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Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 ED 267 - Arts & Médias Projet de recherche Les women’s museums Art et engagement social Julie Botte Juin 2016 2 Sommaire Introduction I. Etat de la question 3 4 a. Muséologie et histoire de l’art à travers le prisme des études de genre 4 b. Propositions muséales, point de rencontre entre le musée communautaire et le musée d’art 5 II. Axes de recherche 7 a. Problématique et méthode 7 b. Hypothèses 8 III. Bibliographie indicative 10 Illustrations en première page : Carrie Mae Weems, The Louvre, The Museum Series, 2006 - aujourd’hui, épreuve à développement chromogène numérique. Courtesy de l’artiste et Jack Shainman Gallery, New York. Carrie Mae Weems, Pergamon Museum, The Museum Series, 2006 - aujourd’hui, épreuve à développement chromogène numérique. Courtesy de l’artiste et Jack Shainman Gallery, New York. Carrie Mae Weems, Guggenheim Bilbao, The Museum Series, 2006 - aujourd’hui, épreuve à développement chromogène numérique. Courtesy de l’artiste et Jack Shainman Gallery, New York. 3 Introduction Parmi les questionnements et les nouvelles propositions concernant l’institution muséale et le discours de l’histoire de l’art, les musées des femmes représentent un cas singulier. Ce type récent d’espace institutionnel est le fruit des mouvements d’émancipation et des critiques féministes envers la sous-représentation des femmes dans différents domaines de la société. Au-delà du milieu des beaux-arts, leurs collections concernent également l’histoire, les sciences, la médecine, le sport ou l’armée. Ces musées sont animés d’une volonté de changement social et se positionnent comme des institutions engagées. Ils participent à l’élaboration de nouvelles narrations en se consacrant exclusivement à la valorisation des femmes et au respect de leurs droits. Les women’s museums peuvent sembler extrêmes dans leurs choix, néanmoins ils rejoignent des problématiques actuelles du monde muséal, et plus particulièrement des musées d’art, telles que leur rôle au sein de la société et la réécriture de l’histoire de l’art. Ils font écho à une réflexion autocritique entreprise par plusieurs musées d’art occidentaux. Ces derniers tentent de rendre une visibilité aux femmes dans l’espace muséal mais également à d’autres artistes placés dans les marges en raison de leur appartenance à des minorités - communautaires, sexuelles - voire en raison de l’évolution du goût ou de leur production considérée comme hors norme ou inclassable. L’ambition de cette recherche est d’éclairer la problématique de la marginalisation des artistes femmes et de leur réception institutionnelle en étudiant le cas des musées des femmes sous l’angle de la production artistique et de l’histoire de l’art. Ce projet poursuit et approfondit les premières conclusions déduites au terme de la rédaction des mémoires de Master 1 et 2. Ce point de vue offre la possibilité de s’intéresser au parti pris le plus radical de l’application des théories féministes aux musées d’art. Ce cas précis permet d’une manière plus large de s’interroger sur les répercussions des études de genre sur l’histoire de l’art, la muséologie et les pratiques muséales. Ils mettent en lumière les problématiques liées aux genres, le rôle du musée dans la société, le discours qui le structure et la mise à l’écart dans les institutions muséales, mais ils permettent également de saisir les liens qui se tissent entre la production artistique, les revendications sociales, les recherches académiques et les pratiques muséales. Nous analyserons la façon dont les musées des femmes donnent forme aux théories féministes en construisant notre propos autour de l’objet et des collections, et plus particulièrement autour de leur exposition au public. Les expositions offrent une visibilité dans l’espace institutionnel aux femmes et constituent, d’une certaine façon, un passage des revendications théoriques à leur mise en oeuvre. L’exposition se trouve être le point où se rejoignent deux éléments essentiels au sein des women’s museums : d’une part, les recherches féministes qui appuient le discours scientifique et qui visent à une réécriture de l’histoire de l’art, d’autre part, la transmission d’un message et la sensibilisation du public à des questions sociales concernant les femmes. 4 I. Etat de la question Les musées des femmes renvoient à des recherches du monde universitaire où de nombreux écrits dénoncent le « musée à moitié vide »1. Les études académiques nourrissent les pratiques muséales, et inversement les musées participent à leur enrichissement par des publications, l’organisation de conférences, la constitution de documentation, de bibliothèque ou d’archives. Afin de réaliser cette recherche, la consultation de différentes sources est nécessaire car les musées des femmes se situent à la croisée de plusieurs disciplines et peu d’éléments ont été écrits à leur propos. Les documents qui permettent d’appuyer la réflexion en fournissant un cadre théorique et un ensemble d’exemples peuvent être classés en deux parties, même si l’une et l’autre se répondent : en premier lieu, les recherches académiques sur les études de genre dans les domaines de l’histoire de l’art et de la muséologie, en second lieu, les propositions muséales qui intègrent ces recherches et les poursuivent. a. Muséologie et histoire de l’art à travers le prisme des études de genre L’apparition des musées des femmes est étroitement liée au développement des gender studies et à l’impact social des mouvements féministes des années 1970. Un accroissement considérable des women’s museums peut ainsi être constaté à partir des années 1980.2 Ces nouvelles structures muséales sont issues des pensées du décentrement qui remettent en cause la présentation d’un récit comme étant universel alors qu’il est culturellement situé. Les post-colonial studies, les cultural studies, les subaltern studies et les gender studies analysent les relations de pouvoir au sein des sociétés et opèrent des changements de point de vue. Ces recherches ont entraîné des réécritures et des remises en question de discours considérés comme légitimes, parmi lesquels se trouve la narration de l’histoire de l’art et de la muséologie. Selon les mots de Griselda Pollock, « la critique féministe, post-coloniale et queer des discours théoriques de l’histoire de l’art et de la muséologie a expérimenté des façons de représenter les histoires de l’art de manière nouvelle et inclusive, plutôt que simplement corrective ou additionnelle »3. Dans les années 1990, les queer studies, ou gay and lesbian studies, ont complexifié la question de l’identité et du genre en développant l’idée de la multiplicité possible des identifications, ou pour reprendre les termes de Fabienne Dumont, « (…) l’idée d’un maelström de spécificités et de multiculturalités, le concept d’identité fluide se situant loin du sujet femme unique »4. Concernant le monde muséal, une attention de plus en plus grande est portée à cette problématique de l’égalité des sexes et au rôle des femmes dans la culture. Plusieurs documents privilégient un point de vue social et s’intéressent aux femmes en tant que professionnelles des Selon le début de l’intitulé de l’intervention de Griselda POLLOCK, « Le Musée à moitié vide : vision, invisibilité et inscription de la différence parmi les ‘vieilles maîtresses’ de l’art », 24 janvier 2014, dans Artistes femmes au musée? Regards actuels, Paris, Louvre, 24 janvier - 9 avril 2014. 2 Voir She Culture, Women’s Museums : a Survey, 2014, p. 4-7. Disponible en ligne : http://www.she-culture.com/attachments/article/ 80/Womens%20Museums%20A%20Survey.pdf (consulté en décembre 2014). 3 Griselda POLLOCK, « The Missing Future: MoMA and Modern Women », dans BUTLER Cornelia, SCHWARTZ Alexandra (dir.), Modern Women: Women Artists at the Museum of Modern Art, New York, Museum of Modern Art, 2010, p. 51. 4 Fabienne DUMONT, « Théories féministes et questions de genre en histoire de l’art », Perspective. La revue de l’INHA : Genre et histoire de l’art, 2007, vol. 4, p. 621. Voir également, Fabienne DUMONT, « Approches féministes et pensées queer en Europe », Perspective. La revue de l’INHA, 2011, vol. 1, p. 592-598. 1 5 musées, mais peu examinent leur place en tant que créatrices. Deux numéros de la revue Museum International, Perspectives de genre sur le patrimoine culturel et les musées paru en 2007 et Les musées au féminin publié en 1991, se penchent sur des situations où les femmes sont actrices de la préservation du patrimoine mais également sur des initiatives de création de musées des femmes et sur leurs objectifs. Les sources se consacrant spécifiquement aux women’s museums sont peu nombreuses. Aux sources directes émises par ces derniers s’ajoutent des articles présentant un cadre théorique général sur les études de genre et la muséologie. En histoire de l’art, l’article de Linda Nochlin paru en 1971, « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grands artistes femmes ? », a ouvert une nouvelle voie d’étude sur la place des femmes dans le monde artistique. Le champ de recherche des gender studies, feminist studies ou women studies dans le domaine des arts visuels adopte un angle de vue différent et participe au renouvellement de la discipline. Ainsi, comme le soulignent Fabienne Dumont et Séverine Sofio, « (…) les riches interactions de l’art, de l’histoire de l’art et des théories féministes permettent de repenser le domaine tant en y (ré)intégrant les exclu(e)s qu’en déconstruisant les schèmes opératoires de la discipline »5, ou encore Gaby Porter, « (…) l'approche critique suggère que les choses peuvent être faites à nouveau, et faites différemment : que les significations sont plurielles et négociables »6. Si la littérature sur la thématique des artistes femmes peut sembler conséquente au prime abord, les manières de l’aborder sont multiples. Les textes croisant histoire de l’art et gender studies offrent un cadre théorique riche pour réfléchir aux women’s museums bien qu’ils n’y sont que très brièvement évoqués, même dans des écrits sur les expositions féministes. b. Propositions muséales, point de rencontre entre le musée communautaire et le musée d’art La problématique de la marginalisation des artistes femmes dans les institutions est dénoncée par les women’s museums qui visent à leur rendre une visibilité. D’autres espaces similaires de promotion des femmes existent, principalement aux Etats-Unis, pays dans lequel les women’s museums sont apparus dès le milieu des années 1940, tels que les Halls of Fame, les Museums Honoring Exceptional Women, les Memorials to Women et les Shrines to Women. Ces lieux ont pour objectif de valoriser leur identité et leur histoire. Les musées des femmes rejoignent en certains points d’autres démarches institutionnelles consacrées à la promotion d’une communauté. Ce terme, qui peut recouvrir de multiples réalités - genre, classe, race, langue, religion etc. -, doit être compris dans ce cas-ci comme un groupe d’individus victime d’inégalités dans le système social au sein duquel ils se trouvent. Ainsi, les musées des femmes peuvent être rapprochés, d’une part, d’autres musées centrés sur la question du genre, comme les queer museums, notamment The National LGBT Museum à New York, d’autre part, de musées dédiés à des groupes sociaux, comme le futur Museum of African American History and culture à Washington, voire de musées consacrés aux arts dits Fabienne DUMONT et Séverine SOFIO, « Esquisse d’une épistémologie de la théorisation féministe en art », dans SOFIO Séverine, YAVUZ Perin Emel, MOLINIER Pascale (dir.), Cahiers du genre : Genre, féminisme et valeur de l’art, n° 43, 2007, p. 18. 6 Gaby PORTER, « Seeing Through Solidity: A Feminist Perspective on Museums », dans CARBONELL MESSIAS Bettina (dir.), Museum Studies: An Anthology of Contexts, Malden, Wiley Blackwell, 2012 p. 66. 5 6 premiers ou aux peuples autochtones. Ces musées partagent un engagement social fort et leurs publics se trouvent au centre de leurs préoccupations. Plusieurs musées d’art ont entrepris une autocritique et s’emparent de ces recherches. De nombreux faits organisés par des institutions muséales traduisent une interrogation actuelle sur le sujet des genres et de l’histoire de l’art. Plusieurs conférences, publications et expositions récentes évoquent ces nouvelles préoccupations. Dans un article de l’ouvrage paru à l’occasion du symposium Art Institutions and Feminist Politics Now au MoMA en 2010, Cornelia Butler explique que « le message sous-jacent à la plupart des essais de Modern Women, Women Artists at the Museum of Modern Art est la question suivante : comment les mouvements, récits, et enfin les espaces muséaux et les expositions sont-ils transformés lorsque le genre est présenté comme une catégorie », ou encore que « le texte d’Helen Molesworth, Comment installer l'art en tant que féministe, imagine une configuration muséale dans laquelle les liens et les rapprochements entre les œuvres et les artistes pourraient être réexaminés de manière inattendue, créant de nouvelles lectures et catégories. »7 Parmi les derniers événements ayant eu une répercussion importante dans ce domaine en France, se trouve le séminaire de recherche Qu’est-ce que les études de genre font à l’histoire de l’art et le cycle de conférences l’accompagnant Artistes femmes au musée? Regards actuels organisé à l’Institut National d’Histoire de l’Art en partenariat avec le musée du Louvre et l’Université ParisEst Marne-la-Vallée en 2014. L’ouvrage Artistes femmes de 1905 à nos jours a été publié suite à l’exposition Elles@centrepompidou, artistes femmes dans la collection du Musée National d'Art Moderne en 2009 et 2010. Consacrer des expositions à des artistes femmes est un phénomène qui est apparu dès les années 1940, qui a pris de plus en plus d’ampleur à partir des années 1970 pour ne cesser de croître ces dernières années. En témoignent, par exemple, les expositions rétrospectives sur Elisabeth Louise Vigée Le Brun en 2015 et Niki de Saint Phalle en 2014 au Grand Palais, sur Sonia Delaunay au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris et ensuite à la Tate Modern en 2014 et 2015, ou encore, Qui a peur des femmes photographes ? 1839 à 1945 au musée de l’Orangerie et au musée d’Orsay en 2015. Ces expositions sont l’occasion de porter un autre regard sur les collections, de donner une visibilité aux artistes femmes dans l’espace muséal et d’effectuer des recherches sur leurs oeuvres. Les musées des femmes peuvent également être rapprochés de musées d’art monographiques dédiés à une artiste, tels que le Paula Modersohn-Becker Museum à Brême en Allemagne, le Barbara Hepworth Museum and Sculpture Garden de la Tate St Ives au Royaume-Uni ou le Georgia O’Keeffe Museum à Santa Fe aux Etats-Unis. 7 Cornelia BUTLER, « The Feminist Present: Women Artists at MoMA », dans BUTLER Cornelia, SCHWARTZ Alexandra (sous la dir.), Modern Women : Women Artists at the Museum of Modern Art, New York, Museum of Modern Art, 2010, p. 18. 7 II. Axes de recherche a. Problématique et méthode Nous déploierons notre réflexion autour de la notion d’espace muséal et d’exposition des collections, l’institution étant le lieu de la visibilité, de la reconnaissance et de la légitimation. Les musées des femmes aspirent à leur reconsidération en qualité de créatrices, et plus uniquement de muses, de modèles ou de dilettantes. Ce cheminement vers le professionnalisme et l’officialité de leurs pratiques artistiques passe inévitablement par les institutions muséales et académiques. A travers cette recherche, nous essaierons de comprendre comment les musées des femmes institutionnalisent-ils les critiques féministes envers l’histoire de l’art et les musées en vue de susciter un changement social? Un champ d’étude non investi a pu être constaté, conciliant les essais théoriques des gender studies en histoire de l’art et en muséologie et les études de cas sur les women’s museums. En appuyant la recherche sur l’ensemble des documents théoriques existants, il est possible d’éclairer et d’analyser la réponse particulière des musées des femmes qui n’a été jusqu’à présent qu’esquissée. Ces musées sont rarement considérés bien que la bibliographie soit importante sur les artistes femmes, l’art et les expositions féministes, l’histoire de l’art, la muséologie et les études de genre. Ils ne font pas l’objet de démonstrations à part entière ou sont étudiés sous un angle très précis, par exemple la campagne de mécénat pour la création de National Museum of Women in the Arts à Washington. De plus, la plupart des documents sont émis par les musées des femmes eux-mêmes et constituent donc des sources primaires engagées. La réalisation de ce projet de recherche s’appuie sur des documents de lecture, des conférences, des études de cas et des entretiens. Sa mise en oeuvre et sa faisabilité repose, dans un premier temps, sur l’étude approfondie des textes théoriques concernant les études de genre et le patrimoine, ainsi que par le suivi de l’actualité des journées d’étude touchant à ces questions. La participation au congrès de l’International Association of Women’s Museums qui se tient au Museo de la Mujer de Mexico en automne 2016 offre l’opportunité d’une première discussion avec les membres actifs de ce réseau. Ce travail permet d’appuyer ensuite la conception des outils d’analyse et des grilles d’entretien nécessaires pour réaliser des études de terrain, aux Etats-Unis et en Europe, et pour interroger les professionnels. L’étude du corpus envisagé8 porte, d’une part, sur les raisons de leur existence, leur histoire et leurs objectifs, et d’autre part, sur leur stratégie pour atteindre leurs missions à travers leurs collections et leurs actions. Enfin, les données recueillies sont traitées et analysées en mettant en perspective les études de cas les unes par rapport aux autres, mais également en les replaçant dans un contexte plus vaste vis-à-vis d’autres institutions muséales rejoignant leurs objectifs. 8 Le corpus comprend les dix musées suivants : le National Museum of Women in the Arts mis en relation avec le projet de création du National Museum of Women History, tous deux à Washington D. C., l’Elizabeth A. Sackler Center for Feminist Art au sein du Brooklyn Museum à New York, la Women Made Gallery à Chicago et l’International Museum of Women, musée en ligne basé à San Francisco. A ces musées américains s’ajoutent le Frauenmuseum de Bonn, de Berlin et de Wiesbaden en Allemagne, le Frauenmuseum d’Hittisau en Autriche, le FemArtMuseum, musée en ligne basé aux Pays-Bas, et le Women’s Museums of Ireland, musée en ligne irlandais. 8 Le choix du corpus s’est fait tout d’abord selon le critère des collections. Limiter le propos à l’art n’a pas pour but de se fermer à d’autres perspectives mais d’adopter un angle de vue particulier servant de point de départ pour ensuite émettre des comparaisons, regarder les oppositions et les similarités. L’autre critère est celui de leur emplacement géographique, la tendance étant principalement occidentale : sur les 66 musées répertoriés par l’étude de She Culture, l’Amérique du nord compte 30 musées et l’Europe 21, pour seulement 7 en Asie, 4 en Amérique latine, 2 en Afrique et 1 en Australie. Les women’s museums situés aux Etats-Unis sont essentiels pour comprendre le phénomène car c’est là qu’ils sont apparus, qu’ils se sont le plus développés et qu’ils présentent les structures les plus variées et les plus abouties. Etudier les cas de musées de dimension importante, en terme de moyens financiers et de collections, offre l’avantage d’analyser des institutions qui bénéficient de plus de possibilités pour déployer leurs missions, innover et aller le plus loin dans la mise en oeuvre de leur idéologie. En Europe, 5 musées des femmes existent en Allemagne, alors que les autres pays n’en comptent qu’un seul, à l’exception de l’Italie (3), des Pays-Bas (2) et de l’Espagne (2). Aucun musée des femmes n’est répertorié en France. Les musées européens sont de plus petites dimensions, plus proches de structures associatives et bénévoles que de grandes institutions. Ces dissemblances révèlent des conceptions et des modes d’action différents. Les absences méritent tout autant d’être soulignées que les superstructures américaines, ainsi que les projets en cours ou non aboutis qui mettent l’accent sur des problématiques telles que la difficulté et la pertinence de créer un musée ex nihilo. Les musées en ligne se sont heurtés à ces problèmes et tentent de développer d’autres solutions. b. Hypothèses Une première question apparait sur la façon dont l’engagement féministe et le rôle social du musée déterminent l’existence des musées des femmes et ont une influence sur l’ensemble de leurs missions, de préservation, de recherche et de valorisation. Le musée est perçu comme ayant une fonction citoyenne et comme étant un outil d’analyse critique, de sensibilisation et d’éducation. Les musées des femmes se situent dans le paysage institutionnel comme un organe permanent de recherche et de valorisation. Leurs objectifs font écho à des préoccupations d’associations humanitaires ou d’instances internationales promouvant la paix, la culture et l’éducation, telles que l’UNESCO, l’ONU Femmes et l’Institut Européen pour promouvoir l’égalité des genres de l’Union Européenne. Les women’s museums utilisent la structure muséale comme moyen pour appuyer des revendications sociales et pour influer sur les conditions de vie des femmes. Ils visent à une réhabilitation de leur histoire passée en vue de leur émancipation présente et à venir. A Washington, les projets de création du National Women’s History Museum ou du Museum of African American History and Culture, soulignent la portée légitime et politique de l’institution muséale. Dans ces cas-ci, elle se positionne comme étant un social change museum et participe à la reconnaissance d’une communauté. Les musées des femmes interrogent les modalités de légitimation de la création par les instances officielles. Ils posent le problème de l’espace muséal en tant qu’espace public et symbolique, espace d’exposition et de légitimation, espace de la visibilité et de la reconnaissance. En oeuvrant à une reconsidération des artistes femmes par les institutions officielles, 9 muséales et académiques, les musées des femmes participent par conséquent à un passage de leur pratique artistique de l’espace privé à l’espace public, du dilettantisme au professionnalisme. Ils soulèvent plusieurs questions, notamment celles de savoir quel est le rôle de l’institution muséale par rapport aux réécritures des discours et quel est son positionnement envers la société? D’autres interrogations apparaissent sur la manière dont ils mettent en oeuvre leurs convictions ; comment participent-ils à construire un autre récit et par là-même une autre société, comment mettent-ils en espace les recherches féministes en vue d’insuffler des changements sociaux? Si la recherche est une mission essentielle du musée, la spécificité de ce lieu institutionnel réside dans la présentation des objets qu’il préserve et des connaissances qui leur sont rattachées en vue de leur transmission au public. Les oeuvres d’art sont à la fois le point de départ des études, leur sujet et leur support. L’exposition est un moyen pour le musée de donner une visibilité aux femmes, mais également de diffuser un message engagé, d’informer et de sensibiliser leurs publics sur des problématiques sociales actuelles. La dimension éducative est centrale, elle peut être comprise dans le sens d’ouverture de l’esprit et de transmission de valeurs humanistes d’égalité et de respects des droits humains. La communication est d’autant plus essentielle pour les musées des femmes que ces derniers veulent avoir un impact sur leurs publics et susciter des changements. Bien qu’ils soient animés par les mêmes convictions, les musées des femmes présentent des dissemblances qui permettent d’éclairer différentes solutions possibles et de mettre en avant plusieurs problématiques. Une autre piste de recherche est celle des liens qui se nouent entre les institutions et l’art féministe, des circonstances au cours desquelles elles s’opposent ou se rencontrent. Certaines oeuvres mêlent art et questions sociales sans l’intermédiaire du musée, voire adoptent une attitude critique vis-à-vis de ce dernier. Les musées d’art ont ensuite rejoint les préoccupations de ces oeuvres créées d’abord en marge des institutions. De nombreuses créations artistiques dénoncent la sousreprésentation des femmes au sein des collections. Par exemple, Artist’s Choice: Elizabeth Murray est une exposition qui a eu lieu au MoMA en 1995 au cours de laquelle l’artiste commissaire invitée par le musée avait fait le choix de ne présenter que des oeuvres d’artistes femmes. Les women’s museums ont un positionnement particulier car ce sont des lieux institutionnels qui rejoignent les revendications de l’art féministe. Ces oeuvres et ces musées engagés partagent les mêmes critiques sociales bien qu’elles s’expriment de manière différente, le langage artistique n’étant pas celui de l’institution. Les musées des femmes poursuivent les questionnements féministes des artistes en leur donnant une portée institutionnelle. 10 III. Bibliographie indicative Ouvrages BUTLER Cornelia, SCHWARTZ Alexandra (dir.), Modern Women: Women Artists at the Museum of Modern Art [Femmes modernes : artistes femmes du Musée d’Art Moderne], New York, Museum of Modern Art, 2010. CARSON Juli, « On Discourse as Monument: Institutional Spaces and Feminist Problematics » [« Sur le discours comme monument : espaces institutionnels et problématiques féministes »], dans POLLOCK Griselda, ZEMANS Joyce (éd.), Museums After Modernism: Strategies of Engagement [Les musées après le modernisme : stratégies d’engagement], Malden, Blackwell, 2007, p. 190-224. 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