Lien vers le commentaire du Dr R. Zumbrunnen

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Pour ne plus avoir peur en avion
Critique de livre : à propos de « Surmonter la peur en avion » de Marie-Claude
Dentan1
Roger Zumbrunnen
L’actualité tragique se charge de nous rappeler périodiquement que le risque zéro n’existe
pas dans le transport aérien, même si ce moyen de voyager reste objectivement le plus sûr,
statistiquement parlant. Bien que la peur en avion soit de toute évidence un phénomène très
répandu, il existe peu de données épidémiologiques fiables sur le sujet. On estime que 10 à
20% des gens évitent de prendre l’avion par peur, que 20 à 30% des personnes prenant
l’avion ne s’y sentent pas à l’aise, et qu’un passager sur cinq consomme de l’alcool pour
atténuer sa peur avant ou pendant le vol.
Les programmes de traitement de la peur en avion
Des cours et stages pratiques destinés à aider les passagers à surmonter leur peur de voler
existent depuis une trentaine d’années. Ils ont débuté aux Etats-Unis, souvent initiés par des
personnes qui avaient réussi à vaincre leur peur. Ce n’est que dans un second temps que
les compagnies aériennes, au début réticentes à reconnaître l’importance du problème, ont
soutenu la démarche. En Europe, Genève a tenu un rôle de pionnier avec le programme mis
en place dès le début des années 80 par Lucienne Skopek, une psychologue d’origine
américaine qui avait surmonté sa propre peur de voler. Par la suite, le cours a reçu l’appui de
Swissair puis celui de Swiss, et a donné lieu à la publication d’un livre en 19882. En France,
Marie-Claude Dentan, psychologue et psychothérapeute, a créé et dirigé pendant de
nombreuses années le « centre anti-stress aéronautique » d’Air France à Paris. Elle a
présenté le fruit de son expérience dans un premier ouvrage3 écrit en collaboration avec un
journaliste scientifique et un commandant de bord. Depuis quelques années, le cours a
intégré l’usage par les participants d’un simulateur de vol semblable à celui utilisé pour la
formation des pilotes. Marie-Claude Dentan a actualisé sa méthode en publiant un nouvel
ouvrage sur la peur de voler. « Surmonter la peur en avion » se propose d’aider les
personnes ayant peur de l’avion à prendre en main eux-mêmes leur problème. L’ouvrage est
divisé en trois parties. La première passe en revue les diverses formes de la peur de voler.
La deuxième fournit des informations sur l’avion, son fonctionnement et les phénomènes
pouvant survenir en cours de vol. La troisième partie est la plus « psychothérapeutique »,
elle présente les techniques utilisables pour maîtriser les réactions de peur pendant le vol.
1
Editions Odile Jacob, collection des « Guides pour s’aider soi-même », 2007
Skopek L, Carreras R. S’envoler sans s’affoler, éditions Secavia, Genève, 1988.
3
Dentan MC, Polacco M, Chevrier N. Comment ne plus avoir peur en avion, éditions du Cherche-Midi,
2001.
2
Quelle est votre peur en avion ?
Dans la première partie du livre, l’auteur passe en revue les diverses formes de peur de
voler. Il est important de reconnaître à quelle catégorie appartient votre peur personnelle,
afin de choisir la stratégie la plus adaptée pour la combattre. Ceux que M.-C. Dentan appelle
« les terriens » ont peur en avion parce qu’ils méconnaissent les mécanismes du vol et de
l’aéronautique. Ce sont eux qui profitent le plus des informations techniques données dans la
deuxième partie de l’ouvrage. Ils peuvent notamment découvrir que les turbulences sont tout
à fait normales et sans danger. Si nécessaire, ils trouveront dans la troisième partie de
l’ouvrage des techniques pour contrôler leurs réactions de peur face aux turbulences. Les
« décideurs » aiment tout contrôler, ils supportent donc mal de déléguer leur sort à un
appareil et à du personnel qui ne dépendent pas d’eux. De surcroît ils sont souvent stressés
de nature. En se familiarisant avec les données de l’aéronautique ils apprennent que le
matériel et le personnel de bord sont dignes de leur confiance. Ils trouvent dans la troisième
partie de l’ouvrage des techniques anti-stress et de lâcher-prise. La peur de l’avion apparue
après un traumatisme (vol très pénible, accident, accident d’avion chez un proche) se traite
par reprise de contact progressive et répétée avec l’avion. Si le traumatisme a des
répercussions négatives étendues à d’autres secteurs de la vie que la peur de voler, le
recours à un psychothérapeute est probablement nécessaire. Chez certaines personnes, le
mal en avion est dû à un dysfonctionnement de l’oreille interne qui rend les accélérations
particulièrement pénibles. Une consultation chez un spécialiste ORL devrait permettre de
trouver une solution adaptée. Enfin, la peur de l’avion peut être une manifestation particulière
d’un trouble anxieux. Dans l’anxiété généralisée, le sujet mal assurées a « peur de tout » et
bâtit des scénarios catastrophe à tout propos, y compris ses vols. L’agoraphobe a peur
d’être à l’étroit, de ne plus pouvoir bouger et d’être enfermé à partir du moment où les portes
de l’avion se ferment. Lorsqu’une attaque de panique s’est produite en vol, la personne
redoute avant tout de revivre le même cauchemar lors d’un autre vol. Lorsque la peur de
voler s’intègre dans un trouble anxieux plus large, il est peut-être nécessaire de faire appel à
un spécialiste. Mais, comme l’indique l’auteur, des mesures simples peuvent permettre de
passer le cap du vol avec un degré d’anxiété supportable. Parmi les techniques
recommandées figurent la restructuration cognitive (voir les choses autrement), la
décentration (penser à autre chose), la relaxation (techniques respiratoires ou musculaires)
et, bien sûr, l’exposition progressive à l’avion et au vol.
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’avion
La deuxième partie de l’ouvrage, soit environ un tiers du livre, est consacrée à répondre à
toutes les questions (ou presque) que vous vous posez – et peut-être n’avez-vous jamais
osé poser – sur l’avion, son fonctionnement, le déroulement du vol, les aspects mécaniques
et physiques du vol (par exemple les turbulences, le mauvais temps), la formation et le
travail des pilotes, du personnel de cabinet, la préparation au sol, etc. Les informations sont
présentées dans un langage clair et précis, avec l’aide d’illustrations. Cette partie rassurera
les « terriens » et les « décideurs » qui y trouveront de quoi dissiper leurs peurs fondées sur
la méconnaissance et les idées préconçues erronées. Elles pourront aussi aider les anxieux,
mais dans une moindre mesure. Pour ceux-ci les explications rationnelles sont en général
insuffisantes, car ils savent déjà que leurs préoccupations sont pour une bonne part
irrationnelles et ils ont mainte fois expérimenté que leur peur résiste au « simple »
raisonnement logique.
Les méthodes « psy »
C’est dans la troisième partie du livre que les anxieux (et les autres) trouveront des
techniques utiles pour faire face à leur peur en avion. M.-C. Dentan présente d’abord la
restructuration cognitive mise au point par Beck. Il s’agit de repérer méthodiquement puis
corriger les pensées automatiques infondées et les distorsions qui les sous-tendent
(inférence arbitraire, abstraction sélective, maximisation du négatif, etc.). Pour atténuer les
réactions physiques dues à la peur, l’auteur préconise, à choix, diverses méthodes de
relaxation basées soit sur le contrôle respiratoire, soit sur le contrôle du tonus musculaire,
soit encore sur l’imagerie mentale. Last but not least, la méthode de l’exposition méthodique
de progressive au stimulus anxiogène, autrement dit prendre l’avion. Deux exemples
montrent la progression de l’exposition à des situations associées à une anxiété de degré
croissant. Par exemple : acheter un magazine d’aéronautisme ; aller à l’aéroport et y passer
un moment ; aller à l’aéroport et parler avec une hôtesse ; faire un vol de courte durée en
étant accompagné d’un proche de confiance ; vol semblable mais seul, avec le soutien de
l’équipage (que vous avez informé de votre problème) ; vol prolongé pour des vacances en
famille. Cette partie du livre se termine par des indications pour trouver de l’aide si vous n’y
arrivez pas tout(e) seul(e). Première possibilité : s’inscrire à un cours organisé ou soutenu
par une compagnie aérienne. Ces cours comprennent tous des explications techniques sur
le vol et l’apprentissage de techniques de relaxation. Elles utilisent l’effet stimulant du
groupe. Certains font appel au simulateur de vol, d’autres au vol réel comme outil à la fois de
traitement et de test. Autre possibilité d’aide extérieure, faire appel à un spécialiste, médecin
ou psychothérapeute. La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) donne les meilleurs
résultats dans les phobies. Pour l’auteur, une démarche psychanalytique est envisageable
lorsque le problème dépasse largement la peur de l’avion et que le passé de la personne
pèse lourdement sur son présent. Pour ce qui est des médicaments, ils peuvent être très
utiles en cas de trouble anxieux avéré, soit ponctuellement (benzodiazépines, bêtabloquants) soit comme traitement de fond (sérotoninergiques).
Appréciation
L’ouvrage est bien structuré, le ton est résolument optimiste. La lecture est agrémentée de
références à des auteurs inattendus sur ce sujet (Montaigne, La Fontaine ou Baudelaire). Il
est complet et à jour, en présentant de manière très accessible l’abc de l’aéronautique et en
intégrant l’approche cognitive aux techniques psychothérapeutiques plus classiquement
comportementales. L’auteur s’appuie visiblement sur une riche expérience. Je n’ai qu’un seul
regret à formuler : la description des techniques psychothérapeutiques proposées,
notamment les techniques corporelles et d’exposition, est un peu trop succincte à mon goût.
Au lieu de donner des détails pratiques permettant au lecteur d’apprendre directement grâce
au livre les méthodes mentionnées, M.-C. Dentan préfère renvoyer le lecteur soit à d’autres
lectures, pas très facile car anciennes (Schultz, Jacobson), soit à une démarche auprès d’un
thérapeute couplée à l’écoute d’une cassette ou d’un CD de démonstration. Il me semble
que la description pratique et « pas à pas » de quelques techniques aurait eu sa place dans
le livre et aurait utilement complété son statut de manuel pratique prêt à l’emploi.
Conclusion
L’ouvrage de M.-C. Dentan est le bienvenu dans la bibliothèque et dans la salle d’attente des
psychothérapeutes pratiquant la TCC, aussi bien que sur la table de chevet des personnes
souffrant de la peur en avion. Comme tout bon self-help, il devrait en effet s’avérer très utile
tant aux thérapeutes qu’aux personnes directement touchées par la peur de voler. Il s’agit
d’un livre à jour et complet, qui donne envie de…décoller !