La Place de la Syllabe Dans L`évolution de la Phonologie :
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La Place de la Syllabe Dans L`évolution de la Phonologie :
1La Place de la Syllabe Dans L’évolution de la Phonologie : Rappels Théoriques et État des Lieux A) LA PHONÉTIQUE Bien avant la linguistique moderne, la description des langues a offert aux grammairiens un terrain d’étude concret, matériel. L’attachement décrire de façon rigoureuse les sons de la parole a entraîné la nécessité d’une terminologie spécialisée, de plus en plus précise, la plupart du temps (époque oblige) fabriquée partir de racines grecques. Cette étude des sons de la parole a donc ciblé et étiqueté son objet : les phones. Pour tre exhaustive, cette discipline (la phon...étique) a couvert les trois étapes du discours : la production, la transmission, la perception. Rapidement, - la production : il s’agit de l’appareil phonatoire qui permet, par la combinaison d’éléments physiologiques (langue, lvres, mais aussi larynx, nez, palais, dents, cordes vocales, etc.) de produire des sons. Cette discipline est la phonétique articulatoire. - la transmission : une fois émis par l’appareil phonatoire, le son correspond une onde acoustique, dont les propriétés physiques sont étudiées par la discipline appelée phonétique acoustique. - la perception : l’onde sonore (le son du langage) n’est reconnue que si, cette dernire étape, un systme, un appareil, permet de la réceptionner et de l’analyser physiquement. L’étude de cet appareil auditif humain (qui va décoder les sons) se nomme la phonétique auditive. On voit bien, depuis le début de mon propos, que les mots en “tique” prédominent. Ce n’est pas un “tic verbal”, mais la conséquence terminologique d’une pratique scientifique : la description statique. Parce qu’elle est une description statique, la phonétique peut faire partie des sciences exactes : il n’y a pas (il n’y a plus) d’interprétation du fait linguistique, mais une observation et une description vérifiable par des instruments de mesure de plus en plus élaborés. Cela n’empche pas, bien entendu, qu’un champ de la phonétique interprte les faits (tout en restant scientifique) : il s’agit de la phonétique diachronique, celle qui essaie de montrer l’évolution des sons d’une langue travers les sicles (voir : “Des steppes aux océans”, d’André Martinet), et mme les influences et changements phonétiques réciproques de plusieurs langues en conflit. Pour servir sa cause, la phonétique a mis au point un alphabet international, l’API, dont la notation se fait entre crochets. L’évolution des sciences en général va dans le sens de l’observation in vivo, et dans la recherche de la compréhension des mécanismes. la recherche du “comment c’est ?” s’est substitué peu peu la recherche du “comment ça marche ?”. La phonologie s’inscrit dans cette évolution. B) LA PHONOLOGIE On a vu que la phonétique s’était dotée d’un terme précis pour désigner les sons de la parole : le phone. La phonologie, qui ne voulait pas tre en reste de scientificité, a eu recours également une étiquette pour désigner non plus un son de la parole, mais un son de la langue, un son qui soit, au niveau langagier, fonctionnel, c’est--dire qui possde une fonction distinctive, d’opposition. Le terme ‘phonme’ s’est imposé, mais, au lieu de parler de phonétique fonctionnelle, on a retenu l’idée de discours sur le son, c’est--dire la phonologie. Relve donc de la phonologie tout son qui possde une valeur d’opposition avec les autres sons de manire engendrer un signifié. Que je dise /Roz*/ ou /ROz*/, il y a un seul et mme mot (rose), et [o] [O] ne sont que la réalisation d’un mme phonme /o/, qui s’opposera par exemple /y/ dans “ruse”. En revanche, le passage de /fo/ (faux) /fOR/, parce qu’il relve d’une dynamique de la langue qui fait s’ouvrir une voyelle dans les syllabes fermées, fait partie de la phonologie (il y a ici une rgle de fonctionnement). Comme la phonétique, la phonologie a aussi ses objets d’étude : la phonématique et la prosodie. - La phonématique : c’est l’étude des unités distinctives de la langue, celles qui jouent un rôle, une fonction d’opposition : par commutation sur un axe paradigmatique n/v + ous, ou par permutation sur un axe syntagmatique ‘maraine’ ‘ramne’ (/maR7n*/, /Ram7n*/ ; - La prosodie : domaine plus sr et plus délicat la fois, la prosodie utilise des données concrtes, donc sres (le temps pour la durée, les décibels pour l’intensité, et les hertz pour la mélodie), mais pour aboutir l’étude de l’accentuation et de l’intonation, notions déj plus délicates car évoluant d’un locuteur un autre ET liées directement au sens. La phonologie, science humaine part entire, a donc besoin de son propre systme de notation. Ici, nul besoin de grande précision dans la notation des phonmes, puisque les phonmes intgrent eux-mmes les variables allomorphes (par exemple /R/vaut aussi bien pour /R/ , /r/, //, ces allophones n’ayant pas de valeur distinctive fonctionnelle, mais simplement phonétique). Plusieurs systmes de notation de la phonologie sont en concurrence, y compris l’utilisation de l’API ! Pour ma part, le souci d’échanger les données et les travaux, souci qui implique la transmission informatique, me fait pencher pour un alphabet phonémique hybride, simple et efficace car universel pour les claviers d’ordinateurs, fondé sur l’alphabet phonémique de l’université de Laval, modifié (/2/ pour //, /9/ pour /oe/, /7/ pour //, etc.). En phonologie, les voyelles et les consonnes sont considérées du point de vue de leurs traits distinctifs généraux. Pour les voyelles, ces traits sont : l’aperture (+- fermé : i # a) l’antériorité (+- antérieur : u # ou) la labialité (+- arrondi : i # u) la nasalité (+- nasal : o#on) et pour les consonnes : le mode d’articulation (occlusive ou fricative, avec passage de l’air par la bouche, oral, et par le nez, nasal, avec ou non vibration des cordes vocales, sonorité) ; le lieu d’articulation (bilabiale, labio-dentale, apico-dentale, apico-alvéolaire, etc.). Il reste le cas intermédiaire : les semi-consonnes, ou semi-voyelles, ou encore glides (glissantes). En français, elles ne sont que 3, chacune orale et fricative : /j/ (hier) : médio-dorso-palatale ; /8/ (lui) : antérieure arrondie ; /w/ (ouate) : postérieure arrondie. Chacune de ces semi-consonnes est rapprocher de la voyelle correspondante : /j/................./i/ /8/................/y/ /w/.............../u/ Contrairement la phonétique, la phonologie s’intéresse davantage la dynamique des consonnes et des voyelles, dont la fusion correspond, pour simplifier, la syllabe. Les syllabes du français sont ou bien ouvertes (elles se terminent par une voyelle prononcée comme /m@to/ ‘manteau’) ou bien fermées (elles se terminent par une consonne prononcée, comme /s7k/ ‘sec’). Nous étudierons plus loin le rôle et l’importance de la syllabe. Pour résumer, et pour répondre l’interrogation “étique ou émique ?”, les phonéticiens et les phonologues sont des étrangers les uns pour les autres, mme si les phonologues sont bien obligés de puiser dans les connaissances phonétiques en place. La phonétique, science pourtant exacte, a ses limites. Tout simplement parce qu’elle n’offre qu’une approche et une perspective descriptives, froides, fondées sur l’étude de la parole, sans s’occuper de la langue. La phonologie, au contraire, parce qu’elle étudie la langue qui est un systme de systmes, est tournée vers la recherche de rgles générales, voire universelles. Elle ne s’attarde pas (trop) sur les détails de surface (peu de signes diacritiques en notation phonémique), et cherche une logique interne, une logique du contenu, un rapport entre la structure phonologique de la langue et les manifestations cognitives des locuteurs. La phonologie est, contrairement la phonétique, linguistique. Abstraite, elle tente d’élaborer des lois qui régissent le fonctionnement de la langue. Emique, elle se focalise sur la dynamique de la langue. La phonétique, quant elle, concrte, étique, ne cherche pas se présenter comme une discipline théorique, mais comme une discipline purement descriptive. Ainsi, le vingtime sicle a vu émerger et s’étoffer (parfois se complexifier, hélas) DES phonologies parfois concurrentes, des phonologues de Prague jusqu’aux connexionnistes, en passant par les chomskyens, bloomfieldiens et autres courants linguistiques. (2) LES CAPACITÉS HUMAINES travers les plusieurs milliers de langues répertoriées dans le monde, seulement une centaine de sons ont été relevés, au total. Une moyenne trs approximative établit une trentaine les phonmes nécessaires chaque langue, avec bien entendu de grandes disparités, y compris au sein mme d’une mme langue. Par exemple, en français standard, on s’accorde sur 32 phonmes (13 voyelles et 19 consonnes), alors qu’en français méridional on en compte 26. Mais il s’agit l de production, car l’homo sapiens sapiens est en fait capable d’entendre plus de 300000 sons différents, toutes fréquences et intensités confondues. Mais entendre ne suffit pas distinguer, discerner suffisamment clairement des sons : les contraintes auditives naturelles de l’tre humain ne le lui permettent pas (différenciation sonores trop fines, vitesse d’émission plus rapide que la vitesse de réception et de décodage). Paralllement, entendre et discerner un son n’implique pas automatiquement la capacité le reproduire, pour deux raisons : d’abord l’audition d’un son doit tre fréquente pour devenir familire, ensuit les contraintes phonatoires ne trouvent pas l’élasticité (pour les cordes vocales) et la souplesse (pour l’ensemble de l’appareil buccal) nécessaires l’articulation et la production de n’importe quel phonme. Ces deux conditions (familiarisation et articulation) sont le fondement mme sur lequel s’appuie la phonologie pour expliquer la diversité des langues et les variations l’intérieur mme des langues. Cet ensemble de contraintes se catégorise travers l’expression “contraintes phonotactiques” (on peut se rendre compte des contraintes d’articulation lorsqu’on observe les traits distinctifs nécessaires, les phmes, pour prononcer une voyelle). Mais la parole est complexe, et le débit fait se combiner grande vitesse des dizaines de phmes la suite, par groupes de 2 5 phonmes ! Les consonnes ne sont pas en reste, et sont aussi plus ou moins difficiles prononcer. On a l’habitude de les classer selon une échelle croissante correspondant au degré de tension articulatoire (= l’échelle de consonanticité) : /v,z,Z,R/ < /N,j/ < /n,m,s,S,g,d,b/ < /f,l/ < /k,t,p/ (3) LES CONTRAINTES PHONOTACTIQUES “... des degrés de l’ /o/ et du bain linguistique” En perception, chacun peut faire l’expérience d’une suite de sons qu’il considérera comme légale, valide, acceptable, dans sa langue maternelle, mme si le mot n’existe pas. Des expériences ont montré, partir de logatomes, que des locuteurs, mme enfants, étaient capables de détecter si un mot était potentiellement dans le lexique de sa langue, simplement par l’intuition que le mot “sonne bien”. Par exemple, si je vous dis : “Dans le centre de la France, en 1967, on a capturé un ripola”, quelle question me poseriez-vous ? -------- > ‘c’est quoi, un ripola ?’ Vous aurez considéré que ce mot existe bien en français. Il “sonne bien” : CV+CV+CV. Pourtant, ce mot n’a aucune existence, mme travers les 37millions de mots de la base de données “Corpatext”. Autre exemple, si je vous dis : “Cultivé en région parisienne d’o il est originaire, le sdatli est utilisé principalement pour la pâtisserie”. Quelle sera votre réaction ? --------> ‘ce mot est bizarre, il “ne sonne pas bien”. Effectivement, en français, ce mot n’est pas phonologiquement acceptable, car il n’existe pas dans ces langues de structure fricative sourde + occlusive sonore + voyelle, ni non plus d’occlusive sourde + liquide + voyelle. Autre exemple : de ces deux mots, lequel est français ? Excorier..............ou......... exgorier ; Lustral................ ou........ luztral ? Il y a des limites la tolérance phonémique, et cette limite s’appelle une contrainte phonotactique. La suite de sons répond des exigences coutumires d’une langue, et chaque mot de cette langue, obéit des lois de combinaisons. Mais tout le monde sait que les langues flirtent les unes avec les autres, et qu’elles troquent. Lorsqu’une langue reçoit d’une autre un nouveau mot, qu’on appelle emprunt, elle lui impose toutefois une fouille “articulatoire”, sorte d’interdiction d’importation des séquences sonores illicites. Par exemple, si une L2 possde un mot avec une attaque branchante occlusive sonore + fricative sourde (+voyelle), comme /dsa/, le locuteur français refusera /d/+/s/, et le modifiera en /d/+/z/ (la rgle du voisement s’applique la seconde consonne cause du trait + voisé de la premire). Cette contrainte phonotactique est bien sr valable en synchronie, mais rien ne dit qu’ la longue, une suite phonémique illicite, ou mme un phonme seul illicite, ne soit pas au fil du temps intégré(e) la langue. Ce fut le cas en français pour le “ing” de parking. Son intégration entraîne l’acceptation de tout un paradigme d’items formés sur le mme suffixe, comme shopping, marketing, feeling, brushing, percing, monitoring, etc. Les conflits entre langues existent également l’intérieur d’une mme langue. La gestion de ces contraintes, par des mécanismes complexes, entraîne des modifications propres chaque langue, et explique, entre autres, la grande variété des langues du monde, qui grent chacune sa façon l’ensemble des contraintes qu’elles s’imposent. Cependant, il semble qu’une rgle universelle s’applique toutes les contraintes phonotactiques des langues : celle qui fait qu’une solution adoptée est adoptée parce qu’elle est la solution la moins... contraignante ! Il ne s’agit toutefois pas d’une économie phonotactique, car on est l un niveau qui n’est plus segmental (autrement dit phonétique), mais suprasegmental. C’est la combinaison de segments, i.e. de C et de V, qui a, plus, ou moins, de probabilité d’occurrence. C’est l qu’on se rend compte que la phonologie et la phonotactique s’expriment dans la syllabe (cf. Test04, plus bas). L’ensemble des travaux en phonologie s’appuie sur et se réfre la syllabe, autrement dit l’agencement, l’ordre, la distribution des phonmes. On voit l encore l’écart avec la phonétique : avec la syllabe, la phonologie envisage des processus dynamiques dont les constituants (les segments, les phonmes) sont interdépendants. Par exemple, comment expliquer que le mot “médecin” se prononce /mets5/ ? Ici, l’harmonisation consonantique oblige (contraint) l’occlusive sonore /d/ s’assourdir cause de la proximité de la fricative sourde /s/ : d –> t : __s (/d/ devient /t/ devant /s/). Toutefois, on peut s’interroger sur cette option. En effet, puisque /d/ est perçu avant /s/, il devrait l’influencer et provoquer sa sonorisation, et l’on devrait dire /medz5/. Il n’est pas exclu que, pour certains locuteurs, une étude acoustique trs fine montrerait cette réalisation. Cet exemple de changement d’un phme (ici sonore > sourd) n’est pas le seul cas de figure. Outre l’assimilation que l’on vient de voir, il y a aussi la dissimilation, l’élision de la voyelle, l’épenthse, la troncation de la consonne, etc. Mais la syllabe réserve d’autres surprises dues sa configuration. Voici des exemples. 80% des syllabes du français sont ouvertes, ce qui signifie que 20% sont... fermées, autrement dit qu’elles possdent une coda. Automatiquement, par habitude, l’oreille francophone va souhaiter entendre une syllabe ouverte, et, en lecture oralisée, j’ai pu observer (Test01, voir site Internet cité plus bas) qu’une syllabe CVC (par, for, vur, ...) causera une erreur de type CVC > CCV (transformation d’une syllabe fermée en syllabe ouverte par permutation consonantique) dans plus de 75% des cas, mais que l’inverse (CCV > CVC) n’arrive presque jamais. Cela permet d’expliquer certaines erreurs de lecture que l’on a parfois tendance, un peu hâtivement, attribuer des pathologies particulires, comme la dyslexie phonologique. Autre exemple des caprices syllabiques : la vitesse qui fait tourner la tte. Tullet et Kelso ont fait répéter de plus en plus vite des locuteurs la syllabe CV [ip]. Immanquablement, [ip] devient [pi], par recherche vraisemblablement d’une attaque consonantique d’une part, et par l’évitement d’une coda. Dans ce cas, mme si la structure VC est attestée en langue, un débit rapide de parole peut transgresser la structure syllabique donnée, grâce un principe universel de contour de sonorité (exemple : spectacle > /spe.ktakl*/ en débit rapide, avec fermeture du /7/ en syllabe ouverte, opposé /sp7k.takl*/ en débit normal, avec ouverture du /e/ en syllabe ouverte). On le voit, la syllabe subit aussi bien des contraintes par l’effet des fréquences, des contraintes structurelles, et des contraintes universelles. Ces complexifications théoriques sont le propre de la phonologie qui a pris la syllabe comme fondement d’étude. (4) LA SYLLABE, PICE MAÎTRESSE DE LA PHONOTACTIQUE La syllabe vue de l’extérieur On ne peut concevoir une analyse en contraintes phonotactiques sans s’appuyer sur la syllabe et la coarticulation des ses éléments (ses segments C et V). Dans le Test04, que je détaillerai plus tard, j’ai montré que la syllabe prédomine sur le phonme dans les erreurs de lecture. Mais voyons voir d’un peu plus prs ce qu’est une syllabe, ou du moins ce qu’on en dit. Avant tout, la syllabe ne fait pas partie de la phonétique, mme si Grammont la définissait comme “une suite d’apertures croissantes suivie d’une suite d’apertures décroissantes, le point culminant étant le point vocalique”. En fait, on n’arrive toujours pas isoler phonétiquement la syllabe dans la chaîne parlée, c’est-dire que l’on est toujours incapable de déterminer, acoustiquement, gauche et droite de la chaîne parlée, o elle commence, et o elle s’arrte. Tout se passe comme si nous avions affaire un continuum indécis et indécidable. Trs tôt, Jakobson et Halle (1956) l’ont définie comme une unité phonologique constituée de segments organisés entre eux, alors que Firth (1951) la voyait comme une unité suprasegmentale d’organisation prosodique. D’ailleurs, chacun a une certaine conscience de la syllabe, et l’identifie naturellement au rythme lorsqu’il scande une phrase. De mme, on parle de l’accent d’un mot sur une syllabe, et non sur un phonme isolé. Historiquement, les années 90 ont vu un engouement trs prononcé pour la syllabe, avec toutefois des approches différentes et divergentes. titre indicatif, les théories les plus connues sont : - la phonologie du gouvernement (Kaye, 1988) ; - l’approche autosegmentale (Goldsmith, 1990) ; - la phonologie de laboratoire (Browman et Goldstein, 1990) ; - la théorie de l’optimalité (Prince et Smolensky, 193) ; - la géométrie des traits (Clements et Hertz, 1996) ; - la phonologie computationnelle (Angoujard, 1997). Toutes ces théories ont en commun de voir en la syllabe une structure dynamique complexe dont les limites ne sont pas chercher sa périphérie (o commence et o finit la syllabe ?), mais l’intérieur mme de la syllabe, par les propriétés intrinsques de ses segments. Mon propos n’est pas ici de développer ces différentes théories, mais de m’en tenir aux contraintes phonotactiques. Pour cela, quelques précisions supplémentaires sur la syllabe sont nécessaires. Leur méconnaissance ne permettrait pas d’appréhender les contraintes phonotactiques avec rigueur. La syllabe vue de l’intérieur On a vu que les tentatives de définition l’extérieur de la syllabe ont été abandonnées. On préfre étudier les propriétés combinatoires de ses constituants (consonnes et voyelles). Ces constituants ne sont plus considérés de façon linéaire, chronologique, dans la chaîne phonémique, délimités par des frontires. Ils sont plutôt regroupés en un tout, en une unité phonologique, avec sa structure et ses rgles. Cette approche non-linéaire de la syllabe a été mise en avant par Kahn (1976), Goldsmith (1976), Liberman et Prince (1977), McCarthy (1979). Domaine part entire de la phonologie, la syllabe est vue comme une organisation abstraite de segments spécifiques. C’est sur cette organisation que s’appliquent des processus phonologiques, et non sur les phonmes qui la constituent. On parle alors d’unité syntagmatique (Kahn, 1976). Sa représentation structurale peut tre la suivante : syllabe | Attaque Rime | | | | Noyau Coda | | | “m” “u” “r” Par cette représentation, les éléments de la syllabe apparaissent mieux en relation de dépendance (Andersen et Jones, 1974). L’élément essentiel est le noyau, il domine la syllabe et gouverne l’attaque et la coda. Cette structure classique de la syllabe en attaque et rime est universelle, mme si certaines langues autorisent des attaques vides. Il y a donc, selon les langues, une variation de la structure syllabique, qu’il faut ‘absolument’ connaître pour étudier les contraintes phonotactiques. Les variations sont les suivantes : - l’attaque est obligatoire ; - la coda est facultative (syllabe ouverte si absence de coda, et fermée si présence de coda) ; - qualité du noyau (voyelle, diphtongue, voire consonne syllabique) ; - attaque branchante ou non ; - coda branchante ou non ; - intolérance combinatoire (par exemple, pas de /tz/ en initial en français). Quand on dit qu’une attaque est obligatoire, on peut penser aussitôt des contreexemples : abricot, iris, etc. Dans ces cas, on parle d’attaque vide, qui ne le devient plus par le phénomne de liaison (“les abricots”) ou d’enchaînement (leur enfant). La matire syllabique peut donc s’écrire : {(A)N(C)} Dans l’expression “elle est allée” on trouve 4 syllabes, et le caractre facultatif de l’attaque et de la coda permet l’enchaînement puis la liaison /7.l7.ta.le/ au lieu de /7l.7.a.le/ On voit ainsi que le français évite de dévier de la structure canonique CV en contournant l’hiatus par une redistribution syllabique des segments (Tranel, 1996, Oostendorp, 1997). Par exemple : “de jolies images” ne sera pas dit /d*.Zo.li.i.ma.Z*/ (CV CV CV V CV CV) mais /d*.Zo.li.zi.ma.Z*/ (CV CV CV CV CV CV). On évite ainsi l’attaque vide, mais, dans d’autres cas, la contrainte phonotactique utilisera d’autres stratégies pour rendre acceptable la syllabe (que l’on pense au japonais qui n’accepte pas de branchante : il réparera la syllabe pour lui fautive en intercalant, par épenthse, une voyelle entre les deux consonnes ; un mot comme /valtimo/ sera dit /valutino/, procédé qu’on peut rapprocher du schwa en français, o “pneu” /pn2/ CCV devient /p*n2/, voire /p2n2/, de structure CVCV). On reviendra sur ces points plus tard, mais il est temps de fermer... notre syllabe. (5) LA SPE Ds 1965 avec Lightner, puis Schane en 1967, la phonologie générative a une existence officielle. Mais c’est évidemment Noam Chomsky et Morris Halle qui, en 1968, publient et imposent leur Sound Pattern of English. Cet ouvrage, essentiel, s’appuie sur le postulat que la langue, propre l’espce humaine, est innée (alors que le langage est acquis). Ce postulat entraîne nécessairement, induit, l’existence d’une grammaire universelle qui formulerait, travers des rgles de transformation, les étapes allant des structures syntaxiques sous-jacentes (donc en langue) aux structures de surface (donc en langage). Ces rgles sont bien évidemment phonologiques, et ressemblent la forme de base suivante : x > y / w_z (x se transforme en y dans l’environnement w gauche et z droite). x > y est une matrice représentant un état hypothétique sous-jacent, et w_z est la sortie observée (et donc phonétique) de surface. Ce qui permet ces transformations, ce sont des traits distinctifs (les phmes, comme + sonore, -arrondi, +tendu, etc.) qui vont entrer en conflit ou en complémentarité. La dette envers Chomsky et Halle est immense. Ils ont su élaborer un outil pour expliquer le fonctionnement dynamique de la langue et les variations de surface. Mais une telle ambition ne pouvait pas tre satisfaite, quand on considre l’extraordinaire complexité de la langue. D’autres théories ont emprunté la SPE le principe de formalisation et de rgle, comme la phonologie générative naturelle (Natural Generative Phonology, NGP), avec Vennemann (1972 et Hooper (1973). Le mouvement est lancé et, jusqu’ 1990, la modestie prend le dessus. On s’occupe davantage de représentation, de mécanismes simples et universels, au détriment des rgles devenues trop abstraites. Tout cela pour trouver réponse aux limites théoriques de l’approche transformationnelle de la SPE. Le cas extrme fut celui de la phonologie du gouvernement (Kaye, Lowenstamm, Vergnaud) qui défendait un modle d’analyse o un systme phonologique ne posséderait pas de rgles, puisque toute rgle particulire serait déj intégrée dans un modle universel. Plus prometteuses, la TSCR et la TO offrent un cadre théorique finalement plus efficace. Nous allons voir leur utilité dans la compréhension des contraintes phonotactiques. (6) TCSR et TO : KESACO ? L’approche conceptuelle de la contrainte phonotactique est soutenue principalement par deux courants : la TCSR et la TO. La TCSR : théorie des contraintes et stratégies de réparation. C’est un courant qui fait partie intégrante de la phonologie générative Carole Paradis (Laval, Québec) a développé l’idée que les contraintes peuvent subir des transformations internes et externes. Internes, cela signifie propres au systme de la langue elle-mme. Par exemple, l’ouverture d’une voyelle en syllabe fermée (beau /bo/ et bol /bOl/). Externes, cela signifie en relation avec une langue seconde, laquelle un emprunt entraîne un conflit entre les deux systmes phonologiques. Par exemple, l’absence de /p/ en arabe dialectal marocain provoque l’utilisation (en compensation) de /b/. /paRabOl/ sera dit /baRabOl/. De mme, l’absence de certaines voyelles, qui existent en français, sera réparée par l’utilisation d’une voyelle (neutre) de la langue arabe. Réparer, voil le mot clef. Il s’agit bien de réparer une rupture entre le passage manqué d’une langue une autre. Cette réparation peut tre une insertion (/b/ au lieu de /p/), ou un effacement (“automobile” dit “tomobile, cause de l’accent oxyton de la langue française, en conflit avec l’accent placé différemment dans la langue emprunteuse, qui, plus est, privilégie une consonne en attaque, et non une attaque vide vocalique). Les stratégies de réparation sont observées avec une trs grande régularité chez les différents locuteurs. Ce fait tend montrer qu’elles ne dépendent pas d’un contexte “idiosynchrasique”, et qu’elles sont donc universelles. On rejoint l la phonologie générative dans la mesure o la TCSR peut se permettre des généralisations et des rgles formelles du type x>y/_z ou x > / _z par exemple. (en langue russe, certains suffixes de déclinaisons, attendus parce qu’ils relvent d’un cas grammatical d’emploi, entrent en conflit avec le fin du radical du mot, et sont modifiés pour des raisons phonologiques) La TO : la théorie de l’optimalité. Contrairement la TCSR, la TO considre qu’une langue possde une phonologie constituée de contraintes hiérarchisées. De ce fait, la forme de surface est celle dont le candidat sous-jacent transgresse le moins l’ensemble des contraintes présentes en langue. En d’autres termes, une langue serait constituée non pas de rgles successives auxquelles s’adjoindraient, de temps autres, des contraintes, mais un ensemble de contraintes qui s’opposent jusqu’ trouver une solution non contraignante. Une sorte de consensus phonotactique. Il ne s’agit plus de produire une forme de surface pour réparer une incompatibilité ou une absence, mais de produire une forme de surface non conflictuelle. Pour simplifier l’extrme, trois courants, trois approches, existent en phonologie : - une phonologie générative aux structures universelles, avec des rgles de transformation rigoureuses ; - une phonologie générative aux structures universelles perturbées par des contraintes et des réajustements ; - une phonologie générative aux structures universelles contraignantes. (7) QUELQUES INDICES ANNONCIATEURS DE L’IMPORTANCE DE LA SYLLABE - Le rôle de la syllabe dans les contraintes est essentiel, et plus important qu’un phonme isolé. On sait (Segui, Frauenfelder, Mehler, 1981) que dans des mots deux syllabes, la syllabe est reconnue plus rapidement que le phonme. Par exemple, /ba/ est reconnu avant /b/ dans “bateau”, ce qui signifie que l’attaque est un constituant, et non une amorce indépendante. - De mme (Vroomen et De Gelder, 1999), on sait qu’en position d’attaque un phonme consonantique est détecté moins vite qu’en coda. Cela conforte l’idée d’une prédominance hiérarchique de l’entité syllabique sur ses constituants. - La structure CV étant statistiquement la plus répandue, lorsqu’un locuteur rencontre une suite CC, il aura le réflexe de la traiter en coda+attaque : /fut.bOl/ et non /fut.tbOl/. - Dans la chaîne parlée, les mots sont liés. Il arrive alors qu’une coda licite précde une attaque licite ( /Z#/+/f_/), mais les deux ensemble sont illicites (* /Zf/). Il y a modification du /Z/ en /C/, et cela peut engendrer, au niveau des mécanismes de décodage de l’écrit subvocalisé, des erreurs de lecture. - Les langues ont pour certaines des frontires syllabiques non ambiguës, claires, comme le français et les autres langues latines. D’autres langues (l’anglais, le japonais) n’ont pas de frontire syllabique, et la coupe du mot se fait par l’accent qui est variable. L’effet syllabique, et donc les contraintes phonotactiques ayant pour origine la syllabe, concernent la premire catégorie de langues. - Les consonnes peuvent tre classées selon une échelle de consonanticité, et les voyelles sur une échelle de sonorité. De ce fait, l’attaque chercherait le phonme le plus consonantique, et la rime le phonme le plus sonore. Cette hiérarchie peut devenir, si elle se trouve menacée, une contrainte phonologique qui engendrerait des rectifications dans la distribution syllabique (que ce soit dans un groupe consonantique ou dans un agrégat consonantique, au sens de Pulgram, 1965). (8) CONTRAINTES ET APPRENTISSAGES - L’apprentissage de la lecture est particulirement complexe, et si des enfants peuvent, l’extrme, arriver apprendre lire seuls en ayant su trouver la corrélation symbolique qu’il y a entre l’oral et l’écrit, il n’en reste pas moins que pour les autres l’apprentissage est long et semé d’embches. Et cela est vrai surtout pour les locuteurs d’une langue alphabétique. Ds 1968, Makita a montré que les troubles de lecture touchaient trs peu les enfants japonais. On ne parle gure de dyslexiques au Japon, alors que tous les pays dont le systme de la langue est alphabétique sont confrontés ce problme (environ 4 5 % des apprentis-lecteurs). - Pour de plus en plus de chercheurs (Moras, Content, Alegria, ds 1986) c’est la conscience phonologique qui serait le préalable la lecture. Il y a un lieu de causalité entre les deux, et faire l’économie de la conscience de la rime et du phonme est impossible. Lorsque la langue apprise n’est pas la langue maternelle, on imagine bien qu’un second systme phonologique entre en jeu, et engendre des contraintes. La connaissance de la phonologie des deux langues, en particulier celle de Lo, est nécessaire pour comprendre les erreurs de lecture (Cf. Conférence de Libreville, sur le site Internet cité). - Le français écrit présente une contrainte supplémentaire : son systme de converntion phonographologique, selon Veroni (1988) ne permet d’écrire de façon transparente que la moitié des mots. Que l’on pense “f” et “ph” pour /f/, ou “in, ein, ain” pour /5/ ! Le systme phonologique maternel est trs puissant. Ds 4 jours, un nouveau-né est sensible sa langue maternelle (en opposition une autre langue dotée d’une prosodie différente). Des précautions expérimentales ont été prises et ont permis d’exclure le rôle du lexique ou des phonmes isolés (par une méthode de filtrage des phrases, au niveau acoustique). De mme, l’étude du rythme du babillage chez des enfants de 8 10 mois, en France, en Algérie, en Angleterre, a montré que ces productions se calquaient sur celles du langage ambiant. On peut donc envisager, de la part des enfants en bas-âge, une intégration précoce du systme phonologique de leur langue maternelle, et, par contre coup, un rejet ou une ignorance, des systmes étrangers (en fait, des systmes non présents). De cette façon, le nourrisson retient les séquences légales de sa langue. Toute ingérence phonologique étrangre sera perçue comme une agression qu’il faudra contrer, plus tard, par des stratégies de défense, ou, selon la TCSR, de réparation. Mais il existe également une stratégie de réparation qui consiste ignorer la séquence illégale étrangre, de façon involontaire, en perception : pour un Lo d’une langue comme le français, la distinction des tons en chinois est non pertinente l’oreille. De mme, un locuteur japonais ne discerne pas [l] et [r]. Peut-on dans ce cas parler de contrainte ? Une contrainte peut-elle tre systématiquement inconsciente ? l’oral, la contrainte est relativement consciente, car le locuteur est gné en réception, il le ressent de façon physique, acoustique, concrte. De mme, en émission, il aura difficulté prononcer certains sons. En lecture, tout est différent, tout simplement parce qu’il y a un systme codifié intermédiaire : l’écrit. L’apprenti-lecteur focalise son énergie déchiffrer. Il n’est pas conscient de ses emprunts et des contraintes phonotactiques. Il est devant une double difficulté : d’une part la découverte d’un code graphique (arbitraire), d’autre par le conflit phonologique de sa langue maternelle avec la langue écrite. Ici, pas de rgle universelle, mais des rgles idiosyncrasiques. Chaque locuteur, selon SA langue maternelle, fera tel type d’erreur de lecture. C’est encore plus évident lorsqu’un apprenti-lecteur sait déj lire dans sa langue et apprend la fois un autre systme linguistique et un autre systme graphique (par exemple un locuteur français qui apprend le russe). Il semble de plus en plus probable que l’apprentissage de la lecture doive s’appuyer sur la structure interne de la syllabe, et non sur des syllabes entires. En d’autres termes, la didactique de l’apprentissage devrait tre non-linéaire, et s’efforcer de développer la conscience infrasyllabique, c’est--dire celle des unités internes de la syllabe et de leur articulation. Mais cela ne suffit pas de le dire, faut-il encore le montrer. La partie suivante tentera de répondre cette attente. Jean-marc Muroni