La conception du temps dans les milieux populaires du haut Moyen
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La conception du temps dans les milieux populaires du haut Moyen
Université François Rabelais de Tours Maîtrise d’histoire (sous la direction de M. Stéphane Boissellier) Année 1999 / 2000 LE TEMPS ET SA PERCEPTION A TRAVERS LES PROVERBES ET CHANSONS POPULAIRES CASTILLANS DU BAS MOYEN AGE Dany Egreteau SOMMAIRE INTRODUCTION I / Le Contexte 1 / L'Espagne au bas Moyen Age 2 / L'Espagne des rois catholiques 3 / Les malheurs des XIVe et XVe siècles 4 / Peuplements urbains et ruraux II / Les sources 1 / L'Humanisme 2 / Le Refranero a / Histoire des proverbes et de leur diffusion b / Le caractéristiques du “refrán” c / Intérêt des proverbes : d / Ses limites e / Les “ Refranes ...” de M. O'Kane f / Le Vocabulario de Correas 3 / Le Cancionero a / Origines b / Caractéristiques c / Limites du Cancionero traditionnel 4 / Utilisation conjointe des “ refranes ” et “ villancicos ” p. 2 p. 2 p. 3 p. 4 p. 5 p. 6 p. 6 p. 8 p. 8 p. 9 p. 10 p. 10 p. 11 p. 12 p. 13 p. 13 p. 15 p. 15 p. 16 CONVENTIONS EMPLOYEES Les Proverbes Les villancicos Les traductions p. 19 p. 20 p. 20 CHAPITRE 1 / L'APPRECIATION DU TEMPS CHRONOLOGIQUE COURT I / La situation dans le temps 1 / Division artificielle de l’année a / La mesure civile du temps b / La semaine c/ La mesure religieuse du temps d / Confrontation des mesures officielles du temps Le mois La semaine L'heure Jour et an Mesure religieuse ou civile du temps ? 2 / Division naturelle de l’année a / Le cycle diurne b / Les saisons 3 / Confrontation des données obtenues II / Les indicateurs temporels 1 / Officiels a / La cloche Autres indicateurs b / L'horloge c / La chandelle p. 21 p. 22 p. 22 p. 22 p. 23 p. 24 p. 25 p. 25 p. 26 p. 26 p. 27 p. 28 p. 28 p. 28 p. 29 p. 29 p. 29 p. 29 p. 31 p. 31 p. 32 2 / Les indicateurs naturels a / Au quotidien Le jour et la nuit Le coq Autres oiseaux b / Les indicateurs naturels dans le temps annuel Les astres Autres indicateurs naturels 3 / Confrontation des données : p. 32 p. 32 p. 32 p. 33 p. 34 p. 34 p. 34 p. 35 p. 36 III / L’acuité dans le repérage du temps court 1 / Le jour, une unité précise ? 2 / Les durées a / Horaires b / Journalières c / Annuelles d / Synthèse Données complémentaires e / Des durées élastiques ? p. 39 p. 39 p. 41 p. 41 p. 41 p. 42 p. 42 p. 43 p. 44 CHAPITRE 2 / LES CYCLES DE L'ANNEE I / Décomposition d'une journée II / Le rythme hebdomadaire III / Le mois IV / Les rythmes annuels 1 / Présentation genérale 2 / Cultures et élevage a / Les céréales b / La vigne c / Cultures maraîchères d / L'élevage 2 / Subsistance 3 / Climat 4 / Le cycle amoureux 5 / Les fêtes 6 / L'artisanat Conclusion p. 46 p. 47 p. 50 p. 51 p. 51 p. 53 p. 54 p. 55 p. 56 p. 56 p. 58 p. 60 p. 62 p. 64 p. 66 p. 68 CHAPITRE 3 / LE TEMPS D’UNE VIE I / Les trois âges : essai de délimitation 1 / L'appréciation de son âge 2 / Les classes d'âges II / Les âges au sein de la famille et de la communauté 1 / Dans le cercle familial a / Enfance et adolescence b / La mâturité c / La vieillesse 2 / Dans la communauté a / Le jeune b / L'adulte c / Le vieux 3 / Les bornes de la vie a / La naissance b / Le mariage c / La mort Conclusion : La perception du cycle vital p 70 p. 71 p. 72 p. 76 p. 76 p. 76 p. 77 p. 78 p. 79 p. 79 p. 80 p. 81 p. 82 p. 83 p. 83 p. 85 p. 87 CHAPITRE 4 / UN TEMPS DE DIEU ? I / Le temps long 1 / Appréciation 2 / Passé et futur II / Temps et alternance 1 / Un contrôle de la chance ? 2 / Le caractère insaisisable de la fortune p. 91 p. 91 p. 94 p. 96 p. 97 p. 100 CHAPITRE 5 / LE CONTRÔLE DU TEMPS Synthèse Le temps, un shéma prédéterminé Les concepts liés au mot “tiempo” Temps et espace Coutume et inversion La veuve p. 103 P. 104 P. 105 p. 107 p. 108 p. 110 CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE p. 114 p. 115 AVANT-PROPOS Je tiens à remercier M. Stéphane Boissellier, professeur à l'université François Rabelais de Tours, pour l'aide qu'il m'a apportée dans le déroulement de mes recherches et la rédaction de mon mémoire. M. Boissellier a su, avec tact et efficacité, me soutenir et orienter au mieux mon travail quand cela était nécessaire. Surtout, je lui suis très reconnaissant de la souplesse qu'il a manifestée à mon égard en ce qui concerne les domaines de ma recherche, attitude qui m'a permis de concilier études et intérêts personnels. INTRODUCTION Depuis le milieu du XXe siècle, l'historiographie s'intéresse de plus en plus aux aspects “populaires” de l'histoire, ne se concentrant plus seulement sur celles des institutions et des grands, mais s'attachant à ces populations largement majoritaires, qui ne nous ont laissé que quelques traces de son existence. Une étude historique est essentiellement basée sur des textes. Bien entendu, les résultats des fouilles archéologiques peuvent se révéler très précieux pour appréhender les structures et conditions de vie, l'architecture, les productions artisanales et artistiques d'une époque. Néanmoins, l'archéologie ne peut appuyer tous les domaines de la recherche historique notamment en ce qui concerne le thème des mentalités (mise à part le cas des structures funéraires et leur contenu, qui éclairent dans une certaine mesure les perceptions liées à la mort). Les productions écrites qui parviennent jusqu'à nos jours monopolisent par conséquent notre attention. D'où le problème qui se pose lorsque nous nous intéressons aux masses populaires. Au moins jusqu'au milieu du XIXe siècle, le vulgaire (comme on le désigne dans les classes cultivées), l'homme du peuple est presque par définition “ illiterati ”, analphabète et, en conséquence, ne nous a laissé aucun témoignage autre qu'artistique ou artisanal de son passage sur cette terre. Nous possédons des références à ses us et coutumes mais elles proviennent de sources savantes, souvent ecclésiastiques. Celles-ci déforment la réalité, et sont chargées de préjudices et de mépris envers ce peuple. Lorsqu'elle se penche sur les couches populaires, l'élite cultivée s'attache à critiquer ses habitudes, tenter de les modifier (sermons ecclésiastiques), de les conformer au moule officiel orthodoxe (procès inquisitoriaux)... Cette charge de préjugés, couchée par écrit par une élite qui se sent résolument étrangère au bas-peuple, déforme dans une large mesure la situation, telle qu'elle était réellement à une époque donnée. Nous sommes donc confrontés à un double problème : le vulgaire ne nous a laissé aucun témoignage que nous pourrions analyser directement et lorsque les couches alphabétisées daignent aborder le sujet, elles occultent la réalité sous un vernis d'idées préconçues. Le mode de transmission de la culture populaire est oral, le seul moyen d'en prendre vraiment connaissance serait donc de se projeter à l'époque où elle s'exprime. La situation n'est, cependant, pas toujours insoluble et nous possédons, pour la fin du Moyen Age, un corpus de sources qui retransmet quelques manifestations de la culture orale populaire. En Espagne, celles-ci s'expriment sous forme de chansons populaires (villancicos, romances...) et d'expressions proverbiales. Ce corpus fut constitué au XVIe siècle principalement, dans un climat humaniste favorable à l'étude de ces expressions de la culture populaire. Pour la première fois depuis au moins un millénaire, on jette un regard nouveau sur la culture du peuple, moins dénigrant et plus neutre. Ce qui ne veut pas dire que la mise par écrit de ces chansons et proverbes retransmet intégralement la réalité de la situation, mais jamais, au Moyen Age occidental, on ne s'en est approché d'aussi près. Nous baserons notre étude sur les chansons de type “villancico” et les proverbes du bas Moyen Age, début de la Renaissance espagnole. Nous avons laissé les compositions de type “ Romance ” car trop distinctes des précédentes et moins pertinentes à utiliser pour notre exposé. Notre propos sera donc d'analyser les sources précédemment citées dans le but de discerner comment les milieux populaires appréhendaient-ils le temps chronologique. Posons les faits tout de suite, l'historiographie moderne s'intéresse très peu à ce sujet et quand elle le fait, c'est en des termes tranchés et expéditifs : M. Bloch1 parle de “ vaste indifférence au temps ” en ce qui concerne le peuple du Moyen Age argumentant que les gens de cette époque ne pensaient pas en termes d'années. J.Attali2 tient la même position. Il consacre deux pages, dans son ouvrage, sur l'imprécision populaire des repérages dans le temps, le recours presque systématique à la nature comme moyen de se situer dans celui-ci et de l'apprécier. Le curé “gardien du temps” est le seul à même de fournir une information plus précise à ce sujet. Nous n'irons pas, globalement, à l'encontre de ces propos dans notre exposé. Ils seront tempérés, certes, mais nous irons souvent dans leur sens. Par contre, nous aurons une approche plus large et détaillée de l'analyse des perceptions temporelles. Nous distinguerons ainsi toutes les échelles du temps, dégageant leurs aspects et mettant en valeur les mécanismes qui doivent nous aider à les comprendre. La nature de nos sources, nous le verrons, est très attachée au contexte dans lequel elles évoluent. Dans leur contenu, nous remarquerons le même phénomène. Il paraît donc important de le présenter avant d'entreprendre notre étude. Nous allons ainsi nous pencher sur les composantes historiques et sociales de l'Espagne du bas Moyen Age, gardant à l'esprit que c'est la situation du peuple qui retiendra le plus notre attention. Nous nous fixerons par la suite sur nos sources : comment et pourquoi celles-ci furent compilées, quelles sont leurs caractéristiques propres et l'intérêt qu'elles représentent comme matériau historique. I / Le Contexte Les paragraphes qui vont suivre ont pour but de mettre en valeur les difficultés qui ont touché l'Espagne à la fin du Moyen Age. Celles-ci ont pris différents visages. Politique tout d'abord : la péninsule fut le terrain d'affrontement entre les diverses factions au pouvoir de ses différents états, et ceci aggrava la terrible série de famines et épidémies qui touchèrent l'Espagne aux XIVe et XVe siècles. Nous décrirons cette situation puis nous nous attacherons à présenter la population de l'Espagne médiévale, nous concentrant particulièrement sur les milieux ruraux, largement majoritaires. 1 / L'Espagne au bas Moyen Age Les nécessités de la lutte contre l'occupant, pendant la Reconquista, avaient contribué à affirmer le pouvoir du roi. Il était le chef de guerre, celui qui répartissait les terres, arbitrait les dissidences entre communautés et factions nobiliaires... Cette autorité néanmoins va basculer avec la fin de la reconquête sous la pression d'une aristocratie toujours prête à tirer partie des faiblesses du pouvoir royal. Pendant deux siècles, à partir de la fin du treizième, Castille et Aragon seront le théâtre de luttes intestines qui ne s'achèveront qu'avec la réunion des deux couronnes sous les Rois Catholiques. La crise en Castille commence avec la mort du fils aîné d'Alphonse X, événement qui met au jour le “grave différent entre la noblesse, les villes et le roi, qui couvait depuis les années soixante, pour des raisons économiques essentiellement. Ce fut le début d'un 1 2 Cité dans R. Lock, Aspect of time in the late medieval literature, New York, 1985 p. 9 J. Attali, Histoire du temps, Paris, 1982 p. 123-125 grave affrontement qui domina tout le bas Moyen Age.”3 Passons rapidement sur ses multiples rebondissements. Retenons que le pouvoir royal fut restauré fermement sous le règne d'Alphonse XI (1325-1350) avant de sombrer à nouveau à cause de la trop grande rigueur de son fils Pierre 1er dit “le cruel”. Aidé par la noblesse, son demi-frère, Henri de Trastamare revendiqua et s'empara de la couronne, tuant Pierre à Montiel en 1369. L'avènement des Trastamare, basé sur l'appui de la noblesse ouvre une période de faible pouvoir royal et d'essor de l'aristocratie. Le règne de Jean II marque un redressement de l'autorité royale, favorisé par l'énergie de son favori Alvaro de Luna. Toutefois, son fils, Henri IV, ne sut pas maintenir ces conditions. Il devint vite manipulé par la noblesse, et, malgré l'appui que lui portaient les villes, dut se plier à ses désirs. Il déshérita sa fille légitime Jeanne en faveur de sa demi-sœur Isabelle, appuyée par la noblesse. La situation se compliqua encore davantage lorsque celle-ci épousa en secret le futur Fernand II d'Aragon, au déplaisir de la noblesse qui se retourna contre elle. La mort d'Henri IV précipita les événements et Isabelle fut finalement proclamée reine en 1474. La situation interne en Aragon n'est guère plus brillante, par contraste, d'ailleurs, avec sa politique extérieure. Brièvement, les rois d'Aragon sont tenus en échec par la noblesse jusqu'au règne de Pierre IV (1335 - 1387) qui écrase l'armée des nobles à Epila en 1348. L'aristocratie s'était en effet groupée en une “union” qui avait le pouvoir de contrôler, au moyen d'un “privilège” accordé par Alphonse III (1285 - 1291), l'autorité monarchique. La Catalogne est dominée par ses villes et son oligarchie urbaine, dont la puissance est fondée sur une prospérité économique éclatante. Lors de la crise de succession ouverte par la mort de Martin 1er en 1410, une commission de juristes désigne un Trastamare, infant de Castille, Ferdinand d'Antequera. L'absence de ses successeurs, occupés par leur politique étrangère provoque un mécontentement en Catalogne, où la situation économique était en fort déclin au XVe Siècle. Un conflit entre Jean II d'Aragon (1458-1479) et son fils Charles de Viane pour la succession au trône de Navarre provoque l'insurrection des villes catalanes, qui prit l'aspect d'une guerre civile entre patriciat et partis populaires. Elle ne fut apaisée qu'en 1472 (sans que les “fueros” des villes ne soient modifiés). Ce trés rapide tour de la question nous permet, cependant, de prendre mesure de la situation politique trés embrouillée de ces deux états. A l'intérieur des royaumes, le peuple devait subir ces affrontements dont il faisait souvent les frais (pillages, destructions...), ce qui contribuera dans une large mesure à empirer le contexte de maladies et famines que nous décrirons par la suite. 2 / L'Espagne des rois catholiques La période qui suit l'union d'Isabelle de Castille avec le fils de Jean II d'Aragon, Ferdinand, contraste fortement avec les précédentes, même si unification des couronnes ne signifie pas union politique des deux états. Les deux souverains s'attachèrent à renforcer leur autorité dans leurs états. Isabelle avec l'aide de la Santa Hermandad (association de villes) ramena les nobles à l'obéissance et diminua l'importance politique de la haute aristocratie. En Catalogne, Ferdinand apaisa les conflits sociaux en répartissant plus équitablement les charges des différentes municipalités. Les deux souverains menèrent en parallèle une politique de pacification entre les différentes factions, qui porta ses fruits et ramena la stabilité politique dans les deux états. La 3 M. C. Gerbet, L’Espagne au Moyen Age, Madrid, 1992 p. 208 conquête du royaume de Grenade en 1492 acheva de donner prestige et autorité aux deux souverains. 3 / Les malheurs des XIVe et XVe siècles L'Espagne et le reste de l'Europe furent les victimes au bas Moyen Age de terribles chutes démographiques qui laissèrent dans les esprits une marque trés profonde. Guerres, famines et pestes occasionnèrent, en effet, des poussées de mortalité sans précédent4. En Espagne, la première “mortandad” due au manque de nourriture se produisit dans le royaume de Castille en 1301, 1333 en Aragon, 1326 à Valence. Tout au long de la première moitié du XIVe siècle, accidents climatiques et famines sévirent, (empirés par les guerres intestines) , particulièrement en 1331, 1333, 1343, 1345, 46, 47. C'est dans ce contexte de population très affaiblie que la peste fit son entrée et ravagea le pays de part en part. Elle apparut en 1348 et couvrait toute la péninsule en 1349. Il nous est difficile d'évaluer les ravages occasionnés par cette épidémie de peste. Les zones urbaines furent de loin les plus touchées, Valence par exemple perdit entre douze et dix-huit mille habitants (sur un total de cinquante mille environ). La série des catastrophes ne s'arrêta pas avec cette épidémie. La peste réapparut en effet ça et là, durant la centaine d'année qui suivit et combina ses effets dévastateurs avec famines et autres épidémies. La Couronne d'Aragon, particulièrement la Catalogne, fut la plus touchée. Barcelone par exemple, comptait vingt mille habitants en 1477 pour cinquante mille en 1340. On estime que 40 à 60% de la population catalane périt à cause de la grande peste et de ses suites. Les reprises démographiques se firent à étapes différentes selon l'endroit. Elle fut très rapide en Castille (à partir de 1445), à la fin du XVe siècle en Catalogne. Si ces épidémies se calmèrent dans les dernières dizaines du XVe siècle, elles restèrent très présentes dans les esprits et marquèrent fortement les textes que nous allons commenter par la suite. Notons par ailleurs qu' au début du XVIe siècle les ravages des “cavaliers de l'apocalypse” sévirent encore. Lisons à ce propos la chronique d'Andrés Bernáldes5 : en 1506 “... Y muchas personas murieron de hambre, y eran tantos que pedían por Dios en cada lugar, que acaescían llegar cada día a cada puerta veinte e treinta pobres, hombres, mujeres y muchachos...6” en 1507, la peste : “...en los más de los pueblos, de las cibdades e villas e lugares, murieron medio a medio, y en algunas partes murieron más que quedaron, y en partes ovo que murieron más dos veces que quedaron...E moríanse por los caminos e por los montes y en las campiñas, y no había quien los enterarse. Huían los unos de los otros, y los vivos de los muertos, y los vivos unos de otros, porque no se les pegase...7” En terme de traumatisme social, nous pouvons difficilement faire pire. Il y a fort à penser que la population, ne possédant pas le recul que nous avons aujourd'hui pour analyser ces faits, se voyait encore 4 Les informations suivantes sont tirées de M. C. Gerbet, Le temps des tragédies, dans B. Bennassar, Histoire des espagnols (VIe - XVIIe siècles), Paris, 1985 p. 270-273 5 Cité par M. Fernández Alvarez dans La población dans J. M. Jover Zamora (dir.), Historia de España, Menéndez Pidal, vol. XVI (Siglo XVI , Economía, sociedad, instuticiones), Madrid, 1997 p. 47 6 ...et de nombreuses personnes moururent de faim et étaient tant ceux qui demandaient pour Dieu dans chaque lieu, qu'apparaissaient tous les jours à chaque porte vingt ou trente pauvres, hommes, femmes, et enfants... 7 ...dans la plupart des villages, villes et villas et lieux, ils moururent petit à petit, et dans certains lieux moururent plus que ne restèrent, et dans d'autres, moururent deux fois plus que ne restèrent... et ils mourraient sur les chemins, dans les montagnes et les campagnes et personne ne les enterraient. Ils fuyaient les uns des autres, et les vivants des morts, et les vivants des autres vivants, pour ne pas être contaminés... totalement à la merci de la faim ou de la maladie, consciente de cette épée de Damoclès qui pouvait s'abattre sur elle à tout instant. Nous ne pouvons interpréter nos textes sans avoir à l'esprit l'ensemble de ces malheurs auxquels étaient exposés en première ligne les milieux populaires médiévaux. 4 / Peuplements urbains et ruraux L'espagne voit émerger, au bas Moyen Age, des sentiments d'appartenance locaux et sociaux qui n'avaient pu se manifester pendant la Reconquista8. Ces particularismes se développent aussi dans la différence entre les divers groupements de population. La délimitation plus rigoureuse des champs de culture, la recherche des limites municipales, les marqueurs physiques de différenciation urbaine (la muraille par exemple), la localisation et l'inventaire des fidèles dans la paroisse, le renforcement des divisions des administrations civiles et religieuses...9 sont autant de facteurs qui participent à l'identification et au cloisonnement des populations et mentalités. Présentons brièvement les milieux urbains. Ceux-ci regroupaient moins de 20% de la population totale et une ville de dix ou douze mille habitants commençait à être un noyau urbain d'une certaine importance. Voici ses caractéristiques : peuplement compact, communauté de résidence (de famille peu étendue), division sociale du travail, juridiction et gestion de son environnement rural 10. Elle se démarque du dehors par ses murailles et dedans par le plan de ses quartiers, dont la formulation variait fortement en fonction de l'histoire et de l'emplacement de la ville. Chaque quartier renfermait plus ou moins une catégorie sociale. A Zaragoza par exemple, le quartier San Pablo regroupait ouvriers et artisans, San Nicolás était le quartier des navigateurs fluviaux, la Magdalena celui des étudiants …etc. Les campagnes rassemblaient la très grande majorité de la population. Les conditions des populations rurales différaient selon l'emplacement géographique dans lequel elles évoluaient, mais aussi en fonction du régime seigneurial sous lequel elles se trouvaient placées. L'emprise du seigneur variait en force selon les régions. Retenons simplement que le paysan bénéficiait de plus de liberté dans les domaines royaux que dans les 8 J. A. García de Cortazar dans La pluralidad de marcos de relacíon social : del caserío a España, dans J. M. Jover Zamora (dir.), Historia de España, Menéndez Pidal, vol. XVI (La época del gótico en la cultura española), Madrid, 1997 p. 84 décrit ce phénomène de la façon suivante : "un amplio conjunto de circunstancias anima a referirse a una especie de cierre, de ahormamiento, de comportamiento y actitudes. El daría fín a la presunta movilidad anterior. Parece como si en todas las esferas de la actividad, frente a anteriores situaciones de universalidad, fueran abriéndose paso a paso manifastaciones muy variadas de individualidad (nacional, regional, local, personal)... paralelamente... cada uno de las protagonistas hispanos de las relaciones sociales es, en los siglos XIV et XV, más consciente de la especifidad de su área o lugar de origen..." [ Un large ensemble de circonstances encouragent à croire en une sorte de renfermement, de modélisation des comportements et attitudes. Il donnerait fin à la présumée mobilité sociale antérieure. On dirait que dans toutes les sphères de la société, face à une situation antérieure d'universalité, pas à pas se créèrent des manifestations très variables d'individualité (nationale, régionale, locale, personnelle)... parallèlement... chacun des protagonistes des relations sociales espagnoles, est, aux XIV et XVe siècles, conscient de la spécificité de son aire ou lieu d'origine. ] L'auteur explique par la suite que ces siècles voient l'émergence de diverses consciences propres, de ""nosotros" como opuestos a "ellos"" ["nous" par opposition à "eux"]. Il semble donc que dans le courant du bas Moyen Age se soient développés des sentiments d'appartenance à une terre, un lieu, une communauté et nos textes en fourniront un trés bon témoignage. 9 Informations extraites de José Angel García de Cortazar, 1997 (Historia de España, Menéndez Pidal vol. XVI) p. 84 10 J. A. García de Cortazar, 1997 (Historia de España, Menéndez Pidal vol. XVI) p. 103 domaines seigneuriaux. Le village était la cellule de base de la vie rurale, théâtre des pratiques communautaires et des relations sociales11. A l'intérieur de la communauté villageoise, les différences sociales pouvaient être très marquées. Un village classique chrétien était composé du seigneur “hidalgo”, du curé, de trois ou quatre représentants de professions libérales (médecin, écrivain, barbier...), de quelques commerçants et artisans (forgeron, cordonnier, menuisier, tisseur...). Puis venaient les paysans proprement dit. Au sommet, les “villanos ricos”, riches et peu nombreux fermiers, puis venaient les petits propriétaires et / ou rentiers. Enfin les journaliers sans possessions clôturaient par le bas cette hiérarchie d'exploitants de la terre. Cette dernière catégorie, la plus pauvre et dont la situation était souvent plus que précaire, pouvait représenter un nombre important de la population, 70% par exemple en Nouvelle Castille selon Noël Salomon. En terme d'influence et de pouvoir, le curé, le seigneur, et le riche fermier se détachaient du reste de la communauté.12 Enfin, légèrement en marge de la communauté, il nous faut noter l'importance des pasteurs transhumants, souvent opposés aux campagnards sédentaires. Bien que numériquement beaucoup moins nombreux, ces derniers bénéficiaient des appuis des seigneurs et Couronnes, ce qui ne jouait pas en faveur de leur popularité. Leur mobilité éveillait la suspicion des sédentaires, les rendaient inaccessibles aux normes figées des relations sociales13. M. Fernandez Alvarez insiste sur la difficulté de la vie rurale, rythmée dans plus de la moitié de la péninsule par de longs et très froids hivers et des étés ardents. Les journaliers particulièrement menaient une vie de labeur, sans place pour les loisirs, sauf si l'inactivité le leur permettait. Pauvres, sales, vivant parmi leurs bêtes, ces paysans s'alimentaient mal et vieillissaient vite. Dans ces cadres urbains et surtout ruraux naquirent et circulèrent nos chansons et proverbes. Il nous faut toujours avoir l'ensemble de ces données historiques et sociales lorsque nous tentons de déterminer quel état d'esprit et de pensées avaient ces populations, particulièrement en ce qui concerne leurs perceptions temporelles. II / Les sources Notre contexte est posé. Intéresserons-nous, à présent, à nos sources. Celles-ci doivent leur existence au climat privilégié de la fin du Moyen Age et de la Renaissance, à ce nouveau courant humaniste qui ouvre et s'intéresse à de nouveaux pans de savoir. 1 / L'Humanisme L'Espagne des Rois Catholiques et de leurs successeurs est un état plurinational, où évoluent plusieurs pays administrativement autonomes, et qui possèdent langues, cultures, et traditions différentes. La Castille occupe une position prépondérante dans cet ensemble. Ceci est dû à la fois à sa position géographique, centrale et dominante (en 11 J. A. García de Cortazar 1997 (Historia de España, Menéndez Pidal vol. XVI) p. 100 : "...la aldea aparece, cada vez más, como un marco de relaciones sociales absolumente coherentes y autosuficientes. No es extraño que, andando el tiempo, hacia comienzos del siglo XIV sus vecinos se encuentren con que ha cristalizado un verdadero código de admisiones y exclusiones de la comunidad.” [...le village apparaît, toujours plus, comme un cadre de relations sociales, absolument cohérentes et autosuffisantes. Il n'est pas étrange que, au fur et à mesure du temps, vers les débuts du XIVe siècle, ses familles y trouvent cristallisé un véritable code d'admissions et exclusions de la communauté.] 12 Ces informations proviennent de M. Fernández Alvarez, La estrucutura social dans J. M. Jover Zamora (dir.), Historia de España, Menéndez Pidal, vol. XVI (Siglo XVI , Economía, sociedad, instuticiones), Madrid, 1997 p. 404 13 J. A. García de Cortazar, 1997 (Historia de España, Menéndez Pidal vol. XVI) p. 101 terme d'espace), mais aussi et surtout à la vitalité qu'elle affiche à partir de la moitié du XVe siècle. C'est le pays le plus peuplé de la péninsule, le plus riche et le plus dynamique (par contraste à la situation de marasme économique de la Couronne d'Aragon). Cette prépondérance de la Castille s'exprime aussi dans les arts et lettres de la Péninsule. La langue, le Castillan, prévaut comme moyen d'expression écrit, sur le Catalan, le Portugais, le Galicien... elle est le porte-parole linguistique espagnol à l'étranger. Dans ce climat privilégié, favorisé par l'impulsion des Rois Catholiques, se développe l'humanisme espagnol. Cet humansime affiche certaines caratéristiques qui nous concernent directement. Tout d'abord, le thème de l'homme, inhérent à toute préoccupation humaniste. Il est le centre par lequel passe la compréhension du monde. L'homme et particulièrement l'homme primitif est ainsi sujet à étude. Et l'illustration de celui-ci, on croit le trouver dans le vulgaire, l'homme du peuple, moins dénaturé par les produits de la civilisation : “ Unos de los aspectos claves de la ideología renacentista es la idealización del hombre primitivo, al que se creía cercano aún a Dios, libre de los vicios que la civilización provocó en la humanidad. De ahí nacen... y el aprecio por los brotes del ingenio y la fantasia del vulgo. 14” . L'intérêt accordé au peuple passe aussi par ses manifestations culturelles orales. Cette attitude de l'humaniste tranche avec un millénaire environ de rejet de la culture vulgaire comme le souligne L. Combet15 : “ Il faut attendre l'essor de l'humanisme espagnol du XVIe siècle pour voir les auteurs, délaissant en partie leurs préoccupations érudites et les préventions qu'ils nourrissaient envers tout ce qui n'était pas marqué du sceau de la latinité, s'intéresser enfin aux produits de l'art populaire. ”. Notons enfin que ces sources sont compilées par une élite profane, en théorie affranchie de la morale ecclésiastique, et donc moins enclin aux préjudices qu'un membre de l'Eglise. En second lieu, l'influence d'Erasme16 sur l'humanisme espagnol nous intéresse particulièrement. Celui-ci publie à partir de 1500 ses Adagias (recueil commenté de proverbes). Cette initiative trouve en Espagne un retentissement considérable et de nombreux érudits espagnols (Pedro Vallés, Hernán Nuñez (dit le comendador), Juan de Mal Lara...) vont ainsi s'employer à collecter à leur tour les nombreux adages qu'offre la tradition populaire. Le mouvement est lancé et trouvera son apogée avec la compilation effectuée par G. Correas au début du XVIIe siècle. Nous allons désormais nous intéresser aux deux groupes de sources que nous analyserons dans notre exposé. Le premier est constitué des proverbes qui représentent 14 Un des principaux aspects de l'idéologie de la Renaissance est l'idéalisation de l'homme primitif, que l'on croyait encore proche de Dieu, libre des vices que la civilisation provoqua sur l'humanité. De ceci naissent... et l'estime pour les poussées du génie, et la fantaisie du vulgaire. (M. F. Alatorre, Lírica hispánica de tipo popular, Catedra, Madrid, 1994 p. 16) 15 Louis Combet, Recherches sur le Refranero Castillan, Paris 1971 p. 52 16 L'influence décisive qu'Erasme a eu sur celui-ci a conditionné dans une large mesure son orientation. Erasme, en effet, s'est attaché à concilier humanisme et christianisme, utilisant en partie le premier comme outil de réforme du second. Une réforme de l'Eglise séculière était en cours d'élaboration à la fin du XVe siècle, sous l'impulsion, entre autre, du cardinal Cisneros. Les idées d'Erasme trouvèrent ainsi en Espagne un terrain très favorable, à la fois grâce à ses qualités d'humaniste mais aussi pour ses préoccupations religieuses réformatrices et mesurées. Sans faire l'unanimité, Erasme trouva un support enthousiaste dans une grande partie de l'élite. Le ton de ces idées était toutefois trop audacieux et elles finirent par être condamnées principalement à partir de 1559. Cependant, son influence, à la fois dans les domaines profanes et religieux marqua profondément l'humanisme espagnol. (J. Peréz, una nueva conciencia, dans Jean Canavaggio (dir.), Historia de la literatura española, vol. II, Barcelone, 1994 p. 19). la grande majorité des textes étudiés. Nous nous pencherons par la suite sur le Cancionero traditionnel. Dans les deux cas, nous traiterons de ces sources sous un angle historique, c'est à dire quand et comment ces manifestations de culture orale se propagèrent dans les couches populaires et dans quel contexte furent-elles éditées. Nous tenterons par la suite de définir et de dégager leurs principales caractéristiques dans le but de préciser les contours et la portée de notre étude. 2 / Le Refranero a / Histoire des proverbes et de leur diffusion Essayons tout d'abord de situer l'existence du Refranero dans le temps. Les remarques de H. O. Bizarri17 expriment la position de l'historiographie moderne : “ Los origenes del Refranero se pierden en la noche de los tiempos... en la mitad del siglo XIII el Refranero ya era consubstencial al pueblo español. 18”. La littérature du bas Moyen Age médiéval a utilisé dans une certaine mesure le Refranero traditionnel (le “ Libro de Apolonio ”, les fameux “Libro del caballero Zifrar”, “Libro de buen amor” par exemple y ont recours) mais la véritable apparition du “refrán” dans les lettres espagnoles commence avec l'édition de deux compilations “ Le Séniloquim ” et les “Refranes que dizen las viejas trás el fuego ” (cette dernière est attribuée au Marquis de Santillana). Ce sont les deux premiers véritables corpus de proverbes rassemblés pour eux-même. A partir de ces compilations, les proverbes cessent d'être l'apanage d'une transmission orale mais véhiculent aussi au moyen des œuvres écrites qui les utilisent à profusion (dans le Corbacho et la Celestina par exemple). Sous l'impulsion donnée par Erasme, les humanistes du XVIe siècle s'emploient aussi à éditer de nombreux recueils de proverbes. Les refranes intéressent les humanistes pour le contexte moral qu'ils expriment dont ils voient une façon d'interpréter le monde, percevant, nous l'avons dit, en ces produits de la littérature populaire, l'expression de l'homme primitif et naturel. “ Il est certain que les humanistes de la Renaissance ont contribué à revêtir l'expression proverbiale d'une dignité nouvelle en remettant en lumière l'usage qu'en avait fait les anciens. ”19 . Cette dignité est cependant relative, comme l'explique Américo Castro: “ La Renaissance rend un culte à tout ce qui est populaire, en tant qu'objet de réflexion, mais le dédaigne en tant qu'objet opérant. ”20. On recueille donc les proverbes pour les étudier et on essaie d'en rassembler la plus grande masse possible, particulièrement en ce qui concerne G. Correas. En effet, H. O. Bizzari21 nous explique que “ La collección de G. Correas pareció ser el intento más ambicioso en recopilación de refranes. Con tal entusiasmo se dedicó Correas a recoger refranes que hasta era sabido que pagaba quien le trajera uno que él no tuviera registrado. 22”. Ceci est très important, car cela signifie que, a priori, l'humaniste n'a pas fait de sélection dans les “ refranes ” qu'il a réunis. Bien au contraire, il aurait plutôt eu tendance à gonfler au maximum son recueil, 17 H. O. Bizarri dans I. López de Mendoza (marqués de Santillana), Refranes que dizen las viejas tras el fuego, ed. H. O. Bizarri, Kassel, 1995 p. 1 18 Les origines du Refranero se perdent dans la nuit des temps... dans la moitié du XIIIe siècle, le Refranero était déjà consubstantiel au peuple espagnol. 19 Citation de M. Bataillon dans L. Combet 1971 p. 133 20 L. Combet 1971 p. 131 21 H. O. Bizzari 1995 p. 9 22 La collection de G. Correas parut être la tentative la plus ambitieuse de recueil de proverbes. Avec un tel enthousiasme il se dédia à les récupérer, que l'on savait qu'il paiyait celui qui lui en ramenait un qu'il n'aurait pas encore enregistré. y incluant des proverbes de tous horizons et donnant toutes les versions existantes d'un même proverbe23. Nous reviendrons sur le maître Correas. Nous soulèverons à présent le problème de l'origine du proverbe. A quelles sources la tradition populaire a-t-telle puisé pour le créer? Tout d'abord l'expérience amène le plus souvent la création d'un proverbe. L'histoire ensuite, l'événementiel, peut conduire à en créer un certain nombre. Enfin la parémiologie puise aussi à la source des Livres Sacrés, ce qu'exprime en quelque sorte ce produit de la sagesse populaire : “ Los refranes viejos son Evangelicos pequeños.24 ”. Expérience, histoire et enseignements sacrés sont les trois sources majeures pour la création d'un proverbe25. Qui, cependant, les produit ? Les proverbes seraient-ils l'œuvre d'une collectivité (comme le voudrait la tradition romantique) ou d'un individu ? Trouvent-ils leurs origines spontanées dans un ensemble populaire anonyme, ou sont-ils l'œuvre d'un esprit créateur individuel ? Il semble que le problème soit impossible à trancher et une juste mesure telle que celle de Noël Salomon26 doit être avancée : “très souvent l'origine de cet art est populaire, mais il peut arriver aussi qu'elle ne le soit pas : ce qui l'a rendu populaire, c'est qu'il ait été accueilli et marqué par le peuple. ”. Le problème de l'origine d'une œuvre populaire se posera de façon encore plus aiguë pour le Cancionero traditionnel et nous reviendrons sur les conclusions à tirer de ce phénomène lorsque nous le traiterons. b / Le caractéristiques du “refrán” Une fois le proverbe situé dans son contexte historique, attachons nous maintenant à le décrire. Parmi les multiples définitions proposées, nous retiendrons celle de M. O'Kane27, certainement la plus claire et la plus complète : “El refrán puede describirse como un proverbio de origen desconocido, generalmente popular y frecuentemente de forma pintoresca, estructuralmente completo en sí mismo e independiente de su contexto.28” Profitons-en pour donner les caractéristiques de la “frase proverbial29” (bien que nous n'y aurons qu'assez peu recours dans notre étude) : celle-ci se distingue du “ refrán ” par sa forme grammaticalement incomplète et le fait qu'elle ait besoin de son contexte pour avoir un sens. Il existe deux types de proverbes : ceux d'expression métaphorique ( “ El mejor amigo es la bolsa y el bolsillo.30 ”) ou directe (“ Más vale tarde que nunca.31 ”) La fonction du proverbe est essentiellement éthique à vocation moralisante. Cela 23 Les proverbes du recueil de Correas sont classés par ordre alphabétique (voir Conventions). Il n'est pas rare de trouver plusieurs fois exactement les mêmes proverbes. Par exemple, “ Los años no se van de balde .” [Les ans ne s'en vont pas gratuitement.] est classé en "L" et “ No se van los años de balde ” [Ne s'en vont pas les ans gratuitement.] en"N". 24 Les vieux proverbes sont de petits Evangiles. 25 Auxquelles L. Combet 1971 p. 70 ajoute les fables et contes populaires. 26 Dans L. Combet 1971 p. 86 27 E. S. O’Kane, refranes y frases proverbiales españolas de la Edad Media, Anejos del boletín de la Real Academia Española, Madrid, 1959 p. 15 28 Le refrán peut se définir comme un proverbe d'origine inconnue, généralement populaire, et fréquemment de forme pittoresque, structurellement complet en lui même et indépendant de son contexte. 29 phrase proverbiale 30 Le meilleur ami est le sac et la bourse. 31 Mieux vaut tard que jamais. n'empêche pas que le Refranero exprime une grande diversité de fond et L. Combet32 dégage les caractères universels, conformistes et moralisateurs de certains de ces textes mais aussi l'aspect critique, comique et irrespectueux de bon nombre d'autres. Nous soulignerons une dernière caractéristique du proverbe, très importante pour notre étude : le lien privilégié entre celui-ci et la paysannerie. Le proverbe comme expression de la paysannerie principalement, est une caractéristique “fondamentale” que cite M. Soriano dans sa définition du proverbe33. Ce lien s'exprime très fortement dans l'ensemble des “ refranes” que nous allons analyser, où prévalent, effectivement, les préoccupations et commentaires de la paysannerie. c / Intérêt des proverbes Le proverbe naît, dans un grand nombre de cas, de l'expérience vécue dans une situation ou un contexte donné. Comme l'explique M. O'Kane34, “ El dicho popular capta la nota de fescura inherente en la observación espontánea del mundo. 35”. Devons nous en conclure que le proverbe, basé sur une conception empirique du monde, ne peut servir de matériel à une étude de mentalité, particulièrement en ce qui concerne les perceptions du temps chronologique ? Je ne crois pas, pour plusieurs raisons. D'abord parce que le proverbe exprime, de par son existence même (qui justifie que l'on a jugé nécessaire de le créer et le transmettre), les principales préoccupations du milieu dans lequel il évolue. Ensuite, si le proverbe est crée à partir d'un contexte, sa formulation indique quelle marge prend-on par rapport à ce contexte. En ce qui concerne notre étude, la façon plus ou moins abstraite dont le proverbe traite du temps nous aide à comprendre comment celui-ci était perçu. Sans anticiper sur notre exposé, nous verrons que le temps s'exprime très concrètement dans nos sources. Ensuite, le domaine des mentalités est dans une large mesure celui de l'inconscient. Si un proverbe (d'origine érudite par exemple) naît d'une réflexion de son auteur, il exprimera ses idées, certes, mais moins directement ses mentalités, ce qui n'est pas le cas pour celui d'extraction populaire. Un autre atout du proverbe est qu'il exprime une idée complète et se suffit à lui-même pour être entendu. d / Ses limites Il est tout dans l'intérêt de notre étude de mettre en valeur les avantages du proverbe et la pertinence à l'utiliser comme matériau historique. Néanmoins, il possède des limites indéniables qui obligent à l'interpréter très prudemment. Tout d'abord, les proverbes présentés en série sont nécessairement sortis de leur contexte36. Bien sûr, ils expriment une idée autosuffisante mais c'est dans une situation précise qu'ils prennent toute leur mesure. Cet instant, où le vulgaire juge bon de citer tel proverbe, nous ne pouvons le capturer mais il n'y a aucun doute qu'il serait précieux pour exposer ce proverbe sous son meilleur jour. Le problème principal réside, en effet, dans l'interprétation du “refrán ” et cette difficulté s'exprime particulièrement lorsque celui- 32 L. Combet 1971 p125 Universalis “ Proverbe ” 34 M. O´Kane 1959 p. 14 35 Le dicton populaire capte la touche de fraîcheur inhérente à l'observation spontanée du monde. 36 Certaines œuvres littéraires ont recours aux proverbes et fournissent ainsi un contexte (la Celestina par exemple). Mais même si elles nous aident à les comprendre, le fait qu'elles soient d'auteurs d'origine cultivée limitent la portée de leur utilisation. 33 ci se présente sous forme de métaphore37 ou d'inversion. Comment remédier à ce problème de compréhension? Recourir aux explications des contemporains, Correas ou Covarrubias38 par exemple. Elles sont souvent précieuses, mais doivent être analysées de manière très critique car elles proviennent des couches supérieures de la société médiévale et sont, par conséquent, sujettes aux idées préconçues (conscientes ou non) de celles-ci. Le rapprochement de proverbes de sens similaires peut aussi nous aider à résoudre certains problèmes d'interprétation. Enfin, comment pouvons-nous être assurés qu'un recueil de proverbes reflète toutes les préoccupations des masses populaires ? Nous ne pouvons, a priori, pas répondre à cette question. Un coup d'œil jeté à l'index alphabétique du recueil de M. O'Kane montre que très peu de thèmes échappent à l'attention de nos “refranes”. Néanmoins, certains sujets surprennent par leur absence (je pense notamment au cas du baptême). L'essentiel des hypothèses que nous soulèverons à partir de nos sources seront déduites du nombre de textes qui expriment une idée et de la convergence des thèmes des proverbes entre eux39. L'absence notée dans certains cas doit nous faire redoubler de prudence dans l'interprétation du plus grand nombre. Deux barrières se posent donc pour l'interprétation du recueil de proverbes dans son ensemble : Donnent-ils une vue d'ensemble correcte des préoccupations populaires et ne laissentils par en marge certains aspects importants de celles-ci ? La deuxième limite provient, non plus du Refranero en lui-même, mais de sa compilation. Le recueil de proverbes populaires ne déforme-t-il pas la réalité de l'ensemble du répertoire réellement existant ? Etudions de plus près ces compilations. e / Les “ Refranes y frases proverbiales españolas de la Edad Media” de M. O'Kane Notons tout d'abord que cette compilation est moderne (de la deuxième moitié du XXe siècle). L'auteur a rassemblé tous les proverbes d'origine populaire du Moyen Age espagnol (le termino Ad Quem est l'année 1500) sous forme d'un dictionnaire alphabétique. Les œuvres d'où elle a tirée cette matière sont d'origine littéraire. En outre, six listes médiévales (dont les deux principales sont de la fin du XVe siècle) ont complété cet ensemble40. Il représente environ quatre mille proverbes. Le grand intérêt de ce dictionnaire est que les proverbes qu'il rassemble sont d'origine médiévale et espagnole. De plus, la présentation de M. O'Kane permet le rapprochement des 37 Cependant, cette figure de style offre l'avantage que si nous comprenons le sens du proverbe, nous obtenons des informations à la fois sur le comparé et le comparant. Si le premier est exprimé en fonction du deuxième, les deux présentent la même caractéristique (qui devient évidente au point de ne pas avoir à l'exprimer dans le cas d'une métaphore). En analysant ce type d'association, nous pouvons mieux cerner ces comparés et comparants. 38 S. de Covarrubias Orozco, Tesoro de la lengua castellana o española, [1611] ed. F. C. R. Maldonado, Madrid, 1994 39 Il n'est pas toujours possible de rassembler tous les proverbes sous de mêmes étiquettes. Certains expriment idées et concepts légèrement différents d'autres du même genre, ce qui les rend, par conséquent, difficilement classifiables et quantifiables. 40 Voici la liste des ouvrages originels (ne sont pas inclus ceux d'origine juive) : Six listes médiévales (environ 1900 proverbes) :Romancea Proverbirum, El Glosario, Fragmento del progrel programma de un juglar Cazurro, Seniloquium, Refranes que dizen las viejas tras el fuego, Refranes famosísimos y provechos glosados, Horozco. La littérature médiévale a fournit environ 2000 autres proverbes cités dans sa compilation : El caballero Zifrar, Libro de buen amor (Jean Ruiz), El corbacho (Alfonso Martinez), La Celestina (Fernando de Rojas), l' Alexandre, plusieurs textes dramatiques primitifs ( Églogas de Encina... ), des compositions poétiques (du marquis de Santillana, de F Peréz de Gúzman, Fray Iñigo de Mendoza, J Álvarez Gato.) et les textes des Cancioneros. proverbes par le thème principal qu'ils expriment. Ceci facilite dans une large mesure leur compréhension. La portée de ces textes est cependant limitée par leur nombre. De plus si certaines sources (le “ Seniloquium ”, les “ Refranes que dizen las viejas tràs el fuego ”, “La Celestina”...) répondent à des préoccupations humanistes, ce n'est pas le cas pour toutes (“ El glosario ”, “ El libro de buen amor ”, les cancioneros...). Ces dernières ont utilisé ou fait référence aux proverbes selon des critères choisis par leurs auteurs et par conséquent, ces “refranes” ne sont certainement pas représentatifs de l'ensemble qui existe. En résumé, la compilation est intéressante car strictement médiévale et espagnole, mais elle n'est certainement pas totalement représentative de la totalité des proverbes qui existaient à cette époque et le nombre assez réduit de ses références rend cette source difficile à utiliser seule pour notre étude. f / Le Vocabulario de Correas Ce dernier problème ne se pose plus avec la compilation de G. Correas, du moins, il se pose en des termes différents. Penchons nous brièvement, tout d'abord, sur l'artisan de cet ouvrage. Correas naquit en 1571 à Jaraiz, dans une famille certainement modestement pourvue. Il étudia à Salamanque la grammaire, le grec puis la théologie. Il obtint sa première chaire de Grec en 1598, début d'une longue carrière universitaire qui l'occupera jusqu'à sa mort. Il enseigna principalement le latin, le grec et l'hébreu dans le fameux Collège Trilingue de l'université de Salamanque . Humaniste invétéré, il participa activement à l'étude et la diffusion de la langue grecque et se consacra en parallèle à l'étude du Castillan (orthographe et grammaire). Il mourut en 1631. Le “Vocabulario41” est une des grandes œuvres de sa vie et nous avons déjà fait allusion à l'énergie qu'il déploya pour rassembler le plus grand nombre de proverbes possibles. Son œuvre cependant ne fut jamais publiée jusqu'à ce que l'Académie Royale Espagnole décide de le faire en 1906 (à partir d'une copie du XVIIIe siècle du manuscrit aujourd'hui perdu). Sa compilation marque l'apogée de l'intérêt porté au proverbes. Elle regroupe environ vingt-cinq mille textes dont dix-huit mille “refranes”. Elle rassemble l'essentiel de la matière parémiologique rassemblée par ses prédécesseurs plus environ huit mille proverbes que Correas a puisé lui même de la tradition populaire. Correas a ainsi offert à notre étude un corpus de “refranes” impressionnant. De cet avantage surgissent néanmoins quelques inconvénients : dans quelle mesure et à quelle échelle devons nous analyser ce recueil ? Nos textes sont, a priori, d'origine castillane. Mais il nous faut noter qu'un certain nombre provient d'autres parties de la péninsule (Portugal, Catalogne, Asturie, Galice) mais aussi de répertoires étrangers (français, italiens...) et Correas ne juge pas nécessaire de nous en préciser l'origine. Cela conditionne donc la portée de notre étude, basée sur une tradition essentiellement mais pas exclusivement castillane. Pouvons nous aussi la situer dans le temps ? L. Combet42 indique qu'un certain nombre de proverbes, particulièrement de nature ironique ou sarcastique, “ font 41 dont le nom complet est “ Vocabulario de refranes y frases proverbiales y otras fórmulas comunes de la Lengua castellana, en que van todos los impresos antes y otra gran copia que juntó el maestro Gonzalo de Correas, Cathedrático de Griego y Hebreo en la Univeridad de Salamanca. Van añedidas las declaraciones y aplicación adonde pareció ser necesaria. Al cabo se ponen las frase proverbiales más llenas y copiosas. ” [Vocabulaire de proverbes et phrases proverbiales et autres formules communes de la Langue castillane, où sont réunis tous les imprimés précédents et l'autre grande copie qu'a joint le maître Gonzalo de Correas, professeur de Grec et d'Hébreu de l'Université de Salamanque. Sont ajoutées les déclarations et application où cela parut nécessaire. A la fin se trouvent les phrases proverbiales les plus pleines et copieuses.] 42 L. Combet 1971 p. 183 irruption en force dans les collections parémiologiques à partir du XVIe siècle”. De même, nous trouvons dans le Refranero plusieurs proverbes qui font référence à des faits du XVIe siècle strictement : les adages relatés aux Indes et aux Conquistadores, d'autres sur les produits de la réforme grégorienne du calendrier... Si ces exemples sont, de par leur nature, facilement repérables, ils démontrent cependant que le XVIe siècle a aussi produit ses “refranes” et que nous ne pouvons pas déceler la présence de l'ensemble aussi facilement que dans ces quelques cas particuliers. Notre étude ne peut donc se limiter strictement au bas Moyen Age et s'étend aussi sur le début de la Renaissance (L. Combet43 estime que l'échelle de la portée du Refranero de Correas s'étend plus ou moins de la période qui va du XIVe siècle jusqu'à la fin du XVIe siècle). La largeur de cette échelle présente-t-elle un handicap pour notre étude ? Je ne crois pas : les mentalités populaires sont peu sujettes au changements brusques (comme pourraient plus l'être celles de l'aristocratie). Si nos proverbes couvrent deux voire trois siècles, ils reflètent essentiellement des préoccupations de la fin du bas Moyen Age, axe autour duquel nous situerons notre étude. Celui-ci n'est pas figé, cependant, et nos remarques et hypothèses vaudront aussi bien pour le XVe que le XVIe siècle. Une dernière interrogation : le Vocabulario est l'œuvre d'un seul compilateur. Pouvons nous déceler une certaine tendance de sa part à la sélection des proverbes ? En théorie, nous répondrons par la négative. Nous avons déjà fait allusion à sa tendance à gonfler au maximum son recueil. L'étude de l'homme primitif suppose qu'on l'appréhende dans son ensemble. En parcourant le Vocabulario, nous serions tenté de confirmer cette hypothèse. Voici quelques critères sur lesquels je fonde cette idée : le Refranero ne fait pas abstraction des proverbes qui s'opposent à la morale publique ou aux couches dirigeantes. L'anticléricalisme notamment s'exprime librement dans le recueil (“Gorriones, frailes y abades, tres malas aves.44”, “El fraile predicaba que no se debía hurtar, y él tenía en el capillo el ansar45.”... ). De même, certains proverbes ne sont pas particulièrement décents : (“Moza de Burgos, tetas y culo.46 ”, “Cuando yo era moza, meaba por un punto; ahora que soy vieja, méolo todo junto.47”...) . En outre, Correas s'oppose parfois au message du proverbe (“El mejor nadador es del agua.48” Correas : Dice y piensa el vulgo esto, mas es con falsa opinión, porque...49) il réfute sa validité mais cela ne l'empêche pas de l'inclure dans son Vocabulario... Peut-être est-ce insuffisant pour tirer des conclusions définitives mais l'ensemble, préoccupation humaniste et contenu du recueil, semble cohérent, Correas pécherait plus par excès que par défaut. 3 / Le Cancionero a / Origines Devons nous tenter de retracer un historique du Cancionero traditionnel ? Il est, comme dans le cas des proverbes, difficile à reconstituer. La chanson populaire a des origines très reculées. Nous trouvons des évidences de son existence à travers des textes 43 L. Combet 1971 p. 183 Moineaux, frêres et abbés, trois mauvais oiseaux. 45 Le frêre prédisait que l'on ne devait pas voler, et avait le jars dans sa chapelle. 46 Jeunes filles de Burgos, "nichons" et "cul". 47 Quand j'étais jeune, je "pissais" par un point; maintenant que je suis vieille, je le "pisse" tout joint. 48 Le meilleur nageur est de (vient de ) l'eau. 49 Dit et pense ceci le vulgaire, mais c'est avec une opinion erronée, car... 44 qui remontent au VIe siècle, au moins.50 J. M. Alín estime que ces traditions perdurèrent durant la domination arabe et jusqu'à la fin du Moyen Age. Sous Alfonso X, particulièrement, l'auteur remarque que dans sa suite et celle des grands du royaume, de nombreux chanteurs maures exerçaient leur art, “y sus cantos debían tener mucho de tradicional.51”. L'auteur continue expliquant qu'il existait en Espagne toute une tradition poético-musicale véhiculée par voie purement orale et sujette aux influences à la fois arabes, françaises et portugaises. Cette tradition aurait donc traversé les siècles et attira enfin l'attention des élites espagnoles à partir de la fin du XVe siècle. Le phénomène de récupération de la culture populaire est sensiblement le même que celui que nous avons décrit pour l'humanisme : “ El Renacimiento…, con su vuelta a la Naturaleza, su preocupación humanística, será quien imponga la moda del villancico y la canción popular.52”. La chanson populaire est dignifiée car sensée symboliser l’homme originel, sauvage, conçu à l'image de Dieu. Les rois catholiques contribuèrent, par leur intérêt envers la musique, à dynamiser ce mouvement. Le premier Cancionero qui fit véritablement apparaître les chansons traditionnelles est le “ Cancionero de Palacio ” (édité en 1520) mais la lyrique traditionnelle apparaît en volume plus ou moins important dans tous les grands Cancioneros castillans des XVe et XVIe siècles (Baena, Estuñiga, Upsala, General, Herberay des Essarts...). La plupart des chansons compilées provenaient de la Castille mais pas seulement et pouvaient avoir diverses origines (Galice, Catalogne...). Ces chansons furent aussi portées sur scène, sous l'impulsion de Juan del Encina et Lucas Fernández. La vogue liée à la lyrique traditionnelle ne consistait pas seulement à récupérer ses fruits : les poètes-musiciens de la cour des Rois Catholiques (Alonso, Cornago, Pedro de Escobar, Peñalosa, Gil Vicente...) s'employaient aussi à les imiter, créant ainsi un style mixte. Ils conservaient généralement le refrain qu'ils glosaient avec leurs propres vers. Néanmoins, ceux-ci, par leur marque cultivée se distinguent assez facilement de la lyrique traditionnelle, selon R. Menéndez Pidal53. Comme pour les proverbes, nous nous intéresserons à l'auteur de ce type de production. Là encore, le problème est sujet à débat dans l'historiographie moderne. Elle est uniforme cependant sur un point : la conception romantique de la lyrique traditionnelle comme produit génial d'un ensemble populaire anonyme est jugée complètement en dehors de la réalité. La tendance moderne aurait plutôt tendance à mettre en relief l'origine cultivée de toute chanson populaire54. Passons en revue les différentes hypothèses possibles : La lyrique traditionnelle est un pur produit du peuple. Ou bien, elle n'est pas conçue par le peuple mais pour celui-ci. L'autre extrême serait d'affirmer que la lyrique populaire est avant tout œuvre de poètes érudits, passée de mode dans les hautes strates sociales et récupérée par le peuple, un phénomène d'acculturation en sorte. R. Menedez Pidal a beaucoup débattu sur la question et ses thèses semblent être les plus reconnues. Il tient une position intermédiaire, argumentant que l'auteur est généralement individuel, quelle que soit sa classe sociale, mais que son 50 J. M. Alín, El cancionero español de tipo tradicional, Taurus, Madrid, 1968 p. 15 et leurs chants devaient tenir beaucoup du style tradtionnel. (J. M. Alín 1968 p. 15) 52 La Renaissance, avec son retour à la Nature, sa préoccupation humaniste, sera celle qui imposera la mode du villancico et de la chanson populaire. (J. M. Alín 1968 p. 41) 53 R. Menéndez Pidal, Poesía popular y tradicional, dans Los romances de America y otros estudios, Madrid, 1972 p. 58 54 Comme l'expose, par exemple, vigoureusement V. Beltrán dans son introduction de “ La cancíon tradicional de la Edad de Oro, Barcelona, 1990 ”. 51 œuvre peut-être par la suite refondue et remaniée par la tradition populaire de manière volontaire (pour l'améliorer) ou involontaire (oubli d'un vers remplacé par un autre)55. La lyrique traditionnelle est “ La que vive en variantes 56”, les textes et musiques changeant dans le courant de leurs transmissions. J. M. Alín57 précise ainsi qu'il est fort possible que, à l'origine, certains poèmes soient d'extraction courtisane. Mais ceux-ci se traditionnalisèrent par la suite et expérimentèrent de nombreux changements au fur et à mesure qu'ils se transmettaient de bouche à oreille, d'une génération à l'autre, pour finalement afficher le style particulier qui leur est propre. b / Caractéristiques Nous nous attacherons maintenant à présenter ce style et les caractéristiques du villancico (nous désignerons la chanson populaire sous ce nom mais elle en porte bien d'autre : coplas, cantar, seguidilla...). Le villancico se décline sous de nombreuses formes différentes mais il est généralement composé de quelques vers courts. Il peut ne se composer que d'un refrain mais dans quelques cas, il peut aussi être fortement glosé. La caractéristique principale du villancico est sa sobriété : son style, primaire, élémentaire, simple et naturel58. “ El gran hallazgo estilístico de estos poemillas es la contención y la sobriedad. Prescinden de todo elemento superfluo para recoger le esencia del sentimiento; ... hay continuas referencias al entorno real... las imágenes no son artificiosas sino desnudas e immediates. 59”. Il se distingue ainsi du style artificiel de la lyrique courtoise, mais la différence ne s'arrête pas là. Comme l'explique L. Combet60 : “Le lyrisme ...des Cancioneros semble rejeter le plus souvent les problèmes éthiques et pédagogiques pour ne se soucier que de la recherche d'un bonheur personnel dans une perspective égocentrique qui confine parfois à l'amoralisme”. L'auteur distingue cependant la lyrique courtoise de la populaire, reconnaissant à cette dernière que “les soucis quotidiens, les obstacles matériels ou sociaux, ne sont pas négligés comme dans la lyrique savante... le lyrisme populaire, lui, garde ce caractère de simplicité et de réalisme que l'on a souvent reconnu à la vision du monde castillane.” Un regard moins dégagé du monde caractérise donc la lyrique traditionnelle. Ceci se répercute dans les thèmes de ces villancicos. L'amour sous toutes ses formes61 occupe bien sûr la place d'honneur mais la nature, travail, fête sont aussi des thèmes récurrents. Certains autres offrent aussi “ un reflejo de condiciones y problemas sociales visto con ojos populares...62” c / Limites du Cancionero traditionnel 55 R. Menéndez Pidal 1972 p. 68 Celle qui vit en variantes. Alín 1968 p. 13 cite R. Menéndez Pidal. 57 J. M. Alín 1968 p. 37 58 R. Menéndez Pidal 1972 p. 58 59 La grande trouvaille stylistique de ces petits poèmes est la retenue et la sobriété. Ils font abstraction de tout élément superflu pour concentrer l'essence du sentiment;... il y a de constantes références à l'environnement réel... les images ne sont pas artificielles, mais nues et immédiates. (F. B. Pedraza Jiménez et M. Rodríguez Cáceres, Literatura española : historia y textos, t. 1 (Edad Media, Prerenacimiento, Renacimiento), Barcelone, 1999 p. 37) 60 L. Combet 1971 p53 61 L'exaltation de la beauté, les rendez-vous galants, la douleur de l'absence ou de la mort de l'aimé, les chansons de l'aube, les trahisons, les femmes mal mariées... 62 un reflet des conditions et problêmes sociaux, vu avec des yeux populaires... (C. Blanco Aguinaga, J. Rodríguez Puértoles et I. M. Zaveala, Historia social de la litteratura española, vol. 1, Madrid, 1981 p. 164) 56 Effectuer une étude de notre envergure sur la seule base de la lyrique traditionnelle peut sembler difficile pour plusieurs raisons. Tout d'abord car le volume des textes que nous possédons est assez réduit. Le Cancionero traditional de J. M. Alín63 est composé d'environ un millier de villancicos extraits des Cancioneros cultivés du XVIe siècle. Les autres recueils (modernes) de chansons traditionnelles (ceux de M. Frenk Alatorre64, V. Beltrán65, Sanchez Romeralo66...) recoupent en grande partie, dans leur contenu, celui de J. M. Alín. La thématique ensuite, ciblée sur l'amour et ses manifestations, ne nous offre pas une vision globale telle que pourrait le faire les proverbes par exemple. Enfin et surtout, le principal inconvénient du Cancionero est qu'il exprime dans une large mesure la culture savante de l'époque, dans sa création originelle, peut-être, mais principalement dans sa compilation, beaucoup moins neutre que celle des proverbes, et l'esthétique est évidemment un critère de choix dans ce recueil de chansons. Doit-on écarter, pour ces raisons, la lyrique traditionnelle pour l'étude que nous allons mener ? La réponse est non bien sûr. Malgré ses limites, le villancico est avant tout un produit du peuple, qui l'a modulé au long de plusieurs générations. Cette déformation de la création originelle (de quelque provenance qu'elle soit : aristocratique, troubadour...) répondait à la manière dont les couches populaires jugeaient le plus approprié qu'elle se présente. Le style particulier du villancico atteste les changements qu'il a pu enregistrer pour se conformer à un moule “ traditionnel ” et reflète ainsi ses préoccupations. Le peuple véhiculait des compositions qu'il avait “ digérées ” à sa manière et acceptait comme tel67. Effectuer une analyse historique à partir du seul villancico présente des risques qui pourraient paraître insurmontables, au regard de sa création et de sa compilation. Il est toutefois une production du peuple et présente certains intérêts qui, joints à l'étude des proverbes, le rendent appréciable. 4 / Utilisation conjointe des “ refranes ” et “ villancicos ” Cette longue présentation de ces deux types de sources visait à mettre en valeur les caractéristiques et limites qu'elles offrent toutes les deux. Nous nous attacherons à présent à les mettre en commun et analyser l'intérêt que peut représenter l'utilisation conjointe de ces deux manifestations de la tradition orale populaire. Notons tout d'abord que la différence entre les deux n'est pas aussi marquée que nous pourrions le penser. Ce sont deux produits de la tradition orale populaire, dont l'origine se perd dans l'histoire et qui ont subit, au cours de leur évolution, des transformations qui résultèrent du contexte dans lequel ils se manifestaient. En outre, les deux ont été compilés sensiblement au même moment, soit au XVIe siècle (tout début XVIIe pour une partie des proverbes de Correas). Les analogies ne s'arrêtent pas là et L. Combet68 consacre un chapitre de son ouvrage à souligner les parallèles entre “ refranes ” et 63 J. M. Alín, El cancionero español de tipo tradicional, Taurus, Madrid, 1968 Margrit Frenk Alatorre, Lírica de tipo popular, Catedra, 1994, Madrid 65 V. Beltrán, La cancíon tradicional de la Edad de Oro, Editorial planeta, Barcelona, 1990 66 S. Romeralo, El Villancico, estudios sobre la lírica popular en los siglos XV y XVI, Ed. Gregos, Madrid, 1969 67 Le peuple avait, en outre, tendance à rejeter la culture savante si celle-ci lui était imposée en bloc. Cela implique qu'elle n'aurait pu être véhiculée avec autant de succès que la lyrique traditionnelle et surtout, qu'une composition d'origine cultivée devait être “adaptée” extrêmement rapidement au style populaire, au risque de n'avoir aucune prise sur lui. Vu autrement une composition savante devait, pour passer au peuple, dès son origine posséder certaines caractéristiques qui la rende facilement assimilable par celui-ci, présenter des aspects ou valeurs auquel il agréait ou qu'il pouvait modifier (voire assimiler) facilement. 68 L. Combet 1971 64 villancicos. Nous y trouvons notamment cette citation d' Alfonso Reyes69 : “ Interviene (...) en la formación de los proverbios un sentimiento lírico, innato en el espíritu popular y que hace que todos prefieran hablar en verso y no en prosa. El aire de canción de algunos proverbios (...) es la única explicación de su existencia.70 ” Nous pourrions ajouter que la forme versifiée du proverbe facilite sa mémorisation. L. Combet débat en profondeur du rapport entre le “ refrán ” et certaines compositions poétiques traditionnelles (du type villancico) cherchant à déterminer, devant la similarité de ces deux types de compositions, laquelle a engendré l'autre. Le problème est impossible à trancher mais il met en parallèle à la fois la forme esthétique mais aussi le contenu sentencieux propre au proverbe mais qui s'exprime aussi fortement dans la lyrique populaire (p.53). Correas inclut d'ailleurs nombre de chansons populaires dans son recueil de proverbes “ce qui montre que la différence entre refrán et coplas ne lui semblait pas évidente...” (p. 54). La similarité des “ villancicos ” et “ refrán ” ne doit pas cacher, cependant, que la fonction première d'un proverbe est d'instruire ou moraliser, sa valeur esthétique lui restant subordonnée tandis que l'inverse prévaut pour les villancicos. Mais nous pourrions argumenter que à la fois cette similitude (qui rend plus homogène notre corpus de sources) et cette différence nous sont profitables. Les proverbes couvrent, sauf exception, tous les thèmes et sont des produits assez purs (peut-on trouver des expressions culturelles populaire complètement dégagées de l'influence savante ?) des couches populaires. Son problème essentiel est qu'il est dégagé de son contexte et est parfois obscur à interpréter. Il semble que qualités et défauts s'inversent dans le villancico. Celui-ci reflète beaucoup moins bien la culture populaire que le proverbe et se centralise sur quelques sujets. Néanmoins, c'est une source narrative, qui a le mérite de nous offrir un contexte (même si, il est vrai, celui-ci est souvent réduit à l'essentiel). Ne nous y trompons pas cependant, le proverbe sera la source essentielle de notre étude. Mais les qualités propres au villancico font que nous ne dédaignerons pas d'y avoir recours. ______________________ Nous avons réunis tous les éléments nécessaires pour commencer notre étude. Nous l'avons dit, le sujet des perceptions populaires du temps est presque inexploré. La pauvreté des sources d'origine populaire en est certainement la principale explication. Le temps, tel que nous l'entendons aujourd'hui, est un concept abstrait dont l'appréciation se fait au moyen d'un vecteur unidirectionnel qui pointe vers l'infini. Cette représentation nous paraît assez évidente mais si nous y réfléchissons, imaginer le temps comme une flèche chronologique demande une capacité d'abstraction poussée, complètement dégagée du contexte dans lequel nous évoluons. Cette facilité que nous avons, nous la devons certainement, en grande partie, au fait que nous n'avons pas besoin de nous préoccuper de ce contexte. Globalement, nous sommes hors de portée des besoins matériels primaires. Nous pouvons penser sans contrainte et surtout nous subissons peu l'influence de notre environnement (éclairement, subsistance, climat...) car celui-ci n'a plus réellement de prise sur nous. Nous vivons une époque privilégiée, ce n'était pas le 69 L. Combet 1971 p. 49 Intervient... dans la formation des proverbes un sentiment lyrique, inné dans l'esprit populaire et qui fait que tous préfèrent parler en vers et non en prose. L'air de chanson de certains proverbes... est l'unique raison de son existence. 70 cas des masses populaires médiévales. Celles-ci étaient complètement immergées dans un environnement dans et contre lequel elles devaient survivre. Les soucis du quotidien prévalaient sur le reste, dans ce sens, il est évident que leurs mentalités étaient conditionnées par ces préoccupations. Le temps n'est pas, pour le peuple médiéval, un concept qui file indifféremment au loin et au grès des époques : c'est un outil capricieux qui possède ses particularités propres, que le vulgaire appréhende avec plus ou moins de bonheur selon l'intérêt qu'il représente. Nous allons analyser la perception du temps chronologique à différentes échelles. Notre étude sera tournée dans ce sens afin de bien mettre en évidence que le temps n'est pas un concept uniforme : chaque échelle se décline différemment mais selon une certaine logique. Nous nous emploierons à la mettre en relief. Les deux premières parties seront consacrées au temps annuel et sa division. Nous mettrons en valeur les différents moyens dont le peuple dispose pour l'apprécier et ceux qui semblent le mieux lui convenir. Les cycles, à l'intérieur de l'année, retiendront ensuite notre attention. A ce stade, nous confronterons les données obtenues avec les commentaires liés au concept propre du temps. Les cycles vitaux nous intéresserons dans une troisième partie et nous dégagerons les perceptions qui y sont liées. Nous verrons dans une quatrième partie que le vulgaire, à un certain stade, n'a plus de prise sur le temps. Nous tenterons d'en trouver l'explication. Celle-ci prendra tout son sens dans notre dernier chapitre qui se veut reprise et confrontation de l'ensemble. Il aura pour but de souligner convergences et divergences dans les différents rapports au temps, ceci afin de dégager nos conclusions finales. CONVENTIONS EMPLOYEES Les Proverbes La grande majorité des textes cités proviennent du recueil de G. Correas (Vocabulario de Refranes y frases proverbiales, Ed. V. Infantes, Visor Libros, Madrid, 1992). Il sont simplement situés entre parenthèses et ne sont pas accompagnés de références. Elles ne sont, en effet, pas nécessaires, les proverbes et phrases proverbiales du Vocabulario sont classés par ordre alphabétique et sont, par conséquent, facilement localisables. Lorsque le proverbe n'est pas cité en entier, j'indique le numéro de page correspondante. __________ Nous avons, en ce qui concerne les textes tirés du Refranero de E. S. O’Kane (refranes y frases proverbiales españolas de la Edad Media, Anejos del boletín de la Real Academia Española, Madrid, 1959) suivi et indiqué entre parenthèses les conventions que l'auteur a insérées dans son texte. En outre, la classification thématique de son dictionnaire rend également possible la localisation des proverbes dans son propre recueil. Voici les abréviations que nous avons utilisées dans notre exposé et leurs références complètes : Alexandre = El libro de Alexandre (ca. 1250), ed. R. S. Willis, Princeton / Paris, 1934 Canc. Baena = El Cancionero de Baena (ca. 1445), ed. E. de Ochoa y P. J. Pidal, Madrid, 1890. Canc. FD = Cancionero Castellano del Siglo XV, publ. par R. F. de Uhagón, Madrid, 1900 Canc. Fdo de la Torre = Fernando de la Torre (1416?-p. 1468), Cancionero y Obras en prosa, ed... A. Paz y Melia, Dresden, 1907 Canc. Ixar = Cancionero de Juan Fernández de Ixar (s. XV), Bibl. Nac. Madrid, ms. 2.882. (Publié dans une édition critique de J. M. Azaceta, Madrid, 1956) Canc. Roma = El Cancionero de Roma, ed. F. Vendrell de Millás, Barcelone, 1945 Canc. Stuñiga = Cancionero de Lope de Stuñiga (p.1478), ed. Fuensanta del Valle y J. Sancho Rayón, Madrid, 1924 Celestina = Fernando de Rojas, La Celestina, ou Comedia de Calysto y Melibea (1499) ed. R. FoulchéDelbosc, Barcelona / Madrid, 1902 Cifrar = El caballero Cifrar (ca. 1300), ed. C. P. Wagner, Ann. Arbor, 1929 Corbacho = Alfonso Martínez de Toledo, Arcipreste de Talavera, El Corbacho o Reprobación del amor humano (1438), ed. C. Pérez Pastor, Madrid, 1901. FD = R. Foulché-Delbosc, Proverbes judéo-espagnols, RHi, II (1895) Glosados = Refranes famosísimos y provechosos glosados, Burgos, 1509, ed. facsimil M. García Moreno, Madrid 1923. Luria. Prov. = M. Luria, Judeo-Spanish Proverbs of the Monastir Dialects, Rhi, LXXXXI (1933) Romancea prov. = Romancea Provebriorium (ca. 1350), Ms. Acad. Hist.; Madrid, col. Salazar A-2, publ. par A, Ríus Serra, RFE, XIII (1926) Rosal = El Dr. Francisco del Rosal, Diccionario de la lengua castellana, Bibl. Nac. Madrid, ms. T 127 Ruiz = Jean Ruiz, Arciprste de Hita, El libro de buen amor, (ca. 1350), ed. J. Ducaminm, Toulouse, 1901 Sant. Refr. = Iñigo López de Mendoza, Marqués de Santillana (1398-1458), Refranes que dizen las viejas tras el huego, Sevilla, 1508. Reedité par U. Cronon [R. Foulché-Delbosc], Rhi, XXV (1911) Senil. = Seniloquim (1450-1500) - Bibl. Nac., ns. 19.343, publié par F. N. Santìn, RABM, X (1904) Yehuda = I. E. Yehuda, Judeo-Spanish Proverbs, Zion, II (1927) Nous remarquerons que quelques recueils de proverbes d'origine judéo-espagnole sont inclus dans cette liste. Nous avons, en effet, utilisé quelques-uns de leurs proverbes (cinq en tout) lorsque le sens faisait abstraction des différences confessionnelles entre juifs et chrétiens. __________ Les villancicos Sont ajoutées entre parenthèses les ouvrages modernes d'où les villancicos utilisés sont tirés. Le numéro de référence est précédé d'un “#” afin de faciliter la différenciation avec les proverbes. Voici les abréviations correspondantes : M. F. = M. F. Alatorre, Lírica hispánica de tipo popular, Catedra, Madrid, 1994 Alín = J. M. Alín, El Cancionero español de tipo tradicional, Taurus, Madrid, 1968 S. R. = S. Romeralo , El Villancico, estudios sobre la lírica popular en los siglos XV y XVI, Ed. Gregos, Madrid, 1969 __________ Les traductions Nous indiquons en note les traductions des citations en espagnol dans le texte. Je me suis efforcé de traduire les textes de la façon la plus proche possible du vocabulaire espagnol car celui-ci nous fournit des indications intéressantes en ce qui concerne notre étude. Cette attitude à l'inconvénient de ne pas toujours donner une structure correcte à la traduction, ni un sens immédiatement intelligible dans notre langue. Afin d'y remédier, je donne entre parenthèse des indications permettant de saisir le sens du texte traduit. Lorsque les traductions peuvent susciter des doutes, je joins un point d'interrogation, et je le commente dans la plupart des cas. Notons, en outre, que j'ai respecté l'orthographe des noms propres en espagnol (San Juan par exemple) mais je les utilise en français dans le texte. CHAPITRE 1 L'APPRECIATION DU TEMPS CHRONOLOGIQUE COURT La délimitation d’un temps chronologique déterminé comme court est nécessairement subjective. Le fait de choisir l’année comme durée repose sur plusieurs critères : C’est une durée assez facilement délimitable qui repose sur le cycle solaire et, par extension, sur l’alternance des saisons et du rythme de la nature. Si nous partons du principe que l’économie du Moyen Age est essentiellement une économie de subsistance, la mesure temporelle déterminante est celle de l’année, durée sur laquelle évolue les cycles agricoles. Cette remarque est d’autant plus valable pour notre étude car les classes populaires sont complètement dépendantes, du point de vue alimentaire, des récoltes de l’année. Les textes étudiés reflètent d’ailleurs ces réflexions, les durées sont toujours exprimées en unités temporelles égales ou inférieures à une année. Enfin et surtout, j’associe au temps court un certain degré de précision dans les références au temps, que ce soit pour exprimer la durée ou la situation dans le temps. Notre analyse des références au temps court sera centrée sur trois critères : Nous déterminerons, tout d'abord, les différents moyens d’appréciation disponibles par les milieux populaires pour se situer dans l’année. Ces repérages possibles dans l’année ne sont évidemment pas exclusifs de ces milieux. Il est néanmoins à noter que la gamme d’indicateurs temporels dont bénéficiait le peuple, au moins dans les campagnes, était beaucoup plus étendue. Je me réfère ici aux nombreux repères naturels dont le vulgaire rural, nécessairement proche de cette nature, disposait. Nous tenterons, à cet effet, de montrer à quel degré les textes renvoient une perception du temps proche de la nature. Mais disposer de plus de repères ne signifie pas forcément bénéficier d’une perception plus précise de ce temps court, problème qui concernera également ce chapitre. Pour résumer, nous soulèveront ici les points suivants : les différents moyens d’apprécier l’année médiévale et ses sub-divisions, le rapport plus ou moins important à la mesure artificielle ou naturelle du temps et le degré de précision dans le repérage au temps sur l’échelle d’une année. I / La situation dans le temps : Nous traiterons ici de la division chronologique de l’année. Bien sûr, cela ne concerne pas seulement le temps médiéval, et ne ressort pas exclusivement de l’analyse des textes présentés en introduction. Il me paraît néanmoins nécessaire de présenter les différentes divisions possibles de l’année et ce à quoi elles se réfèrent afin de mettre en valeur les différentes possibilités de repérage dans l’année dont dispose l’homme du Moyen Age. Dans ce sens, décliner l’année selon une division classique heure / jour / semaine / mois... ne semble pas pertinent car chacune de ces divisions temporelles renvoie à une conception différente du temps : elles furent déterminées, à l’origine, en fonction de divers facteurs et de plus sont appréhendées différemment selon le calendrier utilisé. Nous avons déjà abordé la possibilité de se repérer dans le temps selon des critères naturels ou artificiels. Nous étudierons ainsi, selon cette première différenciation, les appréciations possibles du temps selon les uns ou les autres. Toutefois, il y a un point qu’il est nécessaire de soulever avant de commencer cette présentation. Il faut souligner le rapport de dépendance étroit qui existe entre la division naturelle et artificielle de l’année. Ce rapport est d’ailleurs principalement à sens unique, le calendrier “ laïc ” par exemple est basé sur le cycle solaire. Ainsi je présenterai les divisions artificielles du temps et en fonction de quoi elles ont été déterminées. Nous verrons ensuite s’il existe une division naturelle possible du temps. Enfin nous confronterons ces données entre elles et les textes analysés afin de déterminer à quel repérage temporel le peuple se réfère principalement et à quelles autres hypothèses ces résultats peuvent amener. 1 / Division artificielle de l’année71 Deux déterminations différentes du temps coexistaient : les systèmes civil et lithurgique. On se réfère aux deux dans les recueils de proverbes et les Cancioneros, et nous verrons dans quelles proportions après les avoir présentés. a / La mesure civile du temps : Le calendrier officiel a pour origine le calendrier Julien (instauré par Jules César en 45 AC) qui divise l’année en douze mois. Initialement, le mois dérive du rythme lunaire, En effet, c’est le cycle le plus facilement appréciable après celui du jour, 29 jours séparent environ deux pleines lunes. Avec l’adoption du calendrier solaire, l’unité du mois d’environ 30 jours fut gardée, sans plus de relation néanmoins avec le cycle lunaire. Le mois est donc avant tout une division devenue artificielle de l’année, dont la délimitation ne repose sur aucun fondement naturel. C’est l’unité de base du calendrier civil, dont le nombre de 12 est constant. Il divise l’année de façon symétrique et quasiment régulière. Le jour civil est avant tout une division du mois. La division civile du jour en 24 heures correspond à celle que l’on utilise actuellement. C’est une division artificielle et stable du jour. b / La semaine : La semaine est une mesure temporelle un petit peu particulière. Elle est héritée du calendrier romain mais l’apposition du dimanche comme jour de célébration lithurgique lui a donné un certain caractère religieux. C’est aussi une création humaine, artificielle, sans fondements naturels. Elle se compose de sept jours selon l’ancienne tradition hébraïque. La nouveauté chrétienne est que le jour de repos est déplacé au dimanche (Nicée 325). Il est à noter que le dimanche, jour de la résurrection du Seigneur est le seul qui ait un caractère religieux. Ce jour se substitue (plus ou moins) au jour du soleil du calendrier hebdomadaire gréco-romain. Les autres dénominations de jour ont cependant été conservées. Chacun d’entre eux était considéré initialement comme sous l’influence de la planète / déité dont ils portaient le nom. On peut noter que l’Eglise 71 Les informations qui ont trait au mesures civiles et religieuses du temps sont extraites des études suivantes: J. Attali, Histoire du temps, Paris, 1982, J. Le Goff, El orden de la memoria, el tiempo como imaginario, Barcelone, 1991, Germano Pàttaro, La conception chrétienne du temps, dans Les cultures et le temps, Paris, 1975. proposait une dénomination différente des jours de la semaine mais qui n’a jamais été assimilée par les milieux civils et populaires. c/ La mesure religieuse du temps : C’est un calendrier fondamentalement annuel dans le sens où c’est dans cette période qu’il s’inscrit. L’année est théoriquement divisée en quatre périodes (qui ne sont d’ailleurs pas indépendantes de la division saisonnière de l’année) : de Pâques à la Pentecôte, de la Pentecôte à septembre, de septembre au Carême, et du début du Carême jusqu’à Pâques. Cette division n’est donnée qu’à titre d’information car elle n’a aucune répercussion dans les textes étudiés. Deux caractéristiques principales se dégagent du calendrier religieux : L’année est rythmée par la célébration dans une journée d’un certain nombre de Saint(e)s. A cet ensemble de célébrations qui recouvre de façon discontinue les trois cent soixante jours de l’année, se superposent deux grands cycles lithurgiques : le cycle Pascal lié à la mort et la résurrection du Christ et celui de la Nativité. Le cycle Pascal est certainement le plus important. C’est facilement compréhensible: il commémore le sacrifice du Christ, il réaffirme et justifie par la même occasion la religion chrétienne. Le Christ est mort pour sauver les hommes et c’est la mission de l’Eglise chrétienne de répandre ce message. Le dernier jour du cycle Pascal est d’ailleurs la Pentecôte, où l’on célèbre la “ descente du Saint Esprit ”, don du Christ à l’Eglise chrétienne désignée ainsi pour être son témoin dans le monde. La semaine Pascale a été la première à se dégager du calendrier hebdomadaire indifférencié tel qu’il l’était au premier siècle ap JC. Le concile de Nicée de 325 fixa le jour de Pâques au premier dimanche qui suit la première pleine lune de printemps (soit la première lune suivant le 21 Mars). Ce caractère lunaire de la semaine de Pâques va prendre d’autant plus d’importance que deux périodes vont être associées à la semaine de Pâques, l’ensemble formant le cycle Pascal. La période de Carême englobe les sept dimanches qui précèdent la Pâques. Originellement un temps de conversion, c’est surtout pour le peuple médiéval un temps de jeûne et d’abstinence sexuelle (a priori), où le chrétien est censé suivre le modèle du Christ. Enfin le cycle Pascal se termine 50 jours après le dimanche de la résurrection, avec celui de la Pentecôte. A côté de ce cycle lunaire, on célèbre aussi celui de la nativité du Christ, estimée au 25 décembre. Le 25 décembre n’est cependant que le temps fort de ce cycle. Il commence en effet avec l’Avent, période de quatre ou cinq semaines avant la Noël , temps de l’attente de la venue du seigneur et se termine par l’Epiphanie, date à laquelle le Christ fut présenté au monde. Ainsi se dégagent quelques temps forts du point de vue religieux : les semaines de Pâques et de Noël ainsi que certaines concentrations de fêtes, généralement marquées par un jour Saint, mais dont le caractère de fête est loin d’être toujours religieux. La Santa Águeda était par exemple célébrée en l’honneur de la femme, la San Sebastían était liée à la lutte contre la peste, la célèbrissime Saint Jean bien sûr n’avait rien d’une commémoration religieuse. Il est à noter cependant que les fêtes populaires étaient presque toujours recouvertes d’un vernis religieux ou du moins étaient liées au cycle lithurgique annuel (les trois jours de Carnaval par exemple précédaient généralement le mercredi des Cendres). Nous reviendrons plus en détail sur ce que les textes renvoient de ces commémorations et célébrations. Finalement, le calendrier religieux propose une manière assez discontinue d’appréhender l’année. S’il est vrai que la semaine est une répétition régulière d’une certaine durée (sept jours) elle ne s’insère pas exactement dans le cycle de trois-centsoixante-cinq jours de l’année (on ne peut diviser trois-cent-soixante-cinq par sept). Les jours des Saints ne reposent sur aucune volonté de décompte régulier du temps et le cycle Pascal varie, se déplace chronologiquement tous les ans. La manière religieuse de mesurer le temps est assez proche de la nature : le système d’heures canoniales, par exemple, varient selon la durée d’ensoleillement; le dimanche de Pâques est célébré un jour de pleine lune... Enfin, il est à noter que l’unité de base fondamentale du calendrier rituel est la journée : la semaine n’est jamais qu’un groupement de sept jours, un Saint est célébré sur une journée, les cycles religieux sont axés sur les jours de Pâques et Noël, desquels dérivent d’autres célébrations, elles-mêmes basées sur une journée (Epiphanie, Mercredi des Cendres, Dimanche des Rameaux, Jeudi Saint, Pentecôte...) L’Eglise proposait aussi une division particulière de la journée. Elle était divisée selon sept heures canoniales, l’intervalle entre chacune était d’environ trois heures plus ou moins élastiques. Elle fut initialement établie par la règle de Saint Benoît et ces heures correspondaient aux moments où les moines devaient s’acquitter de leurs offices. Laúdes correspondait à peu près à trois heures du matin; prima, six heures; tercia, neuf heures; sexta, midi; nona, trois heures de l’après-midi, vísperas, six heures et completas, neuf heures du soir. Ces heures se propagèrent dans les campagnes par l’intermédiaire des monastères, puis du clergé séculier à partir de l’époque Carolingienne. Nous pouvons noter que cette division de la journée suit la course du soleil et varie donc selon le moment de l’année. J.Attali explique la rapidité de la diffusion de ce système d’heure en occident “ car les intervalles de temps qu’il définit...sont mieux adaptés aux rythmes de l’époque que ne le sont les intervalles romains ”72. d / Confrontation des mesures officielles du temps : Les tableaux suivants rassemblent le nombre de référence aux unités temporelles dans les textes étudiés. Le premier concerne les références à un jour, un mois, une date propre à chacun des calendriers (lundi, mars, Saint Pierre, dimanche de Pentecôte...). Le deuxième compile les références aux unités temporelles en tant que durée citée pour elle-même ou à titre d’indicateur de comparaison / repérage (deux mois, un jour de pluie...). Le troisième tableau présente le nombre de références à une heure canoniale ou civile. Correas Ref. Jours s em aine Ref. M ois Ref. Jour S aint Ref. c y c le pas c al Ref. jour dans c y c le pas c al Ref. c y c le nativité Ref. jour dans c y c le nativité Total ref. relig (s ans les S aints ) O 'K ane 104 413 250 44 14 19 6 83 Tableau 1. Les mesures temporelles comme unité de datation 72 J. Attali 1982 p. 81 14 4 4 6 0 0 0 6 Canc ionero 10 9 17 3 1 2 1 7 Correas Jour Semaine Mois Année O'Kane 60 9 16 133 13 1 3 9 Cancionero 13 0 1 9 Tableau 2. Référence à une unité temporelle comme unité chronologique intrinsèque Correas Canoniales Civiles O'Kane 7 8 Cancionero 1 0 0 2 Tableau 3. Les heures Ces tableaux nous amènent à soulever quelques questions : A quels repérages temporels se réfère-t-on le plus ? Quelles sont les unités temporelles privilégiées et comment peut-on expliquer ces résultats ? Le mois Tout d’abord, nous remarquons le nombre très important de références à un mois de l’année, pour le moins dans le Refranero de Correas. Est-ce à dire que l’unité temporelle privilégiée est le mois ? Si l’on se reporte au tableau nº2, nous nous rendons compte du très faible nombre de références au mois en tant que durée propre. Nous pouvons donc en conclure que le mois est abordé en tant que fraction de l’année et non en tant que durée intrinsèque. Autrement dit, le mois sert à se repérer dans l’année, mais on ne cherche pas à se repérer dans le mois et l’on n'utilise pas le mois pour mesurer une durée égale ou supérieure à celui-ci, à part en ce qui concerne certains cas très précis. L’âge en est un : “ Niño de un mes, tente en tus pies 73” Le mois sert trés rarement (trois références) à mesurer une durée, et ne la précise pas toujours pour autant : “ Seiscientos meses no se van de balde 74”. Les rares références à un repérage à l’intérieur du mois ne sont pas plus convaincantes : “ ..., tres en un mes, ... 75”, “ Al quinto día, verás que mes habrás 76”. Sans compter que dans un certain nombre de références dénombrées, le proverbe existe avec le mois, mais aussi avec l’année ou le jour ou autre : “ Antes que pasen por aquí un mes ” ou “ ...cuatro días ” ou “ ...un año 77”. La semaine Le cas de la semaine est à cet égard assez similaire à celui du mois. Les jours de la semaine sont fréquemment cités mais la semaine en tant que durée propre n’est pas utilisée. Le découpage de la semaine correspond à un cycle de jours et c’est dans ce sens qu’elle est appréhendée. La durée hebdomadaire est aussi utilisée dans quelques cas : les semaines de fêtes “ semana de herrero 78”, l’enfance “ Niño de tres semanas... 79”... Mais c’est largement insuffisant pour infirmer ce constat. 73 Enfant d'un mois, tiens-toi sur tes pieds. Six-cents ans ne s'en vont pas gratuitement. 75 "..., trois en un mois,..." Correas : Accessions à sa femme. p. 486 76 Au cinquième jour, tu verras quel mois tu auras. 77 Avant que en passe par ici un mois, ou quatre jours, ou un an. 78 Semaine de forgeron. Correas : désigne une semaine sans fête. 74 Si nous voulions résumer les deux précédents paragraphes, nous pourrions dire que le mois est seulement perçu comme une division de l’année, il permet de se repérer dans celle-ci. La semaine semble être avant tout un groupement de sept jours, une durée qui permet d’appréhender le temps sur une échelle un peu plus importante que le rythme quotidien, mais ne suscite pas, autrement, d'intérêt. Il semble donc que les deux mesures temporelles privilégiées sont l’année et le jour. Un coup d’œil jeté vers les références aux jours et années comme durées vient confirmer cette hypothèse. L'heure Un très grand nombre de proverbes se référent au terme “ hora80 ”. Ce cas est toutefois différent. On désigne par hora tout ce qui concerne une durée à très court terme sans plus de précision. Le système religieux de décompte des heures incluait une mesure du temps très court, dont la plus petite unité, l’atome, était égale à environ un seizième de seconde ! Il se déclinait en point (un quart d’heure), moment (une minute et demie), once (sept secondes et demie) et atome. Le système existait, donc, mais n’était pas utilisé; du moins aucune unité temporelle inférieure à l’heure n’apparaît dans les textes. Les termes de “ rato81 ” et “ punto82 ” apparaissent de temps en temps (une dizaine de fois chacun, tous textes confondus) mais ne se réfèrent à rien de précis : “ Lo que en muchos años rrecabdado non as, / quando tú non cuydades, en un rrato lo avrás. 83” (Ruiz 579), rato prend toujours cette signification de moment très court, sans plus de précision “ Anda aguja, que el sábado viene; punto pascual y salto de liebre.84 ” fait ici à la fois allusion à une couture de vêtement et au fait que la fête de Pâques ne dure que peu de temps... “ Antes de la hora gran miedo; venidos al punto, venidos al miedo 85”... Les termes sont peut-être passés dans le vocabulaire mais ont perdu la signification chronologique précise qu’ils avaient à l’origine. Hora est donc utilisé mais ne concerne pas forcément l’heure religieuse ou civile. Jour et an La notion de jour est assez difficile à analyser car elle recoupe le jour naturel, la semaine, le mois, l’année (Saints et autres). Si nous nous concentrons sur le mot día86, (ou ceux qui y sont liés, hoy, mañana, ayer87 par exemple), nous prenons la mesure de l’importance de cette unité temporelle : par le nombre de références, bien sûr, mais aussi par le caractère de cycle fini, suffisant en lui-même, qu’il prend souvent. Le proverbe suivant symbolise très bien ce constat : “ Entre hoy y mañana se acabará algo88 ”, demain est un autre jour et “ Todos los dìas no son iguales 89 ”. 79 Enfant de trois semaines. heure. 81 instant / moment. 82 Point 83 Ce qu'en beaucoup d'années tu n'as pas récupéré, en un instant tu l'auras. 84 Active-toi, aiguille, que le samedi arrive, point pascal et saut de lièvre. 85 Avant l'heure, grande peur, arrivé l'instant, arrivé à la peur. 86 Jour 87 Aujourd'hui, demain, hier 88 Entre aujourd'hui et demain se finira quelquechose. 89 Tous les jours ne sont pas identiques. 80 Le même genre de réflexion caractérise les proverbes qui se référent à l’année. Ils sont nombreux et l’année est considérée comme une échelle en soi. Nous nous attarderons longuement sur cette période et son découpage au chapitre suivant. L’analyse des données qui correspondent au calendrier religieux confirme l’importance du jour et de l’année (j’ai déjà souligné le caractère annuel et journalier du calendrier religieux). Nous notons, en effet, le grand nombre de références aux moments forts de ce calendrier ainsi qu’aux jours de Saints. Le calendrier religieux était principalement perçu en terme de fête (les proverbes ne font jamais référence à l’acception religieuse de n’importe quelle date). Chacune d’entre elle se célébrait sur un jour, que ce soit une fête unique ou un jour de fête dans un cycle. Il est, en outre, très intéressant de noter que l’on retrouve sur une journée de Saint le même genre de réflexions qui concernent un mois : Par exemple “ Por San Francisco se siembra el trigo; la vieja que lo decía, ya sembrado la tenía90 ” ( que l’on pourrait comparer avec “ Por septiembre, quien tiene pan que siembre 91” “ octubre, echa pan y cubre92 ” ) ou “ Por San Siste busca las uvas donde las viste.93 ” (“ Agosto madura y septiembre vendimia la uva y fruta 94”...). Si l’on part du principe qu’une activité telle que semer, récolter... dépend de l’environnement naturel et climatique, le fait d’attribuer un jour précis pour l’effectuer montre l’importance que celui-ci avait en tant que repère temporel, même s’il est certain que ce genre de proverbe ne servait qu’à titre de repérage approximatif. Mesure religieuse ou civile du temps ? Il faut donc faire la différence entre un jour, une semaine... perçu en tant que durée propre ou comme rapport à une autre durée supérieure ou inférieure. Le nombre de références au mois notamment, doit donc être relativisé dans ce sens. D’où la difficulté de déterminer à quel calendrier les milieux populaires avaient le plus recours, difficulté d’autant plus grande que les textes étudiés proviennent des milieux ruraux principalement, mais aussi urbains dans une certaine mesure, et de nettes différences devaient exister entre les deux. Une alternative facile serait de dire que l’homme du peuple utilisait le calendrier qui répondait le mieux à ses besoins et qu’il avait recours dans ce sens aux repères temporels qui l’arrangeaient. Le fait que presque aucun texte ne fasse référence à un jour dans le mois (le 3 juillet, le 16 avril...) témoigne dans ce sens : le mois ne lui servait qu’à se repérer, mieux, à prévoir et appréhender le cycle de l’année, de la même façon qu’une date religieuse pouvait lui servir de point de repère. Le recours aux deux divisions horaires de la journée ne nous aide pas beaucoup dans ce sens : En effet, nous constatons que les proverbes ne tranchent pas vraiment le problème. Nous remarquons d’abord que très peu de textes se référent à une heure, de quel type que ce soit, et que les deux types d’heures sont cités de façon égale. Une phrase proverbiale pourrait peut être résumer la situation : “ Entre once y nona 95” Ce proverbe mélange les deux systèmes comme devait certainement le faire l’homme du 90 Pour la San Francisco, on sème le blé, la vieille qui le disait déjà semé l'avait. En septembre, que celui qui a du pain sème. 92 Octobre, jette le pain et recouvre. 93 Pour la San Siste, cherche les raisin où tu les as vus. 94 Août porte à maturité, et septembre vendange raisin et fruits. 95 Entre onze heures et none. Correas : lorsque quelqu’un arrive en retard. 91 Moyen Age, pour peu qu’il ait vraiment eu recours à un système de décompte des heures. 2 / Division naturelle de l’année En plus des divisions officielles du temps, le peuple pouvait avoir recours à une division naturelle de l'année. Nous nous bornerons à la présenter succinctement ici car, de par sa nature, cette division du temps est basée sur des indicateurs naturels que nous verrons dans la partie suivante. Nous pouvons néanmoins distinguer les deux rythmes suivants : le cycle jour / nuit et le cycle annuel. Le cycle lunaire est ici écarté. En effet, si les textes ont parfois trait à la lune et aux connotations qui y sont associées, ils ne renvoient aucun écho de cycle lunaire utilisé comme découpage chronologique de l’année. a / Le cycle diurne La division jour / nuit s’impose d’elle même : elle repose sur le cycle quotidien du soleil, la journée commençant ici avec l’aube et se terminant avec le crépuscule. Cette journée varie avec les saisons et la durée d’ensoleillement reflète donc le taux d’activité des hommes, nous verrons dans quelle proportion au chapitre suivant. b / Les saisons L’année est rythmée par la nature dans son sens large. Le rythme de l’agriculture a bien sûr son importance mais ne parait pas ou peu utilisé comme mesure chronologique autonome. On se réfère bien sûr aux évolutions des récoltes et facteurs qui y sont liés, mais c’est par l’intermédiaire d’autres indicateurs temporels, les mois et les Saints, principalement, que ce cycle est abordé. Les saisons au sens climatique aussi bien que chronologique du terme sont par contre très citées dans les proverbes et chansons populaires. En ce qui concerne ces saisons, le peuple en distinguait deux, l’hiver et l’été au lieu des quatre actuelles. Le printemps n’est en effet cité qu’une fois, dans le recueil de Correas, l’automne trois fois, toujours dans ce même recueil par opposition à la cinquantaine de proverbes qui commentent été et hiver. Ces quelques références ne sont en aucun cas généralisables en ce qui concerne leur utilisation (Correas souligne d'ailleurs (p. 137) que automne et printemps sont exclusivement utilisés par l'élite cultivée, les astronomes en particulier). L’année était donc divisée en deux et les limites entre ces saisons paraissaient assez vagues. L’hiver commencerait avec les premiers froids : “ Día de San Miguel, quita el agua a tu vergel96. ” mais plus vraisemblablement (et indépendamment de Correas), l’hiver est fixé à partir de début novembre : “ San Simón y Juda, negua el duda.97 ”, “ Entre Todos Santos y Navidad, es invierno de verdad. 98” mais un autre proverbe situe différemment l’hiver : “ Un mes antes y otro después de Navidad, es invierno de verdad. 99”, la saison paraît-être associée ici avec les périodes des plus grands froids. A propos du début de l’été, nous sommes encore moins informés, seul le proverbe “ Una golondrina no hace verano, ni una sola virtud bienaventurado100 ” parait situer l’été avec la venue des hirondelles soit dans le courant 96 Jour de San Miguel [29-09], quitte l'eau à ton verger (sens: cesse d'arroser ton verger). Correas : Car on entre déjà en hiver et il pleut. 97 San Simon et Judas [28-10], plus aucun doute ne réside. Correas : L'expression signifie : “ l'hiver est entré ”. 98 Entre la Toussaint [01-11] et et Noël, c'est véritablement l'hiver. 99 Un mois avant et aprés Noël, c'est véritablement l'hiver. 100 Une seule hirondelle ne fait pas l'été, ni une seule vertu fortuné. du mois de mars. La venue des saisons parait en fait être très relative, comme le montre le proverbe suivant : “ Cuando la Candeleria plora, el invierno es fora; cuando ni plora ni hace viento, el invierno es dentro; y cuando rié, quiere venire. 101”. La bipolarité été / hiver est très marquée dans les textes et lorsque une saison est citée c’est très souvent par opposition à l’autre. L’hiver seul est cité dix-huit fois dans le recueil de Correas, l’été six fois, la confrontation des deux saisons apparaît par contre dans vingt-neuf proverbes. C’est donc l’année dans son ensemble qui est envisagée dans ces derniers, les saisons ne servent ici qu’à mieux appréhender cette période et ses deux grandes composantes. 3 / Confrontation des données obtenues Le sous-chapitre consacré aux mesures artificielles du temps visait entre autre à mettre en valeur le jour et l’année comme durées et repères privilégiés par le peuple du bas Moyen Age. Ceci au détriment du mois, de la semaine et des heures. Nous nous rendons compte sans surprise que ce constat s’insère très bien avec l’appréciation naturelle du temps, basée sur les cycles solaires. De là à affirmer que le peuple avait une conception essentiellement naturelle du temps, ce serait conclure précipitamment. Il faut toujours avoir à l’esprit le nombre très important de références aux mois et aux saints de l’année notamment, et ceci implique une certaine connaissance des calendriers civils et religieux. J. Attali102 présente le peuple médiéval des campagnes comme exclusivement attaché au rythme de la nature, connaissant à peine le jour de la semaine ni les dates de l’année. Nous verrons par la suite à quel point l’on peut appuyer ou infirmer cette hypothèse mais elle est certainement exagérée103. Etudier à quels indicateurs temporels (naturels ou artificels) se réfère-t-on le plus, peut nous aider à préciser les propositions précédentes II / Les indicateurs temporels : Par l'intermédiaire des indicateurs temporels, les milieux populaires pouvaient avoir une perception concrète du temps chronologique. Par conséquent, lorsque ces indicateurs manquent, l’homme du Moyen Age devait basculer dans un système abstrait de représentation du temps. Ceci n’était pas nécessaire cependant sur la durée d’une année. La fréquence du recours à tel ou tel type d’indicateur permet de nous aider à comprendre à quel point les milieux populaires étaient proches de la nature. De plus, ces indicateurs temporels renvoient à une certaine conception de la société et de la nature qu’il est intéressant d’étudier. Nous présenterons tout d’abord les indicateurs temporels “ artificiels ” tels qu’ils apparaissent dans les proverbes et chansons traditionnelles. Nous nous pencherons par la suite sur les indicateurs naturels pour confronter enfin l’ensemble dans une dernière partie. 1 / Officiels a / La cloche 101 Quand la Chandeleur [début février] pleure, l'hiver est parti; si elle ne pleure ni vente, l'hiver reste, et quand elle rie, il veut venir. Correas nous aide à comprendre ce proverbe : s’il pleut beaucoup début février, la saison des pluies touche à sa fin et l’été approche, sinon il pleuvra encore après et l’été se fera attendre. 102 J. Attali 1982 p. 125 103 Il aurait été intéressant, dans ce sens, de pouvoir déterminer quel calendrier les milieux populaires utilisaient le plus. En effet, la détermination religieuse du temps se cadre plus sur le cycle naturel, au moins en ce qui concerne la répartition des heures. Ceux-ci s’expriment principalement sur l’intervalle d’une journée, et dans ce cadre la cloche tient bien sûr une place privilégiée. Le mot cloche (ou le champ sémantique qui y est lié) apparaît assez régulièrement dans nos textes : dix-huit fois dans le Cancionero traditionnel, cinq fois dans le recueil d’E. O’Kane et une dizaine de fois dans celui de Correas. Nous constatons que les proverbes font finalement assez peu trait à la cloche. Cela tient certainement à la nature du proverbe qui traite rarement un sujet pour luimême mais confronte divers éléments dans le but de délivrer un message, un sermon... Ce constat n’est d’ailleurs pas spécifique à la cloche mais est valable pour la plupart des indicateurs temporels. De par sa nature plus narrative, les chansons traditionnelles font plus souvent référence aux indicateurs temporels, de quel type que ce soit. En outre, le thème central du Cancionero est celui de l’amour, sujet qui, par nécessité, est très lié au temps : certains mois / saisons sont plus propices aux ébats amoureux, le jour, la nuit, l’aube ont un rôle déterminant dans la symbolique liée à la lyrique courtoise et traditionnelle. Comment se réfère-t-on à la cloche ? Quelles sont ses différentes fonctions ? Est-elle plutôt civile ou religieuse dans les textes ? Notons tout d'abord la forme impersonnelle utilisée lorsque l'on traite de sonner les cloches. Ainsi la troisième personne du pluriel (qui exprime le “on” en espagnol) est utilisée presque systématiquement: “ Las ánimas han dado... ” “ Tañen a la queda... ” (Alín #124). La cloche n'est pas abordée comme outil autonome mais pas rapport aux personnes qui la sonne. Cependant, l'utilisation du “on” sous-entend que l'utilisation de la cloche est du domaine de la communauté et non d'un individu. Cependant, quand la tournure impersonnelle n'est pas utilisée, la cloche devient associée à certains groupes sociaux. La cloche devient un instrument de contrôle de la communauté : la cloche est un instrument inhérent à celle-ci, soit, mais est en possession d'un groupe ou d' un individu. Celui-ci maîtrise donc le temps horaire de cette communauté. Qui contrôle donc la cloche ? Nous savons que celle-ci fut instaurée au haut Moyen Age par les monastères. Au XIVe et XVe siècles, elle n’est plus exclusivement utilisée par les ordres religieux et les pouvoirs civils en avaient aussi le contrôle104. Les proverbes nous renseignent en ce sens : trois se référent à la cloche comme contrôlée par les pouvoirs civils, quatre sont liés explicitement à l’Eglise, cinq sont associés à l’annonce d’un office religieux ou d’une mort et trois derniers proverbes sont indéterminés. Le Cancionero traditionnel ne nous aide pas beaucoup, quinze sont indéterminés (la troisième personne du pluriel est la plupart du temps utilisée) et trois concernent l’appel à la messe ou la sonnerie des morts. Voici comment l’on pourrait résumer la situation : Nous ne pouvons pas déterminer, en milieu urbain, qui sonne les cloches, seuls les proverbes suivants semblent confirmer l’utilisation de la cloche par les pouvoirs civils : “ Por las haldas del Vicario sube el diablo (o la moza) al campanario105 ” et surtout “ A qual barba, tal scala, qual concello, tal campana106.” (Romancea, prov. 365). En outre la cloche a son rôle en temps de guerre : “ Tañen a la queda..107. ”, “ En Campaña madre / tocan a la leva... 108” (Alín #124 & 927). Dans les campagnes cependant, nous possédons plus d’informations. “ Las campanas de 104 J. Attali 1982 p. 76 Pour les robes du Vicaire monte le diable [ou les jeuens filles] au campanile. 106 A telle barbe, tel honneur, tel conseil, telle cloche. 107 On sonne le couvre-feu.. 108 Dans les campagnes ma mère, on sonne la levée... 105 Anadón, quien los toca suyas son. 109”, ce genre de proverbe se répète plusieurs fois. Voici ce que Correas nous apprend à ce propos : “ ...porque en chico lugar casi no hay quien las taña sino el dueño110 ”. Dueño est pris ici comme propriétaire des cloches ? du village ? chef du village? Nous ne pouvons en savoir plus. L’association cloche / Eglise paraît cependant être déterminante : “ Quien lleva las obladas, que taña las campanas 111”, “ Bienes de Iglesia son bienes de campana, Dios los da y el diablo los derrama 112” (ce proverbe est utilisé lorsque l’on se plaint que l’argent donné à l’Eglise est gaspillé de façon ostentatoire). L’association Eglise / cloche est encore plus forte dans deux autres proverbes où l’on utilise simplement la métaphore : “ Bienes de campana, si florecen, no granan113 ”... L’Eglise utilisait de plus la cloche pour appeler les fidèles à la messe “ Mi querido es ydo al monte / y ya tañen la oracíon : / no se puede tardar, non. 114” (Alín #852)... et l’on peut remarquer ici que l’appel à la messe servait aussi de repère temporel. L’Eglise sonnait les cloches à l’annonce d’une mort comme le montre le villancico suivant : “ Tañen a la misa / repican a las dos / murióse una vieja / perdónela Díos 115” (S. R. #402). La cloche paraît donc principalement être liée à l’Eglise, du moins dans les campagnes. Par extension, la mesure artificielle du temps semble être plutôt contrôlé par celle-ci. Ses pratiques lithurgiques régulières pouvaient, par ailleurs, aussi fournir des points de repère dans la journée : “ En hora mala Antonela, fuistes a misa y volvistes a nona116 ”. Autres indicateurs L’Eglise n’offrait pas seulement des points de repère temporels, mais aussi des durées de référence dont le peuple pouvait avoir recours pour mesurer une période de temps plus ou moins courte. Nous avons déjà parlé de l’heure comme plus petite unité temporelle officielle utilisée. Nous savons cependant que l’on utilisait certaines durées de référence pour mesurer le temps très court, le temps d’un Pater Noster117 par exemple. On ne trouve aucune référence de ce type dans les recueils étudiés mais les proverbes suivants : “ Esos son mis misas y mis pasatiempos118 ”, “ Irse antes de ite misa es.119 ” montrent que prière ou messe pouvaient, à l’occasion, être utilisées dans un sens chronologique. b / L'horloge Existe t’il un temps exclusivement civil ? Très peu de textes nous renseignent à ce propos. Mais à part la cloche, l’horloge pourrait être considérée comme instrument civil du contrôle du temps. Le recueil de M. O’Kane y fait peu allusion (trois références), le Cancionero pas du tout. Celui de Correas est plus fourni (une dizaine de références) 109 Les cloches d'Anadón, celui qui les sonne les possède. Car en petit lieu, il n'y a presque personne qui les sonne sinon leur propriétaire (?). 111 Celui qui lève l'obole, qu'il sonne les cloches. 112 Biens d'Eglise sont biens de cloche, Dieu les donne et le diable les gaspille. 113 Biens d'Eglise, si ils florissent, ils ne portent pas de fruits. 114 Mon amour est parti à la montagne / et déjà on sonne l'oration : / il ne peut plus tarder, non. 115 On sonne la messe / on resonne à deux heures / un vieille est morte / que Dieu lui pardonne. 116 En mauvaise heure, Antonella, tu t-en fus à la messe et tu revins à none. 117 Attali 1982 p. 123, E. Le Roy Ladurie, Montaillou : Village occitan de 1294 à 1324, Paris, 1975 p. 419 110 118 119 Ce sont mes messes et mes passe-temps. S'en aller avant le ite misa es. mais est déjà plus tardif (début XVIIe Siècle). Un proverbe extrait de ce dernier est toutefois intéressant : “ En lugar do no hay reloj, hoj.120 ” et Correas nous explique “ ....porque es pobre y no se ha de hacer allí mansión 121” mais l’horloge n’était pas tant répandue, à la fin du Moyen Age, pour que ce proverbe puisse être pris au pied de la lettre. Rien de concluant, donc, en ce qui concerne le contrôle civil du temps. c / La chandelle Il existe enfin un dernier moyen artificiel d’appréhender le temps : la chandelle. La chandelle offre tout d’abord une durée de comparaison, liée à la vitesse à laquelle elle fond. Mais peut-être le plus important est que la chandelle permet de se dégager du rythme contraignant du cycle jour / nuit. Elle est d’ailleurs fondamentalement associée à la fois à la lumière et à l’obscurité. A la lumière comme l’image positive et sociale qu’elle dégage, “ candil de la calle...122 ” par exemple, renvoie à l’image de quelqu’un qui a un comportement agréable en dehors de chez lui, “ como unas candelas 123” s’utilise pour désigner quelque chose de gracieux. Mais lorsque qu’elle est consumée, l’obscurité et ses connotations revient : “ Cuando viene la mecha no aprovecha124 ”. La bougie est de plus, souvent utilisée comme métaphore ou comparant de la vie. Ainsi dans ce très beau proverbe “ Com la candela mesma, cosa tal es el omre / Franco : que se ella quema por dar a otro lomre125. (Sem Tob Prov morales 297-298) ” ou encore “ Media vida es la candela, pan y vino la otra media. 126”. Par extension, elle est aussi liée à la mort (“ Acabáse la candela 127” est utilisé pour mourir) et il semble que l’on allume la bougie en cas de décès : “ Estar con la candela en la mano 128” signifie être sur le point de mourir, ou encore dans ce proverbe “ Hongo (aussi Caracol de...) de mayo, candela en la mano. 129”. La bougie est ainsi un symbole idéal comme représentation du temps à la fois chronologique et humain. 2 / Les indicateurs naturels Ils sont très nombreux et nos textes ne nous donnent certainement qu’un aperçu de cette variété. Nous présenterons tout d’abord ceux qui concernent la journée puis ceux qui permettent de se repérer dans l’année. a / Au quotidien Le jour et la nuit L'ensoleillement est bien sûr l’indicateur incontournable pour appréhender la journée mais la position du soleil dans le ciel n'est jamais abordée. Il est assez difficile de se faire une idée précise des images associées au jour, à la nuit, à l’aube... dans nos textes. Ces notions apparaissent régulièrement dans le Cancionero mais sont assez 120 Où il n'y a pas d'horloge, (?) (éviter ?). Car le lieu est pauvre et on ne doit pas s'y établir. 122 Chandelle de la rue... 123 Comme quelques bougies. 124 Quand arrive la mêche, on ne profite plus. 125 La chandelle est à l'image de l'homme, Franco (?), elle se consume pour donner de la lumière aux autres personnes. 126 Une moitié de vie est la chandelle, pain et vin l'autre moitié. 127 La chandelle s'est éteinte. 128 Etre avec la chandelle à la main. 129 Champignon (ou escargot) de mai, chandelle à la main. Correas : Car il tue. 121 contradictoires. En effet, la nuit est présentée comme la période idéale de l’amour. Des villancicos du type “ Nochecitas de Julio /y ayres del Prado, / dezí a mis amores / que aquí me aguardo. 130” (Alín #758) sont couramment cités dans le Cancionero traditionnel. Néanmoins, nous rencontrons, à propos de la venue du jour le type de poème suivant : “Venga con el día / el alegría, / venga con el alva / el sol que nos salva.131” (Alín #840). Le Cancionero n’est, de toute façon, certainement pas très révélateur des perceptions liées au jour et à la nuit, dans le sens où l’amour est le thème central, et les autres concepts ne sont souvent abordés qu’en fonction de celui-ci. La nuit était vue au Moyen Age comme une période néfaste selon J. A Garcìa Cortázar132, comme “ ....momento del pecado y del diablo 133”. Du point de vue chronologique, il faut souligner que, dans les campagnes, le temps “ s’arrêtait ” avec la nuit. Le décompte des heures religieuses par exemple ne concernait que la journée, la première cloche était sonnée à environ trois heures du matin. Et même si le système civil des heures était adopté, il y a fort à parier que personne ne les sonnaient pendant la nuit. En ville par contre, avec le décompte régulier des heures, la perception négative de la nuit a certainement évolué. Elle devient moins ce grand vide qui sépare le coucher et le lever du soleil (on utilise par exemple “ Entre dos luces134 ” pour dire que l’on est en doute), mais passe à un temps rythmé, contrôlé (donc rassurant) par la cloche puis par les horloges. Tout cela n’est cependant que conjoncture, nos proverbes et chansons nous renseignent assez peu à ce sujet. En ce qui concerne les proverbes, nous soulignerons seulement que à “ noche135 ” est souvent lié le qualificatif “ mala136 ” ou une connotation négative du genre “ La noche es capa de pecadores 137”. Peut-être le proverbe suivant rend-il mieux compte de la réalité des perceptions liées à la nuit : “ Más fea, y más feo que la noche 138” mais nous ne pouvons pas tirer de conclusions définitives. Le coq La venue du jour et de la nuit est annoncée par le coq, animal de tous temps chargé de symboles. Il apparaît régulièrement (une quinzaine de fois) dans le Cancionero et presque toujours pour sa fonction d’indicateur temporel. Ce n’est pas le cas dans les recueils de proverbes, le coq y est beaucoup plus pris dans son sens social. C’est l’homme du lieu, avec une certaine connotation hiérarchique : “ No es buen año cuando el pollo pica al gallo 139”, “ Cada gallo canta en su gallinero140 ”. Mais il ne faut pas s’y tromper, le coq est un indicateur temporel privilégié. Voici un proverbe très explicite en ce sens : “ Vámonos a costar, Pero Grullo, que cantan los gallos a menudo; hilar, 130 Courtes nuits de juillet / et airs du pré / dites à mes amours, / qu'ici je les attends. Vient avec le jour / l'allégresse, / vient avec l'aube, / le soleil qui nous sauve. 132 J. A. García de Cortazar, La pluralidad de marcos de relacíon social : del caserío a España, dans J. M. Jover Zamora (dir.), Historia de España, Menéndez Pidal, vol. XVI (La época del gótico en la cultura española), Madrid, 1997 p. 208 133 période du péché et du diable. 134 Entre deux lumières. 135 nuit 136 mauvaise 137 La nuit est cape du pécheur. 138 Plus laid (ou laide) que la nuit. Correas : exagérant la laideur de quelqu'un. 139 Ce n'est pas une bonne année (les temps sont mauvais) lorsque le poulet pique le coq. 140 Chaque coq chante en son poulailler. 131 hilar Teresita, que si los gallos cantan no es hora.141 ”, le coq indique ici l’heure du coucher. Plus généralement, le coq annonce l’aube. Nous rencontrons dans le Cancionero traditionnel une dizaine de villancicos du type “ Ya cantan los gallos / buen amor, y vete / cata que amanece 142” (Alín #95). Le villancico suivant donne encore plus de précision “ .../Dijiste que al gallo primo, viniese a holgar conmigo / ... 143”. Le coq dépasse d’ailleurs sa fonction d’indicateur temporel, il sert aussi à se repérer dans l’espace : “ Voces daba la pava / allí en el monte / el pavó era nuevo / y no responde144 ” (S. R. #377) et comme souvent au Moyen Age, la notion de temps ou de lieu est très ambiguë : “ Camina señora / si queréys caminar, / pues los gallos cantan / cerca está el lugar145 ”. Cette ambiguïté est très bien exprimée par le fait que l’on place souvent un coq sur un clocher d’église. Il y est à la fois symbole du temps chronologique et climatique ainsi que veilleur sur l’horizon. Enfin, le coq a dans les proverbes une connotation généralement positive, liée au bonheur et à la chance, comme dans les proverbes suivants : “ Otro gallo le cantara, si buen consejo tomara146 ”, “ Buen gallo le cantó147 ”. Par opposition, en période néfaste, le coq ne chante pas : “ Cuando yo nascí / era hora menguada / ... / ni gallo cantaba / ... / faltóme ventura.148 ” (Alín #501) Comme à la cloche ou à la chandelle, tout un système d’idées et d’associations était lié au coq, système dont nos textes nous donnent un aperçu intéressant. Autres oiseaux Enfin, la venue du jour était aussi annoncée par les oiseaux sauvages. Le Cancionero y fait référence une demi-douzaine de fois. L’allusion peut être faite en termes généraux : “Ell alba se venía,/ los aves lo mostraban, / …149” (Alín #156) ou concerne un oiseau en particulier, le rossignol par exemple est plusieurs fois (quatre) cité : “ Recordedes, niña, / con el albore, / oiredes el canto / del ruiseñore. 150” (Alín #929) ainsi que la perdrix: “ Cantó al alba la perdiz / ¡Más le valiera dormir.151 ” (S. R. #451) b / Les indicateurs naturels dans le temps annuel Les astres Le peuple avait aussi, sur l’année, de nombreux indicateurs naturels à sa disposition. Le repérage par rapport aux étoiles était couramment utilisé. L’observation des astres n’était d’ailleurs pas l’apanage du peuple: l’astrologie, science dérivée de l’observation de ceux-ci était pratiquée dans tous les milieux cultivés, y compris par l’Eglise152. Le 141 Allons nous coucher, Pedro Grullo, que les coqs chantent souvent. Filer, filer petite Thérèse, que si les coqs chantent, ce n'est pas encore l'heure. 142 Déjà chantent les coqs / bel amour, et voit, / regarde le jour se lever. 143 Tu m'avais dit qu'au premier coq, tu viendrais te retirer avec moi / ... 144 Le paysan criait, / là-haut sur la montagne, / le coq était nouveau / et ne répondait pas. 145 Cheminez, ma Dame, / si vous voulez cheminer, / les coqs chantent / prés est le lieu. 146 Un autre coq lui chantera, si bon conseil il prend. 147 Bon coq le lui chanta. 148 Quand je naquis / c'était en heure déclinante, / ... / ni coq chantait / ... / je manquai de chance. 149 L'aube venait / les oiseaux l'indiquaient, / ... 150 Rappelez-vous, jeune enfant, / avec l'aube, / vous entendrez le chant / du rossignol. 151 La perdrix chanta à l'aube / il aurait mieux valu qu'elle dorme. 152 Ce que s'attache à illustrer C. Fraker dans Astology in the Cancionero de Baena, dans Studies on the Cancionero de Baena, Univ. of North Carolina Chapel Hill Press, 1966 moment de la naissance était censé déterminer le tempérament d’une personne et nous verrons au chapitre 4 comment horoscopes, jours fastes et néfastes étaient perçus au bas Moyen Age. Le moins que l’on puisse dire est que l’on savait observer les étoiles et de nombreux proverbes reflètent une certaine connaissance de l’astronomie. Basique dans certains cas “ Estrella boyera vaite a acostar, que los tus boyeritos se van a cenar.153 ”…, on savait situer les solstices : “ Santa Lucía, mengua la noche y crece el día154 ” (Santa Lucía tombait le 23 décembre avant la réforme grégorienne du calendrier), “ Día de San Barnabé, dijo el sol : aquí estaré. 155” (correspond au solstice d’été). En outre plusieurs autres textes dénotent une connaissance assez poussée dans l’observation des astres “ Cuando el sol està en león, buen pollo ...156 ”, “ Cuando el sol entra en Aries... 157” “ Cuando las Cabrillas se ponen a hora de cena...158 ”... Si nous devons rester prudents dans l’interprétation de ce genre de commentaire, il semble à peu près certain que l’on savait, dans les milieux populaires, se repérer grossièrement par rapport aux constellations et aux astres. La question de la lune est par contre beaucoup plus délicate à traiter . La notion de cycle de la lune plus que celle d’indicateur temporel transparaît dans les textes: “ Tiene más mudanzas que la luna. 159”, “ No fiés de la fortuna, mira que es como la luna160. ”... Des proverbes existent pour reconnaître dans quelle phase elle se trouve : “ Luna en creciente, cuernos al oriente.161 ” et “ Luna en menguante, cuernos adelante.162 ”. Certaines croyances y sont associées “ Cuando menguare la luna, no siempre es cosa buena.163 ”, “ Si supiese la mujer que cría las virtudes de la ruda, buscarla hía de noche a la luna. 164”... Seuls les proverbes suivants pourraient laisser croire que l’on suit le cours de la lune : “ La luna merculina, de agua u de neblina.165 ” et “ La quinta luna, cual la vieres tal la pinta.166 ”. Le premier laisse sous-entendre que l’on note quand commence le cycle lunaire et le deuxième implique un décompte de ces cycles. Nous pouvons trouver, de plus, trois versions similaires de ce proverbe : “ Clara luna es la de agosto, si la de enero la diese en rostro167. ” Ce constat nécessite une certaine observation des cycles lunaires. Cela parait insuffisant toutefois, pour se prononcer en faveur d’un repérage chronologique par rapport à la lune. Autres indicateurs naturels 153 Etoile du berger, va-t-en te coucher, / que tes bergers s'en vont diner. Santa Lucía, la nuit décline et le jour s'accroit. 155 Jour de San Barnabé, dit le soleil : ici je serai 156 Quand le soleil est en lion, bon poulet... 157 Quand le soleil entre en Ariès, ... Notons que cette sitation du soleil par rapport aux astres pouvait être inclue à même le calendrier religieux. 158 Quand les chrevrettes se mettent à l'heure du dîner... 159 Il change aussi souvent que la lune. 160 Méfie-toi de la fortune, dis-toi qu'elle est comme la lune. 161 Lune croissante, cornes vers l'orient. 162 Lune décroisssante, cornes en avant. 163 Quand décroît la lune, ce n'est pas toujours bon signe. 164 Si la femme savait que les vertus de la “ruda” (plante médicinale) augmentent, elle la chercherait (?) de nuit à la lune. 165 Lune merculine, d'eau ou de neige. Correas nous apprend que l’on entend par luna merculina la lune qui commence le mercredi. 166 La cinquième lune, telle tu la vois, telle elle se présente (?). 167 Claire est la lune d'août, si celle de janvier présentait son visage. 154 La gamme des indicateurs temporels annuels ne se limite pas aux astres et planètes. L’observation de la nature en évolution fournissait aussi des moyens de se repérer dans l’année. Nous trouvons par exemple de nombreux commentaires à propos des oiseaux. L’hirondelle et le coucou sont les plus cités. Nous les trouvons respectivement dans quatre et six proverbes dont les sens sont similaires aux deux suivants : “ A quince de Marzo, da el sol en las sombrías y canta la golondrina168 ”, “ Si el cuco no canta entre mayo y abril, o el es muerto o la fin quiere venir.169 ”. Trois autres proverbes font allusion à la venue de la cigogne, au chant du rossignol et de l’abubilla (?), autant d’oiseaux, autant de repères possibles. Il est important de noter que l’on n’attend pas des oiseaux qu’ils fournissent une indication chronologique précise. Ils déterminent par contre la fin de l’hiver et il est très vraisemblable que l’on attendait l’apparition de ces oiseaux pour considérer que l’on se trouve en été ou que la venue de cette saison approche. Comment l’hiver était-il annoncé ? Par la chute des feuilles, principalement. Et par extension, la feuille devient le symbole de l’entrée en hiver, avec toutes les associations qui en dérivent. “ Al caer de la hoja170 ” par exemple, s’utilise lorsque que l’on pressent qu’une personne, vieille ou malade, ne survivra pas à l’entrée de l’hiver. On prévoit aussi l’hiver avec des observations de ce type : “ Cuando hay uvas y higos, adereza tus vestidos.171 ”et de manière générale, à chaque partie de l’année était rattachée une caractéristique du milieu végétal : “ Por San Cebrían, castaña en la mano 172”, “ Por San Justo y pastor, entran las nueces en sabor...173 ”... Il est difficile de savoir dans ces cas précis si l’on se repère par rapport à la maturité des noix et autres ou si c’est aux dates indiquées que l’on s’attend à commencer la cueillette des noix ou des châtaignes. Il existe cependant une dizaine de proverbes qui ne font pas mention de repére chronologique officiel . Par exemple, “ Cuando las habas son en grano, una higa para nuestro amo.174 ” ou “ En el mes de uvas... 175”, “ Al tiempo de las bravas... 176”, “ Al tiempo de higo... 177” “ Ya florecen los almendros.178 ”... Le proverbe qui suit montre que l’on avait conscience à la fois du rythme végétal et des durées d’ensoleillement et , par extension, de la situation dans le temps annuel: “ Cuando florece el melocotón, el día y la noche de un tenor son.179 ” Il parait donc très vraisemblable que les milieux populaires, particulièrement à la campagne appréciaient aussi (et surtout ?) l’année en fonction du rythme des saisons et du monde végétal. 3 / Confrontation des données : 168 Au quinze mars, le soleil donne dans les recoins ombragés et chante l'hirondelle. Si le coucou ne chante pas entre avril et mai, ou il est mort, ou la fin veut venir. 170 A la chute de la feuille. 171 Quand raisins et figues il y a, apprète tes vètements. 172 Pour la San Cebrían, chataîgne en main. 173 Pour San Justo et Pastor, entrent les noix en saveur. 174 Quand les fêves sont en grain, une figue pour notre maître. 175 Au mois des raisins... 176 Au temps de fêves 177 Au temps des blés 178 Déjà fleurissent les amandiers 179 Quand fleurit le pécher, le jour et la nuit d'égale mesure sont. 169 Il me semble nécessaire, avant de confronter ces différentes observations, de souligner un trait commun, propre à tous les indicateurs temporels que nous avons analysés : la charge symbolique qui est liée à chacun d’entre eux. Cela implique que le temps chronologique en général, appelle, dans les mentalités médiévales à la symbolisation. Dans un sens, on s’attache, pour appréhender, à des notions concrètes, mais à l’inverse, ces notions concrètes se chargent d’attributs et de caractéristiques dérivés et abstraits : bougie et mèche consumées symbolisent la vie et la mort, la feuille qui tombe symbolise l’hiver et par répercussion l’hiver de la vie, un coq qui chante renvoie à la notion de chance... La symbolisation permet par conséquent de dépasser le cadre chronologique figé d’une certaine période, et de s’adapter à plus ou moins toute échelle temporelle : au temps de l’homme voire au temps de l’humanité. Nous pouvons à présent tenter d’opposer les indicateurs temporels naturels et artificiels. Concentrons nous sur le Cancionero, le plus prolixe et le plus pertinent à analyser de ce point de vue. Si nous relevons les références qui relèvent explicitement d’une mesure officielle du temps sur la journée (“ Las tres de la noche han dado...180 ” “ ... / tañen a la oración/.... 181” (Alín #746 & 852) ) et celles où l’on se réfère à des indicateurs naturels (“ Ya cantan los gallos /....182 ” “ Cantó al alba la perdiz / .... 183”...), nous en dénombrons neuf dans le premier cas, dix-huit dans le second : le double. Les résultats parlent pour eux-mêmes surtout si l'on ajoute que le nombre des indicateurs officiels sont souvent associés à une ville ou un contexte urbain. Cependant, si nous nous fixons sur les indicateurs naturels, nous constatons que dans la très grande majorité des cas, ils concernent le début de la journée, l’aube, le moment où l’on se réveille. Nous pouvons tirer deux conclusions de ceci : Ou les milieux populaires, comme le suggère J. Attali184, sont indifférents au décompte horaire de la journée et ne s’intéressent qu’au moment où ils se lèvent. Ou bien, l’appel de l’aube est très important, dans le sens où le jour arrive et l’on peut retourner à ses activités quotidiennes, ce qui n’empêche pas que l’on prête une certaine attention au décompte officiel des heures de la journée. Je pencherai pour cette dernière hypothèse pour plusieurs raisons. Tout d’abord car il semblait impossible de délaisser le système naturel de mesure du temps pour artificiel, tout simplement car il était mieux adapté. C’est à la lumière du jour que s’effectuaient la plupart des activités journalières. Par conséquent, c’est avec la venue du soleil que la journée commençait. Il fallait nécessairement ou se repérer avec le jour, ou avec un animal, le coq ou autre, qui l’annonçait. Ceci explique peut-être l’emphase portée sur ces indicateurs. Mais cela n’empêche absolument pas qu’à ce système naturel de repérage, l’individu ne superpose le système officiel de décompte des heures. Nous avons déjà remarqué que certains proverbes mélangent des mesures temporelles artificielles différentes (“ En hora mala Antonela, fuistes a misa y volvistes a nona185 ”. Entre once y nona186 ”), pourquoi ne pas associer les indicateurs naturels et officiels du temps ? Peu d’évidences apparaissent cependant dans nos textes à ce propos. Seul le villancico suivant argumente assez clairement en faveur de cette 180 On a sonné les trois heures On sonne l'oration 182 Déjà chantent les coqs... 183 La perdrix chante à l'aube 184 J. Attali 1982 p. 123 185 En mauvaise heure, Antonella, tu t-en fut à la messe et tu revint à none. 186 Entre onze heures et none. 181 hypothèse : “ Aunque nos os despierte el gallo / despertad, divino amor, / que las campanillas del día dizen que viene el albor187 ”. Cette nuance posée, il apparaît néanmoins que les milieux populaires n’avaient recours que sporadiquement aux systèmes officiels de décompte des heures. Le même genre de réflexions pourrait-être appliqué à la mesure annuelle du temps. Il n’existait pas d’indicateurs artificiels du temps annuel188. Cela imposait la nécessité d’avoir une perception abstraite du temps annuel ou de recourir à des indicatuers naturels. Les milieux populaires se tournaient sans aucun doute vers ceux-ci. Il était de toute façon nécessaire d’observer la nature et ses indicateurs, que ce soit pour le temps climatique, chronologique... le peuple était dépendant des récoltes et il devait pouvoir faire ses prévisions pour ne pas mourir de faim aux moments critiques. Les proverbes du type “ Cuando la sementera vieres tronar, vende los bueyes y échalo en pan.189 ” (la construction est toujours la même : une caractéristique néfaste est annoncée, il faut vendre le bœuf et acheter du blé avec l’argent récupéré, avant qu’il ne soit trop tard) jalonnent les refraneros. Certains proverbes montrent, de plus, que l’observation de la nature déterminait l’activité humaine, agricole bien sûr, mais pas uniquement : l’élevage “ Cuando hay nieblas en Hontejas, apareja tus ovejas.190 ” par exemple, mais aussi les activités artisanales “ Cuando comienzan las uvas a madurar, comienzan las mozas a hilar. 191” paraissent être liés aux cycles naturels. En outre, nous avons vu que les saisons ne sont pas perçues comme fixes et comme pour la venue de l’aube, les oiseaux, migrateurs ou non, indiquaient de manière privilégiée la venue de l’été pour le moins. Le lien temps / nature s’exprime très bien dans le villancico / proverbe suivant qui s’emploie pour imager que quelque chose n’arrivera jamais : “ Promotió mi madre / de no me dar marido / hasta que el perejil / estuviese nacido. 192” (S. R. #455). Nous ne pouvons donc nier l’utilisation du système naturel d’appréciation du temps. Mais cela ne réfute pas le fait que l'on puisse connaître le décompte officile du temps. Le calendrier civil divisait l'année en douze mois donc était assez facile à retenir. Le calendrier religieux, d'un autre coté, exprimait un temps essentiellement social, communautaire donc le vulgaire pouvait être intéressé à en connaître les grands traits. Ce calendrier était, en outre, proche des cycles naturels (nous avons déjà souligné les liens entre le calendrier religieux et les cycles solaires). De plus, le calendrier religieux ne nécessitait pas de se projeter trop abstraitement dans le temps de l’année car ses temps fort suivaient l’histoire du Christ; sans entrer dans les débats de religiosité populaire, nous pouvons supposer qu’elle était connue et pouvait par conséquent proposer un canevas sur lequel l’individu du bas Moyen Age pouvait s’appuyer. Nous comprenons qu'il est trés difficle de trancher le problème, à partir du moment où nos textes s'intéressent à toutes les mesures du temps. L'intérêt léger (mais non nul) pour le décompte des heures, la semaine et le mois laissent présumer que la nature dictait son rythme mais nous venons de voir que nous ne pouvons rien conclure définitivement à partir de nos seules sources. 187 Bien que ne nous réveille pas le coq, / réveillez-vous, divin amour, /que les cloches du jour disent que l'aube approche. 188 Pour le moins, aucun à la portée d'un peuple en grande majorité illétré. 189 Quand les semailles tu vois givrer, vends les boeufs et change-les en pain. 190 Quand la neige apparaît en Hontejas, accouple tes moutons. 191 Quand les raisins commencent à mûrir, les jeunes filles commencent à filer. 192 Ma mère me promit de me donner un mari, / avant que le persil ne soit né. III / L’acuité dans le repérage du temps court Nous avons abordé les différentes possibilités de se repérer dans le temps au Moyen Age. Le problème central reste cependant le suivant : les milieux populaires avaient-ils une notion précise du temps, savaient-ils utiliser les moyens à leur disposition pour se repérer chronologiquement ? Nous nous centrerons sur deux aspects de la question : le repérage par rapport au jour et l’expression de la mesure “ quantitative ” du temps, autrement dit, avec quel degré de précision les durées étaient-elles exprimées. 1 / Le jour, une unité précise ? L’individu savait-il se situer ou situer un fait, une situation dans le temps ? Nous avons vu que les milieux populaires médiévaux disposaient de nombreux moyens pour se repérer dans le temps, par l’intermédiaire des mesures civiles, religieuses ou naturelles du temps. Ces différents moyens d’appréhender le temps les aidaient-ils à avoir une vision claire du temps chronologique, où à l’inverse, cette profusion de bornes temporelles n’embrouillait-elle pas sa perception du temps ? Nous pourrions présenter le problème d’une autre façon: le recours, dans les textes, aux différentes bornes temporelles peut-elle nous aider à mesurer l’acuité avec laquelle le peuple utilisait cette division du temps? Un rappel ici permet d’éclaircir notre champ de recherche : Nous avons vu en effet que si plusieurs découpages possibles du temps existaient, les unités chronologiques fondamentales sont le jour et l’année. On ne recourrait au calendrier civil, par exemple, guère que parce qu’il proposait une division pratique de l’année. Les textes ne se réfèrent presque jamais au mois comme durée chronologique intrinsèque, divisée en trente ou trente et un jours. Certains font exception, le proverbe suivant par exemple : “ Al quinto día verás que mes habrás 193”, mais sont trop rares pour servir de contrearguments. Nous avons vu que la semaine n’avait pas plus de succès. Le jour, donc, était l’unité privilégiée du découpage du temps annuel. Le jour peut, en outre, être utilisé comme mesure naturelle délimitée par le soleil, comme composant de la semaine, de même que comme jour de l’année symbolisé par une fête religieuse ou un Saint; pour ne parler que de ce qui ressort le plus fréquemment des textes. Qu’implique le fait de se concentrer sur cette unité temporelle ? Les différentes possibilités d’intercaler, de situer la journée à l’intérieur de tous ces systèmes de mesure du temps n’embrouillaient elles pas la perception de cette unité pourtant simple ? Il peut être intéressant à ce propos de se concentrer sur le cas des Saints. Au Saint originel pouvait-être associé un jour mais aussi un lieu (un village peut porter un nom de Saint et chaque communauté urbaine avait son Saint protecteur). De même une caractéristique pouvait lui être associée, tirée de sa vie sur terre ou dans le ciel, les clefs de Saint Pierre par exemple. Cela pouvait se répercuter, en terme de temps chronologique, dans le proverbe suivant : “ Los caniculares entran con abad y salen con abad194 ” (Ces deux abbés sont San Bernardo en Juillet et San Benito en Août). En outre, le peuple associait à une journée de célébration d’un saint une caractéristique liée à ce que la tradition veut qu’on y fasse : on tue le cochon par exemple à la Saint Martin (ce qui donne “ A cada puerco le viene su San Martín195 ” utilisé pour quelque chose qui doit fatalement arriver), on ramasse les olives à la Santa Catalina... L’association Saint / 193 Au cinquième jour, tu verras quel mois tu auras. Les canicules entrent avec l'abbé et sortent avec l'abbé. 195 A chaque cochon lui vient sa San Martín. 194 activité peut aller très loin : “ A tocinos salados, no nacen cuartanas, sino entre hoces y marranas.196 ” (Correas nous apprend que “ tocinos salados ” est utilisé pour jour de Saint Martin, hoces, jour de la Saint Jean et marranas pour la Toussaint). On invente de plus des jours de Saints pour certaines circonstances : “ El día de San Fernando huelga el mozo, aunque le pese el amo .197” (Saint Fernando n’a rien d’un Saint officiel, on appelle cependant “ día de San Fernando ” un jour de pluie) ou bien “ Día de San Briz, tal día natal hiz.198 ”. (San Briz est une construction tirée du verbe brizar199...), “ Sant Antruejo, santo bueno, ...200 ” (Sant Antruejo est en fait un “ anti-Saint ”, lié au carnaval et aux manifestations populaires, il symbolise la gourmandise, l’ivresse, l’excès...201). Le jour de Saint va jusqu’à être personnifié par le Saint lui même : “ San Iu verde pasó por aquí, / ¡Cuán garrdico lo vi venir!202 ” ou encore “ San Juan el verde pasó por aquí, más ha de un año que nunca le ví 203” (Alín ·#82 &409). Le proverbe suivant ajoute encore une touche de confusion: “ Ajo porque fuiste bueno ? Porque me halló San Martín puesto. 204” La qualité de l’ail est jugée à partir de la date à laquelle il est semé, cette date étant elle même personnifiée par Saint Martin. Bien sûr, on pourrait argumenter que tout ceci n’est qu’un système d’images. Il n’en reste pas moins que ces multiples allusions aux Saints ne devaient pas faciliter la perception de ceux-ci comme seuls repères chronologiques. Néanmoins, une contre-argumentation possible serait de poser: le fait que le peuple construise des proverbes où une métaphore remplace un Saint du calendrier (A tocinos salados pour Saint Martin par exemple), signifie que le peuple savait parfaitement placer le Saint chronologiquement, puisqu’il n’avait même pas besoin de le nommer pour que le proverbe soit intelligible ! Néanmoins, est-ce-que le fait que l’on sache que l’on tue le cochon à la Saint Martin signifie t’il que l’on situe précisément cette date dans l’année ? Nous mesurons la difficulté de tirer une conclusion définitive. Nous retiendrons seulement ici que le Saint pris comme date chronologique n’était peut-être pas un repère aussi clair et intelligible que le nombre de ses références, dans les proverbes et chansons populaires, pourraient donner à penser. Nous nous sommes, jusqu’à présent longuement étendus sur les différents moyens de se situer dans le temps, de le découper et par quels moyens pouvaient on se repérer dans celui-ci. Il serait fastidieux de s’étendre davantage sur ce sujet.. Le jour est la borne temporelle par excellence, au dépend de la semaine et du mois. Il a l’avantage de s’insérer logiquement dans le temps de la nature et des saisons. Ce temps naturel n’est pas figé et varie tous les ans. La vision des bornes temporelles paraît être à l’image de ce temps: comme l’homme s’adapte aux pulsations de la nature, le temps et sa perception s’adapte en fonction du contexte dans lequel l’homme évolue. Autrement dit, l’individu paraissait percevoir le temps et son découpage au gré de ses besoins et de sa perception générale de la vie. Rationnellement, nous pourrions argumenter qu’il avait une vision 196 A lard salé, ne naissent pas les fièvres, sinon entre faux et truies. Le jour de San Fernando, le jeune se repose, bien que cela pèse au maitre. 198 Jour de San Briz, tel jour (je naquis ?) 199 Venter 200 San Antruejo, bon saint... 201 Information apportée par J. M. Díez Borque dans Celebraciones y fiestas populares, dans J. M. Jover Zamora (dir.), Historia de España, Menéndez Pidal, vol. XXI (La cultura del Renacimiento) , Madrid, 1997 202 San Iu (Jean) le vert passa par ici, avec quelle prestance je le vis venir ! 203 San Juan passa par ici, mais cela fait un an que je ne l'ai pas vu. 204 Ail pourquoi est-ce que tu fus bon ? Car San Martín me trouva planté. 197 sinon erronée, du moins peu précise du processus chronologique. D’un autre point de vue, nous pourrions souligner qu’il avait une vision relative, empirique de ce concept dont il ne faisait cas que lorsqu’il en avait la nécessité. Nous allons à présent nous pencher sur le problème de la perception des durées et voir si nous pouvons confirmer ou infirmer cette hypothèse. 2 / Les durées a / Horaires Nous pouvons, tout d’abord, tenter d’analyser les quelques références aux durées exprimées dans les villancicos et proverbes. Nous nous centrerons sur les durées horaires, journalières et annuelles pour les raisons que nous avons déjà expliquées. L’heure tout d’abord a un champ d’application limitée. La très grande majorité des référence à “ hora ” la présente comme une unité temporelle indéterminée, vague qui pourrait correspondre à un temps plus ou moins court, allant de l’instant à la demijournée. Elle est très souvent liée à une notion d’alternance : “ Cuando canta el cuco, una hora llueve, y otra hace enjuto205 ” “ Una hora es mejor que otra. 206”... Elle n’est, dans nos textes, que rarement associée à un nombre. Un proverbe pourrait laisser entendre que l’on savait apprécier les durées en heures “ Tres horas de reloj, poco más o menos.207 ” mais il semble être l’exception qui confirme la règle. On se contentait de “ una hora ”, “ una temporada 208”, “ una temporadita209 ” voire “ un tiempo210 ” pour exprimer une durée courte inférieure à la journée. Les villancicos suivants montrent un exemple intéressant d’expression de durée courte : “ Mi querido es ydo al monte / y ya tañen la oración : / no se puede tardar, non211 ” (Alín #852), “ Las ánimas han dado, / mi amor no viene212 ” (Alín #124). Les textes de ce genre sont nombreux (une dizaine). La durée est ici exprimée en fonction d’une indication officielle du temps sousentendue. Cela n’implique pas une mesure précise de la durée ni que l’on sache précisément se situer dans la journée. Cela prouve néanmoins que l’on prête une oreille au son de la cloche, par exemple, et cela fournissait un moyen d’appréciation des durées. Globalement, l’expression des durées courtes, semblaient assez peu précises et cela confirme les propos que nous avons tenus au sujet des indicateurs temporels. b / Journalières Le décompte des jours était beaucoup plus utilisé. De nombreux proverbes et villancicos (une vingtaine) utilisent des durées exprimées en jour : medio día, dos, tres, siete, quinze días213 apparaissent régulièrement. Certains proverbes utilisent même des projections dans le temps exprimé en jours : “ Verná luego el Rey ardiente y encendido, 205 Quand chante le coucou, il pleut une heure, l'autre est sèche. Une heure est meilleure qu'une autre. 207 Trois heures d'horloge, plus ou moins. 208 une période 209 une petite période 210 un temps 211 Mon amour s'en est allé à la montagne / et déjà ils sonnent l'oration : / il ne peut tarder, non. 212 Ils ont sonné l'Angélus, / mon amour n'arrive pas. 213 Demie journée, deux, trois, sept, quinze jours 206 / será el quinto día todo su pan molido.214 (Alexandre P 242) ” ce qui dénote une certaine maîtrise de l’utilisation de cette unité temporelle. c / Annuelles L’utilisation de l’année comme unité chronologique est plus délicate. Les références à une année sont nombreuses et démontrent que l’on percevait correctement la durée à quoi elle correspond. Le contraire aurait été, somme toute, étonnant, une année est un cycle autonome et les milieux populaires avaient de nombreux moyens pour l’appréhender, comme nous l’avons vu précédemment. Le problème se pose lorsque nous nous concentrons sur les références à plusieurs années. Elles existent : Dos, tres, siete, diez años215 apparaissent mais on ne dépasse jamais ces nombres qu’avec cien ou mil años216. Nous posons ainsi le problème de repérage dans le temps long, que nous discuterons dans la quatrième partie. Nous soulignerons simplement ici que l’unité annuelle est utilisée mais rarement sur une échelle supérieure à deux, trois ans et jamais, de façon pertinente, sur plus de dix ans. d / Synthèse En somme, les résultats ne sont pas brillants: l’espagnol “ moyen ” du bas Moyen Age n’utilisait pas ou très peu la semaine et le mois pour exprimer une durée. Le concept de division horaire de la journée semble ne pas avoir été maîtrisé et seules les durées équivalentes à deux ou trois ans apparaissent dans nos textes. Le jour sort néanmoins du naufrage. Quelques textes montrent que l’on exprime les durées par rapport à des modèles chronologique de comparaison : “…/ comereys de la leche / mientras el queso se hace /…217” (Alín #3), “ No dure más mi yerno que cuartanas en invierno. 218”... mais ces mesures nécessairement variables et aléatoires ne plaident pas en faveur d’une perception précise des durées. Les prochains paragraphes s’attacheront à étayer ces constats. Il faut prendre en compte néanmoins que ces résultats sont dépendants des sources analysées, sources qui ne présentent peut-être qu’un aspect de la question. Il est frappant de constater que dans certains cas, les durées sont exprimées clairement, quelque soit l’unité. Je pense particulièrement au cas des nombres néfastes. Trois, sept, neuf sont des nombres à la fois sacrés (dans le christianisme) et néfastes (dans les mentalités populaire)219. En Espagne au bas Moyen Age, le nombre sept cumulait les honneurs et il apparaît sans cesse dans les refraneros et le Cancionero. On ne dit pas les neuf vies du chat par exemple mais les sept. En ce qui concerne les durées, sept est associé à chacune d’entre elles plusieurs fois dans nos textes : “ En siete horas anda media legua; mira si aprovecha220 ”, “ …/ Siete días anduve / que no comí pane221 ” (Alín #3), “ Niño que no ríe a las siete semanas, o es ruin, o tiene ruines mañas 222”, “ Cada siete años se muda la condición, la costumbre y complexión. 223”. 214 Viendra (?) ensuite le roi ardent et embrasé, / au cinquième jour sera tout son pain moulu. Deux, trois, sept, dix ans 216 cent ou mille ans 217 ... / vous mangerez du lait / pendant que le fromage se fait / ... 218 Ne durent pas mes pois plus que fièvres en hiver. 219 J. Le Goff, El orden de la memoria, el tiempo como imaginario, Barcelone, 1991 p.198 220 En sept heures marche une heure, vois si tu en profites. 221 ... / sept jours je marchai / sans manger de pain / ... 222 Enfant qui ne rie pas à sept semaines, où il est mauvais ou il a de mauvaises habitudes. 223 Toutes les sept années changent condition et coutûme et constitution. 215 Seul le mois échappe à cette association. Nous avons proposé qu’au-delà de quelques années, on ne décompte plus le temps. Cependant, lorsqu’il s’agit de déterminer des intervalles de sept ans, les préoccupations changent : “ Dos culos que bien se quieren, de siete en siete años se hacen lugar.224 ”, “ No muera yo de tres, o cuatro, o menos años. 225” (sous entendu “ ...de tres sietes, o cuatro sietes226”). Ce cas ne constitue peutêtre qu’une exception mais montre bien que nous ne pouvons arrêter de conclusions définitives. Données complémentaires Les proverbes confrontent souvent des unités temporelles entre elles, à l’exemple du suivant “ Lo que en muchos años rrecabdado non as, / quando tú non cuydades, en un rrato lo avrás. (Ruiz 579) 227”. Si celui-ci distingue bien, dans le sens, les deux unités de mesure chronologique, certains sont beaucoup plus ambigus : “ Tal día hará un año.228 ”, “ En mís días vivo cuando trato de los años.229 ”, “ Las horas se le hacen años.230 ” et on peut se demander s’ils étaient entendus correctement. D’autres proverbes utilisent indifféremment n’importe quelle mesure temporelle tout en gardant le même sens : “ Antes que pasen por aquí cuatro dìas 231” se dit aussi “ Antes que pasen por aquí un mes ” ou “ ...un año ” ou “ ...mil años 232” !, “ Ocho días tenía de termino233 ” s’emploie aussi avec “ ...un año ”, “ Obra de dos días se tardó 234” avec “ ...un mes ”... La durée importe peu car le sens du proverbe reste le même, ou parce que l’on n’en faisait pas cas ? Le vocabulaire utilisé peut nous aider à argumenter en faveur d’une expression peu précise des durées. Analyser à quoi est associé “ durar235 ” par exemple : Dans les textes relevés (22), durar est accompagné trois fois par une durée exprimée en jours ou années, deux fois par une locution temporelle (“ siempre236 ” par exemple) et dans le reste des cas, ou par un vague déterminant ou qualificatif (“ màs 237” dans trois cas, “ poco 238” dans sept cas, “ tan239 ” dans un cas), ou rien (dans le genre “ Gran placer es la mala ventura, y más si dura. 240”). Les adverbes “ tarde ” et “ temprano241 ” sont fréquemment cités (plus d’une trentaine de fois dans les seuls textes sélectionnés), la 224 Deux «culs» qui s'aiment, de sept en sept ans, il se font de la place. Je ne meure pas, moi, de trois, quatre ou moins d'années. 226 ...de trois sept, ou quatre sept 227 Ce qu'en beaucoup d'années tu n'as pas récupéré, en un instant tu l'auras. 228 Tel jour fera une année. 229 Dans mes jours je vis quand je parle de mes années. 230 Les heures se font jours. 231 Avant que ne passent ici quatre jours. 232 Avant qu'ils ne passent par ici un mois, un an, mil ans 233 Huit jours jusqu'à (?)la fin. 234 Deux jours il fallut pour l'ouvrage 235 durer 236 toujours 237 plus 238 peu 239 autant 240 Grand plaisir est la mauvaise fortune, et plus si elle dure. 241 tard et tôt 225 durée est dans ce cas exprimée de manière relative à un repère chronologique sousentendu et prédéterminé : “ Sol de invierno, sale tarde y pónese presto.242 ” Le soleil se lève en moyenne à une certaine heure. Ici tard se réfère à cette heure (sous-entendu tard par comparaison à l’heure à laquelle se lève normalement, en moyenne, le soleil). L’utilisation de “ tarde ” et “ temprano ” est nécessairement subjective et le fait qu’on s’y réfère souvent implique une certaine imprécision dans l’expression des durées. e / Des durées élastiques ? Imprécision n’est peut-être pas le mot juste. Le temps populaire médiéval est souvent fonction du contexte, nous l’avons déjà remarqué précédemment à propos des bornes temporelles. Hors, si celles-ci ne sont pas figées, dans le sens où une durée est délimitée par deux bornes (le début et la fin) elle pouvait aussi être perçue comme non figée. Cette remarque s’applique aux unités mêmes de mesure temporelle (le jour, le mois, l’année...) et nous pourrions nous demander si les milieux populaires ne percevaient pas les durées qu’elles représentent comme variables. Cela ne serait pas tellement surprenant dans le sens où la nature elle-même montrait l’exemple, que ce soit en ce qui concerne les saisons (voir ci-dessus) ou les journées, dont la durée d’ensoleillement variait dans l’année. Les textes reflètent d’ailleurs une conscience très sensible de ce phénomène : “ Nochecitas de julio... 243” (Alín #758), “ Día de Santa Lucía, mengua la noche y crece el día.244 ”, “ Por San Andrés, todo el tiempo noche es. 245”... De nombreux textes traitent du temps qui passe plus ou moins vite selon le contexte dans lequel il évolue. Le thème de la nuit interminable revient souvent dans le Cancionero : “ …/ Estas noches atan largas, / para mí/ no solían ser ansí./… 246” (Alín#141), cette longueur est encore accentuée par le fait qu’on apprécie difficilement le temps dans la nuit. Au temps de l’attente, voici un proverbe que l’on citerait : “ A las cosas deseadas, todo tiempo es prolijo, como a las odiosas breve. 247” Le jour, particulièrement quand il est festif, passe aussi très rapidement : “ Pascua largo tiempo deseadas, son en un día presto pasadas. 248” “ Anda aguja, que el sábado viene; punto pascual y salto de liebre.249”, “ Punto de fiesta, poco dure y bien parezca. 250”, “ Santa María, deten tu día.251 ”... A l’inverse, en période de jeûne ou d’abstinence : “ Más largo que semana de Cuaresma 252”, “ Debe algo para Pascua, y hacérsete ha la Cuaresma corta, no larga! 253”... En résumé : “ ¡Si volacen las horas del pesar como las del placer suelen volar !254 ” A quel degré étaient interprétés ces proverbes ? Ces réflexions restent-elles du domaine de l’impression, où le temps et les durées étaient-elles perçues comme 242 Soleil d'hiver, sort tard et rentre tôt. Petites nuits de juillet 244 Jour de Santa Lucía, diminue la nuit et grandit le jour. 245 A la San Andrés, la nuit couvre tout le temps. 246 ... / Ces nuits si longues. / pour moi / elle n'avaient pas l'habitude d'être ainsi. / ... 247 Aux choses désirées, tout temps est prolixe, et bref aux redoutées. 248 Pâques, longtemps désirées, sont en une journée trés vite passées. 249 Active-toi, aiguille, que samedi vient, point pascal et saut de lièvre. 250 Point de fête, dure peu et paraît bien. 251 Santa María, retiens ton jour. 252 Plus long que semaine de Carême. 253 Tu dois quelque chose pour la Pâques, ceci te fera passer la Carême courte, et non longue. (la dette inverse ici le processus !) 254 Si volaient les heures de chagrin comme volent celles du plaisir ! 243 variables, pouvant se dilater ? Deux exemples semblent plaider pour cette dernière hypothèse : “ En chica hora, Dios mejora... 255”, “ Luengo (ou largo) y estrecho como mal año. 256”. Il se peut donc que l’imprécision que nous avons notée en ce qui concerne l’expression des durées soit cause ou conséquence de cette perception d’un temps “ dilaté ”. On ne se souciait peut-être pas de donner un valeur exacte à une unité temporelle mais plus une valeur sensitive, fonction du contexte dans lequel les individus évoluaient. De ce long chapitre il nous faut retenir l'imprécision générale qui carctérise l'appréciation du temps court. Jours et année prévalent dans un cyle annuel proche de la nature. De nombreux moyens sont à la disposition du vulgaire pour apprécier le temps mais l'on préfère s'en tenir aux plus simple et la rigeur n'est pas de mise. La nature propose son propre rythme qui parait tout à fait convenir au peuple des campagnes. Situation dans le temps court et appréciation des durées sont exprimés de manière imprécise sauf en ce qui concerne la situation dans l'année et nous somme frappés par le nombre de référence aux mois propres. Nous amenons ainsi notre chapitre suivant où nous verrons que ce découpage de l'année est bien réglé et fortement commenté. 255 256 En petite heure, Dieu améliore... Long (ou large) et étroit comme mauvaise année. CHAPITRE 2 LES CYCLES DE L'ANNEE Nous allons maintenant nous intéresser aux différents cycles qui rythment le temps annuel. Nous nous sommes attachés à montrer, dans le chapitre précédent, que jours et années étaient les unités chronologiques les mieux apréhendées. En pratique, toutefois, le temps annuel retient le plus l'attention de nos textes et plusieurs cycles s'en dégagent. Bien entendu, l’agriculture et l’élevage suivaient le rythme des saisons, et le cycle de subsistance, par répercussion, également. L’année religieuse possédait, nous l’avons vu, ses temps forts et ses célébrations auxquels étaient liés un ensemble de fêtes, qui prenaient souvent d’ailleurs un caractère nettement plus populaire que religieux. D’autres cycles se brodaient sur le canevas de l’année : celui des activités manuelles et artisanales, le cycle de l’amour aussi et du temps social en général. Nous ne nous lasserons pas de le répéter, l’année est le temps du Moyen Age par excellence. Nous verrons ainsi l’ensemble de ces cycles annuels, les temps forts et commentaires associés aux différentes parties de l’année. Auparavant nous ferons une synthèse des réflexions liées aux rythmes quotidiens et hebdomadaires. Si elles sont beaucoup moins nombreuses que celles qui concernent le temps annuel, elles nous fournissent quelques informations sur la décomposition d'une journée et surtout d'une semaine. I / Décomposition d'une journée Est il vraiment pertinent d’étudier une décomposition du jour en fonction de ce que nous apprennent nos textes ? Les proverbes et les villancicos reflètent les mentalités d’une communauté, d’un peuple. La journée est essentiellement une période de l’individu où chacun vaque à ses propres occupations. Certaines activités se font, bien sûr, en commun, la veillée par exemple, mais le temps quotidien reste celui où l'individu, personnellement, évolue dans son sens. Quelques proverbes proposent une décomposition de la journée : “ Echarse de noche, sentarse a la mañana, enderezarse a la medio dìa, y andar de tarde 257”, “ Por la mañana a la pescaderìa y por la tarde a la carnecerìa258 ”… mais ils restent assez obscurs dans leurs sens et sont difficiles à généraliser. Il existe néanmoins quelques caractéristiques communes à tout un chacun, particulièrement en ce qui concerne la décomposition temporelle de la journée : l’aube, nous l’avons vu, signale le début de la journée, tous nos textes concordent en ce sens : on se lève avec la venue du jour. C’est un début mais la suite les interesse peu. On prend trois repas par jour (lorsque c’est possible) selon le proverbe suivant : “ Tres en el año…, tres en el dìa…. 259”, voilà tout ce que nous pouvons dégager avec clarté de nos 257 Se coucher durant la nuit, s'assoir le matin, se lever à midi et marcher l'aprés-midi. Le matin à la poissonnerie, et l'aprés-midi à la boucherie. 259 Trois dans l'année..., trois dans la journée... Correas : “ confessions…repas ” 258 textes sur le rythme de la journée. Quelques proverbes semblent montrer que la fin de la journée était perçue plus tôt que de nos jours : “ Entre once y nona.260 ” s’applique quand quelqu’un arrive tard, de même pour “ Y a las cuatro en Borja.261 ”. La nuit arrive vite : “ Temprano es noche.262 ”, et demeure dangereuse “ La mujer y la oveja, con tiempo a la cabañuela263 ”, “ La noche es capa de pecadores264 ”… La veillée suscite un certain nombre de commentaires. Elle rassemble la communauté : “ todos vienen de la vela / y no viene Domenga 265” (Alín #166), plus spécialement les femmes : “ Las pajas a pajar, y las dueñas a velar; que la que por marzo comenzó, tarde acudío. 266” car la veillée est souvent synonyme de filage : “ La buena hilandera, desde San Bartolomé la vela, y la muy buena, desde la madalena, la mejor, desde San Salvador267 ”. Peu de renseignements, en somme, à propos de la journée, voyons à présent ce qui concerne le rythme hebdomadaire. II / Le rythme hebdomadaire C'est un rythme beaucoup plus communautaire et le temps fort est, bien sûr, celui du dimanche. Cependant, nous pouvons noter que si ce jour apparaît nettement plus de fois que les autres dans le Cancionero (sept fois sur dix), ce n'est pas le cas dans les recueils de proverbes. Dans celui de Correas notamment, nous comptons entre quinze et vingt références pour chaque jour. La semaine commence en théorie avec le dimanche mais ce jour représente plus un jour de rupture dans la semaine. Il est généralement considéré comme une journée de réjouissance comme nous le verrons par la suite. Le lundi n'a pas de connotation spéciale et c'est principalement en relation avec le jour qui le précède et le suit que l'on s'y réfère. Le lundi est lendemain de fête. Toutefois c'est assez peu en terme de jour chômé ( à l'exemple du “Saint Lundi” du XIXème siècle) qu'on l'aborde sauf pour le cas du cordonnier : “ Lunes, assueto de zapatero… 268 ” (Rosal IV 52) . Le jour chômé est seulement sous-entendu dans le proverbe suivant : “ Del lunes al martes, pocas son las artes.269 ” mais est contredit par celui-ci “ No hay lunes sin su tarea.270” (Santillana, Refranes..., 191) . La distinction se situe certainement au niveau du milieu concerné par ces proverbes. “ artes271 ” renvoie à l’artisanat, et le proverbe concerne certainement les apprentis ou compagnons qui chôment le lundi après un dimanche de fête chargé. “ tarea272 ”, par contre, renverrait plus aux travaux des champs, que l’on ne peut se permettre d’abandonner deux jours. Ce ne sont cependant que des hypothèses et il nous faudrait les confronter avec d’autres 260 Entre onze heures et none. Et à quatre heures à Borja. 262 Tôt vient la nuit. Correas : Se dépéchant pour faire quelque chose. 263 La femme et la brebis, à temps au cabanon. Correas : qu'elles rentrent tôt car de nuit le danger guette. 264 La nuit est la cape des pécheurs. 265 Tous viennent de la veillée / et ne vient pas Domenga. 266 La paille au grenier, et les maîtresses à veiller, que celle qui en mars commença, arriva trop tard. 267 La bonne fileuse, depuis la San Bartholomé veille, la trés bonne depuis la madeleine, la meilleure depuis San Salvador. 268 Lundi, congé de cordonnier... 269 Du lundi au mardi, peu sont les arts. 270 Il n'y a pas de lundi sans sa tâche. 271 arts 272 tâche 261 sources. Un dernier proverbe oppose le dimanche au lundi : “ Niño dominguero no quiere lunes.273 ”. Correas nous explique innocemment que cela se rapporte à l’enfant qui peut plus disposer de sa mère le dimanche et par conséquent est triste le lundi... Si le lundi est souvent rapporté au dimanche, il est aussi plusieurs fois associé au mardi : “ Non eres seguro del lunes al martes.274” (G. Martines de Medina, Canc Baena 391…), “ Landre de Alba, que da lunes por la noche y martes por la mañana mata.275 ”... Le sens de ces textes pourrait paraître obscur si nous ignorons à quoi est rapporté le mardi. Celui-ci est en effet considéré comme un jour néfaste. Voici les commentaires de Correas à ce propos “ Opinión del vulgo contra el martes, y nace de ser tenido Marte en la gentilidad por dios de las batallas, y este planeta domina en este día, y por eso le tienen por aciago los ignorantes, tomándolo de la gentilidad, que no hacía casamientos en martes por su dios de disensiones y batallas 276”. Il est douteux que les milieux populaires connaissaient les coutumes romaines mais il est certain que le mardi avait une connotation nettement péjorative : “ En martes, ni tu casa mudes, ni tu hija cases.277 ”. Sans parler de grands changements initiés un mardi, certaines activités sont aussi déconseillées : “ En martes, ni paños cortes, ...278 ”, “ En martes, ni tu tela urdas..279. ”. cela sous-entendait-il qu’une toile ou vêtement travaillée un mardi apporte malchance à son futur propriétaire ou utilisateur ? Une malédiction se concrétise un mardi : “ landre de las de Alba, que dan lunes en la noche y llevan a enterarrar el martes por la mañana.280 ” et le mot est même passé dans le vocabulaire de l’époque comme synonyme de malchance ou malheur : “ Dar con la del martes281 ” ou simplement “ Martes.”. Nous pouvons d’ailleurs entendre l’Eglise fulminer à travers l’adage suivant : “ Aquél a Dios sirve que non dubda en martes / comenzar caminos nin ropas cortar.282” (perez de Gúzman Canc. FD I, 630b) et l’on relativise parfois aussi les choses : “ Boda buena, boda mala, el martes en tu casa.283 ”. Les mercredi et jeudi ne présentent pas de caractères vraiment spécifiques. Le mercredi est théoriquement jour de jeûne, mais il est douteux qu’il ait été respecté, seul un proverbe y fait allusion : “ Miércoles corvillo, pésame contigo; jueves de cena, vengaís norabuena.284 ”. L’unique caractéristique spécifique du jeudi vient d’être exprimée. C’est un jour dénué d’interdit, par opposition au mercredi peut-être mais surtout au vendredi : “ Comí carne en viernes pensando que era jueves. 285”. Nos textes 273 Enfant du dimanche ne veut pas de lundi. Tu n'es pas sûr du lundi au mardi. 275 Malédiction de l'Aube, que donne lundi pendant la nuit et mardi pour la matinée tue. 276 Opinion du vulgaire contre le mardi, et est né du fait que les gentils prenaient Mars pour dieu de la bataille, et cette planète domine ce jour, et pour ceci le prennent pour funeste les ignorants, le prenant des gentils, qui ne contractaient pas de mariages le mardi, à cause de son caractère de dissension et de bataille. 277 Le mardi, ni ta maison ne change, ni ta fille ne marie. 278 Le mardi, ni ne coupe pas le tissus (les pagnes)... 279 Le mardi, n'ourdis pas ta toile... 280 Malédiction de l'Aube, que l'on donne lundi pendant la nuit, et qui se finit par un enterrement mardi matin. 281 Donner avec celle du mardi. 282 Celui qui sert Dieu, qu'il ne doute pas le mardi, de comencer son chemin ni de couper ses robes. 283 Noce bonne, noce mauvaise, le mardi dans ta maison. 284 Mercredi de jeûne, il me pèse avec toi, jeudi du dîner, arrivez de bonne heure. En outre, il est fort possible que “miércoles corvillo” se réfère au mercredi des Cendres. 285 Je mangeai de la viande un vendredi, pensant que c'était jeudi. 274 font très majoritairement allusion au vendredi comme jour de jeûne : “ Si les conoceices, ayunaríasle los viernes.286 ”, celui-ci paraissait avoir été effectué avec réticence mais les textes traitent de cette contrainte avec un certain humour : “ Convidado el viernes, vente si quieres.287 ”, “ Achaque el jueves para no ayunar el viernes.288 ” voire avec fatalité : “ La semana que no tenga viernes.289 ” Samedi est le jour de jeûne des Juifs et plusieurs proverbes y font allusion : “ Judío toma buen sábado y ni quiere gallina furtada.290” ( Santillana, Refranes...62) ... En ce qui concerne le reste du peuple, le samedi paraît être une journée spéciale, où l’on effectue certaines activités particulières : “ Aguijar el hígado, que brama la vaca.291 ”, “ Sábado sin bollo, domingo machorro.292 ”, “ Ni sábado sin sol, ni moza sin amor...293 ”. Le samedi, comme le dimanche semble être opposé à la semaine “ Toda la semana no velé, y el sábado en la tarde me arremangué. 294”, “ Toda la semana holgaba, y el sábado acuciaba.295 ” et ces proverbes ainsi que ceux qui suivent montrent que l’on n’anticipe pas les réjouissances, voire que l’on tente de rattraper le temps perdu : “ Sábado en la noche, María, dame la rueca.296 ”, “ Obrita que en sábado viene, puntadita de palmo y salto de liebre.297 ”. Dimanche enfin est le jour de repos. Instauré officiellement depuis le début de l’époque carolingienne, le dimanche, jour du seigneur où tout travail est interdit, n’a pas toujours été respecté. En ce qui concerne nos textes, le dimanche paraît être accepté sans problème comme jour de repos : ainsi de manière détournée ou directe dans les proverbes suivants : “ El tejedor del villar, güelga toda la semana. Y el domingo quiere trabajar.298 ”, “ ...el domingo que yo hilaría, todos me dicen que nos es día.299 ”, “ ...el domingo descansa300 ”. La messe est une composante essentielle de cette journée : “ El lobo se faze entre semana porque el domingo no va a missa.301” (Santillana, Refranes... 105) , “ Por la semana hace la reposa, con que no va el domingo a la misa.302 ” mais il ne faut pas s’y tromper, le dimanche est par définition un jour de fête : “ Bartolo y su 286 Si tu les connaissais, tu jeûnerais les vendredis. Invité du vendrdi, viens-t-en si tu veux. 288 Maladie du jeudi pour ne pas jeûner le vendredi. 289 La semaine qui n'a pas de vendredi. Correas : On entend par ceci que ne se fera pas ce que l'on demande ou promet. 290 Le juif prend un bon samedi et ne veut pas de poule farcie. 291 Piquer le foi, que brame la vache. Correas : Car elle est tuée le samedi. 292 Samedi sans miche, dimanche stérile. Correas : Il faut préparer le pain pour la messe du dimanche. 293 Ni samedi sans soleil, ni demoiselle sans amour. Correas : On dit samedi sans soleil car le samedi, les jeunes filles alignent les les collets, coiffes et gorgueras (sorte de collet bouffant). 294 Toute la semaine je n'ai pas veillé, et le samedi après midi je me suis mis à l'ouvrage (retroussé mes manches). 295 Toute la semaine il (elle) se prélassait, et le samedi il (elle) se pressait. 296 Samedi dans la nuit, María, donne-moi le rouet. 297 Petite oeuvre qui vient un samedi, petit point de palmo (unité de mesure) et saut de lièvre. 298 Le tisseur du petit village, se repose toute la semaine et le dimanche veut travailler. 299 ... le dimanche quand je tisserais, tous me disent que ce n'est pas le jour. p. 280 300 ... le dimanche repose-toi. p. 279 301 Le loup oeuvre (?) en semaine car ne va pas le dimanche à la messe. 302 Pendant la semaine il se repose, avec quoi (en plus de quoi?) il ne va pas à la messe le dimanche. 287 amigo / bailaban el domingo / al drongolondrón.303 ” (F. A. #439), “ Cuando tu solías tocar / el tu rabé dominguero / ...304 ”, “ Eaa. ea, que el domingo es fiesta.305 ” Dégager les caractéristiques principales de chaque jour de la semaine nous a obligé à passer outre deux sujets qui recoupent, sans les marquer de manière profonde, les commentaires associés à ces jours de la semaine : le cas du jour de marché et celui des croyances populaires. Nos textes assignent en effet un jour déterminé pour le marché : “ Porque el judio no medre, el mercado en sábado viene.306 ”, “ miércoles en misa, jueves al mercado.307 ”, “ ... / jueves era, jueves, / día de mercado / ... 308”(Alín #6). Un jour est attribué au marché. Cela ressort ainsi dans nos textes car il était important de connaître cette journée, particulièrement lorsque que l’on venait de loin pour s’y rendre, et que la route pouvait être dangereuse : “ Mercadito de ocho leguas, tres días malos y dos noches negras.309”. Toutefois, il n’existait pas un jour type pour toute la Castille (sans parler de l’Espagne!) comme le montre le proverbe suivant : “ No hay orejas para cada martes.310 ”. Le thème des croyances n’est pas non plus anodin en ce qui concerne les jours de la semaine. Nous avons déjà vu que le mardi était vu comme jour néfaste, associé à la planète et au dieu Mars. Cependant, ce n’est pas le seul jour a être associé à sa planète. Ainsi le lundi “ No hay lunes sin luna...311 ”, le mercredi “ La luna merculina, de agua u de neblina.312 ”. A propos du samedi, Correas prétend, dans son explication de ce proverbe dont nous avons déjà parlé que “ El vulgo parece que ya ha creído que no hay sábado sin sol...313 ”. Si nous ne pouvons nous fier sûrement à lui, il reste que les exemples se cumulent. Des malédictions étaient aussi liées à certains jour de la semaine, au mardi nous l’avons vu, mais aussi, et cela peut surprendre, au dimanche : “ Landre de portillo, que da en sábado y acaba en domingo.314 ”. Cependant, il est difficile de se faire une idée précise de la question, l’interprétation des textes exprimant des malédictions étant très délicate. Nous reviendrons sur cet ensemble de croyances au chapitre 4. III / Le mois Enfin, le mois, nous l’avons dit, n’est pas une durée autonome. Ce n’est pas à l’intérieur d’un mois que l’on se situe mais à l’intérieur de la journée, de la semaine ou de l’année. Deux proverbes semblent s’y référer en terme de salaire : “ Muchas gracias, 303 Bartolo et son ami / dansent le dimanche / au drongolondron. Quand tu savais jouer / de ton rabé (instrument) du dimanche / ... 305 Eaa, ea, que dimanche c'est la fête. 306 Parceque le juif ne grandit (compte ?) pas, le marché le samedi sera. 307 Mercredi à la messe, jeudi au marché. 308 ...jeudi, c'était, jeudi, / jour de marché... 309 Marché de huit lieues, trois mauvais jours et deux nuits noires. 310 Il n'y a pas d'oreilles pour chaque mardi. Correas : En chaque lieu se dira le jour de son marché. 311 Il n'y a pas de lundi sans lune... 312 La lune merculine, d'eau ou de neige. Correas : Vaine opinion du vulgaire, de la lune qui commence le mercredi avec l'aspect de Mercure. 313 Le vulgaire paraît déjà avoir cru qu'il n'y a pas de samedi sans soleil. 314 Malédiction de portillo (meurtrière ? petite ouverture dans la muraille ou dans un mur) qui (se) donne un samedi et finit un dimanche. 304 Rebolledo; cogisteme por un mes, pagásteme por medio.315 ”, “ Al quinto día verás que mes habrás.316 ”. C’est cependant la seule association logique que nous pouvons lui attribuer. IV / Les rythmes annuels 1 / Présentation générale L’année, nous l’aurons compris, est le cadre chronologique idéal, dans lequel évolue la nature et les hommes en parallèle. Le rythme des saisons est suivi de très près, c’est la clef de survie de la majorité du peuple du Moyen Age. En outre, il détermine dans une certaine mesure les activités secondaires de ces populations. L’étude que nous allons effectuer concerne en grande majorité les milieux ruraux. Même si les relations villes / campagnes étaient très entremêlées au Moyen Age, la ville était moins intimement liée à la nature ni à même de vivre en fonction de celle-ci. Afin de mener à bien notre étude, nous partirons d’une présentation générale des cycles annuels. Celle-ci sera basée sur le commentaire du graphique 1 ci-dessous. Une fois les lignes générales fixées, nous analyserons ces différents cycles tels que nous les montrent les Cancioneros et Refraneros. Le graphique 1 regroupe tous les proverbes faisant référence à un des mois de l’année, recueillis dans le Refranero de Correas. Il a pour but de dégager les temps forts de l’année selon chacun d’entre eux. Le graphique 2 répartit l'ensemble des proverbes par thème, ceci afin de mettre en valeur les principales préoccupations qui y transparaissent. Les proverbes sont regroupés de la façon suivante : “ Cycle culture / élevage ” se rapporte aux observations liées aux mouvements des récoltes (céréales, vigne, cultures maraîchères...) et de l’élevage. Sont aussi inclus les proverbes à sens météorologique lorsqu’ils sont liés explicitement au cycle végétal, à l’exemple des proverbes suivants : “ Enero y hebreo hinchen el granero con su hiel y aguacero.317 ” ou “ Enero seco, villano rico.318 ”. “ Climat ” correspond aux proverbes à acception purement météorologique. “ Activité non agricole ” regroupe les activités artisanales. “ Subsistance ” regroupe les proverbes qui ont trait à la nourriture. “ Amour / fête ” parlent pour eux même. “ Divers ” s’applique aux proverbes que l’on ne peut classifier dans aucune catégorie. Au vu du nombre de proverbes dédiés aux Saints du calendrier, nous pourrions nous étonner de ne pas les trouver inclus ou opposés au présent graphique. J’estime tout simplement qu’une telle comparaison manquerait de pertinence: les proverbes de ce type mettent principalement en valeur quelle activité est effectuée dans de tels jours et ne caractérise pas vraiment la période en général. Bien sûr, nous pouvons trouver le même type de proverbe à propos d’un saint ou d’un mois (voir chap. 1), néanmoins, ceci est loin d’être systématique sur l’ensemble de l’année et par conséquent, ces références peuvent difficilement se généraliser par une représentation graphique. Le mois à l'avantage d'être une représentation assez neutre du découpage de l'année. 315 Merci beaucoup, Rebolledo, tu me pris pour un mois et me paya avec un demi (mois). Au cinquième jour, tu verras quel mois tu auras. 317 Janvier et février remplissent le silo avec leur glace et leur eau. 318 Janvier sec, vilain riche. 316 Cycles annuels 50 40 Total agric Références 30 Climat Autres activités 20 Subsistence Amour / fete Divers 10 0 Janv. Fev. Mars Avr. Mai Juin Juill. Août Sept. Oct. Nov. Dec. -10 Mois Graphique 1. Répartition par thème Divers Total agric Amour / fete Subsistence Autres activités Climat Graphique 2. Ces courbes mettent en évidence un premier constat : La première moitié de l'année est beaucoup plus commentée que la seconde. En terme de chiffres, ce fait est encore plus explicite: sur quatre-cent-quatorze proverbes réunis, trois-cent-cinquante et un concernent les six premiers mois de l'année et pour être précis, les mois compris entre janvier et mai (inclus) regroupent trois-cent-trente-sept proverbes. Notre courbe s'élève toutefois en août. Ce mois rassemble en effet vingt-neuf proverbes. Le contraste est assez frappant: si l'on regroupe les cinq premiers mois de l'année avec août, nous cumulons trois-cent-soixante-six textes, soit environ 90 % du total! Nous vérifions ici les notions de temps creux et forts. Les mois qui font véritablement contraste sont, dans ce sens, mai et août. Nous pourrions nous étonner du peu de commentaires qui se rapportent aux mois de juin, juillet, octobre, qui correspondent aux fortes périodes d'activités liées aux cultures. Cela s'explique par le fait que l'année ne se joue pas pendant ces mois ; à cette période, les dés sont jetés et quelle que soit le contexte, les résultats, dit autrement, les récoltes, changeront peu. Car c'est bien sûr le cycle végétal avec tout ce qui y est lié qui préoccupe le plus. Le temps climatique, notamment, est la condition sine qua non d'une bonne récolte. Nous devons par ailleurs, apporter une distinction qui n'apparaît pas dans nos graphiques mais qui est intéressante: à peine 10% des proverbes regroupés dans “Cycle culture / élevage” se réfèrent à l'élevage. Nous reviendrons sur ce résultat par la suite mais cela donne une mesure de l'importance apportée aux champs et vergers. Cette importance conditionne (déforme ?) par ailleurs la forme du graphique 1. La courbe “ subsistance” par exemple suit, dans son évolution, de très près celle des cultures et cela va de soi. La courbe climatique est par contre plus difficile à comprendre. Il fait froid en janvier, certes, il pleut en avril, oui, mais cela est valable respectivement pour décembre et octobre ! Nous proposerons une explication lorsque nous nous attarderons en détail sur les cycles climatiques. La courbe “amour / fête” est assez peu représentative. Nous verrons que dans ce sens, à la fois l'un et l'autre ont une évolution qui leur est propre, bien que non détachée complètement des autres grands cycles . Il est intéressant toutefois de constater que la part consacrée à cet ensemble est minime (environ 6% du total): le loisir est-il vu comme une préoccupation secondaire? Enfin, la courbe “divers” reflète de façon logique l'ensemble du dessin général des courbes. Cette première présentation nous a permi de nous rendre compte des grandes lignes de force en ce qui concerne les cycles annuels. Une fois de plus, cependant, il nous faut être très prudent et ne pas sauter aux conclusions. Le sens des proverbes infléchit parfois le dessin de ces courbes. C'est donc en nous centrant sur le message qu'ils délivrent et en confrontant ces proverbes avec les autres textes dont nous disposons (particulièrement en ce qui concerne les jours de Saints et fêtes religieuses) que nous allons poursuivre notre exposé. Nous verrons tour à tour les différents cycles induits par les proverbes et villancicos et nous tenterons de les reconstruire. 2 / Cultures et élevage Le cycle des cultures retiendra tout d'abord notre attention. Nous avons vu que c'est de loin le plus représenté dans nos textes. Cela n'a rien d'étonnant, l'économie du Moyen Age est complètement dépendante des récoltes. Elles affectent tous les milieux, aussi bien urbains que ruraux. Le peuple des campagnes constitue la grande majorité de la population et est forcément le premier concerné par les rythmes saisonniers. Les proverbes, qui constitueront la base essentielle de cette étude, déclinent les cultures à trois niveaux. Les céréalières tout d'abord qui forment le grand cycle annuel de référence. Sur ce canevas général que brode minutieusement nos proverbes, s'insèrent les cycles des cultures mineures, de vergers et des cultures maraîchères : l'ail, les poires, les noix, le concombre… apparaissent sporadiquement dans les proverbes qui prennent la forme de conseils ou de recommandations à leur égard. Entre ces deux extrêmes, la vigne tient une place plus qu’honnête dans nos textes. a / Les céréales Attardons-nous sur les cultures céréalières. Celles-ci, nous l'aurons compris, sont vitales. Les proverbes s'y référent d'ailleurs souvent sous forme de la nourriture qu'elles représentent, “ pan ” autrement dit, ou ce qui s’y rapporte, au lieu de leurs noms véritables (“ centeno, trigo...319 ”), à l’exemple du proverbe suivant : “ En abril, echarte de ventril; si pan vieres, pan esperes. 320”. Deux grandes périodes se découpent dans le cycle céréalier: le temps de l’attente et le temps de l’action. Le premier temps de l’attente est très largement exprimé dans les proverbes. Mieux peut-être que le terme attente, il faudrait employer celui de prévision, car c’est essentiellement de cela qu’il s’agit. On considère que l’année se décide à partir de janvier et jusqu’aux récoltes en juin et les références de ce type augmentent de façon largement croissante : onze en janvier et février, dix-huit en mars, vingt-neuf en avril et quarante-deux en mai ! La majorité des proverbes s’inquiètent du temps météorologique. Voici ce que serait le circuit parfait : Qu’il neige en janvier : “ Allì haz tu a tu hijo heredero donde anda la niebla en el mes de enero.321 ”; en février aussi par ailleurs : “ Nieve en hebrero, hasta la hoz tien tempero.322 ” bien que la pluie soit aussi la bienvenue : “ Cuando llueve en hebrero, todo el año tiene tempero.323 ”. En mars, le vent est le plus attendu : “ Vento de marzo...cárregan el carro y el costruil.324 ”. Les deux mois vitaux sont néanmoins avril et mai “ Avril y mayo, la llave de todo el año.325 ”. Il faut qu’il pleuve en avril et cela n’est pas dédaigné non plus en mai : “ Marzo ventoso y abril lluvioso sacan mayo hermoso.326 ”, “ Abril llueve para los hombre y mayo para las bestias.327 ”, “ En abril aguas mil... en mayo, tres o cuatro...328 ”. Un trait frappant ressort de nos proverbes: à chaque mois correspond son climat, et il est absolument nécessaire que ce programme soit respecté, sous peine de malheurs en prévision : “ En enero ponte en el otero; y si vieres verdeguar, ponte a llorar; y si vieres torrear ponte a cantar.329 ”, “ Yemas de abril, pocas al barril.330 ”, “ Si no lluviere en abril y mayo, venderá el rey el carretil y el carro.331 ”. Lorsque le temps ne parait pas favorable, que ce programme n’est pas respecté, les difficultés sont attendues, et presque invariablement, nous trouvons ce type de proverbe: “ Cuando la sementera vieres tronar, vende los bueyes y échalo en pan.332 ”. Ce rythme est donc pris très au sérieux, trop peut-être, on se demande par exemple en quoi le fait qu’il vente en mars peut apporter quoi que ce soit aux récoltes de juin. En outre, il apparaît que c’est plus la 319 Seigle, blé... En avril, couche-toi sur le ventre, si pain tu vois, pain attends (-toi à en avoir). 321 Là-bas fais ton enfant héritier où se trouve la neige en janvier. 322 Neige de février, jusqu'aux moissons a bon goût. 323 Quand il pleut en février, toute l'année est bonne. 324 Vent de mars... chargent la charrette et le costruil ((?)récipient à grain). 325 Avril et mai, la clef de toute l'année. 326 Mars venteux avril pluvieux amènent mai joli. 327 Avril pleut pour les hommes et mai pour les bêtes. 328 Avril, eaux mille, ..., mai trois ou quatre... 329 En janvier pose-toi sur la butte, si tu vois verdir, mets-toi à pleurer, si tu vois givrer, mets-toi à chanter. 330 Bourgeons d'avril, peu dans le baril. 331 S'il ne pleuvait pas en avril et mai, le roi vendrait la charrette et le chariot. 332 Quand les semailles tu vois givrer, vends les boeufs et transforme les en pain. Correas : On le dit simplement car il est bizarre (rare) de voir givrer ainsi et en hiver. Nous pouvons ajouter que n'est pas bon ce qui n'est pas en son temps. 320 schématisation qui importe que le contenu des recommandations / prévisions. Ainsi par exemple, nous constatons que plusieurs proverbes attribués à mars sont utilisés de la même façon avec mai. Les deux mots ont la même sonorité “ mayo / marso ” et s’intercalent de la même façon dans un proverbe : ainsi on dit indifféremment “ Marzo pardo, avril lluvioso y mayo ventoso hacen el año hermoso.333 ” que “ Marzo ventoso... mayo pardo... 334”, “ Marzo ventoso, año hermoso.335 ” et “ Mayo ventoso...336 ”. Nous avons vu que c’est plutôt la pluie qui est souhaitée, au point que l’on utilise “ Como agua de mayo.337 ” pour quelque chose espéré, la contradiction est donc assez flagrante. Il est possible cependant que ces différences proviennent des régions d’où proviennent ces proverbes, on attend certainement pas le même temps au même moment en Andalousie et en Galice, mais il serait tout de même étonnant de constater que la construction des proverbes soit exactement la même d’un bout à l’autre de l’Espagne... Terminons notre année agricole : vient ensuite la période des moissons qui peut s’étendre jusqu’en juillet en terres tardives. On met d’ailleurs en garde contre le fait de moissonner trop tôt en ce temps de césure : “ En junio, hoz en puño: de verde mas no de pan maduro.338 ”... A présent, nos proverbes se font rares, même si ils sont majoritaires, en comparaison avec l'ensemble de ceux qui concernent les derniers mois de l’année. Les semailles se font en septembre “ Por septiembre, quien tiene pan que siembre.339 ” ou en octobre “ Octubre, echa pan y cubre.340 ” voire début novembre “ Por Todos Santos, siembre trigos...341 ” mais nous ne sommes pas beaucoup plus renseignés. Nous remarquons qu’il est toujours question de blé. Cependant, l’orge apparaît sporadiquement (cinq fois) dans nos textes. En terme de calendrier, voici ce que l’on nous dit : “ Cebada para marzo, leña para abril y trigo para mayo. 342”, “ hebrero, saca las cebadas de culero. 343”. Cet autre proverbe “ Entre gavilla y gavilla, hambre amarilla. 344” se réfère aux deux moissons de l’orge et du blé, selon Correas. La culture de l’orge était donc pratiquée. Toutefois, la faiblesse des évidences semble suggérer que le blé était la céréale qui déterminait l’année à venir. b / La vigne En parallèle, le cycle du raisin retient une attention non négligeable. Il commence en mars, où l’on taille la vigne “ Tu viña alabada en marzo la poda y en marzo la acava.345 ” et l’on s’inquiète aussi du temps : “ Cuando atruena en marzo, apareja las 333 Mars grisâtre, avril pluvieux, et mai venteux rendent l'année belle. Mars venteux... mai grisâtre... 335 Mars venteux, belle année. 336 Mai venteux... 337 Comme eaux de mai. 338 Em juin, faux en main: vert mais pas de pain mûr. 339 En septembre, que celui qui a du pain le sème. 340 Octobre, jette le pain et recouvre. 341 Pour la Toussaint, sème les blés.... 342 Orge pour mars, bois (à brûler) pour avril et pain pour mai. 343 Février, sors l'orge du culero (sorte de poche, culero doit ici avoir sens de sac). 344 Entre fagot et fagot, faim jaune. 345 Ta vigne honorée, en mars élague-la et en mars termine-la. ((?) acavar est certainement un verbe technique agricole.) 334 cubas y el mazo.346 ”. Du temps encore, on parle en avril, mais sans s’en préoccuper “ Frío de abril a las peñas vaya a herir.347”. On fait allusion quelques fois à la vigne en mai, une fois en juillet et nous voilà en août. Les vendanges commencent : “ Por San Siste, busca las uvas donde las vistes.348 ” mais peuvent être plus tardives en d’autres endroits : “ Agosto madura y septiembre vendimia la uva y la fruta.349 ”. Août et septembre sont perçus de façon positive dans de nombreux proverbes “ Agosto y septiembre no duran siempre.350 ”, “ No es cada día agosto ni vendimia.351 ”... Fête ou non, on ne se laisse pas mourir : “ En septiembre y agosto bebe el vino añejo y deja estar el mosto.352 ”, “ San Simón y Judas si Judas, mata los puercos y tapa las cubas.353 ”, “ Día de San Martino prueba tu vino.354 ”, “ El día de San Lucas, mata tus puercos y atapa tus cubas. 355”. c / Cultures maraîchaires Nous enchaînons rapidement sur les autres types de cultures, que l’on peut décliner en fruits et légumes. L’attitude à l’égard des fruits est plutôt passive, les proverbes se bornent à indiquer le temps de ramasser poires, cerises, châtaignes, noix, noisettes, olives, figues... Les légumes font objet d’une attention plus soutenue, le navet notamment apparaît dans quelques proverbes : “ Por Santa Marina siembra tu nabina...356 ” et là encore on met en garde contre une récolte anticipée : “ Por Todos Santos, mira tus nabos; si fuesen buenos di que son malos.357 ” “ Cada cosa en su tiempo , y nabos en Adviento.358 ”. Le navet semble par ailleurs avoir été une culture de substitution d’une certaine importance, au point que l’on cite : “ Año bueno, año de nabos.359 ”. L’ail de même fait preuve d’un certain intérêt et l’on se réfère aussi au pois chiche dans quelques proverbes. Nous aurons compris cependant que la grande majorité de l’attention est tournée vers les cultures céréalières, clef de survie des populations médiévales. d / L'élevage Nous pourrions nous étonner par contre du fait que peu de textes soient consacrés au bétail et à l’élevage. Peut-être pourrions nous expliquer ceci de par la nature même de nos sources. Celles-ci concernent et proviennent du peuple en général, les bergers ayant leurs propres règles et celles-ci n’étaient pas généralisables au point de constituer un ensemble de proverbes d’accès commun. Il existait certainement mais il n’est pas arrivé 346 Quand alternent pluies et éclaircies en mars, prépare ta cuve et tes barils ((?), mazo désigne un maillet ou plusieurs lattes de bois jointes.) 347 Froids d'avril, les roches s'en vont blesser. Correas : et les aux vignes ni les arbres fruitiers. 348 Pour San Siste [07-08] , cherche les raisins où tu les as vu. 349 Août porte à mâturité et septembre vendange fruits et raisins. 350 Août et septembre ne durent pas toujours. 351 Ce n'est pas tous les jours août ni vendange. 352 En septembre et août boit le vieux (d'au moins un an) vin et laisse vivre le moût. 353 San Simon et Judas [28-10], si Judas, tue les porcs, et bouche les tonneaux. 354 Jour de San Martino [septembre], goûte ton vin. 355 Jour de San Lucas[18-10], tue tes porcs et bouche tes tonneaux. 356 Pour Santa Marina [septembre], sème tes graines de navets. 357 Pour la Toussaint [01-11], regarde tes navets, si il étaient (paraissent ?) bons, dis qu'ils sont mauvais. 358 Chaque chose en son temps et les navets en Avent [décembre]. 359 Bonne année, année de navets. jusqu’aux oreilles de nos compilateurs ou ceux-ci n’en ont pas fait cas. Louis Combet360 propose l’explication suivante : “ ...peut être tout simplement parce qu’ils énonçaient une opinion si évidente qu’il était inutile de la répéter ”. Très peu de proverbes sont cependant relatifs à la masse consacrée aux cycles agricoles. Nous trouvons quand même, tous textes confondus, une vingtaine de références à l’élevage et aux transhumances. Nous aborderons plus spécialement ici le cycle pastoral des brebis et moutons. Nous laissons ainsi de coté le cas des bouviers et porchers, dont la situation est plus stable et intéresse moins les proverbes. Voici ce que l’on pourrait reconstruire de ces textes : Les premiers mois de l’année sont les plus dangereux pour le bétail : à cause du froid : “ Enero mojado; bueno para el tiempo y malo para el ganado.361 ”, “ Febrero el corto, el peor de todos.362 ” et du fait qu’il faille le nourrir : “ Paja y hierba, para el marzo la siega.363”. Si le temps le permet, on envoie paître les troupeaux en avril : “ Tardes de marzo, arrecoge tu ganado.364 ”, “ Cuando llueve y hace sol, deja el perro a su pastor.365 ”. C’est le moment où le danger commence à être écarté : “ La res perdida, por abril cobra la vida.366 ” mais pas encore complètement : “ La oveja y la abeja, por abril dan la pelleja.367 ”. On recommence donc à prendre la route des “ cañadas368 ” à partir d’avril : “ Cuando las Cabrillas se ponen a hora de cena, tiempo es de tornarse el pastor a su tierra.369 ” et définitivement en juin : “ Por San Pedro, cada pastor con su rebañuelo.370 ” Quand rentrent-ils des transhumances? les proverbes n’y font pas allusion. Nous savons cependant que le début de l’hiver est la période d’accouplement : “ Cuando hay nieblas en Hontejas, apareja tus ovejas.371 ” et voici ce que nous apprenons du bétail au début de l’année : “ Enero las quita el sebo, hebrero las esculca y marzo tiene la culpa.372 ”. Les moutons sont, nous l’avons vu, tondus en avril : “ La abeja y la oveja, en abril dejan la pelleja. 373” si l'on prend ce proverbe dans son sens premier. Enfin, on vend les bêtes quand celles-ci se montrent sous leurs meilleures conditions : “ Allá vayas, marzo marzocho; acá me quedo yo con mis becerros, todos ocho. Calla de una vieja falsa, ruin, que allá viene mi hermano abril; que con los cueros a la feria os haráis.374 ”, “ Tu bestia aguada y lerda, por San Juan la 360 L. Combet 1971 p. 232 Janvier mouillé, bon pour le temps, mauvais pour le bétail. 362 Février le court, le pire de tous. Correas : pour le bétail si il est froid. 363 Paille et herbe, en mars les faucher. Correas : pour secourrir le bétail. 364 Aprés-midi de mars, rassemble ton bétail. 365 Quand il pleut et fait beau, laisse le chien à son pasteur. 366 La bête perdue, en avril recouvre la vie. 367 L'abeille et la brebis, en avril donnent leur pelage (laissent leur peau ?). Correas : qu'elles meurent si la mauvaise saison (froid et eau) revient. 368 Chemins empierrés reservés au bétail transhumant. (M. C. Gerbet, L’Espagne au Moyen Age, Madrid, 1992, glossaire) 369 Quand les chevrettes se mettent à l'heure du dîner, il est temps pour le pasteur de retourner à ses terres. Correas : En avril, quand le soleil est en signe du taureau. 370 Pour San Pedro [29-06], tous les pasteurs avec leurs (petits) troupeaux. 371 Quand il y a neige en Hontejas, accouple tes moutons. 372 Janvier leur quitte le sébum (graisse animale), février les épouille et mars détient la faute. Correas : les moutons, fromages. 373 L'abeille et la brebis, en avril donnent leur pelage (laissent leur peau ?). 374 Par là, va t-en, mars “marseux”; ici je reste moi avec mes veaux, tous les huit. Calla (silence ? callar signifie taire, ou « tais toi mauvaise vieille » ) de une mauvaise vieille, que par là vient mon frère avril; qu'avec les peaux à la foire vous (je ?) vous aurez. 361 pon en venta.375 ”. La condition de berger est généralement vue comme favorable comme le montre les textes suivants : “ Si quieres hacer burla del año, sé porquero de invierno y pastor de verano.376 ”, “ Agora que tengo oveja y borregos, todos me dicen en hora buena estéis, Pedro. 377”. Nous avons fait allusion aux abeilles dans un proverbe. Celles-ci font en effet montre d’une certaine attention. Elles muent donc en avril, les ruches sont sorties en février et le miel extrait en octobre : “ Si quieres sacar colmenas, sácalas por las Candelas; y si quieres sacar miel, sácala por San Miguel. 378” voire en août : “ Cuando llueve en agosto, llueve miel y mosto. 379” et le proverbe suivant laisse à entendre qu’en avril et mai, on peut aussi extraire le miel des ruches : “ Enjambre de abril, para mí, de mayo, para mi hermano; la de junio para nunguno.380 ” et plusieurs autres proverbes montrent que l’on s’intéresse aux cycles d’activité des abeilles. Tout un ensemble de cycles naturels s’offraient à l’observation du peuple des campagnes. Le cycle annuel des cultures céréalières déterminait, nous l’avons dit, la plupart des autres cycles de vie, à l’échelle de l’année. Mais l’ensemble de tous les cycles naturels, qui évoluaient à périodes différentes dans l’année, mais avec continuité sur le temps de plusieurs années, devaient certainement influer sur la perception du temps du peuple. Il est proche de la nature, nous nous en rendons de plus en plus compte à travers notre dissertation et nos textes. Elle dicte son rythme. L'homme cherche à le comprendre et le prévoir. Nos textes cristalisent un programme rigide et le vulgaire attend de la nature qu'elle le suive. Cette tendance à la shématisation est importante et nous en discuterons dans le chapitre 5. 2 / Subsistance Aux rythmes de la nature est intimement liée la survie de l’homme médiéval. Les courbes “ subsistance ” et “ climat ” du graphique 1 illustrent assez clairement ce phénomène. Nous commenterons ainsi tour à tour comment et pourquoi ces courbes évoluent-elles de cette façon. La courbe subsistance regroupe l'ensemble des proverbes qui ont trait à l’alimentation. J’ai néanmoins fait une distinction entre nourriture et boisson exprimée à fin de festivité (On tue le cochon à la Saint Tomé par exemple, le vin entre aussi dans cette catégorie) et la nourriture exprimée en terme de subsistance. Nos proverbes ont été compilés aux XVIe et XVIIe siècles mais furent formulés et répandus dans la deuxième moitié de l’époque médiévale et plus particulièrement au bas Moyen Age. L’Europe a traversé durant cette période une crise majeure qui n’a pas épargnée l’Espagne. Les épidémies, la famine et la guerre, “ les trois cavaliers de l’apocalypse ” y ont fait autant de ravages qu’ailleurs et si elle n’a pas été concernée par la guerre de Cent Ans (du moins, elle ne fut pas le théâtre dans laquelle celle-ci s’est déroulée), l’Espagne a eut son lot de batailles et de dévastations aux XIV et surtout XVème siècles dues à l’instabilité politique du royaume de Castille principalement. La paix, sur le territoire 375 Ta bête baptisée et pesante (grasse ?) pour San Juan [24-06] mets la en vente. Si tu veux te moquer de l'année, sois porcher en hiver et pasteur en été 377 Maintenant que j'ai moutons et agneaux, tous me disent à la bonne heure vous êtes, Pedro. 378 Si tu veux sortir tes ruches, sors-les pour la Chandeleur [début février]; et si tu veux extraire le miel, sors-la pour San Miguel [29-09]. 379 Quand il pleut en août, il pleut raisin et miel. 380 Essaim d'avril, pour moi, de mai, pour mon frêre. Celui de juin, pour personne. 376 espagnol, n’est revenue qu’avec l’avènement des Rois Catholiques à la fin du XVème siècle381. Ce bref rappel est destiné à nous faire prendre conscience de l’ensemble des difficultés auxquelles étaient confrontés les peuples médiévaux, évidemment les premiers touchés par ces catastrophes. Et l’on ne s’étonne pas de trouver un pourcentage important de nos proverbes consacrés à l’observation de la nature, aux récoltes et à l’alimentation. Il faut noter que la distinction que j’ai effectuée entre cultures et subsistance est purement formelle, par souci de clarté, les deux sont bien sûr interdépendants. Se nourrir : Comment ce souci se répercute-t-il dans nos textes ? Commençons avec le début de l’année qui durera en fait jusqu’en mai inclus. Nous trouvons dans ces cinq premiers mois le plus grand nombre de références et cela reflète les préoccupations liées à l’alimentation. En effet, les difficultés n’interviennent pas seulement au moment de la césure en juin mais paraissent commencer bien avant. Voici des proverbes récurrents pour janvier : “ Besugo de enero vale un carnero.382 ”, “ El pollo de enero, la pluma vale dinero.383 ” ou encore “ Gato del mes de enero, vale un carnero.384 ”. Nous trouvons, à propos de février et mars, ce genre de commentaire : “ En hebrero saca buey de tu centeno; el que no le sacó, comido le halló.385 ”, “ Cochino de hebrero, con su padre al humero.386 ”, “ Cochinillo de marzo, con su padre viene al mazo.387 ”. Les proverbes, en ce qui concerne avril, expriment plus un souci de se protéger du froid, nous y reviendrons. On suit néanmoins les récoltes comme le montre le proverbe qui suit : “ Por abril, ponte de condil; si vieres pan relucir, espera pan de allí.388 ”, “ En abril, echarte de ventril; si pan vieres, pan esperes. 389”. Le mois difficile est sans conteste celui de mai, comme le montre le pic de notre courbe. Les proverbes mettent en garde contre les difficultés d’alimentation qui peuvent poindre ce mois : “ Guarda pan para mayo y leña para todo el año.390 ”, “ Busca pan para mayo.. y echáte a dormir.391 ”... de même contre le fait de manger n’importe quoi : “ Hongo de mayo, no le des a tu hermano.392 ”, “ Caracol de mayo, candela en la mano.393 ”. Ces deux derniers proverbes expriment bien l’angoisse qui pouvait caractériser cette période et l’expression mourir de faim devait parfois prendre tout son sens durant ce mois: “ El que en mayo no merienda, con los muertos se cuenta.394 ”, “ Días de Mayo, tan largos que sodes, morro de fame, de frío y amores.395 ”. Juin est le mois salvateur et les préoccupations liées à la subsistance disparaissent. Nous avons vu cependant que l’on 381 Voir introduction. Daurade de janvier vaut un veau. 383 Le poulet de janvier, la plume vaut de l'argent. 384 Chat de janvier vaut un veau. 385 En février, sors le boeuf de ton seigle, celui qui ne l'a pas sorti, mangé le trouve. 386 Cochon de lait de fevrier, avec son père au fumoir. 387 Cochon de lait de mars, avec son père va à l'abattoir. 388 Pour avril, mets-toi de condil (prête attention?); si tu vois du pain reluire, espère pain de là-bas. 389 En avril, couche-toi sur le ventre, si pain tu vois, pain attends (-toi à en avoir). 390 Garde du pain pour mai et du bois (à brûler) pour toute l'année. 391 Cherche du pain pour mai et va-t-en à dormir. 392 Champignon de mai, ne le donne pas à ton frêre. 393 Escargot de mai, chandelle en main. (Champignons et escargots sont empoisonnés en mai) 394 En mai celui qui ne pique-nique pas, avec les mort se compte. 395 Jours de mai, tellement longs vous êtes, je meure de faim, de froid et d'amour. 382 met en garde contre les récoltes anticipées, principalement en terres tardives : “ Junio, de verde y no de maduro, en tierras tardías.396 . Les préoccupations liées à la subsistance nous montrent que l’on savait se projeter dans le futur proche (le temps des récoltes) mais aussi plus lointain: lorsqu’une récolte mauvaise est prévue, on planifie à l’échelle de toute l’année à venir, en prévision du difficile temps de césure qui interviendra nécessairement. C’est ainsi qu’il faut interpréter le type de proverbe suivant : “ Cuando corre Valfrío, vende los bueyes y échalo en trigo. 397” ou celui ci “ Dos aguas de abril y una de mayo, valen los bueyes y el carro.398 ”. Si une mauvaise récolte est prévue, on sait que le prix du blé augmentera, particulièrement à l’approche du mois de mai suivant. En prévision de ceci, il vaut mieux vendre ses bêtes le plus tôt possible, afin d’acheter et de faire des provisions de blé et passer ainsi le cap difficile de la césure de l’année suivante. 3 / Climat Le climat ensuite provoque de nombreuses réflexions. Nous n’aborderons ici que les préoccupations météorologiques exprimées pour elles-même, autrement dit, non liées aux cycles des cultures. Nous avons déjà remarqué, dans le commentaire du graphique 1 qu’il est surprenant de constater que, passé mai, on ne se préoccupe presque plus du temps qu’il fait. Tout d’abord, il nous faut tempérer ce constat avec les proverbes non inclus dans cette étude statistique. Nous trouvons en effet quelques proverbes de ce type associés aux jours des saints de fin d’année, à l’hiver et à ses fêtes. Toutefois, si cela réhausse légèrement notre courbe, la forme globale présente grossièrement le même aspect. Deux tentatives d’explication pourraient être introduites ici. L'une est due à la nature même du climat, qui est plus prévisible à la fin de l’année et nécessite peut-être moins de recommandations. On sait du moins qu’avec les froids qui arrivent, il faut se couvrir et l’on observe plus de prudence. Avec la venue des beaux jours, par contre, on a tendance à se découvrir bien que le temps soit encore incertain et cela peut provoquer coups de froids et maladies et être malade au Moyen Age était un état peu enviable et dangereux. Une autre explication pourrait être proposée: de par le fait que l’on faisait très attention aux temps afin de prévoir les récoltes, on y était plus sensible et de ce fait, plus de proverbes s’y référaient. En outre, les premiers mois de l’année affichent quelques particularismes dont nous allons faire une brève description. Janvier intéresse assez peu, il se décrit froid, sec et ensoleillé. Février alterne bon et mauvais temps : “En febrero un rato al sol y otro al humero.399”, “ En febrero, un día malo y otro bueno.400 ”... Mars retient plus l’attention et l’on met principalement en garde contre le soleil de ce mois : “ Sol de marzo, hiere como mazo.401 ”, “ Guarte del sol de marzo, y estarás hermosa todo el año.402 ”. Le véritable mois qui préoccupe est avril. Un simple proverbe du style “ abril aguas mil.403 ” n’est pas seulement un remarque innocente mais une véritable mise en garde comme nous le constatons dans 396 Juin, en vert et non en mûr, en terre tardives. Quand court Valfrío (terme pour innondation), vends les boeufs et change les en blé. 398 Deux eaux d'avril et une de mai, valent les boeufs et la charrette. 399 En février, un moment au soleil, un autre au fumoir. 400 En février, un jour bon et un autre mauvais. 401 Soleil de mars, blesse (tape) comme un marteau. 402 Méfie-toi du soleil de mars et tu seras belle toute l'année. 403 Avril, eaux mille. 397 les proverbes qui vont suivre. “ Humedades de abril malas son de salir.404 ” sous entend seulement que le temps est traître. Mais bon nombre des textes comparent les difficultés d’avril et mai, plaçant celles-ci au même niveau, autrement dit de celui de la survie. En Mai on meure de faim, en avril de froid. le vêtement n’avait rien de prolixe dans les milieux populaires médiévaux. Ainsi ce type de proverbe : “ Busca pan para mayo y leña para abril y échate a dormir.405 ” se décline-t-il sous de nombreuses formes. Avril seul provoque ce type de commentaire : “ En abril, pone la capilla al ruin.406 ” de même sous plusieurs formes différentes. Enfin, lorsqu’on ne lie pas la pluie d’avril aux récoltes à venir, le mois est exprimé en termes assez négatifs : “ Nunca ví abril que no fuera ruin, ora al entrar, ora al salir.407 ”, “ Al principio o al fin, abril suele ser ruin.408 ”. Mai provoque aussi de nombreux commentaires mais ils n’ont plus le tragique lié à avril et c’est d’ailleurs souvent par opposition à ce dernier que le proverbe est construit : “ Dice mayo a abril : aunque te pese, me he de reír.409 ”, “ Lluvia de abril y rocío de mayo.410 ”. Il peut faire froid toutefois encore en mai “ Días de mayo, morro ...de frío...411 ” et l’on peut trouver ce type de proverbe: “ En mayo, no te quitas el sayo.412 ” mais ceux-ci cumulent aussi une connotation festive comme nous le verrons par la suite. Les proverbes, selon le schéma habituel se raréfient à présent. En juin, le temps se veut au beau : “ Mayo pardio y junio claro.413 ” et on ne le souhaite pas autrement : “ Agua de por San Juan, quita vino y no da pan...414 ”, juillet ne suscite pas de commentaire, août non plus sauf en ce qui concerne le mauvais effet de la pluie avant les vendanges. Le climat de septembre se résume de cette façon : “ Septiembre, o lleva las puentes o seca las fuentes.415 ”. Nous n’apprenons rien de particulier en octobre. Novembre par contre suscite quelques commentaires, tous du style de celui-ci : “ Por Todos Santos, frío en los campos.416 ”. Enfin : “ En diciembre, leña y duerme.417 ” au coin du feu et dors, voilà tout. Cette évolution du climat annuel dans nos textes met en valeur un fait qui peut s’appliquer à tous les cycles que nous avons décrits jusqu’à présent: la nature impose ses étapes, c’est une machine capricieuse qui malgré tout possède des règles. Les proverbes ont pour but de les enseigner afin de mieux pouvoir les assumer. 4 / Le cycle amoureux Curieusement, un dernier cycle n’est pas encore complètement indépendant de celui des récoltes : celui de l’amour. Le schéma que nous allons construire du cycle amoureux 404 Humidités d'avril, mauvaises sont de sortir (se manifester, de s'y exposer ?). Cherche du pain pour mai et du bois (à brûler) pour avril et va te coucher. 406 En avril, mets la capuche au démuni (à moins que le sens ne soit celui de vil). 407 Jamais je n'ai vu d'avril qui ne fut mauvais, moments à l'entrée, moments à la sortie. 408 Au début ou à la fin, avril est généralement mauvais. 409 Mai dit à avril: Bien que cela te pèse, je me dois de rire. 410 Pluie d'avril et rosée de mai. 411 Jours de mai, je me meurs ... de froid 412 En mai, ne te quite pas la robe. 413 Mai grisâtre et juin clair. 414 Eau de San Juan, quitte le vin et ne donne pas de pain... 415 Septembre, ou porte les ponts, ou sèche les fontaines. 416 Pour la Toussaint, froid dans les champs. 417 En décembre, bois à brûler et dors. 405 renverra une fois pour toute l’amour courtois dans les rangs des élites d’où il provient (même si celui-ci a influencé fortement les textes des chansons populaires). Les proverbes nous montrent en effet une vision beaucoup plus terre à terre de l’amour et des cycles de reproduction. Ainsi, trois facteurs influent voire dictent leurs règles à la libido de l’espagnol du bas Moyen Age: la religion, la fête et le travail des champs. Nous les retrouverons à travers le cycle annuel qui pourrait se présenter ainsi : Janvier semble neutre, nous trouvons seulement ce type de proverbe: “ Luna de enero y el amor primero.418 ”. Février et Mars sont marqués par le temps de Carême qui signifie à la fois jeûne et abstinence sexuelle. L’un comme l’autre étaient ils respectés? Il semble que oui. Les proverbes qui font référence à la longueur de ce temps sont nombreux. Ils font plus allusion au jeûne mais on devine que l’abstinence n’est pas étrangère à la plainte suivante : “ No puede más faltar que marzo de Cuaresma.419 ” et voici un autre proverbe que nous pouvons trouver: “ Los amores que comienzan en Cuaresma duran más, dicen las dueñas.420 ” et un autre beaucoup plus explicite “ Más pobre que puta en Cuaresma.421 ”. Pâques est un des grands rendez-vous galants de l’année. Le lien entre Pâques et la Saint Jean, autre grande date dans ce sens, est souvent exprimé. “ Que si a Pascua no viniere, a San Juan me aguarderéis.422 ”, “ Mi señora me demanda : / - buen amor ¿cuando vernéis ? / - Si no vengo para Pascua / para San Juan me aguardéis. 423” (F. A. #245) ”. Pourquoi des rendez-vous aussi sporadiques ? Certainement car les fêtes étaient prétexte à rassembler et susciter des vocations entre des individus qui autrement sortaient peu de leurs villages. Des fêtes, cependant, entre la Saint Jean et Pâques, il y en avaient, particulièrement au mois de mai et cette période est certainement la plus propice aux épanchements amoureux. Les fêtes de mai sont pour la plupart des résurgences des fêtes florales de Vénus, déesse de l'amour424. Les amoureux se plaignent du temps qui file trop vite : “ Días de mayo, días de desaventura; aún no es mañana, y ya es noche escura 425”. Voici le type de villancicos qui se dédient à mai : “ Mañanitas floridas / del mes de Mayo, / despertad a mi niña, / no duerma tanto.426 ” (Alín #756) ou encore “ Entra Mayo con sus flores, / Sale Abril con sus amores, / y los dulces amadores / comiençan a bien servir.427 ” (Alín #82). Se marier à cette période paraît ne pas avoir été bien vu : “ Las malas , en el mes de mayo se casan.428 ”. Juin ensuite porte deux grandes fêtes amoureuses : la Saint Pierre, le vingt-neuf et surtout la Saint Jean le vingt-quatre. La Saint Jean est la fête populaire par excellence nous reviendrons sur cet évènement lorsque nous nous pencherons sur le cycle annuel des fêtes. Nous 418 Lune de janvier et amour premier. Ne peut pas plus manquer que mars de Carême. 420 Les amours qui commencent en Carême durent plus longtemps disent les maîtresses. 421 Plus pauvre que pute en (temps de) Carême. 422 Que si je ne venais pas à Pâques, à la San Juan vous m'attendrez. 423 Ma dame me demanda : / - Bel amour, quand vous verrai-je ? / - Si je ne viens pas pour la Pâques / pour la Saint Jean vous m'attendrez. 424 S. Romeralo , El Villancico, estudios sobre la lírica popular en los siglos XV y XVI, Ed. Gregos, Madrid, 1969 p. 50 425 Jours de mai, jours de désaventure, à peine est-ce le matin que déjà c'est la nuit obscure. Correas : Plainte d'amoureux pour qui le temps passe trop vite. 426 Petites matinées fleuries, / du mois de Mai, / reveillez mon enfant (amour), / qu'elle ne dorme pas tant. 427 Entre Mai avec ses fleurs, / sort Avril avec ses amours, / et les doux amants, / commencent à bien servir (?). 428 Les mauvaises, en mai se marient. 419 soulignerons seulement ici sa nette connotation amoureuse. Tout un ensemble de rites et de croyances est attaché à cette fête. Ce proverbe résume la situation . “ Día de San Juan, tres costumbres : mudar casa, amo o mozo, coger hierbas y bañarse, por su bautismo.429 ”. On cueille les herbes pour en orner les portes mais aussi : pour avoir de la chance en amour : “ Que no cogeré yo berbena / la mañana de Sant Juan / Pues mis amores se van.430 ” (Alín #754) ”, et pour des motifs moins évidents “ Con la yerbalán y la ruda no se muere criatura.431 ”. Les pratiques de la Saint Jean sont multiples et pas toujours innocentes : “ Si no te quieres casar, come sábalo por San Juan.432 ”, “ Si a tu marido quieres matar, dale coles por San Juan.433 ”. Le sens amoureux de la Saint Jean s'exprime dans plusieurs autres textes : “ Mañana de la San Juan, mozas, a mis casa todas.434 ”, “ …/ Oh, qué mañanica, mañana, / la mañana de San Juan, / cuando la niña y el caballero / ambos se yvan a bañar !435 ” (Alín #444)... Peu après dans le mois, la Saint Pierre prend aussi le caractère de rendez-vous amoureux. Les deux fêtes sont d’ailleurs plusieurs fois mises en parallèle : “ Por San Juan y San Pedro, todos los mozos mudan el pelo.436 ”, “ Por San Pedro y San Juan, todos los mozos se van.437 ”... On ramasse aussi des herbes à la Saint Pierre : “ La noche de San Juan, mozas / vámonos a coger rosas / mas la noche de San Pedro / vamos a coger eneldo438.” (F. A. #454) mais nous ne sommes pas plus renseignés en ce qui concerne cette fête. Le mois de Juin est aussi dédié dans son ensemble à l'amour ? Une petite ombre au tableau que nous avons dressé, vient tempérer cette hypothèse : “ Junio, julio, y agosto, señora, no soy vosto, ni vostro, ni os conozco...439 ” ou encore : “ Junio, julio y agosto, ni dama ni mosto. 440”, “ En julio, ni doña, ni caracol.441 ” Ces trois mois sont en effet des mois de pleine activité en ce qui concerne les travaux liés aux cultures et ces proverbes sousentendent qu’il y a un temps pour tout, pour le travail et pour l’amour. Nous pourrions avancer une autre hypothèse: concevoir un enfant dans ces mois, c’est supposer accoucher vers avril ou mai et mettre ainsi la vie du nouveau né en danger en ces mois généralement difficiles de césure. Ce cas serait cependant moins pertinent en juin et si ce mois est une période de forte activité, il n’y a aucun doute sur la nature libertine de fêtes telle que la Saint Jean et Saint Pierre. De même pour juillet, le villancico suivant tempère les précédents proverbes : “Nochecitas de Julio /y ayres del Prado, / dezí a mis 429 Jour de la San Juan, trois habitudes : changer de maison, maître ou garçon, ramasser des herbes et se baigner, pour son baptême. 430 Que je ne ramasserai pas moi de berbène / le matin de la Saint Jean / car mes amours s'en vont. 431 Avec la yerbalàn (herbe de la Saint Jean) et la ruda (?) ne se meurt pas la progéniture. 432 Si tu ne veux pas te marier, mange sábalo (sorte de poisson, apparenté à la sardine) pour la San Juan. 433 Si ton mari tu veux tuer, immerge lui la tête le jour de la San Juan. 434 Matin de la Saint Jean, jeunes filles, toutes chez moi. 435 ... / Quel petit matin, matin, / le matin de la San Juan, / quand l'enfant et le chevalier / ensemble vont se baigner ! 436 Pour San Juan et San Pedro, tous les jeunes changent de coiffure. 437 Pour San Pedro et San Juan, tous les mauvais s'en vont : Correas nous indique que ruines est à prendre dans le sens de jeunes amoureux. 438 La nuit de la San Juan, jeunes filles, allons cueillir des roses, mais la nuit de la San Pedro, allons cueillir de l'aneth. 439 Juin, juillet, août, ma dame, ni suis-je (?), ni vôtre, ni ne vous connais 440 Juin, juillet et août, ni dame ni moût. 441 En juillet , ni dame ni escargot. amores / que aquí me aguardo.442 ” (Alín #758). Une autre explication possible est révélée par Correas en ce qui concerne octobre : “ En octubre, no pongas a tu mujer la mano en la ubre, que si te lo ayudare a sembrar, no te lo ayudará a segar.443 ” Il commente cette jolie parabole de la façon suivante : “ ·No tengas ayuntamiento con tu mujer en octubre, porque estará al agosto muy preñada, o recién parida y no te podrá ayudar a trillar y recoger el pan...444 ” Nous voilà au cœur du problème. On a besoin de main d’œuvre pendant et après les récoltes et une femme enceinte ne peut apporter aucune aide. Concevoir en août, c’est être en période de purification en juin. Ainsi, jusqu’à octobre cela est fortement déconseillé. Affirmer que de juin à octobre, on observait une abstinence totale, serait assez utopique mais on observait certainement beaucoup plus de prudence dans les rapports sexuels pendant cette période de l’année, particulièrement au moment d’octobre (le proverbe précédent se décline sous de nombreuses formes différentes). Pour novembre et décembre enfin, nous ne sommes gratifiés d’aucune indication. Voila comment nous pourrions résumer l’ensemble: l’année se décompose en plusieurs temps. Une période “ faste ” d’amour, de Pâques à la Saint Pierre. Les mois qui suivent appellent à d’autres activités et à la prudence. Particulièrement d’août à octobre, il faut se mesurer. Novembre, décembre et janvier paraissent être des mois “ neutres ” précédant les sept semaines de Carême où l’abstinence totale est prônée. Le temps fort de ce cycle amoureux est celui de la Saint Jean. 5 / Les fêtes Voyons à présent un cycle lié à ce dernier et qui se veut moins dépendant du rythme des saisons que les précédents : le cycle annuel des festivités. Moins dépendant, cela reste encore discutable. Ce n’est pas un hasard par exemple si mai rassemble un grand nombre de fêtes: c’est une période où le climat et la durée d’ensoleillement est propice aux festivités et c’est surtout un temps moindre d’activité en ce qui concerne les champs. Mais mise à part les fêtes vraiment liées aux cycles agricoles (celles qui suivent les vendanges par exemple), la majorité des festivités annuelles se déroulent indépendamment des mouvements des cultures. C’est cette fois le calendrier religieux qui prévaut. Nous ne nous attarderons pas à décrire en détail toutes les fêtes et ce à quoi elles sont liées. Pour plusieurs raisons: tout d’abord car cela a fait l’objet de nombreuses études que nous ne ferions que paraphraser. Ensuite car il est difficile de proposer un schéma détaillé dans ce sens à partir de nos textes. Nous synthétiserons donc ce cycle annuel, mettant en valeur ses principaux rendez-vous et temps forts. Janvier est marqué par plusieurs festivités. Faisons le commencer par la Saint Antoine, l’Épiphanie clôture en effet un cycle et, à cet effet, nous la citerons en dernier. La Saint Antoine ainsi que la Saint Sebastien et la Saint Vincent qui la suivent sont des fêtes à caractère carnavalesque, selon J. M. Díez Borque445 et c’est d’ailleurs souvent par opposition à la Carême qu’elles sont exprimées : “ Corvilla de enero, San Antón 442 Petite nuits de juillet / et brises du pré, / dites à mes amours / qu'ici je les attends. En octobre, ne mets pas la main dans la poitrine de ta femme, que si cela t'aidera à semer, cela ne t'aideras pas à moissonner. 444 N'aie pas de copulation avec ta ta femme en octobre, car elle sera en août trés enceinte ou recluse (l'expression correspond certainement à la période de “ purification ” que la femme devait respecter, sans sortir de chez elle, après avoir accouché) et ne pourra pas t'aider à battre et récupérer le pain. 445 J. M. Díez Borque dans Celebraciones y fiestas populares, dans J. M. Jover Zamora (dir.), Historia de España, Menéndez Pidal, Vol XXI (La cultura del Renacimiento) , Madrid, 1997 p. 103 443 primero.446 ”. La Carême arrive donc et dure quarante-six jours exactement. Cette période suscite de nombreuses plaintes quant à sa longueur au point que l’on en vient à utiliser l’expression “ Más largo que semana de Cuaresma 447”. La Pâques suit ce temps de jeûne et se veut le principal temps fort religieux de l’année. C’est par ailleurs une fête très appréciée comme le montre ce type de proverbe : “ Echate a dormir tras una mata que en un día se pasa la Pascua.448 ”. Le temps fort de fête suivant est bien sûr celui de mai qui rassemble le plus grand nombre de fêtes : “ Mayo manguerro, pon la rueca tras el humero.449 ”. Nous avons déjà souligné le caractère érotique de ce mois. De nombreux proverbes conseillent d’ailleurs de conserver ses plus beaux atours pour ce mois-ci “ En mayo a quien no tiene jubón fáltale el sayo.450 ”. La Saint Jean ensuite est la fête par excellence. C’est celle qui est la plus commentée, et de loin (plus d’une cinquantaine de références pour cette seule fête). Elle cache derrière ce nom de Saint un caractère nettement populaire à caractère burlesque, voire païen. Nous avons déjà entraperçu quelques rites qui y sont liés. A coté de ces pratiques, nous avons l’impression que cette fête est le grand “ défoulement ” de l’année, où tous les excès sont permis451, sur le plan amoureux, mais aussi en ce qui concerne la violence qui suscite ce genre de commentaire : “ Las riñas de San Juan son paz para todo el año.452 ”. Nous poursuivons ensuite jusqu’en août où se détache la fête très appréciée de Santa María (“ Santa María, detén tu día.453 ”) et les festivités associées aux vendanges. Celles-ci s’étendent jusqu’en septembre selon le délai de mâturité des raisins. N’importe comment, août et septembre sont des mois appréciés : “ Agosto y septiembre no duran siempre.454 ”. Fin octobre ou début novembre, on tue le cochon : “ El día de San Lucas, mata tus puercos y atapa tus cubas.455 ”. Décembre enfin est caractérisé par le cycle de la naissance du Christ. Aucune date ne se dégage de l’Avent. La fin de l’année est une période chargée, particulièrement à Noël où l’on s’en donne à cœur joie : “ Màs occupado que horno en Navidad.456 ”. La Saint Sylvestre suscite plusieurs réflexions mais pas en terme de fête cependant. Enfin l’Epiphanie clôture ce cycle de commémoration de la naissance du Christ. Mais il semble qu'elle soit plus première fète de l'année que fin de cycle : “ La Epifanía, todas las fiestas avía.457 ”. Ce très rapide survol du calendrier festif de l’année ne doit pas cependant cacher l’importance accordée à celui-ci. La fête est partie intégrale du déroulement de l’année et en supprimer une est très mal perçu. Ainsi lorsqu’une fête tombe un dimanche, nous trouvons invariablement ce type de proverbe : “ Navidad en domingo, vende los bueyes y echálo en trigo.458 ” la deuxième proposition, que nous avons déjà rencontrée, reste 446 Mercredi des Cendres de Janvier, San Antón en premier. Plus long que semaine de Carême. 448 Va te coucher, qu'en un jour passe la Pâques. 449 Mai habillé (?), mets le rouet derrière le fumoir. Correas : pour les fêtes. 450 En mai celui qui n'a pas de jubón (chemise trés ajustée au corps qui couvrait l'homme des épaules à la ceinture) lui manque le vêtement. 451 Nous reviendrons sur ceci au chapitre 5. 452 Les rixes de la San Juan sont paix pour toute l'année. 453 Santa María, retiens ton jour. 454 Août et septembre ne durent pas toujours 455 Le jour de San Lucas, tue tes porcs et bouche ton vin. 456 Plus occupé que four à la Noël. 457 L'Epiphanie, toutes les fêtes prépare. 458 Noël un dimanche, vends les boeufs et change-le en blé. 447 toujours la même, seule la première change : “ Cuando San Juan fuere en domingo... 459” , “ Pascua en domingo...460 ”... Le fait de supprimer une fête est perçu comme un signe néfaste, contraire au déroulement classique de l’année, d’où le conseil de se préparer pour des temps difficiles... 6 / L'artisanat Un dernier cycle peut enfin être dégagé de nos textes: celui des activités non agricoles. Cela concerne principalement les activités artisanales. Nous n’avons, en terme de calendrier que peu d’évidences et nous ne nous attarderons pas sur celles-ci. Néanmoins, nous pouvons encore remarquer que c’est le cycle annuel qui prévaut. Une fois de plus, nous sommes confrontés à l’épineux problème de la différenciation ville / campagne. Il se pose moins toutefois : les ateliers artisanaux se rencontraient dans les villages aussi bien que dans les communautés urbaines plus importantes. La hiérarchie traditionnelle apprenti / compagnon / maître n’est pas exprimée dans nos proverbes. Les deux catégories inférieures sont synthétisées sous le terme “ mozo ” (jeune homme) et opposées á l’ “ amo ”, le maître. Les ateliers artisanaux ne sont pas indépendants des rythmes annuels de l’agriculture et de l’élevage et ils ont tous plus ou moins leur période de forte et plus faible activité (le meunier après les récoltes461”, le tailleur avant les fêtes...) mais leurs activités sont plus régulières et moins liées aux cycles naturels. Les grands rendez-vous, néanmoins sont annuels. Sans parler des foires, la coutume voulait qu’à certaines dates de l’année soient liées telles ou telles pratiques comme nous le montrent les deux exemples qui suivent. La paye semblait être octroyée annuellement : “ San Miguel de las uvas, tarde vienes y poco duras; si vivnieres dos veces al año, no quedaría mozo con amo.462 ”, “ San Miguel el pagador. 463”. On rentre au service d’un maître à la Saint Jean : “ Por San Juan amo, yo en la silla y vos en el escaño.464 ”, “ San Juan de buena estrena, buena comida y mejor cena.465 ”. Exercer une activité artisanale ne signifie pas forcément être artisan. La filature et le tissage par exemple pouvaient être exercés comme activité secondaire, en marge des travaux agricoles. Ces tâches revenaient à la femme et étaient couramment pratiquées (L. Combet466 relève plus de cent vingt-cinq proverbes seulement en ce qui concerne la femme et le tissage !). Nous avons relevés une quinzaine de proverbes en ce qui concerne l’emploi du temps annuel de ces travaux, ceux-ci expriment essentiellement la nécessité de commencer le filage au milieu de l’été : “ Cuando comienzan las uvas a 459 Quand San Juan serait un dimanche... Pâques un dimanche... 461 Cuando el mortero llama ¡Ay Dios que buena mañana. [Quand le mortier donne de la voix, mon Dieu, quelle belle matinée.] 462 San Miguel des raisins, tard tu viens et peu tu dures; si tu venais deux fois l'an, il ne resteraient plus de garçons aux maîtres. 463 San Miguel le payeur. 464 Pour la San Juan, maìtre, moi sur une chaise et vous sur le siège. 465 San Juan qui débute bien, bon déjeuner et meilleur dîner. Correas nous explique que c’est le jour où l’apprenti rentre en service. 466 L. Combet 1971 Appendice II, IVc 460 madurar, comienzan las mozas a hilar. 467 ”, “ La buena hilandera, por San Bartholomé comienza la tela, y la muy buena por la Madalena. 468”... Conclusion Nous nous sommes longuement penchés sur ces cycles annuels. La profusion des proverbes qui s'y intéressent nous ont permi de le faire, et nous donne la mesure de l'importance du temps annuel et de ses découpages. Nous avons dégagé la planification de ce temps. Elle diffère selon le sujet traité mais est cohérente dans l'ensemble, en ce qui concerne la concentration des textes qui traitent des premiers mois de l'année. Ce sont ceux qui intéressaient le plus car ils déterminaient dans une large mesure le déroulement du reste de l'année. Cette cohérence s'exprime aussi à un autre niveau : il nous a été possible de reconstruire clairement ces cycles annuels car chaque thème suit son propre planning. Le fond des différents proverbes est différent mais la structure du groupement de texte par cycle reste la même : à chaque mois correspond généralement un type de commentaire. Ceci est important, le temps annuel est préréglé : On n'aime pas que la nature passe outre le planning prévu, quitter une fête est signe de malheur, les ébats en octobre sont vivement déconseillés... Quelque que soit les préoccupations qui se cachent derrière ces messages, il est intéressant de noter cette réglementation rigide du temps annuel. Elle implique une repérage satisfaisaient de l'individu dans ce temps. Il est appréhendé concrètement donc correctement. Retenons donc ces quelques points : le temps annuel intéresse et est minutieusement découpé. Ce découpage est essentiellement pratique. Il est clair et prédéterminé et l'on attend qu'il soit respecté. Nous reviendrons sur ces remarques au chapitre 5. 467 Quand les raisins commencent à mûrir, les jeunes filles commencent à filer. La bonne fileuse, pour la San Bartholomé [24-08] commence la toile, et la trés bonne, pour la Madeleine [22-08]. 468 CHAPITRE 3 LE TEMPS D’UNE VIE469 Nous laissons à présent de côté le temps perçu à l’échelle d’une année pour nous concentrer sur le temps humain. Le temps d’une vie peut fournir une durée de comparaison. C’est à mon avis un point important. Il ne retiendra, cependant, qu'assez peu notre attention car faire l’inventaire de toutes les expressions qui emploient la vie ou sa compartition comme moyen d’appréciation du temps serait fastidieux et ne nous apporterait rien de concret (nous en présentons quelques exemples ci-dessous). Retenons ceci cependant : la vie et ses étapes propose un moyen d’apprécier le temps à moyen terme, sans que l’on ait besoin de recourir à un décompte annuel. Nous avons vu que l’on n’exprimait presque pas de durées supérieures à quelques années. Nous verrons par la suite que l’appréciation de l'âge en terme d’année est aussi plus que relatif. Le temps proprement humain (les âges pris au sens large) fournissait, en contrepartie, un exemple concret de périodisation, à laquelle l’individu pouvait se référer relativement. Autrement dit, le temps humain proposait un modèle d’appréciation du temps chronologique qui n’obligeait pas à recourir à une perception abstraite de celui-ci470. Le temps humain comme partie du temps chronologique ne ressort pas du domaine de l’hypothèse : Tout d’abord, vie et temps n’étaient pas dissociés. Une vie se calque sur le processus chronologique et l'exprime en retour : “ Hoy en la vida, mañana en la mortaja471 ”. L’astronomie est un exemple de ce lien compliqué qui lie la vie d’un individu avec le moment où il est né (et, par répercussion les influences astrales qui détermineront ou influeront son cours). Pour rester dans ce domaine des croyances, les périodes fastes ou néfastes s’échelonnent du moment (exprimés sous le terme de “ Hora 472”) aux étapes de la vie, comme nous le verrons au chapitre 4. Cette vie se répercute d’ailleurs dans nos textes comme unité chronologique, à même titre que le jour ou l’année et l’on trouve nombre de proverbes qui utilisent “ tiempo ”, “ Días ”, “ años ” ou “ vida 473” dans le même sens. Voyons quelques exemples : pour la mise en garde contre le temps qui file, nous pouvons trouver “ El tiempo corre y todo lo 469 Cette étude repose sur environ un millier de proverbes et de villancicos (dont quatre cents concernent la mort). 470 L'idée est simple : la projection dans la passé ou le futur au moyen d'un âge vécu ou à venir n'obligeait pas l'individu à exprimer un nombre quantifié d'années. Par exemple, utiliser «Cuando yo era moza, meaba por un punto; ahora que soy vieja, méolo todo junto. » [Quand j'étais jeune, j'urinais par un endroit, maintenant que je suis vieille...] évitait de dire : « Quand j'avais vingt ans... » ou « Il y a quinze ans, je... » Vu que l'on ne décomptait pas les années, le recours aux classes d'âges était un moyen de substitution pour apprécier passé et futur à moyen terme. 471 Aujourd'hui dans la vie, demain dans la fosse. 472 Heure 473 temps, jours, années, vie traspone.474 ”, “ Beldad y hermosura poco dura, más vale virtud y cordura. 475”, “ Ningún día malo, muerte temprano.476 ” et la même remarque à échelle différente “ Pascuas largo tiempo deseadas son en un día presto pasadas. 477”. La variabilité des temps s’exprime aussi bien de cette façon : “ nos son todos los tiempos uno.478 ” que de celle ci : “ No hay cosa firme ni estable en esta vida y mundo miserable.479”. On utilise indifféremment “ Años y días... ” ou “ Años y vidas... 480” dans le proverbe suivant : “ Años y días componen villas.481 ”... Nous pourrions multiplier les exemples, et nous en retrouverons dans notre exposé. Le temps humain n'est pas séparé du temps chronologique. Rappelons nous de la cloche, la chute de la feuille, symboles à la fois chronologiques et humains du temps qui s'écoule. Retenons aussi cette image de la chandelle qui brûle, symbole de lumière et d’obscurité, du temps qui passe et de la vie qui se consume... Ces remarques sont évidentes mais elles acquièrent quelque intérêt lorsque nous prenons la mesure de l'imprécision à exprimer le temps à moyen et long terme, imprécision que nous mettrons en valeur par la suite. Nous seront plus concernés, par le temps humain abordé sous l’angle des mentalités, comment la vie et ses différents âges étaient perçus. Nous présenterons tout d’abord les âges de la vie, sous leur aspect quantitatif, à savoir, quels sont-ils et comment sont-ils déterminés. Nous analyserons ensuite ces âges sous l’angle des commentaires qui leurs sont liés. La partie suivante sera consacrée aux bornes de la vie. Nous reprendrons enfin, l’ensemble des informations que nous aurons obtenues dans une tentative de synthèse et de conclusion. 474 Le temps courre et change tout. Beauté et grâce peu durent, mieux valent vertu et sagesse. 476 Aucun mauvais jour, mort (arrive) tôt. 477 Pâques longtemps attendues sont en un jour vite passées. 478 Tous les temps ne sont pas un. 479 Il n'y a rien de ferme ni stable dans cette vie et monde misérable. 480 Années et journées... ou Années et vies.... 481 Années et vies composent les villes. 475 I / Les trois ages : essai de délimitation : Nous tenterons de déterminer, dans cette partie, comment la vie du vulgaire était divisée. Nous analyserons tout d’abord comment et avec quelle précision l’homme du peuple appréciait son âge. Nous verrons par la suite les principales classes d’âges qui se dégagent et comment sont-elles délimitées. 1 / L'appréciation de son âge Connaît-on son âge ? Voici la première question que nous nous poserons. Elle est délicate mais l’exposé qui va suivre penchera en faveur d’une détermination assez imprécise de l’âge dans nos milieux populaires. Une première difficulté réside d’ailleurs dans le fait que, si l’homme du vingt-et-unième siècle exprime automatiquement son âge en années, cela ne semblait pas être une évidence pour celui du Moyen Age. Du moins, si l’on veut exprimer précisément son âge, on le fait par le moyen des années. Mais le jour est aussi employé pour exprimer le déroulement de la vie. Un certain nombre de proverbes qui emploient le terme “ día482 ” sont ainsi difficiles à interpréter par eux-même mais deviennent plus compréhensibles lorsqu’ils sont regroupés. “ Día ” est employé comme unité d’expression de l’évolution de la vie. Commençons par ce proverbe, qui cumule les acceptions chronologiques et “ humaines ” du terme : “ ¿Que hay ? -Un día más que ayer y menos de nuestra vida. 483”. Le suivant associe “ día ” et “ año484 ” comme unités d’expression du temps humain : “ No me lleves años, que días tras ti me voy. 485”. On utilise indifféremment “ años ” et “ días ” dans ce proverbe très usité486 : “ Los días no se van de balde.487 ”488. Et nous comprenons mieux, à présent, ce simple proverbe : “ En mis días vivo. 489” qui s’utilise, selon Correas, lorsque l’on ne sait pas déterminer son âge. Une première donnée s’impose donc : exprimer le déroulement du temps humain en terme de jour laisse présumer un certain vague dans la perception de ce processus. Cette imprécision se reflète d’ailleurs dans le proverbe précédent et celui qui suit (qui existe en plusieurs versions) : “ No me preguste cuantos años tengo, ni el día en que nascí.490 ”. Si de tels proverbes existaient, c’est nécessairement qu’ils étaient employés et servaient de parabole devant l’impuissance à exprimer son âge. Poursuivons notre enquête et analysons les textes qui expriment un âge au moyen d'un décompte d'unités temporelles, l'année principalement491. Deux proverbes se 482 Jour Qu'y a-t-il ? Une jour de plus qu'hier et de moins de notre vie. 484 Année 485 Ne me charge pas d'années, que jours aprés toi je m'en vais (?). 486 Le fait qu’il se décline en de nombreuses versions différentes me fait supposer qu’il ait eu du succès. 487 Les jours ne s'en vont pas gratuitement. 488 “ Les jours qui passent ne se récupèrent jamais ” On emploie jours aussi bien qu’années, ce qui me fait conclure que c’est bien en terme de temps humain que l’on emploie ce proverbe. Cet autre confirme cette déduction : “ Acudir al cuero con albayalde, que los años no se van de balde. ” [Masquer son teint avec de la poudre, que le poids des ans se fait sentir] (Correas : Contre celles qui se maquillent, bien qu’elles soient vieilles). 489 Dans mes jours je vis. 490 Ne me demande pas combien d'années j'ai, ni le jour où je suis né. 491 Notons ici que l’année (chronologique ou humaine) ne s’exprime pas seulement avec le terme « años ». « Navidades [Noëls] » était usité dans le même sens « Ni alabes ni desalabes hasta siete Navidades. » [Ne vante ni ne déprécie (sous entendu un enfant?) avant sept ans], « Muchas Navidades que han pasado. » 483 réfèrent aux quelques temps qui suivent la naissance : “ Niño de un mes tente en tus pies 492”, “ Niño que no rié a las siete semanas, o es ruin, o tiene ruines mañas.493 ”. Ce temps n’est pas difficile à déterminer et il n’y a rien de surprenant à ce que l’on trouve ce type d’adage. Nous passons ensuite à sept ans dans ce proverbe : “ Ni alabes ni desalabes hasta siete Navidades. ”494, dix et quinze ans dans ce villancico : “ “…Temprano quiso saber / el trabajo e placer / … / a los diez años complidos / … / a los quince ¿ que fará ? / … 495” (Alín #18) , onze dans celui-ci : “ Que más bronce, que años once ! 496”, quinze dans ce dernier : “ Mozo de quince años, tiene papo y no tiene manos.497 ”. Le prochain âge exprimé est la vingtaine “ No hay veinte años feos ni cuarenta hermosos. 498”, la trentaine “ El hombre a los treinta, o vive o revienta.499 ” puis la quarantaine “ El que a cuarenta no atina... 500”, la cinquantaine, soixantaine et plus : “ Tras los días viene el seso, y tenía setenta y azotábanla por traviesa. 501”, “ El niño de tres treinta años ”502... Nous pourrions résumer cet énoncé de la façon suivante. Jusqu’à une quinzaine d’années, l’âge semble être exprimé de façon satisfaisante. Ce n’est toutefois qu’une hypothèse : sept est un terme courant comme nous le verrons par la suite. Dix ans et quinze ans peuvent représenter un âge générique plus que réel. Nous ne pouvons pas demander l’impossible à nos sources. Il reste qu’en quinze ans, quatre âges sont exprimés. Et c’est par opposition aux âges qui suivent que cette hypothèse prend quelque valeur. En effet, passé quinze ans, seules des expressions génériques, correspondant à une dizaine, donnent une certaine mesure de l’âge : la trentaine, soixante-dix ans... Nous rencontrerons d’autres proverbes de ce type dans la suite de notre exposé. Il expriment en fait plus des classes d’âges que des âges en particulier. Nous pourrions donc avancer que l’enfance et l’adolescence semblent avoir été correctement appréciés : L’individu, en cette période, n’est pas autonome et suscite attention et espoir de la part de sa famille et de son entourage. Il est de plus en pleine [Un grand nombre de Noëls sont passées]). Le premier de l’an était fixé au premier janvier mais pouvait l'être aussi à Noël (J. Le Goff, El orden de la memoria, Barcelone, 1991, p. 205). Dans ce sens, il est facilement compréhensible qu’une année révolue soit identifiée à cette date. Le proverbe suivant exprime la vieillesse : « Las muchas Navidades lo causan. » et s’utilise de la même manière avec « guindas » [griotte ? guindar = faucher] ce qui laisse supposer qu’on ne dédaignait pas d’avoir aussi recours à des images pour désigner l’âge. 492 Enfant d'un mois, tiens-toi sur tes pieds. 493 Enfant qui ne rie pas aux sept semaines, ou est mauvais (débile, faible ?), ou a de mauvaises habitudes. 494 Ne vante ni ne déprécie (sous entendu un enfant?) avant sept ans. 495 Tôt il a voulu connaître / le travail et le plaisir / ... / à dix ans révolus / ... / à ses quinze ans, que fera-til ? 496 Qui chamaille plus que onze ans ! 497 Garçon de quinze ans, a de la presture et n'a pas de mains. 498 Il n'y a pas de vingt ans laids et de quarante beaux. 499 L'homme a la trentaine, ou il vit ou il cède. 500 Celui qui à quarante ans ne devine pas juste... 501 Avec les jours vient la sagesse, et elle en avait soixante-dix et la fouettait (?) de travers (se comportait toujours comme un enfant ?, ser traviesa signifie n’être pas sage). 502 “ L’enfant de trois fois trente ans ” La construction de ce proverbe présume une certaine difficulté à exprimer les grands âges. En effet, si il est plus facile d’apprécier trente ans qu’une période beaucoup plus longue, nous comprenons que trois fois trente ans soit, dans ce sens, plus facilement perçu et utilisé que quatre vingt dix ans. Il serait ainsi très intéressant de savoir si ce type de construction s’emploie fréquemment dans le langage de l’époque. évolution et il parait ainsi plus nécessaire d’en marquer les étapes. Enfin, il ne cumule pas un très grand nombre d’années et de ce fait, ne nécessite pas une grande capacité de mémoire et perception du temps. Passée cette période, les textes expriment les âges de façon plus qu’approximative, en terme de classe d’âge. Autrement dit, plus l’on vieillit, moins l’on connaît son âge503. Deux contre-exemples doivent cependant nous inciter à la prudence. Le premier, auquel nous avons déjà fait allusion concerne le cas des sept ans. On faisait très attention aux fins de sept ans504 et plusieurs proverbes expriment cette préoccupation : “ Dos culos que bien se quieren, de siete en siete años se hacen lugar.505 ” “ No muera yo de tres, o cuatro, o menos años. 506” (Correas indique que sept est sous-entendu)... Ainsi, si pour des raisons de superstition, on retenait lorsque s’achevaient les cycles de sept ans, cela implique que l’on était capable de mesurer et délimiter ces cycles... Je me suis aussi demandé si l’on célébrait les anniversaires, partant du principe que dans ce cas, on connaissait sa date de naissance. Ce proverbe parait pencher en faveur d’une telle hypothèse : “ Llorar con testigos, cumplir con amigos.507 ”. C’est le seul néanmoins avec celui-ci “ Hacer años.508 ” que Correas explique par “ cumplir años.509 ”. Ces derniers proverbes sont insuffisants pour contredire mes propositions précédentes. La question des tranches de sept ans reste en suspens, il nous faudrait confronter nos sources avec d’autres témoignages afin de déterminer dans quelle mesure elle est pertinente. 2 / Les classes d'âges Quelles sont les classes d’âges ? Quelles sont les tranches de vie qui apparaissent dans nos textes ? La vie semble avoir été divisée en trois grands stades : La jeunesse (pris au sens large), la maturité et la vieillesse. Bien sûr, le vocabulaire renvoie à des divisions plus précises des âges, particulièrement en ce qui concerne la jeunesse. Cependant, si nous demandons à nos proverbes de compartimenter une vie, la réponse est invariable et s’exprime de cette façon : “ En hora buena vengaís, en hora buena estaís, en hora buena vaís.510”. Nous allons essayer de détailler comment est-ce que l’on délimitait ces tranches. Essayons tout d’abord de faire une approche quantitative. 503 R. Homet dans Los viejos y la vejez en la Edad Media, sociedad y imaginario, Buenos Aires, 1997 p. 48-51, nous livre des données qui donnent mesure de l’imprécision constatée lorsqu’il s’agit de déterminer son âge. A l’occasion d’une recherche réalisée en 1220 pour le procurateur du monastère de San Zoilo de Carrión sur les droits de cette institution dans plus de onze églises de la juridiction palentine, on eut recours à la mémoire de personnes âgées, de plusieurs villages. Sur un total de cent-soixante-sept personnes interrogées, trente-six ne connaissaient pas leurs âges et quatre-vingt-dix-neuf appréciaient leurs âges au moyen d’une dizaine (dans ce lot, dix-sept indiquent cinquante ou soixante ans “ et plus ”). Restent deux cas où les personnes indiquent un évènement qui a eu lieu à l’époque de leur naissance, dixsept déclarations sans âges et finalement treize personnes ont indiqué leurs âges de manière précise et R. Homet nous apprend que parmi ces treize, deux personnes (un clerc et un majordome) seulement donnèrent leur âge de manière exacte et sans adjectif restrictif. Cette étude confirme ainsi ce que nous avons constaté à partir de nos textes. 504 Selon Correas, cela est dû en partie à la mortalité infantile trés vivace à sept semaines et sept ans. 505 Deux "culs" qui s'aiment, tous les sept ans se font de la place. 506 Je ne me meure pas, moi, de trois, quatre ou moins d'années. 507 Pleurer avec les témoins, féter l'anniversaire (célébrer) avec les amis. 508 Faire les ans. 509 Célebrer les années. 510 A la bonne heure (vous) arrivez, à la bonne heure vous êtes, à la bonne heure vous vous en allez. Le proverbe suivant nous renseigne, en ce sens, plus en détail : “ Hasta los treinta, venid en hora buena; de treinta a cinquenta, estéis en hora buena; de cinquenta y lo demás, en hora buena vais.511 ”. C’est ce qui ressort généralement de nos informations chiffrées, l’homme d’âge moyen a entre trente et cinquante ans, la classe centrale déterminant les autres. Il ne faudrait pas croire cependant que l’on enferme ces tranches d’âge à l’intérieur de quelques limites figées et que l’on arrivait à peine à apprécier ! Il ressort, bien au contraire, que la détermination et l’appartenance à une tranche d’âge ne dépendait pas d’un nombre d’années mais d’un entrelacement compliqué de facteurs, concrets pour la plupart, qui concernaient l’individu512. Nous pouvons au moyen d’une approche contextuelle de nos sources appréhender de manière beaucoup plus détaillée comment est-ce-que l’on appréciait les âges. Passons en revue nos différents âges : L’enfant est qualifié par les termes de “ niño 513” ou “ criatura 514”. La limite inférieure de cet état est celle de la naissance. La limite supérieure est délicate à déterminer. Tout d’abord, faisait-on la différence entre l’enfance et l’adolescence ? Il semble que oui. Dans le vocabulaire : on désigne par “ mozo ”, “ mancebo 515” ce stade. Notons cependant que ces termes sont très flous et peuvent aussi caractériser l’adulte. Quand sort-on de l’enfance ? Il semble que cet état s’achève avec la prise de conscience de sa virilité, les premières pratiques amoureuses et le moment où l’on commence vraiment à travailler. Ainsi est “ mozo ” celui qui fait sa “ poussée de croissance ”, physique : “ Mozo creciente, lobo en el ventre. 516” et pileuse : “ El mozo bellaco, tres barbas o cuatro.517 ”. Le début d’une activité professionnelle ou de l’apprentissage semble aussi impliquer l’état d’adolescence518 : “ Mozo de quince 511 Jusqu'à la trentaine, arrivez à la bonne heure, de trente à cinquante, vous êtes en bonne heure, de cinquante ans et plus, en bonne heure vous vous en allez. 512 D. S. Reher (La familia en España, pasado y presente, Barcelone, 1996 p. 115), par exemple, met en valeur les notions de production / dépendance et autorité / soumission comme déterminantes pour la délimitation des âges au sein de la famille. En outre, les études modernes menées sur le sujet des classes d’âge corroborent nos propos. Ainsi N. Schlinder dans G. Lévi & J. C. Schmitt (dir.), Historia de los jóvenes, vol. I, Madrid 1997 p. 311 écrit, en ce qui concerne la sortie de l’enfance : “ ...no es posible determinar con criterios generales dónde acaba la infancia y dónde comienza la juventud; tales márgenes dependen de las condiciones específicas de ambiente y condición social... ” [ ...il n'est pas possible de déterminer avec des critères généraux quand termine l'enfance et quand commence l'adolescence; de telles limites dépendent des conditions spécifiques de l'environnement et des conditions sociales...], de même G.Lévi et C. Schmitt (Id., ibid, p. 7) : “...la juventud es una construcción social y cultural... ” [...l'adolescence est une construction culturelle et sociale...]. R. Homet 1997 p. 10, au sujet de l’entrée en vieillesse propose cette définition : “ Grosso modo, son viejos los que se autocalificaron de tales, o quienes así estimaban sus contemporáneos... Por lo general, no es cuestión de edad cronológica sino de apreciación subjetiva. ” [Grosso modo, sont vieux ceux qui s'autoqualifient de tels, ou ceux que leurs contemporains qualifient ainsi... En général, ce n'est pas une question d'âge chronologique mais d'appréciation subjective.] 513 enfant 514 progéniture 515 Adolescent / jeune homme / garçon 516 Garçon en croissance, loup dans le ventre. 517 Beau garçon, trois ou quatre barbes. 518 Dans le Sud de l’Allemagne au début de l’époque moderne, un enfant provenant d’une famille pauvre commence à travailler vers dix ou douze ans selon N. Schindler (1997 p. 311). R. Homet (1997 p. 77) nous apprend qu’en Espagne, à la fin du Moyen Age, on considère qu’un enfant est apte à travailler à partir de douze ans. L’âge au travail dépend cependant largement de la condition de la famille. Un enfant de berger par exemple semble commencer à travailler très jeune : “ El hijo del pastor, no se cría sin dolor ” [l’enfant du pasteur ne s’élève pas sans douleur] (Correas : car il travaille depuis toujours). años, tiene papo y no tiene manos 519”... L’apprenti n’a d’ailleurs pas d’autre appellation que mozo dans nos textes. L’adolescence est aussi le temps de la légèreté et du libertinage. Le villancico suivant condamne une enfant très précoce en amour : “ …Temprano quiso saber / el trabajo e placer / … / a los diez años complidos / … / a los quince ¿ que fará ? / … /520 ”(Alín #18) , et de manière générale “ mozos ” et “ mozas ” sont les acteurs de tous lestextes à connotation amoureuse ou érotique. La Saint Jean, notamment, nous donne de nombreux exemples de ce type : “ Mañana de San Juan, mozas, en mi casa todas 521”... et plusieurs textes expriment la volonté de profiter au maximum de la vie avant le mariage “ Dexad que me alegre madre / antes que me case522 ” (S. R. #297), “ Cásate mancebo; no quiero casarme, más quiero ser libre que no cautivarme.523 ”. Le mariage parait en effet fixer la limite supérieure de la jeunesse et désigne la prise en charge de ses propres responsabilités. Ainsi la femme non mariée, se voit encore attribuer le qualificatif de “moza” : “ Mujer moza y viuda, poco dura524 ”. L’état d’adulte paraît donc commencer avec le mariage et marque l’entrée dans ce “ second âge ” qui correspond à celui de l’âge mûr : “ Quen timpranu cazó, aunque invijisío525” (Luria, Prov. 392) . La frontière entre cet âge de la maturité et celui de la vieillesse est beaucoup plus délicate à tracer. Néanmoins, parmi la profusion de proverbes qui traitent de ce dernier état, certains nous aident à déterminer à partir de quels critères considère-t-on l’appartenance à cette tranche d’âge. L’apparence physique joue bien sûr un rôle considérable : “ Hombre viejo, saco de osares526 ”, “ Cuando la vejez sale a la cara, la tez ¡Cual se para! 527”, “ No es ninguno más viejo de cuanto lo parece 528”...529 Mais on devient aussi “vieux” à partir du moment où l’on ne peut plus exercer sa profession : “ Ya es viejo Pedro para cabrero 530” et, de manière générale, la notion d’impotence physique est celle qui caractérise le mieux cet état. Elle empêche donc de continuer à travailler mais s’exprime aussi en terme d’impuissance sexuelle : “ No es viejo quien tiene divieso531 ”, “ Viejo amador, invierno con flor 532”. Le “vieux” est presque par définition malade : “ Ahora que soy moza, quiérome holgar / que cuando sea vieja / 519 Garçon de quinze ans, a de la presture et n'a pas de mains. Tôt il a voulu connaître / le travail et le plaisir / ... / à dix ans révolus / ... / à ses quinze ans, que fera-t-il ? 521 Lendemain de la San Juan, jeunes filles, toutes chez moi. 522 Laissez moi me divertir, ma mère, avant que je me marie. 523 Marie-toi, jeune homme; je ne veux pas me marier, mais je préfère être libre plutôt que de m'emprisonner. 524 Femme fille et veuve, peu de temps dure. 525 Qui se marie vite, plus tôt vieillit. 526 Vieil homme, sac d'os. 527 Quand la vieillesse apparaît au visage, le teint, qui s'arrète (l'évite?) ! 528 Personne n'est plus vieux que de ce qu'il paraît. 529 Un petit détail qui pourrait paraître secondaire mais que l’on retrouve régulièrement dans nos textes : le “vieux” est, entre autre, édenté : “ Más vale vija con dientos que mozo con cabellos ” “ ...no tiene diente ni muela, / rumia l’comer como oveja. (Alín #46) ” [A propos d’une vieille]... 530 Déjà est vieux Pedro pour être chevrier. 531 N'est pas vieux celui qui a des vices de jeunesse. 532 Vieux aimant, hiver en fleur. 520 520 todo es tosejar.533” (S. R. #359), “ Hombre viejo, retablo de duelos. 534”... Enfin, et c’est peut-être le plus important, on est “vieux” par relation au type de vie que l’on a passé. Cela peut paraître une évidence mais cela se répercute de façon très sensible dans nos textes. “ Llevar años 535” prend ici tout son sens, dit autrement : “ La vida pasada hace la vejez pesada536 ” et avec un réalisme cynique : “ El que mal vive, poco vive 537” Bien que nous débordons ici le cadre de la vieillesse, ce proverbe montre bien que l’on ne peut isoler l’âge et son appréciation, de son contexte. Ceci s’exprime autrement dans ce villancico : “ Duelos me hiceron vieja, que yo moza era.538” (Alín #155) . Ce dernier est intéressant à plus d’un titre, notamment, nous remarquons l’absence d’état intermédiaire entre la jeunesse et la vieillesse. En effet, cette bipartition de la vie (entre une phase “ d’expansion ” et un autre “ déclinante ”), sans évincer la division tripartite de la vie se surimpose en filigrame à celle-ci comme l’illustre très bien ce proverbe : “ El hombre que hincha , si es viejo, para morir, si es mozo para sanar539 ”. Il semble cependant que la remarque attribuée au dernier villancico soit d’autant plus pertinente dans le cas de la femme. Nous n’avons pas fait de distinction de sexe jusqu’à présent et nous avons tenté de délimiter les classes d’âge en fonction de ce qui ressort de manière générale de nos proverbes. Néanmoins, le genre féminin paraissait posséder ses particularités. Il semble que ce soit, dans ce cas, beaucoup plus les notions de beauté / laideur et celle de capacité reproductrice qui prévalent dans la détermination des âges. Dans cette optique, deux périodes plutôt que trois se dégagent : celle de la jeunesse et celle de la vieillesse qui s’opposent de façon marquée dans nos textes. Nous avons déjà cité deux villancicos qui expriment cette opposition, nous pourrions en citer plusieurs autres : “ A las mozas Dios las garde, a las viejas rabia las mate540 ”, “ Vieja soy y moza fui / nunca en tal angarillones me ví.541” (S. R. #437)... Ce dernier illustre bien cette absence de transition, on bascule d’un état à l’autre très rapidement. Il est évident que dans la réalité on ne devient pas vieille du jour au lendemain. Mais le temps passe vite, nous l’avons dit dans nos textes, et affecte particulièrement la femme et sa beauté physique. Ce que ce proverbe exprime froidement : “ No hay veinte años feos ni cuarenta hermosos ”542. Enfin, ce dernier proverbe sous-entend la notion de ménopause comme départageant les deux états : “ Ni tan vieja que amule, ni tan moza que retoce543 ” 533 Maintenant que je suis jeune, je veux prendre du bon temps, / que quand je serai vieille / tout est toux. Vieil homme, retable de douleur. 535 Porter les années. 536 La vie passée rend la vieillesse pesante. 537 Celui qui vit mal vit peu. 538 Douleurs me rendirent noire, moi qui blanche était. 539 L'homme qui s'enflamme, si est vieux, pour mourir, si est jeune, pour guérir. 540 Aux jeunes filles, Dieu les garde, aux vieilles, que la rage les emporte. 541 Vieille je suis et jeune je fus, / jamais en de telles angoisses je me vis. 542 Nous trouvons dans l'ouvrage de R. Homet (1997 p. 11) confirmation de ceci : « Margaret Wade Labarge observa que las mujeres que transitaban la treintena y la cuarentena eran consideradas viejas en la estimación social anglosajona de los siglos XIII-XIV. » [ Maragaret Wade Labarge remarque que les femmes qui passaient la trentaine et la quarantaine étaient considérées comme vieilles selon l'estimation sociale anglo-saxonne des XIII et XIVe siècles.] 543 Ni si vieille qu'elle ait passé la ménopause, ni si jeune qu'elle folâtre. 534 Résumons cet ensemble : le vulgaire a du mal à déterminer son âge. Le temps de sa vie file sous forme de jours ou d’années et si il semble que, dans sa jeunesse, il sache apprécier “ grosso modo ” son âge, plus les années passent et moins il s’en préoccupe. Ceci ne facilite pas la délimitation des différentes classes d’âge. Nous en avons dégagé trois. Quelques proverbes précisent ces tranches au moyen d’années. Mais ce n’est qu’à titre de repère qu’il nous faut les appréhender. Les classes d’âge sont en effet déterminées, non par des années que l’on ne sait compter, mais par un ensemble de données socio-culturelles, où contexte, condition et apparence physique jouent un rôle déterminant. Par ailleurs , elles n’affectent pas la femme et l’homme de la même façon. Nous allons à présent nous intéresser de plus près à chacune de ces trois générations. Notre exposé se décomposera selon trois grands axes: Nous analyserons tout d’abord comment ces trois classes d’âge évoluent au sein de la famille et de la société. Nous nous attarderons par la suite sur les cas du mariage et de la mort, principaux rendez-vous d’une vie médiévale. Nous disposerons ainsi de suffisamment d’informations pour dégager les principales perceptions liées à chaque génération, perceptions que nous tenterons d’analyser et comprendre. II / Les âges au sein de la famille et de la communauté : 1 / Dans le cercle familial a / Enfance et adolescence La famille est un cadre privilégié pour l’étude des différentes générations, dans le sens où elle les rassemble toutes, dans le meilleur des cas544, sous le même toit. Les enfants y naissent et grandissent sous l’attention de leurs parents qui, généralement, prennent aussi soin de leurs aînés lorsque ceux-ci ne peuvent plus le faire de façon autonome. Voyons ce que nous apprennent nos textes à propos de cette cohabitation pas toujours facile. L’enfant, le jeune est de loin le privilégié dans le foyer. On l’observe grandir. Ceci est valable particulièrement dans les premiers mois qui suivent sa naissance. Le problème de la mortalité infantile se posait de manière très fréquente au Moyen Age545 et ceci se répercute très sensiblement dans nos textes : “ Cuando el niño dienta, la muerte le tienta546 ”. Nous pouvons noter, dans le proverbe suivant, un certain détachement par rapport à cette mortalité “ Por muerte de hijo no se despara la casa 547”. Mais celui-ci avait certainement fonction de consoler la famille. Il semble qu’en terme d’affection et d’attention, plus l’enfant grandit et passe certaines périodes critiques plus il est aimé et entouré. Ainsi, on emploie le proverbe “ No se ha de 544 R. Homet (1997 p. 91) écrit que “ El cuidado y atención de los viejos por su propia familia debió de haber sido una situación de hecho generalizada ” [L'attention et la prise en charge des vieux par leur propre famille devait être une situation de fait généralisée] et nous apprenons (p. 76) que d’un point de vue légal, les enfants avaient le devoir d’assistance à leurs parents indigents (Fuero de Daroca de 1142). Néanmoins, cette attention n’était pas systématique et l’auteur cite (p. 92-97) plusieurs exemples de parents laissés à l’abandon par des enfants peu scrupuleux. 545 Selon J. A. García de Cortázar (dans La pluralidad de marcos de relacíon social : del caserío a España, dans J. M. Jover Zamora (dir.), Historia de España, Menéndez Pidal, vol. XVI (La época del gótico en la cultura española), Madrid, 1997 p. 301) « Probablemente, sólo algo más de la mitad de los nacidos alcanzaban la edad del casamiento. » [Probablement, seulement un peu plus de la moitié des nouveau nés atteignaient l'âge du mariage]. 546 Quand l'enfant dente, la mort le tente. 547 Pour la mort d'un enfant ne se renverse pas la maison. lograr548 ” lorsque l’on s’était attaché à un enfant trépassé, qui paraissait pouvoir survivre. L’évolution physique, les premières paroles de l’enfant en bas âge sont gratifiées de quelques proverbes : “ Cuando el niño endienta, presto emparienta 549”, “ Cuando el niño sabe decir piedra, entonces se cierra la mollera. 550”... Passés ces premiers temps de forte évolution, nos textes se montrent plus généraux. Une fois assuré que l’enfant survivra, il devient l'unité privilégiée de la famille. Il est l’espoir et la relève de celle-ci551. C’est assurément une bouche de plus à nourrir : “ Hijos y mujer añaden menester. 552”, “ Quién tiene hijos al lado, no muere ahitado (d’afito)553” (F. D. 1091) mais elle est prioritaire. Ainsi, l’une des principales critiques exprimée à l’encontre des “ vieux” ” est de manger “ el pan de los niños554 ”, on utilise par exemple l’expression “ Ya se come el pan de los niños555. ” pour un individu qui ne peut plus travailler. Il y a cependant un conseil récurrent dans le Refranero : ne pas gâter les enfants, de peur qu’ils ne s’habituent à une vie trop facile, “ Hijo aborrecido, nunca tuvo buen castigo556 ”, “ Hijos y criados no los ha de regalar, si quieres dellos gozar 557”... b / La mâturité Nous avons dit que le mariage marque le passage à l’âge adulte. Néanmoins, le “ deuxième âge ” est situé autour de la trentaine dans nos proverbes558. Cela s’explique aisément. Une fois de plus, l’attribution d’une classe d’age ressort du domaine des perceptions et mentalités et si le mariage était une étape capitale dans la vie de tout individu, le rapport de dépendance avec la famille ne cessait pas brusquement avec celui-ci. Pendant une période plus ou moins importante, le foyer paternel aidait le nouveau à s’établir et c’est avec l’autonomie que l’on accédait vraiment à notre seconde classe d’âge. Celle-ci est l’étape de la maturité, et de la stabilité. Les premières années semblent ne pas être facile : il faut s’établir et élever ses enfants, “ la deleitosa vida, padre y madre olvida 559” et l’expérience que l’on a acquise dans sa jeunesse doit trouver sa consécration durant cette période : “ Quien ha treynta eños no tiene seso y a 548 On ne se doit pas de réussir. (Cela ne peut pas réussir) Quand l'enfant dente, rapidement il prend son air de famile. 550 Quand l'enfant sait dire pierre, se referme donc la tête. [Le sens est ambigü : parle-t-on des cartilages craniens ? plus vraissemblablement, c'est le sens de “il a toute sa tête, ses facultés” qui est rendu ici.] 551 En terme de force de travail, bien sur, l’enfant et surtout l’adolescent est une aide maladroite mais appréciée et exploitée. Ainsi dit-on de manière ironique à celui qui a travaillé toute la journée et revient au coucher du soleil : “ Hijo Pedro, haz poquito y vente luego. ” (Pedro mon fils, travaille un petit peu et revient ensuite). De même ce proverbe : “ Quién hijo cría, oro hila ” (Qui donne naissance, tisse de l’or) exprime cette idée. L’enfant est aussi, nous l’avons dit, celui qui prendra soin des “vieux” jours des parents. Dans cette optique, il était tout dans l’intérêt des parents de favoriser l’évolution et l’établissement de leur progéniture. 552 Enfants et femmes ajoutent des besoins. 553 Celui qui a des enfants à ses cotés me meure pas d'indigestion. 554 Le pain des enfants. 555 Déjà il mange le pain des enfants. 556 Enfant mal aimé, jamais bien puni. 557 Enfants et progéniture, ne doivent pas être gatés, si tu veux jouir d'eux. 558 V. Perez Moreda et D. S. Reher dans Demografía historica en España, Madrid 1988 p. 90 nous fournissent quelques chiffres d'âge au mariage à la fin du XVIe siècle : 21,6 ans pour la femme en Nouvelle Castille, 20,2 en Vieille Castille et 19,6 aux Baléares. L'homme se marie autour de 23,8 ans en Vieille Castille et 22,2 ans aux Baléares. 559 La belle vie, père et mère oublie. 549 quaranta prosperidad : no puede bien a otro heredar.560” (Glosados vi). Cette notion d’accumuler des biens a un écho très sensible dans nos textes. Le processus est logique et préétabli. On plaint celui qui déroge à ce schéma : “ Vivir trabajando y no medrar es gran pesar.561 ” voire on le condamne : “ El que de treinta no sabe y de cuarenta no tiene que comer, no hagáis caso de el.562 ”. Accumuler du bien, c’est assurer sa vieillesse lorsque l’on ne sera plus en condition d’en gagner davantage : “ Trabaja como si siempre hubieses de vivir y, y vive como si luego hubieses de morir. 563”, “ Guarda mozo, y hallarás viejo.564 ”... c / La vieillesse Nos proverbes n’expriment pas clairement à quel moment le “ vieux” perd son indépendance et devient une charge pour ses enfants. C’est cependant sous ce rapport de dépendance ainsi que par les possessions qu’elle détient que la personne du troisième âge est abordée dans nos textes. Comment se répercute cette prise en charge du parent indigent ? Sous forme de solidarité ? Peut être : “ Acorred a vuestro viejo, / por que estire su pellejo, / que se va todo arrugando.565” (Villasandino, Canc. Baena 194ª). Mais il ne faut pas s’y tromper, le “vieux” est une bouche de plus à nourrir, et à choisir, nous l’avons vu, c’est une bouche secondaire : “ No quiere al viejo mal quien le hurta la cena y le envia a acostar. 566”. Le parallèle “ niño ” / “ viejo ” se retrouve fréquemment dans nos textes : “ Volverse a la edad de los niños. 567”, “ Dos veces hace el hombre pinillo : uno cuando viejo, otra cuando niño.568 ”... Ils ont des comportements similaires, on les punit de la même façon (“ No me castigues, por Dios, a mi vegez .569” (Celestina III 44)) et sont tous deux à charge de la famille. La différence est que le “vieux” vivant n’a pas grande utilité en terme de production. Il est clair dans nos proverbes que passé un certain stade, le “vieux” n’a plus sa place dans le foyer : “ Hasta los treinta, en hora buena vengaís; hasta cincuenta, en hora buena estéis; Hasta los sesenta, norabuena vais; desde los sesenta, ¿Qué hacáis aquí? 570”, “ Yo vos lo diré lo que han menester los viejos : sepultura honda y llena de tejos.571 ” et ceci s’exprime parfois sous la forme la plus crue “ A la vieja que no puede andar, metella en el arenal572. ”. Evidemment nous laissons de côté le côté affectif lié à la famille mais celui-ci ne s’exprime pas explicitement dans nos textes, à part peut-être dans ce 560 Celui qui a trente ans n'a pas de cervelle ni a quarante prospérité : ne peut bien laisser d'héritage. Vivre en travaillant et ne pas progresser est un triste destin. 562 Celui qui ne sait pas à trente ans, et n'a rien à manger à quarante ans, ne faites pas cas de lui. 563 Travaille comme si tu devais vivre pour toujours, et vis comme si tu devais mourir ensuite. 564 Garde, jeune et tu trouveras, vieux. 565 Secourez votre vieux, car s'étire sa peau, qui s'en devient toute ridée. 566 Ne lui veut pas de mal celui qui, au vieux, retire le dîner et l'envoie se coucher. 567 Revenir à l'âge de l'enfant. 568 Deux fois, ses premiers pas, fait l'homme, une quand il est vieux, l'autre quand il est enfant. 569 Ne me punis pas, pour l'amour de Dieu, pour ma vieillesse. 570 Jusqu'à la trentaine, à la bonne heure vous arrivez, jusqu'à cinquante ans, en bonne heure vous êtes, jusqu'à la soixantaine, à la bonne heure vous vous en allez, à partir de la soixantaine, qu'est ce que vous faites ici ? 571 Je vous dirai moi ce dont ont besoin les vieux : une sépulture profonde et remplie de "tejos" [Pions de jeux de société ou le jeu lui même; peut aussi être pris pour morceau de tuile.] 572 A la vieille qui ne peut plus marcher, mettez-la dans les sables mouvants. 561 proverbe : “ Beata la casa que hay viejo cabe su brasa. 573”. Les conditions sont difficiles et dans ce contexte, le “ vieux” devient de trop, dit autrement : “ Antes morir que ensuciar la vida.574 ”. La mort du parent est d’autant plus attendue si celle-ci promet de libérer un héritage qui permettrait de faciliter les conditions de vie du reste de la famille : “ Todo el año hambre, y no se muere padre. 575”, “ No hay vida más contada de días que la del rico, y más de los que esperan lo que les dejará y no los consejos que les dará. 576” Ce tour d’horizon des différents âges dans leur environnement familial nous fait prendre conscience de la roue des générations qui, dans un contexte difficile, enchaîne âges et fonctions dans un schéma rigide, dicté par les conditions de survie. Le vulgaire a conscience du caractère provisoire lié à chaque âge et l’on s’y prépare. On prône des qualités stables plutôt qu’éphémères (“ Beldad y hermosura, poco dura; más vale la virtud y cordura. 577”), on prévoit aussi pour le futur, mettant des enfants au monde et gardant de l’argent lorsque c’est possible. Dans ce schéma, la vieillesse s’exprime surtout en terme de charge familiale, et le “ vieux” ”, si il est toléré ne tarde pas à être déprécié faute de trop “ durer ”. 2 / Dans la communauté Penchons-nous à présent sur les classes d’âge d’un point de vue général et notamment au sein de la société. A chacune correspondent caractéristiques, fonctions et perceptions, de même que dans le cadre de la famille. La différenciation famille / société n’est d’ailleurs que formelle, principalement dans le domaine des perceptions. Le foyer, le “ feu ” n’est finalement qu’une cellule de la communauté, au même titre que tout individu est membre d’une famille. Néanmoins, l’échelle est différente et les rôles varient. Certaines des caractéristiques que nous allons voir ne sont pas, à proprement parler sociales mais ressortent du commentaire général, attribué pour telle ou telle classe d’âge. Elles impliquent toutefois les fonctions que jouent tout un chacun dans la communauté, la société. a / Le jeune G. Lévi et C. Schmitt écrivent à propos de la jeunesse “ La juventud ha de ser abordada...como tiempo crucial de la formación y transformación de cada ser... Por ello, la juventud es el tiempo de de las tentativas sin futuro, de las vocationes ardientes... y del aprendizage profesional, militar y amoroso, con su alternancia de exitos y frácasos. 578”. Ce caractère instable et évolutif se répercute en effet à plusieurs niveaux dans nos textes : En terme d’action, de travail et d’apprentissage tout d’abord, le jeune est caractérisé par sa maladresse “ El mozo por no saber el viejo por no pueder, dejan las cosas perder579 ” par son manque de jugement “ El mozo perezoso, por no dar 573 Bénie la maison où le vieux peut caser sa braise. Mieux vaut mourir que salir la vie. 575 Faim toute l'année et père qui ne meurt pas. 576 Il n'y a pas vie plus comptée de jours que celle du riche, et plus de ceux qui attendent ce qu'il leur laissera et non pas les conseils qu'il leur donnera. 577 Beauté et grâce durent peu, mieux valent vertu et sagesse. 578 (G. Lévi et C. Schmitt 1997 p.12) La jeunesse doit être abordée ...comme temps crucial de le formation et transformation de tout être... Pour ceci, la jeunesse est le temps des tentatives sans futur, des vocations ardentes, ...et de l'apprentissage militaire, professionnel et amoureux, avec son alternance de succès et échecs. 579 Le jeune pour ne pas savoir et le vieux pour ne pas pouvoir laissent les choses se perdre. 574 un paso da ocho 580”, son instabilité : “ El mozo pagado,el brazo le has quebrado 581” mais aussi par sa force : “ La juventud tiene fuerza y la senectud la prudencia.582 ” et sa beauté physique. L’instabilité se répercute aussi dans les relations amoureuses qui semblent être placées sous les signes de la légèreté et de l’alternance. On a plusieurs amours583 et une occasion vaut comme un autre pour en changer : “ Día de San Juan, tres costumbres : mudar casa, amo o mozo, coger hierbas y bañarse, por su bautismo.584 ”. Les fêtes sont ainsi prétexte au changement et les acteurs principaux sont les jeunes : “ Por San Juan y por San Pedro todos los mozos mudan el pelo.585 ”, “ Por San Pedro y por San Juan, todas la mozas mudan el pan.586 ”. C’est peut-être là la fonction sociale la plus claire de la jeunesse : organiser le changement voir le désordre (rixes, moqueries) à certains moments de l’année587. En terme de désordre et de moqueries d’ailleurs, les jeunes n’attendent pas les fêtes “ Quièn màs bronce que años once!588 ” et les “vieux” semblent faire les frais de ces épanchements indésirables : “ Cuando yo era moza, queríanme los mozos, y ahora que soy vieja, burlan de mí todos. 589”. b / L'adulte Passé le mariage, la situation change, ce temps de désordre et de légèreté est révolu “ En hombre ya entrado, ni capote con borlas ni zaraguël gayado.590 ” et celui des responsabilités arrive. L’homme est le pilier autour duquel tourne la société médiévale et cela se ressent fortement dans nos textes. Il incarne la lucidité, le travail... les valeurs de celle-ci : “ Hombre apercibido no es decibido. 591”, “ Hombre de pocas palabras, y esas sabias.592 ”, “ Hombre honrado antes muerto que injuriado.593 ”, “ El hombre que madruga, de algo tiene cura.594 ”, “ Hombre de seso y peso. (o Valor y prudencia)595 ”... 580 Le jeune paresseux, pour ne pas faire un pas en fait huit. Le jeune payé, le bras tu lui as cassé. 582 La jeunesse possède la force, la vieillesse la prudence. 583 Les villancicos qui font référence aux différents amours de demoiselles sont légions; en voici quelques exemples : “ vanse mis amores, madre, / luengas tierras van morar / ... / Quién me los hará tornar ?. (M. F. #243) ” [Mes amours s’en vont. ma mère, / En des terres lointaines ils vont mourir / .../ Qui me les ramènera?], “ Vaisos, amores, / de aqueste lugar : / tristes de mis ojos, / ¿Y cuando os verán? (M. F. #244) ” [ Vous vous en allez, amours / de cet endroit : / triste de moi / et quand vous reverrai-je?], “ En los tus amores, / carillo, no te fies, / cata que no llores / lo que agora ríes (Alín #500) ” [ Ne te fie pas / chère enfant (?) en tes amours, / car il se pourrait que tu pleures / comme tu ries à présent ]... 584 Jour de la San Juan, trois habitudes : changer de maison, de maître ou de garçon, ramasser des herbes et se baigner pour son baptême. 585 Pour la San Juan et San Pedro, tous les jeunes se changent de coiffure. 586 Pour la San Juan et la San Pedro, toutes les jeunes filles changent le pain. 587 Nous reviendrons au chapitre 5 sur cette notion de temps “ inversé ”. En ce qui concerne le lien jeunesse / désordre organisé, N. Schindler (1997 à partir de la p. 315) s’étend largement sur ce sujet, attribuant aux jeunes du Sud de l’Allemagne l’organisations des fêtes carnavalesques, la pratique du charivari...etc. 588 Qui chamaille plus que onze ans. 589 Quand j'étais jeune, tous les garçon m'aimaient, et maintenant que je suis vieille, tous se moquent de moi. 590 L'homme déjà entré (expression pour marié), ni manteau avec franges, ni caleçon bariolé. 591 L'homme averti ne se laisse pas tomper. 592 Homme de peu mais de sages paroles. 593 Homme d'honneur, plutôt mort qu'injurié. 594 L'homme qui se lève tôt, de quelquechose se préoccupe. 581 Certains proverbes associent caractéristiques viriles et qualités personnelles et peuvent prêter au sourire comme celui-ci (qui se décline sous diverses formes) : “ Hombre de hecho, pelo en el pecho; mas no todo el que ha pelo en pecho será de hecho. 596”. Il est aussi celui qui prête597 bien que ce ne soit pas toujours dans son intérêt : “ El hombre que presta, las sus barbas mesa. 598”. L’homme mûr est le gardien des valeurs sociales, peut-être, mais ça ne le met pas à l’abri des critiques quand son comportement laisse à désirer : “ Hombres que abundan de parola, faltan de obra.599 ”, “ Hombre avariento, por uno pierde ciento.600 ”. Surtout le tableau homme mûr / valeur ne saurait être sans son alternative, son image sujette à la moquerie qui fait que l’on prend le reste très au sérieux. Cette image prend ici la forme de l’homme “ cocu ”. Je n’irai pas jusqu’à dire que la femme qui trompe son mari accomplit une fonction sociale, mais le caractère comique lié à la situation pouvait à l’occasion fournir le même genre de dérèglement social que prenait le carnaval. Ce n’est qu’une hypothèse bien sûr, mais l’homme “ cocufié ” est un sujet qui traverse nos textes de part en part. Je joins601 en note quelques exemples qui, je pense, rendent compte de la mesure du phénomène. Refermons cette parenthèse, l’homme incarne avant tout les valeurs morales de la société. c / Le vieux Qu’en est-il des personnes âgées ? Nous l’avons vu, les notions d’indigence et de vieillesse sont très liées. Nous ne reviendrons pas dessus : le “vieux” est présenté comme impotent, souffrant de tout les maux. Dans la famille, il est la charge dont on saurait se passer. A l’intérieur de la communauté cependant, c’est plus respectivement à son âge qu’à son aspect physique qu’il est appréhendé. Si on lui reproche parfois ses 595 Homme de poids et sagesse (ou valeur et prudence). Homme de fait (d'action), poils sur le torse, mais tous ceux qui ont des poils sur le torse ne seront pas de fait. 597 Le prêt dans la société médiévale était non seulement répandu mais vital pour les familles les plus démunies. Nos textes font allusion de manière appuyée à cette nécessité : “ Quien me presta, me socorre la vida y me la sustenta. ”, “ Quien presta ayuda a vivir. ”... 598 L'homme qui prête, ses poils de barbe s'arrache. 599 Les hommes prolixes en paroles, manquent à l'ouvrage. 600 L'homme avare, pour un perd cent. 601 Voici une synthèse de ce que nous pouvons trouver dans nos textes : Certains se moquent de maris trop jaloux : “ Hombre celoso, el cuerno al ojo. ” [Homme jaloux, la corne à l’œil], “ Hombre celoso, de suyo es cornudo ”[Homme jaloux, de lui-même est cocu] mais ces derniers, qu’ils soient bons ou mauvais ont certainement leurs raisons : “ “ Al marido bueno un cuerno, y al malo tres o cuatro (Yehuda 93)” [Au mari bon, une corne, au mauvais, trois ou quatre], “ Yo a vos por onrarr, y vos a mí por encornudar ”[Moi à vous pour honorer, vous à moi pour me cocufier], “ Canas u cuernos no vienen por tiempo. ” [Cheveux gris et cornes n’arrivent pas avec le temps.] Le caractère comique est accentué dans ce proverbe: “ San Vicente, yo a jurar y tú tente, que quien a su marido encornudo, Dios y tú le ayuda : y él lo cree que en la horca pernee. - Bajá acá, mujer querida, que ya sois creída. ” [San Vicente, moi à jurer et toi tais-toi (?) qui son mari cocufie, toi et Dieu l'aide : et lui le croit, qu'en la potence il monte (qu’il le croit et qu’il meure ?). – Descends ici, femme chérie, que déjà vous êtes crue]. Finissons par deux proverbes : “ Hombre cornudo, más vale de ciento que de uno. ” [Homme cocu, mieux vaut de cent que d’un] Correas explicite ce proverbe dans ce sens : Si l’on dit d’une personne qu’elle est “ cocue ”, tout le monde le croira, mais si l’on dit de même de beaucoup d’hommes, on ne le croira pas de la même façon. C’est ainsi le caractère comique lié à la situation plus que le fait en lui même, réel ou non, qui est important. On dit d’ailleurs : “ Más vale ser cornudo que no le sepa ninguno que sin serlo, pensar lo todo el mundo. (FD 679) ” [Mieux vaut être cocu et que personne ne le sache que ne pas l’être mais que tout le monde le croit.] 596 mauvaises habitudes, le “ vieux” ” dans la communauté est surtout celui qui sait : il cumule mémoire et expérience. Voyons tout d’abord ce qui concerne ses mauvaises manies. Globalement, le “ vieux” ” n’est pas si déprécié dans la communauté et si l’on trouve parfois (deux fois) ce genre de proverbe : “ En la maña, está la culpa, que en la edad no tiene ninguna. 602”, c’est respectivement à sa qualité de buveur qu’il est critiqué : “ Aquel viejo falso, más bevirá que la grama.603” (Corbacho IV ii, 291). Cette habitude est sujette à moquerie : “ El viejo y el horno, por la boca se escalientan : el uno con el vino, y el otro con leña. 604”, “ El vino es la teta del viejo. 605”, “ Ha de volver la vieja al jarro 606”... On le critique certainement mais on le respecte aussi : l’âge dans une vingtaine de proverbes est synonyme de savoir et d’expérience. En terme de sagesse, voici ce que l’on pourrait dire : “ Con los años viene el seso.607 ”, “ Por eso dicen que el diablo sabe tanto, porque es viejo.608 ”. Quelques (quatre) proverbes se réfèrent au “vieux” comme mémoire du groupe : “ Al viejo nunca le falta que contar, ni al sol ni al hogar. 609” par exemple, ou “ Es cata vieja. ”610 mais la majorité présentent le “ vieux” ” comme source de conseils qu’il est recommandé de suivre : “ Dichos de viejas arrancan las piedras.611 ”, “ En los más viejos, están los buenos consejos.612 ”, “ Hablan las gentes, y cuenta el que no tiene dientes.613 ”. Faire partager ses expériences et connaissances, c’est d’une certaine manière, justifier sa place dans la communauté. La mémoire et l’expérience sont les seules qualités qui restent au “ vieux” et celui qui ne remplit pas cette dernière fonction s’expose à ce type de commentaire : “ El viejo que no adivina, no vale una sardina. 614”... 3 / Les bornes de la vie : La société médiévale est rigide, nous verrons dans le dernier chapitre que l’attachement aux coutumes par exemple s’exprime fortement dans nos textes. Dans la famille et la communauté chacun a son rôle, ses fonctions. Dans ce sens, le passage d’un état à l’autre est ressenti de manière d’autant plus forte, de même que le moment qui marque ce passage. Nous allons à présent nous concentrer sur ces points de rupture et nous dépasserons le cadre de la vie pour atteindre celui du roulement des générations, dans la famille et la communauté. C’est en effet à cette échelle que l’analyse de ces passages prend tout son sens et non plus à celle d’une vie humaine. Délimitons cette vie : Elle commence à la naissance, est consacrée par le baptême. La première étape s’achève avec le mariage, la deuxième avec le passage avec la vieillesse, cette dernière 602 Dans les mauvaises habitudes réside la faute, non dans les années. (Correas : Contre ceux qui s’excusent par leur grand âge.) 603 Ce vieux faux, boira plus que la "grama" (herbe). 604 Le vieux et le four s'échauffent par la bouche : l'un avec du vin, l'autre avec du bois. 605 Le vin est la tétine du vieux. 606 La vieille doit revenir à sa cruche. 607 Avec l'âge vient le savoir. 608 Pour cela on dit que le diable sait tant de choses, car il est vieux. 609 Le vieux, jamais ne cesse de raconter, ni au soleil, ni au foyer. 610 C'est une vieille mesure. Correas : l'ancien qui connaît les ramifications des lignages et recoins du lieu. 611 Adages de vieilles arrachent les pierres. 612 En les plus vieux sont les bons conseils. 613 Parlent les gens, et conte celui qui n'a pas de dents. Correas : Les personnes sans expérience, et le vieux conte la vérité et conseille. 614 Le vieux qui rien ne devine, ne vaut pas une sardine. trouvant son terme avec la mort. D. S. Reher615 nous explique que “ Nacimientos, muertes, matrimonios... eran todos catalizadores esenciales del cambio en la vida de una familia.616 ” Néanmoins, dans nos textes, deux bornes se dégagent concrètement : le mariage et la mort. Notre propos sera maintenant de les étudier, après nous être penché sur le cas de la naissance. Cette partie se veut principalement descriptive dans sa présentation et nous tenterons de commenter et d’expliquer dans une dernier paragraphe l’ensemble des informations que nous aurons dégagées de cette partie et des précédentes. a / La naissance La naissance n’a qu’une répercussion très mesurée dans nos textes617. Pour le moins en terme d’étape, de début de la vie, la naissance n’est exprimée que par rapport à la mort : “ No hay nacido que no murió.618” (FD 782) , “ Por eso (morir) nacímos 619”. On ne peut pas dire que la naissance soulève l’enthousiasme général et les remarques qui concernent le nouveau né ne mettent en relief que la précarité de sa situation. C’est là je pense qu’il nous faut chercher l’explication : on ne célèbre ni ne se réjouit de la naissance d’un enfant qui a de fortes chances de ne pas survivre. Autre constat d’absence : nos textes ne font pratiquement aucune référence au baptême. Que ce sujet n’intéresse pas le Cancionero, soit, mais les proverbes, en théorie, s’intéressent à tous les thèmes. La seule référence directe au baptême religieux est celle-ci : “ En la vida, la mujer tres salida ha de hacer : al bautismo, al casamiento, a la sepultura. 620” et le baptême est sous-entendu dans celui-ci : “ Lo que con el capillo se toma, con la mortaja se dexa.621” (Glosados x) Selon M. C. Gerbet622: “ Le baptême, très général, avait lieu le plus tôt possible après la naissance, tant les fidèles étaient conscients de son importance. Aussi un des miracles le plus souvent demandé à un saint était-il de ressusciter l’enfant mort-né le temps de le baptiser. ”. Le contraste est flagrant et si il donne la mesure de la limite de nos sources, cette absence presque totale de référence au baptême dans nos proverbes pourrait peut-être nous amener à reconsidérer son importance. b / Le mariage Passons au mariage : C’est l’étape de transition par excellence et cela se répercute en terme d’occurrence mais surtout par le contenu des textes. On a, d’ailleurs, tout à fait conscience de la rupture qu’il amène, ce que ce villancico exprime très bien : “ Dexad que me alegre madre / antes que me case. 623” (S. R. #297) et même si le mariage 615 D. S. Reher 1996 p. 116 Naissances, morts, mariages...étaient les catalisateurs essentiels du changement de la vie d'une famille. 617 A titre de comparaison, dans les textes recensés par M. O’Kane, nous relevons environ cent-dix références à la mort et son champ sémantique (“ Morir ”, “ muerte ”, “ muerto ”, “ muerta ”), quatrevingt-dix pour le mariage (sont inclus les références à “ boda ”, “ casar ”, “ Esposo, a , ar ”, “ novio ” “ novia ”) contre seulement une dizaine pour la naissance (“ nacer ”). 618 Il n'y a pas de naissance sans mort. 619 Pour ceci (mourir) nous sommes nés. 620 Dans la vie, trois sorties la femme doit faire : au baptême, au mariage et à la mort. 621 Ce qui avec le chrémeau (d'enfant baptisé) se prend, avec la tombe se laisse. 622 M. C. Gerbet, Le temps des tragédies, dans B. Bennassar, Histoire des espagnols (VIe - XVIIe siècles), Paris, 1985 p. 295 623 Laissez-moi me divertir, ma mère / avant que je ne me marie. 616 présume le passage à la stabilité, les premiers temps qui le suivent reflètent l’instabilité de la jeunesse : “ Melón es el casamiento que sólo le cala el tiempo.624 ”. Plusieurs textes expriment l’irréversibilité du processus et mettent en garde contre un mariage hâtif : “ “ Antes que cases, cata qué fazes; que no es ñudo que assí desates.625” (Sant. Refr. 20) , “ Antes que te cases mira lo que haces626 ”... La volonté de se marier se reflète aussi dans nos textes : “ Si mi madre no me casa, yo le quemaré la casa. 627”, “ Si no me casáis ogaño, juro a mi que no aguardaré ni esperar otro año. 628”, “ Madre mía, muriera yo / y no me casara, no /... / para ser tan desdeñada, / ¿Para que naçí?629” (Alín #93). Ce dernier villancico démontre que le mariage fait partie de l’évolution normale de la vie. Dans cette logique, une dizaine de textes présentent celui-ci comme un état préférable, nécessaire voire incontournable de l’existence : “ Casame en hora mala, que más vale algo que nada. 630”, “ Es censo de por vida (el casamiento) 631”, “ Casamiento y mando, del cielo es dado.632 ”, “ Del día que me case buena cadena me eché. 633” ... Cela ne veut pas dire que les temps qui suivent le mariage soient forcément idylliques : une demi-douzaine de proverbes différencient les premiers mois heureux qui jouxtent le mariage des temps moins gais qui suivent634 et le thème des femmes mal mariées revient régulièrement dans le Cancionero traditionnel.635. mais il n’est pas dans la logique des choses de rester célibataire “ No nacié nadie para sí solo. 636” et en ce sens, on ne peut échapper au mariage : “ Bien o mal, casados nos han 637”. Un dernier facteur retient l’attention (une trentaine de références) dans nos textes : le mariage et l’âge. Nous avons dit en effet que le mariage marque le passage à un nouveau statut, une nouvelle condition. Il a valeur de démarcation entre deux états, celui de jeune et celui d’homme mûr. Le mariage entre deux individus de classes d’âge différentes existait cependant, et c’est un sujet qui est abordé dans une quinzaine de cas. La très grande majorité traite de ce sujet dans ce sens : “ Más quiero ser de moza desdeñado que de vieja rogado.638 ”, “ Ni patos a la carretera, ni bueyes a volar, ni moza con viejo 624 Melon est le mariage que seul le temps cale. Avant de te marier, regarde ce que tu fais, que ce n'est pas un noeud à dénouer. 626 Avant de te marier, regarde ce que tu fais. 627 Si ma mère ne me marie pas, je lui brûlerai la maison. 628 Si vous ne me mariez pas cette année, je me jure que je n'attendrai plus d'autre année. 629 Ma mère, je mourrai moi / et ne me marierai pas, non / ... / pour vivre si dédaignée, / pourquoi est-ce que je naquis ? 630 Je me mariai en mauvaise heure, que mieux vaut quelque chose que rien. 631 C'est le cens de la vie (le mariage). 632 Mariage et ordre (commandement), du ciel est donné. 633 Du jour que je me mariai, bonne chaîne je me suis donné. 634 Par exemple : “ Casarte, así gozarás de los tres meses primeros, y después desearás la vida de los solteros ”[Marie toi, ainsi tu profiteras des trois premiers mois, et ensuite, tu souhaiteras revenir à la vie des célibataires]. C’est “ el pan de la boda ” [le pain de la noce] qui est certainement sous-entendu ici, les présents que les mariés reçoivent à leur mariage qui facilitent leur installation mais ne durent pas éternellement. 635 Alín 1968 p. 366, “ El tema de las malcasadas es uno de lo más constante en la lírica tradicional. ” [Le thème des mal mariées est un des plus constant dans la lyrique traditionnelle]. 636 Personne ne nait pour soi (seul). 637 Bien ou mal, marié il nous ont. 638 Mieux vaut de jeune fille dédaigné que de vieille prié. 625 casar. 639”, “ Viejo malo en la mi cama, / por mi fe non dormirá / ...640 ”(Alín #146) , “ Con bestia vieja, ni te cases ni te alhajes. 641”... On déconseille donc fortement les mariages de ce type. Quelques proverbes nous fournissent des raisons : “ Con el viejo te casaste, a la puerta no saldrás, aquí regañarás.642 ”, “ Con la moza, ¿que hace el viejo? - Hijos güerfanos. 643”, “ El muerto podrece y el huérfano crece.644 ”. On soulève le problème d’incompatibilité mais surtout (c’est la raison qui revient le plus souvent), faire des enfants avec un “ vieux” ”, c’est prendre le risque de les rendre orphelins très tôt. Pourquoi donc contracter ce type de mariage ? Pour l’héritage que l’on attend de la mort du mari ou de la femme, ce que l’on image de cette façon : “ Con un caldero viejo, comprar otro nuevo, y con una caldera vieja se compra otra nueva 645”. La critique de ce genre de mariage hors-norme semble appuyer l’hypothèse du mariage comme instrument de passage d’un état à l’autre. D. S. Reher646 écrit à ce sujet “ El matrimonio...abría la puerta a la reproducción demogáfica y ponía en marcha una serie de mecanismos esenciales para la superviviencia de la sociedad.647 ”. Le mariage avec un “ vieux” bouleverse la programmation du processus normal de reproduction, d’apprentissage, de survie... il est ainsi vu d’un mauvais œil par la morale publique. Notons d’ailleurs que, en règle générale, lorsque le schéma classique “ jeunesse / mariage / couple & maturité ” n’est pas suivi, le dérèglement est sujet à critique. Ainsi l’on dit “ Quien tarde casa, mal casa.648 ”, l’homme non marié doit se soumettre à ce genre de commentaire : “ El hombre que apetece soledad, o tiene mucho de Dios o de bestia brutal 649” et ce schéma est d’autant plus vrai pour la femme, comme dans cette remarque sexiste : “ El menor yerro que puede hacer es casarse la mujer.650 ”. Retenons donc du mariage cette étape nécessaire qui marque le passage à un nouveau mode de vie. C’est une norme sociale et y déroger signifie rester en dehors du processus logique de la vie et se marginaliser par rapport à la communauté. c / La mort La prochaine grande étape dans le cycle vital est la mort. La mort est un sujet qui a un retentissement considérable dans nos textes. J’ai relevé, à titre d’exemple, plus de trois cent cinquante proverbes liés à la mort et à ce qui y est lié dans le Refranero de Correas (âme, salut, rites, au-delà...). Nous nous concentrerons ici sur la mort comme l’étape qu’elle représente entre la vie et l’au-delà et les perceptions qui y sont liées. Un 639 Ni canards sur les chemins, ni boeufs à voler, ni jeune fille avec un vieux se marier. Mauvais vieux dans mon lit, / sur ma foi ne dormira / ... 641 Avec une vieille bête ne te marie pas ni ne te mets en ménage. 642 Avec le vieux tu t 'es marié, de la porte tu ne sortiras, ici tu te disputeras. 643 Que fait la jeune fille avec le vieux ? - Des enfants orphelins. 644 Le mort pourrit et l'orphelin grandit. 645 Avec un vieux chaudron, acheter un nouveau et avec un vieille marmite, on achète une nouvelle. Notons que le mariage comme moyen d'ascension sociale est peu exprimé dans les proverbes, seul celui-ci le fait de façon implicite : “Telas y años caros casan hidalgas con villanos.” [Toiles et années coûteuses marient les filles de seigneurs avec les villains.] 646 D. S. Reher 1996 p. 117 647 Le mariage ... ouvrait la porte à la reproduction démographique et mettait en marche une série de mécanismes essentiels pour la survie de la société. 648 Qui se marie tard se marie mal. 649 L'homme qui affictionne la solitude, ou il a beaucoup de Dieu, ou de la bête brutale. 650 La moins grande bétise que peut faire la femme est de se marier. 640 premier constat : la mort atteint tout, rien ne lui échappe: “ Todo lo deshace y muda la muerte 651”, “ La muerte todo lo iguale, todo lo barre y todo lo ataja.652 ”et on a conscience de son destin : “ Desnudo salí del vientre de mi madre, e desnudo me espera la tierra.653”, “ A la muerte no hay remedio cuando venga sino tender la pierna.654 ”, “ C’ala muerte / y a ira de Dios / no hay casa fuerte.655 (Fdo de la Torre, Canc. 151b), “ Para la muerte que a Dios debo / ....656” (F. A. #541)... Ces derniers proverbes reflètent un certain détachement par rapport au fait de mourir. Voilà la grande question : A-t-on peur de la mort ? Il semble que celle-ci ne représente pas la terrible faucheuse comme on se l’imagine de nos jours. Lorsque l’on traite de la mort en terme de crainte, c’est justement pour relativiser cette peur : “ La muerte, ni buscalla, ni temella 657”, “ Comer bien y cagar fuerte, y no haber miedo a la muerte658 ”, “ Al que de miedo se muere, enteralle en la mierda y hacelle de cagajones la huesa659 ”660... Une explication de ce relatif détachement réside dans le fait que la mort n’est pas une fin en soi mais un passage vers l’au-delà, ce qu’exprime très bien ce proverbe : “ No es mala la muerte haciendo lo que debe el que quiere.661 ”. Bien mourir, préparer sa “ deuxième vie ” est un thème qui se décline sous une trentaine de conseils, sermons, mises en garde différentes. En voici quelques exemples : “ Mira que te mira Dios / ... / mira que te has de morir / mira que no sabes cuando.662 ” (F. A. #481), “ Quien mal vive en està vida de bien acabar se despida.663” (Seniloquim 400) , “ Haz vivo lo quieras haber hecho cuando mueros.664 ”, “ Todo es nada lo deste mundo, si no endereza al secundo.665 ”... Nul doute ne réside sur l’origine cléricale de telles remarques. Voici donc le raisonnement : On n’a pas peur de la mort parce que l’on sait que celleci n’est pas une fin en soi mais un passage vers l’autre monde ? L’Eglise et la foi chrétienne serait donc les agents de la désinhibition des esprits face à la mort ? Je ne crois pas, bien au contraire, l’invention de la notion du purgatoire, et celle de jugement qui en découle, les prédications des moines mendiants qui axaient leurs sermons sur ces 651 Tout défait et change la mort. La mort atteint tout, balaye tout et interrompt tout. 653 Nu je suis sorti du ventre de ma mère et nu m'attend la terre. 654 A la mort il n'y a aucun remède quand elle vient, sinon tendre les pieds. 655 Contre la mort et la colère de Dieu, il n'y aucune forteresse. 656 Pour la mort que je dois à Dieu / ... 657 La mort, ni ne la cherche, ni ne la crains. 658 Manger bien et déféquer vigoureusement, et ne pas avoir peur de la mort. 659 A celui qui de peur se meurt, enterre le dans la "merde" et fait de crotin sa tombe. 660 P. Ariès dans Essais sur l'histoire de la mort en Occident, Paris, 1975 p. 32 explique que l'homme du premier Moyen Age «subissait dans la mort l'une des grandes lois de l'espèce et il ne songeait nullement ni à s'y dérober ni à l'exalter. Il l'acceptait simplement avec juste ce qu'il fallait de solennité pour marquer l'importance des grandes étapes que chaque vie devait toujours franchir. » Nous pouvons appliquer le même type de réflexion pour nos populations du bas Moyen Age espagnol et cela nous donne la mesure de la lenteur de l'évolution des mentalités populaires. 661 N'est pas mauvaise la mort faisant ce qu'il doit celui qui veut. 662 Considère que te regarde Dieu, / ... / considère que tu dois mourir / considère que tu ne sais pas quand. 663 Qui mal vit dans cette vie, finissant bien doit la quitter. 664 Fais vivant ce que voudras avoir fait quand tu seras mort. 665 Tout est rien dans ce monde s'il n'est pas consacré dans le second. 652 thèmes, les Ars Moriendi de la fin du bas Moyen Age..., il apparaît que l’Eglise cherchait en fait à sensibiliser le croyant à cette mort dont il semblait plutôt détaché. L’origine de ce détachement est donc à chercher autre part et nous tenterons de proposer une réponse, insérant la mort dans le cycle de la vie. Conclusion : La perception du cycle vital : L’existence, nous l’aurons compris n’avait rien d’une partie de plaisir pour le peuple du Moyen Age. De nombreux proverbes stressent la difficulté de celle-ci : “ Buena es la vida de la aldea por un rato, más no por un año.666 ”, “ A quién la ventura falta sóbrale la vida.667 ”, “ En este mundo hondo, dichas y desdichas abondo. 668”, “ Trabajos, y la vejez andrajos.669 ”, “ En la casa do no hay qué comer, todos lloran y no saben de qué. 670”... Sous une forme ou une autre, tous ces textes expriment la difficulté de la vie. C’est en ayant toujours ces difficultés à l’esprit qu’il nous faut appréhender les classes d’âge et les perceptions qui y sont liées. La vie suit un schéma prédéterminé dont les règles sont dictées par le contexte dans lequel l’individu évolue. La jeunesse, temps d’évolution et d’apprentissage n’a de sens et n’est tolérée que dans l’optique du passage à l’âge adulte. Les individus de cet âge étant ceux sur lesquels reposent communauté et famille. Si l’un ou l’autre de ces âges ne remplit par sa fonction, il est sujet à la critique générale. Ainsi l’on cite “ Más vale un viejo que mozo y medio.671 ” ou encore “ Más vale un mozo de antaño que un viejo de ogaño. 672”. Dans le même esprit lorsque un texte associe deux âges il exprime une connotation péjorative : “ Hombre mozo que ni juega, ni presta, ni escupe en corro. 673”, “ Come leche y bebe vino, harte has de viejo niño.674 ”... Chacun son âge et son rôle et ceux qui ne se plient pas au moule sont mal considérés. Les commentaires liés à la vieillesse sont généralement péjoratifs et bien que l’on ait conscience qu’elle soit incontournable, c’est un état par définition indésirable675. Malgré la fonction sociale de mémoire / sagesse qu’il remplit (et dont, nous l’avons vu, il ne se prive pas d’abuser), le “vieux” n’est plus capable de travailler, il est malade, faible physiquement, il peut procréer mais cela est dangereux et critiqué, bref, en terme de fonction et de survie du groupe, tout se termine donc avec la vieillesse, le “ vieux ” ne 666 Bonne est la vie du village pour un moment, mais pas pour un an. Celui qui manque de chance, la vie lui pèse. 668 Dans ce monde profond, adages et malheurs abonde(nt). 669 Travail, et la vieillesse en guenilles. 670 Dans le foyer où il n'y a rien à manger, tous pleurent sans savoir pourquoi. 671 Mieux vaut un vieux qu'un jeune et demi. 672 Mieux vaut un jeune d'antan (désigne un vieux vigoureux) qu'un vieux d'aujourd'hui (désigne un jeune qui se comporte comme un vieux). 673 Homme garçon qui ni ne joue, ni ne prête, ni ne crache dans le cercle. Correas : Qualités d’inutiles. 674 Mange du lait et bois du vin, tu t'es gavé de vieil enfant. 675 Ce qu’expriment plusieurs de nos textes, ou directement : “ Vejez, mal deseado es ” [La vieillesse n’est pas désirée.] ou par la connotation péjorative qui accompagne le proverbe. Nous en avons déjà cités plusieurs, en voici quelques autres : “ Como hombre es mujer y vieja. ” [Comme un homme est femme et vieille (Correas : pour se moquer de lui)], “ La vieja a estirar y el diablo a arrugar. ”[La vieille à durer et le diable à rider.], “ ¿Con que venía la vieja ? Con sus once de oveja. ” [Avec quoi venait la vieille ? avec ses onze moutons. (Formule de dédain contre la vieillesse)], “ Al hijo Juan Martín, y al padre viejo ruin ” [Au fils Juan Martín, au père vieille rosse (Pour donner du... Juan martín au fils et vieille rosse au père. “ Ruin ” est délicat à traduire, il signifie à la fois vil, , pingre, malheureux, loqueteux... il a un sens très péjoratif)] 667 reste dans la communauté que par sa présence physique. De par le fait qu’il n’y apporte plus rien, ou presque, il cesse d’exister réellement pour elle, du moins, il n’y a plus vraiment de rôle à jouer tout en restant une bouche à nourrir676. C’est en réalité une sorte de petite mort qu’il subit à l’intérieur de cette communauté et l’on peut imaginer que l’individu travaillait jusqu’à ce que ses forces l’abandonnent complètement ou qu’il devienne une gène pour les autres travailleurs. Je pense qu’il faut voir dans la vieillesse plus une étape de déclin ou de transition qu’un état en soi. Le “ vieux ” devait prendre conscience que ses jours étaient comptés à partir du moment où il basculait dans cet état. De plus, nous pourrions argumenter que si l’on ne marquait pas le passage de la maturité à la vieillesse (comme le mariage consacrait la venue de l’âge adulte), c’est que, outre la connotation péjorative qui y est associée, la vieillesse n’est pas une nouvelle étape de la vie mais bien un aboutissement, un âge en marge de la communauté, toléré jusqu’à un certain point. Ceci explique certainement que le “ vieux ” (et ses proches) devait attendre la mort comme une semi-libération, et des commentaires de ce type : “ El mozo puede morir y el viejo no puede vivir.677 ”, “ Para ir por la muerte era bueno. 678” devaient, même s’ils ne lui étaient pas adressés directement, lui faire prendre une conscience aiguë de la gêne qu’il représentait pour la communauté. D’autant plus que dans la lutte pour survivre, non seulement le vieux n’avait plus sa place, mais en mourant, il facilitait l’existence de sa famille, il libérait un capital, l’héritage, que ses enfants récupéraient et se servaient pour élever les leurs679. En quelques sorte, “ le vieux ” en mourant donnait un nouvel élan à la roue des générations680. Avec sa mort, le “ vieux ” accomplit son ultime fonction sociale. Au niveau de la famille donc mais aussi de la communauté. Celle-ci se réunit autour du mort et renforce d’une certaine manière les liens de solidarité entre différents foyers. Ce regroupement pouvait d’ailleurs n’avoir qu’un caractère purement formel comme le laisse à entendre ce proverbe : “ Todos van al muerto, y cada uno llora su duelo. 681” Des offrandes étaient octroyées aux morts, comme l’atteste le texte 676 R. Homet 1997 p. 46 “ Era una sociedad joven, donde contralaba el poder quien tenía fuerzas para hacerlo, es decir, que las personas no eran desplazadas en rázon de su edad sino cuando su desgaste les impedía mantenerse... ” [C’était une société jeune, où controlait le pouvoir celui qui avait les forces pour le faire, c’est à dire que les personnes n’étaient pas supplantées (mises en marge) à cause de leur âge mais quand leur déchéance les empéchaient de se maintenir ...] . En terme de bouche à nourrir, voici un commentaire assez explicite : “ Bueno está que no come, bueno està que no le duele nada. “ [Il se trouve bien, qu’il ne mange rien; il se trouve bien, qu’il n’a pas de douleurs (le mort)] 677 Le jeune peut mourir et le vieux ne peut pas vivre. 678 Pour aller à la fosse il était bon. 679 Il est d’ailleurs fortement recommandé de ne pas délivrer ses biens avant sa mort, de peur de se retrouver dans une situation encore plus que précaire : “ Quién da lo suyo antes de la muerte, merece que le dan con un maço en la frente (Sant. Refr. 615) ” [Celui qui donne ses biens avant la mort mérite qu’on lui grave stupide sur le front], “ Quien da lo suyo antes de morir : apareje a bien sufrir. (Glosados v) ” [Que celui qui donne ses bien avant de mourir se prépare à bien souffrir]. 680 M. Bajtin dans La cultura popular en la Edad Media y el Renacimiento, Madrid, 1974 p. 366 nous explique en analysant l'oeuvre de Rabelais que « La expresión rabelaisiana señala la unidad ininterrumpida, pero contradictoria, del proceso de la vida que no desaparece con la muerte, sino al contrario, triunfa sobre ella, pues la muerte es el rejuvenecimiento de la vida. » [L'expression rabelaisienne signale l'unité ininterrompue , mais contradictoire, du processus de la vie qui ne disparaît pas avec la mort, mais au contraire triomphe sur elle, car la mort est le rajeunissement de la vie.]. Ne pourrions-nous pas trouver l'origine, ou du moins une tentative d'explication de ces croyances dans le procesus que nous venons de décrire ? La mort dépasse le cadre de l'individu, abordée sous l'angle de la famille et de la communauté, elle participe de manière active à son renouvellement. 681 Tous vont au mort, et chacun pleure son sort (sa douleur). suivant : “ Al cabo del año, más come el muerto que el sano. 682”. Ne peux-t-on pas avancer que, originellement, ces offrandes étaient données à titre de remerciement aux morts, pour cet ultime don qu’il faisait à la communauté ? D’autant plus que le mort appartenait toujours à celle-ci : la croyance aux morts existant parmi les vivants était très répandue, le revenant insatisfait n’est pas qu’une image de fiction mais était considéré comme bien réel au Moyen Age. Il n’y a qu’à parcourir la déposition d'Arnaud Gélis du Registre d’inquisition de Jacques Fournier683 pour vérifier que l’on prenait très au sérieux les revenants et leurs manifestations. Nous trouvons aussi dans nos textes plusieurs références qui attestent la croyance aux morts parmi les vivants 684. De même, le souci d’être enterré dans ou proche de la communauté est aussi exprimé plusieurs fois685. Bien entendu, nous ne nous somme placés, jusqu’à présent que sous l’angle des croyances païennes. Néanmoins, les pratiques chrétiennes ont repris dans une large mesure l’ensemble de ces croyances et, faute de les déraciner, les ont intégrées. Cette remarque est particulièrement valable pour le purgatoire, moyen subtil d’officialiser le culte des morts parmi les vivants. Passons et concluons : Dans un contexte difficile, à chaque classe d’âge étaient attribués rôles et fonctions. La survie de la communauté reposait en majeure partie sur les épaules de l’adulte. A ce titre, le mariage était la clef qui ouvrait la porte aux cycles de production et reproduction et refermait celle de la légèreté et de l’insouciance. Lorsqu’il n’était plus à même de jouer son rôle, l’individu devenait “ vieux ” et basculait dans un état mal considéré. Sa mort, dans ce sens était un soulagement pour la communauté car elle permettait de régénérer et faciliter sa continuité. Le schéma est simple voir implacable mais il est dicté par les conditions dans lequel il évolue. Pour les mêmes raisons, on est réfractaire aux transgressions à ce modèle, car elles peuvent mettre en danger la survie du groupe. Nous retrouvons exactement le même type de commentaires que ceux qui caractérisent le temps annuel. Comme la vie, l’année avait ses étapes et il était mal vu que la nature les transgressent. Nous soulignerons, dans notre dernière partie, les nombreux parallèles que nous pouvons tracer entre temps humain et temps annuel. Mais nous allons nous pencher auparavant sur les autres échelles du temps, au processus moins limpide. 682 Au bout de l’année, le mort mange plus que le vivant. Correas : pour les offrandes qui sont offertes chaque semaine. 683 Registre d'inquistion de J. Fournier, 1318-1325, traduit et annoté par Jean Duvernoy, Paris, 1978. (vol. 3) 684 Nous trouvons une dizaine de textes dans le Refranero de Correas qui sous-entendent cette croyance : “ A Dios te doy, abad de Vallecas, estás muerto y rabias ” [A Dieu je te donne abbé de Vallecas, tu es mort et tu enrage.], “ Ya me morí, y quièn me lloró vi ” [Je trépassait et vis qui me pleurait]... Une demidouzaine mettent en scène le mort avec un vivant : “ Espera muerto, que berzas te cuezo ” [Attend, mort, que je te cuise quelques choux ” (Cuire des choux est un moyen d’appeler les morts selon Correas)], “ Preguntó la vieja al muerto si había chilindrón en el otro mundo ” [La vieille demanda au mort si l’on jouait au “ Chilindrón ” [jeu de cartes] dans l’autre monde]... 685 “ Contigo me entierren, que me entiendes ” [Avec toi ils m’enterrent, que tu me comprends], le thème “ mort et espace ” se répercute aussi dans un demi douzaine de villancicos “ Sy muero en terras agenas, / lexos de donde nasçí, / ¿quién habrá dolor de mí? /…/ (Alín #311) ” [Si je meure en terres étrangères, / loin d’où je naquis / ¿ Qui se lamentera à mon propos?], “ Soledad tengo de ti, / tierra mía do nací. / Si muriere sin ventura, / sepúltenme en alta sierra, / ... / por ver si veré de allí / las tierras a do nací./…” (Alín #227) ” [Tu me manque / terre où je suis né / Si je meure de malchance / qu’on m’enterre sur une haute montagne, / ... / et voyons si de là je peut regarder, / les terres où je naquis.]... CHAPITRE 4 UN TEMPS DE DIEU ? Nous avons étudié, jusqu’à présent le temps annuel et le temps humain et mis en valeur de quelles manières ceux-ci étaient découpés et perçus. Il nous reste à aborder deux échelles différentes. Le temps échappe à toute réglementation réelle dans ces deux cas. C’est le cas, tout d’abord, du temps long. Par temps long, j’entend toute échelle dépassant le cadre du temps humain. Nous étudierons ainsi comment et avec quelle acuité était-il apprécié et quelles raisons pouvons nous avancer pour expliquer les perceptions qui y sont liées. Nous étudierons par la suite le temps “ intermittent ”. L’alternance de temps fastes et néfastes est un sujet très récurrent dans nos textes. Ce découpage du temps a ceci de particulier que si il obéit à certaine règles, dans sa globalité, cependant, il n’est pas du ressort de l’homme de le prévoir ni de le contrôler. Nous nous attacherons à développer cette idée et les commentaires qui y sont associés. I / Le temps long 1 / Appréciation Le sujet de la répercussion du temps long dans nos textes est assez délicate: pour une simple raison : passée une échelle d’une quinzaine d’années, on ne trouve plus de durées exprimées ni en années, ni en groupe d’années. Le terme “siècle” (comme durée de cent ans) par exemple est une invention toute récente et n’est presque jamais utilisé dans nos textes686. Est-ce à dire qu’on n’exprime jamais le temps long? Si bien sûr, mais au moyen d’expressions plus que relatives quant à leur précision. “ Mucho tiempo687 ”, “ Muchos años688 ” sont cités, mais il est très difficile de savoir à quelle échelle utilise-t-on ces expressions. Toutefois, les textes suivants laissent à penser qu’elles ne concernent que des durées assez peu importantes, de quelques années, voire quelques dizaines d’années : “ ¡Vivan muchos años / los desposados ! / … 689” (F. A. #460), “ Mas algunos desesperan, / por mucho tiempo esperan. 690”(Canc. Stuñiga, 295), “ Muchos años viva 686 Voici les deux seuls proverbes que j’ai relevés : “ Por el siglo de cuanto más quiero. ”[Pour le siècle que j’aime d’autant plus (préfère?)], “ Buen siglo haya quien dijo vuelta. ” [Bon siècle ait celui qui ordonne de revenir]. Il semble que le terme est employé ici dans le sens de vie terrestre. Que l’on ne trouve que deux exemples d’emploi du mot parait montrer qu’il n’était que très rarement utilisé, pour le moins en terme de durée. 687 Beaucoup de temps 688 un grand nombre d'années 689 Qu'ils vivent de nombreuses années, / les mariés ! 690 Mais (erreur ? màs [plus] ?) quelques uns se désespèrent, / pour beaucoup de temps (longtemps) ils attendent. quien nos convida, y los convidados vivan mil años. 691”. Portons notre attention sur ce dernier proverbe. Il a l’intérêt d’opposer deux durées différentes: “ muchos años ” et “ mil años692 ”. La première correspond à une période de plusieurs années, la seconde un temps plus long, il serait plus juste de dire indéterminé. Cela ne nous aide pas à savoir à quoi correspond “ mil años ” mais, comme le met en valeur ce proverbe, c’est ainsi que l’on s’exprime : lorsque une durée atteint un échelle importante, de plusieurs dizaines d’années, ou lorsque l’on se projette dans le temps long, c’est ce genre d’expression que l’on utilise. Pour être exact, “ cien años 693” et “ mil años ” remplissent cette fonction. Une trentaine de textes, environ, utilisent ces expressions dans ce sens. En voici quelques exemples : “ Cien años de guerra, y no un año de batalla. 694” , “ No hay mal que cien años dure, ni bien que a ellos ature. 695”, “ Antes que pasen por aquí mil años. 696”, “ Vivasme mil años debajo de una lancha, bien abajo, o sepultado.697 ”... Notons nous, pour le moins, une distinction entre l’utilisation de “ cien ” ou “ mil ”, cent exprimant une durée plus courte, de plusieurs dizaines d’années ? La réponse est négative, les deux termes sont sensiblement utilisés de manière identique698. Ainsi l’on dit : “ Antes de mill años todos seremos calvos.699 ” (Sant. Refr. 41) mais de la même façon “ De yo en cient años, todos seremos calvos.700 ” ( Senil. 89). De même si les proverbes suivants : “ Si de ésta escapo, vida para cien años. 701”, “ A cabo de ciento años, marido, soys zarco.702 ” (Sant. Refr. 95) laissent à penser qu’à l’échelle d’une vie, on utilise plutôt “ cien ”, les textes qui suivent montrent que mil se prête tout aussi bien à l’expression de cette durée : “ …/ Mil años tu esposo gozes / y él de los tuyos la flor / … 703”(Alín #836), “ Muchos años viva quien nos convida, y los convidados vivan mil años. 704”. “ mil ” et “ cien ” expriment une durée indéterminée dont la seule caractéristique certaine est qu’elle soit assez conséquente. “ Cien ” et “ mil ” exprime d’ailleurs toute idée de quantité importante pour quelque unité que ce soit.705 691 Nombreuses années vit celui qui nous convie, et les convives qu'ils vivent mille ans. de nombreuses années et mille ans. 693 cent ans 694 Cent ans de guerre et pas un an de bataille. 695 Il n'y a de mal qui dure cent ans ni de bien qui à eux arrive (s’attachent ?). 696 Avant que ne passent ici mille années. 697 Que tu vives mille ans sous un canot, bien en dessous, ou enterré. 698 Nous laissons ici de coté l’emploi de “ mil ” lorsqu’il a une connotation millénariste. Nous discuterons de ce point plus en avant dans notre exposé. 699 Avant mille ans, tous nous serons chauves. 700 De moi en cent ans, tous nous serons chauves. 701 Si de ceci j'échappe, vie pendant mille ans. 702 Au bout de cent ans, mari, soyez bleu ciel (s'utilise généralement pour les yeux). 703 ... / mille ans (de) ton époux tu jouis / et lui de toi la fleur / ... 704 Nombreuses années vit celui qui nous convie, et les convives qu'ils vivent mille ans. 705 Voici quelques exemples qui caractérisent cette utilisation de “ cien ” et surtout “ mil ” comme qualificatifs de quantité importante : “ A dos días buenos, ciento de duelos. ” [A deux journées de plaisir, cent de douleur], “ Abril, aguas mil... ” [Avril, mille eaux...], “ Es para dar mil gracias a Dios. ” [C’est pour donner mille grâces à Dieu.], “ Más vale un bien segura que mil sospechos y de futuro. ” [Mieux vaut un bien assuré que mille suspects et de futur (?)], “ Salen de Valencia, / noche de San Iuan / mil coches de damas /... ” (Alín #909) [Sortent de Valence, / nuit de Saint Jean / mille voitures de dames /...]... 692 A partir du moment où l’on doit s’exprimer ou se repérer dans le temps long (quel qu’il soit), on utilise invariablement ces expressions. Elles sont génériques et n’ont d’autre sens que de symboliser ce temps. Autrement dit, passé une certaine échelle on ne décompte ni ne mesure plus le temps. Bien sûr, un proverbe ou une chanson ne s’attache pas principalement à exprimer une période ou une durée précise, mais de nombreux proverbes furent conçus suite à une situation, un fait qui a eu un impact dans le temps et auquel aurait put être associée une durée ou une date706, sans parler des proverbes à caractère purement historique707. Absolument aucun de nos textes ne fait référence au temps long autrement que par “ cien ” ou “ mil años ”. A ce titre, nous pourrions en déduire que l’on ne pouvait pas exprimer le temps long autrement que par ces nombres, qui n’ont qu’une valeur d’appréciation globale. Passé un certain stade, le temps n’est plus mesuré ni apprécié, il devient indéterminé. Plusieurs hypothèses peuvent être proposées pour expliquer ces résultats: nous pourrions argumenter que la projection dans le temps long nécessite une capacité d’abstraction que n’avait pas le vulgaire de l’Espagne médiévale. Une deuxième proposition (non indépendante de la première par ailleurs) pourrait être de souligner le fait qu’au delà d’une certaine limite, la mesure du temps n’avait plus d’intérêt pour l’individu du Moyen Age. Il est nécessaire de contrôler le temps annuel et le déroulement d’une vie si l’on veut assurer la continuité de l’existence de la communauté et de ses membres. Au delà de ce stade, on ne se sent plus concerné par le temps, il n’y pas d’application pratique qui résulte de la mesure du temps long et, concrètement, cette mesure perd de son intérêt. Cette explication est séduisante mais il faudrait certainement la compléter en intégrant les influences de la religion chrétienne. La conception chrétienne du temps prête assez peu à l’abstraction: selon la Bible et les enseignements de l'Eglise, le temps a un point de départ (la Génèse) et finira nécessairement (avec l’Apocalypse). Le temps est une dimension finie, une suite d'instants placée et délimitée par deux bornes708 ; le chrétien est donc supposé apprécier le temps (et la situation de sa propre personne dans celui-ci) comme un concept limité, terrestre, plutôt réduit, de toute façon éphémère selon l'enseignement de l'Eglise. En outre, la venue du Christ et l’annonce de son retour restreint davantage ce schéma. Concrètement quel intérêt aurait le vulgaire du Moyen Age à mesurer le temps long et se projeter dans un avenir qui dépasse le cadre de son existence puisque le retour du Christ peut arriver à tout moment. Le futur cessera d’être avec la venue du Christ, 706 Est-il nécessaire de préciser que nous n’avons aucune référence à une date, qu’elle soit en fonction d’un règne ou globale ? Les allusions à tel ou tel fait historique ou personnage peuvent avoir eu valeur de repère dans le temps passé. Les proverbes surtout immortalisèrent les plus retentissants de ceux-ci. Des temps reculés de l’occupation musulmane et de la Reconquista (Al-Mansur, le Cid...), jusqu’aux Rois Catholiques et les épisodes de la conquête des Indes, nos textes énoncent multiples faits et personnages. Cependant, il est très difficile d’utiliser ces données pour notre étude dans le sens où l’on ne peut distinguer, dans la formulation du proverbe de différence réelle dans l’énoncé d’un fait très reculé ou très récent. Passé simple et présent sont utilisés indifféremment de même que les structures des proverbes varient sans dégager de traits propre à nous éclairer. 707 L. Combet (1971 Appendice III) en a relevé plus d’une centaine à partir du Refranero de Correas. Ils exposent un fait ou une situation historique, mais sont complètement déracinés de leur contexte chronologique. (ce qui principalement tient à la nature du proverbe à vocation moralisante plutôt que narrative, mais devient aussi révélateur d’un manque d’attention accordée au temps long lorsque nous considérons les quelques cent dix textes concernés). 708 G. Pàttaro p. 198 : “ ... ce que l’on appelle “ le temps ” n’est rien d’autre qu’une fraction, limitée par Dieu, de la durée illimitée du temps de Dieu. ” l’instauration de son royaume de mille ans et l’annonce ainsi programmée de l’apocalypse709. Millénarisme et eschatologie s’opposent donc à une perception d’un temps terrestre éternel et à la mesure d’un temps quand celui-ci n’a pas d’application strictement pratique. A quel point nos textes reflètent-ils cette conception chrétienne du temps ? Nous allons tenter de répondre à cette question, analysant comment perçoit-on passé, présent et futur et ce que l’on peut en déduire. 709 Dans le cas où l’on considère que la venue du Christ précède l’instauration de son royaume. 2 / Passé et futur Les références au passé s’orientent dans deux directions principales: tout d’abord, le temps passé est révolu, il faut l’oublier. Ensuite, aux temps passés sont associés les jours meilleurs, par contradiction avec ceux que l’on vit à présent. Penchons nous sur le premier message. Il semble en effet que l’on ne s’empresse pas de revenir sur ce qui est passé. Ainsi les proverbes : “ Lo vivido, vivido, y lo pasado, pasado. 710”, “ Ahora te lloraré, agüelo, después de un año muerto. 711”712, “ Tiempo pasado traído a la memoria, da más pena que gloría.713 ”. Les deux qui suivent s’utilisent pour signifier qu’un fait est passé et enterré : “ Es hablar de las nubes de antaño (o de la nieves de antaño).714 ”, “ Es cosa de otro jueves. 715”. Dans la même optique, la mémoire des absents ne paraissait pas briller par excès. “ A muertos y a idos, pocos amigos.716 ”, “ Los muertos y los idos, presto son en olvidos ” 717 ou concrètement dans ce villancico : “ … / Véome triste, aflegido, / más que todos desdichado, / que en el tiempo ya pasado / solía ser conocido. / Mas agora, con olvido, / la memoria muerta está. / ...718 ” (Alín #41). Ces derniers exemples nous laissent à penser que c’est ici de passés à court et moyen terme qu’il s’agit, qui ne dépassent pas le cadre d’une vie. Le deuxième message s’inscrit par contre dans un processus à long terme, où passé est synonyme d’âge d’or. Le temps passé est forcément meilleur : “ Cualquier tiempo pasado es mejorado. 719”, “ Tiempo pasado siempre es membrado.720 ”, “ Todo tiempo pasado fué mejor. 721”, on le regrette : “ En los nidos de antaño no ay páxaros ogaño.722” (Senil. 159) et le retour à ces temps est aussi exprimé “ Volver a lo de antaño. 723” car le présent est perçu comme peu enviable voir allant de mal en pire : “ Van las cosas de mal en peor.724” (Villansandino, Canc. FD II 434a), “ Quien vio los tiempos pasados / y ve los que son ahora / ¿Cual es el corázon que no llora? 725” (S. R. #390), “ ¿ A qué tiempo nos ha traido Dios?726 ”. Ce dernier proverbe nous ramène à la question de la portée de l’influence chrétienne. Nous pourrions trouver dans ce regret des temps passés l’écho du retour au christianisme originel, considéré lui aussi comme meilleur. Cependant, 710 Le vécu, vécu, et le passé, passé. Maintenant je te pleurerai, grand-père, aprés un an passé. 712 Correas : “ Que no se ha de recordar de lo que se pasó de luengo tiempo… ” [Que l'on ne doit pas se rappeler ce ce qui se passa il y a longtemps...] 713 Temps passé ravivé à la mémoire donne plus de peine que de gloire. 714 C'est parler des nuages d'antan (ou des neiges d'antan). 715 C'est sujet d'un autre jeudi. 716 Les morts et les partis, rapidement sont oubliés. 717 Peut-on en déduire que l’absence physique d’une personne (morte ou partie) signifie la mort de celle-ci pour la communauté ? 718 ... / Je me vois triste, affligé, / plus que tout malheureux, / qu'en un temps déjà passé / j'étais connu. / Mais maintenant, avec l'oubli, / la mémoire morte est. / ... 719 Tout temps passé est amélioré (meilleur). Correas : Selon l’opinion commune, mais il ne le fut pas. 720 Temps passé, toujours est rappelé. Correas : Car il est pris pour meilleur. 721 Tout temps passé fut meilleur. 722 Dans les nids d'antan, il n'y a pas d'oiseaux cette année. 723 Revenir à chose d'antan. 724 Vont les chose de mal en pire. 725 Qui connut les temps passés / et voit ceux d'aujourd'hui / Quel coeur ne se met pas à pleurer ? 726 A quel temps nous a amené Dieu. 711 l’expérience de la vie et le regret de la jeunesse ont certainement contribué dans une large mesure à la création de ces textes.727 Voyons à présent ce qui concerne la perception du futur. Dans la logique des réflexions précédentes, plusieurs proverbes donnent une vision très pessimiste des temps présents et à venir. Cela s’exprime sous différentes formes. En terme de temps présents, lorsque l’on qualifie le monde temporel, c’est presque invariablement (neuf proverbes sur douze) de façon négative (les autres qualificatifs ayant un sens neutre) : “ Mundo malo, mejor para debajo que para deseado. 728”, “ En este mundo cansado, ni bien cumplido ni mal acabado.729 ”, “ No hay contento cumplido en este mundo mezquino.730 ”... Une demi douzaine de textes ont une connotation nettement eschatologique : “ “ Ansí andando, / el mundo se va acabando; / andando ansí / nunca tan trocado le vi.731 ” (Alín 209), “ Está el mundo para dar un estallido.732 ”, “ Está el mundo para acabar. 733”, “ Está el mundo perdido. 734”... Devons nous en déduire que les perceptions du futur ne sont chargées que de pessimisme? Heureusement non, et l’avenir peut aussi être vu comme meilleur, dans le sens d’un retour au passé : “ Rrecrecen / los vientos en popa del tienpo pasado.735 ” (Canc. Baena 597), ou simplement : “ A aquel que esperar puede, todo a su tiempo y voluntad le viene.736 ”, “ Escalón a escalón se sube la escalera a mejor mansión.737 ”, “ Tiempo vendrá que el desvalido valido valdrá. 738” “ Algún día será la fiesta de nuestra aldea. 739”... Ces deux derniers textes ont un sens prophétique ambigu: est ce la justice divine que l’on attend, les temps meilleurs seront terrestres ou seulement concerneront les bons et justes après le jugement final ? Nous pourrions aussi nous demander si les nombreux emplois de mille ans ne trahissent pas une attente du retour du Christ (comme marquant le point initial ou final de la période de mille ans). Deux proverbes ont des reflets millénaristes : “ A cabo de cien años, todos seremos salvos. ”740 et le fameux741 “ A los años mil, 727 Les proverbes suivants, malgré qu’ils soient dans leur acception sensiblement similaires à ce que nous venons de citer, paraissent ne s’appliquer qu’au temps humain. On a vécu la différence entre passé et présent : “ ¡ Ay horas tristes, cuán diferentes sois de lo que fuistes! ” [Aie, heures tristes, tellement différentes êtes vous de ce que vous futent !], “ ¡Ay de mí, que la miré para vivir lastimido, para llorar y gemir cosas de tiempo pasado. ” [Triste de moi que je la regardai pour vivre affligé, pour pleurer et gémir des choses d’antan], “ Ya no es lo que solía. ” [Ce n’est déjà plus ce que c’était] “ Ya pasó ese tiempo. ”. [Ce temps est déjà passé.] 728 Monde mauvais, meilleur pour le dessous que pour le désiré. 729 Dans ce monde fatigué, ni bien accompli, ni mal achevé. 730 Il n'y a pas de content accompli (satisfait) dans ce monde mesquin. 731 Ainsi en marche, / le monde va se terminer; / marchant ainsi / jamais tant changé je ne le vit. 732 Le monde est sur le point d'exploser. 733 Le monde est sur le point de finir. 734 Le monde est perdu. 735 Grandissent à nouveau / les vents en poupe du temps passé. 736 Celui qui peut attendre, à force de temps et volonté tout lui vient (tout à son temps et volonté lui vient). 737 Marche aprés marche on monte l'escalier vers une meilleure demeure. 738 Le temps viendra que l'invalide valide vaudra (deviendra?). 739 Un jour sera la fête de notre village. Correas : Cela veut dire que viendra le temps où nous serons vengés et gratifiés de chance. 740 Au bout de mille ans, nous seront tous sauvés. Ce proverbe est à prendre avec précaution car il ne pourrait être qu’une déformation du plus courant “ Al cabo de mil años, todos seremos calvos ” [Au bout de mille ans nous serons tous chauves] dont le sens est beaucoup moins net. 741 Il se décline sous six versions différentes ! vuelve el año por su cubil. 742”. Les préoccupations millénaristes reflètent une perception beaucoup plus positive du futur mais nous ne pouvons fonder d’argumentation crédible sur ces deux seuls proverbes. En résumé, les références au passé présent et futur sont généralement plutôt pessimistes, les temps passés étaient meilleurs et l’avenir ne se présente pas sous des hospices très favorables. Christianisme et empirisme semblent ici faire converger leurs enseignements: la vie de l’homme du commun n’a rien de facile et la difficulté de son existence s’exprime avec une certaine amertume dans nos textes. De même, volonté de retour au christianisme originel, dépréciation du siècle (du monde temporel), prédictions eschatologiques, etc... devaient contribuer à formuler la perception des temps de cette manière. Il semble toutefois qu’ils s’expriment à des échelles différentes. L’expérience de la vie conditionne la perception du passé et du futur mais c’est en terme de passé et de futur proche qu’il s’exprime. Nous avons vu que la notion de passé idyllique tient dans plusieurs proverbes à l’amertume de la vieillesse lorsqu’elle se retourne sur les premières années de sa vie. De même que pessimiste ou espoir envers l’avenir tient au contexte dans lequel on évolue et que l’on voudrait voir changer. Plusieurs textes expriment cependant passé et futur à plus grande échelle. Ceux-ci paraissent davantage refléter les enseignements chrétiens. Voici une supposition qu’il paraît juste de considérer : à l’échelle de l’année ou d’une vie, le temps est celui de l’homme. Il s’y intéresse, le commente et tente de le contrôler. Pour les durées ou projections plus importantes dans le temps, la tâche devient beaucoup plus ardue, moins concrète et elle bascule dans le domaine de Dieu et s’attache aux prophéties de l’Eglise. II / Temps et alternance La dernière division chronologique qui intéressera notre étude sort de la logique avec laquelle nous avons, jusqu’à présent, analysé le temps. En effet, celle-ci ne concerne pas une échelle spécifique du temps mais les recoupe toutes. L’alternance des temps fastes et néfastes est, en effet, une constante qui traverse tous les commentaires liés au temps chronologique. Elle s’exprime sous forme de “ buen(o, os, a, as)743 ”, “ mala (...) 744”, “ señalado (...) 745” “ hora, día, año, tiempo (...) 746”747 mais surtout par “ buena ” ou “ mala ” “ ventura, fortuna 748”, voire “ suerte 749”. On est très sensible aux rythmes de la chance dans nos textes et, au même titre que l’on tente de prévoir les mouvements de la nature, on cherche à prédire ceux de la chance. Ce concept est indéniablement liée au temps. Non seulement elle évolue dans celui-ci, comme nous le verrons par la suite, mais elle s’identifie aussi au temps lui-même dans certaines occasions. Dans ce proverbe par exemple: “ Las blancas se casan. Las morenas no, buen día me ha venido, 742 Aux années mille, retourne l'année à son gîte. Correas : C’est ce qui se dit, qu’un temps après un autre viendra, avec espoir qu’il sera meilleur et que se répétera le passé (La traduction est délicate : ...un tiempo tras otro viene con esperanza de mejoría, y a venir lo mesmo que pasó). 743 bon, bonne, bonnes. 744 mauvais(e,s) 745 signalé(e,s) 746 heure, jour, temps (...) 747 Il n’est pas toujours aisé de déterminer lorsque “ buena / mala hora,día... ” sont utilisés dans le sens de périodes fastes et néfastes, ou dans un sens plus neutre et global. 748 bonne, mauvaise, aventure, fortune. 749 chance que blanca me soy. 750”. La chance a ceci de particulier qu’elle est à la fois un concept autonome et un découpage du temps (en périodes fastes ou non). La chance est donc une notion complexe. Nous allons tenter d’ordonner l’ensemble des commentaires dont elle fait l’objet. 1 / Un contrôle de la chance ? Un point, tout d’abord, doit être soulevé: la chance est la meilleure alliée, le meilleur attribut que l’on puisse posséder et réciproquement pour la malchance : “ A fuerza de fortuna, no vale cienca ni arte ninguna.751 ”, “ Contra fortuna, no vale fuerza ninguna.752 ”, “ Faltóle lo mejor que es ventura.753 ”, “ No puede templar cordura lo que destempla la negra ventura.754 ”...La chance a un caractère transcendant. Elle impose ses caprices que l’homme doit subir : “ Amor y fortuna no tienen defensa alguna. 755”, “ No puede el hombre huír la fortuna que le ha de venir.756 ”. Si la chance est avec lui, l’individu n’a rien besoin d’autre: “ ventura hayas hijo, que saber poco has menester. 757”, “ Poco seso basta a quien fortuna no es madrasta.758 ” mais dans le cas où le sort s’acharne, la vie pèse: “ A quien ventura olvida, sóbrale la vida 759” (trois versions), “ Denme la sepultura, / con el miserere. / Que quièn no ha ventura, / no debe nascere.760” ( S. R. #264). Nous prenons donc la mesure de l’importance de ce concept dans les mentalités médiévales. Nous comprenons que l’on cherche d’autant plus à prévoir les variations de la fortune. Sur le temps annuel, on croit pouvoir déterminer quand elle s’exprime, particulièrement dans ses manifestations négatives: la superstition populaire voulait que le mois de février soit aussi temps de malheur761. J. Attali nous apprend que le calendrier signalait les jours “ dangereux, jours de “ malchance ” peu propices pour entreprendre quoi que ce soit762 ”. Nous ne trouvons pas de références claires à ces croyances dans nos textes763. On stresse bien davantage le mardi comme jour néfaste764 750 Les blanches se marient, les noires non, bon jour m'est venu que blanche je suis A force de fortune, ne vaut ni science ni art aucun. 752 Contre la fortune, la force ne vaut rien. 753 Il lui manque le meilleur qu'est la fortune. 754 Ne peut accorder la sagesse ce que désaccorde le mauvais sort. 755 (Contre) Amour et fortune, n'ont (n'existe) aucune défense. 756 L'homme ne peut fuir la fortune qui doit lui venir. 757 Aie de la chance, mon fils, que (et) savoir peu tu as (auras?) besoin. 758 Peu de cervelle necessite celui qui n'a pas pour marâtre la fortune. 759 Celui que la chance oublie, lui pèse la vie. 760 Donne-moi la sépulture / avec le miserere (chant religieux). / Que celui qui n'a pas de chance, / ne doit pas naître. 761 J. Le Goff dans El orden de la memoria, el tiempo como imaginario, Barcelone, 1991 p. 198: “ ...el mes de ferbrero era un mes nefasto, consagrado a los infiernos, de una duraciòn de veintiocho días (numéro par, tambièn eso nefasto como se creía)... ” [... le mois de février était un mois néfaste, consacré aux enfers, d'une durée de vingt-huit jours (numéro pair, aussi considéré comme néfaste)...] 762 J. Attali 1982 p. 127 763 Pour février, quelques proverbes pourraient être interprétés dans ce sens : “ Febrero el corto, el peor de todos ” [Février le court, le pire de tous] (“ pour le bétail ” selon Correas), “ Febrero corto, con sus días veinte y ocho; si tu tuvieras más cuatro, no quedara perro ni gato ” [Février le court, avec ses vingthuit jours, si tu en avais quatre de plus, il ne resterait plus ni chien ni chat.], “ Febrero, siete capas y un sombrero. ” [Février, sept (nombre néfaste) capes et un chapeau. ], “ Febrero el curto, que matò su hermano a hurto. ” [Février le court qui tua son frère au vol (au passage)]. Il est difficile cependant 751 ainsi que les termes de sept765. Nous avons fait plusieurs références aux croyances liées à ce chiffre, particulièrement en terme d’année. Mais toute période, tout dénombrement de sept soulève l’intérêt : “ Tiene siete vidas, como gato. 766”, “ Cada siete años se muda la condición, la costumbre y complexión. 767”, “ …/ Siete días anduve / que no comí pane, / … 768” (Alín #3), “ En siete horas anda media legua; mira si aprovecha. 769”, “ “ Con siete y figura, prueba tu ventura, y si es sota, échalo en la bolsa.770 ”... Passons au temps humain: celui-ci était l’objet de la même attention. Le moment de la naissance déterminait dans une certaine mesure les manifestations de la chance durant la vie de l’individu. C’est de la vie, en général et non pas en terme d’horoscope que nos sources expriment les manifestations du sort: “ En hora buena nace quien buena fama cobra y por tenerla hace.771 ”, “ O triste de mí, que en ora mala nasçi, y para mí fueron guardadas, cuytada, estas fadas malas. 772” (Corbacho III ix 221), “ En hora mala nació el hombre necio en su casa y luego no se murió.773 ”, “ Cada uno con su ventura nace. 774”, “ Cortado en buena luna ”775,“ Al que nacío señalado, no le traigas a tu lado.776 ”. Ces proverbes restent assez généraux mais le villancico suivant (dont Alín nous apprend qu’il était très célèbre et repris par de nombreux écrivains du XVIe siècle) frappe par sa précision et son coté tragique : “ Parióme mi madre / en hora escura / cubrióme de luto, / faltòme ventura. / Cuando yo nascí / era hora menguada /... / ni gallo cantaba / ... / sino mi ventura / que me maldezía. / ... / Fuy engendrado / en signo d’affirmer définitivement que février est un mois néfaste au vu de ces quelques exemples. En ce qui concerne les jours du calendrier, nous ne possédons pas de références explicites d’une journée en particulier signalée comme néfaste. Toutefois, les proverbes suivants laissent entendre qu’elles existaient : “ Al buen día, ábrele la puerta y para el malo te apareja. ”[Au jour propice ouvre la porte, et pour le mauvais, harnache toi .] “ Guay del malo, y de su día malo. ” (Sant. Refr. 346) [Au diable (!) le malin et son jour maudit ”, et nous trouvons trois formulations différentes pour désigner ce type de jour néfaste : “ Día dado ”, “ Día señalado ”, “ Día aplazado ”. En terme de jours propices, il semble que la Saint Jean, parmi ses autres attributs, soit qualifiée de cette façon : “ El Real ganado por San Juan, real y medio vale por Navidad. ” [Le sous gagné à la Saint Jean, un sous et demi vaut à Noël] “ ... / Fuése mi marido / ... / dejaráme un fijo / y fallóme cinco / ¡Qué buen San Juan es éste! / .../ ” [... / Mon mari parti / ... / j’ai misé une pièce / et récupéré cinq / Quelle bonne Saint Jean est celle-ci / ... ] mais il nous faudrait confirmer ceci par d’autres sources. 764 Voir Chapitre 2. 765 Cette croyance particulièrement vivace en Espagne nous est confirmée par R. Homet 1997 p. 54: “ Las creencias generalizadas hablaban de la peligrosidad de los términos del seteno, que ha de vincularse con las periodizaciones de la vida basada en esa cifra. ” [Les croyances généralisées parlaient du danger des termes de sept, ce qu'il faut lier avec les périodisations de la vie liées à ce chiffre.] 766 Il a sept vies, comme le chat. 767 Tous les sept ans se changent la condition, la coutûme et la constitution. 768 ... / sept jours je marchai / sans que de pain je ne mangeai, / ... 769 En sept heures, marche une demie lieue; vois si tu en tires profit. 770 Avec sept et figure, tente ta chance, et si c'est un valet, mets-le dans la poche. 771 En bonne heure est né celui que le succés couvre, et pour le guarder fait (se donne les moyens de le garder). 772 Ô triste de moi, qu'en mauvaise heure je naquis, et pour moi furent gardées (me poursuivirent), malheureuse, ces mauvaises fées. 773 En mauvaise heure naquit l'homme idiot en sa maison et ensuite n'(y) est pas mort. 774 Chacun nait avec sa chance. 775 Correas : A ceux qui atteignent un grand âge en bonne santé. 776 Celui qui est né signalé (marqué par le sort), ne l'enmène pas à tes cotés. nocturno / reynaba saturno / en curso menguado / .../ Faltóme ventura.777 ” (Alín #501). Ce villancico nous offre une belle palette des croyances (exprimées ici en terme de signes néfastes) liées à la détermination du sort d’un être à sa naissance. Il semble que le cours des astres avait aussi un certain impact pendant la vie de l’individu. Au moment du mariage par exemple, comme le sous-entendent les vers suivants: “ .../ Afuera dormirás / que no conmigo /... / Casóme mi padre / en signo menguado, / con un pastorcico /…778 ” (Alín #473) mais aussi à n’importe quel moment de la vie : “ Dios te guarde de hora menguada y de gente que no tiene nada.779” (Glosados ix) , “ Cuando menguare la luna, no siempre es cosa buena.780 ”. On met en valeur certaines périodes de l’année, on naît avec plus ou moins de chance et les astres ont leur mot à dire dans la répartition de celle-ci. Il semble cependant que ces prévisions ne fassent pas mouche à chaque fois et pour pallier à ce manque de fiabilité, on recherche d’autres signes. On en trouve par exemple dans les aléas du calendrier: nous avons déjà cité des proverbes de ce type : “ Navidad en domingo, vende los bueyes y echálo en trigo.781 ” où supprimer une fête était synonyme de mauvaise année. De même, lorsque Pâques tombe en mars, nous trouvons ce type de proverbe : “ Pascua marzal, o mucho bien, o mucho mal. 782”, “ Pascua marzal, hambre, guerra o mortandad. ” “ Pascuas marzales, hambrientas o mortales. 783” et l’expression “ Fuego de San Marzal.784 ” avait valeur de malédiction. Il y avait certainement d’autres commentaires de ce type : le proverbe “ San Trasfiguracio, cual es tu día, tal es tu año. 785” par exemple, pourrait être interprété dans ce sens. Chance et qualité, particularités ou attributs personnels étaient aussi associés. Il est temps de rendre justice à nos vulgaires: en effet, si nous avons cité ci-dessus quelques proverbes exprimant l’idée qu’il ne sert à rien de lutter contre la chance, certains autres se montrent plus pratiques: “ Al hombre osado,la fortuna le da mano.786 ”, “ Viene ventura a hombre que se la procura.787” (Glosados ii), “ Buen esfuerço vençe mala ventura.788” (Alexandre (p) 71) ... Ce n’est cependant qu’un îlot de rationalité (une demi-douzaine de proverbes) dans une mer de superstition. Certains individus étaient ainsi réputés plus chanceux que d’autres : les “ cocus ” en première ligne : “ Tiene más ventura que un cornudo.789 ”, de même les simples d’esprit: “ A los bobos aparece la 777 Ma mère accoucha de moi / en heure obcure / elle me couvrit de deuil (sous-entendu sa mère est morte en couche), / je manquai de chance. / Quand je naquis / l'heure était déclinante / ... / ni coq ne chantait /... / mais le sort / qui me maudissais. / ... / Je fus engendré / en signe nocturne / saturne reignait / dans son cours déclinant / ... / je manquai de chance. 778 ... / dehors tu dormiras / et non avec moi / ... / Mon père me maria / en signe décroissant, / avec un petit pasteur / ... 779 Dieu te garde d'heure déclinante et des gens qui ne possèdent rien. 780 Quand la lune est en en phase décroissante, ce n'est pas toujours bonne chose (bon signe). 781 Noël un dimanche, vends les boeufs et achète du blé. 782 Pâques en mars, faim, guerre ou carnage (hécatombe). 783 Pâques de mars, ou sont de faim, ou mortelles. 784 Feu de San Marzal. 785 San Trasfiguracio, tel est ton jour telle est ton année. 786 A l'homme qui ose, la fortune lui tend la main. 787 La fortune vient à l'homme qui se la procure. 788 Bon effort vainc mauvaise fortune. 789 Il a plus de chance qu'un cocu. Virgen María.790 ”, “ A los inocentes se aparece nuestra señora.791 ” et, de manière plus surprenante, les laides sont aussi considérées comme chanceuses : “ La tuya hermoa y la mía venturosa. 792”, “ La ventura de las feas.”793(deux versions) , “ La ventura de las feas, ellas se la granjean.794 ”. Ce dernier proverbe traite aussi du caractère contagieux de la chance. Le même thème apparaît, pour la malchance, dans ce proverbe : “ Al que nace señalado, no lo traes a tu lado.795 ” ou encore dans ce villancico tragique que nous avons déjà rencontré : “ .../ Apartaos de mí, / bien afortunados / que de soló verme / seréys desdichados/....796 ” (Alín #501). 2 / Le caractère insaisisable de la fortune On suit le calendrier, on observe les signes, mais il ne faut pas s’y tromper, la chance a avant tout un caractère versatile et incontrôlable. Elle peut-être dans ce sens comparée ou associée au temps : “ Andar ventura, pues el tiempo os muda. 797”, “ Mujer, viento, tiempo y fortuna se muda.798 ”. Mais on exprime ce roulement chance et malchance sous diverses formes : “ Cuando mayor ventura, menos es segura.799 ”, “ Fortuna y aceituna, a veces mucha, a veces ninguna.800 ”, “ Ni cosa más variable que ventura, ni cosa más miserable que locura.801 ”, “ No fiés de la fortuna, mira que es como la luna.802 ”... les proverbes de ce type sont nombreux (une dizaine). La chance est, au même titre que les jours, heures, années... une autre composante de la réversibilité des temps mais prend un aspect encore plus instable dans le sens où elle ne s’appuie pas sur un contexte (à la différence d'“ año malo803 ” par exemple, qui caractérise une année de mauvaise récolte). La chance est un concept qu’il est difficile d’appréhender, et nous remarquons ainsi certaines tendances à la symbolisation, personnification voire déification dans nos textes. La célèbre roue de la fortune symbolise ainsi cette chance. L’expression est employée dans ces textes “ De las malcasadas / yo soy la una, / sigueme la rueda / de la fortuna. 804” (Alín #103), “ La rueda de la fortuna, nunca es una.805 ” et sous-entendue dans les deux suivants : “ El mundo es redondo y rueda; así lo habemos de dejar. 806”, 790 Aux simples d'esprit apparait la Vierge Marie. Covarrubias (1611), dans sa définition de bobo, nous indique qu'il est tenu pour chanceux et illustre ceci par ce proverbe. 791 Aux innocents apparaît notre dame. 792 La tienne jolie, la mienne chanceuse. 793 La chances des laides, 794 La chance des laides, elles se la transmettent. 795 Celui qui est né signalé (marqué par le sort), ne l'enmène pas à tes cotés. 796 .. / écartez-vous de moi, / bien fortunés / que de seulement me voir / malheureux vous serez / ... 797 Avancer, la chance, car le temps vous change. 798 Femme, vent, temps et fortune se change. 799 Plus on a de la chance, moins elle est sûre. 800 Chance et olive, parfois beaucoup, parfois pas du tout. 801 Ni chose plus variable que la chance, ni chose plus misérable que la folie. 802 Ne te fie pas à la chance, observe qu'elle est comme la lune. 803 mauvaise année 804 Des mal mariées / je suis l'une, / me suit la roue / de la fortune. 805 La roue de la fortune, jamais n'est une. 806 Le monde est rond et roue; ainsi nous devons le laisser. “ Rueda ventura, que a mi costa es todo.807 ”. Nous remarquons, dans ce dernier la forme impérative utilisée. La fortune est interpellée, comme une personne. De même dans ce proverbe : “ Andar fortuna, pues el tiempo os muda.808 ” (remarquons le vous de politesse utilisé). On l’appelle aussi au secours dans les villancicos qui suivent : “ Pásame por Dios, barquero, / d’aquesa parte del río, / ... / ¡ Oh ventura ! Trae los vientos / ...809 ” (Alín #128), “ A mi pensamiento / fortuna le ayude, / no le lleve el viento, / ... ”810. Dans les textes suivants, la fortune est assimilée à un marionnettiste qui mène la danse de la vie : “ Aquí fortuna ordena que donde tuve el placer tenga la pena. 811”, “ Asaz bien baila a quien la fortuna hace el son y la mudanza.812 ”, “ Fortuna me quita el veros, mas no me quita el quereros.813 ”. La fortune est crainte aussi, elle est partout : “ Es como la mala ventura, que dondequiera se halla.814 ” et on cherche à se faire oublier du mauvais sort : “ Cuando la mala ventura se duerme, nadie la dispierte. 815”. Il est difficile savoir où s’arrête le symbole, la métaphore et ou commence la déification si déification il y a. La chance était déifiée dans l’antiquité (sous les noms de Ramnusia ou Némésis par exemple) et il est possible que ce culte païen se soit prolongé jusqu’au bas Moyen Age. Les textes que nous venons de passer en revue pourraient être interprétés en ce sens. Une chose est certaine, la chance n’est pas du domaine de l’homme mais du domaine de Dieu : on tente d’en prévoir les aléas et cela s’exprime en terme de superstition dans le temps et l’espace; il se peut qu’elle ait été déifiée; elle est associée dans une demi-douzaine de proverbes à Dieu : “ A Dios y a ventura.816 ”, “ Ventura te dé Dios hijo.817 ”, “ De día sol, y de noche luna, que sólo Díos y mi desventura.818 ”... La chance comme le temps long est un concept très difficile à appréhender. A l’échelle d’une année ou d’une vie, certaines règles existent et visent à prédire voire contrôler ses manifestations. Néanmoins, son caractère fondamentalement imprévisible la renvoie dans un temps où l’homme n’a plus son mot à dire. Elle devient une composante du temps des dieux. 807 Roule, fortune, qui pour moi est tout. Avancer la chance, car le temps vous change. 809 Fais-moi passer, barreur, de l'autre coté de cette rivière, / ... / Ô chance ! ammène les vents / ... 810 A mes pensées, / la fortune porte son aide, / Qu’elle n’emporte pas le vent / ... 811 Ici la fortune ordonne qu'où il y eut le plaisir il y ait la peine. 812 Correctement danse celui pour qui la fortune fait le son et le ryhme. (mudanza implique la notion d'alternance) 813 La fortune me quitte le "vous voir" (nous dirions "le bonheur de vous voir" par exemple) mais pas le "vous aimer" (idem). 814 Il est comme la mauvaise fortune, qu’en tout lieu on (le) trouve. 815 Quand la malchance dort, personne ne la réveille. 816 A Dieu et à la chance. 817 Que Dieu te donne de la fortune, mon fils 818 De jour, soleil, et de nuit lune, que seulement Dieu et ma malchance. 808 808 CHAPITRE 5 LE CONTRÔLE DU TEMPS Nous venons de passer en revue toutes les échelles du temps. Nous possédons à présent toutes les données nécessaires pour dégager les caractéristiques principales des perceptions du temps dans les milieux populaires. Une récapitulation de l'ensemble s'impose tout d'abord. Synthèse Dans le premier chapitre, nous nous sommes penché sur le temps chronologique court, soit égal ou inférieur à l'année. Les milieux populaires avaient plusieurs outils à leur disposition pour apprécier et découper l'heure, la journée, la semaine, le mois ou l'année. Globalement cependant, nous avons remarqué que seules la journée et l'année intéressent vraiment le vulgaire. Il y a fort à penser qu'il n'apprécie que très approximativement l'heure ; la durée d'une semaine ne signifie rien pour lui de même que celle du mois. Il est, par contre, attentif aux signes de la nature et cette dernière lui impose ses modèles, particulièrement en ce qui concerne la journée et la détermination des saisons. A la lumière de ces informations, nous avons tenté de reconstruire, dans le deuxième chapitre, quels cycles se dégageaient de nos sources, toujours dans le cadre de ce temps court. Ce sont les cycles annuels qui prévalent, à la fois en terme de références et des préoccupations qui y sont liées. Ces cycles annuels se déclinent à plusieurs niveaux et à des époques sensiblement différentes. Néanmoins, chacun d'entre eux possède, dans nos sources, un planning préétabli et nous avons mis en relief le fait que l'on dépréciait voire s'attendait au pire dès lors qu’une étape de ce planning était transgressée. Notre troisième partie s'intéressait au temps humain vu sous l'angle de la vie et de ses différentes étapes. Nous en avons dégagé trois: la jeunesse, la maturité et la vieillesse. Chacune se déterminait respectivement à un ensemble d'appréciations subjectives et à chacune correspondait un ensemble uniforme de commentaires. Ceux-ci leur attribuaient fonctions et perceptions et nous avons appuyé la nature tranchée et distincte de chaque ensemble. Mariage et mort sont les points de rupture principaux de la vie du vulgaire et nous avons soulevé l'hypothèse que si l'on attendait avec un certain détachement la mort, cela était du en partie à la dépréciation liée à l'état de vieillesse. Le temps, un shéma prédéterminé. Comme l'année, la vie possède son cycle, ses phases, son organisation et on est défavorable à la transgression du modèle établi. Si nous mettons en parallèle ces deux échelles, nous nous apercevons qu'elles possèdent la même structure : celle d'un schéma préétablit et à chaque subdivision de ce schéma correspond un ensemble d'a priori et d'attentes. Le temps humain comme le temps annuel est rythmé par ces schémas. L'appréhension du temps est en fait une tentative d'appréciation de ses rythmes et de ce qu'ils conditionnent. Plus que d'appréciation, nous pourrions parler de tentative de contrôle du temps, ou plutôt de ces temps. Et cette volonté de contrôle résulte d'une préoccupation élémentaire: celle de survivre. J. Attali voit dans le contrôle du temps un moyen de canaliser la violence. En ce qui concerne nos couches populaires, il semble plutôt que la survie de la communauté induit le contrôle du temps. Elle doit prévoir les rythmes climatiques et végétaux de la nature pour pallier au pire si les signes qu'elle guette aux périodes qu'elle attend ne lui donnent pas satisfaction. A l'échelle de la vie, chacun doit, au fur et à mesure que son âge avance, interpréter le rôle qui lui est imparti, si la communauté veut pouvoir continuer à subsister et se renouveler. Le système est simple: les rythmes des temps conditionnent ceux de la communauté qui doit s'y adapter si elle veut assurer sa continuité. En retour, ces rythmes de la communauté conditionnent ses perceptions temporelles. A la “ vaste indifférence au temps ” de M. Bloch, nous aurions plutôt tendance à faire prévaloir une vision intéressée de celui-ci. On ne sait pas apprécier une heure, soit, cela n'a pas de répercussion vitale sur l'existence d'un individu. On affiche une attitude active par rapport à l'appréciation du temps à partir du moment où l'on considère que c'est important et ce qui est important, chez notre paysan moyen médiéval, c'est de survivre. Le cas des alternances des périodes fastes et néfastes est, à ces égard, très révélateur. Le peuple819 a le sentiment qu'il peut appréhender les rythmes de la chance comme il le fait pour la nature. Mais les alternances du sort sont beaucoup plus capricieuses que celles de la nature et ces difficultés génèrent une profusion plus grande encore de tentatives de réglementation. Celles-ci sont liées à des associations (chance et laideur par exemple) que nous appelons superstitions. Il est possible qu'à l'origine ces croyances se soient crées à partir d'une observation de faits fondés (rappelons nous l'hypothèse du sept, signe néfaste car on a remarqué qu'un enfant mourrait facilement autour de sept semaines ou sept ans), que l'on a généralisée par la suite dans une tentative de comprendre les règles capricieuses du jeu de la fortune.Cependant, ces revirements sont trop difficiles à comprendre et nos textes expriment une certaine tendance à la sortir du contexte maîtrisable du temps humain pour la reléguer dans une autre dimension sur laquelle celui-ci n'a plus prise. Le phénomène est similaire avec le temps long. Celui-ci échappe à tout entendement. Quelle nécessité aurait-on, par ailleurs, à vouloir l'appréhender ? Comme le temps très court, le temps long ne présente plus vraiment d'intérêt. A sa mort de toute façon, le vulgaire basculera dans un monde où le temps n'a plus de prise sur lui. On pourrait rétorquer que millénarisme et eschatologie nécessitaient une vision à long terme du temps. Ces concepts, nous l'avons dit, ont peu de répercussions dans nos sources. De plus, il y a fort à parier que ce qui a mis en mouvement des foules entières comme dans le cas des croisades des pauvres et des enfants par exemple, ce n'étaient pas des promesses de royaumes bénis dont il fallait poser les fondements pour un futur lointain, mais bien d'un millénarisme imminent et qu'à ces peuples était échu l'honneur de préparer le second retour du Christ. Résumons cet ensemble : la perception du temps est essentiellement empirique, les deux échelles déterminantes sont celles du temps annuels et du temps humain. Elles 819 Le peuple seulement ? c'est plus que douteux, l'ensemble de la société adhérait dans une mesure plus ou moins grande à ce genre de croyances, comme l'atteste le fait que le calendrier religieux lui-même précisait les jours fastes et néfastes. intéressent fortement nos textes et le temps est rythmé dans leur cadre. Pour chacune d'entre elles, on apposait un schéma prédéterminé, avec un début, une fin des étapes intermédiaires et des temps forts qui les délimitaient. Cette schématisation du temps résultait d'une volonté de contrôle de celui-ci, afin de pouvoir assurer la continuité de l'individu ou de la communauté. A ce titre, il était nécessaire que tout se passe comme prévu par ce planning, au risque de rompre le processus normal de ce roulement. Lorsque le temps dépasse l'échelle humaine, on ne s'y intéresse plus, il devient inaccessible et il ne justifie plus de s'efforcer à l'appréhender. Nous allons tenter d'appuyer ces hypothèses, si cela est encore nécessaire, par les quelques exemples et parallèles sur lesquels nous allons nous pencher à présent. Les concepts liés au mot “tiempo”. Cette partie aura pour but de montrer l'importance des cycles annuels, humains et alternatifs sur la perception du temps. Nous allons à cet effet passer en revue les commentaires liés au concept du temps lui-même, autrement dit, quelles sont les principales réflexions associées au mot “tiempo”. Nous allons constater sans surprise qu'elles reflètent celles que nous avons dégagées dans les trois dernières parties. Un précepte se dégage tout d'abord dans une dizaine de textes : celui d’affirmer qu’il existe un temps pour tout, chaque chose doit se faire en son temps. Ainsi nous trouvons par exemple : “ No es bueno lo que no es en su tiempo820 ” ou “ Cada cosa con su tiempo, y nabos en Adviento821 ”... C’est un thème qui nous est familier, que l’on se remémore ce type de proverbe: “ Cuando en invierno es verano, y verano es invierno, nunca buen año.822 ”. Il naît essentiellement des préoccupations liées au rythme des saisons et cultures, et nous l’avons dit, il était vu d’un mauvais œil lorsqu’une période de l’année n’affichait pas les caractéristiques classiques à sa saison, “ Buena es la nieve que en su tiempo viene823 ” pourrait-on dire autrement. C’est un thème important, et s’il reflète une conception empirique du temps chronologique court, son champ d’application concerne aussi le temps humain. Un autre thème affiche un certain succès (une vingtaine de citations): celui du temps qui file et dont il faut tirer partie au maximum. Cela peut s’exprimer de plusieurs façons, directement: “ El tiempo corre y todo lo traspone.824 ”, en terme de perdre son temps : “ Mañana, mañana, pásase el tiempo y no hacemos nada.825 ”, “ Quien tiempo tiene y tiempo atiende, tiempo viene que tiempo peirde.826” (Cifrar 75) ou cela est sousentendu par le fait de gâcher son temps : “ Gran perdida es al letrado, el tiempo mal gastado. 827”. “ Ya ” (déjà) est de même attaché une demi douzaine de fois au temps qui passe comme dans le texte suivant “ ...que en el tiempo ya pasado, / solía ser conocido...828” (Alín #41). L’échelle chronologique n’est pas toujours déterminable. Le message n’est pas neutre. Rappelons nous nos propos concernant le caractère précaire de 820 N’est pas ce qui n’est pas en son temps. Chaque chose en son temps, et les navets à l’Avent. 822 Quand en hiver c'est l'été, et en été c'est l'hiver, jamais bonne année. 823 Bonne est la neige qui vient en son temps. 824 Le temps courre et change tout. 825 Demain, demain, passe le temps et nous ne faisons rien. 826 Celui qui a du temps et le temps attend, le temps vient que (et) le temps perd. 827 Grande perte est au lettré le temps perdu. 828 ... que en temps déjà passé, / j'étais connu... 821 la vie et de sa durée et de savoir profiter du temps que l’on a. L'idée est la même dans les textes suivants : “ Qualquier que mucho duerme, es cierto nunca medrar.829“ (G Manrique Canc. Ixar 150), “ Ahora que soy moza, quiérome holgar, que cuando sea vieja, todo es tosejar.830 ”... Une demi-douzaine de proverbes traitent aussi du temps comme on met en avant l'expérience du vieux : “ El tiempo es sabio y el diablo viejo.831 ”, “ El tiempo te dirá que hagas .832”... Ensuite, le thème du temps qui atteint et change tout s’exprime de façon marquée (vingt et un textes) dans nos références. Cela peut être exprimé de façon neutre : “ A la corta o a la larga, el tiempo todo lo alcanza.833 ”, “ No hay cosa sobre la tierra que en tiempo y lugar no se encierra.834 ”... Mais aussi de façon positive :“ El tiempo todo lo cura, y todo lo muda ”, “ No hay dolor que non canse / e que tiempo non lo amanse835 ” Nous retrouvons le même genre de commentaire que ceux liés à l'inexorabilité de la mort et ces proverbes induisent aussi la notion d'alternance. La versatilité du temps est, en effet, un thème qui revient dans une trentaine de référence. Celle-ci est exprimée directement dans plusieurs cas : “ Sufra quien penas tiene, que un tiempo tras otro viene836 ”, “ Tras el nublo viene el sol, y tras un tiempo viene otro837 ” mais généralement est impliquée comme dans le proverbe suivant “ El que buen seso tiene, / sabe los tiempos seguir.838” (Canc. Baena 417b). L’alternance est sous-entendue en terme de temps fastes ou néfastes : “ Fará que todavía / quién en mal tiempo confia, / llore mostrando que canta.839” (Mena, Canc. Roma II). Ces temps fastes ou non concernent aussi l’année en terme d’abondance alimentaire et pourraient se comparer aux nombreux proverbes de ce type : “ Dondequiera que està, nunca falta un mal año.840 ”. Dans la même logique, le proverbe “ No son todos los tiempos uno. 841” s’emploie de même avec “ días ” ou “ años 842”. Mais les aléas du temps sont aussi abordés à plus longue échelle. Le contexte social est parfois impliqué : “ Malo anda el tiempo cuando lo que no se peude alcanzar por justicia se puede alcanzar por dinero.843 ” et des références au temps à plus longue échelle peuvent apparaître “ Múdanse los tiempos, múdanse los pensamientos (ou condiciones).844”, proverbes que 829 Celui qui beaucoup dort est certain de ne jamais grandir. Maintenant que je suis jeune fille, je veux m'amuser, que lorsque je serai vieille, tout est toux. 831 Le temps est sage et le diable vieux. 832 Le temps te dira ce qu'il faut que tu fasses. 833 A la courte ou à la longue, le temps atteint tout. 834 Il n'y a rien dans qu'en temps et lieu ne s'enferme (dans le sens tout se découvre un jour ou l'autre). 835 Il n'y a pas de douleur qui ne fatigue pas, / et que le temps ne n'apprivoise pas. 836 Que souffre celui qui peine, que vient un temps après un autre. 837 Aprés les nuages vient le soleil, et après un temps vient un autre. 838 Celui qui a de la cervelle sait suivre les temps. 839 Fera encore (?) / celui qui, en de mauvais temps confie, / pleure montrant qu'il chante. 840 Où que ce soit, jamais ne manquera une mauvaise année. 841 Tous les temps ne sont pas un. 842 jours et ans 843 Malheureux sont (avancent) les temps lorsque ce qui ne peut pas être atteint par la justice peut s’obtenir par l’argent. 844 Les temps changent, les états d’esprit (conditions) aussi. 830 nous pourrions comparer avec cette version moins neutre : “ No hay cosa firme ni estable en esta vida y mundo miserable.845 ” Nous avons déjà rencontrés tous ces thèmes : Il y a un temps pour tout et l’on n’apprécie pas les dérogations à cette règle, d’autant plus que les temps sont précaires et versatiles, il faut savoir s’y adapter mais il faut aussi savoir en tirer parti et profiter de ce temps qui court sans se retourner. A plus long terme, le temps peut être synonyme d’expérience mais surtout marque par son caractère inexorable voire fatal dans le sens où rien ne lui échappe. Sans aucun doute, temps annuel, humain et alternatif conditionnent dans une très large mesure les messages liés au mot “tiempo”. Temps et espace Intéressons-nous, à présent au sujet de la volonté de contrôler le temps. On tente de le faire afin d'assurer la continuité de la communauté. Cette appréciation du temps est rigide, nous l'avons vu. Celui-ci se découpe en phases et étapes et à cette division correspond un code de règles liées à chacune, ce code étant établi par la communauté. Celle-ci est à la fois spectatrice et juge des comportements humains et naturels. La grande différence entre le premier et le second cas, réside dans le fait que la communauté ne peut que subir les caprices de la nature, tandis qu'elle peut agir, influer et critiquer le comportement des individus. Toute personne, à tout âge possède fonctions et perceptions qui lui sont propres. Cette mise en scène de la vie se déroule dans le théâtre de la communauté. Elle contrôle le déroulement de la pièce selon un script préétabli. Nous avons l'impression que la communauté est une sorte d'îlot de régulation, de cellule de protection qui fournit une base de stabilité pour ses individus. Celle-ci propose un ensemble de règles qui ont un champ d'application limité à la fois dans le temps et l'espace. Le temps long n'est pas exprimé car la continuité de la communauté est assurée à partir du moment où chaque individu, de sa naissance à sa mort (à sa mort d'autant plus, serions-nous tentés de dire) joue le rôle qui lui est imparti. Le temps long échappe à la communauté car elle n'y est plus sensibilisée. Nous observons le même phénomène pour l'espace846. Le groupement communautaire ne s'étend pas au delà de certaines limites et plus elles s'éloignent, plus elles deviennent floues, mal appréciées et dangereuses: l'espace en dehors de la communauté échappe à son contrôle et son champ d'action: il devient mal cerné, et (à la différence du temps) jugé de façon péjorative. Ceci 845 Il n'y a rien de ferme ni stable dans cette vie et monde misérable. Plusieurs historiens (H. Martin, Mentalités médievales, XIe-XVe Siècles, Paris, 1996 p. 121, M. Fernández Alvarez 1997 (Historia de España Menéndez Pidal vol. XIX) p.439) mettent en valeur le lien temps et espace, expliquant que les distances étaient souvent exprimées en nombre d'heures ou de jours nécessaires pour les parcourir. Concrètement, ces remarques se répercutent assez peu dans nos textes. Le villancico suivant est le seul à exprimer clairement cette appréciation : “ Yo me yva, mi madre, / a Villa Reale / .../ Siete dìas anduve / que no comì pane, / ... ” (Alín #3) [Je m'en fus, ma mère, / a la Ville Royale, / ... / J'ai marché pendant sept jours, / Sans même manger de pain / ... ”. Le rapport espace et temps est sous-entendu dans le proverbe suivant : “ Quien tiene una hora de espacio no muere ahorcado. ” [Qui une heure d'espace possède, ne meure pas pendu.]. Les proverbes qui suivent confrontent mesures d'espace et temps : “ En siete horas anda media legua, mira si aprovecha.” [En sept heures, marche une demi lieue, et regarde si tu en profites.], “ Mercadillo de ocho leguas, tres días malos y dos noches negras. ” [petit marché de deux lieues, trois mauvais jours et deux nuits noires.], “Mercadito de cinco leguas, un días malo y dos noches negras. ” [Petit marché de cinq lieues, un mauvais jour et deux nuits noires.] Le rapport jour et lieues est exprimé, dans les deux derniers, de façon proportionnelle mais la différenciation temps et espace est bien marquée. Nous manquons d'évidences pour tirer une conclusion définitive, mais il semble que temps et espace ne soient plus associés systématiquement à la fin du Moyen Age. 846 se reflète par exemple dans la dépréciation exprimée envers les bergers, individus qui échappent au contrôle (géographique et moralisateur ) de la communauté847. Plusieurs villancicos expriment fortement le fait d'être désorienté, perdu, mal à l'aise en dehors de la communauté: “…/ Yo quedo muriendo / en esta montaña. /…/ No sé que hazer, / syno morir luego.848” (Alín #109 ),) “Por las sierras de Madrid / tengo d’ir / que mal miedo he de morir.849” (Alín #122) “Si en las tierras do nací / sufro yo mortales penas, / ¿qué faré en tierras agenas?850”(Alín #559 ), “Yo vivo moriendo / por verme extranjero, / y en ver que no muero / más muero viviendo; /…851” (Alín #132), “ ¡Ay que vivo en tierra extraña / vida triste y sin ventura, / adonde la vida extraña / y la muerte me asegura ! 852” (Alín #419 )... Ces compositions sont souvent liées à l'éloignement de l'être aimé ce qui leur donne leur caractère tragique mais le malaise associé à la terre étrangère s'y exprime très bien. Une vingtaine de proverbes présentent le même type de commentaire : “ No quiere más el alma de lo ajeno que el ojo del arguero.853 ”, “ Mercadillo de ocho leguas, tres días malos y dos noches negras. 854”, “ Cada uno donde es nacido, bien se está el pajaró en su nido.855 ”, “ A donde puedo ir que más valga ? 856”, “ El que vive en la montaña, piense que tiene algo y no tiene nada.857 ”... Temps et espace en dehors de la communauté échappent à sa régulation sont contrôlés et par conséquent sont synonymes de flou et d'inconnu. Coutume et inversion Nous chercherons à présent à appuyer l'hypothèse du temps comme shéma rigide et prédéterminé. L'attachement aux coutumes expriment d'une autre manière cette volonté de réguler les habitudes de la communauté, et de cristalliser son déroulement par un ensemble de règles figées que l'on se refuse à faire évoluer. Cette rigidité était encore plus marquée de par le fait que les périodes et valeurs du passé étaient censées être meilleures que celles du présent858. Cet attachement s'exprime de façon très forte dans nos textes, à la fois en quantité (une vingtaine de proverbes) et dans leur contenu : “ 847 J. A. García de Cortazar 1997 (Historia de España Menéndez Pidal vol. XVI) : “ Su movilidad despierta sospechas entre la población estable, les hace inasibles a los marcos fijos de relación social. Es tanto como decir ajenos a las prácticas de la communidad, a la contribución a sus cargas, ajenos sobre todo a su adoctrinamiento.” [Sa mobilité éveillait les soupçons parmi la population stable, les rendait inaccessibles aux marqueurs figés de relations sociales. C'est à dire étrangers aux pratiques de la communauté, aux contributions à ses charges, étrangers surtout à son endoctrinement] . Cette idée revient régulièrement dans les études modernes de la société médiévale. Notons toutefois que nous ne possédons aucune évidence de cette sorte dans nos sources mais, nous l'avons déjà dit, peu de proverbes s'intéressent à l'état de berger. 848 Je reste mourant / en cette montagne, / ... / Je ne sais que faire, / sinon mourir ensuite. 849 A la sierra de Madrid / je dois m'en aller / quelle mauvaise (grande) peur j'ai de mourir. 850 Si dans les terres où je suis né / je souffre de mortelle peines, / Que ferai-je en terres étrangères ? 851 Je vit mourant / à me voir étranger, / et voyant que je ne meure pas / plus encore je meurs (en) vivant; / ... 852 Aie que je vis en terres étrangères / vie triste et sans fortune, / où la vie est étrange / et la mort m'assure. 853 Ne veut pas plus l'âme de l'étranger que l'oeil du (?) (argue signifie dessus). 854 Petit marché de huit lieues, trois mauvais jours et deux nuits noires. 855 Chacun où il est né, bien se trouve l'oiseau dans son nid. 856 Où irais-je qui serait mieux (qu'ici)? 857 Celui qui vit dans la montagne croit qu'il possède quelque chose mais ne possède rien. 858 Cf. Chapitre 4. Mudar condición es par de muerte. 859”, “Mudar de costumbres es a par de muerte860. (Sant. Refr. 448) (six versions différentes !)... Les proverbes suivants se prononcent aussi contre le changement d'habitude, selon Correas : “Andaos a mudar hitos.861”, “Corra el agua por donde suele.862”... Nous constatons donc sans surprise la vitalité de ces remarques dans le Refranero. Cependant, quelques proverbes (quatre) s'élèvent aussi contre ces idées reçues. Mais le vocabulaire utilisé pour traiter de la modification de la coutume est très révélateur. La coutume est une véritable institution. Elle représente cet ensemble de règles qui régissent la communauté. Ce système est perçu comme rigide. Voyons les proverbes qui s'élèvent contre la coutume :“ A la mala costumbre quebrar de la pierna.863” (Senil. 239), “Las malas costumbres y emperradas, quieren ser quebradas. ”, “Al mal uso, quebrarle la pierna864.”. On ne modifie pas la coutume, on la brise, à l'image d'une vitre à laquelle on jetterait une pierre. Le système entier était perçu comme figé, cristallisé, d'où le traumatisme lorsque l'on parle d'en modifier certains aspects. Comprenons que nos propos sur l'appréciation et le contrôle du temps s'insère dans un ensemble cohérent dont il est une composante capitale. A la lumière de ces remarques, nous pouvons aborder un sujet que nous avons, jusqu'à présent, laissé de côté : celui des rites d'inversions. Le caractère chronologique de ces pratiques est primordial, dans le sens où on y a recours pendant une période courte, volontairement limitée, par rapport au reste du temps où vie et coutumes normales reprennent leur droits. La composante chronologique est toutefois subordonnée au caractère du schéma d'ensemble: le système des perceptions, relations sociales... est caractérisé par sa rigidité. Celle-ci s'exprime dans un cadre spatiotemporel non moins cristallisé. C'est un système qui menacerait à tout moment de voler en éclat si il ne possédait pas ces périodes courtes mais intenses qui n'ont d'autres fonctions que de libérer, sous contrôle, toutes les pulsions anticonformistes de la communauté. L'inversion trouve sa consécration dans les fêtes à caractère carnavalesques. Une quinzaine de proverbes nous renseignent sur leurs pratiques865. Elles se définissent par leur tendance à prôner l'excès sous toutes ses formes. Cet excès est d'ailleurs personnifié sous le nom de Antruejo que l'on pourrait comparer à une sorte de Gargantua espagnol866. On se goinfre de nourriture : “Sepan los gatos que es mañana 859 Changer de condition est égal à la mort. Changer de coûtume est égal à (ou similaire à) la mort. 861 Vous vous activez à (vous êtes en train de ) changer les faits. 862 Courre (coule) l'eau où elle en a l'habitude. 863 Les mauvaises coutûmes et obstinées (enracinées), veulent être brisées. 864 Au mauvaise usage, lui casser le pied. 865 Elles ont lieu à différents moments de l'année. Les trois jours qui précédent la Carême sont bien entendu sujets à ces célébrations (par opposition à la période de jeûne et d'abstinence qui suivra) : “Como el perro de Escoriza, que huía el antruejo y volvía el miercoles de Ceniza. ” [Comme le chien de Escoriza, qui fuit l'“antruejo” et revint le mercredi des Cendres.] Les deux fêtes de Saint Antoine et Saint Sebastien peuvent, en cas de Carême précoce, prendre le caractère de fête carnavalesque : “Corvilla de enero, San Sebastían primero; tente, varón, que primero San Antón. ”. [Corvilla (pour mercredi des Cendres) de janvier, San Sébastien en premier; tiens-toi, homme, que la Saint Antoine en premier.] Pâques, ensuite, est une fête populaire autant que religieuse et il semble qu'elle ait pris aussi un certain aspect de la fête carnavalesque: “Pascua de antruejo, Pascua bona, cuanto sobra a mi señora, tanto dona. ” [Pâques de Antruejo, bonne Pâques, autant il en reste à ma maîtresse, autant elle en donne.]. Enfin, la Saint Jean est indéniablement une fête de ce type : “Las riñas de por San Juan son paz para todo el año.” [Les rixes de la Saint Jean sont paix pour toute l'année.] où les excès se déclinent sous toutes leurs formes (cf. chapitre 2). 866 Cf. chapitre 2 860 antruejo.867” bien que cela soit vécu différemment selon le niveau de vie : “ Pascua de antruejo, Pascua bona, cuanto sobra a mi señora, tanto dona. 868” et son corrolaire “ Pascua mala, cuanto sobra a mi señora, tanto guarda.869”. La pratique du déguisement paraît être attestée par ce proverbe : “ No entre máscara en tu casa, si no la quieres enmascarada.870 ”. La fête carnavalesque a aussi son lot de moqueries et de violences simulées (ou non?) “ Santivaña, si te diese , no te ensañes. 871”, “Rencilla de por San Juan, paz para todo el año.872”. Ce dernier proverbe est très explicite : la violence simulée, libérée sur une journée a pour fonction de canaliser la violence véritable pendant le reste de l'année. Le vulgaire sait qu'il doit prendre au deuxième degré moqueries, chahutements et si celui-ci se fâche, le proverbe suivant :“ Tengamos la fiesta en paz.873 ” (pour le moins contradictoire !) est destiné à calmer les esprits. Le système est bien conçu: il est formé par un ensemble de règles très strictes, dictées par la nécessité d'assurer la continuité du processus communautaire. Mais il inclut quelques périodes prédéterminées dans l'année, où tous les excès sont permis, dont la vocation d’expulser toute contrainte pendant un instant, afin de mieux les supporter le reste du temps. Il n'y a rien de surprenant, par ailleurs, que le jeune soit l'acteur principal dans ces périodes d'inversion874. Il subit les règles imposées par ses aînés et est donc le plus indiqué pour les transgresser quand cela est permi. Notons aussi que les rites marquant le passage d'un âge ou d'un statut à l'autre avaient la même fonction, dans le temps humain, qu'une fête carnavalesque sur le temps annuel. L'inversion préparait le passage à une nouvelle phase de vie, et facilitait l'intégration dans la communauté par la même occasion. Ces pratiques existaient875 mais je n'ai pu en déceler la présence dans nos sources et nous ne nous attarderons donc pas sur ce sujet. La veuve Nous finirons notre exposé en nous penchant sur un cas “hors-norme” qui concerne le temps humain. Un petit peu comme le berger inspire la méfiance car il échappe, de par sa mobilité géographique, au contrôle social de la communauté, le cas qui suit rompt avec le schéma préétablit idéal tracé par la communauté. Je veux parler du veuvage. Notons tout d'abord que la mort du conjoint était monnaie courante dans les populations médiévales européennes. Les mauvaises conditions de vie, la malnutrition rendaient les individus faibles physiquement et très vulnérables aux assauts de la maladie et de la famine, situation que la médecine de l'époque n'améliorait guère. La précarité du mariage est soulevée dans les deux proverbes suivant : “ En el verano hay día para casarse y enviudar, y volverse a casa.876”, “Casarás, casarás, y viuda 867 Les chats savent que demain c'est antruejo (bombance). Pâques de antruejo (bombance), bonne Pâques, autant il reste à ma maîtresse, autant elle donne. 869 Mauvaise Pâques, autant il reste a ma maîtresse, autant elle garde. 870 N'entre pas déguisé dans ta maison, si tu ne la veux pas déguisée. 871 Santivaña, si je te fouette, ne te tourmente pas. Correas : A la Saint Jean, ils se fouettent avec un brassée de joncs, pour rire. 872 Querelles de la San Juan sont paix pour toute l'année. 873 Que nous ayons la fête en paix. 874 Cf Chapitre 4 875 Je pense par exemple aux rites décrits par J. Chiffoleau dans Pratique funéraires et images de la mort, dans Les cahiers de Fanjeau, Vol XI, Toulouse, 1976. 876 En été, il y a un jour (le temps ?) pour se marier et devenir veuve, et revenir chez soi. 868 morirás.877 ”. Le veuvage était donc une situation très répandue. Elle frappait les deux sexes, bien sûr, certainement plus les hommes d'ailleurs, car leurs conjointes mourraient fréquemment en couche. Dans nos textes cependant, seul le sujet de la veuve intéresse. Le veuf est cité une fois dans le refranero de M. O'Kane, deux fois, indirectement, dans celui de Correas, jamais dans le Cancionero d'Alín. Par contre, la veuve intéresse respectivement une dizaine, une cinquantaine et une demi-douzaine de textes. Le contraste est saisissant et il prend son sens lorsque l'on s'attache aux messages liés à ces textes. Dans la société très misogyne qu'était celle du Moyen Age, la veuve souffrait d'une très mauvaise considération de la part de ses contemporains. Tous nos proverbes, ou presque, qui s'intéressent à la veuve expriment à son égard une connotation péjorative sous-jacente. Cette dépréciation peut prendre plusieurs visages, celui de la veuve qui se plaint par exemple: “ Viuda llorona.878” , de la veuve qui s'invite où elle n'est pas la bienvenue : “ Como viuda a puerta ajena.879” ou est montrée comme personne à éviter : “ De persona señalada y de biuda tres veces casada.880” (Glosados ix) (sous-entendu : Dios te guarda…881 )... Ceci n'est qu'un échantillon de cet ensemble peu favorable à la veuve. La situation de veuve est le pire qui puisse arriver à une femme, et même un mauvais mariage est préférable à cet état : “El marido bueno, viva; y malo, nunca se muera.882 ”, “ Antes viuda que casada. 883”. Attachons-nous à en examiner les différents aspects. Qu 'apprenons nous, tout d'abord, de sa condition matérielle ? Nos textes sont très tranchés. Ou celle-ci est particulièrement précaire : “ La viuda negra, come el carnero negro, y las gallinas negras, y los güevos que son, o ponen, las gallinas negras, y bebe el vino negro.884 ” ou est plus qu'enviable (ce commentaire domine) : “ La olla de la viuda, chiquita y recalcadita.885”, “La mula buena, como la viuda, gorda y andariega 886”. On s'intéresse à ses enfants dans quatre proverbes, tous exprimant la même idée : “ Hijo de viuda, o mal criado o mal acostumbrado. 887” (rappelons nous la remarque que nous avons faite au troisième chapitre sur la nécessité exprimée d'élever fermement ses enfants). Mais le véritable fond du problème concerne la nécessité de se remarier. La veuve cherche à se remarier, c'est une obligation qui est exprimée dans une dizaine de proverbes. Avant de rentrer dans le vif du sujet, notons qu'elle doit respecter un certain temps de veuvage888 au 877 Tu te marieras, tu te marieras, et veuve tu mourras. Veuve pleurnicheuse. Correas : On appelle ainsi celui qui se plaint tout le temps. 879 Comme la veuve à la porte d'à coté. Proverbe que l'on pourrait comparer à cet autre : “ Como pobre arrimado a pared ajena. ” [Comme le pauvre à charge du mur d'à coté.] 880 De personne signalée (malchanceuse) et de veuve trois fois mariée. 881 Dieu te garde... 882 Le bon mari, qu'il vive, le mauvais, jamais ne meurt. Correas : Que de toute manière, le mari est conjoint et honneur de la femme, et aussi mal qu'il soit, il est toujours préférable au veuvage. 883 Mieux vaut veuve que mariée. Correas : Dit de façon ironique. 884 La veuve noire, mange le veau noir, et les poules noires, et ses oeufs et boit le vin noir. Correas : Cette phrase est dite ironiquement. 885 La marmite de la veuve, petite et bien remplie. 886 La bonne mule, comme la veuve, grasse et marcheuse (coureuse). 887 Fils de veuve, ou mal élevé, ou mal habitué. 888 Toutes les études qui se penchent sur la question corroborent à ce propos : la veuve se remarie beaucoup plus tardivement que le veuf. Par exemple, à Pozuelo, village de Nouvelle Castille, aux XVIe et XVIIe siècles on compte quarante-cinq cas de veuvage (vingt et un veufs pour vingt-quatre veuves), le veuf se remarie seize fois sur vingt et avant un délai de deux ans dont douze fois avant un année révolue. Seules quatre veuves, par contre, se sont remariée avant la fin de l'année, neuf entre un et deux ans et onze 878 risque de porter préjudice au salut de son ex-époux: “Tres días ha que murío, /a la viuda casar se quiere / desdichado del que muere / si a parayso no va…889” (Alín #390). Le mariage est un état nécessaire, nous l'avons dit. La veuve, se soustrayant à l'autorité d'un mari, retombe sous la coupe de sa famille qui se doit de se préoccuper de son sort. Les alternatives sont limitées: “Viuda lozana, o casada, o emparedada, o sepultada.890 ”. Nous l'aurons compris, l'état de veuve est plus qu'indésirable. Elle cherche donc à se remarier. C'est une préoccupation qui prend une véritable tournure de “ chasse à l'homme” : “La viuda rica con un ojo llora y con el otro repica.891 ”, “Llorar poco y buscar otro. 892”, “Viuda que no duerme, casarse quiere.893 ”. La veuve riche est particulièrement favorisée, “Viuda es, que no le faltará marido.894 ” s'emploie pour indiquer qu'une veuve est aisée par exemple. La veuve doit trouver un second mari mais la communauté exprime méfiance et suspicion envers cette préoccupation. Particulièrement, ceci s'exprime sous forme de mise garde contre les avances des veuves. Une demi-douzaine de proverbes exposent ainsi ce point de vue, les deux suivants en sont les plus frappants : “ Dios te guarde de la delantera de viuda, y de la trasera de mula, y de lado de un carro, y del fraile de todos cuatro. 895”, “ (Dios te guarda...) De persona señalada y de biuda tres veces casada.896” (Glosados ix). Cette hostilité envers la veuve est compréhensible à la lumière de nos propos précédents. Le mariage est un état nécessaire. C'est une norme sociale établie qui amène, normalement, un nouvel état, de nouvelles fonctions dans le processus logique du déroulement du processus communautaire. Le remariage ne se présente par contre plus du tout sous le même jour. Tout d'abord, c'est un acte, dans une certaine mesure, unilatéral dans le sens où c'est la veuve, dans une situation économique ou sociale précaire, qui cherche à se remarier, quelqu'en soit le prix. Les subtiles règles d'alliance, de solidarité entre familles sont ici subordonnées à cette nécessité vitale de se remarier, particulièrement pour le cas de la veuve. De même, la condition sociale importe moins, la riche veuve a besoin d'un mari, de quelque milieu qu'il soit. Le proverbe suivant, appliqué à cette situation particulière, exprime ce changement de condition : “ Quien muda lado muda estado.897 ”. En outre, la veuve nécessite, nous l'avons vu, un certain temps pour se remarier. Elle est donc généralement plus vieille que son futur mari et se pose ainsi le problème des dans une période supérieure à deux ans. (M. C. Barabazza, Las viudas campesinas de Castilla la Nueva en los siglos XVI et XVII dans M. T. López Beltrán, De la Edad Media a la Moderna : Mujeres, educación y familia en el ambito rural y urbano, Malaga, 1999 p. 140). Nous trouvons certainement là une autre raison à l'absence presque totale de proverbes concernant l'état de veuf. Il se remarie beaucoup plus rapidement donc cet état est moins marqué et marquant à l'intérieur de la communauté. 889 A peine trois jours qu'il est mort, / (et) la veuve veut se marier / malheureux de celui qui meurt / si au paradis il ne va pas... 890 Veuve vigoureuse, ou mariée, ou cloîtrée, ou enterrée. Correas : Qu'il est bien pour la quiétude et l'honneur des parents qu'elle se marie ensuite, ou qu'elle se retire au couvent, ou que Dieu l'emporte. 891 La veuve riche, avec un oeil elle pleure et avec l'autre repique (le sens exact est difficile, repicar signifie sonner les cloches de manière répétitive, piquer, morde à nouveau... le sens de revenir à faire quelque chose est déterminant et nous comprenons ainsi ce proverbe.) 892 Pleurer peu et chercher un autre. 893 Veuve qui dort peu veut se marier. 894 Veuve elle est, qu'il ne lui manquera pas de mari. 895 Dieu te garde des avances de veuve, du postérieur de mule, d'un coté (sous-entendu d'une roue ?) de charrette, et du frère de tous les quatre. 896 (Dieu te garde...) De personne signalée (malchanceuse) et de veuve trois fois mariée. 897 Celui qui change de coté change d'état. différences d'âge, et avec lui la probabilité plus importante de priver les enfants de cette seconde union de son parent le plus vieux. Différence d'âge et condition peut aussi impliquer un bouleversement dans les rapports de force du couple. Le mari plus jeune n'a pas la position dominante qu'il doit avoir selon la norme sociale, le villancico suivant le présente comme en situation de nette infériorité : “Viuda enamorada / gentil amigo tenéis / por Dios no le maltratéis.898” (Alín #390) . Nous pourrions certainement trouver d'autres raisons à la dépréciation de la veuve, mais le fond de la question est que la veuve est un cas qui sort du processus préétablit et bien réglé du cycle vital de l'individu. En perdant son mari et cherchant à contracter un second mariage, la veuve rompt avec la norme et les règles qui sont associées au mariage. Le remariage rompt avec le schéma idéal et porte en lui “ des ferments de bouleversement social 899” qui expliquent l'hostilité de la communauté à son égard. Nous avons soulevé dans ce chapitre une hypothèse qui visait à présenter le temps et ses perceptions comme soumis à une attitude conformiste de la communauté. Cette dernière impose son modèle d’appréciation : il est presque exclusivement concentré sur les temps annuels et humains, ce que nous avons vérifié en nous attachant aux commentaires liés au mot Tiempo. Au-delà de ces échelles, le temps échappe au contrôle de la communauté et nous avons vérifié que le même genre de flou caractérise l’espace et le temps lorsqu’ils dépassent le cadre de cet îlot de régulation. La perception du temps est donc pratique, basée sur la nécessité de pouvoir en appréhender certaines de ses composantes afin de pouvoir assurer la continuité de la communauté. La volonté de maîtriser temps humains et annuels passe par une réglementation très stricte de ceuxci et il est nécessaire qu’homme et nature se plient à ce moule prédéterminé. Cette rigidité constatée s’insère très bien dans le mode de pensée général du peuple, très réfractaire au changement. L’inversion joue, dans cette mise en scène trop bien réglée de la vie, le rôle d’agent de décompression et permet de l’assumer. La norme communautaire impose donc sa réglementation et nous avons présenté la situation marginale dans laquelle se trouve la veuve qui, par son état, échappe (bien que de manière involontaire) à la planification idéale mais intransigeante de cette communauté. 898 Veuve amoureuse, / gentil ami vous avez, / pour l'amour de Dieu ne le maltraitez pas. Expression de M. Segalen (Mentalité populaire et remariage en Europe occidentale, dans J. Dupaquier, E. Hélin, P. Laslett,M. Livi-bacci, S. Sognar (dir.), Mariage et remariage dans les populations du passé, Londres, 1981 p. 73). 899 CONCLUSION Le temps comme vecteur chronologique ne suscite pas de vocations dans nos sources. Néanmoins, plutôt que d'affirmer que le peuple n'avait pas les moyens intellectuels d'appréhender ce concept abstrait dans son ensemble, il serait plus juste de considérer que la difficulté de l'existence des populations médiévales les empêchait d'avoir une approche autre que pratique de ce concept. C'est pourquoi l'année et la vie intéressent le vulgaire. Il ne se préoccupe qu'assez peu de se situer dans le temps à partir du moment où il n'en a pas l'utilité. Ce n'est pas de “vaste indifférence au temps” dont il faudrait parler, mais plutôt de perception intéressée de certaines de ses composantes. L'objet de cette étude aura été de mettre en valeur cette conception empirique du temps. Plutôt que d'avoir une approche globalisante du temps, qui implique d'aborder les rapports des populations à celui-ci en terme de précision ou de flou, de temps linéaire ou circulaire... nous avons préféré dégager les caractéristiques propres à chacune de ses décompositions. Ceci nous a amenés à saisir les schémas prédéterminés qui se cachent derrière son appréciation. Ils sont simples mais intransigeants et s'intègrent logiquement dans l'ensemble des mentalités populaires. Nous retrouvons, derrière leur formulation, la marque de la communauté, cadre spatio-temporel dans laquelle ils prennent toute leur mesure. Il est possible que la qualité de nos sources ait conditionné la formulation ces hypothèses. Les proverbes, particulièrement, sont en grande partie crées à partir des expériences de la vie. Cela conditionne peut être notre vision des mentalités populaires, comme soumises au contexte dans lequel elles se manifestent. La diversité des sujets que nous avons traités et la cohérence de l'ensemble qu'ils représentent limite certainement les risques dus à la nature empirique du proverbe. Cependant, nous sommes restés prudents et nous tiendrons cette ligne de conduite jusqu'à la fin. Il serait, à présent, très intéressant de confronter nos résultats avec d'autres sources contemporaines, à caractère plus narratif notamment. Bien entendu, cela a un coté très utopique, au vu de la rareté des sources médiévales d'origine populaire. Plus dans le domaine du possible, nous pourrions tenter de comparer nos proverbes médiévaux avec ceux qui composent notre répertoire actuel et tenter de discerner leurs similarités et leurs divergences. Encore une fois, les difficultés ne manqueraient pas de se poser, particulièrement en ce qui concerne l'origine souvent reculée de nombre de proverbes d'aujourd'hui. Le débat reste donc ouvert et n'est certainement pas près de se refermer. L'historiographie moderne s'intéresse toujours plus aux mentalités populaires. L'étude de celles-ci est passionnante et nous rappelle, entre autres, que nous vivons dans une époque, sinon privilégiée, du moins différente, ce que la sagesse populaire pourrait exprimer de cette façon: “ No son todos los tiempos uno ”900. 900 Tous les temps ne sont pas un. BIBLIOGRAPHIE SOURCES G. Correas, Vocabulario de Refranes y frases proverbiales, Ed. V. Infantes, Visor Libros, Madrid, 1992 E. S. O’Kane, refranes y frases proverbiales españolas de la Edad Media, Anejos del boletín de la Real Academia Española, Madrid, 1959 M. F. Alatorre, Lírica hispánica de tipo popular, Catedra, Madrid, 1994 J. M. Alín, El Cancionero español de tipo tradicional, Taurus, Madrid, 1968 S. Romeralo , El Villancico, estudios sobre la lírica popular en los siglos XV y XVI, Ed. Gregos, Madrid, 1969 ETUDES LITTERAIRES Générales C. Blanco Aguinaga, J. Rodríguez Puértoles et I. M. Zaveala, Historia social de la litteratura española, vol. 1, Madrid, 1981 J. 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