figurer un non-dit : hautbois et joueurs de hautbois

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Scholars, Professors and Experts on Asia and the Pacific
FIGURER UN NON-DIT : HAUTBOIS ET JOUEURS DE HAUTBOIS DANS
L’ICONOGRAPHIE ET L’IMAGERIE TAMOULES
REPRESENTING MEANINGFUL SILENCES: OBOE AND OBOE PLAYERS IN TAMIL
ICONOGRAPHY AND IMAGERY
William Tallotte
Musée du quai Branly
Thématique D : Créations artistiques et imaginaires
Theme D: Artistic and Imaginary Creations
Atelier D 05 : Entre images et imaginaires : réflexions autour des représentations de la
musique en Asie du Sud
Workshop D 05: Between images and imaginaries: Thoughts on South Asian representations
of music
4ème Congrès du Réseau Asie & Pacifique
4th Congress of the Asia & Pacific Network
14-16 sept. 2011, Paris, France
École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville
Centre de conférences du Ministère des Affaires étrangères et européennes
© 2011 – William Tallotte
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L’IMAGERIE TAMOULES
William Tallotte
Musée du quai Branly
Le nāgasvaram est un grand hautbois à perce conique. Il est généralement joué en paire au sein d’un
ensemble de sonneurs-batteurs connu en pays tamoul sous le nom de periya mēḷam (« grand
orchestre ») (fig. 1) – ensemble spécialisé dans le domaine musical savant (karnatique) et
traditionnellement attaché aux temples hindous de hautes castes (brahmaniques). Il est
systématiquement associé à la vie religieuse et cultuelle hindoue – « pas de lieu sans temple et pas
de temple sans nāgasvaram » dit un proverbe tamoul. Les hautboïstes, comme les autres musiciens
de l’orchestre, entretiennent volontiers cette image en évoquant leur pratique au temple (plutôt qu’en
concert) et les fictions qui l’entourent : ils aiment ainsi rappeler que le nāgasvaram est soumis à des
rites propitiatoires (Tallotte 2007 : 92-95), que son répertoire compte des pièces intrinsèquement
nouées à certaines divinités (ibid. : 105-148), et que les mythologies locales le décrivent comme un
instrument d’origine divine, ou tout le moins céleste, dont le son aurait des pouvoirs surnaturels :
chasser le « mauvais œil », calmer la colère des dieux, faire tomber la pluie (Terada 1992 : 93 ; ibid.
2008 : 118 ; Tallotte 2007 : 95-96). Dans tous les cas, y compris pour les personnes qui n’ont que
vaguement connaissance de ces détails, le nāgasvaram est considéré – en pays tamoul et plus
généralement en Inde du Sud – comme un instrument de musique auspicieux. Il est par conséquent
présent lors d’une grande partie des évènements fastes qui rythment le calendrier tamoul : rituels
quotidiens et fêtes des temples, rites de passage (hormis les funérailles), ouvertures des festivals (de
musique, de danse, ou autre), ouvertures des meetings politiques.
Fig.1. Achalpuram S. Chinnatambi Pillai
et sa troupe. Chidambaram, Tamil Nadu.
Photo William Tallotte, 2003.
Mais si le nāgasvaram, l’instrument, l’objet, est envisagé comme auspicieux, les joueurs de
nāgasvaram – hormis une poignée de « stars » – sont souvent déconsidérés. L’aspect financier joue ici
en défaveur des musiciens. Le métier de hautboïste n’est en effet guère lucratif, en particulier pour ceux
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qui jouent au temple ; il revêt par ailleurs, pour les jeunes générations, un caractère désuet : en
témoigne la fuite des jeunes issus de familles bien établies de joueurs de nāgasvaram vers
d’autres professions (informaticien, médecin, commerçant, etc.) et vers l’étranger (Singapour, la
Malaisie, les États-Unis, le Royaume-Uni, etc.). Mais c’est bien sûr l’appartenance à des castes
non-végétariennes (donc plutôt basses) qui joue ici le rôle le plus important. Il est par exemple
frappant de voir à quel point les milieux karnatiques (composés très largement de musiciens de
castes brahmines) semblent éprouver quelques difficultés à accepter au sein des réseaux
modernes de diffusion (le concert, la radio, la télévision) des musiciens (également karnatiques)
qui appartiennent à des castes plus basses et, qui plus est, jouent une musique et un répertoire
certes karnatiques mais ne répondant pas strictement aux critères et aux normes stylistiques
actuelles – normes qui se font (et se défont), depuis quelques décennies déjà, sur les scènes des
grandes villes, en particulier Madras (Weidman 2006). Cette mise à l’écart, sans être généralisable,
est suffisamment visible/audible pour que les musiciens s’en plaignent et s’organisent, en
conséquence, pour contrecarrer les effets les plus directs de cette stigmatisation. Les exemples sont
nombreux. J’en évoquerai deux essentiellement :
– Premièrement : l’adoption dans les années 19401 par une association de caste (Isai vēḷāḷar
saṅgam), puis en 1950 par le gouvernement indien (Saraswathi 1974 : 216-217), de la dénomination
isai vēḷāḷar (« vēḷāḷar de la musique », par extension « cultivateur de musique ») en remplacement de
l’ancienne dénomination, mēḷakkarar (« joueur de mēḷam »), afin de désigner les musiciens de periya
mēḷam du delta de la rivière Kaveri (historiquement l’ancien pays Chola). Cette nouvelle dénomination
a notamment permis aux joueurs de nāgasvaram de cette région de mettre en avant leur différence de
statut : différence, d’une part, avec les musiciens de periya mēḷam appartenant à des castes plus
basses (tels les barbiers maruttuvar) et non à une sous-caste vēḷāḷar2 ; différence, d’autre part, avec
les musiciens d’autres traditions de sonneurs-batteurs dont le statut est plus bas – tels ceux, par
exemple, du naiyāṇḍi mēḷam (« orchestre de raillerie »). Il n’en reste pas moins que pour la grande
majorité de la population ces distinctions restent floues : un hautboïste, quel qu’il soit, reste un musicien
de mēḷam, bref un mēḷakkarar.
– Deuxièmement : la multiplication récente – à Madras essentiellement – de festivals entièrement
destinés à la musique du periya mēḷam3. Ces festivals sont généralement soutenus par des associations
qui, en réaction à la brahmanisation croissante des traditions karnatiques au cours du XXe siècle,
défendent aujourd’hui une culture (soit disant) plus spécifiquement tamoule. Il n’est pas rare que ces
associations soient soutenues dans leur démarche par l’un des deux grands partis politiques prodravidiens, DMK (Dravida Munnetra Kazhagam, « Dravidian Progress Federation ») et AIADMK (All
India Anna Dravida Munnetra Kazhagam), qui se partagent en alternance, depuis plus de quatre
décennies maintenant, le pouvoir au Tamil Nadu.
1
De 1943 à 1948 selon les sources. Sur ce point, voir : Terada 1992 : 181 ; Sundaram 1998 : 2.
2
Le problème n’est cependant pas résolu puisqu’il est fréquent que des musiciens non vēḷāḷar se proclament – question de
prestige – isai vēḷāḷar (Tallotte 2007 : 72), voire ambaṭṭar vēḷāḷar (Reiniche 1989 : 107), c’est-à-dire « barbiers vēḷāḷar ».
Tel le festival Nalliyiṉ māperum nādasvara tavil isai tiruviḻā qui pendant une dizaine de jours au mois de janvier programme
3
uniquement des troupes de periya mēḷam.
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Nous sommes donc ici en présence d’une situation paradoxale : statut haut de l’instrument versus
statut bas (ou du moins appréhendé comme tel) de l’instrumentiste4. Les musiciens, pourtant, ne
perçoivent pas nécessairement la situation de cette manière, pour plusieurs raisons : eux-mêmes se
considèrent plutôt, malgré leur non-végétarisme, comme un groupe de statut respectable puisque en lien
direct avec la prêtrise brahmanique et, au-delà, les dieux du panthéon hindou ; par ailleurs, certains
n’hésitent pas à clamer, bien que le sujet soit généralement tabou, qu’un ou plusieurs de leurs ancêtres
étaient brahmines – ce qui est probable mais bien sûr difficilement vérifiable ; enfin, leur nonvégétarisme est compensé par des règles alimentaires strictes établies en fonction de leurs interventions
au temple. Bien sûr, leur perception n’est pas celle de l’ensemble de la population qui tend plutôt, d’un
côté à idéaliser l’instrument, y compris sa musique à travers le jeu des grands maîtres du XXe siècle, de
l’autre à ignorer ou dénigrer les instrumentistes. En ce sens, il n’est pas rare d’entendre des remarques
déplaisantes quant à leur statut, leur niveau de vie, voire leur compétence musicale – mais toujours à
demi-mot, de façon voilée, jamais frontalement. Mais ces paroles, tout au plus, ne renvoient qu’à des
tiraillements plus ou moins isolés, plus ou moins personnels, qui existent nécessairement lorsque des
relations d’interdépendance, même lointaines, sont à l’œuvre.
Ceci dit, tentons de voir maintenant si l’image, sculptée, peinte, dessinée, etc. nous en dit plus que les
paroles ou les discours sur cette situation ou, plus justement, sur la perception que les uns ou les
autres ont de cette situation – au-delà d’un point de vue interne (celui des musiciens) ou externe (celui
des non-musiciens).
[L’iconographie présentée ici n’est qu’une infime partie de ce que j’ai pu recueillir depuis un peu plus
de dix ans dans les temples du Tamil Nadu et dans les autres états du Sud de l’Inde, en particulier le
Karnataka. Certaines régions ont été couvertes de façon quasi exhaustive, temple par temple,
notamment le delta de la rivière Kaveri au Tamil Nadu et les environs de Mysore au Karnataka ;
d’autres restent à explorer. Mais ce qui est d’emblée frappant, c’est la rareté des représentations de
hautbois (comparativement à d’autres instruments : flûtes, conques, tambours, etc.), ceci malgré une
présence quotidienne des hautboïstes dans les temples brahmaniques du Sud de l’Inde – présence
qui remonte au moins à la période Chola (Tallotte 2007 : 98-103).]
La sculpture, dès le XIIe siècle environ, montre des musiciens anonymes, généralement de profil (fig.
2 et 3 : le hautbois est alors représenté plus ou moins perpendiculairement au corps), plus rarement
de face (avec un hautbois représenté de biais (fig. 4) ou parallèlement au corps (fig. 5)). Le hautbois
peut être représenté seul ou accompagné (de tambours, parfois de cymbales). Dès le XVe siècle
l’épigraphie enregistre de son côté le nom de quelques musiciens et énonce leurs émoluments en
relation à une tâche donnée (Tallotte 2007 : 102). Pas d’autres indices. On sait seulement que ces
musiciens, dont la caste d’appartenance n’est le plus souvent pas décelable dans le nom, recevaient
des sommes d’argent et des parcelles de terres de taille variable, sans doute en fonction de leur
renommé au temple et alentour et, bien sûr, de l’importance politique et économique du temple auquel
ils étaient attachés.
4
Cette contradiction de statut est semble-t-il répandue en Asie du Sud. Pour un autre exemple, voir : Tingey 1994. Atelier D 05 / Entre images et imaginaires :
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Fig. 2. Bas-relief, XIIe siècle.
Fig. 3. Bas-relief, XIV siècle. Temple Vidyaśankar.
Sringeri, Karnataka. Photo William Tallotte, 2001.
e
Temple Naṭarāja.
Chidambaram, Tamil Nadu.
Photo William Tallotte, 2000.
Fig. 4. Pilier, XIII siècle.
Fig. 5. Bas-relief, XII siècle. Temple Naṭarāja.
Temple Naṭarāja.
Chidambaram, Tamil Nadu.
Photo William Tallotte, 2000.
e
Chidambaram, Tamil Nadu.
e
Photo William Tallotte, 2010.
La peinture – dès le XVIIe siècle pour les premières représentations – fournit d’autres indications : on
rencontre soit des musiciens dans des tenues qui évoquent le faste des fêtes de temple mais dont les
traits ne semblent pas individualisés (fig. 6 et 7), soit des musiciens (essentiellement à partir du début
du XXe siècle) que l’on peut reconnaitre (fig. 8 et 9), dans des contextes de fête ou au travers d’une
pose. On voit donc l’évolution suivante se dessiner : dès le début du XXe siècle, il ne semble plus
envisageable (à de rares exceptions près) de représenter un hautboïste lambda sur les murs d’un
temple : seuls les grands maîtres peuvent en effet prétendre à ce privilège. Ainsi donc, le hautbois, s’il
est encore représenté avec celui qui en joue, ne peut l’être que dans les mains d’un musicien
d’exception, dont la compétence effacerait en quelque sorte le statut. C’est au moins une
interprétation possible.
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Fig. 6. Peinture murale, XVIIe siècle. Temple Naṭarāja.
Chidambaram, Tamil Nadu. Photo William Tallotte, 2003.
Fig. 7. Peinture murale, XVIII siècle. Monastère jaïn de
e
Sravanabelagola, Karnataka. Photo William Tallotte, 2001.
Fig. 8. Chidambaram Vaidyanatha Pillai
Fig. 9. Mannargudi Chinna Pakkiri Pillai (1869-1915).
(1884-1937). Peinture murale, vers 1930.
Peinture murale, vers 1910. Temple de
Temple Naṭarāja. Chidambaram,
Tamil Nadu. Photo William Tallotte, 2000.
Konerirajapuram, Tamil Nadu.
Photo William Tallotte 2003.
Cette évolution se confirme-t-elle ensuite ? Il semblerait que oui. Prenons pour exemple les faireparts
de mariage d’un côté, qui annoncent en principe les musiciens présents, et les pochettes de cassettes
ou de disques compacts. Les premiers n’intègrent généralement que le nom des musiciens et s’il y a
une image les concernant ce n’est jamais la leur mais uniquement celle de leur instrument. Mais cet
exemple peut très bien être interprété de diverses manières : l’instrument est mis en avant puisque lui
seul est auspicieux – or le mariage est par excellence un événement de bonne augure ; ou, sans que
ceci soit en contradiction avec la première interprétation : les musiciens n’apparaissent évidemment
pas car ceci brouillerait le message même du fairepart : que viendraient-ils faire en effet aux côtés des
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futurs époux ? Les pochettes de cassettes et de disques, quant à elles, mettent en scène soit
l’instrument ou les instruments (fig. 10a), soit un temple et une divinité (fig. 10b), soit les musiciens et
leur instrument, plutôt dans une pose (fig. 11a et b) – dernier cas qui correspond aux portraits que se
font eux-mêmes tirés les musiciens. On retrouve donc, malgré quelques contre-exemples, la logique
suivante : seul les instruments apparaissent lorsque les musiciens sont peu ou moyennement connus
ou lorsque des musiciens plus connus présentent explicitement un répertoire auspicieux : de fête ou
de mariage ; a contrario, les musiciens apparaissent seulement, ou presque, lorsqu’ils sont très
connus. Ainsi, comme dans les peintures de temple les plus récentes, sent-on une certaine réticence
à présenter ou représenter seulement un joueur de hautbois. Il faut pour cela qu’il est un nom – un
grand nom.
Fig. 10a et 10b.
Fig. 11a et 11b.
Au-delà de ces représentations que les musiciens ne maîtrisent pas totalement mais pour lesquelles
leur avis est sans doute sollicité – ou tout au moins pense-t-on à leur avis lors de leur conception –, il
existe bien sûr des cas qui ne s’embarrassent pas de leur point de vue, bien au contraire. Je pense
notamment aux caricatures qui courent ça et là. Tel ce dessin (fig. 12), publié dans le magazine
tamoul Kalki, qui pourrait apparaître sympathique s’il ne se faisait pas l’écho des propos les plus
désobligeants sur les joueurs de nāgasvaram.
« Tu as tant de médailles suspendues à ton hautbois ! D’où
viennent-elles ? »
« Je les désirais tant ! J’ai attaché ton collier de pièces d’or [ton
collier de mariage] »
Fig. 12. Caricature. Magazine Kalki, 26 janvier 1969. (Terada 1992 : 150)
Pour conclure
L’image, parallèlement aux discours, permet à sa manière de rendre compte de cette différence de
statut entre instrument et instrumentiste. Elle ne se substitue toutefois que partiellement à la parole,
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puisque, comme cette dernière, elle est nécessairement sujette à une multiplicité d’interprétations. Par
ailleurs, l’interprétation est d’autant plus délicate que l’on ne connaît pas précisément – dans le cas
des sculptures et des peintures de temple – la genèse de telle ou telle image : y a t-il un
commanditaire ? Qui est-il ? Qui a réalisé l’image ? Dans quelles circonstances, conditions, etc. ?
Bref, l’absence d’accès précis à un point de vue freine l’analyse.
On peut toutefois retenir la chose suivante : la dichotomie entre statut de l’instrument et statut de
l’instrumentiste ne semble pas transparaître à travers les images avant le début du XXe siècle. On
peut donc supposer que cette question statutaire est apparu – ou a pris de l’ampleur – dans la
première moitié du XXe siècle, parallèlement aux transformations sociales et culturelles de la vie
musicale qui ont eu lieu à cette période en Inde du Sud (L’Armand & L’Armand 1983 ; Subramanian
2006) ; et, plus particulièrement :
–
La disparition d’un patronage royal – patronage qui soutenait économiquement les temples et
leur personnel, y compris les musiciens (Seetha 1981 : 24-121).
–
Le développement d’un patronage contrôlé majoritairement par des associations brahmines –
avec pour conséquence une mise à l’écart des joueurs de hautbois nāgasvaram et de leurs
troupes ; et ceci malgré le combat de certains musiciens, tel T.N. Rajarattinam Pillai (18981956) (Terada 1992 : 54-75).
–
Le discrédit des danseuses de temple et finalement leur disparition programmée – à travers
une série de lois – de tous les temples du Sud (Inoue 2005 : 107-113). Or ces danseuses
étaient très souvent issues de familles de hautboïstes et de percussionnistes de temple
(Kersenboom 1998 : 184).
Références
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Inde du Sud), Thèse de doctorat, Université Paris 4-Sorbonne.
TERADA, Yoshitaka, 1992, Multiple Interpretations of a Charismatic Individual: The Case of a Great
Nagasvaram Musician, T.N. Rajarattinam Pillai. Ph.D. Dissertation, University of Washington.
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