introduction - Université Paris 2 Panthéon

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introduction - Université Paris 2 Panthéon
INTRODUCTION
Christian Larroumet
Professeur émérite de l’université Panthéon-Assas (Paris II)
Président de l’Association Andrés Bello des juristes franco-latino-américains
C’est dans le droit romain que se trouve la source des sûretés mobilières des
systèmes de droit continental, c’est-à-dire d’Europe continentale et d’Amérique latine, pays de droit civil par opposition au common law anglo-nord américain. Le droit romain connut, d’abord, le transfert de propriété en garantie
d’exécution d’une obligation (fiducia cum creditore) et, ensuite, le gage avec
dépossession (pignus ou transfert pignoratif). Progressivement le second remplaça le premier.
Dans pratiquement tous les systèmes de droit civil, en Europe et en Amérique
latine, le gage avec dépossession fut la reine des sûretés sur les biens meubles
jusqu’à une époque récente. Dans les codes civils du xixe siècle les législateurs
européens et latino-américains ont conservé la tradition romaine pratiquement
sans changement. Cependant, déjà avant la fin du xixe siècle et surtout au xxe,
le législateur multiplia le nombre de garanties particulières sur tel ou tel type
de meuble. Certaines d’entre elles supposaient une dépossession du constituant
tandis que d’autres étaient des garanties sans dépossession et, dans certains
systèmes, il avait été admis une dépossession fictive, ce qui pouvait apparaître
comme totalement artificiel. Au surplus, dans plusieurs législations, en ce qui
concerne le gage avec dépossession, le transfert de possession de la chose à
titre de garantie était une condition de validité du gage et pas seulement une
condition d’opposabilité de la garantie aux tiers. Les conséquences de tout cela
étaient une complication et un désordre énormes. L’harmonie romaine originaire avait été totalement dépassée par l’anarchie. Une simplification s’imposait dans la plupart des systèmes de droit civil en prenant en considération
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L’évolution des garanties mobilières dans les droits français et latino-américains
les procédés modernes d’information par internet. Plus que dans tout autre
domaine du droit privé, le droit des sûretés doit être amélioré et simplifié par
l’utilisation de ces procédés.
Dans certains pays, le législateur intervint pour simplifier et uniformiser.
En France, par exemple, une réforme fut décidée et une ordonnance entra
en vigueur en 2006. Malheureusement, ce texte, proposé par des inspirateurs
dépourvus d’audace, mal pensé et mal réalisé, est décevant. Au lieu de simplifier, il constitua une complication supplémentaire notamment en ne faisant pas
disparaître le nombre des sûretés mobilières, en les conservant pour la plupart,
tout en admettant à la fois un gage de droit commun avec ou sans dépossession.
Dans d’autres pays, le législateur fut plus audacieux. Tel est, par exemple, le cas
en Colombie en 2013 et au Pérou en 2014. Ainsi encore, au Brésil, le nouveau
Code civil envisage d’une manière bien plus moderne les garanties mobilières.
Dans d’autres pays, comme le Chili, la tradition se maintient encore.
Cependant, il y a quelques années, la Commission des Nations Unies pour le
droit du commerce international (CNUDCI) a adopté un projet pour réformer
les garanties sur les meubles non seulement dans les systèmes de droit civil mais
aussi dans ceux de common law. S’il est évident qu’il y a dans ce projet une
certaine inspiration du droit des États-Unis d’Amérique, il est aussi évident
que celui-ci n’est pas la seule source d’inspiration du texte. De toute façon, il
serait parfaitement absurde de le rejeter sous le fallacieux prétexte d’un impérialisme nord américain, parce que le texte se fonde essentiellement sur ce qui
est opportun et pratique. C’est un texte très ouvert qui pourrait être une source
d’inspiration dans tous les systèmes de droit. Il est regrettable que le législateur
français de 2006, trop nationaliste, ait refusé de puiser son inspiration dans le
projet de la CNUDCI et ait voulu maintenir une pluralité de sûretés mobilières, ce qui est contraire aux impératifs de la simplification.
En effet, la simplification et l’harmonisation doivent correspondre à deux
nécessités.
1. La première, à une époque de mondialisation du commerce international, est de réaliser une harmonisation internationale des garanties mobilières,
c’est-à-dire que, dans une vision idéale, tous les systèmes juridiques du monde
dans lesquels sont confrontés les acteurs principaux du commerce mondial,
devraient avoir des législations identiques sinon très proches en ce qui concerne
ces garanties. Il n’y a pas de commerce possible sans garanties d’exécution et
de paiement. L’uniformité ou, en tout cas, la proximité de ces garanties est une
nécessité pour leur efficacité pour ce qui est des meubles et, par conséquent, la
confiance des créanciers dans un pays envers les débiteurs dans un autre pays.
Il est évidemment impossible d’uniformiser ou d’harmoniser des législations
qui ont une pluralité de sûretés disparates qui n’existent pas dans d’autres pays.
Cependant, il s’agit d’un domaine du droit dans lequel les nationalismes et le
maintien de la tradition devraient disparaître. Tel est l’objet du projet de la
CNUDCI. Certes, l’unification totale n’est pas facilement réalisable et les résistances sont fortes, beaucoup d’États restant très attachés à leur propre système
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de droit. L’ordonnance française de 2006 en est la preuve la plus flagrante.
Toutefois, l’uniformisation est possible et facile à réaliser pour le gage de droit
commun sans dépossession.
L’uniformisation ainsi que le rapprochement des législations doivent être
envisagés à trois points de vue différents.
En premier lieu, il s’agit des conditions de validité et aussi et surtout d’opposabilité de la garantie. Le développement de l’informatique permet l’uniformisation par la création de registres électroniques qui peuvent être consultés
dans le monde entier.
Ensuite, il s’agit des droits attribués au créancier, bénéficiaire de la sûreté.
Le droit de préférence est inéluctable, sauf, bien entendu, lorsque la garantie
consiste en l’attribution au créancier d’un droit exclusif, lequel permet d’éviter le concours entre créanciers, par exemple en ce qui concerne la réserve de
propriété, le droit de rétention ou le transfert de propriété à titre de garantie.
Cependant, la difficulté est le concours entre créanciers qui ont des garanties
différentes sur le même bien sans parler des conflits entre créanciers avec les
créanciers qui ont un privilège sur le bien. Pour ce qui est du droit de suite,
lorsque le bien se trouve dans un autre patrimoine que celui du constituant,
l’harmonisation pourrait être plus facile, par l’opposabilité de la garantie en
vertu de l’inscription de celle-ci à un registre informatisé.
Enfin, il s’agit de la réalisation de la garantie par le bénéficiaire. Il est nécessaire d’harmoniser les législations quant aux modes de réalisation ainsi que la
détermination du lieu de celle-ci lorsque le juge doit intervenir. Toutefois, la
réalisation ne devrait pas toujours être judiciaire.
2. La seconde simplification serait l’unification non plus du point de vue
international mais dans les limites d’un pays donné. Dans la mesure du possible, il conviendrait de supprimer ou réduire la pluralité des sûretés sur les
meubles. Le projet de la CNUDCI correspond aussi à cette tendance. Le droit
français, même depuis la réforme de 2006, n’est pas un bon exemple de ce que
l’on devrait faire puisque, comme on le sait, le législateur a maintenu une pluralité de sûretés sur les meubles, ce qui est contraire à leur efficacité. Deux
défauts importants doivent être soulignés.
Le premier tient à ce que, en ce qui concerne le gage de droit commun, l’ordonnance admet un gage avec dépossession et un autre sans dépossession, ce
qui est parfaitement absurde. Dans un système moderne, il faut supprimer le
gage avec dépossession et utiliser les systèmes de communication développés
par l’informatique.
Le second défaut est qu’à côté du gage de droit commun, il y a de multiples
gages particuliers propres à certains biens. Le législateur ne dit rien pour autoriser ou, au contraire, prohiber le recours au gage de droit commun lorsqu’il
s’agit d’un bien pour lequel il existe un gage spécial et la Cour suprême a considéré qu’il n’était pas possible, du moins pour certains biens, de recourir au
droit commun, ce qui peut être contesté.
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L’évolution des garanties mobilières dans les droits français et latino-américains
Telles sont les questions qui se posent et les interventions qui vont suivre
vont, je l’espère, permettent d’y répondre. Chacune de ces interventions ne
sera pas propre au droit du pays de l’intervenant comme cela se fait le plus
souvent dans des colloques soi-disant de droit comparé, mais qui ne le sont
pas, puisqu’il est laissé aux assistants la tâche de faire eux-mêmes la comparaison. Il va s’agir de véritables interventions de droit comparé sur les différents
thèmes qui vont être envisagés.
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