique, Août
2008, p. 3.
7
Cf. VIDAL, D., Comment Israël expulsa
les Palestiniens (1947-1949), Éditions de
l’Atelier, Paris, 2007.
1
février 2009 * n°293 • page 17
Yiddish ? Yiddish !
PAR WILLY ESTERSOHN
hix retseuuw NUm
mayn shvester khaye
Ma sœur Khaye
Ce texte (dont nous avons supprimé deux strophes par manque d’espace) a été écrit par Binem Heller
(1906-1998), l’un des derniers poètes d’expression yiddish en Israël. Heller, à qui on demandait pourquoi il
s’évertuait à écrire dans « une langue morte », a répondu avec ce poème : sa sœur Khaye, qui s’est occupée
de lui et qui a péri à Treblinka, est peut-être toujours à l’écoute, quelque part, alors qu’elle ne comprend que
le yiddish. La chanteuse israélienne Chava Alberstein (khave albershteyn) a mis ce poème en musique et
l”interprète merveilleusement (CD : « The Well », Chava Alberstein + The Klezmatics - MW Records).
.Ngiuj enirg id tim hix retseuuw NUm
oygn grine di mit khaye shvester mayn
+ peq eqr=uuw id tim hix retseuuw NUm
tsep shvartse
di mit khaye shvester
mayn
Ngiuqred Cim t]h s]uu ,hix retseuuw id
dertsoygn mikh hot
vos
khaye
shvester
di
.pert emurk tim ziuh Nij ,s=g+ewt]ms Fiuj
trep
krume mit hoyz in
gas
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février 2009 * n°293 • page 18
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TRADUCTION
Ma sœur Khaye aux (avec les) yeux verts/Ma sœur Khaye aux nattes noires/La sœur Khaye qui m’a élevé/
Dans (sur) la rue Smocza, à (la) maison aux escaliers tordus.
La mère est partie de la maison à l’aube/Quand le ciel commençait à s’éclaircir/Elle est partie au magasin
gagner/La misérable menue monnaie.
Et Khaye est restée avec les frères/Et elle les a nourris et veillé sur eux/Et elle leur chantait les belles
chansons/Le soir, lorsque les petits enfants succombent à la fatigue.
(...)
Ma sœur Khaye aux yeux verts/Un Allemand l’a brûlée à Treblinka/Et je suis, dans l’État juif,/Le tout dernier
qui l’ait connue.
Pour elle j’écris mes chansons en yiddish/Aux jours terribles (“dans les jours les terribles”) de notre temps/
Auprès de Dieu seul elle est (une) fille unique/ Au ciel elle est assise à sa droite (à son côté droit).
REMARQUES
Ngiuqred dertsoygn : part. passé de Neiqred dertsien = élever (un enfant). butw shtub
= 1) maison, habitation; 2) pièce, chambre. Miuk koym = à peine, difficilement. Nleh heln =
commencer à faire jour (leh hel = clair). endib bidne = misérable, pauvre. enb]rd drobne
= menu, petit ; menue monnaie. kidew]rg groshedik (ou kidnw]rg groshndik) : adjectif à
partir de Nw]rg groshn = groschen (monnaie polonaise), sou. Nemr]k kormen = nourrir. Ntih
hitn = veiller sur. Negniz tgelf iz zi flegt zingen = elle avait l’habitude de chanter. hnidm
medine (hébr.) = royaume, État. em=s same : adj. aux multiples traductions : même, véritable,
tout... ; et aussi adv. = le plus. hdixi+[b bas yekhide (hébr.) = fille unique.
février 2009 * n°293 • page 19
ANNE GIELCZYK
Ça commence bien
M
erci pour vos
marques de
sympathie et vos
bons conseils.
Les journées s’allongent et
je remonte la pente comme
prévu. On ne peut pas en dire
autant de la conjoncture ni
du monde. Cette année 2009
a accouché prématurément
d’une nouvelle guerre. Il ne
manquait plus que ça, puisque
tout le reste va déjà mal. Celleci a la particularité de nous
toucher de près, difficile dans
ces conditions de garder la tête
froide. Certains nous reprochent,
nous, Juifs progressistes de
Flandre et de Navarre, de ne
pas chérir suffisamment Israël,
il nous serait facile de critiquer
puisqu’on n’aime pas. En
dehors du fait qu’il n’est pas
dans mes habitudes d’aimer
des peuples, des pays et encore
moins des États (je me contente
comme tout le monde d’aimer
des gens, le filet de sole à
l’ostendaise, la musique de J.S.
Bach et la peinture de James
Ensor), j’ai quand même du
mal à m’exprimer librement
quand il s’agit de critiquer le
gouvernement d’Israël, là où,
dans tout autre cas de figure
cela me pose nettement moins
de problème. Dans ces cas-là,
j’ai l’habitude de faire un petit
exercice qui me calme à chaque
fois et que je vous recommande
chaudement. Je remplace le nom
d’Israël par n’importe quel autre
nom de pays et tout devient plus
clair, enfin, moins compliqué.
Donc ici, vous gardez Gaza
et vous remplacez « Israël »
par « Égypte » par exemple et
vous verrez que vous n’aurez
aucun problème à condamner le
blocus, les accords privilégiés
avec l’Europe, ni l’offensive,
pourtant lancée par l’Égypte
pour défendre son intégrité face
aux tirs de roquettes du Hamas.
D’ailleurs je suis au regret de
vous dire que tous les partis
en Flandre ont condamné ce
massacre et que seul le Vlaams
Belang, en tant que parti, défend
de façon inconditionnelle
l’offensive de l’armée israélienne
car « Israël a le droit de se
défendre et la violence utilisée
n’est pas disproportionnée »
(Philip Dewinter cité dans
De Morgen du 13 janvier). Je
ne crois pas qu’il s’agisse ici
uniquement de manœuvres
platement électoralistes, gagner
des voix juives à Anvers. C’est
également inspiré par le fait que
l’opposition aux agissements
d’Israël est composée en grande
partie d’organisations de gauche
et des communautés arabe et
turque, que déteste bien sûr ce
parti fasciste et raciste.
C
eci dit, pendant que
nous avons les yeux
rivés sur la bande
de Gaza, le paysage
février 2009 * n°293 • page 20
politique belge est en train de
changer à toute vitesse. D’abord,
nous voilà enfin débarrassés
de Leterme. Une affaire
rondement menée après tous
ces mois d’immobilisme et sans
l’interminable ballet de voitures
aux abords du palais de Laeken.
Juste le temps d’apercevoir
Paola au volant de sa Fiat 500
sortant faire ses courses et
puis rentrer. Puis Miet Smet
déposant son tout nouveau mari
appelé in extremis pour servir le
pays, alors qu’il passait du bon
temps avec elle et ses enfants
à Disneyland. Conclusion des
courses, les prochaines élections
ne seront plus fédérales, elles
seront régionales et européennes.
La bataille pour BHV peut
recommencer (jusqu’à présent
sans roquettes et sans bombes au
phosphore). Rudy Aernoudt, le
chouchou flamand des médias
francophones, s’y prépare et
semble vouloir mettre à profit
son statut de BV sponsorisé par
la RTBF en lançant un nouveau
parti en Wallonie, le LiDé (pour
Liberté et Démocratie). Sa façon
à lui de réaliser la circonscription
fédérale. Certains pensent à
tort que Rudy Aernoudt qui
est un bon copain de JeanMarie Dedecker veut installer
ainsi un sous-marin de la
Lijst Dedecker (LDD) dans la
Meuse (à Lustin près de Namur
pour être précis). Certes, leurs
programmes économiques sont
identiques (et pour cause
c’est Rudy Aernoudt qui les
Geert Lambert avec le SP.a, Geert Lambert sans le SP.a, une différence de poids ?
a écrits et il ne s’en cache
pas) et très très libéraux (flat
progresser spectaculairement
Tobback. En effet, les derniers
tax sur les revenus pour tous
dans les sondages et attire à
socialisten dans le parti (Louis
de 25%, réduction drastique
lui toutes sortes de transfuges
Tobback, Mia De Vits, Erik De
du nombre de fonctionnaires
Bruyne, qui avait quand même
venant de la N-VA et du VB.
de l’État, etc. etc.), mais sur
À suivre.
obtenu un tiers des voix comme
l’avenir de la Belgique ils
candidat à la présidence du
PIRIT, le rejeton de
parti contre Caroline Gennez...)
divergent profondément. Rudy
Aernoudt est pour le maintien
centre-gauche né de la
n’apprécient que modérément
de la Belgique car selon lui les
scission de la Volksunie
cet « élargissement » et ce
transferts ne se situent pas le
en 2001 et dirigé par
changement de nom décidés
long de la frontière linguistique
Bert Anciaux, après avoir changé sans leur demander leur avis. La
mais des deux côtés de la banane son nom en VL.Pro (abréviation
vraie question étant pourtant, me
de Vlaams-Progressieven) en
semble-t-il, de savoir ce qu’il
qui relie Anvers à Namur en
passant par les deux régions les
avril 2008, vient de se détacher
reste encore aujourd’hui des
plus riches de la Belgique, le
du SP.a, avec lequel il était
valeurs socialistes au sein du
Brabant flamand et le Brabant
en cartel depuis les élections
SP.a ? De toute façon, ça faisait
wallon. En bon économiste
de 2003. À peine avions-nous
déjà un bout de temps que plus
qui raisonne en termes
appris à prononcer correctement
personne ne savait ce qui se
Vleupro que celui-ci se mue en
cache derrière la marque SP.a.
d’efficience il ne voit donc pas
en quoi la scission le long de la
SLP (Sociaal-Liberale Partij)
Car c’est bien de produits et de
frontière linguistique pourrait
sous la direction de Geert
marques qu’il s’agit désormais
faire avancer le schmilblick.
Lambert. Le SLP en quittant la
en politique. Pour preuve, les
lecteurs du Standaard ont choisi
Toujours est-il qu’on peut
mouvance SP.a, perd du même
encore se poser la question :
coup tous ses parlementaires,
comme produit de l’année
pourquoi tout à coup ce parti
dont Bert Anciaux, qui ont choisi 2008… Barack Obama, après
en Wallonie ? Selon Guido
« opportunément » de rejoindre le l’iPod en 2005 et l’iPhone en
Fonteyn (journaliste flamand,
SP.a. Geert Lambert, lui, a perdu 2007. Vous connaissez mon
50 kilos et changé de lunettes,
amour pour les produits Apple,
spécialiste de la Wallonie)
Aernoudt n’a aucune chance
je ne sais s’il y a lieu d’y voir
mais Barack Obama, ça c’est
d’être élu et vise une nouvelle
vraiment top. J’espère qu’ils
une relation de cause à effet. Le
carrière comme fonctionnaire ou SP.a a acté ces bouleversements
n’attendront pas aussi longtemps
en changeant lui aussi son nom
que pour l’iPhone et qu’on
comme cabinettard en Wallonie,
depuis qu’il a été viré en Flandre en … SP.a. Le Socialistische
le trouvera bientôt dans les
comme secrétaire général du
Partij anders qui devait se muer
magasins. ■
département d’économie après
en Socialisten en Progressieven
avoir dénoncé les abus de sa
anders restera finalement
ministre Fientje Moerman.
Socialistische Partij anders après
Dedecker lui, continue de
une bonne gueulante de Louis
S
février 2009 * n°293 • page 21
DE MEHMET KOKSAL
Bande de Gaza et bandes à Bruxelles
B
eaucoup pensent que
Bruxelles, de par sa
position stratégique
mondiale (sièges
de nombreuses institutions
européennes et internationales),
possède un pouvoir magique
symbolique et peut, quand elle
veut, influencer d’une manière
ou d’une autre le cours des
conflits au niveau international.
C’est ainsi qu’on assiste à
Bruxelles à des marches, des
manifestations, des protestations,
des actions d’agitation, des
appels aux boycotts, des actes
de violence. qui ressemblent
souvent plus à des thérapies de
masse, des défouloirs politiques
ou des tribunes libres (où
d’ailleurs les petits partis non
représentés au Parlement sont
généralement surreprésentés).
Mais, après la séance de cassage
et d’engueulade, il convient de
se faire une raison : Bruxelles
n’a pas de pouvoir magique et
si elle en avait vraiment un, elle
l’utiliserait d’abord pour sortir de
son conflit franco-flamand avant
de répandre la bonne parole urbi
et orbi.
La guerre disproportionnée
lancée par Israël a logiquement
fait d’abord réagir massivement
les militants pro-palestiniens
en Belgique (belges ou non,
musulman ou juif, humaniste,
socialiste, progressiste, libéral,
chrétien flamand.). Dans ce
chapitre, il convient de souligner
le lobbying du Mouvement
Citoyen Palestine (MCP) animé
principalement par Nordine
Saïdi. Ce groupe, qui compte
actuellement une vingtaine
d’activistes, fait un lobbying
politique et symbolique très
rapproché sensibilisant une
bonne partie des électeurs
bruxellois sur la problématique
de la colonisation israélienne, la
langue de bois « équidistante »
des partis politiques belges ou
encore le financement belge (via
Dexia) des forces d’occupation
en Palestine. Un cas particulier
qui fait partie de MCP est
Mohsin Mouedden, coordinateur
des éducateurs sportifs dans
une association paracommunale
molenbeekoise, chroniqueur
pour Le Journal du Mardi et exanimateur sur Radio Al manar à
Bruxelles. Enragé par l’impunité
systématique accordée à Israël,
Mohsin Mouedden a lancé une
grosse (et grossière) « enquête »
journalistique sur la position des
élus belges d’origine étrangère
sur la guerre à Gaza. Un courrier
provoquant et généralisant
est parvenu à l’ensemble
des élus régionaux d’origine
février 2009 * n°293 • page 22
marocaine, tunisienne et turque
en les invitant à répondre aux
interpellations insultantes de
« l’acteur associatif ». Tant bien
que mal, notre animateur a réussi
à obtenir un grand nombre de
réponses de la part des élus
stigmatisés. Mohsin a ensuite
décidé de porter son combat sur
Radio Al Manar ainsi que sur
le site belgo-marocain Wafin.
be. Il sera finalement licencié
des ondes de la fréquence
arabe bruxelloise par le
directeur Ahmed Bouda (par
ailleurs conseiller communal
PS à Koekelberg) suite à une
altercation avec le député
socialiste Yvan Mayeur.
D
u coté des sionistes
qui soutiennent
inconditionnellement
l’opération militaire
israélienne, Joël Rubinfeld
(président du CCOJB) a réussi à
braquer les caméras de télévision
belge sur l’ambassade de la
République d’Iran désignée
comme l’ennemi numéro 1 du
gouvernement israélien. Tactique
très subtile de Rubinfeld qui a
lancé un appel aux « Palestiniens
qui aspirent à un État pacifique
et démocratique aux côtés de
l’État d’Israël » à manifester
ensemble le 7 janvier 2009
contre « le régime iranien et son
bras armé à Gaza, le Hamas » en
ajoutant que « le CCOJB exprime
également sa solidarité à l’égard
des souffrances endurées par la
population palestinienne prise en
otage par le Hamas ». Pourtant,
assez curieusement, l’Iran brille
justement par sa discrétion sur
la scène internationale à propos
de la nouvelle guerre israélopalestinienne.
E
nfin, un petit mot sur
la manifestation propalestinienne du 11
janvier 2009 dans
les rues de Bruxelles avec la
participation des représentants
des quatre grands partis
politiques francophones. Un
jour avant cette manifestation
nationale, une centaine de
jeunes militants pro-Hezbollah
manifestaient sur les marches
de la Bourse à Bruxelles. On
pouvait y voir des séances de
crachats groupés sur le drapeau
israélien, plusieurs drapeaux
israéliens incendiés ainsi que
des saluts hitlériens effectués
par trois jeunes militants. Le
lendemain, il y a également
certains propos antisémites,
des amalgames entre Israël et
le régime nazi, une apologie du
terrorisme (poster de Ben Laden)
ou des appels à la violence et
à la haine à l’égard des Juifs.
Un malaise qui a fait l’objet
d’une carte blanche dans le
quotidien Le Soir où Manuel
Abramowicz, Claude Demelenne
et Sam Touzani critiquent le
caractère « très communautariste
de la manifestation, souvent
rythmée par des slogans très
peu fédérateurs - « Allahou
Akhbar ! » (Dieu est grand) et parfois carrément choquants
- les appels au Djiad (guerre
sainte) ou à la mise de côté de
la démocratie. », s’attaquent
au « cléricalisme musulman
intolérant, impérialiste et
antiprogressiste ! » et lancent un
appel, eux-aussi, « aux nombreux
élus, notamment bruxellois,
d’origine maghrébine : chers
amis, il ne faudrait pas que
votre silence face à ces dérives,
devienne assourdissant. »
La présence visible d’un
service d’ordre musulman,
portant des gilets fluorescents
de la Fédération islamique de
Belgique (une filiale belge
du mouvement islamiste turc
Milli Görüs fondé par l’ancien
Premier ministre Necmettin
Erbakan), explique en partie la
mobilisation religieuse et les
craintes émanant de certains
observateurs externes au milieu
turcophone.
L
e malaise exprimé
à travers cette carte
blanche ne manquera
pas de provoquer un
autre malaise et dans le même
camp. « Moi qui suis un laïque
particulièrement imperméable
au discours, aux opinions et
au mode de vie des « barbus »,
je trouve très « politiquement
correct » de la part
d’Abramowicz et Cie de s’en
prendre à la liberté d’expression
des communautés musulmanes
qui ont légitimement manifesté
contre la barbarie sioniste. On a
l’impression que les auteurs de
cette carte blanche sont bien plus
choqués par quelques slogans
et tenues vestimentaires que par
l’anéantissement physique et
moral d’une population entière »,
réplique le militant de gauche
radicale Bahar Kimyongur.
Encore plus critique, Jamal B.
s’en prend au « tierceron de
laïcistes, émargeant tous les
trois à la Communauté française
de Belgique, égaré dans une
manifestation propalestienne,
n’a rien trouver de mieux à faire
que de jouer à se faire peur.
L’objet de celle-ci : l’islam,
esprit du temps et surtout esprit
du laïcisme oblige. Angoisse
déclinée sous toutes ses formes.
Le seul point commun entre
elles est une certaine dose de
mauvaise foi. On distingue par
ordre d’apparition. L’affabulation
: « les slogans qui mettent de
côté la démocratie » (sic). La
conspiration : « des groupes,
apparemment bien pris en mains
par les mosquées ». Le stéréotype
: « Des « barbus » occupant
le pavé fétiche de la gauche
française, tandis que les femmes
voilées attendent sagement à
une rue de là. » La calomnie :
« des religieux réactionnaires
et rejetant les principes
élémentaires de la démocratie,
du vivre ensemble ». Le mépris :
« des femmes enfoulardées d’un
côté, hommes barbus hurlant
Allahou Akhbar ! de l’autre ».
La diffamation : « la montée
en puissance d’un cléricalisme
musulman intolérant,
impérialiste et antiprogressiste ».
La paranoïa : « Nul, parmi vous,
ne l’ignore : les radicaux qui
ont tenu le haut du pavé, dans
les rues de Bruxelles, vous
détestent. » Soit une déclinaison
de toutes les « passions tristes »
qui génèrent ou sont générées
par la peur - un cas d’école. »
L
a guerre à Gaza n’est
pas terminée et la
campagne électorale
belge ne fait que
commencer. En marge des
manifestations, des débats et des
dérapages sur cette thématique,
il convient de garder un oeil
sur les intérêts de chaque partie
en n’oubliant pas qu’en fin
de compte, ce sont des vies
humaines qui sont en jeu. ■
février 2009 * n°293 • page 23
LE
DE LÉON LIEBMANN
L’an prochain à Jérusalem...
ou à Bruxelles
L
e titre que j’ai choisi
pour la présente
chronique pourrait
faire croire, si je n’en
précisais pas d’emblée le sens et
la portée, que j’ai voulu tracer
un parallèle entre deux villes
que presque tout différencie et
même oppose ou entre deux
pays dont les capitales reflètent
des contrastes et des disparités
poussées à l’extrême.
Mon propos est tout
autre : analyser les attitudes
et les comportements des
Juifs diasporiques et, plus
particulièrement, de la
population juive de notre pays
face à la soudaine et sanglante
aggravation du conflit israélopalestinien qui, depuis le 27
décembre dernier, embrase les
alentours et, bien davantage
encore, l’intérieur de la Bande
de Gaza, territoire aussi exigu
(363 km2, soit à peine un peu
plus d’un pour-cent du territoire
belge) que surpeuplé (1,5 million
d’habitants, dont plus de 900.000
sont des réfugiés chassés de chez
eux par l’armée israélienne en
deux épisodes : en 1948 et en
1967).
Vous avez, tout comme moi,
suivi de plus en plus effarés et
indignés l’escalade démesurée
des opérations militaires où
chacun des deux camps imputait
à son vis-à-vis la responsabilité
exclusive des pertes en vies
humaines - infiniment plus
nombreuses chez les Palestiniens
et dont une grande partie
était constituée de femmes,
d’enfants et de vieillards - et des
gigantesques dégâts matériels
infligés quasi exclusivement à la
population civile de Gaza.
Ce qu’on appelle la communauté
internationale a été bien lente à
s’émouvoir et plus lente encore
à se mouvoir pour y mettre
fin. L’administration Bush, en
extrême fin de mandat, a pris
mollement position en faveur
d’un cessez-le-feu à la fois
immédiat et durable tout en
l’entravant, par l’exercice réitéré
de son droit de veto au Conseil
de sécurité et plus souvent
encore par la simple menace
d’en faire usage. Les pays arabes
et musulmans se sont contentés
de clamer leur indignation
après le déclenchement de
l’offensive militaire israélienne
contre Gaza. Quant à l’Union
européenne, elle ne s’est pas
bornée à adopter des résolutions
platoniques ne parvenant pas
à s’entendre sur une réaction
énergique et cohérente en
raison de l’applicabilité de la
règle de l’unanimité en matière
de politique étrangère. Elle
a, par contre et à l’unanimité
de ses membres, opté pour un
élargissement et un renforcement
février 2009 * n°293 • page 24
de la participation israélienne à
ses instances les plus actives et
les plus dynamiques.
On peut comprendre, sans
l’approuver, l’attitude
prudentissime affichée trop
longtemps par des grands pays
et par des conglomérats de
pays moins grands face à ce
rebondissement d’un vieux et
récurrent conflit.
Par contre, les comportements
adoptés par les Juifs de la
Diaspora et en particuliers par
les citoyens juifs de Belgique
se sont cristallisés de façon
beaucoup plus nette et plus
rapide.
O
n peut,
sommairement,
les répartir en
trois groupes
numériquement très inégaux :
1) Les défenseurs indéfectibles
de l’État d’Israël et de sa
politique même quand celleci s’avère aussi sanglante que
belliqueuse.
2) Leurs opposants qui, eux,
font la différence entre le droit
d’un État de se défendre contre
les attaques dont il est l’objet
et le choix d’une riposte « tous
azimuts » ne connaissant d’autres
limites que celles de sa capacité
de tuer, de blesser, de détruire
et d’endommager le « camp
ennemi ».
3) Ceux qui, soit par crainte
de « représailles », soit par
refus de prendre position dans
un conflit dans lequel ils ne
veulent pas être partie prenante,
s’abstiennent de s’exprimer
publiquement et d’intervenir
de quelque façon que ce soit
dans le débat : celui qui oppose
le plus souvent des Juifs fiers
de l’être et tout aussi fiers de
l’État juif qu’ils revendiquent
et dont beaucoup d’entre
eux se revendiquent à ceux
qui, au contraire, entendent
s’en démarquer et qui, quand
humainement le « démarcage »
ne leur paraît pas suffisant,
interviennent activement en
faveur et aux côtés des victimes
de la politique agressive et
parfois impérialiste de l’État
d’Israël et de ses dirigeants.
Certes, ils sont très minoritaires
et, dans notre pays, la seule
organisation juive qui ose dire
tout haut ce que beaucoup de
Juifs pensent tout bas est l’UPJB,
dont les prises de position
nettes et franches indisposent
le camp opposé, qui trouve
que nous faisons tache dans la
communauté juive et craignent
que nous y fassions tache
d’huile.
C
e simple repérage des
principales tendances
qui coexistent au sein
des populations juives
diasporiques appelle un correctif
important et une précision
significative.
Le correctif tout d’abord que de
nombreux lecteurs auront déjà
opéré par eux-mêmes : un certain
nombre de personnes sont, à
l’un ou l’autre moment de leur
vie, passé d’une des catégories
décrites plus haut à une, voire
successivement, à deux options
qui s’affrontent à ce sujet car
devant ce problème crucial et
douloureux beaucoup d’entre
nous ont pu changer une ou
plusieurs fois d’avis.
Je vous en citerai un exemple : le
mien. J’ai été inscrit pendant
près de trois ans à un mouvement
de jeunesse sioniste et cela
jusqu’à la veille de la Seconde
Guerre Mondiale. Après cette
guerre, mon sionisme s’est
progressivement amolli et
j’ai immédiatement quitté
le mouvement associatif où
j’avais fait mes « premières
armes ». Mais le tournant
décisif dans mon évolution se
situe en 1967 lors de la guerre
dite des « six jours » qui m’a
complètement détaché de ma
mouvance première et m’a
amené à défendre la cause
palestinienne dans la lutte
qu’elle implique pour la survie
du peuple palestinien et pour
l’établissement d’une paix
prochaine et juste avec Israël.
De nombreux cas de ce genre
et quelques-uns en sens opposé
ont pu être identifiés. Chacun de
nous en connaît l’un ou l’autre.
Quant à la précision, peutêtre plus surprenante pour un
certain nombre de mes lecteurs,
elle concerne le double langage
pratiqué par beaucoup de Juifs
diasporiens : celui qu’ils tiennent
en public (« vive Israël et oui à
l’intégralité de sa politique »)
et celui auquel ils recourent à
l’abri de toute publicité. Des
réserves pouvant aller jusqu’à
des critiques cinglantes font
contraste avec leur alignement
de façade. Je vous en citerai
également un exemple précis
qui me revient en mémoire : une
personnalité juive éminente
de notre pays, dont je tairai
le nom car ses propos étaient
confidentiels, m’a, au terme
d’une longue et passionnante
discussion, tenu en substance le
curieux discours que voici :
« à propos d’Israël, tu as raison,
mais toute vérité n’est pas bonne
à dire et le linge sale doit se laver
en famille ».
D’autres propos plus ou moins
similaires m’ont été rapportés
par d’autres « confidents malgré
eux ». Je m’abstiendrai d’en faire
état par discrétion.
Retenons-en, d’une manière
générale, que beaucoup de Juifs
belges partagent, au moins
en partie, les vues pseudo
extrémistes de l’UPJB sans oser
s’exprimer publiquement sur ce
sujet jugé brûlant.
Leur « sionisme intégral »
apparent contraste avec l’esprit
critique qu’ils possèdent et
n’utilisent en public que contre
les ennemis d’Israël et plus
particulièrement contre les
kamikazes et autres terroristes
du « camp d’en face ». Mais dans
leur tréfonds, ils pensent tout
autre chose que ce qu’ils disent
ou écrivent.
Q
ue conclure de ce
bref panorama d’une
communauté éclatée
présentée abusivement
comme unie et même unanime ?
Que les « Amants de Sion »
qui peuplent nos synagogues
et d’autres lieux de rencontre
juifs de Bruxelles et d’ailleurs
ressentent des réticences parfois
fort vives à l’encontre d’une
politique dont ils ne peuvent,
dans leur for intérieur, accepter
et approuver le caractère
profondément injuste.
S’ils sont nombreux à prononcer,
religieusement ou non, le voeu
pieux par lequel se termine
la lecture de la Haggadah
pascale, « L’an prochain à
Jérusalem », la plupart d’entre
eux ont l’intention de le réciter
longtemps encore... à Bruxelles
et non à Jérusalem. ■
février 2009 * n°293 • page 25
LA CHRONIQUE DE DIDIER BUCH
“ ... et tu aimeras ton prochain comme
toi-même ” (Lév. 19,18)
I
l peut paraître vain de
creuser encore notre sillon
critique et culturaliste à
l’heure où l’unanimisme et
l’inconditionnalité du monde juif
sont plus flagrants que jamais.
Il aura suffi pour cela qu’Israël
se dise menacé (et détruise ceux
qui le menacent sans pouvoir
le détruire). Aucune institution
représentative ou fédérative juive
(dans chaque pays de chaque
continent) n’a remis en question
« l’explication » gouvernementale
de « l’opération » à Gaza. Des
manifestations de soutien ont été
organisées et médiatisées dans
chaque pays. Le président du
Consistoire central de France,
une institution censée gérer le
culte israélite, dédouane Israël
de toute responsabilité et accuse
le Hamas d’utiliser « les civils
comme boucliers et comme
cibles », de ne pas avoir créer
d’abris pour les civils et de ne
jamais « prévenir la population
civile de l’imminence d’une
attaque ciblée » (Le Monde
du 16 janvier). Le nouveau
Grand Rabbin de France, Gilles
Bernheim, qui semblait plus
« ouvert » que son prédécesseur,
ne craint pas de déclarer que
« dans ce conflit, nous avons
une armée [israélienne] qui
défend sa population et de
l’autre des guerriers [le Hamas]
qui se servent de la leur » et
qu’il n’a « pas d’avis à donner
sur les décisions prises par
l’armée ». Son homologue
libérale bruxelloise délivre un
message identique, accompagné
de considérations messianiques
et iréniques. « C’est un
commandement pour Israël
de protéger ses citoyens. Le
Hamas prenant, contre toute
convention internationale, la
population palestinienne en
otage, cette obligation vient
se heurter douloureusement à
celle d’épargner des innocents »
nous dit-elle en ajoutant que
« certains [...] s’imaginent
que les Juifs ont part aux
événements d’Israël » (Le Soir
du 15 janvier). La synagogue
libérale, membre du CCOJB, a
d’ailleurs rejoint la manifestation
de soutien à Israël organisée
par celui-ci devant l’ambassade
d’Iran. n’est pas en reste. Le
dernier éditorial de Contact J,
le « Mensuel d’expression du
judaïsme belge » (qui publie un
article qualifiant les Territoires
de « disputés ») est sans tache :
« Contact J soutient et soutiendra
toujours inconditionnellement
le peuple d’Israël qui est engagé
dans un combat vital contre des
agresseurs qui ont délibérément
choisi de tourner le dos à
l’humanité ». Pour le CCLJ, qui
février 2009 * n°293 • page 26
a relayé l’appel à manifester du
CCOJB (et demandé le cessez-le-feu et une trêve de longue
durée), « l’amplification des tirs
de roquettes, à portée de plus
en plus longue, par le Hamas
a conduit Israël à mener une
opération militaire d’envergure
pour assurer à sa population
la protection à laquelle elle a
droit ». La section belge de
« l’Appel unifié pour Israël »
(Keren Hayessod) lance, elle,
une « campagne d’urgence pour
les habitants du Sud » qui prévoit
de financer, entre autre, « la
rénovation de plus de 300 abris
anti-aériens à la demande du
gouvernement israélien ».
Quant à la seule épicerie juive de
Bruxelles, elle ne propose qu’un
seul organe de presse : Actualité
juive, un hebdomadaire français
au sionisme religieux « radical ».
L
e relais est donc
automatique de
l’explication israélienne
du conflit, sans
questionnement et sans aucune
prise de distance. Pendant
ce temps, circulent dans les
milieux communautaires des
argumentaires essentialistes et
racistes fleurant bon le « choc
des civilisations » : l’historique
« nous pouvons pardonner
aux Arabes d’avoir tué nos
enfants. Nous ne pouvons pas
leur pardonner de nous avoir
contraints à tuer les leurs » de
Golda Meïr ainsi que des listes
comparées de prix Nobel juifs
et arabes. à chaque crise, se
rejoue donc la même pièce. Une
radicalité profondément ancrée
se révèle qui s’exacerbe encore
à l’aune du jusqu’au-boutisme
militaro-politique israélien.
On veut croire que la limite
sera cette fois-ci atteinte mais
elle ne l’est jamais. Quant aux
dissidences, elles ne se font que
sur les marges ou à l’extérieur
des communautés et ne sont
jamais entendues à l’intérieur de
celles-ci.
I
l serait au moins
partiellement erroné
de comprendre cette
description par le biais
d’une analyse strictement
politique et de se contenter
de stigmatiser l’idéologie de
la rue juive. C’est d’identité
qu’il est question, de cette
identité juive blessée, détruite
jusque dans ses tréfonds par
le judéocide et reconstruite
dans un lien indissoluble avec
l’État salvateur. L’identité
juive contemporaine s’est faite
israélienne et de « substitution ».
La remise en cause de l’action
d’Israël est consubstantiellement
impossible. Au risque, à
l’opposé, de saper son être
au monde, la vertu d’Israël
est impérative même si elle
conduit à la déresponsabilisation
totale de l’État juif, toujours
et par essence innocent. Toute
critique même mesurée est donc
nécessairement antisémite ou
relève de la haine de soi. Le
président du CCOJB l’illustrait
en déclarant, en décembre dans
Contact J, s’engager non pas
« pour Israël » mais « contre
l’antisémitisme », étant entendu
que « L’État juif s’est substitué
à l’être juif dans l’esprit de
certains. Israël est devenu le
Dreyfus des nations ».
Les notions « politiquement
correctes » d’« amalgame » et
d’« importation du conflit » qui
sont, de manière automatique,
avancées (cyniquement par les
instances communautaires) pour
lutter contre l’antisémitisme ou
la simple critique sont prises
en défaut. Comment contrer
un éventuel antisémitisme en
assenant que tous les Juifs ne
pensent pas de la même manière
si l’alliance politique entre les
instances communautaires et
l’appareil d’État israélien est
aussi patent ?
A
u delà des questions
d’ordre éthique et
d’identité, c’est
l’impunité politique,
corollaire de l’impunité de l’Etat
d’Israël lui-même sur la scène
internationale, dont bénéficient
les instances communautaires
qui pose question. Une brèche
a peut-être été ouverte par le
président du parti socialiste,
Elio du Rupo, qui eut certes
mieux fait d’employer des
arguments politiques et non
émotionnels : « J’ai pour la
population juive plus que de
la sympathie, j’ai une forme
d’amour, [...] Et cette attitude
de sang-froid, ne pas avoir de
remords, voir des écoles être
anéanties et tous ces morts, c’est
inacceptable, c’est totalement
inacceptable » (sur RTL-TVI
le 7 janvier). La notion de
« population juive » vise les
Israéliens mais peut-être aussi
la communauté juive. C’est en
tout cas ce que semble avoir
compris le CCOJB qui reproche
au président du PS d’« importer
le conflit du Proche-Orient dans
nos rues » et de « participer
de ce fait à la libération de la
parole et de l’acte antisémites ».
Notons sur le même sujet que
la carte blanche « Le pouvoir
aux « barbus » ? Non merci ! »,
publiée dans Le Soir du mercredi
14 janvier par trois militants
laïques (et que l’ambassade
d’Israël fait circuler), demande
aux élus politiques d’origine
maghrébine de se désolidariser
des islamistes mais n’interpelle
pas les quelques mandataires
juifs qui s’identifient comme tels
et soutiennent publiquement la
guerre d’Israël.
L
a forteresse
communautaire est
imprenable et « creuser
le sillon » d’un autre
judaïsme s’avère donc une
nécessité. Pour que ce ne soit
« pas en notre nom », il faut
que cela nous soit un nom
au lieu d’un adjectif. Asseoir
sa légitimité à agir et ne pas
laisser le judaïsme aux mains
de ceux qui en sont jusqu’ici
massivement les dépositaires
appelle à plus de judaïsme. ■
février 2009 * n°293 • page 27
cultes et laïcité
Coming out à l’ONU. Nouveau clash
entre Israël et les pays arabes.
CAROLINE SÄGESSER
A
lors que l’on célèbre le
soixantième anniversaire de la Déclaration
universelle des Droits
de l’homme, les Nations Unies se sont penchées sur
les droits des personnes homosexuelles. Lors de la 71ème session
plénière de l’ONU, l’Assemblée
a examiné la proposition de déclaration sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre proposée
par l’Argentine, à l’initiative de la
France.
Cette déclaration réaffirme les
droits des personnes homosexuelles et le principe de non discrimination sur base de l’orientation
sexuelle, et demande aux États de
prendre toutes les mesures nécessaires, notamment législatives et
administratives, pour garantir que
l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne soient, en aucune circonstance, le fondement
de sanctions pénales, en particulier d’exécutions, d’arrestations
ou de détention ; de garantir que
des enquêtes sont menées sur les
violations des droits de l’Homme
fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre et que
leurs auteurs sont reconnus responsables et traduits en justice ;
et d’assurer une protection adéquate aux défenseurs des droits
de l’Homme et de lever les obstacles qui les empêchent de mener
leur travail sur les questions des
droits de l’Homme et de l’orientation sexuelle et de l’identité de
genre.
Rappelons brièvement à ce propos que plus de soixante pays ont
encore des lois contre les relations sexuelles entre adultes consentants de même sexe, des lois
qui sont souvent un héritage de
l’époque coloniale1. Les relations
homosexuelles sont punies de
mort dans plusieurs pays musulmans et de lourdes peines de prisons dans d’autres. On peut aussi rappeler que l’interdiction des
pratiques homosexuelles est demeurée la règle dans une douzaine d’États américains, jusqu’à ce
qu’une décision de la Cour suprême des États-Unis vienne invalider
de telles dispositions en... 2003.
USA, PAYS
MUSULMANS...
La déclaration a reçu le soutien de 66 pays des cinq continents, dont la Belgique, mais pas
des États-Unis ni d’aucun pays de
culture musulmane. La position de
la Turquie est intéressante à relever, puisque c’est le seul pays
candidat à l’UE qui n’a pas soutenu la déclaration. L’Organisation
de la Conférence islamique s’est
opposée à l’adoption de la déclaration, et a présenté par l’intermédiaire de la Syrie un texte de
résolution alternatif, exposant notamment que la reconnaissance
des droits des homosexuels susciterait davantage de crimes pédophiles… Le texte de la Conférence islamique a été soutenu par
février 2009 * n°293 • page 28
57 pays, soit un nombre presque
aussi élevé que celui des pays signataires de la déclaration ellemême… Un tel événement est
ainsi l’occasion de s’interroger,
une fois de plus, sur l’universalité
ou au moins sur l’exportabilité du
respect des Droits de l’homme...
ET VATICAN
L’opposition à la déclaration sur
l’orientation sexuelle a également
reçu le renfort du Vatican, dont
le représentant à l’ONU a déclaré
qu’il ne pouvait soutenir un projet
qui visait à « demander aux États
et aux mécanismes internationaux d’application et de contrôle des droits de l’homme d’ajouter de nouvelles catégories devant
être protégées contre la discrimination, sans tenir compte que, en
cas d’adoption, elles créeront de
nouvelles et terribles discriminations ». C’est principalement la
crainte de voir ce texte, qui affirme le principe de non-discrimination, utilisé comme une base pour
réclamer l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe
dans les pays où ce n’est pas encore le cas, qui a suscité l’opposition du Vatican. Devant l’ampleur
des protestations, le Saint-Siège a mis un peu d’eau dans son
vin, et précisé lors de la session
onusienne qu’il soutenait bien la
dépénalisation de l’homosexualité et la fin de toutes les peines
criminelles. Cependant, quelques
jours plus tard, dans son message
de Noël, le pape dénonçait à nouveau « l’émancipation de l’identité
de genre, qui se traduit en définitive par l’émancipation par l’homme de la création et de son créateur ». Le Pape a critiqué l’homme
coupable de vouloir « se faire seul
et disposer seul de ce qui le concerne », et a rappelé qu’en agissant ainsi « il vit contre la vérité et
contre son créateur. »
C’est évidemment sans réelle
surprise que l’on a observé à l’occasion du vote à l’ONU le Vatican
et les pays islamiques se retrouver dans une opposition au libre
exercice de certains droits fondamentaux de la personne humaine.
Et le refus des États-Unis de soutenir ce texte, un peu plus surprenant, peut sans doute être inter-
prété comme un dernier « cadeau »
de l’administration Bush aux fondamentalistes de la droite chrétienne.
SOUTIEN ISRAÉLIEN
Il est d’autant plus intéressant
de remarquer que l’État d’Israël
a, lui, soutenu le texte appelant à
la non-discrimination sur base de
l’orientation sexuelle. Et cela alors
que le judaïsme n’est guère plus
ouvert à l’homosexualité que l’islam ou le christianisme, et que l’on
reproche souvent à Israël son absence de séparation « entre la synagogue et l’État ». Selon la représentante de l’État d’Israël à l’ONU,
Meirav Eilon-Shahar, « Israël respecte les droits de tous ses citoyens, quelle que soit leur orien-
tation sexuelle ou leur identité.
Nous avons donc estimé opportun
de souscrire à une déclaration qui
établit les principes d’égalité et
de non-discrimination ». Chacun
interprétera sans doute cette position en fonction de son agenda
politique, ou, peut-être, tout simplement, en fonction de son degré
de cynisme. En tout état de cause, cette prise de position d’Israël
à l’ONU, où on ne voit pas souvent
cet État voter avec l’ensemble des
pays de l’Union européenne contre les États-Unis, méritait d’être
relevée. ■
1
Lire à ce propos le rapport de Human
Rights Watch, The Alien legacy. The Origins of “Sodomy” Laws in British Colonialism. Disponible via www.hrw.org
Des athées mobilisés
Depuis quelques semaines, les Londoniens peuvent découvrir des bus frappés du slogan « There is probably no God. Now stop worrying and enjoy your life ». Il s’agit d’une réponse à la campagne préalable d’un groupe religieux promettant une éternité de souffrances en enfer aux non croyants1. On
notera avec intérêt la décision des organisateurs d’insérer au moins l’ombre du doute dans le slogan
avec l’utilisation du mot « probably » : selon l’un d’entre eux, affirmer avec certitude que Dieu n’existe
pas reviendrait à un acte de foi, or, les athées n’ont pas la foi. Une vision modeste dont les prosélytes de tout poil pourraient utilement s’inspirer… L’initiative a rapidement séduit d’autres groupes, et
des campagnes similaires s’organisent en Espagne et en Italie. On peut se réjouir d’une visibilité accrue des groupes qui défendent la légitimité d’une vision du monde débarrassée de la référence à toute transcendance, et ce dans un contexte où le religieux, y compris dans ses formes les plus bigotes et
les moins respectueuses des Droits de l’homme, semble (re)gagner du terrain. Mais il est regrettable et
peut-être dangereux que cela se passe par panneaux publicitaires interposés. Au moins cela donne-til une occasion de sourire : on vient d’apprendre qu’un groupement religieux avait porté plainte auprès
du Jury d’éthique publicitaire en Grande-Bretagne pour publicité mensongère…
De l’autre côté de l’océan, une autre initiative est à épingler. Un groupe d’Américains a demandé à un
tribunal de Washington d’interdire au président Obama d’ajouter les mots « So help me God » à la fin du
serment constitutionnel. Le 15 janvier, le juge a, sans surprise, rejeté cette demande. Parmi les plaignants se trouvait l’activiste juif et athée Michael Newdow, qui milite depuis des années pour une plus
stricte séparation de la sphère publique et du domaine de la religion aux États-Unis. Newdow semble également aborder la question avec humour, puisqu’il est aussi le fondateur de FACTS (First Atheist
Church of True Science) dont le site web2 propose un accoutrement, des rites et un hymne aux adeptes…
1
Les détails de cette opération et une flopée de sites très intéressants sont consultables sur
www.atheistcampaign.org.
2
http://factschurch.com
février 2009 * n°293 • page 29
activités
vendredi 6 février à 2Oh15
À l’occasion du centenaire de la Conférence de Czernowitz sur la langue yiddish
Yiddish pour le futur
Un film d’Alexandre Wajnberg
Œuvre de témoignages et de réflexions avec Mendy Cahan (Yung YiDish), Avraham Novershtern
(Université de Tel-Aviv), Justin Cammy (Smith College, Massachussetts) et le grand poète et chanteur
Theodore Bikel, en special guest star.
Alexandre Wajnberg a participé en 2006 au zumer-program de yiddish à Tel-Aviv, coorganisé par
l’Université et le centre Yung YiDish. Par les liens tissés avec ses camarades de classe, sa petite
caméra nous introduit au cœur d’un yiddish vivant, joyeux, émouvant, marrant. Ce film est aussi
une ode au yiddish en forme de documentaire, où l’on voit le grand Théodore Bikel chanter et
expliquer son yiddish, en même temps qu’un linguiste américain situe bien le yiddish dans le monde
aujourd’hui.
Cette année voit le centenaire de la « Première conférence sur la langue yiddish » qui eut lieu à
Czernowitz en Pologne fin 1908. De « jargon » pour certains, le yiddish y acquit, après de fiers débats
entre linguistes et intellectuels, le statut de langue à part entière, une des langues du peuple
juif (avec l’hébreu)*.
La langue que l’on parle est le berceau de notre pensée. Toute réflexion sur le judaïsme aujourd’hui
ne peut faire l’économie de la place de ses langues, et donc du yiddish, dans la société et dans
le cœur des hommes. On en connaît le destin pour le yiddish, attaqué à la fois par le nazisme,
l’Internationalisme, la modernité. Le yiddish, blessé ...mais pas mort (contrairement à une opinion
trop répandue). De plus en plus d’étudiants suivent des cours ou des stages d’été donnés aux quatre
coins du monde. Ceci pour des raisons très variées: identitaires, familiales,
intellectuelles, académiques, musicales, artistiques...
Alexandre Wajnberg
* Voir le site très documenté : http://cernowitz.org
La projection sera suivie d’une conférence-débat avec
Alexandre Wajnberg, journaliste et documentariste
Alain Mihály, professeur de yiddish (CCLJ) et rédacteur à Points critiques
PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO
février 2009 * n°293 • page 30
vendredi 13 février à 21h
« Soirée - Lokshen »
« La Commission centrale de l’Enfance »
Un spectacle à ne pas manquer, après le succès rencontré à Paris
Texte et interprétation
David Lescot
Petite restauration dès 19h
« Enfant, je passais mes vacances d’été dans les colonies de vacances de la Commission Centrale de l’Enfance (CCE), cette association créée par les Juifs communistes français après la Seconde
Guerre mondiale, à l’origine pour les enfants des disparus. Elles existèrent jusqu’à la fin des années 80. Mon père y était allé aussi.
J’ai voulu m’en souvenir, sans nostalgie, et raconter par bribes cette histoire, qui me revient par
flashes de souvenirs inconscients, parfois confus, parfois étonnamment distincts : il y est question
de conscience politique, de l’usure d’un espoir, de règles strictes, d’idéologie tenace, de transgressions en tous genres, d’éveil des sens.
J’en ai fait une sorte de petit poème épique, scandé, chanté, qui fait le va-et-vient entre les temps
de l’origine et ceux de l’extinction, entre la petite et la grande histoire. »
D’évidence, vous l’aurez compris, à travers ce bref résumé que nous livre David Lescot, c’est aussi
de nous, de la Sol, de l’UPJB, de nos colonies, de notre et nos histoires qu’il nous parlera en humour, tendresse et chansons.
Comme lors de toutes les « soirées - Lokshen », vous pourrez, dès 19h, déguster un succulent
bouillon, préparé maison comme il se doit.
PAF : 15 EURO, 12 EURO pour les membres, tarif réduit : 6 EURO
RÉSERVATION INDISPENSABLE AU 02.537.82.45
février 2009 * n°293 • page 31
activités
samedi 14 février à 20h15
Shlomo Sand, historien
Conférence-débat à propos de son livre
« Comment le peuple juif fut inventé »
Se basant sur des recherches historiques, Shlomo Sand déconstruit les mythes en remettant en question
la thèse de l’unicité du peuple juif et en affirmant que l’existence des diasporas de Méditerranée et
d’Europe Centrale est principalement le résultat de conversions anciennes au judaïsme. Pour lui, l’exil
du peuple juif est un mythe né d’une reconstruction a posteriori sans fondement historique.
Une thèse controversée et à débattre.
Né en 1946, Shlomo Sand a fait ses études d’histoire à l’université de Tel-Aviv et à l’École des hautes
études en sciences sociales à Paris. Depuis 1985, il enseigne l’histoire contemporaine à l’université
de Tel-Aviv. Outre des ouvrages consacrés au sociologue français Georges Sorel, il a publié également
en français Le XXe siècle à l’écran et Les mots et la terre, les intellectuels en Israël.
PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO
Arié Mandelbaum
Die Umwelt.
Nuit et Jour.
l‘USINE GALERIE
40 rue du Doyenné, B-1180 Bruxelles
tél.: 0032-(0)2-344 52 45
http://www.l-usine-galerie.com/
25/01 - 15/03/2009
jeudi - samedi de 14 h à 18 h,
dimanche de 16 h à 18 h ou sur rendezvous
février 2009 * n°293 • page 32
(tempera on paper on cancas, 149/210 cm)
mercredi 25 février à 20h15
Une rencontre avec
Giorgio Pressburger,
écrivain et Marguerite
Pozzoli, sa traductrice et
responsable du domaine italien
aux Éditions Actes Sud
(voir article page 4)
PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO
Giorgio Pressburger. Tous les romans mènent à Babel
La vie de Giorgio Pressburger se place sous le signe d’une double fracture. En 1956, lui et son frère jumeau Nicola, alors âgés de 19 ans, quittent la Hongrie, leur pays natal, à la suite des événements que l’on sait : cette séparation d’avec son pays, sa famille, sa langue le marqueront à jamais. Ce n’était pas la première épreuve vécue par cette famille de petits commerçants juifs de
Budapest, terriblement marqués par l’Holocauste. L’Italie deviendra la patrie d’adoption des deux
frères : Nicola optera pour la carrière de journaliste, Giorgio, après des études à l’Académie Nationale d’Art Dramatique de Rome et des études de biologie, choisira la mise en scène de théâtre, d’opéra, d’opérette. Il met en scène, pour les plus grands théâtres italiens, des opéras comme
La flûte enchantée de Mozart ou La femme sans ombre, de Strauss. Éclectique, il travaille également pour la radio et pour le cinéma, signant, en 1981, la réalisation de Calderòn, sur un texte
théâtral de Pasolini.
Mais en 1985 intervient la seconde fracture dans la vie de Giorgio Pressburger, avec la mort de
son frère Nicola. Ensemble, ils ont écrit deux livres : Histoires du Huitième District, et L’Éléphant
vert, tous deux situés dans le Huitième District de Budapest, patrie littéraire de l’auteur... Celui-ci
a poursuivi, parallèlement, ses activités d’homme de théâtre et d’écrivain, traduit dans de nombreuses langues. Ces activités l’ont constamment mené du nord au sud : festivals de Taormine
et de Spolète, « Mittelfest » de Cividale del Friuli, direction, pendant plusieurs années, de l’Institut
Culturel Italien de Budapest. Dans le domaine littéraire, nous retiendrons plus particulièrement le
magnifique roman Les Jumeaux et L’Horloge de Munich, plusieurs nouvelles qui constituent le « roman généalogique » de l’auteur, mais plus encore, un véritable parcours dans la Mitteleuropa : à
travers ce travail de mémoire et cette quête d’identité, l’auteur nous livre une galerie de personnages tantôt célèbres, tantôt humbles, qui ont fait l’Histoire, parfois avec des moyens dérisoires,
entre rire et larmes, entre espoir et désespoir. Écrivain de frontière par excellence, grand européen imprégné de culture juive, Giorgio Pressburger incarne, comme Canetti, Nabokov ou Beckett,
l’image d’un auteur orphelin de sa langue maternelle, mais qui a su démontrer, de manière éclatante, que « tous les romans mènent à Babel »...
Marguerite Pozzoli
février 2009 * n°293 • page 33
activités
vendredi 27 février à 20h15
Le kibboutz : mythe et réalité
Que reste-t-il aujourd’hui de l’utopie fondatrice du kibboutz, initiée au début du siècle dernier ? Quel
a été le chemin parcouru, du collectivisme absolu à la propriété individuelle ?
Conférence-débat avec
Rina Cohen, historienne
Rina Cohen est enseignante à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales),
spécialiste de la Palestine au XIXième siècle et de l’Israël contemporain (histoire et civilisation)
PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO
Un séminaire de réflexion à l’UPJB
Du judaïsme au communisme... du communisme à nous
Prochaines séances les mercredis 11 février et 18 mars à 20h15
Aux XIXe et XXe siècles, le judaïsme (au sens large) a fortement contribué à la constitution et au
déploiement du communisme (au sens large de critique de la civilisation bourgeoise/capitaliste et de
volonté de lui substituer une société collectiviste). Apport non seulement humain (en militants et en
dirigeants) ou matériel mais aussi en idées et en valeurs. Le judaïsme a irrigué le communisme par des
dizaines de canaux visibles ou invisibles.
Après la crise puis la faillite du totalitarisme soviétique et de la perte qui s’en est suivie de la force
d’attraction des idées socialistes et communistes, on a pu assister à un souhait de redécouvrir le judaïsme
et de renouer les fils brisés de la tradition. L’itinéraire de l’UPJB est un exemple de cette démarche. Mais
sous prétexte que l’adhésion au communisme avait parfois coïncidé avec une occultation voire un
rejet des références et des repères du judaïsme, le risque existe aussi de tomber dans une autre forme
d’occultation, comme si le communisme n’avait représenté qu’une parenthèse sans lien profond avec le
judaïsme, et donc dans une nouvelle forme d’auto-reniement.
L’objectif du séminaire sera d’entreprendre une nouvelle élaboration des liens entre judaïsme et
communisme, surtout sous l’angle de la philosophie politique et éthique. La nécessaire pluralité des
identités juives passe nécessairement par la reconnaissance de la part latente et invisible de leur passé
et donc aussi de leur avenir, à l’encontre de l’enfermement communautariste et du judéo-centrisme
sectaire.
Jean Vogel
février 2009 * n°293 • page 34
vendredi 6 mars à 20h15
Les chantiers d’été de restauration de
cimetières juifs anciens
Conférence-débat avec
Philippe Pierret,
conservateur au Musée juif de Belgique
À l’initiative de Philippe Pierret, conservateur, et d’Olivier Hottois, conseiller scientifique, les jeunes
volontaires ASF, après avoir résidé un an au Musée Juif de Belgique, sont invités à réunir un groupe
de jeunes volontaires issus de tous les pays d’Europe, pour participer à un chantier d’été et se
familiariser aux techniques d’inventaire et de restauration d’un cimetière juif ancien.
L’Aktion Sühnezeichen Friedensdienste (ASF), « Action Paix et Réconciliation », est une organisation
allemande protestante, engagée depuis 1958 dans divers projets pour la réconciliation des
différentes populations victimes du nazisme.
Celle-ci s’est spécialisée dès le début du programme dans la sauvegarde et la restauration du
patrimoine funéraire juif qui avait fortement souffert en Allemagne et dans les pays occupés. Les
chantiers d’été font appel à un volontariat de courte durée, ouverts aux jeunes de toute l’Europe.
Quatre chantiers ont été réalisés entre 2005 et 2008 dont les deux premiers dans les villes d’Arlon
(B) et La Ferté-Sous-Jouarre (F) ont été récompensés en 2007 du prix Primo Lévi de la Fondation
Auschwitz (Belgique)
Les chantiers d’été ont pour missions premières de
1. Promouvoir la connaissance et la compréhension de l’histoire, de la religion et de la culture juive
à travers le temps et l’espace, et en souligner la richesse spirituelle et matérielle.
2. Inciter les jeunes volontaires à s’interroger sur les spécificités, les correspondances et les
emprunts réciproques de leurs héritages culturels respectifs.
3. Participer à un projet de sauvegarde du patrimoine juif d’Europe. Les chantiers de restauration
sont l’occasion de dresser des inventaires épigraphiques et photographiques.
En parcourant les différents sites de Belgique, du Grand-Duché de Luxembourg et de France, je
présenterai, à l’aide d’un diaporama les enjeux, mais aussi les aspects sociologiques, techniques et
pratiques de ces restaurations.
PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO
février 2009 * n°293 • page 35
activités
vendredi 13 mars à 20h15
Et en plus, il faut les éduquer
Conférence-débat avec Jacques Ravedovitz,
psychothérapeute, accueillant au Gazouillis (lieu d’accueil parents-enfants) et
formateur auprès des professionnels de la petite enfance (association Françoise
Dolto)
Enfants-rois, enfants violents, tyrans, hyperkinétiques, en refus d’autorité, de scolarité, ... Mais
qu’ont-ils donc, tous ces enfants qui posent tant de problèmes aux parents et aux professionnels d’aujourd’hui ? Coaching pour les uns, rilatine pour les autres,... Supermammy pour les
uns, Baby TV pour les autres.... rien n’y fait ! Parents, puéricultrices, enseignants, pères, mères,
tous se renvoient la balle. Et l’enfant, au centre, compte les points... Tableau catastrophe ? Caricature ? Excès de langage ?
Pas tant que cela, pourtant. En recherche constante de l’équilibre à trouver entre autorité et
souci d’épanouissement pour leurs enfants, les parents sont souvent pris dans des difficultés
ou des contradictions, se sentent mal à l’aise, voire coupables, de mettre trop de limites, ou pas
assez, d’être trop autoritaires, ou pas assez, etc..
« Il est interdit d’interdire » clamait-on en mai 68. 40 ans plus tard, qu’en est-il de l’autorité,
des limites, de la place du père, de la mère, des grands-parents... et des enfants ? Qu’en estil du rôle de l’instituteur, du psy, des médias, ... ? Qu’en est-il de notre société d’aujourd’hui
et quel regard peut-on porter sur elle, à travers la place qu’elle « offre » aux enfants, eux dont
les comportements doivent nous questionner tant aux niveaux sociopolitique que psychologique et éducatif ?
PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO
vendredi 27 mars à 2Oh15
Une rencontre
avec François Mathieu,
auteur et traducteur littéraire
À propos de son livre Poèmes de Czernovitz. Douze poètes juifs de langue allemande
À Czernovitz, en Bucovine, entre les deux guerres, la littérature juive connut une véritable
efflorescence et donna naissance à toute une constellation de poètes écrivant en allemand.
François Mathieu est parti sur les traces de ces poètes, souvent inconnus du public francophone, à
l’exception de Paul Celan. Ils écrivaient dans des registres variés, mélancoliques ou satiriques avant
guerre, mais tous exprimeront plus tard ce qui semblait indicible, la tragédie qui les a frappés.
Né en 1941, François Mathieu est auteur, traducteur et critique littéraire. Il a notamment traduit les
frères Grimm, Wedekind, Kafka, Brecht...
PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO
février 2009 * n°293 • page 36
Au Centre Culturel Jacques Franck
94, chaussée de Waterloo 1060 Bruxelles - 05.538.90.20
La mémoire partagée
Une exposition de dessins, peintures, sculptures et installations de
Marianne Berenhaut, Sarah Kaliski et Arié Mandelbaum
Du 22 janvier au 1er mars 2009
À l’occasion des représentations de la pièce de Richard Kalisz, « Quelque chose d’Anne Franck », voici
rassemblés trois artistes plasticiens contemporains d’Anne Franck, qui questionnent la singularité des
destins individuels dans l’imaginaire collectif de notre histoire récente qui continue à nous interpeler.
Marianne Berenhaut (Bruxelles, 1934) dispose, pose côte à côte, elle assemble et rassemble des objets
très ordinaires appartenant visiblement au passé, à la mémoire, aux souvenirs et pour une bonne part
à l’enfance. Avoir dix ans en 1944 n’était pas nécessairement un cadeau. Ce vécu est loin mais imprégné dans l’être tout entier. (...) Et l’histoire s’enclenche, lentement de plus en plus pesante dans le souvenir, de plus en plus tragique dans la dignité des métaphores.
Le silence est celui de l’absence et du vide, même les mots n’ont plus cours. (...) L’être humain a disparu du champ de vision, le linge blanc sèche tout seul, plombé, et plus rien ne fonctionne. On pourrait
croire que l’artiste dit l’impossible et pourtant ce sont les souvenirs qui ont raison (...) : le drame s’est
accompli. La souffrance reste, indélébile. (Claude Lorent)
Sarah Kaliski (Bruxelles, 1941) est hantée par les gens sacrifiés, par
leur souvenir, par leur âme. Son œuvre témoigne d’une recherche de
dépouillement, d’une économie plus grande du geste et de la couleur.
Elle utilise comme supports des bâches, des toiles, des draps, du papier, des mannequins et pratique aussi le collage.
« Peintre hallucinée par les bourreaux et les victimes, ses amants de
l’Histoire (Nietzshe, Freud, Trotsky), ses crimes d’amour... De l’histoire du XXe siècle avec ses génocides, avec ses blessures de nos histoires individuelles, de la maladie de l’époque. De la folie des hommes,
de la passion des artistes qui affrontent la violence pour en faire des
mots, des images d’une beauté cruelle et douce comme la vie. (Jacques Sojcher) »
Sarah Kaliski
Arié Mandelbaum (Bruxelles, 1939)
(...) Si les maîtres du quattrocento (on songe à l’Adam et Eve de Masacio) aident Mandelbaum à situer ses « nus » à l’aune de valeurs humanistes, c’est aussi pour mieux descendre et affronter l’enfer des siens, la difficulté d’être dans ce non-lieu de sa propre judéité. Alors, lui
qui, voici bien longtemps, tenait haut les slogans de révolte et l’utopie communiste, regarde ou, plutôt, respire l’odeur des souffrances d’un peuple, le sien. (...). Et la douleur, alors, par-dessus la préparation blanche au gesso, par-dessus les infinités de tracés au fusain sec, par-dessus les voiles de couleurs
pâles, rougit les surfaces. La tache enfle, la teinte se laisse aller à l’une ou l’autre coulure. Abandon.
L’œuvre de Mandelbaum doit s’approcher plus près encore. Naissent d’autres tracés courbes qui disent
le plan, la déroute et la profondeur, le vertige. On devine même des grains, voire de la poudre de fusain qui, peu à peu, rendent vie à l’absence immaculée. La technique de la gravure (à la pointe sèche)
convient ici au propos, et de même son format modeste qui force le visiteur à se pencher, comme on se
penche sur un mourant afin de mieux entendre le souffle et les mots à peine audibles. (...)
C’est que la colère habite cette angoisse-là, la violence d’un artiste hanté par ses liens, habité par ses
frères de sang et de culture. Marqué au blanc d’un vide impossible à combler. (Guy Gilsoul)
février 2009 * n°293 • page 37
UPJB Jeunes
Journal du camp
NOÉ, SACHA, CHARLINE, FANNY, PIERRE-RAPHAËL, ARISTIDE, SALOMÉ,
JÉRÉMIE, BASIL, ZOÉ ET ACHILLE
Les lumières de Hanouka
LE DOMAINE DE MOZET
Par Noé, Sacha, Charline et Fanny (Mala)
Au départ, nous n’étions pas
emballés à l’idée de quitter Louette-Saint-Pierre, lieu de camp par
excellence et source de souvenirs
pour nous qui y allons depuis si
longtemps.
Notre arrivée se fit dans le noir
ce qui nous empêcha, fatalement
puisque nous ne sommes pas
nyctalopes, d’admirer la beauté
des alentours et du paysage.
Tous les jours, des ateliers
étaient organisés en fin de journée. Un jour, l’un d’entre eux proposait une balade au milieu des
pâturages gelés de Mozet jusqu’au village. C’est à cette occasion que nos monos ont découvert
avec nous l’étendue du domaine, la splendeur du village et qu’il
nous ont permis d’assister à un
magnifique couché de soleil hivernal.
Grâce à cette balade, nous avons
compris pourquoi Mozet avait été
classé parmi les plus beaux villages de Wallonie…
L’ORGANISATION
DES CHAMBRES
Par Pierre-Raphaël (Zola)
Les chambres sont très spacieuses et confortables. On y dort
très bien car il ne fait jamais trop
chaud ni trop froid. Les lits et les
coussins sont très moelleux.
Les chambres sont beaucoup
plus chouettes qu’à Louette-SaintPierre car elles permettent eux
groupes de dormir dans le même
dortoire (sauf les Korczak qui se
sont répartis dans trois chambres
mais qui avaient tout de même un
couloir pour eux seuls).
J’ai été séduit par le domaine
de Mozet et mes monos aussi, je
pense.
LES ACTIVITÉS DU CAMP
Par Aristide (Jospa)
L’essentiel des activités était
basé sur le thème du camp : « à
travers le temps ». Nous avons
donc joué des rôles tant préhistoriques que futuristes.
ACTIVITÉS DE GROUPE
Tous les jours après avoir englouti notre petit-déjeuner, nous
faisions des activités que nos monos respectifs nous faisaient faire.
Ces activités, qui correspondaient,
comme je vous l’ai dit plus haut,
au thème du camp, étaient originales et réfléchies.
LE GRAND JEU
Le grand jeu fut une activité
majeure qui dura deux jours. Le
premier jour, nous étions soumis
à des robots - c’était une activité
futuriste - qui nous empêchaient
de toucher les autres gens. Nous
nous révoltâmes contre le gouvernement robotique et le retournâ-
février 2009 •* n°293 • page 38
mes. Le lendemain, nous fîmes le
procès de Robot, le cerveau de ce
gouvernement, et il fut condamné
à la prison ininterrompue.
LES ATELIERS
Les ateliers étaient des activités que nous faisions à partir de
5h et qui n’ont, au contraire des
deux autres, aucun rapport avec
le thème du camp. C’étaient des
activités simples qui avaient comme nom de catégorie : jeux d’extérieur, jeux d’intérieur, bricolage, etc.
C’est ici que s’arrête mon article. J’espère qu’il vous aura plu.
HANOUKA
Par Salomé et Jérémie (Zola)
Lundi 29 décembre, nous avons
fêté Hanouka. Au petit-déjeuner,
nous avons eu une petite pièce de
théâtre sur le début de l’histoire
de Hanouka jouée par les monos.
Durant la journée, nous avons eu
des activités en rapport avec l’histoire de Hanouka. Le soir, le groupe des Jospa à jouer la suite de
l’histoire de Hanouka, commencée le matin.
Pendant les ateliers, qui étaient
pour une fois en lien avec le thème, nous avons dansé et chanté, cuisiné des latkes, confectionné des hanoukia et des toupies
que nous avons utilisées le soir
à la veillée. Après avoir misé nos
bonbons, nous avons chanté des
Carte de visite
L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union
des Progressistes Juifs de Belgique. Elle organise des
activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une
perspective juive laïque, de gauche et diasporiste.
Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes
veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture
à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement
politique et de responsabilité individuelle et collective.
e Hanouka
chants de Hanouka.
VOYAGE DANS LE TEMPS
Par Basil, Zoé et Achille (Korczak)
Le premier jour, après notre
arrivée, il y avait un tissu vert à
l’entrée de notre réfectoire. On
ne pouvait pas entrer parce que
c’était dangereux d’aller seuls,
sans mono, dans la machine à
voyager dans le temps. On risquait de se retrouver seuls à une
époque que l’on n’avait jamais
vécue.
Après avoir passé la porte, les
monos faisaient un petit sketch
pour nous faire comprendre dans
laquelle on arrivait. Le premier
jour, Sheva nous a demandé de
nous prosterner devant le roi et la
reine. Nous étions à l’époque de la
Révolution française. Le deuxième jour, Antioche nous a raconté qu’il voulait que les Juifs changent de religion. Le troisième, des
hommes préhistoriques sont arrivés dans le réfectoire. Ils avaient
l’air étonnés de nous voir.
La veille de la nouvelle année,
nous avons été dans le futur. Des
monos déguisés en robot nous ont
mis des cachets sur le front… Le
grand jeu commençait…
Après la fête du nouvel an, la
machine était complètement raplapla et nous sommes restés à
Mozet, au présent jusqu’à la fin du
camp. ■
Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61
rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30
à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq
groupes différents.
Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en
Les
1ère primaire
Moniteurs :
Félicia : 0472/62.06.95
Morgane : 0478/64.79.40
Les
Janus Korczak pour les enfants de 7 à 8 ans
Moniteurs :
Max : 0479/30.75.71
Mona : 0487/35.77.15
Les
Émile Zola pour les enfants de 9 à10 ans
Moniteurs :
Sheva : 0499/27.80.50
Lucas : 0476/56.72.37
Valentine : 0494/59.43.09
Les
Yvonne Jospa
pour les enfants de 11 à 12 ans
Moniteurs :
Ivan : 0474/35.96.77
Léone : 0479/36.17.44
Cyril : 0474/26.59.09
Les
Mala Zimetbaum
pour les enfants de 13 à 15 ans
Moniteurs :
Alice : 0476/01.95.22
Théo : 0485/02.37.27
Informations :
Noémie Schonker - [email protected] - 0485/37.85.24
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UPJB Jeunes
Cela n’en valait-il pas la peine ?
NOÉMIE SCHONKER
J
’étais au camp quand les
attaques israéliennes à
Gaza ont commencé. C’est
une amie qui me l’a annoncé mais ce n’est qu’à
mon retour que j’ai pris conscience de l’ampleur de l’événement.
Depuis, je n’ai cessé de consulter
le net pour suivre les nouvelles
et les débats qu’elles suscitaient.
J’en suis malade… Les bulletins
d’informations avec leurs valses
d’horreurs, le parti pris des journalistes et l’inertie de la communauté internationale me révoltent
et m’indignent. Les mails odieux
et infamants envoyés à l’UPJB par
des membres de la « communauté juive » - certains désirant nous
retirer le droit de nous dire juifs,
d’autres nous rappelant qu’« il y
a déjà quatre morts de trop dans
cette histoire. Des juifs (comme
vous !) » — m’écoeurent et me choquent.
Par ailleurs, le témoignage des
monos sur la montée du racisme
et des tensions communautaires
dans les écoles me fait froid dans
le dos. En effet, samedi dernier,
alors que je voulais savoir qui
parmi eux comptait se rendre à la
manifestation nationale à laquelle
l’UPJB participerait, plusieurs jeunes m’ont rapporté que, depuis
la rentrée, les relations étaient
extrêmement tendues dans leur
école. L’un d’eux s’est par exemple fait traiter de « sale Juif » alors
qu’il tentait de décourager un ami
de s’inscrire à Ganenou suite à
ces insultes antisémites. Ils m’ont
aussi exprimé leur désarroi lorsque ce copain a affirmé que désormais il ne lui était plus possible
de côtoyer des arabes qui « soutiennent tous le Hamas ». Dans ce
climat, certains se sentent paumés et esseulés d’autant que leurs
professeurs ne semblent pas armés pour faire face.
J’étais déjà convaincue de l’importance de la présence de l’UPJB
à cette manif. En effet, lorsque
la rhétorique de guerre « avec ou
contre Israël » et les clichés qui
veulent que tous les Juifs soutiennent la politique israélienne
et que tous ceux qui s’y opposent
sont antisémites gagnent du terrain et terrorisent de plus en plus
la pensée, il faut qu’une autre voix
juive se fasse entendre.
SOUTENIR L’UPJB
Toutefois les propos de nos jeunes m’ont encouragée à appeler
les copains, juifs ou non, à rejoindre les rangs de l’UPJB. Je l’ai fait
parce que je pense qu’aujourd’hui
plus que jamais, il est important
de soutenir l’UPJB et de rappeler ses prises de positions sur la
question israélo-palestinienne : il
ne s’agit pas d’un conflit religieux
ou communautaire mais d’un conflit politique, d’une guerre d’occupation.
J’avais aussi demandé aux amis
de nous rejoindre pour encadrer les jeunes à qui j’avais préféré fixer un rendez-vous plus tôt.
février 2009 * n°293 • page 40
Nous savions que l’UPJB se trouvait en début de cortège mais arrivés à la gare du Midi, celuici avait déjà démarré et les rues
étaient noires de monde. Nous
nous sommes faufilés dans la foule en tentant d’expliquer aux monos l’idéologie de chaque groupe
que nous croisions car les jeunes
ne parvenaient plus à distinguer
les slogans « légitimes », des appels au djihad ou des chants assimilant Israël à l’Allemagne nazie.
Mais bientôt l’inquiétude de
ne pas trouver nos amis commence à miner l’humeur des jeunes : « Noémie, si on ne trouve pas
l’UPJB toute de suite, je me tire ! »,
me prévient une des monos. En
remontant le cortège, nous avons
croisé des groupes avec lesquels
nous aurions pu marcher sans le
moindre malaise et cela détendit déjà l’atmosphère. Je pense
notamment à celui composé essentiellement d’enfants, keffieh
autour du cou, scandant « Libérer
la Palestine et Israël, une seule
solution, la fin de l’occupation » ou
à cette foule silencieuse rassemblée derrière la bannière « Votre
silence tue ! ».
Au bout d’une heure enfin, nous
réussissons à localiser l’UPJB. ce
qui fut un terrible soulagement.
Nous avons appelé les copains
perdus en cours de route, dit bonjour aux amis avant de nous placer derrière le calicot que nous
n’avons plus lâché.
L’ÉCHANGE
Après le temps de l’apaisement
vint celui de l’émotion et l’échange et je ne peux que conseiller à
ceux que cette manif a déprimés
de porter notre pancarte la prochaine fois. Ils auront ainsi l’occasion de voir des gens, de toutes origines, nous applaudir, lever
le pouce en souriant et venir nous
remercier de notre présence. Ils
pourront également recevoir les
félicitations des pères de famille
et de mères en foulard pour notre
courage et notre position.
Ils n’ont peut-être pas pu voir
l’homme accompagné de son fils
posant pour la photo devant notre
banderole avant d’accepter, heureux, de la porter un court instant.
Ils n’auront pas rencontré non
plus cette fille, portant fièrement
le keffieh, qui nous a rejoints en
disant qu’aujourd’hui elle ne pouvait manifester qu’avec nous, ni
cet homme qui nous a accompagnés jusqu’au bout ému et visiblement soucieux qu’il ne nous
arrive rien.
Ils n’ont pu rencontrer ces manifestants musulmans qui ne voulaient pas être associés à leurs coreligionnaires appelant au djihad
et se reconnaissaient davantage
dans nos positions.
Ils n’auront pas davantage rencontré et entendu les jeunes sur
les escaliers de la Bourse héler leurs copains à notre passage : « Pitain, t’as vu, c’est l’IPJB. Ils
ont des couilles ceux-là ! » [sic], ni
ceux qui, apprenant que des Juifs
militaient depuis longtemps pour
le droit des Palestiniens, avouent
ne plus rien y comprendre. Des
témoignages pareils, j’en ai plein
les oreilles et plein les yeux.
Et, de là où j’étais, j’ai aussi pu
entendre cette fille dire à sa petite
sœur de se taire devant nous alors
qu’elle se mettait à crier « Israël,
assassin ». J’ai pu voir cet homme
baisser sa pancarte « Gaza = Auschwitz » et demander à son voisin
d’en faire de même « parce que là,
cela devient obscène ».
Dès le lendemain, les blogs débordaient de commentaires regrettant les dérapages antisémites et négationnistes des
manifestants, la domination des
religieux extrémistes et… la participation de l’UPJB.
DES SLOGANS
AFFLIGEANTS
C’est vrai qu’il y avait beaucoup
de slogans affligeants, de bêtises, faisant le jeu d’Israël mais,
on pouvait s’y attendre. En effet,
lors des manifs contre la guerre
en Irak, nous avions déjà constaté les dégâts causés par la disparition des forces progressistes et
l’apparition de groupes radicaux
confessionnels occupant la place vacante. Cela n’avait pas, si je
me rappelle bien, créé un malaise
comme celui si fortement ressenti
et exprimé aujourd’hui.
Cela étant, je n’avais en effet jamais vu autant de croix gammées
et si la symétrie entre le magen
david et le passé nazi est « obscène », les réactions à notre présence démontrent une certaine prise
de conscience chez les manifestants que la communauté juive
n’est pas aussi monolithique.
Il est évidemment déplorable,
navrant et peut-être effrayant,
de constater le regain d’obscurantisme, nourri par la politique
sanglante d’Israël et la prégnance des amalgames, si bien entretenus ; l’un, qui assimile tous les
Juifs à des partisans de la politique israélienne et l’autre, ses opposants à des antisémites.
DES RÉACTIONS
POSITIVES
Quoi qu’il en soit, je n’ai pas
senti d’antisémitisme à notre
égard durant la manifestation. Au
contraire, les échanges que nous
avons eus et les réactions des
participants sont plus que positifs. Certes, la portée de notre action est minime mais elle est essentielle.
Je suis convaincue que la première étape de l’énorme travail
de pédagogie politique qui reste
à faire, c’est justement de participer à ces manifestations en choisissant évidemment la bannière
derrière laquelle on marche. ■
février 2009 * n°293 • page 41
courrier des lecteurs
À propos de la manifestation du 11 janvier contre l’opération israélienne à Gaza
Malgré les difficultés qu’ont
rencontrées certains à nous rejoindre,
nous nous sommes retrouvés
finalement à une septantaine
derrière la nouvelle banderole de
l’UPJB (qui manque de bâtons !) lors
de la manifestation du dimanche 11
janvier, contre l’action militaire menée
par Israël dans la bande de Gaza.
Je ne reviendrai pas ici sur le fond du
problème. Les positions de l’UPJB
sont claires et je les soutiens sans
réserves.
Je voudrais plutôt réagir face à ceux
qui nous reprochent d’avoir participé
à cette manifestation.
Il est vrai qu’il n’était ni simple ni
évident d’y être. Même si les mots
d’ordre officiels étaient justes, et
même s’ils étaient très majoritairement
respectés, il n’empêche qu’il est
toujours difficile d’être confrontés
aux slogans simplistes, pratiquant
l’amalgame entre l’étoile de David
appartenant au drapeau israélien,
et celle étant le signe distinctif
d’une communauté. C’est encore
plus difficile quand ces ambiguïtés
servent à faire des parallèles avec le
nazisme et le génocide des Juifs.
Même si, et je tiens à le répéter, ces
panneaux étaient très minoritaires,
ils étaient bien présents.
On pouvait aisément les repérer et
le caractère clairement antisémite
de certains d’entre eux était plus
qu’évident.
Nous savions que nous serions
confrontés à cette triste réalité.
Fallait-il pour autant s’abstenir d’être
présents ? Je ne le pense pas.
En tant que citoyen, en tant que
Juif, il m’a semblé essentiel de dire
par ma présence ma révolte face au
massacre de populations civiles à
Gaza.
Aurait-il fallu, parce que Juif, être
plus prudent, moins m’afficher
publiquement, étant donné que
certains se trompent dans leurs
colères ou que d’autres profitent
délibérément de ces rassemblements
pour distiller leur haine antisémite ?
C’est par notre présence, au
contraire, que nous affirmons notre
refus de nous laisser enfermer dans
ces amalgames, tant ceux décrits cidessus, que ceux au nom desquels
on attendrait de nous, parce que
Juifs, une solidarité de fait avec
Israël, ou, au minimum, un devoir de
réserve.
On peut ne pas être d’accord avec les
positions que l’UPJB défend. Toutes
les positions sont respectables. Y
compris la nôtre, d’ailleurs !
Mais je trouve aberrant qu’on nous
reproche de les affirmer publiquement
sous prétexte que d’autres tiennent
des propos racistes et antisémites.
Notre présence à la manifestation
ne les cautionne en rien, bien au
contraire.
Comme les plus de trente milles
manifestants présents ne cautionnent
en rien les débordements violents de
fin de parcours.
De nombreuses personnes nous
applaudissaient, nous remerciaient
d’être là, nous félicitaient « pour notre
courage ».
Pour ma part, je ne vois pas dans
ma présence à cette manifestation
l’expression d’un quelconque courage.
J’y vois plus l’expression d’une
cohérence entre un positionnement
février 2009 * n°293 • page 42
politique et un lieu public où j’ai
l’occasion de l’exprimer.
Le Centre pour l’Égalité des Chances
a été saisi pour porter plainte contre
les slogans négationnistes et
antisémites. Tant mieux.
Pour ma part, ceux-ci ne réussiront
jamais à m’empêcher d’exprimer où
et quand je le désire ce que j’estime
juste de dire publiquement, en tant
que citoyen et en tant que Juif.
Jacques Ravedovitz
est le mensuel de l’Union des
progressistes juifs de Belgique
(ne paraît pas en juillet et en
août)
L’UPJB est membre de la
Fédération des Juifs européens
pour une paix juste
(www.ejjp.org) et est soutenue
par la Communauté française
(Service de l’éducation
permanente)
Secrétariat et rédaction :
rue de la Victoire 61
B-1060 Bruxelles
tél + 32 2 537 82 45
fax + 32 2 534 66 96
courriel [email protected]
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Comité de rédaction :
Henri Wajnblum (rédacteur
en chef), Alain Mihály
(secrétaire de rédaction), Anne
Gielczyk, Carine Bratzlavsky,
Jacques Aron, Willy
Estersohn, Sender Wajnberg,
Manuel Abramowicz,
Caroline Sägesser, Tessa
Parzenczewski.
Ont également collaboré à ce
numéro :
Roland Baumann
Didier Buch
Jo Dustin
Mehmet Koksal
Léon Liebmann
Gérard Preszow
Noémie Schonker
Michel Staszewski
Conception de la maquette
Henri Goldman
L’UPJB à la manifestation du 11 janvier. Photo Points critiques
Seuls les éditoriaux engagent
l’UPJB.
Abonnement annuel
18 EURO
Abonnement de soutien
30 EURO
Devenir membre de l’UPJB
Les membres de l’UPJB
reçoivent automatiquement
le mensuel.
Pour s’affilier : établir un ordre
permanent à l’ordre de l’UPJB
(CCP 000-0743528-23).
Montant mensuel minimal:
10 EURO pour un isolé, 15 EURO
pour un couple.
février 2009 * n°293 • page 43
agenda UPJB
Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB,
61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)
vendredi 6 février à 20h15
Projection de « Yiddish pour le futur », un film d’Alexandre Wajnberg et conférence-débat
avec Alexandre Wajnberg
Wajnberg et Alain Mihály (voir page 30)
vendredi 13 février à 21h
« Soirée - Lokshen ». « La Commission centrale de l’Enfance », un spectacle de
David Lescot. Restauration à partir de 19h (voir page 31)
samedi 14 février à 20h15
« Comment le peuple juif fut inventé ».
» Conférence-débat avec Shlomo Sand, historien
(voir pages 16 et 32)
mercredi 25 février à 2Oh15
Une rencontre avec Giorgio Pressburger, écrivain et Marguerite Pozzoli, sa traductrice et
responsable du domaine italien aux Éditions Actes Sud (voir page 33)
vendredi 27 février à 20h15
Le Kibboutz : mythe et réalité. Conférence-débat avec Rina Cohen, historienne
(voir page 34)
vendredi 6 mars à 20h15
Les chantiers d’été de restauration de cimetières juifs anciens. Conférence-débat avec
Philippe Pierret, conservateur au Musée juif de Belgique (voir page 35)
vendredi 13 mars à 20h15
Et en plus, il faut les éduquer. Conférence-débat avec Jacques Ravedovitz, psychothérapeute (voir page 36)
vendredi 27 mars à 20h15
Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles
Une rencontre avec François Mathieu, auteur et traducteur littéraire (voir page 36)
club Sholem Aleichem
Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de
l’UPJB tous les jeudi à 15h. (Ouverture des portes à 14h30.)
jeudi 5 février
« L’aide aux sans-abri » par Anne Herscovici, directrice du Centre d’appui au secteur de
l’aide aux sans-abri de Bruxelles (La Strada)
jeudi 12 février
« Conflits civils : aide humanitaire et/ou aide au développement ? » par
Madame Guha - Sapir, professeur à l’UCL, spécialiste en épidémiologie.
jeudi 19 février
L’actualité politique belge et internationale analysée par Léon Liebmann, magistrat
honoraire.
jeudi 26 février
« Viols et violences sexuelles dans la province du Kivu (République Démocratique du
Congo) » par Mado Chideka, coordinatrice de l’Axe Femme et Développement de l’ASBL
Impact-Sud.