Le casse-tête - Cabinet d` Avocat

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ÉTUDES ET COMMENTAIRES
C
CHRONIQUES
/
Douane
Le casse-tête du remboursement des droits de douanes
par Jean Pannier, Docteur en droit, avocat à la cour de Paris
La perception des droits de douane et des taxes assimilées n’échappe pas au risque d’erreurs et ouvre droit à la répétition de l’indu comme dans d’autres matières fiscales. A ceci
près qu’ici s’entrechoquent des règles de droit civil et de droit douanier national et communautaire interprétées par les juridictions nationales et la Cour de justice des Communautés européennes (aujourd’hui CJUE).
L’essentiel >
2
La complexité du tarif des douanes et des différents régimes
douaniers rend souvent nécessaire le recours à la Commission
de conciliation et d’expertises douanières (CCED) à qui l’on
reproche parfois de ne pas publier ses décisions pour une meilleure information d’autres opérateurs qui vont se heurter aux
mêmes difficultés d’interprétation du tarif 1.
Dans bien des situations, du fait de cette complexité, se posera
le problème du paiement de l’indu en raison des erreurs qu’aurait commises la douane lors de la liquidation des droits. De
fait, des hésitations s’instaurent quotidiennement concernant
l’origine, l’espèce et la valeur en douane - critères qui déterminent la position tarifaire applicable - même si des progrès
appréciables ont pu être enregistrés au fil du temps.
En matière douanière, les procédures de remboursement (ou
de remise lorsqu’il n’y a pas eu perception) sont aléatoires et
souvent conséquentes, mais aboutissent encore trop rarement
compte tenu du parcours du combattant qui leur est infligé
tant par la réglementation nationale et communautaire que par
la jurisprudence.
A l’origine, la législation de la plupart des Etats membres de la
CEE laissait à leur administration des douanes un large pouvoir d’appréciation qui se traduisait par des mesures de portée
limitée. En pratique, n’aboutissaient que les demandes de remboursement basées sur des erreurs manifestes. Par la suite,
sous l’impulsion d’une recommandation formulée en 1957 par
le Conseil de coopération douanière, plusieurs Etats optèrent
pour des dispositions plus libérales. C’est en 1979 que la
Communauté mit en place un nouveau régime de remboursement dont les dispositions furent codifiées sous les articles 235
à 242 du code des douanes communautaire. Il fut suivi d’un
règlement n° 2454/93 (art. 877 à 909). Ce texte énumère les
différentes situations pouvant justifier un remboursement et
en précise les modalités. La France a étendu cette réglementation communautaire aux taxes fiscales et parafiscales, dont la
TVA, à l’exception de certaines taxes qui demeurent soumises
à des modalités de remboursement particulières (pour les produits pétroliers notamment).
La marge de manœuvre de la France, en pareille matière, est
par définition soumise au cadre communautaire.
I - Le cadre communautaire
Bien avant que soient édictées les règles communautaires spécifiques permettant le remboursement des droits et taxes payés
indument, la Cour de justice avait édicté le principe selon
lequel lorsqu’une personne a payé une taxe ou une redevance
contraire au droit communautaire – par exemple une taxe d’effet équivalent interdite par l’article 25 du traité CE - elle était
en droit d’en obtenir restitution 2.
En matière douanière, même si le principe de la répétition de
l’indu est fixé par le code civil, la source éminente découle de
la jurisprudence de la Cour de justice qui, tout en posant le
(1) C.-J. Berr, A propos d’un quarantième anniversaire. Réflexions sur la Commission de conciliation et d’expertise douanière, D. 2009. 828.
(2) CJCE 16 déc. 1960, Humblet, aff. 6/60, Rec. CJCE p. 1125.
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principe du droit au remboursement des sommes versées en
violation du droit communautaire, précise que les actions
diligentées à cette fin obéissent aux règles de procédure
nationales 3.
C’est l’expression du principe de l’autonomie procédurale des
Etats membres. En vertu de ce principe, il appartient à chaque
Etat membre de déterminer les délais de recours des actions en
répétition de l’indu et de décider si les sommes restituées
devront ou non être assorties d’intérêts de retard. Il résultait
de ce système d’autonomie procédurale une source d’inégalité
entre les opérateurs des différents Etats membres.
Un règlement n° 1430/79 relatif au remboursement ou à la
remise des droits à l’importation ou à l’exportation intervint
avant l’entrée en vigueur du code des douanes communautaire
(fixée au 1er janv. 1994). Mais la Cour décida « que ses dispositions ne sont pas applicables dès lors qu’une demande de remboursement de droits à l’importation a été présentée par un
importateur à l’autorité compétente d’un Etat membre postérieurement à l’entrée en vigueur de ce règlement pour des
droits acquittés antérieurement à celle-ci » 4.
On pouvait s’attendre, s’agissant d’intérêts budgétaires, à ce
qu’une prescription relativement courte vienne limiter la possibilité d’obtenir le remboursement de sommes réclamées
indument par les douanes. L’article 236 du code des douanes
communautaire dispose que le remboursement ou la remise
des droits à l’importation ou des droits à l’exportation est
accordé sur demande déposée auprès du bureau de douane
concerné avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de
la date de la communication desdits droits au débiteur.
Toutefois, aucun remboursement ni remise n’est accordé lorsque les faits ayant conduit au paiement ou à la prise en compte
d’un montant qui n’était pas légalement dû résultent d’une
manœuvre de l’intéressé. De même, précise la Cour, l’article
236 ne permet pas de procéder au remboursement de droits à
l’importation lorsque, après l’acceptation d’une déclaration en
douane complète par l’autorité douanière et la mise en libre
pratique de la marchandise, le déclarant présente un certificat
d’authenticité en vertu duquel ladite marchandise aurait pu, si
le certificat avait été présenté avec la marchandise, bénéficier
d’un traitement tarifaire favorable. En effet, si, en raison du
fait que le certificat d’authenticité n’a pas été présenté avec la
marchandise, les droits à l’importation sont perçus sans qu’il
puisse être tenu compte d’un quelconque traitement tarifaire
favorable, ces droits sont dus au sens de l’article 236, § 1, et ne
peuvent donc pas être remboursés en application de cette disposition.
Mais, la circonstance qu’un remboursement ou une remise de
droits est exclu en raison du fait qu’une des conditions légales
prévues pour ce remboursement ou cette remise n’est pas remplie ne s’oppose pas, par elle-même, à un remboursement ou à
une remise des mêmes droits sur le fondement des articles 239,
§ 1, du code des douanes communautaire et 905, § 1, du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993,
à condition toutefois que les conditions légales pour l’application de ces derniers articles soient remplies.
Des éléments, « susceptibles de constituer une situation particulière qui résulte de circonstances n’impliquant ni manœuvre
ni négligence manifeste de la part de l’intéressé », existent
lorsque, à la lumière de la finalité d’équité qui sous-tend l’article 239, des éléments qui sont susceptibles de mettre le demandeur dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres
opérateurs économiques exerçant la même activité sont
constatés. Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier,
sur la base de ce critère, si des éléments susceptibles de constituer une telle situation particulière existent, nécessitant l’examen du dossier par la Commission 6.
Les règles du droit communautaire relatives à la répétition de
l’indu doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent
(3) CJCE 16 déc. 1976, Rewe, aff. 33/76, Rec. CJCE p. 1989. (4) CJCE 9 nov. 1989, aff. 386/87, Rec. CJCE p. 03551. (5) CJCE 29 juin 1988, aff. C240/87, Rec. CJCE p. 3513. (6) CJCE 27 sept. 2001, aff. C- 253/99, D. 2002. 40.
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La Cour de justice l’a donc assorti de deux correctifs importants : d’abord, elle impose que les règles de procédure en
vigueur dans les Etats membres ne soient pas moins favorables
pour les recours fondés sur le droit communautaire que pour
les recours de même nature fondés sur le droit interne.
Ensuite, la Cour pose en principe que lesdites règles de procédure ne doivent pas aboutir à rendre les recours pratiquement
impossibles. Ainsi, la Cour a-t-elle décidé, à propos de la taxe
différentielle sur les véhicules à moteur qu’elle a d’ailleurs
jugée contraire à l’article 95 du traité CE, que les juridictions
françaises ne pouvaient appliquer le délai de forclusion de deux
ans dès lors que le délai de recours de droit commun selon la
jurisprudence de la Cour de cassation en vigueur à cette époque était de trente ans. « Un législateur national ne peut adopter, postérieurement à un arrêt de la Cour dont il résulte
qu’une législation déterminée est incompatible avec le traité,
de règle procédurale réduisant spécifiquement les possibilités
d’agir en répétition des taxes qui ont été indument perçues en
vertu de cette législation. Il appartient à la juridiction nationale d’examiner si la disposition contestée réduit les possibilités d’agir en répétition qui auraient existé en son absence » 5.
Ce délai est prorogé si l’intéressé apporte la preuve qu’il a été
empêché de déposer sa demande dans ledit délai par suite d’un
cas fortuit ou de force majeure. C’était un grand progrès par
rapport à l’arrêt précité de la Cour de justice du 9 novembre
1989 qui admettait que, en l’absence d’une réglementation
communautaire applicable, les principes généraux du droit
communautaire ne s’opposent pas aux dispositions de la législation nationale d’un Etat membre qui prévoient un délai de
prescription impératif, exclusif de toute prise en considération
de la force majeure, de trois ans pour toute demande de remboursement de droits indûment perçus.
à une réglementation nationale qui refuserait, ce qu’il appartient au juge national de vérifier, le remboursement d’une taxe
incompatible avec le droit communautaire au seul motif que
celle-ci a été répercutée sur les tiers, sans exiger que soit établie la mesure de l’enrichissement sans cause qu’engendrerait
pour l’assujetti le remboursement de cette taxe. Le principe
d’effectivité s’oppose à une législation ou à une pratique administrative nationales qui rendent impossible en pratique ou
excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre
juridique communautaire, en instaurant une présomption
d’enrichissement sans cause à partir du seul fait de la répercussion de la taxe sur des tiers 7.
La Cour de justice considère que manque aux obligations lui
incombant en vertu du traité un Etat membre qui maintient en
vigueur une législation relative au remboursement de taxes
indirectes perçues en violation de règles communautaires, qui
exclut ce remboursement en cas de répercussion des taxes sur
des tiers, et qui est interprétée et appliquée par
l’Administration et une part significative des juridictions, y
compris la juridiction suprême nationale, d’une manière telle
que l’exercice du droit au remboursement est rendu excessivement difficile pour le contribuable 8.
4
Les articles 78 et 236 du règlement n° 2913/92 doivent être
interprétés en ce sens que :
- après l’octroi de la mainlevée de marchandises importées, les
autorités douanières, saisies d’une demande du déclarant tendant à la révision de sa déclaration en douane relative auxdites
marchandises, sont tenues, sous réserve d’un recours juridictionnel, soit de rejeter la demande par décision motivée, soit de
procéder à la révision sollicitée ;
- lorsqu’elles constatent, à l’issue de la révision, que la valeur
en douane déclarée comprenait par erreur une commission
d’achat, elles sont tenues de rétablir la situation en procédant
au remboursement des droits à l’importation appliqués à cette
commission 9.
A propos d’un droit anti-dumping institué sur les importations
de linge de lit en coton originaires d’Egypte, d’Inde et du
Pakistan, la Cour de justice décide que ce droit est invalide
dans la mesure où le Conseil de l’Union européenne a appliqué, aux fins de la détermination de la marge de dumping
concernant le produit visé par l’enquête, la méthode de la
« réduction à zéro » des marges de dumping négatives pour
chacun des types de produits concernés.
ces droits conformément à l’article 236, § 1, du code des
douanes communautaire 10.
Une situation particulière au sens de l’article 239 du règlement
nº 2913/92 établissant le code des douanes communautaire est
établie lorsqu’il ressort des circonstances de l’espèce que le
redevable se trouve dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs exerçant une même activité et que,
en l’absence de ces circonstances, il n’aurait pas subi le préjudice lié à la prise en compte a posteriori des droits de douane.
Le contrôle déficient de la part de la Commission de l’application correcte d’un accord d’association peut constituer une
telle situation particulière. Afin de déterminer si les circonstances d’une affaire déterminée sont constitutives d’une telle
situation particulière, la Commission doit apprécier l’ensemble des données de fait pertinentes. Il s’ensuit que si la
Commission jouit d’une marge d’appréciation en ce qui
concerne l’application de l’article 239 du code des douanes
communautaire, elle ne saurait faire abstraction de son devoir
de mettre effectivement en balance, d’une part, l’intérêt de la
Communauté au plein respect des dispositions de la réglementation douanière, qu’elle soit communautaire ou liant la
Communauté, et, d’autre part, l’intérêt de l’importateur de
bonne foi à ne pas supporter des préjudices dépassant le risque
commercial normal.
Ainsi, lors de l’examen d’une demande de remboursement ou
de remise des droits à l’importation, la Commission ne saurait
valablement se contenter d’évaluer le comportement et les
agissements de l’importateur et de l’exportateur, mais doit également tenir compte, notamment, de l’incidence de son propre
comportement, sur la situation concrète de l’espèce, dans le
cadre de son devoir de surveillance et de contrôle.
Dès lors que, dans un cas déterminé, la Commission n’a pas
fait pleinement usage des prérogatives de surveillance et de
contrôle dont elle dispose dans le cadre dudit accord d’association en vue d’en assurer l’application correcte, son manquement est constitutif d’une situation particulière au sens de l’article 239 du code des douanes communautaire justifiant le
remboursement ou la remise des droits à l’importation perçus
sur le fondement de certificats soit inauthentiques soit irréguliers 11.
II - Le régime français de remboursement
Un importateur tel que celui en cause au principal, qui a
introduit devant une juridiction nationale un recours dirigé
contre les décisions par lesquelles la perception de droits antidumping lui est réclamée en application du règlement
n° 2398/97, déclaré invalide en vertu du présent arrêt, est, en
principe, en droit de se prévaloir de cette invalidité dans le
cadre du litige au principal pour obtenir le remboursement de
L’article 352 du code des douanes national prévoit également
un délai de prescription de trois ans « après l’époque que les
réclamateurs donnent aux paiements des droits, dépôts des
marchandises et échéances des loyers ». Mais l’article suivant,
352 bis, est beaucoup plus restrictif en précisant que lorsqu’une
personne a indûment acquitté des droits et taxes nationaux
(7) CJCE 2 oct. 2003, aff. C-147/01, RTD eur. 2005. 711, obs. Berlin ; D. 2003. 2606. (8) CJCE 9 déc. 2003, aff. C-129/00, RTD eur. 2004. 200, note
Z. Peerbux-Beaugendre, et 283, étude A.-S. Botella. (9) CJCE 20 oct. 2005, aff. C- 468/03. (10) CJCE 27 sept. 2007, aff. C- 351/04. (11) CJCE
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recouvrés selon les procédures du code des douanes, elle peut
en obtenir le remboursement, à moins que les droits et taxes
n’aient été répercutés sur l’acheteur.
La répétition de l’indu étant une institution commune au droit
privé et au droit public internes, la Cour de cassation considère
que l’administration des douanes est tenue au paiement des
intérêts au taux légal à compter de l’assignation par laquelle
était formée une demande de remboursement de taxes qu’elle
avait perçues par erreur 12.
Dès lors que la position tarifaire déclarée par le commissionnaire en douane est reconnue erronée, les droits acquittés ne
sont pas légalement dus, peu important que le paiement ait
pour origine l’erreur commise par le déclarant 13.
Les intérêts sont dus, conformément à l’article 378 du code
civil, à compter de chaque perception indue 14.
Une loi du 30 décembre 1991 a ajouté au code des douanes un
article 352 ter aux termes duquel, lorsque le défaut de validité
d’un texte fondant la perception de droits ou taxes de douane
a été révélé par une décision juridictionnelle, l’action en restitution ne peut porter, sans préjudice des dispositions de l’article 352 bis, que sur la période postérieure au 1er janvier de la
troisième année précédant celle au cours de laquelle cette
décision est intervenue.
La décision juridictionnelle, au sens de l’article 352 ter du code
des douanes, doit, dans les matières soumises à la compétence
de l’ordre judiciaire, avoir été rendue par la CJCE ou par la
Cour de cassation et non par une cour d’appel 16.
L’opérateur, qui estime avoir payé des sommes trop importantes, peut solliciter la remise des droits à l’importation ou à l’exportation auprès de la Commission des Communautés, via
l’administration des douanes. Cette requête se fonde sur l’article 239 du code des douanes communautaire qui autorise le
remboursement de telles sommes dans certaines situations,
notamment lorsque « n’est constatée ni manœuvre ni négligence de la part de l’intéressé ». Le dossier est transmis à la
Commission qui décide alors du bien-fondé de la demande.
Dans l’hypothèse d’une réponse négative, l’opérateur peut
exercer un recours devant le Tribunal de première instance des
Communautés européennes.
La Commission ayant rejeté la demande le 20 décembre 2002,
les sociétés exercèrent un recours en annulation devant le
Tribunal de première instance des Communautés, recours
pendant lorsque la cour d’appel de Poitiers se prononça le 28
mai 2004. Cette cour décida alors de surseoir à statuer sur l’appel de l’Administration au motif principal que l’enjeu financier
est si important qu’il convient de différer la décision afin d’éviter des effets désastreux sur la trésorerie des entreprises
concernées. L’administration des douanes forma un pourvoi en
cassation en se fondant sur l’article 242 TCE selon lequel « les
recours formés devant la CJCE n’ont pas d’effet suspensif.
Toutefois, la Cour de justice peut, si elle estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution de l’acte
attaqué », ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce.
L’arrêt fut cassé le 22 septembre 2004 sur ce fondement. Le
pourvoi doit en effet être accueilli dès lors que la disposition
conventionnelle a été violée et la cour d’appel, qui n’était pas
saisie de la demande de remise des droits éludés, avait pour
unique mission de se prononcer sur l’existence de ces droits 17.
Autrement dit, note Bernadette Aubert dans sa chronique
annuelle sur l’application du droit communautaire par les juridictions internes : « on peut avoir une décision nationale qui
exige le versement d’une réparation civile et une décision du
Tribunal de première instance qui en accorde la remise. Peuton sérieusement considérer que les deux procédures sont
étrangères l’une à l’autre ? La cour d’appel ne l’avait pas pensé.
Dans un souci de bonne administration de la justice, il lui avait
paru préférable de surseoir à statuer. Un tel « sursis d’opportunité » est censuré par la chambre criminelle 18.
La circonstance qu’un importateur n’a pas déposé de demande
de remise des droits par application de l’article 236 du code des
douane communautaire n’interdit pas à la juridiction répressive de faire application de l’article 220.2.b du même code
pour débouter l’administration des douanes de sa demande en
25 juill. 2008, aff. C- 204/04. (12) Com. 12 nov. 1986, Bull. civ. IV, n° 206. (13) Com. 14 janv. 2003, Bull. civ. IV, n° 6. (14) Com. 10 févr. 1987, Bull.
civ. IV, n° 39. (15) Com. 18 avr. 2000, Bull. civ. IV, n° 76 ; D. 2000. 144. (16) Com. 12 juill. 2005, Bull. civ. IV, n° 167. (17) Crim. 22 sept. 2004, Bull.
crim., n° 220 ; RSC 2005. 398, obs. B. Aubert, et 581, obs. H. Matsopoulou ; RTD com. 2005. 181, obs. B. Bouloc ; Gaz. Pal. Rec. 2005. Jur. 1205,
note A. C. (18) B. Aubert, obs. préc.
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La Cour de cassation précise qu’il résulte nécessairement de ce
texte que le redevable est recevable à demander, dans le délai
de trois ans courant à compter du prononcé de la décision juridictionnelle ayant révélé l’invalidité des droits perçus la restitution de ces droits dès lors que ceux-ci ont été acquittés
durant la période répétible définie par ce texte 15.
En l’espèce, après contrôle du service des douanes, l’importateur et le commissionnaire en douane furent poursuivis pour
importation sans déclaration de marchandises prohibées et
traduits devant le tribunal correctionnel. Les modifications
intervenues en droit communautaire depuis cette saisine
entraînèrent la renonciation aux poursuites pénales. Le tribunal correctionnel ne put que constater l’extinction de l’action
pénale ; en outre, il se déclara incompétent en ce qui concerne
les demandes civiles. Il faut rappeler que la relaxe d’un prévenu
d’infraction douanière laisse entière la question de la dette
douanière elle-même. L’Administration forma appel de cette
décision d’incompétence tandis que, devant la Commission de
Bruxelles, les sociétés intimées sollicitaient la remise des droits
éludés.
paiement des droits éludés 19. La Haute juridiction, note le
professeur Bouloc, a considéré que le délai de trois ans ne
concerne que l’Administration et ne peut être opposé au juge
qui a la plénitude de compétence pour en apprécier le bienfondé au regard des dispositions de l’article 220.2.b du code
des douanes communautaire 20.
On saluera la convergence de vue avec une décision de la
chambre commerciale de la Cour de cassation du 5 avril 2005
qui casse un arrêt de la cour d’appel de Douai du 30 septembre
2002, lequel considérait que l’erreur des « autorités compétentes » qui autorise le non-recouvrement des droits vise l’erreur
des autorités douanières des Etats membres et non celle des
autorités des Etats tiers. « En statuant ainsi, alors que la CJCE
a dit pour droit que les erreurs visées à l’art. 5, § 2, du règlement 1697/79 recouvrent toutes les erreurs d’interprétation
ou d’application des textes relatifs aux droits d’importation et
d’exportation qui n’ont pu être raisonnablement décelées par
le redevable, dès lors qu’elles sont la conséquence d’un
comportement actif soit des autorités compétentes pour le
recouvrement a posteriori, soit de celles de l’Etat d’exportation,
ce qui exclut les erreurs provoquées par des déclarations
inexactes du redevable, sous réserve des cas où l’inexactitude
de ces déclarations ne serait que la conséquence de renseignements erronés donnés par des autorités compétentes et liant
ces dernières, la cour d’appel a violé le texte susvisé » 21.
6
Le fait générateur de la créance de restitution de droits de
douane est le fait juridique à l’origine de l’obligation de restitution de ces droits par l’Administration et non la restitution
elle-même. La cour d’appel de Douai, pour accueillir la
demande relative aux droits de douane à restituer pour réexportation, avait retenu qu’une telle créance naissait lorsque
l’Administration, ayant calculé le trop-perçu, le restituait au
mandataire, la société en liquidation judiciaire, et que le droit
du mandant, la société créancière, naissait également à cette
date, puisque celle-ci justifiait que sa demande portait sur les
sommes correspondant au remboursement de droits sur des
biens réexportés postérieurement à l’ouverture du redressement judiciaire. L’arrêt est cassé pour violation des anciens
articles L. 621-24, L. 621-32 et L. 621-43 du code de
commerce 22 .
Mais, note le professeur Martin-Serf, ces solutions devraient
être quelque peu bousculées par la loi du 26 juillet 2005.
L’article L. 622-17, I, nouveau du code de commerce impose
de payer à l’échéance, ou avant toutes les autres créances, les
« créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture ». Encore leur faut-il passer l’épreuve du tri sélectif des
créanciers « méritants » ou « non méritants » selon l’expression maintenant consacrée pour désigner les créanciers postérieurs selon que leur créance est utile ou inutile, c’est-à-dire plus juridiquement - selon qu’elle est née ou non « pour les
besoins du déroulement de la procédure ou de la période
d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au
débiteur, pour son activité professionnelle, pendant cette
période ». C’est à cette épreuve que risque d’échouer le créancier de la restitution de droits de douane et le créancier de
restitution d’un dépôt de garantie. Le fait générateur d’une
créance de restitution ne satisfait guère en effet au critère
téléologique, ajouté au critère chronologique et à la condition
de régularité par le nouvel article L. 622-17, I, du code de
commerce 23.
A. Lienhard estime que le débat se trouve largement vidé de
ses enjeux essentiels du moment que la nouvelle condition
téléologique posée par l’article L. 622-17 du code de
commerce devrait empêcher désormais les créances de restitution nées après le jugement d’ouverture de bénéficier du privilège de procédure, faute d’être utiles à cette dernière 24.
F. Vinckel exprime cependant un avis plus nuancé à propos
d’une décision de la chambre commerciale du 15 novembre
2005 25.
Enfin, la Cour de cassation rappelle qu’il appartient aux autorités douanières françaises de statuer sur la recevabilité d’une
demande de remise de droits présentée sur le fondement de
l’article 239, § 2, du code des douanes communautaire 26.
A noter que l’inadaptation du code des douanes communautaire due tant à ses conditions d’élaboration qu’à l’élargissement de l’Union a conduit la Commission européenne à adopter une proposition de code des douanes modernisé. Ce
nouveau code a été définitivement adopté par un règlement
(CE/Euratom) n° 450/2008 du Parlement et du Conseil du 23
avril 2008 dont l’entrée en vigueur, subordonnée à l’adoption
de nouvelles dispositions d’application, entrera en vigueur au
plus tard le 24 juin 2013. Le thème du remboursement
des droits et taxes est traité au chapitre 3 du titre II sous les
numéros 79 à 85.
(19) Crim. 9 mars 2005, Bull. crim., n° 84 ; D. 2005. 1529, note C.-J. Berr ; RSC 2005. 869, obs. D. N. Commaret ; RTD com. 2005. 621, obs. B.
Bouloc. (20) B. Bouloc, obs. préc., RTD com. 2005. 621. (21) Com. 5 avr. 2005, Bull. civ. IV, n° 82 ; D. 2005. 1112, obs. A. Astaix. (22) Com. 23 janv.
2007, Bull. civ. IV, n° 10 ; D. 2007. 448, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2007. 599, obs. A. Martin-Serf. (23) A. Martin-Serf, obs. préc. (24) A. Lienhard,
obs. préc. (25) F. Vinckel, LPA, 24 févr. 2006. 6 . (26) Com. 17 juin 2008, Bull. civ. IV, n° 121.
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