Naissance et premiers pas de l`industrie du charbon minéral aux

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Naissance et premiers pas de l`industrie du charbon minéral aux
Article : 030
Naissance et premiers pas de
l’industrie du charbon minéral
aux Etats-Unis
MARTIN-AMOUROUX Jean-Marie
oct.-15
Niveau de lecture : Facile
Rubrique : Histoire mondiale de l'énergie
A la veille de la Guerre de Sécession, en 1860, alors que l'Europe occidentale extrait déjà plus de
120 Mt de houille de son sous-sol, les États-Unis n'atteignent pas les 20 Mt1. Les gisements
d’anthracite, de charbon bitumineux et sous-bitumineux y abondent à l’est comme à l’ouest, mais ils
sont peu exploités jusqu’au milieu du 19e siècle. Les faiblesses de la densité démographique et de
l’industrialisation sont moins en cause que les richesses forestières, animales, éoliennes et
hydrauliques du Nouveau Monde qui rendent superfétatoire le développement de la production
charbonnière2. L’exploitation des mines de charbon, en outre, requiert des délais pour passer du
stade artisanal au stade industriel.
1. Un Nouveau Monde riche en sources d’énergie renouvelables
Lorsqu'ils fondent la Virginie en 1607, les colons anglais viennent de quitter un pays où le prix du
bois de feu a doublé en un demi-siècle sous l'effet de la déforestation [notice 028]. Quel contraste
avec la couverture forestière qu'ils découvrent sur l'autre rive de l'Atlantique « du Saint Laurent à la
Floride, des Carolines à l'Oklahoma. Des conifères, comme le pin blanc, le sapin et le mélèze ; des
arbres à feuille caduque, comme le bouleau, le chêne, l'érable. Plus au sud, le cyprès, le noyer, le
peuplier, le frêne... De quoi ravir les Anglais qui manquent de bois dans leurs îles »3. Surtout dans les
régions où la couverture forestière reste épaisse, « dans le Maine, la plus grande partie du New
Hampshire et du New York, de l'arrière pays de la Géorgie, du rivage atlantique de Wilmington au cap
Hatteras », « the forests had to disappear to make room for farms »4. Cette gratuité du bois va laisser
une marque indélébile sur la société étasunienne à travers des choix technologiques peu tournés
vers l'efficacité énergétique, dans tous leurs usages, au premier rang desquels le chauffage des
locaux.
1.1. Chauffage des habitations
Encore en 1850, la consommation estimée de bois dépasse les 100 Mt de cordes, soit plus de
90% de la consommation totale d'énergie5. Les 9/10ème de ce volume sont destinés au chauffage des
maisons, des églises ou des écoles, ainsi qu'à la fourniture de chaleur aux manufactures qui en ont
besoin (séchage du tabac, fumage de la viande) et dont la plupart sont installées dans les campagnes.
Environ 75% de ce bois est brûlé dans des foyers ouverts (open hearths) qui servent aussi à la
cuisson des aliments et au chauffage de l’eau. Pour fournir la chaleur à laquelle les habitants de
1
Tout au long de cette notice, les données en short tons (st) ont été converties en tonnes métriques (tm) sur la
base d’1 st = 0,907 tm.
2
Woytinsky W and Woitinsky S. in World population and world production. Trends and outlook. New York :
The Twentieth Century Fund, 1 268 p (p. 312) font un parallèle entre les sociétés primitives à qui la nature
fournit tout ce dont elles ont besoin et les premiers colons du Nouveau Monde, entourés d’un mur de forêts et
abattant les arbres qui s’opposaient à l’extension de leurs activités.
3
Kaspi André (1986). Les Américains. Tome I, Naissance des Etats-Unis, 1607-1945. Paris : Seuil, 339 p, (pp.
38 et 64).
4
Schurr Sam H. and Netschert Bruce C (1960). Energy in the american economy, 1850-1975. An economic study
of its history and prospects. Baltimore : The Johns Hopkins Press, 774 p, (p. 50).
5
Le « cord » n'est pas une mesure précise mais équivaut à une quantité de bois coupé dont la pile mesure 4x4x8
pieds. Schurr Sam H. and Netschert Bruce C. Energy, op. cit, p 47.
l'époque sont habitués, ces foyers consomment en moyenne 17,5 cordes de bois par an, soit
l'équivalent de 2,5 tonnes de charbon par personne. Entre 1810 et 1840, ils sont cependant
remplacés peu à peu par des poêles (heating stove), d’abord dans les lieux publics puis dans l’habitat
familial lorsque sont installés des tubes de cheminée. A l'origine de ce changement, la diffusion de la
nouvelle technique et l'intérêt qu'elle suscite au moment où la croissance des distances entre habitat
et ressources forestières commence à renchérir la chaleur tirée du bois.
Avec l'immigration, les poêles étaient connus en Amérique car les Hollandais, installés à New
Amsterdam, en construisaient en briques depuis le 17e siècle, tandis que les Allemands et les
Scandinaves avaient apporté avec eux des poêles en fonte au cours du XVIIIe siècle6. Ces nouveaux
moyens de chauffage présentaient plusieurs avantages : le passage contrôlé de l’air sur le
combustible assurait une efficacité plus grande ; la place centrale du poêle dans la pièce autorisait
un plus grand confort des occupants ; le confinement de la cendre dans le poêle facilitait la propreté
de l'habitat. Pourquoi, avec de tels avantages, la nouvelle technique était-elle si peu attractive que le
« Pennsylvania » de Benjamin Franklin avait été un échec commercial ? La réponse des historiens
selon laquelle l’open hearth était trop anglais pour être abandonné ne satisfait pas Ruth Schwartz
Covan qui met en avant le coût élevé des poêles fabriqués en fonte, loin des lieux d’utilisation, la
croyance en leur insalubrité parce non alimentés en air frais, la nécessité initiale de les doubler pour
la cuisson des aliments. Toutes ces raisons paraissent crédibles, mais une autre a probablement
aussi joué : contrairement à celle de la cheminée ouverte, l'alimentation du poêle exigeait de couper
le bois en petites buches, soit un travail supplémentaire dans un pays où la main d'œuvre était
particulièrement rare.
La nouvelle technique ne commencera à se diffuser qu'à partir de la fin des années 1820
lorsqu'un marchand new-yorkais, au lieu de fabriquer des poêles par assemblage de plaques (iron
plates), les fondra et en réduira le coût. Quarante ans plus tard, un tiers de la fonte produite servira
à la fabrication des poêles par 220 manufacturiers. Entretemps, l'appareil avait évolué par
différenciation entre moyens de cuisson et de chauffage, d’abord par adjonction au poêle d’un four
et d’une plaque de chauffage des ustensiles de cuisine puis par séparation entre la partie dédiée à la
cuisson qui s'était élargie au détriment de celle dévolue au chauffage des locaux. Surtout, le bois
était devenu plus cher sous l'effet de l'urbanisation qui interdisait un accès direct à la ressource.
Entre 1840 et 1860, la population qui ne vivait plus à la campagne était passée de 1,8 à 6,2 millions
d'habitants, soit de 10,8 à 19,8% de la population totale (tableau 1). Pour elle, le bois avait désormais
un prix qui rendait plus attrayante l'efficacité des moyens de chauffage et qui préparait la
substitution des combustibles minéraux aux combustibles végétaux.
6
Schwartz Covan Ruth. The consumption junction : a proposal for research strategies in the sociology of
technology (p. 261-280) in Bijker Wiebe E and others (1983). The social construction of technical systems.
Cambridge Mass. : The MIT Press, 405 p. L'auteure s'appuie sur son ouvrage More work for mother : the ironies
of household technology from the open hearth to the microwave. New York, 1983, 280 p. Dans cette étude, elle
cherche à comprendre comment une insertion dans des réseaux oriente le choix d'un groupe de consommateurs
entre des technologies concurrentes.
Tableau 1 : Populations totale et urbaine 1840-1910
Popula
Popula
Taux
tion totale tion
d’urbanisation
(M)
urbaine
(%)
(M)
1790
4.0
1840
17.1
1.8
10.8
1850
23.2
3.5
15.3
1860
31.4
6.2
19.8
1870
38.6
9.9
25.7
1880
50.2
14.1
28.2
1890
62.4
22.1
35.4
1900
76.0
30.2
39.7
1910
92.0
42.0
45.7
Sources : Woytinsky W.S., op. cit. p. 124. M = million
1.2. Chaleur et force motrice dans l’industrie et les transports
Devenir une source d'énergie mécanique à travers la chaleur que sa combustion fournit à la
machine à vapeur a été encore plus difficile pour le charbon du Nouveau Monde. D'un côté, les
cours d'eau abondent au bord desquels peuvent être installés des moulins à eau et des turbines
hydrauliques capables de fournir la plus grande partie de l’énergie mécanique des « usines toujours
situées près des chutes d’eau » jusqu'au milieu du XIXe siècle7. D'un autre, les prairies sont
suffisamment étendues pour élever tous les bœufs et chevaux nécessaires à la traction animale des
labours et des transports locaux de personnes ou de marchandises. En outre, lorsque la moderne
machine à vapeur commence à concurrencer toutes ces sources d'énergie mécanique au cours de la
première moitié du siècle, elle ne détrône pas les sources renouvelables puisque son principal
combustible demeure le bois. « The first engines on steam-boats and the first locomotives were fired
with wood »8. Plusieurs décennies vont s'écouler avant que la machine à vapeur s'impose puis que
soit choisi le charbon minéral pour lui procurer la chaleur nécessaire.
Tout démarre avec la navigation fluviale puisque c'est le 17 août 1807 que Robert Fulton
remonte l'Hudson, de New York à Albany, en 32 heures, avec un bateau à aube mu par une machine
à vapeur alimentée au bois. Bien d'autres suivront deux décennies plus tard lorsque débutera l'ère
des canaux avec la jonction d'Albany à Buffalo puis l'essor du transport fluvial notamment sur l'Ohio
et le Mississipi qui reliaient les Grands Lacs à la Nouvelle Orléans.
L'arrivée du chemin de fer prolonge cette trajectoire technologique. Le Baltimore & Ohio (B&O),
inauguré en janvier 1830, est tiré par des chevaux car sa construction a précédé la réalisation en
1830 de la première locomotive à vapeur de Robert Stephenson en Angleterre. Il en va de même du
Boston & Worcester lancé en 1831 dans le cadre d’une réglementation calquée sur celle des routes à
péage : la voie ferrée est ouverte à toute entreprise capable de mettre des wagons et des chevaux
sur les rails. Les liaisons sont courtes (moins de 60 miles) et gérées par des compagnies privées, le
plus souvent en coopération avec les autorités locales, dans un cadre réglementaire relevant de
7
8
Kaspi André. Les Américains, op. cit, p. 139.
Schurr Sam H. and Netschert Bruce C. Energy, op. cit, p. 52.
chaque État, sans aucune intervention fédérale9. Très vite ces compagnies adoptent la traction à
vapeur par des locomotives d’abord importées d’Angleterre puis construites aux États-Unis sur plans
anglais, moyennant des adaptations aux spécificités du Nouveau Monde : rails plus légers, courbes
plus prononcées, pentes plus fortes et alimentation au bois. La « Tom Thumb » à chaudière (boiler)
verticale testée en 1830 par la B&O ou les « crab » à petites roues capables d’emprunter des courbes
de 400 pieds de rayon illustrent bien cette capacité d'adaptation que facilite la construction des
locomotives dans les ateliers de réparation des compagnies ferroviaires qui valorisent ainsi leurs
expériences.
Initialement méfiantes à l'égard de la machine à vapeur, les entreprises industrielles ne
l'adoptent que lorsqu'elles sont contraintes de se déplacer loin des sites ventés et des bords de
fleuve ou de rivière, ce qu'elles mettront du temps à réaliser. Même les fabriques textiles qui sont
techniquement les plus avancées à la fin des années 1830 utilisent la force hydraulique pour mouvoir
par des courroies en cuir des machines construites en bois10. A cette date, seules quelques grandes
manufactures localisées à Pittsburgh ressemblent à leurs homologues britanniques avec des
machines en fer mues par des machines à vapeur brûlant du charbon minéral parce qu’il est
abondant et bon marché dans cette région. En dépit de la révolution industrielle qu'Alfred Chandler
Jr situe au cours de la décennie suivante, Sam H. Schurr et ses collègues (tableau 2) estiment qu'en
1850 les 3,6 milliards de horsepower heure utilisés dans le pays proviennent encore pour 39% de la
force éolienne, pour 25% de celle des cours d'eau et pour 17% de celle des machines à vapeur
alimentées au bois, soit plus de 80% tirés de sources d'énergie renouvelables11. Si l'on ajoute à ces
utilisations, celle du bois transformé en charbon de bois (charcoal) nécessaire à une sidérurgie dont
50% de la production fait toujours appel à ce combustible, on comprend mieux les raisons de
l'émergence tardive du charbon minéral qui, jusqu'aux années 1870, peine à se frayer une place
entre les sources d'énergie renouvelables, dont le bois de feu (tableau 3).
Tableau 2 : Sources d’énergie mécanique 1850-1870
1850
1860
Hph
%
Hph
Vent
1.4
38.9
2.1
Eau
0.9
25.0
1.3
Bois
0.6
16.7
0.7
Charbo
0.7
19.4
1.8
%
35.6
22.0
11.9
30.5
1870
Hph
1.1
1.7
0.8
4.9
%
12.9
20.0
9.4
57.7
n
Total
3.6
100
5.9
100
8.5
100
Source. Schurr Sam H. and Netschert Bruce C. Energy, op. cit, p. 54. Les auteurs empruntent ces
estimations à Dewhurst J.F. and Associated (1955). America’s Needs and resources. A New Survey.
New York : The Twentieth Century Fund.
9
Salsbury Stephen (1988). The emergence of an early large-scale technical systems : the american railroad
network, in Mayntz Renate and Hughes Thomas P. The development of large technical systems. Frankfurt :
Campus Verlag, 299 p.
10
Chandler Jr Alfred D (1972). Anthracite Coal and the Beginnings of the Industrial Revolution in the United
States. Business History Review, n°2, summer, pp. 141-181, (p. 142). L'auteur y décrit le retard de l'industrie des
États-Unis au début des années 1830 en s'appuyant sur le McLane Report qui avait recensé l'équipement des
fabriques et manufactures d'une large partie de la côte Est.
11
Un hp est égal à 1,014 cheval vapeur ou 745,70 Watt ou 641,4 kcal/h. Une grande incertitude découle du taux
d'efficacité adopté pour convertir en volume de bois l'énergie délivrée par les machines à vapeur. Pour plus de
détails, voir la note de Shurr Sam (pp. 485-487) consacrée à cette question.
Tableau 3 : Consommation de bois de feu en 1879
1000
Y compris
cordes
charbon de bois
Usages domestiques
140 537
140 537
Chemin de fer
1 972
Navires à vapeur
788
Industrie minérale
625
Industrie manufacturière
1 856
Total
145 778
147 300
Source. Schurr Sam H. and Netschert Bruce C. Energy, op. cit, p. 53. Les auteurs empruntent ces
estimations à Sargent C.S. (1879). The Forests and the United States, Census of manufactures, vol. 9.
Governement Printing Office, p. 489.
2. Le berceau des Appalaches : des anthracites à l’est aux bitumineux à
l’ouest
Jusque dans les années 1830, la production de charbon minéral « was small, in absolute terms,
sporadic, and locally restricted »12. Ce combustible n'était pourtant pas un inconnu, ni des colons
dont la plupart venaient d'un pays, l'Angleterre, où il était brûlé de longue date, ni même des
autochtones puisque les Indiens Hopis, dans la région devenue l'État d'Arizona, en utilisaient pour
se chauffer et pour cuire leurs poteries aux alentours de l'an 1000 de notre ère. Plus tard, environ
100 000 tonnes avaient été extraites par les Espagnols dans cette même région. Au cours de la
période coloniale, quelques tentatives d'exploitation sur les bords du fleuve Illinois en 1679 n’avaient
pas dépassé le stade artisanal local13. Le minerai extrait vers 1740 dans le bassin de Richmond (Est
Virginie) avait d’abord été utilisé localement avant d’être expédié, plus tard et sans grand succès,
vers Philadelphie, New York et Boston. De petites quantités continuaient aussi à être
commercialisées le long du fleuve Monongahela, près de Pittsburgh. Ce manque d'intérêt pour les
ressources locales coexistait avec la poursuite d'importations de charbon anglais qui restait bon
marché car servant de ballast aux navires quittant l'Angleterre à vide pour y revenir chargés de
produits coloniaux.
Cette situation n'est pas du goût des « nationalistes » qui, dès la proclamation de l’Indépendance
en 1776, veulent faire de l'exploitation du bassin de Richmond l'emblème de la coupure de tout lien
avec l’ancienne puissance coloniale14. Les mines qui y sont ouvertes produisent quelques centaines
de milliers de tonnes au début du 19e siècle mais elles sont doublement handicapées. Leur besoin de
main d’œuvre, c.à.d. d’esclaves, entre en concurrence avec celui des plantations, surtout à l’époque
des récoltes ; les moyens de transport sont trop coûteux, y compris par barges sur la rivière James ou
le canal Kanawha. Quant aux gisements de bitumineux exploités autour de Pittsburgh, le coût élevé
de franchissement de la chaîne des Alleghanys ne leur permet pas d'atteindre les régions les plus
peuplées de la côte Est. L'avenir du charbon à cette date aurait été bien bouché sans l'accès aux
gisements d'anthracite du nord-est de Pennsylvanie (comtés de Schnylkill, Luzerne, Lackawanna,
Susquehanna).
Ce dernier est connu depuis que plusieurs gisements avaient été découverts entre 1762 dans la
vallée du Wyoming, 1775 près de Pittston, 1776-80 dans la région de Wilkes-Barre, 1790 à proximité
12
Schurr Sam H. and Netschert Bruce C. Energy, op. cit, p. 57-58.
Woytinsky W and Woitinsky S, World population, op. cit, p. 868.
14
Sean Patrick Adams. The US coal industry in the nineteenth. EH.net Encyclopedia, 11 p.
13
de Schnylkill. Certains d'entre eux, très faciles d'accès parce qu'affleurant le long du fleuve
Susquehanna, étaient exploités de façon artisanale, notamment pour alimenter un bas fourneau et
pour chauffer quelques habitations, mais les tentatives de commercialisation se heurtaient aux
réticences des habitants de Philadelphie pour ce type de combustible difficile à enflammer15. Les
quelques milliers de tonnes de stone coal extraites annuellement paraissaient sans avenir jusqu’à ce
que trois évolutions leur deviennent favorables après la deuxième guerre d’Indépendance de 1812 :
les importations de charbon anglais tombent de 400 000 tonnes en 1820 à moins de 100 000 tonnes
en 1837 ; avec l’aide de sociétés savantes, une campagne de promotion de l’anthracite est lancée ;
des aménagements de canaux et de nouveaux moyens de transport sont mis en place avec la Lehigh
Coal and Navigation Company (1820), la Schuylkill Navigation Company (1825) et la Delaware and
Hudson (1829). La première de ces trois compagnies s'est en effet lancée, sous le nom de Lehigh Coal
Mining Company, dans une exploitation industrielle qui débouche en 1840 sur une production
d'anthracites de Pennsylvanie proche du million de tonnes. Outre le chauffage des ménages urbains,
ce combustible alimente les locomotives de la Lackawanna Railroad qui fait de leur utilisation propre
et efficace son principal argument publicitaire.
Au cours des mêmes années 1830, la production des charbons bitumineux de l’Ohio et du
Maryland commence aussi à approvisionner le sud-est du pays, de Baltimore à Saint Louis, via des
transports sur l’Illinois, le Missouri et le Mississipi. Les débouchés restent cependant étroits si l'on en
croit l'exploitant d'un gisement près du fleuve Warrior qui se plaint en 1840 de ne pouvoir écouler sa
production : « In Mobile (Alabama), nobody would buy the coal »16. Au cours de la décennie suivante,
un expert confirme, à propos de la région allant de Cincinnati à la Nouvelle Orléans, que les navires,
les locomotives et les maisons sont presque entièrement alimentées en bois, que peu de villes sont
éclairés au gaz, que les manufacturiers ne peuvent pas trouver les quantités de charbon qu'ils
pourraient consommer, qu'il manque des dépôts et des moyens de transport de ce combustible alors
que l'on peut se procurer du bois à n'importe quel coût.
A l'origine, les entreprises charbonnières sont petites et labor intensive car un mineur
expérimenté ou un solide laboureur peut facilement extraire plusieurs tonnes de charbon par jour
des veines superficielles de Virginie ou de l'est de Pennsylvanie. La tâche est particulièrement aisée
lorsque certaines affleurent la pente d'une colline, comme sur les rives du Monongahela où les
mineurs extraient le charbon à la pioche puis, à l'aide d'une brouette, le chargent sur des barges. Ces
petites entreprises appartiennent le plus souvent à des individus qui ont loué le terrain pour 5 à 10
ans à un grand propriétaire terrien ou à une corporation. Ils exploitent la mine pour leur propre
compte ou pour celui d'un tiers. Ils n'emploient que quelques mineurs professionnels, aidés de
fermiers des environs désireux de compléter leur revenu. Les uns et les autres sont payés non en
heures de travail mais en tonnes de minerai extraites. Exploitant et employés œuvrent parfois
ensemble, en pleine campagne, loin des villes qui pourraient susciter un embryon d'organisation
ouvrière. Plus que précaires les conditions de travail exposent les mineurs à de terribles accidents
comme ceux du comté de Luzerne qui en tuent 110 en 1869 et 58 en 1896. Le charbon extrait est
transporté par des compagnies de navigation fluviale. Sur un marché très concurrentiel, elles font
face à de fréquentes chutes de prix qui en condamnent certaines à la faillite, d'où des sorties aussi
aisées que les entrées dans l'industrie (easy entry, easy exit)17.
En résumé, les conditions de l’offre autant que celles de la demande ne favorisent pas une forte
croissance de la production charbonnière qui, en 1840, dépasse à peine les 2 Mt (tableau 4), soit un
vingtième de celle de la Grande Bretagne au même moment.
15
En 1812, George Shoemaker qui avait transporté depuis Pottsville 9 charges d'anthracite à Philadelphie n'avait
pu en vendre que deux et s'était fait injurier par les acquéreurs se disant incapables de les faire brûler.
16
Schurr Sam H and Netschert Bruce C., Energy, op.cit. p. 59.
17
Adams Sean Patrick. The US Coal, op. cit, p. 4.
Tableau 4 : Évolution de la production de charbon des États-Unis 1800-1840 (1 000 t)
1800
98
1814
215
1828
610
1801
103
1815
231
1829
687
1802
111
1816
254
1830
799
1803
115
1817
275
1831
865
1804
128
1818
300
1832
1 155
1805
132
1819
293
1833
1 348
1806
128
1820
303
1834
1 292
1807
145
1821
318
1835
1 650
1808
151
1822
332
1836
1 807
1809
155
1823
345
1837
2 027
1810
161
1824
389
1838
1 922
1811
172
1825
435
1839
2 108
1812
186
1826
503
1840
2 244
1813
200
1827
554
Source. Etemad Bouda. World Energy, op. cit, p. 15.
3. Le grand décollage de 1840
C'est au cours des années 1840 que la trajectoire va s'infléchir. En volume, la consommation
saute de 2,2 Mt en 1840 à 7,6 en 1850, soit une croissance décennale de 238% supérieure à celle
des années 1830 (180%) et des années 1850 (140%) qui suivront. Quelle en est l'explication ? « That
answer is coal » répond Alfred Jr Chandler18. L'offre d'anthracite a joué un rôle déterminant parce
qu'elle a été la seule à satisfaire une industrie encore concentrée sur la côte Est, puis elle jouera jeu
égal avec celle de bitumineux lorsque ces derniers seront aisément transportables par chemins de fer
et que l'industrie lourde se déplacera vers Pittsburgh. Ces changements ont des origines
économiques et politiques générales. C'est en effet « aux alentours de 1840 que l'Amérique, délivrée
depuis plus d'un demi-siècle du joug politique de l'Europe, aspire à une indépendance totale,
économique, financière, intellectuelle même. Jackson a ouvert la voie... Pourquoi les différentes
régions des États-Unis, au lieu de lutter les unes contre les autres, ne combineraient-elles pas leurs
ressources de manière à former un ensemble qui se suffise à lui-même ? »19. En réponse aux
nouveaux débouchés que portent la croissance démographique, l'urbanisation rapide de la côte Est
et l'essor manufacturier, une véritable industrie du charbon s'organise.
18
19
Anthracite Coal, op. cit, p. 150.
Canu Jean (1950). Histoire des Etats-Unis. Paris : PUF, p. 33.
4. Les nouveaux débouchés offerts par l’urbanisation et
l’industrialisation
D'abord le début d'un formidable essor démographique faisant passer la population des ÉtatsUnis de 9,98 Mh en 1820 à 40,24 en 1870 puis 97,61 en 1913, soit des taux de croissance annuels
moyens de 2,83% et 2,08%, sans commune mesure avec les évolutions démographiques des autres
régions du monde20. En cause, surtout, le flux annuel des immigrants qui passe d'une moyenne de 10
000 avant 1820 à plus de 100 000 après 1840 puis 400 000 au début des années 1850, avant de
redescendre entre 150 et 200 000. Ces nouveaux venus qui préfèrent les villes aux campagnes font
grimper le taux d'urbanisation et stimulent le développement des industries dans le Nord-Est, tant
par leur force de travail que par leur soif de consommation. La croissance des besoins énergétiques
qu’entraînent l'urbanisation et l'industrialisation est de plus en plus difficile à satisfaire par des
sources renouvelables d'origine rurale. Le charbon minéral est appelé à les remplacer au fur et à
mesure que s'améliorent les moyens de transport, d'abord fluviaux puis ferroviaires reliant les mines
aux centres urbains, améliorations qui font baisser les prix. Ceux de l'anthracite rendu à Philadelphie
passent ainsi de 10$/tonne en 1824 à 5$ en 1839 et 3,34$ en 185121.
La substitution ne s'opère cependant pas à des rythmes identiques dans tous les usages. Elle
commence là où la machine à vapeur est la plus présente, c.à.d. dans la navigation fluviale et les
chemins de fer qui peinent à trouver tout au long de leurs trajets les stocks de bois dont ils ont
besoin.
Elle se poursuit dans la sidérurgie dont la production s'envole avec, entre autres, la demande de
rails, dans des régions qui ne sont plus toutes à proximité de grandes réserves forestières. La
pénétration du charbon minéral y est cependant lente parce que les sidérurgistes étasuniens, pour
chauffer leurs fourneaux, avaient l'habitude d'utiliser des « cold blast » et non des « hot blast »
comme en Angleterre à la même époque. Ce procédé rendait l'allumage de l'anthracite difficile ce qui
avait dissuadé d'employer ce combustible jusqu'à ce que la profession se convertisse à la technique
du « hot blast » importée du Pays de Galles par David Thomas et mise en pratique par la Lehigh
Crane Iron Company en 1839. Dans la Pennsylvanie de 1842, 12 fourneaux utilisant de l'anthracite
produisaient 15 000 tonnes de fonte face à 210 employant du charbon de bois qui fondaient 100 000
tonnes. Douze ans plus tard, moins de la moitié de la fonte produite aux États-Unis est obtenue par
combustion d'un charbon végétal qui disparaît presque complètement avant la fin du siècle (tableau
5). Entre temps, le passage aux rails en acier, grâce à l'introduction du procédé Bessemer vers la fin
de la décennie 1860, a donné une nouvelle impulsion à la sidérurgie au coke minéral qui fournit un
acier de meilleure qualité et moins couteux que celui de la sidérurgie au bois. Sur la base de
l'excellent charbon cokéfiable de Connellsville dans le sud-ouest de la Pennsylvanie, 4 200 fours à
coke produisent 3 Mt de coke en 1890. Deux décennies plus tard, la sidérurgie en consommera 2022.
Les autres industries, à leur tour, abandonnent le bois pour la houille dès qu'elle devient meilleur
marché. Le changement technique qui a commencé à partir des années 1830 se diffuse au cours de
la décennie suivante sous la forme de machines à vapeur, de fours et de chaudières alimentés au
20
Maddison Angus. L'économie mondiale : une perspective millénaire. Etude du Centre de Développement.
Paris : OCDE, 400 p (pp. 258-259).
21
Chandler Jr Alfred. Anthracite Coal, op. cit, pp. 156-157. Il s'agit de tonnes courtes.
22
On trouve dans Chandler Jr Alfred. Anthracite Coal, op. cit, pp. 147-148, une analyse très fine des conditions
de pénétration du charbon, anthracite et bitumineux, dans la sidérurgie des Etats-Unis : contrairement à ce qui
s'est passé en Grande Bretagne, ces combustibles sont d'abord utilisés dans l'aval de la filière (métallurgie,
laminage, puddlage) avant de l'être dans les hauts fourneaux. Pourquoi ? Face aux deux thèses de Louis C.
Hunter et Peter Temin qui s'affrontent sur ce sujet (préférence des forgerons pour le fer au charbon de bois et
inadaptation du charbon de Pittsburgh trop soufré), Chandler préfère mettre l'accent sur l'étroitesse de l'offre de
charbon sur la côte Est jusqu'à l'arrivée des anthracites de Pennsylvanie.
charbon minéral, non plus uniquement dans le textile, mais aussi dans la métallurgie, la papeterie,
les cimenteries, les fabriques de verre, les industries alimentaires. En symbiose, la taille et
l'organisation des entreprises évoluent. « The opening of the anthracite fields helped to initiate the
unprecedented growth of the manufacturing sector in the 1840's »23. L'industrie étasunienne,
comme le révèlera en 1851 l'exposition du Cristal Palace en Grande Bretagne, entre dans l'ère de la
production de masse, du travail en miette et du management moderne.
Dernière étape de la substitution, le recul du bois devant l'anthracite dans le chauffage des
locaux urbains où les premiers poêles mixtes (bois, charbon) cèdent progressivement la place à des
poêles à charbon seul. Le nouveau combustible est adopté dans toutes les villes de la côte Est mais
aussi à Louisville, Cincinnati et la Nouvelle Orléans. En fin de siècle, il n'a plus de concurrents hormis
les chauffe-eau à gaz et les poêles à kérosène qui apparaissent après la Guerre de Sécession tandis
que quelques riches demeures urbaines se font installer un chauffage central24. Combustible des
foyers domestiques, l'anthracite devient aussi celui des industries manufacturières qui l'utilisent à
des fins de chauffage ou de force motrice.
Tableau 5 : Part des différents combustibles dans la production de fonte 1854-1890
%
Anthracite
Bitumineux/coke
Charbon de bois
1854
46.1
7.4
46.5
1860
56.5
13.3
30.3
1865
51.5
20.4
28.2
1870
49.9
30.6
19.6
1875
40.1
41.8
18.1
1880
41.1
45.4
12.5
1885
32.1
59.1
8.8
1890
13.8
69.4
6.8
Source. Schurr Sam H. and Netschert Bruce C. Energy, op. cit, p.66. Les auteurs empruntent ces
estimations à The Mineral Industry, Its Statistics, Technology and Trade. New York : Rothwell, vol I,
1892.
Entre 1860 et 1870, la demande de charbon minéral grimpe de 18,2 à 36,7 Mt sous l'effet, entre
autres, des besoins d'acier pour fabriquer fusils, canons et navires que stimule le déclenchement de
la guerre de Sécession, puis au lendemain de cette dernière de la reconversion des usines. Les prix
réels du charbon suivent sous la forme d'une augmentation de 45% entre 1860 et 1864, laquelle
n'interrompt pas la croissance de la consommation qui, en 1885, approche les 100 Mt, et dépasse
pour la première fois celle des combustibles végétaux. En tête, les locomotives qui absorbent à elles
seules 42% de tout le minerai extrait, puis les cokeries sidérurgiques avec 13%, le reste allant aux
autres industries et aux foyers domestiques. En volume total et, plus encore par habitant, cette
consommation est très inférieure à celle du Royaume-Uni, mais l'écart entre les deux pays se
resserre rapidement. Au cours des 30 années suivantes, la consommation charbonnière des ÉtatsUnis va être multipliées par cinq et représenter 40% de la production mondiale. Derrière cette
performance, une demande accrue de toutes les industries présentes en début de période que
rejoint la thermoélectricité née au cours des deux dernières décennies du siècle.
23
Chandler Jr Alfred. Anthracite Coal, op. cit, p. 175.
Dans les campagnes, le bois continuera à être utilisé longtemps encore comme moyen de chauffage à côté des
déchets animaux et végétaux (buffalo chips ou corn husks).
24
5. L'industrie s'organise à partir de Pittsburgh
En réponse à la croissance des débouchés, l'extraction se développe rapidement (tableau 6). Sur
les sept grandes régions productrices (figure 1) que sont :
 les Appalaches septentrionales ( Pennsylvanie, nord Virginie occidentale, Maryland),
 les Appalaches centrales (Kentucky, Virginie, sud Virginie occidentale, Tennessee),
 les Appalaches méridionales (Alabama, sud Tennessee),
 la région centrale (Illinois, Indiana, Kentucky ouest),
 les Montagnes Rocheuses (Colorado, Utah),
 le Powder River Basin (nord Wyoming et sud Montana),
 et l'Alaska, après son achat à la Russie en 1867, ce sont évidemment les trois premières qui ont
été explorées et exploitées dès le 19e siècle pour des raisons à la fois géographiques (occupation
du territoire)25 et géologiques (qualités des charbons)26.
Fig. 1 : Gisements charbonniers des Etats-Unis
25
Sur la carte des ressources minérales des Etats-Unis publiée en 1951, les gisements du Wyoming et du
Montana n'apparaissent pas encore. George Pierre (1951). L'économie des Etats-Unis. Paris : PUF. Collection
que sais-je ? pp. 24-25.
26
Les charbons trouvés dans le sous-sol de l'Amérique du Nord sont originaires de tous les âges géologiques : du
précambrien (plus de 550 millions d'années) au crétacé (de 114 à 66 Ma) et au paléocène (de 66 à 58 Ma). Les
charbons de ces derniers âges sont les plus abondants dans tout l'Ouest, mais les plus riches sont les
pennsylvaniens (de 320 à 286 Ma) qui dominent dans la région éponyme, les permiens (de 286 à 268 Ma) dans
l'ouest de la Pennsylvanie, la Virginie occidentale et l'Ohio. Ceux des âges triassique (de 245 à 225 Ma) et
jurassique (de 208 à 187 Ma) sont dispersés sur tout le continent nord-américain, de l'Alberta (Canada) au
Sonora (Mexique) en passant par la Caroline du Nord ou la Montana.
Tableau 6. Évolution de la production de charbon 1840-1913 (Mt)
1840
2 244
1864
22 173
1841
2 375
1865
22 159
1842
2 644
1866
26 126
1843
2 968
1867
27 128
1844
3 558
1868
30 801
1845
4 285
1869
34 694
1846
4 863
1870
36 677
1847
5 767
1871
38 394
1848
6 424
1872
47 214
1849
6 976
1873
51 916
1850
7 580
1874
49 895
1851
9 438
1875
50 601
1852
10 270
1876
49 547
1853
11 569
1877
54 461
1854
12 725
1878
52 715
1855
14 651
1879
64 168
1856
15 379
1880
72 037
1857
15 779
1881
76 081
1858
16 015
1882
85 310
1859
17 435
1883
93 728
1860
18 181
1884
98 797
1861
17 237
1885
99 889
1862
17 755
1886
103 129
1863
20 636
1887
109 452
1888
1889
1890
1891
1892
1893
1894
1895
1896
1897
1898
1899
1900
1901
1902
1903
1904
1905
1906
1907
1908
1909
1910
1911
1912
1913
133 048
119 050
143 127
152 921
162 685
165 428
154 895
175 194
174 167
181 646
199 560
230 190
244 653
266 077
277 599
324 188
319 163
356 272
375 717
435 778
377 247
418 044
455 040
450 300
484 860
517 059
Source. Etemad Bouda. World Energy, op. cit, p. 15 et 16.
A l'est, la région des Appalaches s’étend de la Pennsylvanie, au nord, jusqu’au Tennessee et à
l’Alabama, au sud. Elle contient six puissantes couches de 0,75 à 6 mètres d’épaisseur d’une houille
(anthracite dans le nord-est de la Pennsylvanie et bitumineux ailleurs) formée majoritairement au
cours du carbonifère et du permien. Ces minerais sont pour partie à haut pouvoir calorifique (7 500
kcal/kg), très agglutinants et à basse ou moyenne volatilité, toutes qualités qui en font des charbons
cokéfiables particulièrement prisés des sidérurgistes. Les veines épaisses y étaient initialement
rencontrées à moins de 630 pieds de profondeur, notamment à proximité de Pittsburgh qui va
devenir le berceau de l'industrie lourde des États-Unis. Au cours du 19e siècle, ce sont donc les
Appalaches qui ont fourni les 3 /5e de la production des États-Unis (tableau 7) à un coût compris, en
1861, entre 2 et 4 shillings par tonne, soit la moitié ou le tiers du prix des charbons bitumineux
européens27 .
27
Jevons W. Stanley. The Coal Question, op. cit, p. 343. L'auteur ne précise pas quelle tonne (longue comme au
Royaume-Uni ou courte comme aux États-Unis) sert de base à la comparaison.
Tableau 7 : Localisation de la production en 1889
Millions de
% de la
tonnes courtes production
totale
Pennsylvanie
81,7
63,0
Illinois
12,1
9,3
Ohio
10,0
7,7
West Virginia
6,2
4,8
Iowa
4,1
3,2
Alabama
3,6
2,8
Indiana
2,8
2,2
Colorado
2,5
1,9
Kentucky
2,4
1,9
Kansas
2,2
1,7
Tennessee
1,9
1,5
TOTAL
129,5
100,0
De Pittsburgh où ils s'étaient concentrés, les sièges de l'industrie charbonnière gagnent la
Virginie occidentale puis la Virginie, la Caroline du Nord et l'Alabama, durant la guerre de Sécession,
à l'initiative des États confédérés du Sud. Ceux-ci, par crainte de manquer de matières premières,
organisent en 1862, dans le cadre de leur War Department, le Niter and Mining Bureau chargé
d'organiser l'approvisionnement en salpêtre pour les manufactures de poudre ainsi qu'en cuivre,
plomb, zinc, acier et charbon. A ce titre, en vue de soutenir la production du bassin de Richmonds, ils
ouvrent de nouvelles mines en Caroline du Nord et en Alabama, lesquelles étendront l'ère
géographique de l'industrie charbonnière à l'issue du conflit. Mais ce dernier a aussi contribué à
étendre et renforcer le réseau ferroviaire vers l'ouest et le sud, ce qui facilite l'ouverture de mines
dans les épaisses couches de 5 mètres d'épaisseur qui parcourent le Maryland, l'Ohio, l'Illinois,
l'Oklahoma et l'Arkansas. Il s’agit encore de minerai de l’ère primaire, donc majoritairement de
bitumineux, à faible teneur en cendres, mais plus fortement soufrés que ceux des autres régions. Au
cours des deux dernières décennies du siècle, de nombreux migrants d'origine européenne et des
descendants d'anciens esclaves du Sud se font embaucher dans ces nouvelles houillères. Les
compagnies charbonnières leur fournissent de l'outillage, des logements et des magasins où les
mineurs sont contraints de dépenser leur salaire.
6. L’exploitation charbonnière s’industrialise
Nombre de ces compagnies sont la propriété d'entrepreneurs individuels à l’image de ce Francis
Peabody qui entre dans l’industrie charbonnière en 1883 en distribuant dans la région de Chicago le
charbon qu’il achète à des mineurs de l’Illinois avant de fonder la Peabody Coal Company en 1890,
d’ouvrir sa première mine en 1895 et d’amorcer une croissance qui en fera la plus grande compagnie
charbonnière des Etats-Unis à la fin du 20e siècle après sa fusion avec la Sinclair Coal Company en
1955 et le transfert de son siège à Saint Louis.
D’autres compagnies appartiennent aux sociétés ferroviaires qui, achetant des terrains pour
étendre leurs lignes, en exploitent directement les richesses minières ou les louent à des filiales dans
ce même but. En 1873, lorsque la Chesapeake and Ohio Railroad a relié Huntington (Virginie
occidentale) à Richmond (Virginie), les riches gisements du sud de Virginie occidentale ont été mis en
exploitation. Dix ans plus tard, d'autres, plus à l'ouest, l'ont été lorsque la Norfolk and Western
Railroad a atteint le comté de Tazewell. Au cours du demi-siècle suivant, les petites entreprises ne
disparaitront jamais, mais elles devront coexister avec de grandes compagnies telles la US Coal and
Oil Company, capitalisée à hauteur de 6 M$ et propriétaire de droits sur 30 000 acres au début du
20e siècle28. A la fin du siècle, de nombreuses compagnies charbonnières seront achetées par le
groupe Morgan devenu propriétaire de l'US Steel.
Ce développement de l'industrie charbonnière par les compagnies ferroviaires se poursuivra au
delà du Mississipi jusqu'aux vastes dépôts formés durant les ères secondaire (crétacé) et tertiaire qui
se répartissent entre deux grands bassins. Dans celui des Grandes Plaines du Nord couvrant la
moitié occidentale du North Dakota, l’est du Montana, le nord-ouest du South Dakota et le nord-est
du Wyoming, les couches de lignite à faible teneur en cendres et en soufre atteignent parfois 25
mètres d’épaisseur et sont aisément exploitables à ciel ouvert. Dans celui des Montagnes Rocheuses
qui court du sud-ouest du Montana au Nouveau Mexique, plusieurs couches allant jusqu’à 5 mètres
contiennent des charbons sous-bitumineux et des lignites, à teneurs en cendres et soufre
comparables à ceux des Grandes Plaines du Nord29. Elles ne commenceront à être exploitées
qu'après la Première Guerre Mondiale.
Au milieu du 19e siècle, l'exploitation est toujours majoritairement manuelle. Pour atteindre des
couches plus profondes, les compagnies doivent équiper des puits et installer des matériels
d'aération et de pompage dans des exploitations souterraines relevant à 90% de la méthode des
chambres et piliers, contrairement à l’Europe qui recourt déjà à la longue taille30. A cela des raisons
géologiques (les veines sont épaisses) et économiques (l’abondance de la ressource et la rareté de la
main d’œuvre favorisent les techniques extensives) : 35% du charbon bitumineux et 39% de
l’anthracite, en moyenne, sont laissés sous terre à cette époque31. Les techniques d'extraction
restent assez frustes : le minerai est abattu au pic et à la pelle (pick and shovel), parfois à l'explosif
(blasting), puis évacué manuellement dans des wagons poussés à la main ou tirés par des mules,
parfois même des chiens, comme dans l’Illinois où on en trouve encore en 1903. Les premières
machines d’abattage (coal-cutting machine) sont introduites dans les mines de l'Indiana en 1873 puis
les tapis roulants (conveyor belt) sont mis au point vers 1900, époque d'électrification des mines. La
diffusion de ces techniques inaugure une phase de mécanisation des travaux du fond qui se traduit
par une forte croissance de la productivité (tableau 8) mais qui ne met pas les mineurs à l'abri de
28
Adams Sean Patrick. The US Coal, op. cit, p. 8.
Hors de ces grandes régions, il faudrait ajouter les dépôts de lignite de la région du Golfe (Texas, Louisiane,
Mississipi et Géorgie) et les réserves de charbon sous-bitumineux et bitumineux, dont une partie cokéfiable, de
l’Alaska.
30
Une description technique très complète des deux méthodes d'extraction dans les mines des États-Unis est
donnée par Leprince-Ringuet et Vigier (1932). Une mission dans l'Est des Etats-Unis. Annales des Mines, 13e
série, tome 3, pp. 27-37.
31
Taux qui dépasseront 50% après la seconde guerre mondiale lorsque la mécanisation du fond sera complète.
29
terribles accidents tel le coup de poussière (firedamp) du 6 décembre 1907 qui en tue 362 à
Monongah en Virginie occidentale.
Tableau 8 : Productivité des mines aux États-Unis 1890-1910
Produc
Produ
Mécanisa
tivité
ctivité
tion au fond
annuelle
journalièr (%)
e
1890
579
2.50
5.3
1900
697
2.98
24.9
1910
751
3.46
41.7
Source : Woytinsky, op. cit. p. 441. Les productivités sont en 1000 tonnes/homme/an et
tonnes/homme/jour
7. Le gouvernement fédéral appuie l’industrie
Il ne s’est jamais désintéressé de l’industrie charbonnière mais il faut attendre 1910 pour que le
Bureau of Mines, composante du Department of the Interior (DOI) ouvre la Station Expérimentale de
Pittsburgh qui deviendra un site de formation avancée pour les opérateurs de mines et un centre de
recherche sur les questions de sécurité et de mécanisation des chantiers. Elle sera ultérieurement
intégrée dans le National Energy Technology Laboratory (NETL).

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