Andromaque - biblio

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Andromaque - biblio
Andromaque
Racine
Livret pédagogique
correspondant au livre élève n° 35
établi par Fanny Marin,
professeur certifié de
Lettres modernes
Sommaire – 2
SOMMAIRE
A V A N T - P RO P O S ............................................................................................ 3
T A B L E DES
CO R P U S
........................................................................................ 4
R ÉP O NSES
A U X Q U EST I O NS
................................................................................ 5
Bilan de première lecture (p. 154)...................................................................................................................................................................5
Acte I, scène 1 (pp. 17 à 23) .............................................................................................................................................................................5
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 24-25) .................................................................................................................................5
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 26 à 35) ..................................................................................................................7
Acte II, scène 1 (pp. 47 à 51) ..........................................................................................................................................................................11
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 52-53) ...............................................................................................................................11
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 54 à 62) ................................................................................................................12
Acte III, scène 8 (pp. 88 à 92).........................................................................................................................................................................15
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 93-94) ...............................................................................................................................15
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 96 à 102) ..............................................................................................................16
Acte IV, scène 3 (pp. 107 à 113).....................................................................................................................................................................18
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 114-115)...........................................................................................................................18
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 116 à 124)............................................................................................................19
Acte V, scène 5 (pp. 140 à 143)......................................................................................................................................................................24
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 144-145)...........................................................................................................................24
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 146 à 153)............................................................................................................24
C O M P L ÉM ENT S
A U X L ECTU RES D ’ I M A GES ................................................................. 28
C O M P L ÉM ENT S
A U X M I SES EN SCÈ NE
B I B L I O GRA P H I E
..................................................................... 30
CO M P L ÉM ENT A I RE ....................................................................... 33
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© Hachette Livre, 2005.
43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15.
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Andromaque – 3
AVANT-PROPOS
Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la
fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces
lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de
textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation,
de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…).
Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Une pièce de théâtre comme
Andromaque de Racine permettra d’étudier l’esthétique de la tragédie à l’apogée du classicisme. Cette
intrigue des passions conduira également à s’interroger sur la représentation de l’amour et sur son rôle
dramatique.
Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres
classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois :
– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite
la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ;
– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture.
Cette double perspective a présidé aux choix suivants :
• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine
compréhension.
• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et
enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe,
notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus.
• En fin d’ouvrage, le « dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui
donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de
l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte…
• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre
intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du
texte (sur fond blanc), il comprend :
– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il
se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens
général de l’œuvre.
– Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre :
l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du
questionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte.
– Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer
chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire
d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer
un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le
« descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude
ou de documents complémentaires.
Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail
efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.
Table des corpus – 4
TABLE DES CORPUS
Objet(s) d’étude
et niveau
Corpus
Composition du corpus
Des scènes d’exposition
(p. 26)
Texte A : Scène 1 de l’acte I d’Andromaque de
Jean Racine (pp. 17-23).
Texte B : Scène 1 de l’acte I de Nicomède de
Pierre Corneille (pp. 26-30).
Texte C : Scène 1 de l’acte I de Rodogune de
Pierre Corneille (pp. 30-33).
Texte D : Scène 1 de l’acte I de Cinna de Pierre
Corneille (pp. 33-34).
La scène d’exposition :
spécificité et diversité
(Première)
Texte A : Scène 1 de l’acte II d’Andromaque de
Jean Racine (pp. 47-51).
Texte B : Extrait de la scène 5 de l’acte IV de
Bérénice de Jean Racine (pp. 54-56).
Texte C : Extrait de la scène 6 de l’acte II de
Mithridate de Jean Racine (pp. 56-59).
Texte D : Extrait de la scène 6 de l’acte II de
Phèdre de Jean Racine (pp. 59-60).
Document : Mise en scène de Phèdre par Luc
Bondy (p. 61).
Texte A : Scène 8 de l’acte III d’Andromaque de
Jean Racine (pp. 88-92).
Texte B : Extrait du chant VI de l’Iliade
d’Homère (pp. 96-97).
Texte C : Extrait du « Cygne », Les Fleurs du
mal de Charles Baudelaire (pp. 97-98).
Document : Les Adieux d’Hector et
d’Andromaque (p. 99).
Texte D : Extrait de la scène 6 de l’acte I de La
guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean
Giraudoux (pp. 100-101).
Texte A : Scène 3 de l’acte IV d’Andromaque de
Jean Racine (pp. 107-113).
Texte B : Extrait de Manon Lescaut de l’abbé
Prévost (pp. 117-118).
Texte C : Extrait de Carmen de Prosper
Mérimée (pp. 118-119).
Texte D : Extrait de Carmen de Prosper
Mérimée (pp. 119-120).
Texte E : Extrait de Mademoiselle Chambon
d’Éric Holder (pp. 120-122).
Document : Sakountala de Camille Claudel
(p. 122).
Texte A : Scène 5 de l’acte V d’Andromaque de
Jean Racine (pp. 140-143).
Texte B : Extrait de la scène 1 de l’acte V de
Macbeth de William Shakespeare (pp. 146-148).
Texte C : Extrait de Thérèse Raquin d’Émile
Zola (pp. 148-149).
Texte D : Extrait de la scène 1 de l’acte III des
Mouches de Jean-Paul Sartre (pp. 149-151).
Document : Le sommeil de la raison engendre
des monstres de Goya (p. 152).
Une thématique
racinienne récurrente :
l’aveu de l’amour interdit
(Première)
Amoureuses raciniennes
(p. 54)
Images d’Andromaque
(p. 96)
Aliénation amoureuse
(p. 116)
Remords cuisants
(p. 146)
Un personnage
au fil des œuvres
(Première)
Compléments aux
travaux d’écriture destinés
aux séries technologiques
Question préliminaire
Étudiez les registres de chacun des textes
du corpus.
Commentaire
À travers le monologue d’Émilie, vous
analyserez les différentes facettes du
personnage.
Question préliminaire
Dans chacun des textes du corpus,
étudiez la manière dont les personnages
tentent de persuader l’autre ou soimême.
Commentaire
Vous relèverez les éléments textuels qui
montrent que Phèdre est submergée par
la violence de son aveu.
Question préliminaire
Quelles facettes d’Andromaque les textes
du corpus privilégient-ils ?
Commentaire
Vous montrerez que le poème de
Baudelaire confond le passé et le présent
et peint une souffrance universelle.
Un thème littéraire
récurrent : l’aliénation
amoureuse
(Première)
Question préliminaire
Dans les textes et le document étudiés,
quelles sont les différentes conceptions
de la passion amoureuse ?
Commentaire
Vous montrerez en quoi cette première
rencontre amoureuse s’annonce comme
le récit d’une initiation teinté de morale.
Littérature et morale :
la représentation
du remords
(Première)
Question préliminaire
Dans les textes du corpus, montrez que
remords et mort sont indissolublement
liés et que les personnages sont destinés
à une fin proche.
Commentaire
Vous analyserez comment cette scène
mythologique fondée sur l’opposition de
personnages pourtant identiques est
l’expression poétique d’un problème de
conscience.
Andromaque – 5
RÉPONSES AUX QUESTIONS
B i l a n
d e
p r e m i è r e
l e c t u r e
( p .
1 5 4 )
L’action se déroule en Épire, à la cour de Pyrrhus, au lendemain de la défaite de Troie.
" et # Oreste, le fils d’Agamemnon, est l’amant malheureux d’Hermione. Officiellement, il se
présente à la cour de Pyrrhus en ambassadeur chargé de réclamer au nom des Grecs Astyanax, le fils
d’Andromaque et Hector. Mais, par ce moyen, Oreste espère ravir Hermione, qu’il sait dédaignée de
Pyrrhus.
$ et % Andromaque est une Troyenne, veuve d’Hector, valeureux guerrier mort au combat. C’est
une princesse déchue, captive, avec son fils Astyanax, de Pyrrhus. Elle est déchirée par un dilemme,
car Pyrrhus lui impose de l’épouser ou de voir périr son fils. Andromaque ne peut donc que :
– céder à Pyrrhus pour sauver son fils, mais être infidèle à Hector qu’elle aime toujours ;
– ou rejeter l’amour de Pyrrhus, pour conserver sa foi à Hector, mais voir mourir Astyanax, seul reste
d’Hector.
& Les deux autres personnages principaux sont Pyrrhus, roi d’Épire, et la Grecque Hermione,
promise par son père Ménélas à Pyrrhus.
' Il s’agit d’Astyanax, prisonnier, et d’Hector, défunt.
( Blessée dans son amour pour Pyrrhus et jalouse d’Andromaque, Hermione a signalé aux Grecs la
présence d’Astyanax. Elle espérait ainsi que ceux-ci forceraient Pyrrhus à s’en débarrasser. Dès lors,
l’amour entre lui et Andromaque devenait impossible (II, 1).
) À la scène 3 de l’acte II, Oreste se réjouit d’obtenir enfin Hermione. Mais, à la scène suivante,
Pyrrhus, qui n’affichait que dédain pour elle, change d’avis et décide de l’épouser. Tous les espoirs
d’Oreste sont anéantis.
*+ En dépit des avertissements de Pylade, Oreste décide d’enlever Hermione (III, 1).
*, Dans un premier temps, Andromaque vient supplier Hermione d’intercéder auprès de Pyrrhus
pour sauver son fils. Mais l’orgueilleuse princesse refuse. Au désespoir, Andromaque implore à
nouveau Pyrrhus. Face à l’ultimatum de celui-ci, elle va consulter le tombeau de son époux défunt
(III, 4-6 et 8).
*- À la scène 1 de l’acte IV, Andromaque s’est résolue à épouser Pyrrhus pour engager la foi de celuici envers son fils. Elle se donnera ensuite la mort pour rester fidèle à Hector.
*. Lorsque Hermione apprend l’assassinat de Pyrrhus, elle nie l’avoir jamais ordonné et chasse Oreste
(V, 3). Folle de douleur, elle se poignarde sur le corps de Pyrrhus (V, 5).
*/ En accord avec son statut de nouvelle reine d’Épire, mais aussi de Troyenne veuve d’Hector,
Andromaque fait poursuivre les Grecs, assassins de Pyrrhus et de son époux Hector.
!
A c t e
I ,
s c è n e
1
( p p .
1 7
à
2 3 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 24-25)
L’action se déroule à la cour de Pyrrhus (v. 8), en Épire (v. 22), au lendemain de la guerre de
Troie. Les amis Oreste et Pylade sont séparés depuis six mois. Astyanax, censé être mort, vient d’être
découvert en vie. Le mariage de Pyrrhus et Hermione n’a pas encore été célébré.
" Personnages sur scène : Pylade est l’ami d’Oreste ; Oreste est le fils d’Agamemnon, l’un des chefs
grecs pendant la guerre de Troie.
Sont évoqués des héros de la guerre de Troie : Pyrrhus, Ménélas (v. 41, 79), Ulysse (v. 74), Hector
(v. 71). Ce sont tous des personnages prestigieux, de rang élevé. Sont aussi évoquées deux princesses :
Hermione et Andromaque.
# De nombreuses références à la guerre de Troie sont faites : outre les personnages cités ci-dessus, on
trouve les vers 42 et 73-76. La dimension politique et l’ambassade d’Oreste sont soulignées aux
!
Réponses aux questions – 6
vers 67-72 et 89-92. Aux vers 37-104, sont exposés les faits indispensables à la compréhension de
l’action : Ménélas a promis sa fille Hermione à Pyrrhus, l’un des vainqueurs de la guerre de Troie ;
Hermione, qui a toujours dédaigné Oreste, est éprise de Pyrrhus, mais se voit préférer Andromaque ;
cette dernière, prisonnière de Pyrrhus, rejette l’amour de son geôlier ; sous couvert de l’ambassade
grecque, qui exige la mort d’Astyanax, Oreste veut profiter de la situation et ravir Hermione.
$ Le récit d’Oreste, quoique long, reste très vivant. Certains procédés le rendent dramatique : phrases
interrogatives (v. 39, 101, 103-104), phrase exclamative (v. 94), présents de narration (équivalents de
passés simples ; v. 67-84 et 89-92), nombreux verbes d’action, syntaxe simple avec des phrases brèves
(v. 61, 83, 90, par exemple), rythme binaire alerte (v. 40, 44, 55, par exemple), reprises (« Tu vis »,
v. 40, 43, et « Je te vis », v. 45 ; v. 53-54).
% Champ lexical de la fatalité : « fortune » (v. 2), « funeste » (v. 5, 45), « jour fatal » (v. 11), « destin »
(v. 22, 25, 98), « sort » (v. 27, 34, 65).
& D’emblée, Oreste est désigné comme une victime des dieux. D’une part, il est un personnage
connu et sa généalogie (famille des Atrides) le condamne à la fureur divine. D’autre part, des éléments
de son discours le désignent comme une victime : sa tirade (v. 37-104), qui fournit les informations
nécessaires à la compréhension de l’intrigue, a aussi pour fonction essentielle de peindre le personnage
en victime d’un destin acharné. Le récit justifie l’état d’esprit d’Oreste lorsque débute l’action et
contribue à la vraisemblance lorsqu’il accepte le parricide exigé par Hermione puis sombre dans la
folie. Oreste est habité par l’idée du suicide (v. 48) ; Pylade le confirme (v. 20, 24). Enfin, le champ
lexical de la fatalité associé à Oreste est révélateur (voir question 1). D’autres termes parlent d’euxmêmes : l’adjectif « déplorable » (v. 44), au sens de « pitoyable », ou la « mélancolie » (17), au sens fort
de « tristesse morbide, maladie ». Un vers célèbre reste également associé à Oreste : « Je me livre en
aveugle au destin qui m’entraîne » (v. 98) et le désigne clairement comme la victime consentante du
destin.
' Les différents scénarios de la suite des événements sont suggérés par Pylade, mais aussi
implicitement par le discours et l’attitude d’Oreste, victime prédestinée. L’incertitude tient au
comportement, aux humeurs de Pyrrhus (v. 120-122). Pyrrhus aime Andromaque, mais cela n’exclut
en rien qu’il puisse s’unir à Hermione, que pourtant il n’aime plus. Hermione, dédaignée, pourrait se
tourner vers Oreste (v. 132). Elle hésite entre partir et rester (v. 131). Enfin, les données politiques
interviennent : les exigences grecques peuvent rapprocher Pyrrhus d’Andromaque et servir les intérêts
amoureux d’Oreste.
Les passions exacerbées (qui le sont d’autant plus que les Grecs mettent les personnages dans
l’urgence), l’attirance d’Oreste pour le suicide et la brutalité de Pyrrhus laissent présager, en dépit des
espoirs suggérés par Pylade, une fin tragique.
( Les personnages sont de rang élevé. Le cadre est prestigieux. La mort est omniprésente, le champ
lexical du destin est bien représenté. L’amour s’annonce comme une force fatale. Le ton est donné :
crainte d’un dénouement sanglant, crainte et pitié pour des personnages violents, tel Pyrrhus, mais
aussi pour des victimes emportées par leur destin. Tout semble déjà joué.
) Les registres convoqués sont :
– le registre tragique, qui met en jeu les forces pesant sur l’homme (cf. toutes les allusions au destin et
à la fatalité) ;
– le registre pathétique, qui privilégie les émotions intenses (surtout dans l’expression de la souffrance
d’Oreste).
*+ L’ambassade d’Oreste est présentée par ce dernier comme le moyen d’atteindre Hermione et de la
reprendre à Pyrrhus, son rival avant d’être le roi d’Épire (cf. v. 89-94 : l’amour dicte la démarche
d’Oreste). Les exigences grecques vont exacerber les passions en plaçant les personnages dans une
situation d’urgence.
*, Champ lexical de l’amour (les termes sont attendus, mais cela n’amoindrit en rien leur violence) :
l’amour « asservit » Oreste et décide de sa vie ou de sa mort (v. 29-30, 103) ; « charmes », au sens
classique fort de « sortilège, envoûtement » (v. 31, 50, 77, 124, 130) ; « fers » (v. 32) ; « flamme »
(v. 40) ; « Ma chaîne et mes ennuis », au sens de « profonds chagrins » (v. 44) ; « transports » (v. 54, 84) ;
« feux » (v. 86, 95, 108) ; Hermione est qualifiée de « cruelle » (v. 141) et Andromaque d’« inhumaine »
(v. 109).
Andromaque – 7
La dimension amoureuse est essentielle. Avant d’être des princes, des princesses ou des
ambassadeurs, tous les personnages évoqués sont des amants malheureux. Pyrrhus est le rival (v. 78)
d’Oreste avant d’être un roi pour lui ; il est un amant désespéré, dont la conduite, parfois brutale
(v. 112-114), reste contradictoire et imprévisible (cf. Pylade, v. 105-122 et v. 120 : « un cœur si peu
maître de lui »). L’ambassade d’Oreste a d’abord une raison amoureuse ; après avoir lutté en vain contre
sa passion, Oreste décide de se laisser emporter par elle. Hermione est une princesse blessée dans son
amour (v. 130). Le ballet des personnages, réglé sur Andromaque, est annoncé (v. 115).
*-
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 26 à 35)
Examen des textes
! Éléments relevant de l’exposition dans chaque texte :
• Texte A : cf. l’analyse de la scène.
• Texte B : le dialogue entre Nicomède et Laodice pose les données de l’intrigue et révèle l’essentiel
des caractères des deux personnages.
Situation de l’un et l’autre à la Cour et à l’armée :
– Nicomède est un héros admiré de Laodice et aimé du peuple, mais jalousé par sa belle-mère et son
demi-frère, lesquels servent les intérêts romains ; il est rentré à la Cour sans ordre du roi, pour
dénoncer une tentative d’assassinat sur sa personne à l’armée.
– Laodice est une reine sous la tutelle du roi Prusias ; elle est insoumise aux Romains.
Ce qui se trame : Arsinoé, seconde épouse du roi Prusias, manipule celui-ci pour évincer Nicomède
de la succession et placer son fils Attale. Elle a l’appui des Romains. En outre, Nicomède soupçonne
la reine de comploter aussi contre Laodice, peut-être d’espérer la marier à Attale. Le séjour prolongé
de Flaminius, l’ambassadeur des Romains, l’inquiète.
Dès cette première scène, la force de caractère des deux personnages est mise en avant. Ils sont sûrs
d’eux-mêmes et l’un de l’autre, et cette certitude d’être aimés et admirés les conforte mutuellement.
Le spectateur éprouve de la sympathie à leur égard. On apprécie la rapidité et le naturel de cette
exposition, qui, en outre, crée d’emblée un sentiment d’inquiétude pour les deux personnages.
• Texte C : l’action de Rodogune débute le jour de la succession au trône. La reine va déclarer quel est le
premier des jumeaux et donc l’héritier de la couronne. Rodogune, prisonnière de la reine, épousera ce
roi. C’est le jour heureux où la paix succède à la guerre, l’amour à la haine. Le caractère des deux
personnages importe peu ; ils sont d’une importance secondaire pour le déroulement de l’intrigue.
• Texte D : Auguste est au sommet de sa gloire. Mais, pour y parvenir, il a « massacré » le père
d’Émilie, qui n’aspire qu’à se venger. Elle a entraîné son amant Cinna dans le complot. Mais, parce
qu’elle aime Cinna autant qu’elle hait Auguste, elle hésite dans son projet. L’ouverture se fait donc sur
un moment critique. Le péril pèse sur Cinna, Émilie et Auguste. Dans ce monologue se révèle le
caractère d’Émilie, à la fois sa force et sa faiblesse.
" Moyens rendant vraisemblable la présentation des événements passés dans chaque texte :
• Texte A : par hasard, Oreste et Pylade, fidèles amis, se retrouvent à la cour de Pyrrhus après avoir
été séparés ; chacun informe l’autre de ce qui lui est arrivé pendant cette séparation ; Oreste, tout
juste arrivé, apprend de Pylade la situation à la Cour.
• Texte B : Nicomède était dans l’armée, donc éloigné de la Cour ; Laodice peut l’informer de
manière vraisemblable ; ils dressent ensemble le bilan de la situation.
• Texte C : les deux personnages ont vécu séparément et peuvent s’informer mutuellement (cf. « Là,
nous n’avons rien su que de la renommée, / Qui, par un bruit confus diversement semée, / N’a porté jusqu’à
nous ces grands renversements / Que sous l’obscurité de cent déguisements »).
• Texte D : Émilie, en proie à un violent conflit, extériorise ses pensées ; le trouble émotionnel
justifie le monologue (v. 5) ; la vraisemblance est cependant moindre ; mais la scène est plus courte :
en ouverture, un long monologue serait trop statique.
# Dans le système dramatique de Corneille, le plus souvent, les amants se séparent pour se réunir
après des épreuves diverses. Ici, ce n’est pas le cas. Rien ne sépare Nicomède et Laodice. Ils sont sûrs
l’un de l’autre (cf. Laodice : « Ma gloire et mon amour peuvent bien peu sur moi, / S’il faut votre présence à
soutenir ma foi, / Et si je puis tomber en cette frénésie / De préférer Attale au vainqueur de l’Asie »). La
Réponses aux questions – 8
réponse de Nicomède va dans le même sens. Le péril est extérieur à leur couple. Il vient de la reine et
de Rome. Mais les deux héros ont l’appui du peuple et de l’armée.
$ L’ouverture contraste avec l’idée d’une tragédie noire. Il y a une forte insistance sur le caractère
heureux du jour où débute l’action (v. 1-2 et 5-6).
% L’organisation du monologue traduit le dilemme d’Émilie :
– v. 1-8 : exorde ; le vers 8 annonce le plan du monologue ;
– v. 9-16 : la vengeance (la mort d’Auguste) est nécessaire ;
– v. 16-40 : arguments opposés à la vengeance ; celle-ci risque de coûter trop cher à Émilie, par le
péril qui pèse sur Cinna ; la peur d’Émilie annonce le retournement final de la pièce ;
– v. 41-52 : conclusion ; décision qui concilie amour et devoir de vengeance, jusque-là opposés.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Les éléments qui indiquent que les textes étudiés appartiennent au genre de la tragédie sont le type de
personnages et le cadre dans lequel ils évoluent, l’annonce plus ou moins explicite d’un péril et la
présence du champ lexical de la mort ou de la fatalité. Le spectateur sent d’emblée qu’il est plongé
dans une atmosphère tragique.
• Texte A : voir l’analyse de la scène.
• Texte B : Laodice et Nicomède sont un roi et une reine à la cour du roi Prusias. Le péril vient de la
reine Arsinoé, seconde épouse de Prusias, et des Romains, représentés en la personne de leur
ambassadeur Flaminius. Le danger est bien réel : Hannibal a dû se suicider car les lois de l’hospitalité ont
été rompues, et Nicomède a déjoué une tentative d’assassinat sur sa personne dans les rangs de l’armée.
Un certain nombre de termes contribuent à créer une atmosphère tragique : « cœur épouvanté » (v. 8),
« séjour dangereux » (v. 10), « haine » (v. 15), « fatal » (v. 21), « mort » (v. 25), « craindre » (v. 30),
« persécuter » (v. 38), « sacrifier » (v. 41), « querelle » (v. 42), « violence » (v. 55), « tonner » (v. 57), « fureurs »
(v. 68), vers 69 et 71, « contraindre » (v. 72), « sacrilège » (v. 76), « expose » (employé deux fois au v. 78),
« crime » (v. 79), « victime » (v. 80), « immoler » (v. 82), « contraigne » (v. 83), « craigne » (v. 84), « crainte »
(v. 88), « craigne » et « craindrai » (v. 98), « venger » (v. 86), « porter sa tête au roi » (v. 94), « assassins » et
« haine » (v. 100), « perte » et « fortune » (v. 107), « péril » (v. 109), « mourir » (v. 110), « trouble » (v. 111
et 113), « périr » et « périrons » (v. 112), « accabler » (v. 114), « hait » (v. 115).
• Texte C : contrairement aux autres textes du corpus, les personnages en scène sont de rang
inférieur. Mais leur discours a pour unique objet des personnages de rang élevé, et il est question de la
succession au trône de Syrie. Certes, la pièce s’ouvre sur un « heureux » jour mais qui est précédé de
malheurs, et les signes inquiétants demeurent : « trouble », « nuit » (v. 2), « vengeance » (v. 3), « guerre »
(v. 6), « haine » (v. 16), « fers », « gêner » au sens de « torturer » (v. 18).
Le personnage de Cléopâtre est inquiétant. Cette reine a gardé le silence sur l’ordre de naissance des
jumeaux et elle a traité Rodogune, « objet de sa haine », en esclave.
Timagène et Laonice célèbrent le début d’une nouvelle ère, mais celle qui a précédé, malheureuse, est
rappelée dans tous ses détails. Tout doit changer, mais des éléments, en filigrane, altèrent l’impression
de bonheur auquel les deux personnages veulent croire.
• Texte D : Émilie, fille de Toranius, est un personnage de haut rang, sans être une reine ou une
princesse. Surtout, elle ne parle que de vengeance ou de complot visant Auguste, le plus haut
personnage politique, celui qui détient un pouvoir absolu. En outre, le dilemme du personnage est
posé d’emblée. La vengeance d’Émilie risque en effet d’entraîner la chute de celui qu’elle « aime plus
qu’[elle] ne hait Auguste » : Cinna. Dès l’ouverture du rideau, le spectateur est plongé dans une
atmosphère tragique, où s’affrontent l’amour, la haine, le devoir et la vengeance. Le péril est rendu
omniprésent. Pour une étude des champs lexicaux, voir le commentaire qui suit.
Commentaire
Introduction
Cinna débute par une scène d’exposition qui prend la forme assez inattendue d’un monologue. C’est
un choix rare, car statique en ouverture. Mais le discours, dynamique, est un monologue d’exposition
habile qui présente sans lourdeur les données de l’intrigue. En outre, il s’offre comme la délibération
Andromaque – 9
de l’un des personnages principaux, posant et résolvant le dilemme d’Émilie. L’héroïne y apparaît dans
toute la force de son caractère, avec ses doutes et ses faiblesses, mais aussi toute la fougue de sa
jeunesse.
1. Un monologue d’exposition
A. Le spectateur est informé
• L’enjeu du conflit : la vengeance, à la fois personnelle et politique, par Émilie de la mort de son
père.
• L’identité des personnages principaux : Auguste, Cinna et Émilie dont le nom est cité au vers 10.
B. Les suites possibles de l’action sont envisagées
• La trahison d’un des conjurés (ce sera Maxime).
• La chute de Cinna.
C. Mais aucune indication de temps ou de lieu n’est fournie
• Sans doute l’appartement d’Émilie sert-il de décor, mais rien ne dit que celui-ci se trouve dans le
palais d’Auguste.
• Les compléments d’information seront donnés aux scènes suivantes.
2. Un monologue délibératif
A. Le genre délibératif
• Le discours d’Émilie appartient au genre délibératif. Il présente son dilemme et le résout. Il doit lui
permettre de considérer (« s’interroger sur ») ce qu’elle « hasarde » et ce qu’elle « poursuit ». Et il aboutit
à une décision.
• Émilie s’adresse à quelqu’un qu’elle cherche à convaincre : d’abord l’allégorie de la vengeance,
apostrophée aux vers 1 et 3, puis Cinna (v. 21) et enfin son amour.
B. La structure du monologue traduit clairement cette délibération
• Vers 1-8 : exorde. Le public doit entrer dans l’état d’esprit d’Émilie, être ému par elle pour ne pas
ensuite être choqué de l’entendre parler, elle, une femme, de meurtre. En termes de rhétorique, c’est
la captatio benevolentiae.
• Vers 7-8 : présentation des deux points successivement développés (« ce que je hasarde » / « ce que je
poursuis »), lesquels seront abordés dans un ordre inverse (figure du chiasme).
• Vers 9-20 : narration. C’est un récit (cf. v. 9 : « quand », v. 10 : « et que », v. 11 : « que », v. 13 et 20 :
« quand »), dans lequel Émilie passe en revue successivement les deux aspects de la situation. D’abord,
Auguste apparaît dans toute sa gloire ; il est l’assassin de son père, et donc l’objet de sa haine ; on
remarque la figure de rhétorique de l’hypotypose, destinée à donner l’illusion que l’on voit les choses
(cf. v. 11-13 et v. 13 : « sanglante image »). Émilie se tourne ensuite vers ce qu’elle « hasarde ». C’est
Cinna, qu’elle aime encore plus qu’elle ne hait Auguste. Dès lors, le dilemme est clairement posé.
• Vers 21-34 : confirmation de « ce que je hasarde » (« Oui » du vers 21).
• Vers 35-40 : première péroraison. Le « Ah ! » du vers 35 s’oppose au « Oui » précédent et montre
que l’on passe du raisonnement à l’émotion. Cette péroraison, outre qu’elle récapitule les principales
étapes du raisonnement, vise essentiellement à émouvoir le public et à le faire choisir.
• Vers 41-44 : réfutation de la confirmation des vers 21 à 34.
• Vers 45-52 : péroraison définitive. Le parallélisme entre les deux péroraisons est souligné par la
reprise du verbe cesser à l’impératif. Cette péroraison suscite d’abord une première passion négative : la
honte éprouvée pour les arguments en faveur de l’amour et de l’abandon de la vengeance. Elle
provoque ensuite une seconde passion, cette fois positive : l’aspiration à la « gloire » (cf. le champ
lexical associé : « vaincre », « généreux », « surmonte », « triomphera », « couronner »). La vision
allégorique de l’amour triomphant fait alors pendant avec les allégories du début du monologue.
3. Émilie : vision d’un personnage
A. Émilie est en proie à des sentiments violents
Dans l’exorde (v. 1-8), l’état d’esprit d’Émilie apparaît clairement : « impatients désirs », « enfants
impétueux », « ressentiment », « douleur », « embrasse aveuglément », « trop puissant empire ». Émilie est
dominée par la passion.
B. Cette domination est exprimée de manière forte
Les passions sont personnifiées (figure de l’allégorie) et c’est à elles que s’adresse Émilie.
Réponses aux questions – 10
C. Les sentiments sont contradictoires : c’est le dilemme cornélien
Mais ce dilemme semble résolu d’emblée, au profit de le vengeance du père. En effet, dans le système
cornélien, l’amour est encore plus glorieux s’il s’efface devant le devoir.
D. C’est une tragédie qui s’annonce, avec des caractères marqués
Le caractère d’Émilie bien sûr, mais aussi ceux d’Auguste, présenté comme un tyran au pouvoir, et de Cinna.
Conclusion
Informatif, le monologue d’Émilie placé à l’ouverture de la tragédie doit capter l’attention du spectateur. Tout
en fournissant les éléments essentiels à la compréhension de l’intrigue, il donne également une vision
séduisante d’Émilie, instigatrice d’un complot audacieux où elle risque la vie de son amant. L’information est
ainsi mêlée à l’exposé du dilemme et à sa résolution, ainsi qu’à l’émotion provoquée par la force des passions.
Dissertation
Introduction
Définition et délimitation du sujet :
– La tragédie est présentée comme un mécanisme (« ressort », « bien huilé », « minutieux ») auquel suffit
un « petit coup de pouce » initial.
– La citation joue du paradoxe : « mort », « trahison » et « désespoir » coexistent dans un genre
« tranquille », « commode », « propre », « reposant », « sûr ».
– Cette définition de la tragédie pourrait être celle du tragique. Lien entre tragédie et tragique à étudier
dans cette optique.
1. La tragédie : une mécanique implacable
A. La fin annoncée est toujours inéluctable, elle est contenue dans le genre
• La scène d’exposition contient les données du dénouement (cf. Andromaque ou Cinna).
• Les personnages se débattent en vain.
• Au dénouement, il y a un effet de boucle bouclée (cf. Oreste). Les personnages ont l’impression illusoire
d’être libres (ainsi de Pyrrhus). La lecture à rebours à partir du dénouement prouve le contraire.
B. Le destin est à l’œuvre
Les termes varient (destin, fatalité, dieux), mais une force supérieure semble tout diriger. La causalité
interne au personnage n’en est pas moins efficace.
C. Une mécanique implacable
Le resserrement lié aux unités de temps, de lieu et d’action accentue l’impression qu’une mécanique
implacable est à l’œuvre.
2. Le paradoxe tragique : « mort », « trahison » et « désespoir » coexistent avec la « tranquillité »,
le « commode »
A. Les éléments essentiels, constitutifs du genre sont la mort, le désespoir et la trahison.
B. Paradoxalement, ces éléments sont donnés comme des sources de tranquillité
Le mécanisme auquel ils participent est sans faille et le résultat est connu : c’est la mort (effective ou
sous la forme dérivée de la mort sociale, de la folie…).
C. Cette mort est stabilité, relativement aux troubles qui la précèdent
• Les dernières scènes de tragédie tendent généralement vers l’apaisement.
• Dans Andromaque, l’apaisement est incarné par le personnage de Pylade, l’ami resté fidèle qui va
prendre en charge Oreste « qui a perdu le sens ».
• De même, aux dénouements de Phèdre et de Rodogune, des sentences apaisantes sont prononcées et
accompagnées de sacrifices aux dieux (pour apaiser leur colère). Les signes du rétablissement d’un ordre
momentanément perturbé, souillé par les deux monstres que sont Phèdre et Cléopâtre, sont mis en évidence.
3. Une définition du tragique ?
A. Le registre tragique se définit comme la manifestation de forces supérieures qui pèsent sur l’homme et le
dominent
• Même si l’homme peut apparaître telle une victime responsable, rien ne lui sert de lutter : il peut se
« laisser aller », « ne rien faire ».
Andromaque – 11
• Œdipe est un exemple type. C’est lorsqu’il accepte son destin qu’il devient libre et clairvoyant. Il y a
bien un mécanisme implacable à l’œuvre, contre lequel on ne peut rien.
B. Par ailleurs, tout est écrit d’avance
La fin est connue. En cela, le tragique est reposant car l’on sait où l’on va.
C. Or ce tragique, qui répond à la définition de la citation, ne se rencontre pas que dans la tragédie
• Cette définition s’accorde aussi avec le tragique du roman. En effet, toute lecture à rebours donne
l’impression que tout, depuis le début, converge vers la fin.
• L’effet de boucle bouclée entre le début et la fin d’une œuvre n’est pas propre à la tragédie. Les
personnages de roman peuvent être tout aussi déterminés que leurs homologues de tragédie. Le
déterminisme s’exprime aussi dans le roman (cf. Zola).
Conclusion
Le tragique, autant que la tragédie, répond à la définition de la citation. Certes, cette définition
correspond davantage au genre de la tragédie : l’effet y est plus fort en raison de la concentration de
l’action, du temps et de l’espace. L’ouverture a toujours lieu sur un état de crise, et tout est déjà là,
comme depuis toujours. Enfin, la tragédie met entre parenthèses tout ce qui n’est pas la crise
proprement dite. Plus que dans le roman, l’abstraction du réel est de rigueur. Rien ne vient distraire
de la lutte essentielle. L’action est épurée.
Écriture d’invention
On passe d’un monologue à un dialogue. Il faut retrouver dans ce dialogue entre Émilie et Cinna les
données de l’exposition relatives à la situation, mais aussi aux caractères d’Émilie et de Cinna. D’après
ce qu’en dit Émilie, et parce qu’elle l’aime, celui-ci ne peut être lâche, ni hésiter à servir la vengeance
d’Émilie, sauf pour des raisons de morale politique, qui donneraient une vision différente du supposé
tyran.
Un fil pourrait être : Émilie prête à se venger. / Cinna prêt à tout pour elle, même s’il est réticent
face au parricide. / Émilie doutant. / Cinna conciliant amour et devoir.
Les marques du genre théâtral (mise en page, didascalies) sont nécessaires, mais l’emploi de
l’alexandrin n’est pas indispensable.
La longueur de la scène doit être plus ou moins identique à celle du monologue.
A c t e
I I ,
s c è n e
1
( p p .
4 7
à
5 1 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 52-53)
Dans ses sentiments pour Oreste et pour Pyrrhus, l’orgueil d’Hermione apparaît clairement…
! Le champ lexical de l’orgueil et de l’amour-propre est le mieux illustré par Hermione :
« ingratitude » (v. 393), « Honte » (v. 395), « fière » (v. 397), « dédaignait » (v. 398), « l’ingrate » et « si
haut prix » (v. 399), « mépris » (v. 400), « il y va de ma gloire » (v. 413).
" Hermione ne souhaite pas revoir Oreste car, après l’avoir dédaigné, elle est elle-même méprisée.
C’est une question d’amour-propre.
# L’orgueil pousse Hermione à se détacher de Pyrrhus. Son amour-propre tente de l’emporter sur
son amour.
… Mais tout le discours d’Hermione dit son amour pour Pyrrhus.
$ Ce sont les vers 428, 432, 436-439 et 464-469 qui évoquent le souvenir de l’amour heureux.
% Ces vers développent le registre lyrique.
& Les phrases exclamatives et interrogatives sont récurrentes. Elles traduisent le trouble et la confusion
d’Hermione.
' Alternance des sentiments d’Hermione (v. 427-448) :
– v. 427-436 : Hermione veut oublier Pyrrhus ;
– v. 436-440 : elle espère encore ;
– v. 440-448 : elle veut se venger de Pyrrhus et Andromaque.
Réponses aux questions – 12
Astyanax est désigné par l’expression « le Troyen » (v. 407), qui met en avant la dimension
politique, ou « le fils » (v. 445), qui renvoie à la rivale d’Hermione, Andromaque.
De la même manière, Andromaque n’est jamais désignée par son nom : « son indigne conquête »
(v. 434), « sa captive » (v. 435), « la mère » (v. 446).
Par ces expressions et en évitant tout prénom, Hermione refuse de voir des êtres à part entière. Elle
ne considère que la dimension politique. Il s’agit d’ennemis, de Troyens – ce qui justifie une part de
sa haine envers eux, détourne du vrai motif de cette haine et augmente le crime de Pyrrhus. Cela
justifie aussi qu’elle ait dénoncé l’existence d’Astyanax aux Grecs et qu’elle s’appuie sur Oreste,
l’ambassadeur des Grecs, pour se venger.
) Il faut se référer au vers 432 mais aussi aux vers 436-440 : les subordonnées conditionnelles
donnent à ces vers un ton de supplique. Hermione implore un changement d’attitude de Pyrrhus.
Enfin, aux vers 464-469, Hermione revit les temps heureux de leur amour.
*+ Champ lexical de la mort : « funeste » (v. 389) ; « mort » (v. 407) ; « perde » et « périr » (v. 448).
*, Hermione ne veut pas se résigner à être le jouet du destin. Elle a déjà joué un rôle déterminant
(v. 445). Elle menace (v. 441-444 et 446-448). Il ne faut pas oublier que, fille du Grec Ménélas,
Hermione jouit d’un certain pouvoir. Des termes forts sont aussi employés par elle : « haïr » (v. 413 et
416), « fureur » (v. 418), « mon ennemi » (v. 419), « horreur » (v. 420).
*- Hermione a révélé l’existence d’Astyanax aux Grecs pour « troubler la fortune » de Pyrrhus et
Andromaque. Si Pyrrhus rompt son alliance avec Hermione, il devient « criminel » aux yeux des Grecs
(v. 444).
*. Il semble impossible qu’Hermione oublie Pyrrhus et cède aux avances d’Oreste. On l’imagine
mieux se venger de Pyrrhus et Andromaque, avec ou sans l’aide des Grecs. Son amour et son orgueil
blessés rendent Hermione redoutable.
(
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 54 à 62)
Examen des textes et de l’image
! Bérénice reproche à Titus d’avoir autant attendu pour lui avouer que leur amour était impossible.
C’est lorsqu’il dispose librement de lui que Titus renonce à Bérénice.
" Ces vers relèvent du registre lyrique. Dans Bérénice, on remarque particulièrement les vers suivants :
« Pour jamais ! Ah ! Seigneur, songez-vous en vous-même […] Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ? »
On peut en étudier les sonorités. À noter le chiasme dans les deux derniers vers : « Titus », « Bérénice » /
« je », « Titus ».
Dans Mithridate, toute la scène est une déclaration d’amour, une promesse d’amour éternel.
# Xipharès et Monime inspirent la pitié car ce sont de jeunes gens purs, qui s’aiment et doivent se
séparer pour respecter la volonté de Mithridate. Ils suscitent aussi la crainte car Mithridate peut
découvrir leur amour.
Quant à Phèdre, elle inspire la crainte car elle est un « monstre » de la nature. Elle est la proie d’une
passion destructrice. Mais elle suscite aussi la pitié car elle s’abhorre elle-même et se dit la victime des
dieux.
$ On relève « Objet infortuné des vengeances célestes » et « Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans
mon flanc / Ont allumé le feu fatal à tout mon sang, / Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle / De séduire
le cœur d’une faible mortelle ».
% Phèdre est la victime des dieux (cf. question précédente). Elle a tenté de résister à sa passion, en
vain : « C’est peu de t’avoir fui, cruel, je t’ai chassé. / J’ai voulu te paraître odieuse, inhumaine. / Pour mieux
te résister, j’ai recherché ta haine. » Et elle se condamne : elle se désigne à deux reprises comme un
« monstre », un « monstre affreux ». On relève aussi « Ne pense pas qu’au moment que je t’aime, / Innocente
à mes yeux je m’approuve moi-même » et « Je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes ».
& Phèdre, éclairée par la lumière des projecteurs, montre un visage en souffrance ; son corps penché
révèle une agitation extrême. Œnone est placée en arrière-plan ; elle n’est qu’une silhouette, sans
visage ; mais son ombre grandie semble veiller sur Phèdre, ou la surveiller et attendre
Andromaque – 13
l’accomplissement du destin. Il ne faut pas oublier que c’est Œnone qui incite Phèdre au terrible aveu
qui déclenche la tragédie. Dans la scène dernière, Phèdre l’accusera de l’avoir poussée à l’irrémédiable.
De fait, dans cette photographie, la nourrice de Phèdre apparaît sous un jour inquiétant.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
• Texte B : dans sa préface, Racine affirme que, dans Bérénice, « tout s’y [ressent] de cette tristesse
majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie ». Dans l’extrait étudié, nous sommes loin des passions
violentes, des visions démesurées, de la brutalité, voire de la barbarie d’un Pyrrhus ou d’une Hermione.
Aucun des personnages ne s’emporte : Bérénice proteste, mais elle est résignée ; quant à Titus, il s’est
soumis aux lois romaines dans la douleur, comme à une mort, mais sans démonstration excessive.
• Texte C : dans l’extrait de Mithridate, le ton est aussi celui de la plainte amoureuse. Les amants sont
résignés. En dépit de l’injustice de leur sort et de la force de leur amour, il n’y a aucun emportement
dans leurs propos.
• Texte D : dans Phèdre, l’atmosphère est toute différente. Il ne s’agit plus d’un amour légitime et
réciproque, et interdit par des données extérieures (Rome ou Mithridate). C’est au contraire une
passion criminelle qui s’exprime : celle de Phèdre pour son beau-fils. Cette passion est qualifiée de
« monstrueuse ». Elle est contre nature. Et loin de la résignation de Monime ou de Bérénice, Phèdre
est toute à sa « fureur ».
Commentaire
Introduction
Situer le texte dans l’œuvre : tous croient Thésée mort. Poussée par sa nourrice et confidente Œnone,
Phèdre, qui voulait mourir pour échapper à sa passion criminelle, renonce à ses projets morbides et
avoue sa passion adultère à Hippolyte, le fils de Thésée, qu’elle a toujours fui ou écarté.
Cet amour est « monstrueux » et voué à l’échec. Phèdre le sait mais revient sur sa naissance et son
histoire.
1. Violence de l’aveu
A. Champ lexical du dire
• L’héroïne est emportée par sa parole.
• Elle avoue malgré elle, alors qu’elle voulait parler de son fils.
B. Elle porte les marques physiques de la souffrance
Son corps est déjà un aveu.
C. La scène est construite sur un crescendo jusqu’au geste final
• Phèdre se saisit de l’épée d’Hippolyte.
• C’est un discours sans réponse.
2. Phèdre, victime et coupable
A. La victime
• La première cause avancée pour expliquer/justifier cette passion coupable est les dieux.
• Phèdre n’a cessé de lutter contre elle-même. Elle revient sur la naissance et l’histoire de son amour.
B. La coupable
• Elle se désigne comme un « monstre ».
• Le champ lexical de la souillure, de l’impureté est bien représenté.
3. Phèdre, source de terreur et de pitié
A. Phèdre est à la fois d’une extrême violence et très vulnérable
• Corps marqué, en souffrance, proche de la mort et pourtant la parole est d’une grande force.
• Elle se dit innocente et pourtant se condamne.
B. Elle est un « monstre » qui veut mourir
• Le thème est repris dans la dernière scène quand elle se suicide.
• Il faut débarrasser l’univers de sa présence infâme.
Réponses aux questions – 14
C. Tout ceci produit un effet fort sur le spectateur
• La fureur de l’amante, pourtant fragile.
• Le crescendo de la tirade.
• Les champs lexicaux.
Dissertation
Introduction
Délimiter le sujet : différents types d’amours (pour Dieu, choses, lieux, amour filial…). Ici, il est
question du sentiment amoureux.
Constat : l’amour heureux n’a pas de lieu dans la littérature occidentale qui privilégie la souffrance.
1. Constat : la littérature occidentale s’intéresse d’abord et exclusivement à la souffrance
amoureuse
A. Quel que soit le genre, l’amour malheureux est un sujet de prédilection
• Dans la tragédie, c’est inhérent au genre.
• Dans la comédie, l’amour sort vainqueur, mais c’est le spectacle de sa lutte pour s’imposer qui est
donné à voir et qui constitue le nœud de l’intrigue. La comédie prend fin lorsque les amants sont
satisfaits. Chez Marivaux, le jeu remet en cause l’amour, le met en danger, et prend fin lorsqu’il est à
nouveau assuré.
• Les grands romans d’amour peignent l’amour malheureux.
• Même les contes pour enfants s’intéressent aux obstacles et ne s’achèvent sur le « Ils vécurent
heureux » que lorsque tout est résolu.
B. Ce que s’attachent à montrer les écrivains
• La souffrance de l’amour non partagé (Mme Bovary de Flaubert).
• La perte du contrôle de soi, physique (Louise Labé) et moral (Phèdre).
• La jalousie.
• Pour l’artiste, le temps perdu à aimer au lieu de créer (Proust).
2. Tentative d’explication
A. L’amour malheureux est aux sources de la littérature occidentale
L’amour courtois – amour de loin – entraîne le chant amoureux.
B. Dans toute œuvre, une dynamique est nécessaire
• La littérature se satisfait peu du statu quo, et certains genres moins que d’autres.
• Même la poésie exprime le désir et l’attente. Elle est souvent prière ou plainte.
3. Une vision néanmoins positive de l’amour
A. Par son omniprésence littéraire
• L’amour est toujours peint comme un objet de désir, un sujet de préoccupation essentiel.
• Il singularise les êtres, les révèle à eux-mêmes.
B. Dans son absence regrettée, en creux, sont peints (et magnifiés) tous ses aspects positifs
• Même s’il est toujours peint comme manquant, inaccompli ou imparfait, l’amour apparaît comme le
charme de la vie, une raison d’être.
• Il préserve des laideurs du monde et sauve du désespoir.
• Il développe les vertus et conduit au dépassement de soi.
• Il épanouit les personnalités, en faisant connaître la souffrance et en développant l’intuition et
l’introspection.
• Enfin, il permet de comprendre l’art et inspire l’artiste.
Écriture d’invention
• C’est une scène de comédie, à la manière de Molière. Le registre est comique.
• La mise en page est celle d’une scène de théâtre. Il faut soigner les didascalies sur les attitudes, les
tons, les mouvements…
• La versification n’est pas nécessaire.
Andromaque – 15
• Types de personnages : ce sont de jeunes amants bourgeois. Ils peuvent être à la limite du ridicule
dans cette déclaration. Un horrible barbon est évoqué. Il contrarie l’amour des jeunes gens. Les valets
sont intéressants comme contrepoints aux maîtres : par leurs remarques sarcastiques, ils rendent la
scène plus vivante et plus drôle.
A c t e
I I I ,
s c è n e
8
( p p .
8 8
à
9 2 )
Cette scène 8 est la scène où les sources de Racine sont les plus sensibles (cf. p. 174).
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 93-94)
Le procédé de style est l’anaphore : répétition en début de vers d’une même structure (« Dois-je
[les] oublier »). Cette répétition, à une place marquée dans le vers, a pour but de prendre à partie
Céphise et, avec elle, le spectateur. Avec insistance, Andromaque affirme qu’il y a un devoir de
mémoire. L’oubli est impossible.
" Le verbe songer est répété quatre fois (v. 997 et 1003), deux fois par vers pour plus d’insistance. On
relève « figure-toi » et « peins-toi » (v. 999 et 1005). On peut également relever le présentatif « voilà »,
repris trois fois (v. 1006-1008). À l’exception de ce dernier, ces verbes sont à l’impératif. Ils sont tous
placés en début de vers ou à l’hémistiche (« songe »).
# Les verbes « entrant », « se faisant », « échauffant » (v. 1001-1003) sont au participe présent.
Le participe présent donne l’action comme contemporaine de celle du verbe principal, c’est-à-dire de
« figure-toi », et du moment de l’énonciation. En outre, il indique que le procès (action) est en cours
de déroulement (aspect non accompli) et que l’action est envisagée de l’intérieur, sans que l’on puisse
en déterminer le début ou la fin (aspect sécant).
Ainsi, les actes de Pyrrhus sont décrits comme présents, contemporains de l’énonciation, et comme
non achevés, en train d’être réalisés. Ils conservent toute leur force et leur barbarie. Toute l’évocation
d’Andromaque tend à mettre sous les yeux de Céphise et du spectateur cette scène toujours présente à
sa mémoire.
$ Le champ lexical de la destruction est bien représenté : « funérailles » (v. 993), « à mes pieds renversé »
(v. 995), « ensanglantant » (v. 996), « nuit cruelle, nuit éternelle » (v. 997-998), « palais brûlants »
(v. 1000), « frères morts » (v. 1001), « de sang tout couvert échauffant le carnage » (v. 1002), « cris des
mourants » (v. 1003), « Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants » (v. 1004), « horreurs » (v. 1005).
% La figure de rhétorique est l’hypotypose. C’est une figure de type macrostructural. Dans une
description, le narrateur privilégie les éléments forts et les présente comme enregistrés de l’extérieur, à
la manière d’un déroulement cinématographique. La dimension plastique de la description est
essentielle.
L’effet recherché est la force pittoresque. Dans l’esprit du lecteur ou du spectateur, il s’agit de créer
une image, un tableau. Parce que ce moment toujours présent à l’esprit d’Andromaque justifie son
refus de s’unir à Pyrrhus, il est nécessaire de le donner à voir.
& Le premier argument emprunte au paradoxe. Il est tout entier résumé dans le vers 982 : « Trop de
vertu pourrait vous rendre criminelle. » En effet, la fidélité d’Andromaque à son époux défunt condamne
leur fils.
Le second argument fait intervenir la supposée volonté d’Hector, lequel, selon Céphise, inviterait
Andromaque à plus de clémence (« douceur » est le terme employé par Céphise), tout d’abord pour
« son » fils (v. 985) ; grâce à ce déterminant possessif, Céphise rappelle de manière discrète mais
efficace qu’Astyanax est le fils d’Hector : sa mémoire vit en lui et c’est à ce titre que les Grecs veulent
sa mort. Ensuite, d’après Céphise, Hector inviterait Andromaque à plus d’indulgence pour la gloire de
Pyrrhus, mise en relief de manière emphatique dans les vers 987-991 par l’anaphore du pronom relatif
« qui » + verbe (effet d’accumulation).
' Les différents destinataires d’Andromaque sont :
– vers 1014-1028 : le discours est adressé à Céphise ;
– vers 1029-1032 : Andromaque invective Pyrrhus, en le tutoyant ;
– vers 1033-1036 : Andromaque s’adresse à son fils ;
– vers 1037-1038 : à nouveau, Andromaque parle à Céphise.
!
Réponses aux questions – 16
Le souvenir d’Hector est rendu présent par le discours direct. Ce sont ses propres paroles que l’on
entend dans la bouche de sa veuve. Elles ont valeur d’ordre et viennent contrebalancer les images
terrifiantes de Pyrrhus. Paroles du défunt d’une part, visions du vainqueur d’autre part sont les
éléments, à valeur d’arguments, qui empêchent Andromaque de se décider.
) À partir du vers 1037, de nombreux vers sont inachevés et se développent sur deux répliques
(v. 1037, 1043 et 1047). Ils marquent clairement l’irrésolution d’Andromaque.
La ponctuation est aussi révélatrice : de nombreuses phrases exclamatives (v. 1043-1046) et interrogatives
(v. 1037, 1040-1041, 1043-1044 et 1047) contrastent avec les impératifs, rendus inopérants. On note
également à deux reprises des points de suspension (v. 1039 et 1043).
(
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 96 à 102)
Examen des textes et de l’image
! Le passage extrait de l’épopée d’Homère est empreint de la « tristesse majestueuse » chère à Racine
(préface de Bérénice). Le complément de manière « en souriant sous ses larmes » appliqué à Andromaque
résume toute la tonalité de la scène. Le contraste entre la force et la douceur d’Hector est émouvant. Ses
gestes et ses paroles le sont aussi. Le farouche guerrier dépose ses armes aux pieds de son fils pour le prendre
dans ses bras, puis console sa femme avec des gestes (« il la caressa de la main ») et des paroles tendres.
" À travers sa promenade parisienne, le poète évoque Andromaque, un cygne (« mon grand cygne »),
une négresse, tous les exilés dont lui-même, et le vieux Paris qui n’est plus.
# • Première série d’arguments :
– selon Priam, et le poète Demokos, la guerre fait des époux des hommes, des héros, tandis que la
paix les rend « veules, inoccupés, fuyants » ;
– Andromaque rétorque que la nature est pleine d’émulation pour l’homme, et que le « courage » et
l’« agilité » de celui-ci sont suffisamment entretenus par l’orage ou les bêtes.
• Deuxième série d’arguments :
– selon Priam, la vie « se justifie et s’illumine » par le mépris qu’on a d’elle. La guerre donne son prix à
la vie et rend les hommes immortels ;
– au contraire, pour Andromaque, les braves meurent à la guerre. Ceux qui restent sont ceux qui ont
été lâches.
• Dernière série d’arguments :
– la lâcheté, d’après Priam, est de ne pas faire la guerre (de ne pas vouloir mourir pour son pays,
précise Demokos) ;
– Andromaque répond que l’« on meurt toujours pour son pays ! Quand on a vécu en lui digne, actif, sage ».
$ Révèlent la grande émotion de leurs adieux :
– les regards échangés entre Hector et Andromaque, ainsi que celui d’Astyanax tourné vers son père ;
– les bras robustes du guerrier Hector entourant délicatement sa femme et son fils ;
– la tête légèrement penchée d’Andromaque ;
– enfin la position du corps d’Hector, un rien tourné, la jambe droite presque engagée alors que sa
tête continue de regarder, et ses bras de presser sa famille.
Hector est sur le point de partir. C’est imminent. Les adieux sont à leur point ultime.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
• Texte A :
– registre pathétique, avec l’expression d’émotions intenses ;
– registre épique, avec le souvenir des combats ;
– registre tragique, avec l’impossible choix et le déchirement de l’héroïne.
• Texte B :
– registre épique, avec la description des exploits guerriers et l’intervention des dieux ;
– registre pathétique, avec l’expression d’émotions intenses, même contenues, dues à la séparation ;
– registre tragique, avec l’imminence de la mort (Hector est destiné à mourir).
Andromaque – 17
• Texte C : registre lyrique, où s’expriment des sentiments intimes, « la mélancolie » du poète, la
tristesse, l’errance et l’exil.
• Texte D : registre tragique, avec l’imminence de la guerre.
Commentaire
Introduction
Série de quatrains d’alexandrins à rimes croisées. Poème dédié à Victor Hugo, alors en exil.
Rêverie poétique douloureuse à partir du spectacle de Paris qui change, le Paris de Napoléon III et
des grands travaux du préfet Haussmann. La nouveauté est ressentie comme la perte du vieux Paris.
C’est un deuil, un exil, comparable à celui d’Andromaque, devenue la figure emblématique de tous
les déshérités. De même, le poète est semblable à tous ceux qui ont perdu ce qui ne se retrouve
jamais.
1. Passé et présent confondus
A. Andromaque appartient à la mythologie et au passé, mais l’apostrophe la rend proche, présente et réelle.
B. Le vieux Paris disparaît et dans le même temps perdure : les souvenirs sont comparés à des rocs.
C. L’extension finale du poème, où « tout devient allégorie », confond passé et présent.
2. Une souffrance universelle
A. Champ lexical et ponctuation
• Le champ lexical de la douleur est bien représenté.
• La ponctuation de la fin du texte est expressive (points d’exclamation).
B. Des figures emblématiques se rejoignent
• Andromaque, emblème de tous les exilés.
• Hugo et le poète, exilé dans le nouveau Paris.
• Tous les autres personnages cités (répétition de « tous » suivi du pluriel généralisant).
C. Le cygne
• Proche de l’albatros, il a perdu son lac et ses eaux limpides. Il est condamné à survivre dans Paris.
• C’est une reprise du motif situé en ouverture du poème.
3. Une source de création (dimension esthétique de la souffrance)
A. Ce sont les hantises de « l’âme fêlée » du poète, rongé par le spleen
Tout défile en lui : « mémoire », « souvenirs » (répété et passage du pluriel à la personnification),
« allégorie », « je pense » (répété avec insistance en début de vers – anaphore), « mon esprit s’exile ».
B. Des tableaux successifs sont ébauchés, comme une galerie de fantômes errants dans une âme au désespoir
• Ces tableaux appartiennent à la mythologie romaine, à l’exotisme africain. Ils oscillent entre clichés
et inventions. C’est l’animal désespéré, la veuve éplorée, la négresse phtisique, le matelot échoué.
• Ce sont bien des « Tableaux parisiens », section des Fleurs du mal dans laquelle est inséré le poème.
Dissertation
Quelques suggestions de textes
Homère, Iliade – La Chanson de Roland – Rabelais, Gargantua, « La guerre Picrocholine » – Voltaire,
Candide – Stendhal, « Fabrice à Waterloo » dans La Chartreuse de Parme – Céline, Voyage au bout de la nuit –
Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu – Malraux, L’Espoir – Claude Simon, La Route des Flandres.
Introduction
La guerre est un thème littéraire récurrent, au point qu’on a affirmé qu’elle était à l’origine de nombre
de littératures. Elle est aussi très bien illustrée en peinture, en sculpture et au cinéma. Critiquée ou
idéalisée, la guerre est souvent plus qu’un simple motif littéraire et participe de l’esthétique des œuvres.
1. Un thème littéraire fondamental, reflet de la société
A. On le rencontre surtout dans les littératures primitives
Au fil de l’évolution des sociétés, ce thème a tendance à être minimisé.
Réponses aux questions – 18
B. Un sujet à dimension variable
• La guerre peut être le sujet unique d’un roman (L’Espoir de Malraux), ne fournir que des épisodes
(Candide, La Chartreuse de Parme) ou servir de toile de fond (Philippe Claudel, Les Âmes grises).
• Elle apparaît aussi logiquement dans le roman historique (Les Chouans), mais aussi la science-fiction
(La Guerre des mondes).
C. L’évocation de la guerre est fonction des progrès technologiques
Les armes employées conditionnent l’image de la guerre : le corps à corps exalte la bravoure, alors que
les moyens modernes nient la valeur de l’individu.
D. Avec la démocratisation de la guerre (conscription en 1792), l’intérêt s’est déplacé des chefs (aux vertus
héroïques) aux soldats (hommes ordinaires rarement présentés sous un jour héroïque)
• Dans la littérature moderne, la guerre n’est plus synonyme de « gloire ».
• Quant à la littérature engagée, elle naît dans la guerre et meurt, sauf rares exceptions, avec elle.
2. La guerre idéalisée
A. Une nécessité
• La guerre est idéalisée dans les romans chevaleresques du Moyen Âge ou dans les tragédies de
Corneille.
• Dans l’épopée, elle est considérée comme une nécessité.
• Elle est aussi un châtiment divin, une expiation des péchés.
B. Outre qu’elle favorise le progrès technologique et la relance économique, elle apparaît surtout comme une source
de vertus
• Elle conduit au dépassement de soi.
• Elle permet de développer l’héroïsme et le courage.
• Elle est synonyme de « sens du devoir et du sacrifice ».
3. La guerre critiquée
A. La guerre a toujours eu ses détracteurs, notamment chez les moralistes
Montaigne, Rabelais, Voltaire, Alain…
B. La guerre est absurde dans ses motifs
• C’est une boucherie sans héroïsme aucun, qui avilit l’homme et fait ressortir ses pires défauts
(lâcheté, violence, cruauté…).
• L’humanité (l’homme, les arts et les sciences) rétrograde.
C. Pour dénoncer la guerre, les écrivains peignent les souffrances et montrent le rôle très limité, jusqu’à l’absurde,
des soldats
• Focalisation interne (cf. Fabrice à Waterloo).
• Les soldats n’en tirent plus aucune gloire.
Écriture d’invention
Tout peut être laissé au choix (réfléchi) des élèves, mais la cohérence de l’ensemble des options prises
est indispensable. Une recherche sur le décor et les costumes d’époque peut être instructive. Quant au
ton, aux gestes et aux mouvements des acteurs, ils sont fonction du déroulement de la scène et de
l’interprétation qui en a été faite.
A c t e
I V ,
s c è n e
3
( p p .
1 0 7
à
1 1 3 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 114-115)
Les arguments d’Hermione sont d’abord personnels, puis politiques.
Dans les vers 1188-1192, on note la récurrence des pronoms personnels de la 1re personne du
singulier : « je » (employé à trois reprises sous l’accent), « ma », « moi ». Au vers 1191, Hermione cite
son propre prénom.
Selon Hermione, Oreste doit tuer Pyrrhus car ce dernier l’a offensée et qu’elle le hait. Mais aussi
parce qu’elle l’a aimé et pourrait l’aimer encore. Assassiner Pyrrhus devient le seul moyen pour Oreste
d’obtenir Hermione : « Qu’Hermione est le prix d’un tyran opprimé » (v. 1191), « S’il ne meurt
!
Andromaque – 19
aujourd’hui, je puis l’aimer demain » (v. 1200), et les vers 1234-1236 et 1241-1242. C’est un véritable
chantage qui utilise les sentiments d’Oreste.
Secondairement, Hermione met en avant des raisons politiques au meurtre de Pyrrhus : les Grecs sont
offensés qu’il refuse de livrer le descendant d’Hector et préfère une captive troyenne à une Grecque
(v. 1222-1226).
" Oreste oppose des arguments d’ordre politique (v. 1179-1187). Il distingue vengeance et assassinat. Il
insiste d’ailleurs sur ce terme (v. 1180 et 1184). Il oppose la « haine publique » (v. 1186) aux intérêts
personnels d’Hermione et lui rappelle que Pyrrhus est roi (v. 1187). Il s’agit donc d’un régicide,
assimilé au XVIIe siècle au parricide, le crime le plus condamnable.
# Le ton d’Hermione est très sec :
– vers 1152 : emploi de vouloir au présent de l’indicatif (« je veux savoir ») ;
– vers 1157, 1195 et 1199 : emploi de l’impératif ;
– vers 1173 : apostrophe « Hé quoi ? » ;
– vers 1232 : formule qui marque l’exaspération (« Ah ! c’en est trop, Seigneur »).
Outre que le volume des répliques d’Hermione l’emporte sur celui d’Oreste, elle l’interrompt à
plusieurs reprises (v. 1152, 1187 et 1232).
$ À cet égard, les vers 1196-1200 sont explicites. Au vers 1174 déjà, le risque de retour en arrière
était évoqué. Aussi virulent soit-il, le courroux d’Hermione demeure « incertain » (v. 1199).
% Certains mots de haine sont aussi des mots d’amour. Ainsi, l’ambigu « mon ennemi » et les
expressions « percerai le cœur » (v. 1244), « joindront nos destinées » (v. 1246) et « doux de mourir avec lui »
(v. 1247-1248).
& La réplique résignée du vers 1252 – avec le « si vous voulez », comme un ajout, une réticence qui
laisse Hermione maîtresse du jeu – exprime bien le doute d’Oreste sur la reconnaissance effective de
son action.
' Dans cette scène, Racine utilise la contrainte temporelle (respect de l’unité de temps) pour
intensifier le tragique de la situation. Il y a urgence pour Hermione : Pyrrhus doit mourir sur l’autel
au moment de la cérémonie de mariage dont les préparatifs ont déjà été signalés. Il y a urgence pour
Oreste : pour répondre à l’injonction d’Hermione, d’autant qu’elle peut changer d’avis.
Les indications contribuant à l’accélération du rythme et à l’impression d’urgence sont nombreuses :
« dans une heure » (v. 1170, c’est-à-dire au moment de la cérémonie) ; « Tous vos retardements sont pour
moi des refus » (v. 1171) ; opposition « aujourd’hui »/« demain » (v. 1200) ; « Vous ne donnez qu’un jour,
qu’une heure, qu’un moment » (v. 1208) ; opposition « cette nuit » (répété deux fois)/« ce jour » (v. 12131214) ; emploi de l’adverbe « déjà » (v. 1215) ; « qu’attendez-vous ? » (v. 1217) ; emploi du présent de
l’indicatif pour décrire la cérémonie comme imminente (v. 1217-1220).
( Les vers disant qu’Hermione peut changer d’avis sont les vers 1174 et 1196-1200.
) De manière significative, le verbe immoler est employé à plusieurs reprises dans cette scène (v. 1172,
1212 et 1251), de même que le terme « victime » (v. 1190 et 1210). On relève aussi « autel » (v. 1210),
« opprimer » (v. 1191 et 1209) et l’expression « tout couvert du sang de » (v. 1230).
*+ Au vers 98 (acte I, scène 1), Oreste employait cette formule. Dans la scène étudiée, Oreste répète
avec insistance « il faut » (v. 1201, 1202 sous forme affirmative et interrogative, 1209). Il obéit à une
injonction, à une nécessité extérieure. Aux vers 1206-1207, il répète « Vous voulez » (anaphore),
faisant d’Hermione la force à laquelle il se soumet. Enfin, aux vers 1211-1212, il renonce à toute
lutte : « Je ne m’en défends plus ; et je ne veux qu’aller / Reconnaître la place où je dois l’immoler. »
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 116 à 124)
Examen des textes et des images
! Des Grieux n’a que dix-sept ans et Manon quinze ou seize au plus. Pourtant, concernant les choses
de la vie et de l’amour en particulier, elle semble bien mieux avertie que le jeune homme. Ainsi, elle
reçoit ses politesses « sans paraître embarrassée ». L’adverbe « ingénument » porte le doute sur la
prétendue ingénuité de Manon, très certainement feinte. En effet, le texte insiste sur le contraire :
Réponses aux questions – 20
« bien plus expérimentée que moi », « son penchant aux plaisirs ». Si Manon est ingénue pour le jeune Des
Grieux, elle ne l’est pas pour le narrateur qui a vécu. Enfin, « la douceur de ses regards » et « un air
charmant de tristesse » apparaissent rétrospectivement comme un jeu de séduction, destiné à inspirer la
pitié et à convaincre Des Grieux de lui fournir le moyen de ne pas entrer au couvent.
" L’un des intérêts de l’extrait et de l’œuvre réside dans le décalage entre, d’une part, la
compréhension des faits et le jugement porté par Des Grieux personnage et, d’autre part, cette même
compréhension et appréciation par Des Grieux devenu narrateur. Celui-ci, contrairement à son
personnage, sait lire les signes. Mais il laisse toute son ingénuité passée coexister avec sa connaissance
présente, et il s’observe lui-même en personnage aveuglé par la passion.
Les points de vue adoptés sont donc celui du narrateur Des Grieux, vieilli et averti, et celui du
personnage, jeune premier amoureux plein d’inexpérience.
Le point de vue du narrateur expérimenté apparaît à diverses reprises :
– l’expression du regret avec une prolepse (avancée dans le temps du récit) : « Hélas ! que ne le
marquais-je un jour plus tôt ! j’aurais porté chez mon père toute mon innocence » ;
– l’ironie à l’égard du jeune Des Grieux : « L’amour me rendait déjà si éclairé », « Je combattis la cruelle intention
de ses parents par toutes les raisons que mon amour naissant et mon éloquence scolastique purent me suggérer » ;
– le narrateur révèle la vérité de Manon, non perçue par le jeune Des Grieux : « elle était bien plus
expérimentée que moi », « pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s’était déjà déclaré et qui a causé,
dans la suite, tous ses malheurs et les miens » (autre prolepse) ;
– il s’étonne de sa propre attitude : « Je me suis étonné mille fois, en y réfléchissant, d’où me venait alors tant
de hardiesse et de facilité à m’exprimer […] ».
# Le terme « jalousie », qui désigne le volet mais aussi le sentiment, est essentiel dans la relation qui
unit don José et Carmen. Don José en souffre, tandis que Carmen en joue. Tout au long de l’extrait,
celle-ci déploie toute sa séduction. Elle est décrite par le regard amoureux de son amant, et ce qui le
touche est mis en avant : l’œil noir de Carmen, son rire ou ses rires, sa beauté (d’autant qu’elle est
parée et parfumée et que le décor même relève cette beauté), ses tendresses mais aussi ses grimaces et
gambades, ses diableries. Carmen danse et déchire ses falbalas.
Mais si Carmen exerce une réelle fascination sur son amant, elle est aussi quelque peu terrifiante. Et la
relation est faite de ce double mouvement d’attirance et de méfiance. Carmen effraie : son grand œil
noir « guette » don José ; son éclat de rire est celui d’un « crocodile » ; elle est un « singe » qui exécute
des « diableries » (où l’on entend les mots diabolique ou diable). Elle veut tout « casser », « mettre le feu à
la maison », et elle « déchire ses falbalas ». Elle parle « d’escoffier » son amant anglais et insulte don José
lorsque celui-ci refuse de la débarrasser par la même occasion de Garcia, son actuel époux. Devant
cette violence, presque barbare, de la gitane, don José « frissonne ».
La dernière phrase de l’extrait résume cette relation amoureuse : « Quand elle me disait : Va-t’en ! je ne
pouvais m’en aller. » Don José, à la fois attiré et repoussé, est pris au piège de sa passion.
$ D’après la réponse à la question précédente, Carmen est une séductrice habile, sachant jouer des
sentiments de ses amants. Elle est aussi effrayante (le terme « démon » est repris dans le texte D) et
possède un terrible pouvoir de fascination dont elle use évidemment. Elle veut dominer son
partenaire et ne tolère aucun refus. Son amant doit lui être totalement soumis.
Le texte D complète ce portrait. Il ne s’agit plus d’une scène de séduction mais d’un affrontement.
Carmen apparaît résolument libre et indépendante. Elle ne veut suivre que sa volonté, ses sentiments
et son instinct. Elle affirme : « Carmen sera toujours libre. Calli elle est née, calli elle mourra. » Elle préfère
mourir que tricher et rester avec un homme qu’elle n’aime plus. Elle a le courage de ses actes et de ses
sentiments (cf. son refus du mensonge et son geste de jeter la bague offerte par don José).
% Champ lexical de la mort et de la violence : tuer (3 occurrences), « perdu », « meurtrier », « hais »,
« fureur », « couteau », « peur », « demanda grâce », « démon », « frappant du pied », « frappai », « jeta ».
Champ lexical de l’amour : sauver (2 occurrences), aimer (8 occurrences), « jetai à ses pieds », « pris les
mains », « arrosai de mes larmes », « bonheur », « offris » (2 occurrences), « plaire ».
& Ce désarroi a des manifestations physiques : Véronique est figée dans l’immobilité, l’incapacité à rien
faire, à s’arracher au lieu, à son appartement. Mais, dans le même temps, elle est soumise à une instabilité
physique inconsciente. Elle se dit condamnée à « errer toute la journée durant dans [son] appartement ».
Elle mentionne également des frissons, en dépit de la chaleur extérieure, alternant avec une sensation
de chaleur. Sa journée apparaît comme une succession de stations dans l’appartement, sans conscience.
Andromaque – 21
Le désarroi de l’héroïne apparaît aussi dans la sensation d’absence et de vide qu’elle éprouve. Elle se
décrit comme extérieure à elle-même. Elle n’a pas conscience de ses mouvements : « Je crois encore y
[au bord du lit] être, et me voici sur une chaise. » Elle cherche quelque chose dans le miroir, mais n’y
trouve que l’absence. Elle ne se reconnaît pas dans son reflet.
Pour Véronique, le temps n’existe plus : « Depuis combien de temps cette main est-elle là ? » ; « Je tâche de
me souvenir et je ne me souviens pas » ; « Je m’endors le matin, ou l’après-midi ». Elle passe des heures
devant le miroir et parle de « moments d’absence, où [elle] oublie ce qu’[elle faisait] la minute d’avant ».
Toutes ces sensations disent le vide, l’absence de l’être aimé vécue comme un deuil. La seule
plénitude est dans le souvenir, dans la sensation d’Antonio.
' Le procédé d’écriture est le passage du je au on, du pronom personnel au pronom indéfini. Cela
traduit l’absence de Véronique à elle-même, sa dépersonnalisation. Le fait de s’interroger sur sa main
posée sur un objet, de se découvrir assise sur une chaise dans l’appartement, et donc de s’observer
comme une autre qu’elle-même, annonce déjà ce changement de pronom.
( On peut parler de solitude car Véronique éprouve le vide de l’absence, le deuil de l’être aimé. Mais
elle ressent une plénitude dans le souvenir, mêlé au fantasme, d’Antonio. Cette évocation offre une forte
présence charnelle : les termes « pierre », « sable », « bride », « crin » ; la phrase « les tiges qui ployaient sous le
poids des épis lourds, le creux très doux en bas de la pente, et cette ville dont les lumières s’allumaient comme une
promesse, comme un miracle à venir ». L’évocation, irréelle par définition, contraste en effet de réalité avec la
situation effective de Véronique, dépossédée de toute présence, dans son appartement.
Sur l’iconographie de ce corpus, voir les éléments fournis sur l’histoire de cette sculpture dans la partie
« Compléments aux lectures d’images » (p. 28).
) L’homme est à genoux, le visage levé. Sa position exprime le désir, mais aussi et surtout la
demande respectueuse, l’aspiration presque religieuse.
*+ La femme se tient courbée. Elle retient son sein dans une attitude virginale et, dans le même temps,
abandonne son bras. Son attitude exprime à la fois la retenue et l’abandon au désir et à l’étreinte.
*, Les corps sont enlacés. Ils s’étreignent. Mais, dans le même temps, leur attitude est pleine de retenue.
Elle s’inscrit dans la verticalité. L’homme est comme en prière ou en adoration devant la femme.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
• Texte A :
– Registre tragique : l’urgence de la situation (voir l’analyse de la scène) ; Oreste s’abandonne au
destin qui l’entraîne ; tout semble noué ; champ lexical de la mort et de la fatalité.
– Registre pathétique : des sentiments violents sont exprimés (la haine et l’amour d’Hermione pour
Pyrrhus ; l’amour d’Oreste pour Hermione).
• Texte B :
– Registre lyrique : des sentiments intimes sont révélés (l’amour naissant d’un jeune premier).
– Sans parler de registre tragique, il y a des signes inquiétants : l’expérience de Manon est soulignée
(elle est avertie, « bien plus expérimentée » que Des Grieux ; son « penchant au plaisir » s’est déjà
manifesté) ; des notes tragiques apparaissent (« l’ascendant de ma destinée qui m’entraînait à ma perte » ; en
outre, des « malheurs », dont la perte de l’innocence, sont annoncés).
– Registre romanesque qui mêle les rêveries à la perception de la réalité : c’est Manon vue par Des Grieux.
• Texte C :
– Registre pathétique : c’est une histoire d’amour et de mort (les morts de l’Anglais et de Garcia sont
annoncées), qui privilégie les émotions intenses avec la jalousie et les menaces de mort dans un univers de gitans.
• Texte D :
– Registre tragique avec la mort de Carmen.
– Registre pathétique (exprimant des émotions intenses) avec l’amour captateur et la jalousie
possessive de don José.
• Texte E :
– Registre romanesque avec le deuil amoureux qui altère la perception de la réalité, déforme la
notion du temps et le rapport à l’être jusqu’à la dépersonnalisation.
– Registre lyrique avec l’expression du sentiment amoureux.
Réponses aux questions – 22
Commentaire
Introduction
C’est une scène clé de début de roman, par sa situation et par la description de la rencontre entre Des
Grieux et Manon. C’est l’ouverture du récit de Des Grieux, mais aussi une scène romanesque aux
signes inquiétants pour la suite de l’aventure.
1. Une scène de première rencontre amoureuse
A. Il y a une mise en scène autour de Manon
• Tout converge vers elle.
• Elle est au milieu de la cour de l’hôtellerie d’Amiens.
B. Elle est seule
• Les autres femmes s’éclipsent immédiatement.
• Manon reste au centre, mise en valeur par un vieux barbon qui s’affaire autour d’elle.
C. Tout est propice à la rencontre amoureuse.
2. Le récit d’une initiation
A. Des Grieux
• Cette première scène du roman annonce le récit de l’initiation d’un jeune homme, initiation
douloureuse à la vie et à la débauche, et marquée d’emblée par l’échec.
• Après l’école, Des Grieux, un jeune premier, découvre la vie et l’amour. Le narrateur, revenu de
son ingénuité, donne le spectacle de lui-même.
B. Manon Lescaut
• Manon est une énigme. Elle est à la fois ingénue et expérimentée. Ses réponses sont ici engageantes
et résignées, mais l’ambiguïté demeure tout au long du roman.
• Les prolepses (liées au décalage entre le jeune personnage et le narrateur averti) signalent le
« penchant au plaisir » de Manon comme un ressort de l’action romanesque. Ce trait de caractère est
aussitôt indiqué, de même que son aisance et son charme, mais aussi son aptitude à tromper. Ce sont
ces éléments qui vont « former » Des Grieux.
3. Une leçon de morale et d’amour
A. La scène se développe sur un double registre
• C’est une scène de rencontre amoureuse entre deux jeunes gens, et donc une scène romanesque.
• L’inquiétude, née des malheurs annoncés, alimente le registre tragique, certes léger. La fatalité est à
l’œuvre (cf. « l’ascendant de ma destinée qui m’entraînait à ma perte »).
B. Le discours moralisateur est implicite
• Le « penchant au plaisir » entraîne des malheurs.
• La perversion de Manon conduira les deux amants à leur perte.
• Le but de l’abbé Prévost n’est autre que de prévenir de la passion amoureuse en peignant ses ravages
sur un jeune « homme de qualité ».
C. Des Grieux narrateur est ironique à l’égard de son personnage
• Son emphase pour convaincre Manon est déplacée, les termes sont exagérés, sa scolastique semble
ridicule.
• Le thème de l’amour qui éveille miraculeusement l’esprit, thème à la mode (cf. Marivaux), est porté
en dérision.
D. Mais ce roman qui se veut moral est aussi un magnifique roman d’amour.
Dissertation
La passion amoureuse est un thème récurrent de toutes les littératures.
1. La passion amoureuse néfaste
A. La passion est source de malheurs
Elle est synonyme d’« aliénation de l’être », d’« abdication de la liberté physique et morale ».
Andromaque – 23
B. « Il n’y a pas d’amour heureux »
• Dans L’Amour et l’Occident, D. de Rougemont remarque que « l’amour heureux n’a pas d’histoire dans
la littérature occidentale. […] Sans la lutte contre la destinée, cet amour n’intéresserait pas ».
• Les écrivains s’intéressent à la souffrance de l’amour non partagé (Mme Bovary), à la perte du contrôle
de soi, physique et moral (Phèdre), à la jalousie et, pour l’artiste, au temps perdu à aimer au lieu de
créer (Proust).
C. La catharsis
• Au XVIIe siècle, la tragédie doit purger des passions mauvaises (catharsis), dont l’amour.
• De même, au siècle suivant, l’abbé Prévost n’écrit pas Manon Lescaut dans un autre but que de
détourner de cette terrible passion.
2. La passion amoureuse reconnue et valorisée
A. Un contrepoint aux laideurs du monde
• Cependant, la passion amoureuse est aussi bien souvent louée par les écrivains. Elle est le charme de
l’existence, une raison d’être.
• Elle est un contrepoint aux laideurs du monde, telle la guerre, et une solution au désespoir et au
sentiment d’absurde.
B. Les vertus de l’amour
• Elle est source de vertus, comme le dévouement ou l’héroïsme, et ouvre aux autres et au monde.
• Elle développe la compréhension, l’intuition et l’intelligence.
C. Une source d’inspiration
• Elle est une école de la vie (cf. tous les jeunes premiers des romans ou du théâtre qui se révèlent à
eux-mêmes et au monde).
• Elle est aussi source d’inspiration et sensibilisation au monde de l’art.
3. L’amour, source d’inspiration donnant forme et thème aux œuvres littéraires
A. L’amour fatal
L’amour fatal inspire la tragédie et joue un rôle identique à celui de la fatalité antique.
B. L’amour comique
L’amour est aussi essentiel dans la comédie, et ce sont ses ruses, ses tours et détours qui lui donnent
forme. Ainsi, il est un ressort essentiel de l’intrigue. En outre, le dépit amoureux, l’amour hors de
propos ou maladroit, les caprices de l’amour sont des motifs récurrents.
C. L’amour lyrique
L’amour lyrique inspire la poésie et le roman. Il y apparaît comme un thème essentiel. Il est lié au
sentiment de la nature, à l’affirmation de la personnalité, au sentiment de l’art…
Conclusion
Ainsi l’amour, lié à l’imagination, source de romanesque et de lyrisme, est un thème littéraire
privilégié, même s’il n’apparaît que sous la forme de la souffrance et de la jalousie.
Écriture d’invention
Il faut suivre le déroulement de l’épisode tel qu’il est donné.
Manon narratrice jouit du même effet lié au décalage temporel entre le temps de l’histoire et le temps
de la narration. Le vécu et l’expérience de la narratrice ne sont pas ceux du personnage. Aussi les
prolepses, ou les remarques ironiques, sont les bienvenues.
Par ailleurs, Manon personnage est plus expérimentée que Des Grieux, et là encore l’ironie peut se
manifester. Mais elle peut également être plus indulgente à l’égard de son amant que ne l’était son
personnage ; elle peut éprouver une certaine tendresse pour la naïveté et la fraîcheur du jeune homme.
Bien sûr, les pensées de Manon sont dévoilées : les raisons de son entrée forcée au couvent ; ce qu’elle
pense pouvoir obtenir de Des Grieux ; son expérience et son « penchant au plaisir ». Mais il ne faut pas
oublier que la scène se situe au début du roman, et qu’il faut ménager le mystère, l’énigme de Manon.
Il ne s’agit que de donner des indices, sans oublier que Manon n’est pas complètement pervertie : elle
a toujours, tout au long du roman, de bonnes intentions, même si celles-ci se heurtent fatalement à
son irrésistible « penchant ».
Réponses aux questions – 24
A c t e
V ,
s c è n e
5
( p p .
1 4 0
à
1 4 3 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 144-145)
À la dernière scène, le fidèle Pylade revient pour sauver son ami Oreste. Son apparition est donc
justifiée. Mais, en outre, Pylade a pour fonction de narrer les derniers événements qui se sont déroulés
hors scène. Rappelons qu’au dénouement, le sort de chacun des personnages principaux doit être
réglé et que toute mort sur scène est interdite. Dans une tragédie, les récits sont donc nécessaires pour
que le spectateur soit informé, selon les bienséances, de l’issue de l’intrigue.
" La mort de Pyrrhus a été racontée dans les scènes précédentes. Oreste est sur scène et le spectateur
assiste à sa folie naissante. En outre, le spectateur apprend le suicide d’Hermione (v. 1605-1612) et le
comportement d’Andromaque (v. 1589-1592). Reine d’Épire et veuve de Pyrrhus, elle agit
conformément aux devoirs qui sont désormais les siens, et venge en même temps Pyrrhus et Hector
en poursuivant les Grecs. Son attitude est en accord avec ce qu’attend le spectateur. La cohérence du
personnage est respectée.
# Dans cette dernière scène, suite à l’assassinat de Pyrrhus, il y a urgence. Le peuple furieux s’agite et
réclame vengeance. Il faut fuir. Les marques de l’urgence sont nombreuses : « Il faut partir » (v. 1583) ;
« pour un moment » (v. 1585) ; « Allons. N’attendons pas que » (v. 1593) ; « le temps nous presse.
Ménageons les moments que » (v. 1645-1646).
$ Le discours d’Oreste reprend une image développée dans la scène 1 de l’acte I : Oreste est la
victime exemplaire du destin. La fatalité, les dieux s’acharnent contre lui (v. 1614-1620). Il y a ici un
effet de boucle bouclée.
% La folie est le châtiment d’Oreste. Elle le soustrait au suicide. Tout apaisement lui est refusé.
& Les signes de la folie d’Oreste sont progressifs. Il y a d’abord des sensations : la nuit environnante et
les frissons (v. 1625-1626). Puis il y a « l’horreur » qui s’empare du personnage (v. 1627). Puis ce sont
les visions : les « ruisseaux de sang » (v. 1628) et Pyrrhus, le rival abhorré (v. 1629), embrassé par
Hermione (v. 1633). Au vers 1636, apparaissent les terribles « filles d’enfer », les Érinyes. C’est enfin
l’évanouissement.
On remarque la ponctuation de cette tirade : les points d’interrogation et d’exclamation à presque
chaque fin de vers.
' Andromaque n’est mentionnée que par Pylade. Cependant, elle est essentielle car elle ouvre sur
l’après-tragédie. Sauvée ainsi que son fils de la mort et restaurée dans son état de reine, elle agit
conformément à ce que l’on sait d’elle et aux lois du royaume. L’ordre des choses est rétabli. Les
assassins de Pyrrhus seront punis (v. 1589-1592), et avec eux les meurtriers d’Hector. On l’a dit, en
vengeant Pyrrhus, Andromaque remplit ses devoirs de reine d’Épire mais reste aussi fidèle à Troie. Les
ennemis sont les mêmes : les Grecs.
( Le discours de la folie de Pyrrhus demeure policé : vision élaborée de métaphores de la folie
(Pyrrhus, Hermione et les « filles d’enfer »), phrases complètes et emploi de figures de style. Le
vers 1638 est justement célèbre pour ses allitérations en [s] qui miment le sifflement des serpents.
) La tragédie s’achève sur la parole de la sagesse qu’incarne depuis le début Pylade. Le discours de la
raison encadre celui de la démence d’Oreste. Après la purgation des passions, après la crise,
l’apaisement est nécessaire.
!
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 146 à 153)
Examen des textes et de l’image
! Lady Macbeth s’adresse à elle-même, à la tache de sang sur sa main, et à son époux Macbeth.
" Le discours somnambule de Lady Macbeth révèle des faits : l’assassinat de Banquo, désigné par
l’expression « vieil homme ». Ce discours révèle également le remords de Lady Macbeth et de son
époux.
# Des éléments du tableau effraient Laurent : ils rappellent au meurtrier le cadavre de la morgue
mentionnée à deux reprises. Ce sont la face de la victime « verdâtre » et « convulsionnée », les « traits
Andromaque – 25
heurtés », les « teintes sales ». Le tableau est décrit par des adjectifs qui qualifient implicitement le
cadavre : « sinistre », « ignoble, mal bâti, boueux ». Le portrait « d’une laideur atroce » montre « une face
grimaçante de cadavre », « deux yeux blancs flottant dans les orbites molles et jaunâtres ». La description insiste
sur les yeux (répétition de « deux yeux blancs »), sur les « regards » du noyé ou du portrait « si écrasant, si
ignoble, si long », qui se confondent.
$ Contrairement à Électre, Oreste est d’accord avec son geste. Même si des images du meurtre le
hantent, il se sent libre et sans remords.
% La lumière s’oppose à l’ombre, les lignes droites et marquées aux contours flous. L’homme, à sa
table de travail, est endormi, tandis que les animaux nocturnes sont éveillés. Et ceux-ci observent alors
que la tête de l’homme est enfouie dans ses bras et cache l’objet de son étude.
& Ce sont des animaux nocturnes traditionnels : la chauve-souris, la chouette, le chat. Ils sont tous
aisément identifiables. De même, les Érinyes qui assaillent Oreste sont une représentation
traditionnelle de la folie.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
• Texte B :
– Genre : les didascalies et la mise en page indiquent que l’on est au théâtre. C’est une histoire de
meurtre et de remords. Les personnages sont des rois. Il s’agit donc d’une tragédie.
– Registre tragique : le spectateur est plongé dans un monde de ténèbres. C’est la nuit et le
personnage principal est somnambule. Certains mots et expressions sont explicites : « tache damnée »,
« l’enfer est opaque », le « sang » est omniprésent, « les actions contre nature couvent des maux contre nature »,
« l’esprit atteint ». La menace du suicide de Lady Macbeth est claire : le docteur recommande
d’éloigner d’elle « tout moyen de se nuire ». L’issue s’annonce fatale.
• Texte C :
– Genre : roman.
– Registres :
Réaliste : la réalité est peinte avec le souci de la décrire telle qu’elle est. Le but est de rendre au plus
près, de traduire et de donner comme réelle la peur de Thérèse et Laurent. La vraisemblance de la
confusion entre le portrait peint et le visage de Camille mort repose sur les piètres talents de Laurent.
Pathétique : des émotions intenses sont exprimées – la peur panique des amants, leur sentiment de
culpabilité, l’échec de leur tentative pour se libérer du souvenir / présence obsédante de Camille.
• Texte D :
– Genre : les didascalies et la mise en page indiquent qu’il s’agit d’une scène de théâtre. L’histoire est
celle de personnages connus, appartenant à la mythologie. C’est une tragédie.
– Registre tragique : il est question de meurtre et de remords. Les Érinyes guettent. Elles incarnent la
fatalité. Électre est condamnée à périr. Le lexique dit la violence : « tuée » (à 3 reprises dès la première
réplique d’Électre), « tués », « ravagé », « crime » (2 fois), « meurtre », « bourreau » (3 fois), « boucher »,
« la nuit », « torturer », « horreur », « gémissements », « yeux immenses », « visage de cire », « angoisse »,
« ronger », « fouiller ta chair », « mordre ta poitrine », « amour cannibale », « souffrir dans ton corps »,
« déchireront ta chair fragile », « grand feu pur de la douleur ».
Commentaire
Introduction
La scène se situe après le meurtre de la mère d’Oreste et Électre, Clytemnestre, qui a éliminé leur
père Agamemnon à son retour de Troie. Les deux enfants ont décidé ensemble de venger leur père,
mais Oreste s’est chargé seul de l’exécution.
Au lendemain du crime, Oreste se sent libre, tandis qu’Électre est dévorée par le remords.
Le sujet mythologique, revisité par Sartre, permet à l’auteur d’opposer le libre choix et la volonté
d’Oreste, qui assume pleinement ses actes, à l’aliénation d’Électre, victime du remords et de la
mauvaise conscience. Les Mouches du titre ne sont autres que l’image du remords, autrement incarné
dans les Érinyes ici présentes.
Réponses aux questions – 26
1. Une scène mythologique
A. Les personnages et les thèmes sont connus
Bref rappel du mythe.
B. Les Érinyes sont les figures de la vengeance et du remords
Ce sont les mêmes « filles d’enfer » qui poursuivent Oreste à la fin d’Andromaque.
2. Une scène fondée sur l’opposition et l’identité
A. Les ténèbres sont opposées au soleil, au monde (c’est-à-dire à la vie) et au matin qui se lève.
B. Les remords, l’esclavage, la faiblesse s’opposent à la reconnaissance de ses actes, à l’affirmation de la liberté et
de la force.
C. Tout au long de la scène, la séparation d’Oreste et Électre apparaît nette et irrémédiable. Mais les deux jeunes
gens sont liés par le lien fraternel. Ils sont identiques et liés plus encore par le meurtre de leur mère.
D. Par ailleurs, les Érinyes et Électre sont opposées, car Électre lutte encore et semble pouvoir leur échapper avec
l’aide de son frère. Mais Électre ressemble déjà aux « filles d’enfer ». Elle est irrésistiblement attirée par elles et
prête à succomber à leur amour cannibale.
3. L’expression poétique d’un problème de conscience
A. La présence des Érinyes permet d’employer, en les remotivant, les termes et expressions du remords
• Ces termes et expressions, employés au sens propre, retrouvent toute leur force.
• Le déchirement de l’héroïne apparaît dans toute sa violence.
• Cf. le vocabulaire relevé pour la question préliminaire.
B. Cette scène est aussi celle où Oreste affirme sa liberté, même si le désaveu d’Électre rejette sur lui la
responsabilité du crime
• Cette affirmation de soi est la dimension essentielle de la scène, et de la pièce.
• Le discours décousu d’Électre contraste avec celui de son frère.
Dissertation
Introduction
Le sujet pose la question des visées de la littérature. Quelles sont ses fins, affichées ou non ?
1. La morale dans la littérature
A. L’écrivain moraliste
• Un écrivain moraliste se définit comme celui qui peint les mœurs (les caractères, les passions de
l’homme en général ou les coutumes d’un groupe).
• C’est aussi celui qui propose une morale tirée de cette observation et de cette peinture des mœurs.
• Quelques exemples : Montaigne, La Rochefoucauld, La Bruyère, La Fontaine, Montesquieu (Lettres
persanes), Voltaire (Contes), Camus ou Sartre.
B. Des morales multiples
• Au XVIe siècle, l’optimisme de Rabelais contraste avec le scepticisme de Montaigne.
• Le XVIIe siècle, plus moraliste que le précédent, fait cohabiter une morale aristocratique, exaltant
l’énergie, l’héroïsme, le moi, dans le respect du code de l’honneur, avec une morale chrétienne qui
condamne les passions et préfère l’âme au corps.
• Aux siècles suivants, la morale se fait plus relative à l’individu qui l’exprime. La multiplicité prévaut.
C. Des moyens employés récurrents
• L’étude des manières de penser et d’agir est le préalable nécessaire.
• La moquerie, plus efficace que l’indignation et l’invective, domine, ainsi que la maxime ou la
pensée, qui, sous leur forme lapidaire, portent plus sûrement les coups.
• Le portrait, non d’individu mais de type, est également un moyen fréquemment employé.
2. Les limites de l’expression de la / d’une morale en littérature
A. Au théâtre
• Au théâtre, au XVIIe siècle, la comédie, censée corriger les mœurs en en riant, ou la tragédie, qui
prétend purger des passions, trouvent dans la morale un alibi facile.
Andromaque – 27
• C’est là une défense des dramaturges contre les attaques de l’Église qui n’hésite pas à voir dans le
théâtre une « école du vice ».
• La morale est le moyen de légitimer ces genres contestés.
B. Dans le roman
Cette limite de la morale en littérature se fait également sentir dans le roman. Ainsi l’abbé Prévost
veut détourner de la passion amoureuse, mais son œuvre est aussi et surtout un magnifique roman
d’amour.
C. La littérature a bien d’autres visées que l’expression d’une morale
Même si l’on peut qualifier de « moraliste » tout écrivain qui éclaire la psychologie de l’homme et
développe une morale en parlant de lui-même ou à travers des personnages de fiction, certains
écrivains doivent être écartés. Pour eux, l’effusion lyrique est première, ou la dimension esthétique ou
ludique. Ils peuvent aussi privilégier la peinture du réel, sans exprimer la moindre morale.
3. Morale/moraliste
A. Mais, de manière inhérente, la littérature n’est-elle pas morale, même si elle n’est pas moraliste ?
Elle offre en effet à l’homme un miroir, qui lui permet de mieux se connaître. Elle est donc toujours,
dans une certaine mesure, formation.
B. S’ouvrir aux autres
La littérature reste un moyen de dépasser son expérience limitée et de s’ouvrir à la diversité des
situations humaines.
C. Tout texte a sa visée
• Si la morale est, dans certaines œuvres, un genre particulier et répond à une visée précise, réelle ou
affichée, chacun peut trouver, dans tout texte, une leçon / un exemple de vie.
• Mais on ne peut réduire la pluralité des sens et des interprétations d’une œuvre littéraire à une visée
unique.
Écriture d’invention
Rédiger la suite de l’extrait suppose de respecter le choix du narrateur et l’emploi des temps verbaux.
Cela implique aussi la nécessaire cohérence des caractères des personnages et des situations.
Dans la suite de l’extrait, Laurent et Thérèse sont plus calmes. Leur terreur panique est passée, mais
leur obsession demeure.
On peut envisager un bref rappel de la vie passée avec Camille, de la liaison adultère entre son épouse
et son meilleur ami Laurent, des circonstances du crime. L’extrait fournit quelques indices : Camille a
été noyé par Laurent lors d’une promenade en barque. Thérèse est le témoin complice du crime.
Les dialogues, ou monologues, des deux amants ont lieu sous le regard du mort, omniprésent, même
si le tableau n’est plus visible (chambre plongée dans l’obscurité).
Il faut soigner la forme, en particulier la description des sensations de Laurent et Thérèse.
Compléments aux lectures d’images – 28
COMPLÉMENTS
A U X
L E C T U R E S
D
’IMAGES
Avertissement : les photographies des mises en scène sont analysées dans la partie « Compléments
aux mises en scène » (p. 30) ; quant aux documents des corpus, certaines informations supplémentaires
sont fournies ici, mais l’essentiel de l’étude figure dans les réponses aux questions de chacun des
corpus.
◆ Hector et Andromaque (détail) de François Lemoyne (p. 95)
L’auteur
En 1718, François Lemoyne ou Lemoine (1688-1737), peintre né à Paris et maître de Boucher, est
reçu académicien. Mais sa consécration réelle date de 1736, lorsqu’il montre le plafond du salon
d’Hercule à Versailles, fruit de plusieurs années de travail. C’est un triomphe qui lui vaut d’être
nommé « premier peintre ». Cependant les fatigues excessives ont sans doute aggravé les tourments de
cet homme inquiet, car il se suicide l’année suivante, au sommet de sa gloire.
L’œuvre
Comme dans le biscuit de Sèvres (p. 99), Hector apparaît dans toute la force du guerrier, mais
protégeant néanmoins avec une infinie tendresse son épouse et son fils qu’il enlace.
De la même manière que dans la coupe de Sèvres, il est déjà appelé ailleurs, déjà parti. Tout son corps
semble en mouvement (par opposition à celui d’Andromaque) : voir, par exemple, ses jambes et son
regard tourné vers le ciel.
Au centre du couple, se trouve, comme dans le biscuit, Astyanax.
Travaux proposés
– Étudiez le jeu des regards et interrogez-vous sur la signification de celui d’Hector.
– Analysez l’impression de mouvement.
– On peut également souligner l’arrondi des formes qui confère à cette scène beaucoup de douceur,
ainsi que la lumière venue d’en haut.
◆ Les Adieux d’Hector et d’Andromaque, biscuit de Sèvres (p. 99)
L’œuvre
Cf. notre étude du document, p. 16.
On peut mettre cette coupe en parallèle avec le détail du tableau de Lemoyne. On remarque que le
biscuit (porcelaine blanche non émaillée, cuite au four, imitant le grain du marbre) donne une grande
impression d’immobilité comparé à ce dernier.
Sèvres est la manufacture de porcelaine (atelier et magasin). Créée à Vincennes, elle est transférée en
1756 à Sèvres (Hauts-de-Seine). Elle devient manufacture royale en 1760.
Relations avec le texte et les autres œuvres présentées
Les adieux d’Andromaque et d’Hector n’apparaissent pas directement dans la pièce de Racine. Ils sont
cependant évoqués à la scène 8 de l’acte III par Andromaque. Celle-ci répète alors les paroles
qu’Hector est censé avoir prononcées. L’épisode, qui apparaît dans l’Iliade (cf. les sources de Racine et
l’extrait du chant VI, pp. 96-97), a inspiré de nombreux artistes. En effet, il véhicule de multiples
sentiments : la tendresse, l’amour conjugal et filial, le déchirement, la douleur de la séparation,
l’absurdité de la guerre et l’impossibilité d’échapper au destin.
◆ Sakountala de Camille Claudel (p. 122)
L’auteur
Sculpteur français, Camille Claudel (1864-1943) est la sœur de l’écrivain Paul Claudel. Plusieurs
années de vie et de collaboration avec Auguste Rodin sont suivies, en 1898, d’une rupture
dramatique qui provoque, chez Camille Claudel, un dérèglement émotionnel dont on évalue mal
l’ampleur. De 1913 à sa mort, soit durant trente ans, elle est internée dans un asile d’aliénés – ce que
certains jugèrent injustifié.
Andromaque – 29
L’artiste séduit par l’imbrication de sa vie et de son œuvre. En dépit de ressemblances dans ses
sculptures avec celles de Rodin, Camille Claudel montre une manière toute personnelle de travailler
le marbre et un choix de sujets très différents (allégories à signification biographique notamment ; par
exemple, La Destinée et le Chemin de la vie).
Depuis les années 1980, des pièces de théâtre, des biographies, des expositions (on peut voir quelquesunes de ses œuvres au musée Rodin et au musée d’Orsay, à Paris) et un film (Camille Claudel de
Bruno Nuytten, avec Isabelle Adjani et Gérard Depardieu) ont révélé l’artiste au grand public.
L’œuvre
Cf. notre étude du document, p. 21.
◆ Le sommeil de la raison engendre des monstres de Goya (p. 152)
L’auteur
Francisco de Goya y Lucientes, né à Saragosse en 1746 et mort à Bordeaux en 1828, est également
populaire en Espagne et à l’étranger. Ce succès, connu dès son vivant, ne s’est jamais démenti. Sa
peinture se situe à la charnière de deux mondes : le XVIIIe siècle éclairé et le monde moderne. Il fut le
peintre officiel de Charles III et de Charles IV, rois d’Espagne successifs. On compte 500 tableaux et
280 eaux-fortes et lithographies.
En 1793, à la suite d’une maladie, Goya reste sourd. Cette infirmité, qui le coupe de l’extérieur, libère
un monde angoissant. Les progrès de la crise apparaissent dans le recueil de gravures publié en 1799 et
intitulé Caprices. Des formes hallucinantes et des créatures grotesques envahissent nombre de ces
représentations. Le sens de la peinture de Goya change complètement : de moyen d’ascension sociale,
elle devient exercice libre au service d’une réalité essentielle et obsédante.
Des crises – historique (en 1808, la monarchie espagnole s’effondre ; Napoléon impose l’autorité de
son frère, mais l’occupation française déclenche la révolte populaire) et personnelle (nouvelle maladie
qui faillit l’emporter) – font naître chez Goya une angoisse métaphysique. Cauchemars et
hallucinations envahissent les « peintures noires » décorant la Quinta del Sordo (« maison du Sourd »), sa
maison de campagne. Du fait de leur facture très libre, ces 14 peintures murales sont considérées par
Malraux comme étant à l’origine de la modernité.
Goya protesta contre l’invasion des Français (Les Désastres de la guerre, 1810-1814), puis il dut
composer avec eux et finalement fut exilé à Bordeaux en 1814.
L’œuvre
Cf. notre étude du document, p. 25.
Compléments aux mises en scène – 30
COMPLÉMENTS
A U X
M I S E S
E N
S C È N E
◆ Questions sur les textes proposés
Texte sur la mise en scène de Jean-Louis Martinelli (pp. 189-190)
• D’après Claude Coquelle, quels sont les deux éléments marquants de cette mise en scène ?
Il s’agit de définir certains choix du metteur en scène. Deux éléments essentiels sont :
– l’importance accordée aux mots. Les vers de Racine ont toute leur force, leur beauté mais aussi leur
violence. Pour leur donner plus de poids, le décor mais aussi la gestuelle sont épurés : seuls restent les
mots ;
– le décor brise le face-à-face traditionnel des acteurs et des spectateurs. Cette rupture de la
disposition conventionnelle instaure une plus grande complicité entre acteurs et public. La proximité
entre salle et scène est plus importante.
L’Éternel éphémère de Daniel Mesguich (p. 191)
• Quelles sont les deux théories opposées par Daniel Mesguich sur le rôle de la mise en scène ?
Les deux théories opposées sont :
– la mise en scène conçue comme un « art de la lecture » et de l’interprétation. Cette conception est
défendue par Daniel Mesguich, lequel voit dans le metteur en scène un émetteur second qui
« complète » le texte original, inachevé sans la mise en scène. L’une des fonctions du metteur en scène
est donc de lire et d’interpréter le texte pour lui donner sa complétude ;
– la mise en scène conçue comme neutre et transparente. Le texte original est complet, inaltérable et
en rien interprétable.
• Expliquez la phrase « La lettre, en soi, ne pense pas, elle est accueil de pensées ».
– La « lettre » désigne la pièce de théâtre dans sa littéralité, le texte.
– Ce texte est ouvert au sens, à l’interprétation du lecteur. Et aucune lecture ne prévaut. Toutes sont
provisoires. Les mises en scène successives, comme autant de lectures et d’interprétations, sont donc
relatives et périssables. Ainsi la littéralité de l’œuvre est ouverte à l’interprétation relative des lecteurs
et metteurs en scène successifs.
Daniel Mesguich à propos d’Andromaque (pp. 192-193)
• Comment Daniel Mesguich conçoit-il la passion amoureuse dans Andromaque ?
La passion n’est que langage, de simples mots, des paroles « usées ». Sa seule réalité est dans le langage.
Mais cette passion n’en est pas moins tragique.
• Quel nouvel éclairage le metteur en scène apporte-t-il sur le personnage racinien ?
Le premier rôle est doublé de son second, qui est plus qu’un suivant. Ce dernier incarne une facette
du personnage placé au premier plan. Il est l’extériorisation d’une partie de son moi. Tous ces
personnages dits « secondaires » sont les « doubles, inversés parfois, parfois identiques, de leurs “maîtres” ».
Un autre exemple évident est Phèdre et sa nourrice Œnone.
Compte rendu de la mise en scène de Daniel Mesguich (pp. 194-195)
• Quelles sont les informations essentielles apportées par ce compte rendu sur la mise en scène de Daniel
Mesguich ?
Informations apportées :
– l’importance du décor (renversement et jeu de miroir) ;
– le rôle de la confidente, double du personnage principal. Celui-ci est donc seul, et tout dialogue
avec son confident devient monologue ;
– la violence de la mise en scène : « une vérité plus éclatante des sentiments », la « passion dévastatrice
devient déchirement, déflagration », le « spectacle est embrasement », « une folie baroque » ;
– en définitive, c’est un théâtre qui « refus[e] de se prêter au jeu ».
La mise en abyme est essentielle.
Andromaque – 31
◆ Mise en perspective des différents textes
Les deux textes de Daniel Mesguich
La position de Daniel Mesguich sur le rôle du metteur en scène (L’Éternel éphémère), émetteur second
libre d’interpréter et d’investir d’un sens provisoire la littéralité de l’œuvre, trouve son illustration dans
le commentaire du metteur en scène sur Andromaque (texte suivant, pp. 193-194).
D’une part, dans ce commentaire, Daniel Mesguich donne sa lecture de l’amour-passion, réduit à une
langue usée, répétée, presque vide de sens mais non moins tragique. D’autre part, il livre sa
conception du personnage racinien, toujours extériorisé dans son suivant, qui est un double identique
ou inversé de son moi.
Le compte rendu de Christophe Gervot
Il offre un dernier éclairage sur le travail de Daniel Mesguich. C’est un « théâtre qui refus[e] de se prêter
au jeu ». Ainsi la mise en scène se désigne comme telle. Il n’est pas question de donner une impression
de réalité. On est dans l’illusion. Ce que dit Daniel Mesguich sur la passion amoureuse va dans le
même sens. Mais paradoxalement, d’après Christophe Gervot, le metteur en scène « atteint une vérité
plus éclatante des sentiments ». « La passion dévastatrice devient déchirement, déflagration. » De ce qui est
« usé », Daniel Mesguich donne une image plus intense. Mais c’est moins par les mots que par le
décor et le « spectacle ».
À noter que la « folie baroque » de la mise en scène de Daniel Mesguich s’oppose au classicisme de
Racine. C’est là le signe d’une interprétation libre du metteur en scène.
Enfin, Christophe Gervot confirme le rôle de double attribué aux confidents.
◆ Textes et illustrations
Mise en scène de Roger Planchon : Pylade et Oreste (p. 23)
• Que peut-on dire sur le décor ?
C’est une salle vide où peuvent se croiser les personnages sans invraisemblance, et cependant avec
l’intimité nécessaire à leurs entretiens.
• On peut faire souligner l’impression de mouvement que donne la photo, le jeu spatial des acteurs,
l’un de face et l’autre de dos. Leurs vêtements sont presque identiques. Leur grande cape leur confère
à la fois grandeur et austérité.
• Le regard d’Oreste est tourné vers Pylade, sans doute en quête d’informations sur ce qui s’est passé à
la cour de Pyrrhus.
Mise en scène de Roger Planchon : Hermione et Oreste (p. 111)
• Les deux personnages se font face. On peut s’intéresser à la gestuelle et à l’expression du visage
d’Hermione.
• Quels sentiments son visage et son geste traduisent-ils ?
• Quel effet Hermione cherche-t-elle à créer chez Oreste et le spectateur ?
Mise en scène de Jean-Louis Barrault : Pyrrhus et Andromaque (p. 46)
• Cette mise en scène est beaucoup plus ancienne que les autres. Les costumes, comme dans la mise
en scène de Roger Planchon, sont donnés comme ceux de l’époque de Pyrrhus.
• L’intérêt de la photographie réside dans la gestuelle et la physionomie des acteurs. Andromaque se
détourne de Pyrrhus qui lui parle. Son regard est absorbé, perdu au loin. On peut s’interroger sur les
sentiments qu’exprime le visage d’Andromaque. Quant à Pyrrhus, peut-être menace-t-il sa captive,
mais la main sur sa poitrine peut signifier la promesse, la foi jurée, l’engagement.
Mise en scène de Marc Zammit : Hermione et Oreste (p. 65)
• Qu’expriment les regards et les visages de chacun des acteurs ?
Hermione a l’air résolue. Elle semble savoir ce qu’elle veut. Au contraire, le regard perdu d’Oreste
traduit le désarroi, et peut-être une forme de résignation fataliste.
• Que dit l’attitude des personnages sur leur relation ?
C’est une relation où Oreste est totalement soumis aux volontés d’Hermione. Il se tient aux genoux
de son amante.
• On peut remarquer les costumes, plus « modernes » que ceux des mises en scène précédentes.
Compléments aux mises en scène – 32
Mise en scène de Marc Zammit : Andromaque et Céphise (pp. 90 et 188)
• Que révèle l’attitude de Céphise sur le dialogue entre elle et Andromaque ?
Deux photos montrent Andromaque et Céphise. Celle de la page 188 donne un aperçu du décor,
résolument moderne. Dans chacune des photos, Céphise est accroupie. À cause de cette attitude, elle
ne semble pas dialoguer avec Andromaque, alors qu’il s’agit bien d’une scène de dialogue (III, 8).
Mais il est certain – et le jeu des acteurs le souligne – que les arguments de Céphise ne sont autres que
ceux d’Andromaque. C’est l’extériorisation du dilemme de l’héroïne. La confidente incarne une part
du moi d’Andromaque. On rejoint ici l’interprétation de Daniel Mesguich sur le rôle des confidentes,
doubles des personnages principaux. Le jeu spatial des acteurs en dit long sur la relation entre les
personnages.
• Enfin, on peut opposer le visage d’Andromaque sur l’une et l’autre photographie : la résolution,
voire la haine dans la première (p. 90) ; une espèce de joie, le visage semblant illuminé dans la
seconde (p. 188). On peut dès lors mettre en relation les photos avec des moments précis de la scène,
notamment la seconde avec l’évocation des adieux d’Hector.
Mise en scène de D. Mesguich : Hermione et Andromaque et leurs confidentes (p. 193)
• À quelle scène cette photographie correspond-elle ?
À la scène 4 de l’acte III.
• Qu’est-ce qui est troublant dans cette photo ?
Les actrices sont placées de manière à créer l’illusion d’un jeu de miroir sans miroir. Les confidentes
semblent identiques, et les héroïnes, plus que s’opposer, semblent mises sur le même plan. Leurs
vêtements sont similaires, et les héroïnes ne s’opposent que par la couleur de leurs cheveux. De
manière troublante, les deux rivales sont rapprochées par ce jeu de scène. En outre, elles semblent
dominées par leurs confidentes.
• Cette photographie fait directement écho au texte de Daniel Mesguich sur les doubles.
Andromaque – 33
BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
◆ Édition conseillée
– Jean Racine, Théâtre complet I et II, coll. « Folio Classique », Gallimard, 1982.
◆ Sur le contexte historique et culturel
– Jean Mesnard, Précis de littérature française du XVIIe siècle, PUF, 1970.
◆ Sur le théâtre
– Pierre Larthomas, Le Langage dramatique, coll. « Quadrige », Armand Colin, 1972, rééd. PUF, 2001.
– Anne Sancier-Chateau, Introduction à la langue du XVIIe siècle, tome I (« Vocabulaire ») et tome II
(« Syntaxe »), coll. « 128 », Nathan Université, 1993.
– Jacques Scherer, La Dramaturgie classique en France, Nizet, 1950.
– Nadine Toursel et Jacques Vassevière, Littérature : textes théoriques et critiques, Nathan Université,
1994.
◆ Sur Racine et son œuvre
– Lucien Goldmann, Racine, L’Arche, 1955, rééd. 1984.
– Alain Niderst, Racine et la Tragédie classique, coll. « Que sais-je ? », PUF, 1978.
– Jean Rohou, L’Évolution du tragique racinien, Sedes, 1992.
– Jean Rohou, Jean Racine : entre sa carrière, son œuvre et son dieu, Fayard, 1992.
– Jean-Jacques Roubine, Lecture de Racine, Armand Colin, 1971.
– Jacques Scherer, Racine et la Cérémonie, PUF, 1982.
◆ Études d’Andromaque
– Paul Bénichou, « Andromaque captive puis reine », dans L’Écrivain et ses Travaux, José Corti, 1967.
– Gérard Defaux, « Culpabilité et expiation dans l’Andromaque de Racine », Romanie Review, janvier
1977.
◆ Autres pièces et romans à recommander
Pièces de Racine
– Britannicus, 1669.
– Bérénice, 1670.
– Mithridate, 1673.
– Phèdre, 1677.
– Esther, 1689.
Pièces d’autres dramaturges
– Pierre Corneille, Cinna, 1640-1641.
– Jean Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu, 1935.
– Jean-Paul Sartre, Les Mouches, 1943, et Huis clos, 1944.
– Samuel Beckett, En attendant Godot, 1953.
Romans
– Mme de Lafayette, La Princesse de Clèves, 1678.
– Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731.
– Prosper Mérimée, Carmen, 1845.
– Émile Zola, Thérèse Raquin, 1867.
– Éric Holder, Mademoiselle Chambon, Flammarion, 1996.
– Sándor Márai, L’Héritage d’Esther, Albin Michel, 2001 (roman paru en 1939).

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