Parcours transversal Philippe Dorin

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Parcours transversal Philippe Dorin
La Comédie de Béthune – Centre Dramatique National Nord-Pas-de-Calais
Culture Commune – Scène Nationale du Bassin Minier du Pas-de-Calais
Le Théâtre Missionné d’Arras
PARCOURS TRANSVERSAL
PHILIPPE DORIN
« Le théâtre est la dernière chose à ramener au pédagogique. Non, on va au théâtre pour la pièce
qui est jouée, pour l'émotion que l'on va ressentir, c'est tout. Aller au théâtre, ce doit être inutile.
Que ce soit une activité « inutile » ne signifie pas qu'on le fasse n'importe comment, sans rigueur.
« Inutile », ça veut dire que ça ne sert à rien, mais pour que ça compte, il faut que ce soit parfait ! »
Philippe Dorin
Saison 2005/2006
SOMMAIRE
1
Biographie de Philippe Dorin
p. 3
Bibliographie, mises en scène et installations
p. 5
Les ateliers de Philippe Dorin
p. 8
Cadres et thèmes des pièces de Philippe Dorin
p. 11
Les mots et les choses chez Philippe Dorin
p. 16
Zoom sur deux pièces :
- Sacré silence
p. 20
- Bouge plus !
p. 25
-----------------------------------------------Les numéros des pages mentionnés dans ce dossier renvoient aux éditions suivantes :
- Sacré silence, L’école des loisirs, 1997
- Villa Esseling Monde, Editions La Fontaine, 1999
- En attendant le Petit Poucet, L’école des loisirs, 2001
- Un œil jeté par la fenêtre, L’école des loisirs, 2001
- Dans ma maison de papier, j’ai des poèmes sur le feu, L’école des loisirs, 2002
- Ils se marièrent et eurent beaucoup, L’école des loisirs, 2005
- Le Monde, point à la ligne, manuscrit
- Bouge plus !, manuscrit
Abréviations utilisées :
- SS : Sacré silence
- Villa : Villa Esseling Monde
- Pt P : En attendant le Petit Poucet
- Un œil : Un œil jeté par la fenêtre
- Maison papier : Dans ma maison de papier, j’ai des poèmes sur le feu
- Ils se marièrent : Ils se marièrent et eurent beaucoup
- Le Monde : Le Monde, point à la ligne
2
BIOGRAPHIE DE PHILIPPE DORIN
2004
- Tournée au Canada de Dans ma maison de papier, j'ai des poèmes sur le feu, création de la
Compagnie Pour Ainsi Dire (mise en scène Sylviane Fortuny)
- Création de Bouge plus !, par la Compagnie L'Heure du Loup/Nîmes (mise en scène Michel
Froehly)
2003
Résidence d'écriture à la Médiathèque de Guérande (44) sous l'égide du CNL et du Théâtre Athénor
de St Nazaire. Réalisation d'un travail d'archéologie poétique, Pour pas que les cris tuent, en 15
livres objets, 2 livres de pierre, et 1 livre de sel. Exposition de ce travail à la Médiathèque d'Athis
Mons et de Corbeil Essonnes.
2002
- Première lecture de Bouge plus ! à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon, pièce commandée par
Michel Froehly, metteur en scène.
- Edition de Dans ma maison de papier, j'ai des poèmes sur le feu, à L'école des Loisirs,
collection Théâtre. Textes précédemment publiés chez le même éditeur: En attendant le Petit
Poucet et Un œil jeté par la fenêtre (2001), Sacré silence (1997).
2001
- Création de Dans ma maison de papier, j'ai des poèmes sur le feu par la Compagnie Pour Ainsi
Dire (mise en scène Sylviane Fortuny)
- Résidence d'écriture dans une classe de CM2 du 11e arrondissement de Paris, avec l'aide du
Théâtre de la marionnette à Paris.
1999
- Création de En attendant le Petit Poucet par la Compagnie Pour Ainsi Dire (mise en scène
Sylviane Fortuny)
- Collaboration avec la Compagnie Flash Marionnettes/Strasbourg. Ecriture de Babel France sur une
idée de Corine Linden (mise en scène Ismaïl Safwan)
1997
Création de la Compagnie Pour Ainsi Dire avec Sylviane Fortuny, et d'un premier spectacle Le
Monde, point à la ligne.
1996
Bourse de création du Centre National du Livre. Première bourse de création obtenue en 1988.
Mes petits mots d'amour interprétés par Fanny Ardant pour Radio France (Atelier de création
radiophonique du Grand Est)
1994
Rencontre avec Sylviane Fortuny. Premiers travaux d'écriture et plastiques à partir de boulettes de
papier, d'encre bleue, et de petits cailloux blancs.
1992
- 20 secrets pour apercevoir les fées, interprété par Michel Piccoli pour Radio France (Atelier de
création radiophonique du Grand Est).
3
- Rencontre avec Bernard Sultan, metteur en scène. Création de Moitié Claire au Théâtre Jeune
Public/Strasbourg. Suivront des collaborations autour de Fenêtres avec Kim Vinter et Les Oiseaux
de Tarjei Vesaas.
1990
Première édition de Villa Esseling Monde aux Éditions La Fontaine/Lille.
1989
Édition de Le jour de la fabrication des yeux, second recueil de contes, aux CCL éditions/Grenoble
1988
Rencontre avec Christiane Véricel. Coécriture de Sable sensible, produit par la Maison de la Culture
de Saint Étienne.
1985
Édition d'un premier recueil de contes aux CCL Éditions/Grenoble: Visites à la Villa Esseling
Monde.
1980/90
Auteur de nombreuses pièces de théâtre pour les enfants créées au Théâtre Jeune
Public/Strasbourg (mise en scène Éric de Dadelsen), dont Ogrrre !, RamDam, Le miroir sonore,
Chevalier Service.
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BIBLIOGRAPHIE, MISES EN SCENE, INSTALLATIONS
Sable sensible
Coécrit avec Christiane Véricel, 1988
Le jour de la fabrication des yeux - Contes
Recueil de contes édité aux CCL Éditions/Grenoble, 1989
20 secrets pour apercevoir les fées
Interprété par Michel Piccoli pour Radio France (Atelier de création radiophonique du Grand Est), 1992
Editions du Seuil - Jeunesse, 1999
Cœur de Pierre
Editions Syros - Souris Noire, 1992
Prix du polar jeunesse au Salon de Grenoble, 1992
"J'entends une course dans les rochers, le claquement d'une portière et le démarrage
précipité d'une voiture. Puis c'est le silence et l'oeil accusateur de la morte que je dois
supporter toute la nuit. Je voulais devenir pierre précieuse. J'ai servi d'arme. Nous, les
pierres, nous sommes à la merci des gestes des hommes.".
Une pierre qui parle ? Seulement sur le papier… Dans la vie, elle ne fait que subir les
passions humaines. Elle qui rêvait d'aventures sur son île déserte, elle devient à la fois pièce
à conviction d'un crime et talisman d'une bande de gamins….
Moitié Claire
Création par Bernard Sultan au Théâtre Jeune Public/Strasbourg, 1992
L'écrivain à la poubelle
Manuscrit composé d'une soixantaine de boulettes de papier disposées dans une corbeille, présentées dans
les bibliothèques en 1992
Commande de la BMS Bibliothèques de Strasbourg et du Bas-Rhin (67)
Mes petits mots d'amour
Interprétation par Fanny Ardant pour Radio France (Atelier de création radiophonique du Grand Est)
Jardins d'écritures
Écrire des histoires à la manière d'un jardinier, en plantant des boulettes de papier dans des pots, et en les
arrosant d'encre bleue ; 1996.
Bibliothèque Saint Just et Ville de Stains (93)
Le Monde, point à la ligne - théâtre
Mise en scène de Sylviane Fortuny, 1997
Naissances imaginaires du monde - 1997
Sacré silence - théâtre
L’école des loisirs, 1997
Nous sommes dans le désert. Lumpe se promène en traînant son bidon. C'est son
instrument de travail. Dans son bidon, Lumpe a enfermé tous les bruits du monde : le bruit
du vent, le bruit de la guerre, le bruit des hommes et même des bruits inconnus de nous,
comme le bruit des couleurs. Elle appelle ses clients et n'entend pas de réponse. Elle
appelle encore. Une voix se manifeste. C'est une jeune femme très étrange et qui ne fait
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rien d'autre, absolument rien d'autre que répéter les paroles de Lumpe. Lumpe s'énerve de
plus en plus. Comment se débarrasser de quelqu'un qui n'a d'autre conversation que la
vôtre et qui est peut-être une concurrente ? Car la jeune femme imite tous les bruits de
Lumpe et pourrait donc lui voler son travail. La jeune femme s'appelle Écho, elle réduit peu
à peu Lumpe au silence. Lumpe qui a oublié d'enfermer dans son bidon un seul son : celui
de sa propre voix. Cette pièce de Philippe Dorin part d'un jeu enfantin : celui de l'écho, ce
jeu qui nous a tous fascinés et agacés. Elle est une réflexion poétique sur le langage,
l'univers des bruits qui nous environnent et, bien sûr, le silence.
Les petits cailloux d'Armand - 1998
Villa Esseling Monde (théâtre) suivi de Visites à la Villa Esseling Monde (contes)
Editions La Fontaine, 1999
Théâtre - En partant à la recherche de la petite balle jaune que son père lui a prêtée, Ange
entre dans la villa Esseling Monde et vole au secours d'une légende. A l'extérieur, ses
parents l'attendent longtemps. Ange réapparaît sur l'écran de télévision devant lequel ils ont
vieilli.
Contes - Voici des contes traditionnels. Avec un nouveau merveilleux, qui comporte pourtant
des ogres, d'extraordinaires petites filles, moins de rois et moins de reines mais des parents
qui nous ressemblent. Moins de mariages aussi. Moins de naissances. Mais du bonheur
beaucoup, et des méchants qui sont toujours punis.
Babel France - théâtre
Mise en scène par la Compagnie Flash Marionnette, 1999
Une banlieue aujourd’hui avec son métissage, ses langues et ses problématiques. Uns suite
de rencontres drôles, fugaces et terriblement humaines.
En attendant le Petit Poucet - théâtre
L’école des loisirs, 2001
Mise en scène de Sylviane Fortuny, 1999
Il s'appelle Le Grand, elle s'appelle La Petite. Ils sont seuls au monde. Il ne leur reste plus
qu'à se rencontrer, à s'inventer des fables. Pourquoi, le jour, les étoiles disparaissent ?
Comment faire réapparaître le fantôme de leur mère ? Comment traverser des villes et
frapper aux portes des maisons ? Ils sèment des cailloux sur les chemins et l'un d'entre eux
les accompagne. Lorsqu'ils ont fait le tour du monde, ils s'interrogent. Comment donner un
sens à leur histoire?
Trois poubelles d'écrivains
Portraits de trois écrivains imaginaires à partir de leur poubelle à papier ; 1999.
Inspection et REP de Caen (14)
La bibliothèque renversée - 2000
Un œil jeté par la fenêtre - théâtre
L’école des loisirs, 2001
Il y a longtemps, un garçon a vu une fille par la fenêtre et, depuis ce jour, il a figé son souvenir dans
sa mémoire. Devenu grand, il vit avec sa mère, il écrit, et sa vie monotone lui fait oublier cet instant
miraculeux. Mais les souvenirs sont tenaces; tôt ou tard, ils sont convoqués, réclament leur dû.
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Dans ma maison de papier, j'ai des poèmes sur le feu - théâtre
L’école des loisirs, 2002
Mise en scène de Sylviane Fortuny, 2001
Une petite fille construit sa maison imaginaire. Deux minutes plus tard, elle est devenue une
vieille dame. mais elle porte toujours ses chaussures d’enfant. C’est l’heure de mourir,
annonce le promeneur. Déjà ? Laisse-moi juste le temps d’une pensée. Je dois retourner
rendre ses chaussures à la petite fille. Le promeneur accepte. Mais la petite fille retient la
vieille dame, allume sans cesse la lumière, elle ne doit pas, c’est dangereux, car le
promeneur revient.
J'étais dans les bras de ma prochaine victime
Installation de mon bureau d'écrivain dans une classe pendant un mois. Résidence quotidienne d'écriture
dans la classe ; 2001.
DRAC Ile de France, Théâtre de la marionnette à Paris, REP du 11e arrondissement, École du 100, avenue de
la République
Petites tentatives poétiques - 2002
Bouge plus ! - théâtre
Lecture à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon, pièce commandée par Michel Froehly, metteur en scène.
Mise en scène de Michel Froehly, 2004
Bouge plus ! est une suite de scènes courtes et modulables avec pour personnages le père,
la mère et l'enfant, et pour cadres le noir et la lumière. Et puis ont été convoquées les
fleurs, la chaise et la table, et tout s'est mis en ordre.
Bouge plus ! ça me fait penser à la vie qui est une tentative désespérée de tout faire tenir
debout mais ça ne dure jamais longtemps. Ça bouge tout le temps.
Pour pas que les cris tuent
Travail d'archéologie imaginaire et poétique autour de deux pierres découvertes dans une carrière, et
considérées comme les fragments d'un livre fossile ; 2003.
Bourse CNL, Théâtre Athénor de Saint Nazaire 44, Médiathèque Samuel Beckett de Guérande 44.
Exposition des travaux à la Médiathèque Simone de Beauvoir d'Athis-Mons 91, et à la Médiathèque
municipale de Corbeil-Essonnes 91.
Ils se marièrent et eurent beaucoup - théâtre
L’école des loisirs, 2005
Mise en scène de Sylviane Fortuny, 2004
Un amoureux pleure sa fiancée partie à l'autre bout du monde. Une fille qui passe lui
explique que, comme la Terre est ronde, ça veut dire qu'elle est juste derrière lui.
L'amoureux en doute. La jeune fille lui demande de la regarder dans les yeux. L'amoureux
s'approche. La fille lui dérobe un baiser. L'amoureux se sent trahi. Il exige qu'elle aille porter
ce baiser à celle qui lui est destinée, à l'autre bout du monde. La jeune fille demande juste
qu'il l'élance.
Et la voilà partie !
Mais un baiser volé, tout le monde en veut.
7
LES ATELIERS DE PHILIPPE DORIN
Philippe Dorin anime des ateliers d’écriture avec la comédienne Sylviane Fortuny depuis 1994, avec
qui il a créé la compagnie Pour Ainsi Dire.
Voici trois exemples d’ateliers réalisés avec des enfants, qui éclairent la vision de Dorin sur
l’écriture, les mots, le travail de l’écrivain, la mise en scène de ses textes.
•
« L’ECRIVAIN A LA POUBELLE » :
Philippe Dorin raconte comment a démarré cet atelier :
« un jour m’est venu l’idée d’arriver en classe avec une « poubelle d’écrivain ». Avec les enfants, nous avons
déplié ces boulettes de papier, les fragments ont été lus par une conteuse. »
Ce travail met l’accent sur la notion de fragment, sur la recherche, la fouille, aller voir ce qui a été
jeté, l’enfant va à la recherche des mots, les recolle et les réinvente …
•
« JARDINS D’ECRITURES »
Il s’agissait d’écrire des histoires à la manière d’un jardinier, en plantant des boulettes de papier
dans des pots, et en les arrosant d’encre bleue.
Il dit cultiver des « jardins d’écriture » :
« Nous avons fait une plantation de plumes Sergent-Major et nous avons semé des boulettes de
papier. Puis nous les avons déterrées à la bêche et rapportées en classe et nous les avons
repiquées dans des pots et étiquetés. Nous les avons arrosées d’encre bleue. Nous avons placé des
tuteurs et d’autres boulettes sont apparues. Nous avons mis les boulettes en bocaux dans de l’encre
bleue. Nous avons récolté des petits bouts de poèmes.
Ensuite avec les enfants, il y a eu un travail d’écriture, des brouillons, plusieurs jets. Mais nous
n’avons pas cherché à aboutir à un livre. »
Ce qui compte, c’est de sentir le fourmillement, faire sentir à l’enfant que l’écrivain est créateur du
monde.
Derrière l’idée du jardin, se lit également la notion de temps, de reprise quotidienne que l’on
retrouve dans cette citation de Dorin sur l’écriture :
« Je compare souvent l’écriture à une biche qu’on aimerait voir dans la forêt. Il faut se lever tôt. Il
faut se mettre dans un coin et ne plus bouger. L’immobilité doit être totale. Il faut se faire oublier du
monde entier. Et malgré toutes ces recommandations, on ne voit rien passer. Alors il faut y revenir
le lendemain, le surlendemain et les jours d’après. Et peut-être qu’au bout de quelques mois, on
aura la chance d’apercevoir quelque chose. L’écriture, il faut toujours être au rendez-vous. C’est
pour cela que ça devient le centre de votre vie. »
•
« POUR PAS QUE LES CRIS TUENT »
Travail d’archéologie imaginaire et poétique autour de deux pierres découvertes dans une carrière,
et considérées comme les fragments d’un livre fossile.
8
« On a agi comme des archéologues qui trouvent des tessons et les reconstituent. D’abord, en observant ces
cailloux, nous avons recherché des preuves d’écriture (on les a réchauffés, on les a écoutés), et nous avons
noté les premières bribes. Puis les enfants ont cassés les cailloux et ont jeté les fragments obtenus, comme on
jette des dés. Ils devaient ensuite écrire ce que pouvait être cette phrase ainsi jetée sur le papier… Puis
recommençaient à jeter, et ainsi de suite. »
Ici se dessine l’image de l’écrivain archéologue, dont les découvertes seraient le début d’une histoire
inconnue, à écrire. C’est aussi, le chemin du hasard qui mène à l’inconnu.
On voit bien que les ateliers de Dorin avec les enfants s’entourent d’un univers plastique, concret
qui est la base pour une création et l’imaginaire : Dorin parle de « plongée dans un univers ». Le
monde plastique est une mise en condition sensible et éveil de l’imagination pour amener à
l’écriture. On peut ramener cette immersion dans un monde concret avec ses propres lois aux
contraintes qui sont le support et le moteur de l’écriture chez des écrivains de l’OULIPO (OUvroir de
LIttérature Potentiel) tels Queneau, Calvino, Perec….
Les ingrédients nécessaires pour réussir un bon atelier, selon Philippe Dorin :
Le dépouillement et la musique de l’histoire
« le problème n’est pas de trouver des idées mais d’en écrire une histoire, de trouver la musique
des histoires. Les histoires sont fortes quand elles sont dépouillées. »
La découverte
Dorin assimile l’écrivain à un archéologue : « à chaque atelier, c’est une nouvelle aventure qui
commence » : « être nous en découverte », cela permet d’être en découverte avec les enfants.
Ecrire, c’est produire à partir de son univers, être dans l’incertitude, ne pas savoir à l’avance. »
Trouver son « centre »
« Ce qui compte, c’est d’avoir quelque chose à dire avant de commencer à écrire. Ce qu’il faut, c’est
enclencher un processus d’écriture, et se fier au centre qui est en nous. Il ne s’agit pas de singer
l’attitude d’un écrivain, ou l’attitude d’un acteur. Il faut être soi. On sait qu’on a un centre. On sent
quand il est juste…… »
Intriguer les enfants
« Les enfants aiment à être dépassés par les livres. Un livre n’intrigue pas les enfants quand il ne
les dépasse pas. »
Un théâtre n’a pas pour but d’être pédagogique
« Le théâtre est la dernière chose à ramener au pédagogique. On va au théâtre pour l’émotion qu’on
va ressentir, c’est tout. Aller au théâtre ne doit pas être utile. On ne devrait jamais parler en sortant.
Quand on sort, on doit être porté par ce que l’on vient de voir, de vivre, rester avec soi. »
Mais ça ne veut pas dire que la pratique à l’école est « inutile ». L’art apprend une autre rigueur que
celle apprise à l’école.
La mise en jeu des textes
Philippe Dorin insiste sur l’épure de la mise en scène et la mise à vue des « trucs » : « il est inutile
de cacher les « trucs » de la mise en scène, sinon les enfants se demandent comment ils font ça et
accordent leur attention à ça. »
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Il ne s’agit donc pas d’une représentation réaliste de l’espace, seulement d’une délimitation de
l’espace.
Ce qui prévaut, c’est le texte. La mise en scène doit le mettre en avant, porté par les comédiens.
« C’est le texte qui doit attirer l’attention. Et ça passe par les acteurs. Il s’agit de montrer aux
enfants que tout est dans le jeu de l’acteur, dans la façon de dire le texte. »
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CADRES ET THEMES DES PIECES DE PHILIPPE DORIN
I.
Les cadres des pièces
A. Le temps
« Ce que j’écris n’est que le négatif de l’histoire. Ce que j’essaie de faire voir, ce sont plutôt les
choses invisibles, comme le temps qui passe ou le bruit des couleurs. » Philippe Dorin
Dans les pièces de P. Dorin, pas de repères temporels précis ni d’époque déterminée : on est
dans l’intemporel.
Toutefois, le temps occupe une place importante, voire même, constitue un thème à part
entière :
Dans Maison papier :
- « Moi, je m’appelle Aimée. Et toi ?
– Moi, c’est Emma.
– Aimée, Emma, c’est presque le même nom
– Oui, c’est juste le temps qui change. » (p. 31)
Ainsi, il se matérialise par :
- le vieillissement rapide, le temps d’une pièce, des personnages :
• Dans Maison papier, « La petite fille est devenue une vieille dame », dès la deuxième scène.
• Dans Un œil, le petit garçon devient un jeune homme dès le début.
• Le plus flagrant : Villa, « Voilà cent ans que le petit est parti ! » (p. 34) : passage fulgurant
du temps
- L’importance du jour et de la nuit, de l’ombre et de la lumière :
Dans Maison papier, les scènes commencent par « allume » et se terminent par « éteins » ;
même repère dans Bouge plus !. Dans Pt P, ce sont le jour et la nuit qui marquent le passage
du temps.
Malgré le manque de repères temporels, le temps est un thème important dans les pièces de P.
Dorin : plusieurs pièces proposent des réflexions sur le temps qui passe, avec la conclusion qu’il
faut accepter le passé pour réussir à aller de l’avant :
- Maison papier : « Voilà ! Je crois que j’aurai tout vu, moi ! Eteins ! » (p. 60), dernière scène,
la vieille dame accepte de mourir.
- Un œil : « je m’en vais Maman » (p. 43), le garçon accepte de grandir et quitte sa mère qui
l’étouffait
B. Le mouvement
Tout comme les repères temporels, les repères spatiaux sont quasi inexistants ; quand il y en a,
ils sont imprécis : « un désert » (SS), « un chemin » (Pt P)…
L’espace est matérialisé par le mouvement, repère d’ordre spatial, très fréquent.
Tous les personnages ou presque bougent, se déplacent :
- Dans Villa, Ange se perd dans les méandres de la villa
- Dans Pt P, le chariot qui passe entre chaque scène nous rappelle le déplacement incessant.
Chaque didascalie, entre les scènes, donne à voir un déplacement :
- Une petite danse dans Ils se marièrent
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- Le promeneur qui passe en sifflant dans Maison papier
- Le passage du chariot dans Pt P
Généralement, ce ne sont pas de petits déplacements, ce sont des mouvements à l’échelle de la
planète :
- « Ca veut dire qu’on a fait le tour du monde » (Pt P, p. 64) et Ils se marièrent : « Tu vas aller
le porter [le baiser] à ma fiancée qui est à l’autre bout du monde. » (p. 12)
- Au contraire, Bouge plus ! , comme son titre l’indique, essaie de mettre de l’ordre dans ce
mouvement et stabiliser les situations
- Le plus bel exemple : dans Le Monde, le monde est d’abord enfermé dans une armoire
avant de s’en échapper
Les cadres des pièces de Dorin sont donnés, non pas par des indications de lieux ou
d’époque, mais par le vieillissement des personnages et leur déplacement dans l’espace.
Ces deux repères, temporel et spatial, prennent, à l’échelle de chaque pièce, des
proportions énormes, à l’échelle de la planète et d’une vie. Comme si chaque pièce était un
tout, le condensé d’une vie et d’un monde, celui que les personnages se créent le temps
d’une histoire.
Le manque de repères temporels et spatiaux permet alors de se concentrer sur l’essentiel,
les personnages, et évite le dispersement. On est en présence d’une écriture de la justesse
et de l’efficacité. On ne perd pas de temps dans les détails.
II.
Les éléments déclencheurs de l’histoire
A. Les objets
Les décors des pièces de Dorin sont très minimalistes.
Toutefois, les objets y occupent une place importante :
- Ils sont les éléments déclencheurs de l’histoire :
• Ange perd sa balle jaune et l’histoire de la Villa peut commencer
• Dans SS, ce sont les bruits qui entraînent la rencontre
•
•
Les objets ne sont pas accessoires, ils sont des personnages à part entière :
Dans Bouge plus !, nous avons la chaise, les fleurs et la table, trois « personnages »
associés au père, à la mère et au fils
Le petit caillou dans Pt P est l’ami de La Petite
Ces objets déclencheurs et personnages donnent une dimension fantaisiste aux histoires de
Dorin : les personnages, assez hors du commun pour la plupart, sont accompagnés d’objetspersonnages, qui leur donnent une touche encore plus fantaisiste et justifie en même temps leur
« bizarrerie ».
Ils renvoient également à la dimension théâtrale des pièces, écrites pour être montées : Dorin
intègre d’emblée dans son écriture la mise en scène, en donnant une place particulière au
décor, aux objets. Les mises en scène de Sylviane Fortuny des pièces de Dorin sont
significatives à cet égard.
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B. La rencontre de la différence
Autre élément déclencheur d’histoire : les rencontres.
Les pièces de Dorin commencent en général par une rencontre :
- de la différence :
• Dans SS, Lumpe rencontre… l’Echo, rencontre du bruit et de la répétition
• Dans Maison papier, c’est la rencontre de la jeune fille avec un promeneur, allégorie de la
mort, qui la fait vieillir
ou de la similitude, d’un frère :
Dans Un œil, le garçon reste figé dans son passé car, il y a quelques années, il a croisé une
jeune fille, comme un rêve ; rencontre d’un jeune garçon et d’une illusion ? de son double
féminin ?
• Dans Ils se marièrent, une amoureuse bouleverse la vie du jeune homme
• Dans Pt P, le Grand rencontre la Petite ; les opposés se rencontrent mais tout deux sont
perdus et orphelins ; ils deviennent frère et soeur
•
Chaque histoire commence par une rencontre, très souvent associée à un objet, qui
enclenche la narration et qui va changer la vie des personnages. L’histoire se construit à
partir de cette rencontre, soit sur la différence qui sépare les personnages, soit au contraire,
sur leurs similitudes, qui les rapprochent.
Ces objets et ces rencontres fantaisistes renvoient également à l’univers du conte, fortement
explicité dans le choix des titres des pièces : « En attendant le Petit Poucet », « Ils se
marièrent et eurent beaucoup… » et régulièrement évoqué dans les pièces : « Pour
disparaître dans le monde des fées, il suffit d’enfiler des bottes, de compter jusqu’à trois et
de dire « et hop ! » sur un certain ton. » (Ils se marièrent p. 39)
III.
Les thèmes
A. Les relations de famille
Dans plusieurs pièces de Dorin, les personnages en présence ont un lien de parenté :
- Parents-enfants dans Un œil, Villa, Bouge plus !, Pt P
- Grands parents-petits enfants dans Maison papier
- Frère-sœur dans Pt P
- Relation amoureuse dans Ils se marièrent et Un oeil
Exception : SS, où on assiste à la rencontre de deux personnages qui n’ont pas de lien de
parenté ; à moins que l’Echo ne soit que le double de Lumpe ?...
Les pièces mettent donc en scène ces relations de famille pas toujours simples, comme le
montre très bien Bouge plus !, des relations fluctuantes, jamais acquises ni stables.
On ne peut pas parler de conflits de famille, car les personnages ne sont jamais vraiment en
conflit ; il s’agit plutôt d’une analyse des relations entre les membres de la famille, à travers leur
mode de communication.
B. La communication
Le nœud des pièces de Dorin se situe dans le thème de la communication.
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Dans ses pièces, il n’y a pas vraiment d’histoire ni d’action à proprement parler ; plutôt une
rencontre, qui engendre des échanges, qui traduisent la nature des relations entre les
personnages ; leur relation repose sur leurs échanges plus que sur leurs actions.
La communication est alors de différente nature :
- La communication non verbale, qui passe par les didascalies : le mouvement des
personnages et des objets, qui raconte leur histoire à leur place
- Communication lapidaire, dans Ils se marièrent ou Bouge plus ! Répliques brèves qui vont à
l’essentiel.
- Communication à travers des histoires qu’on raconte : dans l’ensemble, les personnages
parlent peu. Les passages où ils sont le plus bavards sont les passages où les personnages
se mettent à raconter des histoires : dans Pt P, l’histoire de la lune et des étoiles (p. 34),
reprise dans Maison papier (p. 36)
- La difficulté de communiquer voire même la communication impossible : on a parfois
l’impression que les personnages ne s’écoutent pas, qu’ils sont chacun dans leur monde et
ne parviennent pas à changer
- Communication avec le spectateur : cette non-communication, cette difficulté à
communiquer ou cette communication indirecte donne au final une place essentielle au
lecteur-spectateur : c’est à lui de combler les vides, de donner du sens, de le compléter.
Le lecteur, dans les pièces de Dorin, occupe une place à part entière dans les textes ; il est
co-auteur : c’est à lui de compléter les histoires.
C. L’acte d’écrire, le travail de l’auteur :
Au-delà des histoires dans lesquelles il nous embarque, Dorin auteur, ou l’image de l’auteur,
s’insinue aussi dans ses textes :
- L’auteur est clairement incarné par le garçon dans Un œil
- Il apparaît comme le démiurge qui tire les ficelles, à l’égale du metteur en scène dans Un
œil
L’acte d’écrire apparaît à plusieurs reprises dans les pièces :
- avec la présence des mots écrits sur des bouts de papier, dans Ils se marièrent
- l’acte d’écrire sans cesse dans Un oeil
- La page blanche dans Maison papier :
« Un lit ? Nous ne demandons pas tant. – Une page blanche, est-ce que ça ira ? » (p. 72)
Dorin semble, au sein même de ses pièces, réfléchir à sa place d’auteur, à son statut par
rapport à ses personnages et ses histoires. Est-ce bien lui qui les crée et les fait vivre ? Ou estce que ce sont eux qui inspirent l’auteur pour qu’il leur donne vie ? A cet égard, Pt P fait penser
à Six Personnages en quête d’auteur, de L. Pirandello, dans lequel ce sont les personnages qui
prennent la parole pour s’adresser à leur auteur.
Plus globalement, cette absence de repères, ces personnages si humains et si fantaisistes à
la fois, ces situations de communication si incroyables parfois, amènent le lecteur à tout
relativiser : rien n’est jamais sûr, tout est mouvement, mais les mots peuvent nous trahir et ne
sont plus fiables. Les pièces de Dorin nous emmènent dans un univers fait de touches instables,
qu’il faut agencer soi-même pour reconstruire une histoire, telle qu’on a envie de l’inventer.
C’est l’auteur, présent lui-même discrètement dans les textes, qui nous fait signe, à nous
lecteur, en nous donnant pour mission de plonger dans ses mots pour prendre notre place et
construire notre propre histoire.
14
Les mots et les choses chez Philippe Dorin
I.
L’interchangeabilité des mots et des objets
Chez Dorin on peut échanger les rôles, changer les scènes, la place des choses, des mots et des
syllabes. C’est un grand jeu de construction et de déconstruction.
Les actes sont des entités, les objets sont entités comme les personnes et ont la même valeur. On
retrouve déjà ce dernier point dans l’univers du conte.
Le conte
Temporalité vague, indéterminée
Durée étrange (vieillissement dans Maison papier, dans Villa)
Noms des personnages p. 26 de la Villa « On a des personnages de légendes »
Les objets sont vivants
Légendes sur l’origine du monde.
Il n’y pas de nécessité d’une identité particulière des personnages
Interview réalisée par Olivier Bailly pour « L’Ecole des lettres des collèges 2004-2005 » :
Dans ils se marièrent…, le personnage dit : « comment tu t’appelles ? », elle répond : « Je
m’appelle Juliette Béquette…Ce n’est pas quelqu’un qui s’appellerait Juliette et qui viendrait jouer
son histoire : elle invente cela à ce moment là ». P. Dorin
Au début de Bouge plus ! 0n se partage les rôles (p7)
Au début de Pt P, même chose p. 19 :
« Moi je suis ton père. »
« Mais je n’ai pas de père »
« Alors, je suis ton fiancé. »
« Mais j’ai pas de fiancé. »
« Alors, je suis ton grand frère »
Toujours dans cette même pièce on peut jouer la même scène mais en changeant les rôles, chacun
son tour va jouer celui de la mère.
Les histoires s’inventent au fur et à mesure
Dans Bouge plus !, le père décrit la maison (p 14) et donne par là-même une réalité à cette maison.
Dans Le monde et Pt P, on retrouve également des histoires qui semblent se construire au fur et à
mesure du récit et posent des existences soudaines.
P. 25 de Bouge plus !, le père dit à l’enfant :
« -Grandis
-Tu les vois les Alpes
-Ça c’est le mont Blanc ?
-Touche pas ! »
Un mot est égal à un objet : Les mots et les choses sont interchangeables mais pas
supprimables.
Un mot égale une chose, comme on peut changer d’objets on peut changer de mots.
Attention on peut échanger les mots, les objets mais pas les supprimer.
Dans Pt P, un mot vaut un objet, un caillou, une craie….
Dans Bouge Plus !, on ne peut pas se débarrasser, de la table, des fleurs, de la chaise.
Des mots influent sur des situations « Tu t’appelles Aimée Emma c’est presque le même nom »,
« oui, c’est juste le temps qui change, tiens il neige » - Maison papier…
15
Et des situations sur les mots : lorsque Lumpe bâillonne Echo dans Sacré Silence, elle en perd ses
mots, ils se mélangent puis ne signifient plus rien.
Les jeux de mots
1) Les énumérations
Dans Bouge plus !
- Liste des actions p. 31
- Liste des mots en T p. 23
- Liste de commissions p. 23
2) Inventer une grammaire :
Dans Bouge plus ! : maman, taman, saman …
3) Répétition
Dans Sacré Silence, Pt P, Bouge plus !… répétitions à l’identique ou avec des variantes.
Cela crée un effet de comique, met les mots sur un même plan, manifeste le jeu.
L’absurde
Dans une interview je cite P.Dorin « Les personnages de théâtre, ce serait cela : Les gens sont là
mais comme il n’y a rien à faire ils parlent. »
« J’aime beaucoup Beckett ; je me reconnais dans cet auteur, parce qu’il y a dans ses pièces
quelque chose de terrible… un peu comme avec les clowns dont on rit pour ne pas pleurer.
Ils parlent où ils chantent pour passer le temps. »
Les personnages proposent des jeux : « C’est quoi ce jeu » dans Bouge plus !. (p 14)
Le temps lui aussi devient un jeu dans Pt P, on tire le temps au sort comme on effeuille les
marguerites ( p28).
Le titre de cette pièce n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de Beckett.
Comme chez ce dernier, il y a cette ironie où le vital se mélange au superflu, car cela revient au
même.
Dans Villa, l’enfant a disparu mais les parents attendent la fin du film. On peut oublier l’essentiel car
rien n’est nécessaire.
Le jeu commence lorsqu’il n’y a plus d’enjeu. On peut oublier son frère, sa mère s’ils sont vivants ou
morts.
Dans Pt P, on joue à la mort comme dans En Attendant Godot on envisage la pendaison simplement
pour passer le temps.
Comme chez Beckett, il y a ce questionnement sur l’origine. L’origine qui est liée à la famille, à
l’être au monde.
Les ruptures
Changement de vocabulaire et d’univers.
On passe du lyrique au trivial (1ère réplique de Ils se marièrent).
De la fable au quotidien. Une boîte de Coca fait son apparition dans Sacré Silence.
Tous ces procédés développent l’étrangeté, le décalé et l’humour dans
l’œuvre de Dorin
16
II.
Les mises en abyme
Insertion de l’acte d’écriture
Dans Bouge plus ! L’enfant décompte le reste des mots que le père a à dire et fait mourir un
personnage.
Présence de la page blanche dans Ils se marièrent.
Présence de l’auteur dans Le monde (p. 20) « cher Léo, je suis écrivain… merci de m’avoir fait une
toute petite place dans ton mouchoir… »
Pt P, p.72
Mise à distance de ce qui est écrit comme il y aura des mises en abyme au théâtre.
C’est une écriture palpable, qui montre ses mécanismes.
On dit que l’on est au théâtre
« Au théâtre pour que cela commence il faut éteindre toutes les lampes » début du Monde.
« Là, ça va commencer » dans Bouge plus !
Comme pour l’écriture « les personnages n’oublient jamais qu’ils sont des acteurs…Ce n’est que du
théâtre » (P.Dorin) et c’est pour cela que l’on joue avec eux, avec les mots. Aucun réalisme. Une
chose existe tout un coup parce qu’un personnage, la nomme, la touche, la pense car on est au
théâtre.
III.
La musicalité
Les notes sont limitées comme les mots de Dorin.
On peut comparer peut-être les mots chez Dorin à des notes de musique et l’absence de mots aux
silences musicaux.
Avec les répétitions il joue beaucoup sur les sonorités.
Utilisation de beaucoup de points d’exclamation, de phrases brèves. Vivacité et rapidité de l’action.
Il faut faire vite, quelque chose pourrait nous rattraper.
Silences importants dans son univers.
Dans une interview recueillie par Olivier Bailly pour l’Ecole des lettres des collèges, Dorin dit « Mon
travail est beaucoup dans le négatif : c’est créer du silence, créer la page blanche, ne pas faire de
bruit. Ecrire c’est fait pour créer le silence et le théâtre est fait pour créer de la place, du vide. »
Thématique principale de Sacré Silence.
Utilisation des soupirs.
Dans Bouge plus ! : note de l’auteur : « Des scènes muettes peuvent être ajoutées. Les temps de
silence doivent être extrêmement dilatés. »
Structure musicale de ses œuvres :
Découpages en séquences dans Bouge Plus ! qui peuvent apparaître comme des mesures.
On retrouve souvent chez Dorin des thèmes, des refrains…
Dans Villa, regarder la fin du film, attendre la fin du film….
Dans Bouge plus ! « C’est quoi ce jeu ? » interroge à plusieurs reprises l’enfant.
Des répétitions
Début Pt P
Début de Bouge plus !
Une note un son / un mot un objet
Un mot égale une chose comme on peut changer d’objet on peut changer de mot.
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Dans Pt P, un mot vaut un objet, un caillou, une craie…
Des mots influent sur des situations « Tu t’appelles Aimé Emma c’est presque le même nom »,
« oui, c’est juste le temps qui change, tiens il neige »
Des digressions qui ressemblent à des airs et qui temporellement se démarquent
Bouge plus ! , l’histoire que raconte l’enfant dans l’épilogue
Dans Pt P : l’histoire de Pierre p 25
Les chansons d’enfants, de récréations sont récurrentes dans son œuvre.
Ce sont des chansons pour passer le temps des récréations.
Ce sont des chansons de hasard.
Ce sont des chansons où l’on devient un personnage, où l’on joue à une histoire.
Dans Bouge plus ! : le fermier dans son pré.
Dans Sacré Silence : Je suis le petit roi
Dans Maison papier… : Alouette
Dans Ils se marièrent : Amstramgram et la chanson de Juliette
Dans Le monde : De l’autre côté de la route…
Présence effective de musique sur scène
Ils se marièrent, Villa, Bouge plus !
La photographie
Lumière thématique importante.
Séquence interrompue par le noir.
Très marquant dans Bouge plus !. Album de photos de famille.
18
« SACRÉ SILENCE »
L’école des loisirs, théâtre 1997
LE TEXTE
L’histoire :
Voilà une marchande bien peu ordinaire : Lumpe vend des sons. Du murmure au ramdam, tout y
passe à qui veut bien l’entendre. Tous les bruits du monde se trouvent dans son bidon : le bruit du
vent, le bruit de la guerre, le bruit des hommes, des bruits inconnus de tous, et même le bruit des
couleurs ! Seulement le problème est que peu de monde s’intéresse à son commerce et qu’elle
travaille dans le désert.
Personne à l’exception d’une jeune femme étrange et espiègle, Écho. Elle est drôle quand elle répète
la moindre parole de Lumpe. Ce qui a le don de l’agacer prodigieusement car Lumpe veut bien avoir
de la compagnie pour bavarder, discuter, médire mais pas de dialogue de sourds. La rencontre des
deux femmes se transforme peu à peu en joute verbale, en affrontement….
Cette pièce, qui s’inspire d’un jeu d’enfant, celui de l’écho, a d’abord été créée dans une première
version intitulée Ram Dam, le miroir sonore au Centre national de Strasbourg le 16 mai 1989.
Thèmes abordés :
- La solitude.
- Le bruit, le son et le langage.
- Les jeux de mots.
Nombre de personnages : 2
- Lumpe, marchande de sons
- Echo, une jeune femme
A partir de 5 - 6 ans.
JEUX AUTOUR DU SON
Ces exercices sont très connus ; ils sont simples et permettent à l’enseignant d‘exploiter la
thématique du silence et du bruit présente dès la première scène de Sacré silence.
Le roi du silence
Jeu effectué pour amener la concentration. Un élève est placé au centre de l’aire de jeu. Il a
les yeux bandés et trône sur son royaume silencieux. Les autres élèves rêvent de le détrôner et de
devenir roi. Il faut pour cela se rapprocher à pas de velours de ce trône et si le roi ne perçoit aucun
bruit, aucun déplacement, il perdra sa royauté. Dès que ce dernier entend un bruit, il désigne du
doigt l’endroit d’où est venu ce bruit et élimine un concurrent.
Le chef d’orchestre
Les participants se répartissent en ligne face au chef d’orchestre. Chaque participant se
choisit un bruit, un son (Cf. « boite de Pandore ») et s’entraîne à l’exécuter sur un rythme de son
choix. Le chef d’orchestre commence par tester chaque instrument : il désigne un élève et celui-ci
19
donne son bruit sur le rythme retenu. À partir de cette connaissance des sons, le chef d’orchestre
cherche à créer une mélodie en désignant différents instruments. Il joue à créer des duos, des solos
ou un chœur.
Le chef d’orchestre adopte un système de signes très simples pour mener l’ensemble des
musiciens : le doigt désigne l’individu, ou un groupe d’individus. Quand il referme la main vers lui,
tout le monde se tait. Quand il élève la main, l’intensité augmente, quand il la baisse, l’intensité
diminue.
Le téléphone arabe
Les élèves sont assis en cercle : le meneur du jeu choisit deux expressions dans la scène 1. Il les
transmet à son voisin de gauche en les murmurant à son oreille. Le dernier restitue ces expressions.
Le bruit qui court
Faire courir une rumeur au sein du groupe. Les élèves se répartissent équitablement sur l’aire de jeu
et se déplacent d’une manière neutre. L’un des participants lance une rumeur à l’oreille d’un de ses
voisins.
Cette rumeur doit se transformer, être amplifiée au fur et à mesure de son cheminement. Quand elle
a effectué un tour complet des participants ou lorsqu’elle revient à son propriétaire, il restitue les
deux versions.
Le travail du chœur
Les participants se répartissent sur l’aire de jeu ; ils se déplacent en silence et cherchent à
occuper équitablement tout l’espace. Puis ils se rejoignent afin de constituer plusieurs groupes
équilibrés. On continue à se déplacer ensemble en silence.
Les participants restent attentifs aux mouvements, aux déplacements du groupe auquel ils
appartiennent ; à tour de rôle, un meneur prend la tête du groupe et lui impulse un rythme de
déplacement, une attitude et un son. Les autres se mettent au diapason du meneur. Ils adoptent la
même manière de se déplacer, le rythme de sa marche, son attitude et effectuent le même son.
Les groupes évoluent sur la scène sans se parler : lorsque le groupe rencontre un autre groupe, le
meneur du groupe propose de lui vendre son bruit. Les autres membres de ce groupe adoptent la
même attitude, que le meneur et reprennent le même son, en chœur. L’autre groupe reçoit cette
proposition, se consulte du regard : si la proposition leur convient, ils l’adoptent et l’imitent ou alors
le meneur du second groupe lance sa proposition et ainsi de suite.
Les participants se déplacent sur l’aire de jeu en occupant le plateau d’une manière
équitable ; le déplacement s’effectue en silence, chacun reste attentif aux déplacements, aux
mouvements des autres. Quand un des participants le souhaite, il s’arrête ; les autres participants
doivent se regrouper derrière lui très vite mais sans précipitation. Ils adoptent la même direction du
regard. Quand le meneur sent que tout le groupe est en phase avec lui, il repart en éclatant le
chœur. Chacun reprend sa promenade. Si plusieurs chœurs se forment en même temps, les
participants doivent veiller à équilibrer les différents groupes.
L’exercice se poursuit avec un travail sur la diction, l’articulation : chaque participant se choisit un
son, un bruit au hasard dans la première scène. On se déplace dans l’espace en conservant les
mêmes règles que précédemment. Un participant s’arrête, les autres se regroupent derrière lui et
adoptent la même attitude. Une fois le chœur formé, le meneur exécute son bruit avec une intensité,
un rythme de son choix. Ce bruit est repris par le chœur. Si plusieurs chœurs s’établissent en même
temps au cours du jeu, les meneurs peuvent construire un dialogue avec tous les sons retenus. On
peut ensuite pratiquer le même exercice avec la notion d’écho en plus (distance et étirement du son)
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On délimite l’espace de l’aire de jeu. Le but de cet exercice est de traverser la scène avec
une ambiance à créer et en citant un bruit extrait de la scène 1. On peut par exemple, traverser une
forêt en suscitant une ambiance de danger grâce à différents sons entendus (bruissements,
clapotis…).
Chaque participant traverse la forêt et effectue son bruit lors de sa traversée.
Les participants se groupent par 4 ou 5. Le groupe devra traverser la scène d’un bout à
l’autre en respectant la consigne : il y a du brouillard, il faut traverser un espace sans se lâcher, en
file indienne et en suivant scrupuleusement les traces de chacun. A nouveau, chaque participant
dira le son choisi dans la scène 1.
On peut même aller jusqu’à construire un dialogue, un échange avec un langage crée par tous ces
sons.
« La boite de Pandore »
Pour aborder l’écriture de cette scène 1. Lumpe est en recherche de bruits ; si elle venait à l’école,
quels seraient les bruits qu’elle achèterait ?
Chaque élève s’installe confortablement dans la classe. Il ferme les yeux et écoute attentivement les
bruits, les sons qui l’entourent. Bruits intérieurs, bruits de ses camarades, bruits situés à l’extérieur
de la classe et les mémorise. Il laisse venir toutes les sensations liées à ces bruits.
Puis on ouvre les yeux et chacun va écrire sur un bout de papier le son perçu, le bruit récolté, la
musique qu’il a entendue. (Un son par papier, chaque élève peut inscrire plusieurs propositions)
Tous ces papiers sont récoltés dans une boite, la « boite de Pandore » (Cf. annexe 1) qui contient
alors toutes les anecdotes sonores de la classe. Le bidon de Lumpe ressemble à cette boite de
Pandore. Lumpe aurait en sa possession tous les sons de la terre dont elle a fait un commerce.
Chaque élève pioche ensuite trois papiers dans cette boite ; tous les participants sont disposés en
cercle et on effectue une première lecture de tous les sons. Chacun lit d’une manière neutre les
trois propositions qu’il a tirées.
Puis chaque élève, sauf un qui assure le rôle de Lumpe, donne ses petits papiers à cette dernière et
pendant 5 minutes, il s’exerce à prononcer les 3 mots choisis en l’associant à un geste, à un
déplacement, à une intention, à une intensité. Après ce temps de préparation, les participants se
regroupent en cercle et d’une manière aléatoire, les différentes propositions sont montrées. (Chacun
passe 3 fois)
Pendant ce temps, Lumpe s’exerce à son rôle de marchande en s’inspirant de la scène 1. Elle lira
cette scène en remplaçant tous les mots de sons du texte par ceux qui se trouvent sur les papiers
récoltés.
Les participants se répartissent de manière équitable sur l’aire de jeu. Lumpe, la marchande de
sons vient vendre sa camelote : elle se trouve sur le marché derrière son bidon et elle cherche à
attirer le client : elle prend un des papiers qu’on lui a confiés et annonce le son qu’elle peut vendre.
L’élève ainsi désigné, joue le son avec le geste et l’intensité correspondants. Il peut fonctionner
comme un écho et répéter deux ou trois fois le même son. Et ainsi de suite. On recrée l’univers
sonore de la classe.
Travail d’improvisation
Phase d’exploration du texte.
21
On peut aussi très simplement récolter les bruits de la classe ; un élève qui vient piocher un mot et
va improviser le son. Aux autres élèves de deviner le bruit proposé.
Ou encore les élèves sont disposés en cercle : l’animateur du jeu pioche un mot dans la boite et le
lance à la cantonade. Celui que la proposition inspire vient de placer au centre du cercle, joue le son
(associé à un geste, à une intensité…). Toute proposition peut s’effectuer en groupe de 2 ou 3
élèves. Un travail sur les échos peut s’effectuer : d‘autres participants peuvent reprendre certains
sons, bruits. On peut aussi se lancer dans les variations sonores (incantation, bruit lancinant, bruit
parasite…).
Un participant se pose au centre de l’aire de jeu : en fonction de sa proposition de jeu, il choisit trois
autres partenaires parmi les autres participants qu’il vient de voir et il les inclut dans sa proposition
de jeu. Il les sculpte dans une attitude et emplit le vide de la scène. Tout démarre de sa proposition,
les autres partenaires essaient de répondre de créer un dialogue avec les mots, sons, gestes.
On peut prolonger l’expérience lors d’une récréation : les élèves s’installent tranquillement dans un
coin de la cour de récréation, les yeux fermés et ils récoltent de la même manière tous les sons,
tous les bruits. Ainsi peut se dessiner une sorte de radiographie sonore, un témoignage sonore de la
cour de récré et jouer ensuite à recréer cet univers.
L’exploitation du vocabulaire, du lexique du bruit.
Lumpe connaît tous les bruits de la planète ; pas un ne lui échappe (sauf l’écho qui l’énerve
passablement et lui fait concurrence). Voici deux jeux qui permettent d’obtenir cette connaissance
des sons de la terre.
Les couples
À partir de la scène 1 de Sacré silence, écrire tous les mots représentant un bruit, un son sur un
bout de papier ; placez tous les mots de vocabulaire dans une boite.
Sur un autre bout de papier, écrire la définition de chaque son relevé et placez ces papiers dans une
seconde boite. Les élèves se répartissent en deux groupes de manière équitable : le groupe 1
piochera un papier dans la première boite, le groupe 2 dans la boite 2.
Le premier élève vient choisir un papier ; puis il dit ou fait entendre son bruit : exemple le clapotis.
Un élève du second groupe pioche un papier et vient lire la définition d’un son. On garde les petits
papiers lus sur une table, le but du jeu étant de recréer les couples : mot – son avec sa définition.
Tous ces mots seront recopiés dans le cahier.
Pour faciliter le travail d’association d’un son à sa définition, on peut adopter un système de
couleurs pour les papiers : on part d’une couleur neutre et pastel pour un son doux, de faible
intensité et plus le son sera fort plus la couleur qu’on lui accordera sera violente, voyante. (Par
exemple, rouge pour le fracas) On peut ensuite classer les sons de Lumpe par ordre croissant
d’intensité en respectant la couleur du papier.
Lumpe est une marchande de sons, de bruits. Personne ne s’intéresse à elle ou tout le monde la
fuit. A –t-elle trouvé refuge dans le désert parce qu’elle fuyait ou tout le monde la fuyait. A-t-elle été
chassée par les gens qui trouvait son bruit infernal …
22
PHILIPPE DORIN
BOUGE PLUS
Avant propos
Cette pièce a été conçue comme une suite de scènes pouvant servir
de matériel à la construction d'un spectacle. L'ordre peut en être changé.
Certaines scènes peuvent être répétées plusieurs fois, sur des modes
différents ou en interchangeant les rôles. Des scènes muettes peuvent être
ajoutées. Les temps de silence doivent être extrêmement dilatés. Au
contraire, ne pas s'appesantir sur les temps de dialogue. Il faut toujours
qu'on garde l'impression de quelque chose qui s'essaie. Merci.
I/ Le traitement de la famille
1. Les rôles de chacun
- La distribution aléatoire des rôles est presque vécue comme un jeu.
- La Mère est une ogresse (p. 18), une mégère, une virago et donne les ordres (p. 20).
La mère entre. Elle s'approche de la chaise.
LA MERE: Oui ?
LA CHAISE: ...
LA MERE: Non !
LA CHAISE: ...
LA MERE: Oui !
LA CHAISE: ...
LA MERE: Oui !
LA CHAISE: ...
LA MERE: Non !
LA CHAISE: ...
LA MERE: Non !
LA CHAISE: ...
LA MERE: Non !
LA CHAISE: ...
LA MERE: Oui !
LA CHAISE: ...
LA MERE: Non !
Elle sort.
Elle éduque (p. 7) face à un père falot.
L'ENFANT: Montre comment c'est ?
LA MERE: Regarde !
Lumière. La mère avec les fleurs, l'enfant.
Un temps.
LA MERE: C'est vu ?
L'ENFANT: Oui !
LA MERE: A ta place !
Noir.
C’est la pièce maîtresse de la famille dans laquelle elle joue un rôle prépondérant (elle
« porte »). C’est elle qui désigne et donne une existence à la famille. Son rôle maternel est
mis en doute : elle ne souhaite pas assumer l’enfant et voudrait s’en débarrasser (p. 19).
23
Lumière. Le père avec les fleurs, assis sur la chaise.
LE PERE: Non mais !
LE PERE: Un soir, la mère, le père l'effleure.
Un soir, l'enfant, la mère le perd.
Un soir, le père, l'enfant le boit.
D’ailleurs, c’est bien elle qui possède le plus de répliques (183 contre 155 pour le père et
autant pour le fils).
- Le Père, quant à lui, est forcément empreint de culpabilité ; il se dérobe devant les
accusations.
Il n’assume même pas son rôle traditionnel d’éducateur (p. 15)
LE PERE: On dit pas "je te causons" !
L'ENFANT: Ah bon ?
LE PERE: Non !
L'ENFANT: On dit quoi, alors ?
LE PERE: Je te causèrent.
L'ENFANT: Ah bon !
LE PERE: Oui !
Un temps.
d’où souvent dans la pièce de nombreux effets comiques. On y dénonce même son
alcoolisme (p. 19).
Lumière. Le père avec les fleurs, assis sur la chaise.
LE PERE: Non mais !
LE PERE: Un soir, la mère, le père l'effleure.
Un soir, l'enfant, la mère le perd.
Un soir, le père, l'enfant le boit.
- L’Enfant est présenté comme un être fragile, incompris par ses parents (p. 28).
L'ENFANT: A 10, je saute.
1, 2, 3, 4, ...
Le père et la mère entrent.
LA MERE: T'entends ?
LE PERE: Oui !
LA MERE: Et tu fais rien ?
LE PERE: Non !
L'ENFANT: ... 5, 6, ...
LA MERE: Faut faire quelque chose !
LE PERE: Bouge pas !
L'ENFANT: ... 7, 8, ...
LE PERE: Je te parie qu'il sait même pas compter jusqu'à 10.
L'ENFANT: ... 9, 11, ...
LE PERE: Qu'est-ce que je te disais ?
L'ENFANT: ... 14, 18, ...
LE PERE: Allez, viens !
Ils sortent.
L'ENFANT: ... 39, 45, 69, 204, 406, 607, ...
L'ENFANT: ...10 !
Un temps.
24
- Chacun cherche à réussir malgré les dérapages, la vitesse, les maladresses et les scènes
sont vécues comme autant d’essais successifs.
2. Personnages et objets
- Les objets et les personnages sont mis sur le même plan : l’enfant est un enfant mais
aurait pu être le père, la mère voire les fleurs. La famille est bien ancrée dans le quotidien.
- Différence entre les objets et les personnes (p. 12) : un objet est lié à une fonction alors
que les êtres humains doivent se désigner et distribuer les rôles.
Lumière. La chaise, seule.
LA CHAISE: Moi, c'est la chaise. C'est exceptionnel que je parle, là. Pas
besoin de le dire, que je suis la chaise. Ça se voit tout de suite. Dès qu'on
me voit, on se dit: "Tiens, la chaise !". Pas besoin de dire à quoi je sers, non
plus. Pas une seconde on se demande: "Mais qu'est-ce qu'elle fout là, la
chaise ?". Non, on se dit: "Quelqu'un va entrer. Il va s'asseoir dessus". Tout
le monde le sait qu'une chaise, c'est fait pour s'asseoir dessus. Faut rien lui
demander d'autre. Y a qu'à se taire et attendre.
Si quelqu'un me dit: "Debout !", ça marche pas. Y en a qu'ont essayé. On
les a enfermés tout de suite.
Voilà ! C'est tout ce que je sais.
Un temps.
3. Les étapes
- La désignation comme existence face à autrui :
le rôle doit être distribué pour chacun. De plus, le personnage, pour exister, doit être
nommé par un autre personnage.
La mère se désigne.
LA MERE: Je !
Elle désigne l'enfant.
LA MERE: Tu !
Elle désigne le père.
LA MERE: Il !
- De la découverte de chacun à la révolte en passant par le parricide :
le spectateur assiste à toutes les étapes du développement de la cellule familiale. On
commence par découvrir et comprendre le rôle de chacun, à essayer de se comprendre et
de s’accepter mais très vite cela ne fonctionne plus et la famille est au bord de l’explosion.
L’enfant veut symboliquement tuer le père :
(parricide, p. 11)
La mère se désigne.
LA MERE: Je !
Elle désigne l'enfant.
LA MERE: Tu !
Elle désigne le père.
LA MERE: Il !
25
L'enfant vise le père.
L'ENFANT: Pan !
Le père tombe.
LA MERE: Au lit !
Noir.
Il est au bord de la révolte (évocation de l’adolescence) et (choisira l’autre, i. e. un
élément extérieur à la famille.
(révolte, p. 13),
L'enfant passe.
Il s'arrête devant le père.
L'ENFANT: Con !
Le père se lève. Il donne une gifle à l'enfant. Il sort avec la chaise.
Un temps.
L'enfant sort. Il revient avec la chaise.
L'ENFANT: Con !
Rien.
L'enfant sort avec la chaise. Il revient avec le père.
L'ENFANT: Con !
Le père donne une gifle à l'enfant et sort.
Un temps.
L'ENFANT: Je préfère la chaise.
Noir.
4. Les fondements
- La famille apparaît comme le « lieu » où tout commence où tout se met en place. Elle se
met en place de manière tout à fait artificielle (ou artistique) car elle se compose sur la
scène du théâtre, devant nos yeux de spectateurs. On est peut-être là dans l’essence même
du théâtre, sa fonction fondamentale : donner la naissance et la vie … et peut-être
assister à la dislocation, la fragmentation du monde. L’auteur de théâtre serait là pour
donner de l’ordre et du sens à ce monde qui nous entoure.
- Après avoir donné naissance à ce monde, l’auteur est celui qui va interroger sa création
à travers ses personnages. (p.27)
L'ENFANT: Dictée !
Lumière. La table avec les fleurs, le père assis sur la chaise, la mère,
l'enfant.
L'ENFANT: C'est quoi ce jeu ? C'est-quoi-ce-jeu, point d'interrogation.
Quand c'est qu'on change ? Quand-c'est-qu'on, quand-c'est-qu'on-change,
point d'interro-ga-tion. Qui c'est, qui-c'est, qui l'avait, qui-c'est-qui-l'avaitl'enfant avant ? Qui-c'est-qui-l'avait-l'enfant-avant- point-d'interrogation.
Pourquoi c'est toujours moi qui l'a ? Pourquoi-c'est-toujours-pour moi-c'esttoujours-pourquoi-tout-c'est-là-toujours-quoi. Pourquoi c'est toujours moi
qui l'a, point final !
Mais tout est peut-être vain ? (p. 31)
26
Lumière. Le père, seul.
Il mime qu'il fait son noeud de cravate. Il croise les bras. Il mime qu'il
conduit une voiture. Il se gratte la tête. Il mime qu'il fume une cigarette. Il
hausse les épaules.
Noir.
- Rôle du fondamental : exemple de la scène du décompte
Lumière. Le père, la mère, l'enfant.
L'ENFANT: 54 !
LE PERE: Meurtre et Moselle !
L'ENFANT: 51 !
LE PERE: Pastis !
L'ENFANT: 50 !
LE PERE: C'est quoi ce jeu ?
L'ENFANT: 46 !
LE PERE: Hein ? C'est quoi ?
L'ENFANT: 43 !
LA MERE: C'est pas un jeu.
LE PERE: C'est quoi, alors ?
L'ENFANT: 40 !
LA MERE: Il fait le compte, tu vois pas ?
LE PERE: Quel compte ?
L'ENFANT: 38 !
LA MERE: Le compte des mots, pardi !
LE PERE: Quels mots ?
L'ENFANT: 36 !
LA MERE: Les mots qui te restent à dire !
LE PERE: C'est compté, les mots ?
L'ENFANT: 32 !
LA MERE: Bien sûr !
LE PERE: Depuis quand ?
L'ENFANT: 30 !
LA MERE: Depuis le début !
LE PERE: Pour combien de temps ?
L'ENFANT: 26 !
LA MERE: Pour toute la vie !
LE PERE: Pourquoi on me l'a pas dit ?
L'ENFANT: 20 !
LA MERE: Tu n'écoutes jamais rien.
LE PERE: Tu le savais, toi ?
L'ENFANT: 16 !
LA MERE: Bien sûr !
LE PERE: On aurait pu me le dire, quand même !
L'ENFANT: 8 !
LE PERE: Combien tu dis qu'il m'en reste, là ?
L'ENFANT: Hein ?
LE PERE: Éteins !
L'ENFANT: Fin de la table !
Noir.
Selon Dorin cette scène vous oblige à aller vers l’essentiel. Il faut trouver la bonne
solution, « ce n’est qu’un jeu, et en même temps, cela raconte l’histoire d’une vie ».
- Ce qui est également intéressant, c’est la conjugaison des verbes qui montre que nous
sommes bien dans l’instantané, qui révèle quelque chose d’intemporel finalement avec
l’écrasante utilisation du présent (sur 616 formes verbales, 561 sont au présent soit un
pourcentage de 91%).
27
5. La vie de famille
- Bouge plus et bien entendu une pièce du quotidien. (Dorin explique lui-même qu’il a
besoin de concret pour créer). (p.23).
LA MERE: Bouge plus !
Pain, beurre, lait, crème, café, PQ, pâté, pizza, glaces, sel, poivre, ail,
oignons, cotons, savon, cornichons, andouille, crêpes, steaks hachés,
escalopes de dinde, huile, frites, ketch up, pâtes, oeufs, vinaigre, moutarde,
chou, alu, allumettes, râpé, panés, Cif, éponges, sacs poubelles, yaourts
zéro pour cent, Sopalin, 51, boites pour le chien, petits suisses, petits pois,
petits beurre, aspirine, bière, whisky, coca, vodka, vin fin, Suze, dentifrice,
gauloises blondes, Marie Claire, Tipex, timbres, bague.
- La pièce donne à voir une vie répétitive. (p. 31)
Lumière. La mère, seule.
LA MERE: On se lève. On regarde. On se voit. On se lave. On mange. On
file. On tourne. On se gare. On se pointe. On compte. On note. On en
cause. On barre. On recompte. On renote. On range. On rentre. On
remange. On fume. On y pense. On repousse. On baille. On se couche. On
bouge plus.
Noir.
- La Sainte Famille est le nom donné à la famille formée par Jésus-Christ et ses parents,
Marie et Joseph.
Les représentations artistiques de la Sainte Famille sont nombreuses, car elle représente la
famille idéale dans la symbolique chrétienne : un couple aimant avec un enfant chéri,
vivant modestement et honnêtement de son travail, respectueuse des lois et des
conventions sociales. C'est un thème courant de la peinture.
Dorin quant à lui s’en sert comme un contre modèle qu’il essaie de faire exploser bien
entendu.
- La sexualité du couple est également évoquée : (p. 26)
Le père donne un coup de coude à la mère.
LA MERE: Quoi ?
Le père fait un signe de la tête.
LA MERE: Maintenant ?
Le père fait oui de la tête.
LA MERE: Ici ?
Le père fait oui de la tête.
LA MERE: Avec les fleurs ?
Le père fait oui de la tête.
LA MERE: T'es pas marteau ?
Le père fait non de la tête.
LA MERE: Bon !
Elle se tourne vers l'enfant.
LA MERE: Chante !
28
L'ENFANT: Le petit lapin a bien du chagrin
Il ne saute plus dans son petit jardin
Saute saute saute petit lapin
Saute saute saute et choisis quelqu'un
LA MERE: Éteins !
Noir.
LE PERE: Continue !
L'enfant continue de chanter.
LE PERE: Plus fort !
L'enfant chante plus fort.
LE PERE: C'est bon !
L'enfant se tait.
- Celle de l’enfant également ou plutôt ses tentatives de découverte de la sexualité.
(p. 33)
Lumière.
L'enfant, la chaise.
L'ENFANT: Et comment ça se passe avec les filles ?
LA CHAISE: ...
Noir.
L'ENFANT: Attends !
Lumière. L'enfant, la chaise.
L'ENFANT: Je t'H ?
LA CHAISE: ...
L'ENFANT: Je t'R ?
LA CHAISE: ...
L'ENFANT: Je t'X ?
LA CHAISE: ...
L'ENFANT: Je t'L ?
LA CHAISE: ...
L'ENFANT: Je t'M ?
LA CHAISE: ...
L'ENFANT: Voilà, c'est ça ! Je t'aime.
Noir.
II/ L’écriture de Dorin dans Bouge plus
6. Une construction aléatoire
- 5 parties « classiques » : on peut remarquer que la pièce se présente en 5 parties ou
tableaux qui nous font penser aux 5 actes de la tragédie classique. Bien entendu ce modèle
vole en éclat avec Dorin. Les « scènes » sont très nombreuses et sont interchangeables
selon la volonté de l’auteur.
29
- Cette construction nous fait penser au groupe Oulipo. La littérature potentielle présentait
les œuvres comme des œuvres ouvertes nécessitant l’intervention du lecteur. Imaginons
un ordre différent pour les scènes et les tableaux, comme des photos, des instantanés que
l’on tirerait d’un vieil album. Le sens peut radicalement changer peut-être.
- Pour Dorin, cette œuvre est une succession d’histoires, « un catalogue grimoire de
l’essentiel de la famille ». C’est une sorte d’alchimie qui fait tenir le texte. Celui-ci
devient mystérieux, opaque presque. Il faut en forcer le sens même si la simplicité est de
rigueur.
C’est une esthétique du fragments (voir photo) que l’on retrouve dans toute la littérature
contemporaine : il faut mettre de l’ordre dans du désordre. C’est le rôle du théâtre et de
l’art en général.
L’écriture est envisagée comme une création du monde.
7. Un texte absurde qui joue avec le non sens
- Les situations présentées sont mécanisées, les histoires sont stylisées.
- Il y a du Beckett et du Ionesco chez Dorin (p. 31).
IONESCO 1912-1994
Vers les années 1950, la tragédie ressuscite avec Eugène Ionesco, Samuel Beckett, Jean
Genet.
La disparition d’une pensée véritable vient affaiblir voire tuer le langage. Le non sens et
les situations absurdes viennent mettre à mal le langage. Pour compenser cela, Ionesco
affirme :
"Sur un texte burlesque, un jeu dramatique. Sur un texte dramatique, un jeu
burlesque" (Notes et contre-notes).
Toute son œuvre est sous tendue par l’interrogation du langage comme miroir de la vie.
Les lieux communs fusent, les jeux sur la cohérence du texte sont nombreux, la logique
est poussée à bout etc.
Cette interrogation fait apparaître l’absence de Dieu (flagrant dans Les Chaises),
l’irréalité et la vacuité du monde.
Ionesco évoque son univers dans certaines pages de Notes et contre-notes.
"Je peux croire que tout n’est qu’illusion, vide. Cependant, je n’arrive pas à
me convaincre que la douleur n’est pas."
"Le comique étant l’intuition de l’absurde, il me semble plus désespérant
que le tragique. Le comique est tragique, et la tragédie de l’homme
dérisoire."
"Le trop de présence des objets exprime l’absence spirituelle. Le monde me
semble tantôt lourd, encombrant, tantôt vide de toute substance, trop léger,
évanescent, impondérable."
"Mon théâtre est très simple [...], visuel, primitif, enfantin."
BECKETT 1906-1989
C’est en 1953 que sa pièce En attendant Godot, mise en scène par Roger Blin, triomphe.
De nombreuses pièces suivront : Fin de partie (1957); la Dernière Bande (1959); Oh les
beaux jours (écrite en 1961 et montée par Roger Blin en 1963); Comédie (1964); Pas moi
(1973); That Time (1976); Foot falls (1976); Catastrophe et autres dramaticules (1982).
La particularité de cet auteur a été d’abandonner sa langue maternelle (il est Irlandais) afin
d’explorer les possibilités d’une écriture nouvelle.
30
Selon lui, la solitude et la misère sont les conditions inhérentes à l’homme. L’homme est
incapable d’agir comme il est incapable d’exister, d’être.
Son œuvre est une réponse à cela plus qu’un constat. C’est une résistance par les mots. Il
faut lutter contre le temps et la déchéance notamment grâce à l’humour dans des situations
marginales, dans des no man’s land incroyables.
La gestuelle à la Buster Keaton est très importante dans son œuvre et le langage est
salvateur (utilisation d’onomatopées, de répétitions, de néologismes etc.).
-
Des traces du théâtre de l’Absurde chez Dorin :
la logique poussée à bout
(p. 29)
Un temps.
LE PERE: C'est la chaise qui fait l'enfant, maintenant ?
LA MERE: Faut croire !
LE PERE: Et où est-ce que je vais m'asseoir, moi ?
LA MERE: Sur la table !
LE PERE: Mais si je m'assois sur la table, où c'est qu'on va mettre les
fleurs?
LA MERE: Par terre !
LE PERE: Par terre ?
LA MERE: Pourquoi pas ? Elles seraient pas bien, par terre, les fleurs ?
LE PERE: Si tu le dis ! Mais si les fleurs se retrouvent par terre, où c'est
qu'on va marcher, nous ?
LA MERE: Contre les murs.
LE PERE: Mais si on marche contre les murs, où c'est qu'on va accrocher
le tableau ?
LA MERE: Quel tableau ? Y a pas de tableau ?
LE PERE: En admettant qu'un jour, on ait un tableau ?
LA MERE: Sur ton dos.
LE PERE: Sur mon dos ! Mais si on accroche le tableau sur mon dos, qui
c'est qui va porter ma veste ?
LA MERE: Moi !
LE PERE: Toi ? Mais si toi tu portes ma veste, qui c'est qui va faire la
cuisine ?
LA MERE: Le Président de la République !
LE PERE: Et si c'est le Président qui fait la cuisine, qui c'est qui va
commander ?
LA MERE: Le chien !
LE PERE: Le chien ? Mais il est mort depuis longtemps.
LA MERE: Merde !
Noir.
cohérence et cohésion : le non sens (p. 25)
LE PERE: Grandis !
L'enfant essaie.
L'ENFANT: Comme ça ?
LE PERE: Encore !
L'enfant essaie encore.
L'ENFANT: Comme ça ?
LE PERE: Encore !
L'ENFANT: Si seulement j'aura la chaise !
31
LE PERE: La chaise, c'est pas toi qui l'as.
L'enfant continue d'essayer.
L'ENFANT: Comme ça ?
LE PERE: Voilà !
Tu les vois les Alpes, maintenant ?
L'ENFANT: Oui !
LE PERE: Elles sont chouettes les vacances, non ?
L'ENFANT: Oui, très chouettes !
L'enfant tend le doigt.
L'ENFANT: Ça, c'est le Mont Blanc ?
LE PERE: Touche pas !
Silence.
La cohésion ne s’établit pas entre les personnes (faux dialogue), il n’y a pas de
communication ce qui tend à prouver l’enfermement de l’individu. Le langage devient
presque autonome. Il se suffit à lui-même, par associations de mots.
En revanche, il y a une forte cohésion formelle du texte mais l’ensemble ne fait pas preuve
de cohérence sémantique.
Le rire naît dans cette distorsion, dans ce décalage.
- Les jeux sur la polysémie ou l’homophonie des mots participent du même décalage et
révèlent parfois un univers autre que la scène qui est en train d’être jouée. On entre dans
l’implicite du texte, dans les silences justement.
8. La destruction du langage
- L’enfant est celui qui questionne le langage. Si le langage est déstructuré, c’est que la
famille elle-même l’est. Allons plus loin, c’est que le monde l’est également.
(p. 9)
Maman
Taman
Saman
Notreman
Votreman
Leurman.
- Même la syntaxe est mise à mal car de nombreuses phrases sont incomplètes, coupées.
- De nombreuses erreurs langagières de l’enfance sont également présentes :
(p. 13)
L'enfant montre la mère.
L'ENFANT: Et celle-là, c'est qui ?
LA MERE: Celle-là ? C'est moi !
L'ENFANT: Est-ce que je pourra lui parler ?
LA MERE: Je suis pas une dame, je suis ta mère.
L'ENFANT: S'il te plait, ta mère ?
Ici un Groupe Nominal est envisagé comme une unité linguistique complète « Ta mère ».
9. La répétition et le cadre
- La cohésion formelle évoquée ci-dessus est donnée par une structure cadrante, par des
contraintes formelles et on retrouve le groupe Oulipo ici.
32
Noir et lumière viennent annoncer les débuts et les fins des « scènes ».
Les silences dilatés et les ellipses ont souvent la même fonction.
Un exemple de répétition du cadre syntaxique dont les variations montrent la
confusion des rôles :
(p. 17)
L'ENFANT: Un soir, le bois, les fleurs !
Le père !
Les fleurs: "Le père !"
Le père: "Les fleurs !"
Chouette !
Les fleurs le père, le père les fleurs,
les fleurs les fleurs, le père le père,
les fleurs le père les fleurs,
le père les fleurs le père.
Un soir, le bois, le père, les fleurs.
La mère !
Le père: "La mère !"
La mère: "Les fleurs !"
Couette !
Le père la mère les fleurs,
les fleurs la mère le père.
Le père la mère, la mère le père,
les fleurs les fleurs,
le père les fleurs, les fleurs la mère,
les fleurs le père les fleurs,
la mère les fleurs la mère !
Un soir, le bois, la mère, les fleurs.
L'enfant !
La mère: "L'enfant !"
L'enfant: "Les fleurs !"
Pouet !
La mère l'enfant les fleurs,
les fleurs l'enfant la mère,
la mère l'enfant, l'enfant la mère,
les fleurs les fleurs,
la mère les fleurs, les fleurs l'enfant,
les fleurs la mère les fleurs,
l'enfant les fleurs l'enfant !
Un soir, le bois, les fleurs, l'enfant.
Un temps.
- La répétition est souvent donnée comme un principe :
Présence imposante du rythme ternaire (n’oublions pas l’importance du chiffre 3
dans cette pièce !)
Ecriture de listes (p. 14) :
Là, c'est la cuisine. Là, c'est le couloir. Là, c'est le salon. Là, c'est la télé.
Là, c'est le bureau. Là, c'est l'escalier. A gauche, c'est la salle de bains. A
droite, c'est les chiottes. En face, c'est la chambre. A côté, c'est l'autre
chambre. Pardon !
Ça, c'est le tapis. Ça, c'est le chien. Couché ! Là, c'est la terrasse. En
dessous, c'est le garage. Dedans, c'est l'Opel.
Là, c'est le jardin. Là-bas, c'est la mer. Ça, c'est le coucher du soleil.
Voilà !
33
La répétition est souvent cassée par un intrus :
(p. 8)
LE PERE: Père prend mère !
LA MERE: Mère prend enfant !
L'ENFANT: Enfant prend peur !
10. Art de la concision
- Dorin déclare :
« J’ai très peu de mots. Je les agence de façon différentes pour raconter
des histoires différentes. Ils sont pour moi comme des balises, entre les
mots ; chaque spectateur la reconstruit en fonction de sa propre histoire. »
Effectivement, dans ce texte, il utilise peu de mots différents :
Sur 5051 mots, on ne trouve que 763 mots différents soit 15% du total. (quand on
pense au 70 000 mots présents dans Le Robert, ou même aux 5000 mots utilisés en
moyenne par les Français !)
Ces 763 mots se partagent à part presque égale entre les noms et les verbes (222
noms et 250 verbes).
Les noms les plus utilisés dans ce texte sont :
fleurs
85
enfant
82
père
72
mère
68
table
38
noir
37
chaise
34
temps
26
maman
15
silence
12
papa
10
- Cette simplicité recherchée renvoie à une idée pure, à l’essence des choses. Les mots
fonctionnent par associations et convoquent un univers extérieur comme nous l’avons
déjà dit.
- Les répliques sont comme des sortes de didascalies qui révèlent la nature des choses
(exemple, réplique de la chaise, p. 12) :
LA CHAISE: Moi, c'est la chaise. C'est exceptionnel que je parle, là. Pas
besoin de le dire, que je suis la chaise. Ça se voit tout de suite. Dès qu'on
me voit, on se dit: "Tiens, la chaise !". Pas besoin de dire à quoi je sers, non
plus. Pas une seconde on se demande: "Mais qu'est-ce qu'elle fout là, la
chaise ?". Non, on se dit: "Quelqu'un va entrer. Il va s'asseoir dessus". Tout
le monde le sait qu'une chaise, c'est fait pour s'asseoir dessus. Faut rien lui
demander d'autre. Y a qu'à se taire et attendre.
Si quelqu'un me dit: "Debout !", ça marche pas. Y en a qu'ont essayé. On
les a enfermés tout de suite.
Voilà ! C'est tout ce que je sais.
- Les histoires ressemblent à des paraboles (p. 34) :
L'ENFANT: C'est un type. Il avait les fleurs d'une main. Il attendait.
Quelqu'un passe. Il dit au type: "Tu dois attendre longtemps, comme ça ?"
Le type: "Oui, non, pour quoi ?" "Parce que y a quelqu'un qu'est mort, làbas. Tu pourrais pas lui prêter tes fleurs ?" Le type dit: "Oui, bon, d'accord !
Mais pas longtemps !" L'autre: "Non non !" Tu parles, les morts, c'est pour
toute la vie ! Quand le type a récupéré ses fleurs, elles étaient toutes
34
fanées. Alors, il s'est dit: "Avec des fleurs pareilles, c'est plus la peine
d'attendre. Personne ne viendra plus, maintenant." Et il les a jetées dans
une sorte de petit pot, là, et on l'a plus jamais revu.
III/ Dorin à l’école
11. Dans le premier degré
Théâtralisation
- Passage par la marionnette ;
- réflexion sur la mise en scène : les entrées et les sorties, avec des variantes à trouver à l'infini
(Comment entrer ? Comment marcher ? Comment sortir ?) ;
Cette écriture répétitive permettra en outre le passage de relais d'acteurs à acteurs ;
- faire improviser des scènes à partir de photos polaroïd ;
- à l’inverse, partir d’une scène de la pièce et demander d’en faire une mise en scène figée
pour une photo polaroïd.
Travail sur la langue :
- vocabulaire des relations familiales ;
- recherche et invention de jeux de mots à la Tardieu, à la Michaux, à la Queneau ;
- réflexions possibles sur les fonctions du langage.
12. Au collège
Séquence en classe de quatrième : faire rire au théâtre
•
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•
Définir la comédie.
Un personnage qui vous a fait rire : Sganarelle ou Scapin.
Un ressort comique : l’arnaque chez Labiche (support vidéo CRDP, Un
chapeau de paille d’Italie).
Les formes de comique.
Une pièce en BD (ou en photo) : écrire une scène à partir d’un support (BD ou
plus difficile à partir d’une image du spectacle ou d’une photo polaroïd fictive)
Rire avec Jean Tardieu.
Rire avec Philippe Dorin
Faire un compte-rendu de spectacle.
Prolongement : mettre en scène les scènes écrites, des scènes de la pièce ou
improvisations à la manière de Dorin (même situation, mêmes accessoires) sur
un thème donné (exemple : la révolte du fils) avec une contrainte (exemple,
présence d’une liste dans le dialogue).
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13. Au lycée
PERSPECTIVE D’ETUDE : Les Genres et les registres
L’histoire littéraire
Objet d’étude :
Le théâtre : texte et représentation.
Support :
Le théâtre de l’absurde en extraits.
Groupement de textes ou œuvre
Fin de Partie de Beckett ou Les Chaises de Ionesco
intégrale
Objectifs :
Définir la visée du théâtre de l’absurde et la confusion entre comique et
tragique
•
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Définir la notion de genre dramatique et sa multiplicité dans le
théâtre des années 50.
Comprendre la « crise » du langage évoquée par ce théâtre.
Analyser l’ambiguïté du registre comique au XX° siècle.
Relier éventuellement le registre comique aux registres polémique,
satirique et ironique.
Comprendre pourquoi la dramaturgie se transforme en étudiant
quelques éléments de mises en scène.
Insérer une comparaison avec Dorin présenté comme un avatar du
théâtre des années 50 (Cf. interview de l’école des Lettres dans
laquelle Dorin parle de Beckett)
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