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Observatoire du Management Alternatif Alternative Management Observatory __ Initiative Réinventer le Travail Les Jardins de Daphné Une organisation du travail innovante pour une activité pleine de sens Quiterie Zeller et Sabrina Gonçalves Krebsbach Janvier 2015 Majeure Alternative Management – HEC Paris – 2014-2015 Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 1 Les Jardins de Daphné Cette fiche a été réalisée dans le cadre du cours « Réinventer le travail » donné par Frédérique Alexandre-Bailly au sein de la Majeure Alternative Management, spécialité de 3ème année du programme Grande Ecole d’HEC Paris. Résumé : Les Jardins de Daphné est une entreprise de maraîchage biologique née d’une profonde quête de sens ; en quoi cette quête est-elle visible dans l’organisation du travail dans l’entreprise ? Mots clés : Agriculture biologique, Agroécologie, Autonomie, Maraîchage, Sens Daphné’s Gardens This review was presented in the « Reinventing work » course of Frédérique AlexandreBailly. This course is part of the “Alternative Management” specialization of the third-year HEC Paris business school program. Abstract: Daphné’s Garden is an organic farm born from a deep quest for meaning; to what extent is this quest visible in the organization of work within the business? Key words: Agroecology, Autonomy, Farming, Meaning, Organic farming Charte Ethique de l'Observatoire du Management Alternatif Les documents de l'Observatoire du Management Alternatif sont publiés sous licence Creative Commons http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/fr/ pour promouvoir l'égalité de partage des ressources intellectuelles et le libre accès aux connaissances. L'exactitude, la fiabilité et la validité des renseignements ou opinions diffusés par l'Observatoire du Management Alternatif relèvent de la responsabilité exclusive de leurs auteurs. Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 2 Table des matières Partie 1. A l’origine de l’entreprise : une vision particulière de la vie ................................ 4 Partie 2. Analyse du travail dans la structure ....................................................................... 7 2.1. Les valeurs fondatrices ............................................................................................ 7 2.2. Une entreprise humaine, sur le modèle d’une famille, et intégrée à la famille ........... 8 2.3. Les tâches à réaliser et la répartition du travail ......................................................... 11 2.4. Une relation d’entière confiance avec Hubert, le salarié ........................................... 12 2.5. Les conditions de travail ............................................................................................ 13 2.5.1. Pénibilité du travail, en extérieur toute l’année...................................................... 13 2.5.2. Difficultés psychologiques ................................................................................. 14 2.6. Vivre avec les personnes avec lesquelles on travaille… Et travailler avec les personnes avec lesquelles on vit........................................................................................... 15 2.6.1 Comment communiquer ? .................................................................................. 15 2.6.2. La frontière entre vie privée et vie professionnelle : et les enfants là-dedans ? . 16 2.7. Une formation « sur le tas »....................................................................................... 18 2.8. Quelle façon d’envisager la progression ? ................................................................. 19 Partie 3. Nos matériaux de recherche................................................................................... 21 Partie 4. Quelques points d’amélioration identifiés ............................................................ 22 Partie 5. Portée et limites de notre travail ........................................................................... 24 5.1. Deux paires d’yeux sur une même entreprise ............................................................ 24 5.2. Limites en termes de contenu .................................................................................... 25 5.2.1. Multiplicité des grilles d’analyse du travail possibles ....................................... 25 5.2.2. Non exhaustivité ................................................................................................. 25 5.3. Limites en termes de méthode ................................................................................... 26 5.3.1. Manque d’éléments de comparaison .................................................................. 26 5.3.2. Temps d’observation non représentatif .............................................................. 26 Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 3 Partie 1. A l’origine de l’entreprise : une vision particulière de la vie L’entreprise « Les Jardins de Daphné », fondée et dirigée par Daphné Sorlut et son conjoint Sébastien Bruand, naît d’une fondamentale remise en question de leur mode de vie de l’époque, qui a probablement commencé par leur alimentation. L’entreprise s’ancre ainsi dans une vision simple, naturelle et bienveillante de la vie qui trouve ses racines dans les enfances respectives des deux fondateurs, mais qui commence à prendre forme lorsque Daphné attend son premier enfant, Louan, aujourd'hui âgé de six ans. En premier lieu, en raison de sa grossesse, Daphné s’intéresse de plus en plus à son alimentation, qu’elle souhaite rendre plus saine et équilibrée : « Je ne me nourrissais plus toute seule, il y avait aussi un petit être en devenir ». D’où un intérêt croissant pour l’agriculture biologique, qui élimine de la production tout intrant chimique de synthèse potentiellement nocif à la santé humaine. Les deux parents assistent à l’époque à une session de projection-débat du film Nos enfants nous accuseront1, organisée par le syndicat des maraîchers de Charente et par la Maison de l’Agriculture Biologique de Charente. Ce visionnage les marque profondément et accélère une série de prises de conscience qui les amèneront un peu plus tard au choix du maraîchage bio comme projet professionnel : un événement déclencheur, et un sujet fondateur. 1 Nos enfants nous accuseront est un documentaire de 112 minutes de Jean-Paul Jaud, sorti en 2008. En voici le synopsis, disponible sur le site internet du film (Nos enfants nous accuseront, http://www.nosenfantsnousaccuseront-lefilm.com) : « La courageuse initiative d'une municipalité du Gard, Barjac, qui décide d'introduire le bio dans la cantine scolaire du village. Le réalisateur brosse un portrait sans concession sur la tragédie environnementale qui guette la jeune génération : l'empoisonnement de nos campagnes par la chimie agricole (76 000 tonnes de pesticides déversées chaque année sur notre pays) et les dégâts occasionnés sur la santé publique. Un seul mot d'ordre : Ne pas seulement constater les ravages, mais trouver tout de suite les moyens d'agir, pour que, demain, nos enfants ne nous accusent pas. » Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 4 Pendant sa grossesse, Daphné éprouve aussi le souhait de quitter son poste en contrat à durée indéterminée, en tant que Directrice d’un Centre de Loisirs pour se mettre à son compte, comme Sébastien, qui exerce déjà une activité de paysagisme à son compte depuis environ quatre ans. Elle y est poussée par l’envie de ne pas avoir à rendre de comptes à un supérieur hiérarchique « que l’on ne voit jamais, avec qui on n’a aucune relation », imposant une autorité qu’elle considère comme étant souvent illégitime. Elle souhaite maîtriser les tenants et aboutissants de son travail, et aussi disposer d’une certaine souplesse pour pouvoir consacrer le plus de temps possible à son enfant qui va naître (et pouvoir par exemple travailler pendant qu’il dort, ou pendant que son mari, ses parents ou beaux-parents s’en occupent, sans devoir s’en tenir chaque jour à des horaires de travail prévus à l’avance). L’activité qu’elle souhaite exercer à son compte apparaît de plus en plus comme une évidence : Daphné et Sébastien créent en 2008 Les Jardins de Daphné, une entreprise de maraîchage biologique, bien qu’aucun deux n’ait de formation initiale dans le secteur. Avant de se lancer, Daphné et Sébastien, qui ne connaissent donc pas encore le métier, rencontrent des maraîchers et des techniciens installés dans la région. Dans la perspective d’un heureux évènement, les deux souhaitent, pour des raisons pratiques, être proches géographiquement des parents de l’un ou de l’autre (près de Cognac, en Charente, ou de Marennes, en Charente Maritime). Ils cherchent alors une maison et des terrains cultivables, à acheter ou louer, sous cette contrainte géographique. Après quelques mois de recherches, ils élisent domicile à la Brissonnerie (à Nercillac, en Charente), grande demeure avec un grand jardin, sa mare aux grenouilles et son ancienne étable. La maison est située à cinq minutes en voiture de la maison des parents de Sébastien. Daphné et Sébastien y installent également une petite serre qui accueillera quelques jeunes plants entre le semis et la plantation, et projettent d’acheter et de mettre en valeur des champs en friche aux alentours immédiats, ce qui demandera un investissement important en termes financiers et surtout de temps. Ils trouvent également un champ, puis un deuxième à environ quinze minutes en voiture de la Brissonnerie, à Boutiers-Saint-Trojan et à Saint-Sulpice-de-Cognac. Dans leurs 600 mètres carrés et 1,6 hectares respectifs, ces terrains accueilleront leurs légumes et quelques fruits (fraises et pastèques pour l’instant). Ils investissent dans une camionnette d’occasion et dans de l’équipement (outils, tracteur). Leurs parents les aident financièrement et ils contractent aussi un prêt pour faire face à ces premières dépenses. L’entreprise consiste à cultiver des légumes biologiques, en faire des paniers et vendre directement ces paniers à leurs clients (dont les premiers ont été leur entourage proche, puis le bouche-à-oreille a vite amené bien assez d’autres clients), sans intermédiaires. Ce choix Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 5 d’éviter tout intermédiaire s’est fait par conviction (pour plus de proximité et de transparence) et aussi pour des raisons financières. Ils demandent à leurs clients un engagement sur un an (qui reste flexible, avec par exemple la possibilité de ne pas récupérer de panier quatre fois dans l’année sans frais ou encore celle de venir récupérer son panier directement à la Brissonnerie, ou à la vente de la semaine suivante, si on ne peut pas se rendre à une vente). Trois types de paniers sont proposés, plus ou moins garnis selon le nombre de personnes à nourrir et la consommation moyenne de légumes des membres de la famille, au prix de 6 €, 11 € et 15 € par panier. Indication de directions à l’entrée de la Brissonnerie : La Lune, la mare aux grenouilles, le potager des enfants, la balançoire, le puits du sud Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 6 Partie 2. Analyse du travail dans la structure 2.1. Les valeurs fondatrices L’entreprise est fondée sur diverses valeurs, perceptibles dans le quotidien de l’activité, dont les principales sont : - Le respect de l’Homme et de la nature donnée ; - Le naturel comme mode de vie (le rythme de vie et de travail doit se calquer sur celui des saisons et du soleil) ; - Le bon sens ; - La simplicité, visible notamment dans leur souci d’éviter le développement à outrance ; - La confiance, vis à vis des clients ou des salariés par exemple ; - Le partage, avec… o Des clients qui sont toujours accueillis les bras ouverts sur les exploitations et à qui Daphné et Sébastien ont décidé de vendre les produits de manière directe afin de construire avec eux un contact privilégié ; o Leur salarié saisonnier à temps partiel, Hubert ; o Les stagiaires, apprentis ou « wwwoofers »2 (selon Daphné, « en accueillant des wwwoofers, c’est comme si nous faisions venir le monde à nous. Nos enfants aussi profitent d’échanges avec des gens d’autres cultures »3) ; Le wwwoofing est un type de séjour volontaire dans une ferme biologique, où l’on est nourris et logés contre un peu de travail à la ferme. C’est une façon authentique et économique de voyager, permettant d’échanger réellement avec des locaux, de mettre du sens dans le voyage, d’être près de la nature. Le WWWOOF est un réseau mondial d’associations facilitatrices de ce type de séjour. C’est un acronyme de « World Wide Opportunities on Organic Farms », ou en Français « Opportunités Mondiales dans des Fermes Biologiques ». 3 La Croix, Le wwwoofing, un hébergement à la ferme pour voyager et pour apprendre, octobre 2014, http://www.la-croix.com/Solidarite/Dans-le-monde/Le-wwwoofing-un-hebergement-a-la-ferme-pour-voyageret-pour-apprendre-2014-10-24-1253744 2 Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 7 o De jeunes élèves que Daphné sensibilise à l’environnement à travers des ateliers et animations en écoles et en centres de loisirs, sur son temps de travail ou non ; o La famille, lors de moments privilégiés. 2.2. Une entreprise humaine, sur le modèle d’une famille, et intégrée à la famille Le jardin de Daphné veut connaître ses clients, vendre directement à ces derniers, et les sensibiliser. Pas question de déléguer la vente à un autre que le producteur : Daphné vend elle-même le midi ou le soir (les jeudis et vendredis) les produits qu’elle sème, entretient, puis récolte le matin même ou la veille. La relation personnelle et de confiance a une importance réelle. Beaucoup de ses clients sont d’ailleurs devenus de vrais amis. Daphné invite parfois les clients à venir lui donner un coup de main à la récolte des tomates ou au désherbage des poireaux, lorsqu’elle a besoin d’aide. Lorsque ses clients ne peuvent pas venir au garage pour acheter leur panier, elle les invite à passer « à la maison », peu importe l’heure, pour le récupérer. En avril, mois où le jardin peut produire beaucoup moins de fruits et légumes, Daphné remplit ses paniers avec les produits d’autres producteurs : elle prend alors soin d’en avertir ses clients, avec la plus grande transparence et simplicité. C’est un choix assumé, qui se distingue de la politique de beaucoup d’autres producteurs, qui refusent catégoriquement de remplir leurs paniers avec les produits d’autres maraîchers, même en le disant. Daphné et Sébastien ont aussi le souci de sensibiliser, d’éduquer leurs clients aux idées et valeurs qu’ils portent dans leur activité. Acheter un panier bio chaque semaine n’est que le premier pas dans l’adoption d’une démarche respectueuse de l’Homme et de l’environnement. Acheter un panier bio pour faire les purées du bébé mais pas les repas des parents n’est pas suffisant non plus. C’est une éducation qu’ils ont envie de véhiculer « tranquillement, gentiment, sans faire culpabiliser », dit Daphné (elle a ce souci de conseiller et de transmettre le bon à ses clients comme elle éduquerait ses enfants) : ce travail de sensibilisation porte déjà des fruits. Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 8 Cette proximité avec les clients va encore plus loin : l’une des ventes hebdomadaires se fait dans le garage d’une cliente, à qui son panier est offert, en échange. Daphné et Sébastien déclarent préférer largement ce type de fonctionnement, porteur de sens, au paiement d’une location d’un espace de vente. … de la même manière que le jardin de Daphné veut connaître et sensibiliser ses « travailleurs » Sabrina, qui s’y est rendue pour faire du wwwoofing, sans les connaître à l’origine, a vite fait partie du foyer familial. Repas partagés, moments au calme après le dîner, moments de famille partagés le week-end : Daphné et Sébastien, très ouverts, tiennent à connaître les personnes qui viennent faire du wwwoofing chez eux, à construire un réel échange. Lorsqu’ils vont dîner chez des clients devenus des amis, ils invitent toujours le stagiaire ou wwwoofer qui est chez eux à ce moment-là à se joindre à eux. Il en va de même pour toute sortie ou activité les week-ends… Ils se font un plaisir également de faire découvrir la très belle région environnante à leurs invités. Des pratiques réelles qui sont donc en parfaite cohérence avec le positionnement affiché Les pratiques décrites ci-dessus sont celles dont Sabrina, lors de ses séjours de wwwoofing, a fait l’expérience. Elles s’avèrent être en parfaite cohérence avec le positionnement de l’entreprise tel qu’il est décrit ça et là, sur le blog de Daphné, à travers les articles de presse, ou même sur le packaging de ses produits (cf. photographie en fin de paragraphe). Daphné résume bien les convictions qui sont à l’origine du choix de ces pratiques, sur son blog : « L’homme avec l’envie de conquérir toujours plus d’espace, d’argent, de produire plus… en a oublié ses origines et ses besoins vitaux qui ne sont pas de produire le plus de voitures et de gagner le plus d’argent, mais bien de manger, boire, dormir et pour moi se faire plaisir. Je ne veux pas révolutionner le monde, mais lui donner d’autres priorités qui me semblent plus nobles et essentielles pour le bien vivre de tous et donc le bien être de la Terre. » Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 9 Chutney de tomates de Daphné et Sébastien Le couple transforme certains des légumes qu’ils ont en grande quantité pour compléter leurs paniers plus tard, notamment pendant les mois où ils ont moins de récoltes : chutneys, confitures, soupes, conserves… exclusivement réalisés avec des produits biologiques des Jardins de Daphnée. Cela évite tout gaspillage, et ces produits, prêts à la consommation et d’assez longue conservation, sont généralement très appréciés des clients Nourrir cent familles : une belle mission pour un travail épanouissant Daphné et Sébastien trouvent cet épanouissement dans le partage que ce travail rend possible, dans le sens de sa mission : nourrir cent familles de la région (sens d’autant plus fort aujourd’hui où le défi de nourrir la planète est omniprésent dans les débats… et où l’agriculture bio doit se battre pour prouver qu’elle serait une solution viable) et enfin parce qu’il leur permet d’avoir une vie de famille riche de moments partagés avec leurs enfants. Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 10 2.3. Les tâches à réaliser et la répartition du travail Daphné travaille à temps plein sur le maraîchage. Sébastien se focalise sur l’entreprise de paysagisme à côté, qui lui permet de se dégager un salaire, mais il soutient également Daphné sur l’élaboration du planning des cultures, la préparation de la terre avant les semis ou plantations, ou encore les grosses récoltes. Depuis trois ans, Daphné et Sébastien comptent aussi sur un salarié à temps partiel pendant ce qu’ils appellent « la saison », qui va de la fin de l’hiver à la fin de l’automne. Hubert, le salarié, a été embauché dans un premier temps en tant qu’apprenti, pendant deux ans à partir d’août 2010. Pendant la saison 2014, il a été salarié, et le restera en principe en 2015. Le schéma suivant illustre l’organisation de la semaine de travail de Daphné : Matin Midi Lundi A la maison : semis ou travail administratif Déjeuner à la maison AprèsA la maison : midi/soir semis ou travail administratif Mardi Sur les champs : tâches diverses (plantation, désherbage, etc.) Déjeuner sur les champs Mercredi Sur les champs : tâches diverses et récoltes Jeudi Sur les champs : récoltes Vendredi Sur les champs : récoltes Déjeuner sur les champs Sur les champs : tâches diverses Sur les champs : tâches diverses et récoltes A Cognac : vente (12h13h) Sur les champs : récoltes A Cognac : vente (17h3020h) A Cognac : vente (11h3012h45) A SaintSulpice-deCognac : vente (16h18h) La partie grise sur l’emploi du temps correspond à celle qui présente le moins de souplesse : ce sont des activités relativement fixes, notamment à cause des ventes. Sur les autres jours, Daphné peut s’arranger de manière à se libérer à un moment où les enfants ont besoin d’elle par exemple, quitte à rattraper le travail plus tard. Lorsqu’elle travaille sur les champs, Hubert peut éventuellement assumer une partie considérable du travail, lui garantissant une certaine flexibilité également, mais le travail nécessaire demande bien généralement les efforts d’au minimum deux personnes. Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 11 Pendant la saison, Hubert travaille de 20 heures à 25 heures par semaine, généralement les jours où Daphné est sur les champs, à Boutiers-Saint-Trojan et à Saint-Sulpice-de-Cognac. Lorsque l’hiver arrive, il y a moins de travail sur le terrain, mais il peut continuer de travailler environ une dizaine d’heures par semaine. 2.4. Une relation d’entière confiance avec Hubert, le salarié Daphné et Sébastien ont développé une relation d’entière confiance avec Hubert, leur salarié. Selon Daphné, Hubert est très motivé pour apprendre et s’améliorer, et elle et Sébastien le forment régulièrement. Si lors de notre première observation en mai 2014 Daphné déclarait qu’elle devait encore donner des directives assez détaillées à Hubert, qui ne parvenait pas à avoir une vision globale du travail à faire, elle estime aujourd'hui qu’il est pleinement capable d’être responsable d’une ou plusieurs cultures entières. Il est de plus en plus autonome, de plus en plus productif : « La toute première plantation qu’on avait faite à quatre, avec des amis, en une demi journée, Hubert est aujourd’hui capable de la faire tout seul en une heure ». Daphné et Sébastien se reposent aujourd'hui beaucoup sur Hubert (et également sur Sylvain, leur salarié en paysagisme) pour avoir un rythme de travail certes soutenu (leur « rythme de croisière »), mais qui leur permet de vivre sereinement. La période pendant laquelle ils formaient Hubert a été très chargée, et ils ne souhaiteraient pas avoir à revivre ces semaines de 70 heures. Daphné et Sébastien proposent aussi à Hubert de l’accompagner dans ses projets personnels : il compte lancer une entreprise d’ateliers de découverte des plantes sauvages, et notamment des fruits des bois. Ils lui ont récemment offert une formation sur les petits fruits en vue de ce projet personnel (pourtant sans lien direct avec son travail aux Jardins de Daphné). Daphné et Sébastien lui proposent dans cette optique un soutien administratif, un partage de connaissances, des mises en relation avec les personnes de leur réseau, des prêts d’outils et d’équipements. Ils souhaiteraient également le promouvoir formellement « responsable de cultures ». Déléguer davantage l’activité à Hubert permettrait à Daphné et Sébastien de se lancer sur Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 12 d’autres projets qu’ils aimeraient mettre en œuvre (« On adore lancer des projets, on en a une liste entière », répète en riant Daphné). Daphné et Sébastien organisent un entretien tous les six mois avec Hubert, en vue duquel ils lui demandent d’écrire au préalable ce qu’il souhaite leur communiquer sur sa façon d’appréhender son travail. A cette occasion, Daphné et Sébastien lui disent également le niveau auquel ils estiment qu’il se situe sur un certain nombre d’activités, et lui transmettent les pistes d’amélioration qu’ils jugent nécessaires. Ils n’hésitent pas non plus à lui dire de façon tout aussi transparente ce qu’ils apprécient déjà dans son travail : « Quand on valorise quelqu'un et qu’on lui fait tous les compliments justifiés, on regonfle son estime de soi, et cela le motive encore plus à s’améliorer sur les points à perfectionner ». Cette transparence renforce la confiance réciproque dans la relation de travail, et lui permet de prendre conscience que « l’avenir de l’entreprise est autant entre ses mains que dans les nôtres », comme le dit Daphné. « Il sait qu’il travaille pour son salaire ». 2.5. Les conditions de travail 2.5.1. Pénibilité du travail, en extérieur toute l’année Le travail exercé par Daphné et Sébastien est un travail physiquement harassant. En moyenne, chaque semaine, chacun porte entre une tonne et une tonne et demie de fruits et légumes dans ses bras, entre chargements et déchargements, notamment dans le cadre de ventes. Ce sont des conditions qui, cette année, se sont avérées plus difficiles à vivre, pour Daphné : « C’est la première année où je sens que j’ai peiné physiquement dans la saison ». Le seul fait de travailler dehors tous les jours, exposés aux intempéries, à la grêle, aux grands froids ou grandes chaleurs, nécessite un état de santé et une vigueur particuliers : ce choix de vie professionnelle se répercute sur la vie privée et exige de leur part des nuits de sommeil suffisamment longues, entre autres. Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 13 2.5.2. Difficultés psychologiques La plus grande difficulté psychologique... … est de « savoir si on va tenir la saison entièrement », parce que Daphné et Sébastien se croisent, ont peu de temps, la fatigue commence à s’installer avec les semaines qui se succèdent, donc les tensions arrivent. Mais Daphné voit un apprentissage réel dans cet exercice d’endurance : « On grandit, on gagne en maturité sur plein de choses. » Un travail difficile à prévoir : des plannings, certes, mais des imprévus inévitables Les plannings de culture sont refaits régulièrement : Sébastien et Daphné prévoient avec une grande précision les variétés qu’ils vont mettre en culture, à quel endroit dans le champ, avec quel espacement, à quel moment et en quelles quantités. Mais sur ce dernier point, parfois, la réalité s’éloigne inéluctablement de leurs prévisions : mauvaises conditions climatiques, épidémies ravageuses de tomates, etc. Daphné rappelle que les tempêtes de juin ou les attaques de pucerons sous la serre de courgettes ont causé d’énormes pertes à la saison dernière : ce sont des sources de stress qui sont difficilement évitables. Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 14 2.6. Vivre avec les personnes avec lesquelles on travaille… Et travailler avec les personnes avec lesquelles on vit 2.6.1 Comment communiquer ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser, travailler avec son mari ne signifie pas avoir plus de temps pour communiquer avec son associé Les tâches étant divisées par deux (entre les deux entreprises – le maraîchage et le paysagisme – et au sein de l’activité de maraîchage elle-même), le couple est souvent physiquement séparé, y compris au moment des repas. A l’heure du déjeuner, parfois la première est au garage pour les ventes, parfois le second est chez les clients pour son activité de paysagisme. S’il est donc souvent difficile de se retrouver pour les repas, pendant la saison, c’est un peu plus facile hors saison. Daphné témoigne : « Et puis il y a souvent du monde le soir, on n’a pas le temps de se retrouver, souvent des tensions se créent. Il n’y a pas une saison où il n’y a pas de tensions au moins une fois. Mais on se connaît très bien, on sait de quoi l’autre a besoin pour avancer sereinement. » La solution ? Tenir chacun un cahier, dans lequel on note au fur et à mesure les points dont on a besoin de parler avec l’autre. Une fois par semaine, Daphné et Sébastien prennent le temps d’ouvrir chacun leurs cahiers respectifs, et d’aborder les points concernés. Ce moment est trouvé avec beaucoup de flexibilité, sans jour ni heure fixe. Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 15 2.6.2. La frontière entre vie privée et vie professionnelle : et les enfants là-dedans ? Pas de frontière arbitraire entre la vie professionnelle et la vie de famille… Pour Daphné et Sébastien, pas question de se mettre des interdits de principe, comme le fait de ne pas parler du travail à table. La seule règle est de ne pas en faire souffrir les enfants: s’ils veulent parler d’autre chose lors des repas partagés (comme raconter leurs journées d’école ou de crèche par exemple), alors Daphné et Sébastien attendront pour parler des Jardins. … puisque la seconde a beaucoup à gagner de la première Le travail crée des moments « méga privilégiés pour la vie de famille », dit Daphné : le couple d’entrepreneurs a fait en sorte d’en faire un terrain et un terreau de plus pour vivre la vie de famille. Le travail, tel qu’ils l’ont organisé, ménage en effet des moments uniques en famille, qu’une autre organisation du travail (qui cloisonne plus sévèrement vie privée et vie professionnelle) ne pourrait probablement pas fournir. Parents et enfants partagent des moments autour du travail des parents : Louan (aujourd'hui six ans) et sa petite sœur Roxanne (deux ans) peuvent les suivre partout, viennent les aider quand ils en ont envie. Daphné s’étonne encore de voir la patience et l’application avec laquelle « son jeune fils, à 5 ans, peut accompagner [sa mère] pendant 2 heures, et discuter avec [elle] pendant qu’[elle] désherbe les poireaux ». Associer les enfants aux moments de travail des parents… pour leur transmettre ce sens du travail « Cela développe un côté qu’on aime bien, de débrouillardise. Cela amène des valeurs qu’on aime bien, l’idée qu’ils peuvent aussi Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 16 fabriquer des choses, mettre la main à la pâte, apprendre la valeur travail », confie Daphné. Ses enfants ont leur propre potager, à part ; mais surtout ils viennent régulièrement au jardin… des grands. En période de Noël, Daphné invite son fils à dessiner des petites cartes de vœux et les vendre à côté d’elle qui vend ses paniers : il gagne ses petites pièces pour acheter des petits bonbons, il grandit. Baigner les enfants dans l’univers professionnel… parce que c’est la meilleure manière de les éduquer Loin de penser qu’il faut préserver et protéger leurs enfants de l’univers professionnel et adulte, Daphné et Sébastien ont le souci d’y faire baigner leurs enfants. Car « il faut tout un village pour éduquer un enfant » : c’est la conviction de Daphné, qu’elle traduit en pratique dans sa façon de travailler. Tous les adultes que les enfants peuvent côtoyer contribuent à les former, les éduquer, les élever : ce sont des modèles, des comportements différents, qui leur apprennent à être sociables, à acquérir des qualités qui semblent importantes aux yeux de Daphné. Le couple a donc organisé son travail en fonction, et voit ce travail, d’une certaine manière, comme une instance d’éducation supplémentaire. C’est au contact des clients, du salarié Hubert, des personnes qui viennent faire du wwwoofing, des personnes qui vivent au dessus dans les chambres qu’ils mettent en location, que le couple souhaite faire grandir ses enfants. Souplesse et flexibilité : travailler aux heures qui conviennent, pour laisser la priorité à la vie de famille Daphné et Sébastien ont choisi une organisation qui sort des modèles classiques : au lieu de se régler par principe sur un 9h-12h / 14h-18h, Daphné et Sébastien ajustent leur emploi du temps… aux imprévus humains : « C’est complètement souple, car cela repose sur de l’humain », dit Daphné. Suivant que ses enfants sont disposés ou non à jouer seuls, à être calmes, à faire des coloriages à côté d’elle lorsqu’elle travaille, et suivant la charge de travail qu’elle a eu pendant la journée, elle déplace ses heures de travail le soir. Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 17 « Hier soir on a bossé tous les deux entre 21h et 23h sur le planning de cultures, car on avait joué avec les enfants entre 18h et 20h. », explique tout simplement Daphné. Sébastien, Daphné et Louan4 2.7. Une formation « sur le tas » Ni Daphné ni Sébastien n’avaient de formation dans le maraîchage biologique quand ils se sont lancés dans l’activité. Ils ont appris des témoignages de maraîchers et techniciens qu’ils ont rencontrés, ainsi que de beaucoup de lectures. Ils se considèrent très autodidactes et continuent encore aujourd'hui de lire beaucoup, de regarder des documentaires, de faire des tests sur le terrain (ils travaillent notamment avec des centres de recherche en agriculture biologique pour faire des tests sur leurs terrains), et d’échanger avec d’autres maraîchers pour continuer de progresser : ainsi, Sébastien est trésorier du syndicat des maraîchers de Charente (auquel participent également des agriculteurs conventionnels, pas uniquement en bio), et il est au conseil d’administration de la Maison de l’Agriculture Biologique de Charente. C’est une façon très intéressante de 4 Source : Sud-Ouest, « Le jardin Bio de Daphné, à Saint-Sulpice-De-Cognac », http://www.sudouest.fr/2011/06/05/le-jardin-bio-de-daphne-417662-1391.php juin Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 2011 18 concevoir son propre travail : alors que lui-même est producteur bio, il y côtoie des producteurs conventionnels, en reconnaissant qu’ils ont beaucoup à échanger mutuellement. Ce n’est pas dans l’exclusion, dans le rapprochement en petits cercles des producteurs bio, que Sébastien entend progresser. A mesure qu’ils se forment, Daphné et Sébastien se renseignent et acquièrent des outils adaptés à leur modèle, qui leur rendant le travail plus simple : ils ont par exemple adopté la binette (« sorte de rasoir qui passe sur la terre et coupe des herbes ») pour désherber certaines cultures. Daphné déclare : « Je passais une journée entière il y a 5 ans à désherber une planche de carotte. Aujourd'hui, avec la binette, Hubert met entre 30 et 40 min à faire la même chose s’il passe au bon moment (lorsque les mauvaises herbes n’ont pas encore trop poussé, mais assez pour justifier le désherbage) ». 2.8. Quelle façon d’envisager la progression ? Des indicateurs inhabituels pour piloter et mesurer la performance C’est la deuxième année où Daphné et Sébastien se réjouissent et se félicitent de recevoir la visite de techniciens. Le couple voit dans ces visites de techniciens la preuve que leurs Jardins sont devenus des modèles, des sources d’inspiration, des exemples, et pour un public avisé : « Cela nous valorise, parce que cela veut dire qu’on devient exemple et modèle sur certaines de nos cultures », partage Daphné. Voilà ce que le couple semble considérer comme un des indicateurs pour la performance de leur entreprise. Un deuxième indicateur qui semble significatif aux yeux de Daphné et Sébastien pourrait être la quantité de cultures qui ont dû être jetées à cause de l’enherbement. Or, « cette année est la première où on n’ait eu à jeter aucune culture à cause de l’enherbement, alors qu’elle était très favorable à l’enherbement (beaucoup de maraîchers ont perdu des cultures parce qu’ils n’ont pas réussi à désherber à temps) ». Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 19 La taille critique est atteinte et satisfaisante : pas besoin de se développer à outrance L’entreprise leur convient très bien à sa taille actuelle. Un salarié à mi-temps leur suffit bien, ils ont trouvé leur « rythme de croisière » et souhaitent ne pas croître. Le salaire que Daphné et Sébastien peuvent se payer est satisfaisant pour l’heure : vivre, ni plus ni moins Daphné aime à dire ceci : « On ne gagne que ce que l’on sème », au sens propre comme au sens figuré. Elle et son mari sèment de petites choses un peu partout : d’une part des graines sur le terreau ; d’autre part des graines dans les esprits des enfants, dans les écoles, les centres de loisirs, pour leur montrer que l’on peut consommer et manger différemment. C’est une vision qui leur tient à cœur au quotidien. En premier plan : rosiers à la Brissonnerie. En deuxième plan, à droite : un morceau de la cabane en bois qu’a construite Sébastien « pour les enfants » Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 20 Partie 3. Nos matériaux de recherche Observations au Jardin de Daphné – Séjours dans la ferme - Mai/juin 2014 – 10 jours ; - Août 2014 – 4 jours. Entretiens en face à face et téléphoniques - Daphné Sorlut, cheffe d’entreprise : deux entretiens téléphoniques d’environ 45 min chacun ; - Sébastien Bruand, chef d’entreprise : diverses conversations notamment lors de séjours dans la ferme ; - Hubert, salarié : échanges lors du travail sur les champs lors des séjours dans la ferme. Articles de journaux en ligne - Sud-Ouest, « Le jardin Bio de Daphné, à Saint-Sulpice-De-Cognac », juin 2011 http://www.sudouest.fr/2011/06/05/le-jardin-bio-de-daphne-417662-1391.php - Sud-Ouest, Le Blog de Javrezac et ses environs, « Saint-Sulpice : Daphné et Sébastien cultivent Bio », mars 2010, http://javrezac.blogs.sudouest.fr/archive/2010/03/22/saintsulpice-daphne-et-sebastien-cultivent-bio.html - La Croix, « Le wwwofing, un hébergement à la ferme pour voyager et pour apprendre », octobre 2014, http://www.la-croix.com/Solidarite/Dans-le-monde/Lewwwoofing-un-hebergement-a-la-ferme-pour-voyager-et-pour-apprendre-2014-10-241253744 Blog des Jardins de Daphné Blog des Jardins de Daphné, Du bio à Cognac, http://jardinsdedaphne.canalblog.com Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 21 Partie 4. Quelques points d’amélioration identifiés Organiser sans organiser… Si Daphné est de caractère à vouloir organiser davantage que Sébastien, il faut trouver un terrain d’entente. Par exemple, la première souhaiterait « institutionnaliser » le bilan de début de semaine (la première heure, tous les lundis matins), pour faire le point, à deux, sur la semaine finie et celle qui commence. Sébastien, lui, fonctionne différemment et ne ressent pas le besoin d’une telle organisation fixe : il « n’aime pas avoir de contrainte », rit Daphné, tout en étant très sérieuse. Comment trouver un terrain d’entente, pour que chacun ait une façon de travailler sereine et qui lui corresponde ? Mieux gérer le caractère cyclique de l’activité, avec ses pics récurrents et inévitables La « journée marathon » du jeudi, toujours plus chargée, « qui commence plus tôt et finit plus tard », était devenue un sujet d’appréhension pour Daphné, et un moment critique d’accumulation de la fatigue. Elle a déjà travaillé à améliorer ce point, afin de mieux vivre ces jeudis qui reviennent… tous les jeudis, immanquablement : en préparant ses repas pour la famille la veille par exemple. Trouver une capacité de travail optimale, ce qui ne signifie pas maximale « On en est au maximum de ce qu’on est capable de sortir, pour garder une vie sereine psychologiquement et physiquement », dit Daphné en janvier 2015. Est-ce un maximum ou bien un optimum ? Dans le premier cas, c’est probablement un point d’amélioration que l’on peut identifier : être pied au plancher est très risqué, pour la santé de chacun et le bien-être de la famille. « Sur la saison c’était trop. On était au maximum il y a un an ou deux », précise-t- Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 22 elle. « Cette année, c’est mieux : on a réussi à former deux salariés, motivés et qui aiment se perfectionner et gagner en autonomie » (Hubert en maraîchage, et Sylvain en paysagisme). Si Daphné et Sébastien ont aujourd’hui trouvé leur « rythme de croisière », une épée de Damoclès semble encore peser sur l’équilibre fragile de leur modèle : « Le seul bémol, c’est si un salarié s’en va : ça fait capoter beaucoup de choses », dit Daphné. Faire en sorte de limiter la pénibilité de leur travail La pénibilité du travail demeure encore une contrainte physique lourde pour Daphné, et un levier d’amélioration selon elle. Deux éléments ont d’ailleurs déjà permis d’enclencher une amélioration sur ce volet. Sur l’activité de vente, l’achat d’une remorque, évoqué par Daphné lors d’un entretien, pourrait économiser beaucoup de chargements et déchargements de produits et donc des douleurs de dos. Sur l’activité de désherbage, l’utilisation d’une binette (on l’a évoqué plus haut) a aussi évité des douleurs de dos puisqu’ils peuvent désormais désherber en restant debout, et gagner beaucoup de temps de labeur par planche de légumes. Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 23 Partie 5. Portée et limites de notre travail 5.1. Deux paires d’yeux sur une même entreprise Au lieu de travailler de façon individuelle, nous avons décidé de travailler à deux sur cette seule entreprise. Or, le contact que chacune de nous a eu avec cette entreprise est de nature très différente. En guise d’introduction, Sabrina a voulu partager à Quiterie la façon dont elle a vécu son wwwoofing, et en quoi l’organisation du travail lui semblait singulière dans cette entreprise. Ce moment a déjà constitué pour Sabrina un premier exercice intéressant de prise de recul, d’analyse du travail, de sélection des informations pertinentes pour mettre les mots adéquats sur son expérience marquante. Ensuite, ce sont deux façons différentes d’observer l’entreprise. Si Sabrina a appréhendé ces méthodes de travail singulières par l’expérience vécue (son dos s’en rappelle…), Quiterie les a appréhendées à travers les mots bien choisis et le ton adopté par Daphné lors des entretiens. Par conséquent, ce sont aussi deux sensibilités différentes (l’une adressant à Daphné des questions auxquelles l’autre n’aurait pas forcément pensé), et deux regards différents (le regard neuf de Quiterie, non familière à cet univers, a permis de s’étonner d’éléments ou aspects qui étaient devenus évidents et acquis pour Sabrina, par exemple). Enfin, la diversité de nos matériaux de recherche nous a permis de croiser des informations différentes… et de s’apercevoir que ces dernières sont tout à fait cohérentes. Du blog et des articles de presse parus sur les Jardins de Daphné à la dégustation de leur chutney de tomate, en passant par la lecture de poèmes de la plume de Daphné, nos conversations téléphoniques ou encore les sorties de famille auxquelles Sabrina s’est jointe, ce sont autant de sources d’information riches. Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 24 5.2. Limites en termes de contenu 5.2.1. Multiplicité des grilles d’analyse du travail possibles Pour réaliser ce travail, nous nous sommes reposées sur la grille d’analyse du travail proposée et développée pendant nos cours. Or, selon les secteurs d’activité et les sensibilités de chacune, nous aurions pu imaginer une multitude d’autres grilles d’analyse, et donc d’autres aspects à explorer sur le travail dans les Jardins de Daphné. Nous avons donc, inévitablement, écarté d’autres angles de vue qui seraient sans doute intéressants aussi. 5.2.2. Non exhaustivité Nous n’avons pas pu organiser un entretien supplémentaire avec Daphné, ce qui nous a empêché d’aborder ou approfondir un certain nombre de questions, concernant notamment : - Le processus de création d’entreprise et choix du statut juridique et légal ; - Les objectifs de performance ; - La formation initiale d’Hubert ; - Le besoin et les formes de reconnaissance dans leur travail ; - Les rapports d’autorité dans l’entreprise ; - L’importance et la démarche de polyvalence dans cette entreprise. Nous restons bien sûr conscientes que même ces questions n’auraient pas suffi à rendre l’analyse exhaustive. Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 25 5.3. Limites en termes de méthode 5.3.1. Manque d’éléments de comparaison Afin de mieux déceler le caractères innovant de cette conception et organisation du travail, idéalement, il aurait fallu pouvoir comparer le travail dans les Jardins de Daphné à celui réalisé d’autres structures comparables mais ayant un positionnement différent (et éprouvant moins fortement le besoin de « réinventer le travail » peut-être…), en termes de taille d’exploitation, de mode de vente (directe, indirecte), de mode d’exploitation (biologique ou conventionnel), de mode de fonctionnement d’entreprise (familial ou autres), de nombre de salariés, de mode de gestion du travail… Nous sommes conscientes, donc, qu’analyser cette entreprise sans avoir suffisamment d’éléments de comparaison (expériences de wwwoofing chez d’autres maraîchers, contact avec d’autres entreprises semblables, etc.) est une des limites de notre travail. 5.3.2. Temps d’observation non représentatif Le temps d’expérimentation et d’observation directe chez les Jardins de Daphné, sur lequel repose en partie cette étude, est court : dix jours une première fois, puis quatre jours. Malgré l’intensité de l’expérience et des prises de conscience qu’elle a rendu possibles, il est difficile d’établir sur cette base une analyse rigoureuse du travail dans la structure. Il aurait fallu pouvoir observer le fonctionnement de l’entreprise lors d’autres périodes de l’année, et pendant plus longtemps, pour avoir le recul suffisant pour tirer des conclusions synthétiques. Mais de nombreux échanges maintenus avec Daphné et Sébastien suite aux deux séjours à la Brissonnerie ont permis d’autres ressentis sur leur manière de voir la vie et le travail. Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 26 Nous tenons à remercier sincèrement Daphné, Sébastien, Louan et Roxanne, pour la chaleur de l’accueil familial qu’ils ont réservé à Sabrina lors de ses deux séjours de wwwoofing ; mais également pour l’intérêt et l’enthousiasme dont Daphné a témoigné lors des entretiens qui ont suivi. Elle a pris avec nous ce temps de pause et de recul pour nous aider à analyser ce qu’elle et Sébastien avaient mis en pratique pour réinventer le travail, à leur manière, dans les Jardins de Daphné. Zeller Q. et Gonçalves-Krebsbach S. – Fiche Initiative : « Les Jardins de Daphné » – Janvier 2015 27