La Place de la Syllabe Dans L`évolution de la Phonologie :

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La Place de la Syllabe Dans L`évolution de la Phonologie :
1La Place de la Syllabe Dans L’évolution de la Phonologie :
Rappels Théoriques et État des Lieux
A) LA PHONÉTIQUE
Bien avant la linguistique moderne, la description des langues a offert aux grammairiens un
terrain d’étude concret, matériel.
L’attachement  décrire de façon rigoureuse les sons de la parole a entraîné la nécessité d’une
terminologie spécialisée, de plus en plus précise, la plupart du temps (époque oblige) fabriquée 
partir de racines grecques.
Cette étude des sons de la parole a donc ciblé et étiqueté son objet : les phones.
Pour tre exhaustive, cette discipline (la phon...étique) a couvert les trois étapes du discours : la
production, la transmission, la perception.
Rapidement,
- la production : il s’agit de l’appareil phonatoire qui permet, par la combinaison
d’éléments physiologiques (langue, lvres, mais aussi larynx, nez, palais, dents, cordes vocales,
etc.) de produire des sons. Cette discipline est la phonétique articulatoire.
- la transmission : une fois émis par l’appareil phonatoire, le son correspond  une onde
acoustique, dont les propriétés physiques sont étudiées par la discipline appelée phonétique
acoustique.
- la perception : l’onde sonore (le son du langage) n’est reconnue que si,  cette dernire
étape, un systme, un appareil, permet de la réceptionner et de l’analyser physiquement. L’étude
de cet appareil auditif humain (qui va décoder les sons) se nomme la phonétique auditive.
On voit bien, depuis le début de mon propos, que les mots en “tique” prédominent. Ce n’est pas
un “tic verbal”, mais la conséquence terminologique d’une pratique scientifique : la description
statique.
Parce qu’elle est une description statique, la phonétique peut faire partie des sciences exactes : il
n’y a pas (il n’y a plus) d’interprétation du fait linguistique, mais une observation et une
description vérifiable par des instruments de mesure de plus en plus élaborés.
Cela n’empche pas, bien entendu, qu’un champ de la phonétique interprte les faits (tout en
restant scientifique) : il s’agit de la phonétique diachronique, celle qui essaie de montrer
l’évolution des sons d’une langue  travers les sicles (voir : “Des steppes aux océans”, d’André
Martinet), et mme les influences et changements phonétiques réciproques de plusieurs langues
en conflit.
Pour servir sa cause, la phonétique a mis au point un alphabet international, l’API, dont la
notation se fait entre crochets.
L’évolution des sciences en général va dans le sens de l’observation in vivo, et dans la recherche
de la compréhension des mécanismes.
 la recherche du “comment c’est ?” s’est substitué peu  peu la recherche du “comment ça
marche ?”.
La phonologie s’inscrit dans cette évolution.
B) LA PHONOLOGIE
On a vu que la phonétique s’était dotée d’un terme précis pour désigner les sons de la parole : le
phone.
La phonologie, qui ne voulait pas tre en reste de scientificité, a eu recours également  une
étiquette pour désigner non plus un son de la parole, mais un son de la langue, un son qui soit, au
niveau langagier, fonctionnel, c’est--dire qui possde une fonction distinctive, d’opposition. Le
terme ‘phonme’ s’est imposé, mais, au lieu de parler de phonétique fonctionnelle, on a retenu
l’idée de discours sur le son, c’est--dire la phonologie.
Relve donc de la phonologie tout son qui possde une valeur d’opposition avec les autres sons
de manire  engendrer un signifié.
Que je dise /Roz*/ ou /ROz*/, il y a un seul et mme mot (rose), et [o] [O] ne sont que la
réalisation d’un mme phonme /o/, qui s’opposera par exemple  /y/ dans “ruse”.
En revanche, le passage de /fo/ (faux)  /fOR/, parce qu’il relve d’une dynamique de la langue
qui fait s’ouvrir une voyelle dans les syllabes fermées, fait partie de la phonologie (il y a ici une
rgle de fonctionnement).
Comme la phonétique, la phonologie a aussi ses objets d’étude : la phonématique et la prosodie.
- La phonématique : c’est l’étude des unités distinctives de la langue, celles qui jouent un
rôle, une fonction d’opposition : par commutation sur un axe paradigmatique n/v + ous, ou par
permutation sur un axe syntagmatique ‘maraine’ ‘ramne’ (/maR7n*/, /Ram7n*/ ;
- La prosodie : domaine plus sr et plus délicat  la fois, la prosodie utilise des données
concrtes, donc sres (le temps pour la durée, les décibels pour l’intensité, et les hertz pour la
mélodie), mais pour aboutir  l’étude de l’accentuation et de l’intonation, notions déj plus
délicates car évoluant d’un locuteur  un autre ET liées directement au sens.
La phonologie, science humaine  part entire, a donc besoin de son propre systme de notation.
Ici, nul besoin de grande précision dans la notation des phonmes, puisque les phonmes
intgrent eux-mmes les variables allomorphes (par exemple /R/vaut aussi bien
pour /R/ , /r/, //, ces allophones n’ayant pas de valeur distinctive fonctionnelle, mais simplement
phonétique).
Plusieurs systmes de notation de la phonologie sont en concurrence, y compris l’utilisation de
l’API !
Pour ma part, le souci d’échanger les données et les travaux, souci qui implique la transmission
informatique, me fait pencher pour un alphabet phonémique hybride, simple et efficace car
universel pour les claviers d’ordinateurs, fondé sur l’alphabet phonémique de l’université de
Laval, modifié (/2/ pour //, /9/ pour /oe/, /7/ pour //, etc.).
En phonologie, les voyelles et les consonnes sont considérées du point de vue de leurs traits
distinctifs généraux.
Pour les voyelles, ces traits sont :
l’aperture (+- fermé : i # a)
l’antériorité (+- antérieur : u # ou)
la labialité (+- arrondi : i # u)
la nasalité (+- nasal : o#on)
et pour les consonnes :
le mode d’articulation (occlusive ou fricative, avec passage de l’air par la bouche, oral, et
par le nez, nasal, avec ou non vibration des cordes vocales, sonorité) ;
le lieu d’articulation (bilabiale, labio-dentale, apico-dentale, apico-alvéolaire, etc.).
Il reste le cas intermédiaire : les semi-consonnes, ou semi-voyelles, ou encore glides (glissantes).
En français, elles ne sont que 3, chacune orale et fricative :
/j/ (hier) : médio-dorso-palatale ;
/8/ (lui) : antérieure arrondie ;
/w/ (ouate) : postérieure arrondie.
Chacune de ces semi-consonnes est  rapprocher de la voyelle correspondante :
/j/................./i/
/8/................/y/
/w/.............../u/
Contrairement  la phonétique, la phonologie s’intéresse davantage  la dynamique des
consonnes et des voyelles, dont la fusion correspond, pour simplifier,  la syllabe.
Les syllabes du français sont ou bien ouvertes (elles se terminent par une voyelle prononcée
comme /m@to/ ‘manteau’) ou bien fermées (elles se terminent par une consonne prononcée,
comme /s7k/ ‘sec’). Nous étudierons plus loin le rôle et l’importance de la syllabe.
Pour résumer, et pour répondre  l’interrogation “étique ou émique ?”, les phonéticiens et les
phonologues sont des étrangers les uns pour les autres, mme si les phonologues sont bien
obligés de puiser dans les connaissances phonétiques en place.
La phonétique, science pourtant exacte, a ses limites. Tout simplement parce qu’elle n’offre
qu’une approche et une perspective descriptives, froides, fondées sur l’étude de la parole, sans
s’occuper de la langue.
La phonologie, au contraire, parce qu’elle étudie la langue qui est un systme de systmes, est
tournée vers la recherche de rgles générales, voire universelles. Elle ne s’attarde pas (trop) sur
les détails de surface (peu de signes diacritiques en notation phonémique), et cherche une logique
interne, une logique du contenu, un rapport entre la structure phonologique de la langue et les
manifestations cognitives des locuteurs.
La phonologie est, contrairement  la phonétique, linguistique.
Abstraite, elle tente d’élaborer des lois qui régissent le fonctionnement de la langue. Emique, elle
se focalise sur la dynamique de la langue.
La phonétique, quant  elle, concrte, étique, ne cherche pas  se présenter comme une discipline
théorique, mais comme une discipline purement descriptive.
Ainsi, le vingtime sicle a vu émerger et s’étoffer (parfois se complexifier, hélas) DES
phonologies parfois concurrentes, des phonologues de Prague jusqu’aux connexionnistes, en
passant par les chomskyens, bloomfieldiens et autres courants linguistiques.
(2)
LES CAPACITÉS HUMAINES
 travers les plusieurs milliers de langues répertoriées dans le monde, seulement une centaine de
sons ont été relevés, au total.
Une moyenne trs approximative établit  une trentaine les phonmes nécessaires  chaque
langue, avec bien entendu de grandes disparités, y compris au sein mme d’une mme langue.
Par exemple, en français standard, on s’accorde sur 32 phonmes (13 voyelles et 19 consonnes),
alors qu’en français méridional on en compte 26.
Mais il s’agit l de production, car l’homo sapiens sapiens est en fait capable d’entendre plus de
300000 sons différents, toutes fréquences et intensités confondues.
Mais entendre ne suffit pas  distinguer,  discerner suffisamment clairement des sons : les
contraintes auditives naturelles de l’tre humain ne le lui permettent pas (différenciation sonores
trop fines, vitesse d’émission plus rapide que la vitesse de réception et de décodage).
Paralllement, entendre et discerner un son n’implique pas automatiquement la capacité  le
reproduire, pour deux raisons : d’abord l’audition d’un son doit tre fréquente pour devenir
familire, ensuit les contraintes phonatoires ne trouvent pas l’élasticité (pour les cordes vocales)
et la souplesse (pour l’ensemble de l’appareil buccal) nécessaires  l’articulation et la production
de n’importe quel phonme.
Ces deux conditions (familiarisation et articulation) sont le fondement mme sur lequel s’appuie
la phonologie pour expliquer la diversité des langues et les variations  l’intérieur mme des
langues.
Cet ensemble de contraintes se catégorise  travers l’expression “contraintes phonotactiques”
(on peut se rendre compte des contraintes d’articulation lorsqu’on observe les traits distinctifs
nécessaires, les phmes, pour prononcer une voyelle).
Mais la parole est complexe, et le débit fait se combiner  grande vitesse des dizaines de phmes
 la suite, par groupes de 2  5 phonmes !
Les consonnes ne sont pas en reste, et sont aussi plus ou moins difficiles  prononcer. On a
l’habitude de les classer selon une échelle croissante correspondant au degré de tension
articulatoire (= l’échelle de consonanticité) :
/v,z,Z,R/ < /N,j/ < /n,m,s,S,g,d,b/ < /f,l/ < /k,t,p/
(3)
LES CONTRAINTES PHONOTACTIQUES
“... des degrés de l’ /o/ et du bain linguistique”
En perception, chacun peut faire l’expérience d’une suite de sons qu’il considérera comme
légale, valide, acceptable, dans sa langue maternelle, mme si le mot n’existe pas.
Des expériences ont montré,  partir de logatomes, que des locuteurs, mme enfants, étaient
capables de détecter si un mot était potentiellement dans le lexique de sa langue, simplement par
l’intuition que le mot “sonne bien”.
Par exemple, si je vous dis : “Dans le centre de la France, en 1967, on a capturé un ripola”,
quelle question me poseriez-vous ?
-------- > ‘c’est quoi, un ripola ?’
Vous aurez considéré que ce mot existe bien en français. Il “sonne bien” : CV+CV+CV.
Pourtant, ce mot n’a aucune existence, mme  travers les 37millions de mots de la base de
données “Corpatext”.
Autre exemple, si je vous dis : “Cultivé en région parisienne d’o il est originaire, le sdatli est
utilisé principalement pour la pâtisserie”. Quelle sera votre réaction ?
--------> ‘ce mot est bizarre, il “ne sonne pas bien”.
Effectivement, en français, ce mot n’est pas phonologiquement acceptable, car il n’existe pas
dans ces langues de structure
fricative sourde + occlusive sonore + voyelle, ni non plus d’occlusive sourde + liquide + voyelle.
Autre exemple : de ces deux mots, lequel est français ?
Excorier..............ou......... exgorier ;
Lustral................ ou........ luztral ?
Il y a des limites  la tolérance phonémique, et cette limite s’appelle une contrainte
phonotactique.
La suite de sons répond  des exigences coutumires d’une langue, et chaque mot de cette
langue, obéit  des lois de combinaisons.
Mais tout le monde sait que les langues flirtent les unes avec les autres, et qu’elles troquent.
Lorsqu’une langue reçoit d’une autre un nouveau mot, qu’on appelle emprunt, elle lui impose
toutefois une fouille “articulatoire”, sorte d’interdiction d’importation des séquences sonores
illicites.
Par exemple, si une L2 possde un mot avec une attaque branchante occlusive sonore + fricative
sourde (+voyelle), comme /dsa/, le locuteur français refusera /d/+/s/, et le modifiera en /d/+/z/ (la
rgle du voisement s’applique  la seconde consonne  cause du trait + voisé de la premire).
Cette contrainte phonotactique est bien sr valable en synchronie, mais rien ne dit qu’ la longue,
une suite phonémique illicite, ou mme un phonme seul illicite, ne soit pas au fil du temps
intégré(e)  la langue. Ce fut le cas en français pour le “ing” de parking. Son intégration entraîne
l’acceptation de tout un paradigme d’items formés sur le mme suffixe, comme shopping,
marketing, feeling, brushing, percing, monitoring, etc.
Les conflits entre langues existent également  l’intérieur d’une mme langue. La gestion de ces
contraintes, par des mécanismes complexes, entraîne des modifications propres  chaque langue,
et explique, entre autres, la grande variété des langues du monde, qui grent chacune  sa façon
l’ensemble des contraintes qu’elles s’imposent.
Cependant, il semble qu’une rgle universelle s’applique  toutes les contraintes phonotactiques
des langues : celle qui fait qu’une solution adoptée est adoptée parce qu’elle est la solution la
moins... contraignante !
Il ne s’agit toutefois pas d’une économie phonotactique, car on est l  un niveau qui n’est plus
segmental (autrement dit phonétique), mais suprasegmental. C’est la combinaison de segments,
i.e. de C et de V, qui a, plus, ou moins, de probabilité d’occurrence.
C’est l qu’on se rend compte que la phonologie et la phonotactique s’expriment dans la syllabe
(cf. Test04, plus bas).
L’ensemble des travaux en phonologie s’appuie sur et se réfre  la syllabe, autrement dit 
l’agencement,  l’ordre,  la distribution des phonmes. On voit l encore l’écart avec la
phonétique : avec la syllabe, la phonologie envisage des processus dynamiques dont les
constituants (les segments, les phonmes) sont interdépendants.
Par exemple, comment expliquer que le mot “médecin” se prononce /mets5/ ? Ici,
l’harmonisation consonantique oblige (contraint) l’occlusive sonore /d/  s’assourdir  cause de
la proximité de la fricative sourde /s/ : d –> t : __s (/d/ devient /t/ devant /s/).
Toutefois, on peut s’interroger sur cette option. En effet, puisque /d/ est perçu avant /s/, il devrait
l’influencer et provoquer sa sonorisation, et l’on devrait dire /medz5/.
Il n’est pas exclu que, pour certains locuteurs, une étude acoustique trs fine montrerait cette
réalisation.
Cet exemple de changement d’un phme (ici sonore > sourd) n’est pas le seul cas de
figure. Outre l’assimilation que l’on vient de voir, il y a aussi la dissimilation, l’élision de la
voyelle, l’épenthse, la troncation de la consonne, etc.
Mais la syllabe réserve d’autres surprises dues  sa configuration. Voici des exemples.
80% des syllabes du français sont ouvertes, ce qui signifie que 20% sont... fermées, autrement dit
qu’elles possdent une coda.
Automatiquement, par habitude, l’oreille francophone va souhaiter entendre une syllabe ouverte,
et, en lecture oralisée, j’ai pu observer (Test01, voir site Internet cité plus bas) qu’une syllabe
CVC (par, for, vur, ...) causera une erreur de type CVC > CCV (transformation d’une syllabe
fermée en syllabe ouverte par permutation consonantique) dans plus de 75% des cas, mais que
l’inverse (CCV > CVC) n’arrive presque jamais.
Cela permet d’expliquer certaines erreurs de lecture que l’on a parfois tendance, un peu
hâtivement,  attribuer  des pathologies particulires, comme la dyslexie phonologique.
Autre exemple des caprices syllabiques : la vitesse qui fait tourner la tte.
Tullet et Kelso ont fait répéter de plus en plus vite  des locuteurs la syllabe CV [ip].
Immanquablement, [ip] devient [pi], par recherche vraisemblablement d’une attaque
consonantique d’une part, et par l’évitement d’une coda.
Dans ce cas, mme si la structure VC est attestée en langue, un débit rapide de parole peut
transgresser la structure syllabique donnée, grâce  un principe universel de contour de sonorité
(exemple : spectacle > /spe.ktakl*/ en débit rapide, avec fermeture du /7/ en syllabe ouverte,
opposé  /sp7k.takl*/ en débit normal, avec ouverture du /e/ en syllabe ouverte).
On le voit, la syllabe subit aussi bien des contraintes par l’effet des fréquences, des
contraintes structurelles, et des contraintes universelles. Ces complexifications théoriques sont le
propre de la phonologie qui a pris la syllabe comme fondement d’étude.
(4)
LA SYLLABE, PICE MAÎTRESSE DE LA PHONOTACTIQUE
La syllabe vue de l’extérieur
On ne peut concevoir une analyse en contraintes phonotactiques sans s’appuyer sur la syllabe et
la coarticulation des ses éléments (ses segments C et V).
Dans le Test04, que je détaillerai plus tard, j’ai montré que la syllabe prédomine sur le phonme
dans les erreurs de lecture.
Mais voyons voir d’un peu plus prs ce qu’est une syllabe, ou du moins ce qu’on en dit.
Avant tout, la syllabe ne fait pas partie de la phonétique, mme si Grammont la définissait
comme “une suite d’apertures croissantes suivie d’une suite d’apertures décroissantes, le point
culminant étant le point vocalique”.
En fait, on n’arrive toujours pas  isoler phonétiquement la syllabe dans la chaîne parlée, c’est-dire que l’on est toujours incapable de déterminer, acoustiquement,  gauche et  droite de la
chaîne parlée, o elle commence, et o elle s’arrte.
Tout se passe comme si nous avions affaire  un continuum indécis et indécidable.
Trs tôt, Jakobson et Halle (1956) l’ont définie comme une unité phonologique constituée de
segments organisés entre eux, alors que Firth (1951) la voyait comme une unité suprasegmentale
d’organisation prosodique. D’ailleurs, chacun a une certaine conscience de la syllabe, et
l’identifie naturellement au rythme lorsqu’il scande une phrase. De mme, on parle de l’accent
d’un mot sur une syllabe, et non sur un phonme isolé.
Historiquement, les années 90 ont vu un engouement trs prononcé pour la syllabe, avec
toutefois des approches différentes et divergentes.
 titre indicatif, les théories les plus connues sont :
- la phonologie du gouvernement (Kaye, 1988) ;
- l’approche autosegmentale (Goldsmith, 1990) ;
- la phonologie de laboratoire (Browman et Goldstein, 1990) ;
- la théorie de l’optimalité (Prince et Smolensky, 193) ;
- la géométrie des traits (Clements et Hertz, 1996) ;
- la phonologie computationnelle (Angoujard, 1997).
Toutes ces théories ont en commun de voir en la syllabe une structure dynamique complexe dont
les limites ne sont pas  chercher  sa périphérie (o commence et o finit la syllabe ?), mais 
l’intérieur mme de la syllabe, par les propriétés intrinsques de ses segments.
Mon propos n’est pas ici de développer ces différentes théories, mais de m’en tenir aux
contraintes phonotactiques. Pour cela, quelques précisions supplémentaires sur la syllabe sont
nécessaires. Leur méconnaissance ne permettrait pas d’appréhender les contraintes
phonotactiques avec rigueur.
La syllabe vue de l’intérieur
On a vu que les tentatives de définition  l’extérieur de la syllabe ont été abandonnées. On
préfre étudier les propriétés combinatoires de ses constituants (consonnes et voyelles).
Ces constituants ne sont plus considérés de façon linéaire, chronologique, dans la chaîne
phonémique, délimités par des frontires.
Ils sont plutôt regroupés en un tout, en une unité phonologique, avec sa structure et ses rgles.
Cette approche non-linéaire de la syllabe a été mise en avant par Kahn (1976), Goldsmith (1976),
Liberman et Prince (1977), McCarthy (1979).
Domaine  part entire de la phonologie, la syllabe est vue comme une organisation abstraite de
segments spécifiques.
C’est sur cette organisation que s’appliquent des processus phonologiques, et non sur les
phonmes qui la constituent.
On parle alors d’unité syntagmatique (Kahn, 1976).
Sa représentation structurale peut tre la suivante :
syllabe
|
Attaque
Rime
|
|
|
|
Noyau Coda
|
|
|
“m”
“u”
“r”
Par cette représentation, les éléments de la syllabe apparaissent mieux en relation de dépendance
(Andersen et Jones, 1974). L’élément essentiel est le noyau, il domine la syllabe et gouverne
l’attaque et la coda.
Cette structure classique de la syllabe en attaque et rime est universelle, mme si certaines
langues autorisent des attaques vides. Il y a donc, selon les langues, une variation de la structure
syllabique, qu’il faut ‘absolument’ connaître pour étudier les contraintes phonotactiques.
Les variations sont les suivantes :
- l’attaque est obligatoire ;
- la coda est facultative (syllabe ouverte si absence de coda, et fermée si présence de coda) ;
- qualité du noyau (voyelle, diphtongue, voire consonne syllabique) ;
- attaque branchante ou non ;
- coda branchante ou non ;
- intolérance combinatoire (par exemple, pas de /tz/ en initial en français).
Quand on dit qu’une attaque est obligatoire, on peut penser aussitôt  des contreexemples : abricot, iris, etc.
Dans ces cas, on parle d’attaque vide, qui ne le devient plus par le phénomne de liaison (“les
abricots”) ou d’enchaînement (leur enfant).
La matire syllabique peut donc s’écrire :
{(A)N(C)}
Dans l’expression “elle est allée” on trouve 4 syllabes, et le caractre facultatif de l’attaque et de
la coda permet l’enchaînement puis la liaison /7.l7.ta.le/ au lieu de /7l.7.a.le/
On voit ainsi que le français évite de dévier de la structure canonique CV en contournant l’hiatus
par une redistribution syllabique des segments (Tranel, 1996, Oostendorp, 1997).
Par exemple : “de jolies images” ne sera pas dit /d*.Zo.li.i.ma.Z*/ (CV CV CV V CV CV)
mais /d*.Zo.li.zi.ma.Z*/ (CV CV CV CV CV CV).
On évite ainsi l’attaque vide, mais, dans d’autres cas, la contrainte phonotactique utilisera
d’autres stratégies pour rendre acceptable la syllabe (que l’on pense au japonais qui n’accepte
pas de branchante : il réparera la syllabe pour lui fautive en intercalant, par épenthse, une
voyelle entre les deux consonnes ; un mot comme /valtimo/ sera dit /valutino/, procédé qu’on
peut rapprocher du schwa en français, o “pneu” /pn2/ CCV devient /p*n2/, voire /p2n2/, de
structure CVCV).
On reviendra sur ces points plus tard, mais il est temps de fermer... notre syllabe.
(5)
LA SPE
Ds 1965 avec Lightner, puis Schane en 1967, la phonologie générative a une existence
officielle. Mais c’est évidemment Noam Chomsky et Morris Halle qui, en 1968, publient et
imposent leur Sound Pattern of English.
Cet ouvrage, essentiel, s’appuie sur le postulat que la langue, propre  l’espce humaine, est
innée (alors que le langage est acquis). Ce postulat entraîne nécessairement, induit, l’existence
d’une grammaire universelle qui formulerait,  travers des rgles de transformation, les étapes
allant des structures syntaxiques sous-jacentes (donc en langue) aux structures de surface (donc
en langage).
Ces rgles sont bien évidemment phonologiques, et ressemblent  la forme de base suivante :
x > y / w_z
(x se transforme en y dans l’environnement w  gauche et z  droite).
x > y est une matrice représentant un état hypothétique sous-jacent, et w_z est la sortie observée
(et donc phonétique) de surface.
Ce qui permet ces transformations, ce sont des traits distinctifs (les phmes, comme + sonore,
-arrondi, +tendu, etc.) qui vont entrer en conflit ou en complémentarité.
La dette envers Chomsky et Halle est immense. Ils ont su élaborer un outil pour expliquer le
fonctionnement dynamique de la langue et les variations de surface.
Mais une telle ambition ne pouvait pas tre satisfaite, quand on considre l’extraordinaire
complexité de la langue. D’autres théories ont emprunté  la SPE le principe de formalisation et
de rgle, comme la phonologie générative naturelle (Natural Generative Phonology, NGP), avec
Vennemann (1972 et Hooper (1973).
Le mouvement est lancé et, jusqu’ 1990, la modestie prend le dessus. On s’occupe davantage de
représentation, de mécanismes simples et universels, au détriment des rgles devenues trop
abstraites. Tout cela pour trouver réponse aux limites théoriques de l’approche
transformationnelle de la SPE.
Le cas extrme fut celui de la phonologie du gouvernement (Kaye, Lowenstamm, Vergnaud) qui
défendait un modle d’analyse o un systme phonologique ne posséderait pas de rgles, puisque
toute rgle particulire serait déj intégrée dans un modle universel.
Plus prometteuses, la TSCR et la TO offrent un cadre théorique finalement plus efficace.
Nous allons voir leur utilité dans la compréhension des contraintes phonotactiques.
(6)
TCSR et TO : KESACO ?
L’approche conceptuelle de la contrainte phonotactique est soutenue principalement par deux
courants : la TCSR et la TO.
La TCSR : théorie des contraintes et stratégies de réparation.
C’est un courant qui fait partie intégrante de la phonologie générative Carole Paradis (Laval,
Québec) a développé l’idée que les contraintes peuvent subir des transformations internes et
externes.
Internes, cela signifie propres au systme de la langue elle-mme. Par exemple, l’ouverture d’une
voyelle en syllabe fermée (beau /bo/ et bol /bOl/).
Externes, cela signifie en relation avec une langue seconde,  laquelle un emprunt entraîne un
conflit entre les deux systmes phonologiques. Par exemple, l’absence de /p/ en arabe dialectal
marocain provoque l’utilisation (en compensation) de /b/. /paRabOl/ sera dit /baRabOl/.
De mme, l’absence de certaines voyelles, qui existent en français, sera réparée par l’utilisation
d’une voyelle (neutre) de la langue arabe.
Réparer, voil le mot clef. Il s’agit bien de réparer une rupture entre le passage manqué d’une
langue  une autre.
Cette réparation peut tre une insertion (/b/ au lieu de /p/), ou un effacement (“automobile” dit
“tomobile,  cause de l’accent oxyton de la langue française, en conflit avec l’accent placé
différemment dans la langue emprunteuse, qui, plus est, privilégie une consonne en attaque, et
non une attaque vide vocalique).
Les stratégies de réparation sont observées avec une trs grande régularité chez les différents
locuteurs.
Ce fait tend  montrer qu’elles ne dépendent pas d’un contexte “idiosynchrasique”, et qu’elles
sont donc universelles. On rejoint l la phonologie générative dans la mesure o la TCSR peut se
permettre des généralisations et des rgles formelles du type
x>y/_z
ou
x > / _z
par exemple.
(en langue russe, certains suffixes de déclinaisons, attendus parce qu’ils relvent d’un cas
grammatical d’emploi, entrent en conflit avec le fin du radical du mot, et sont modifiés pour des
raisons phonologiques)
La TO : la théorie de l’optimalité.
Contrairement  la TCSR, la TO considre qu’une langue possde une phonologie constituée de
contraintes hiérarchisées. De ce fait, la forme de surface est celle dont le candidat sous-jacent
transgresse le moins l’ensemble des contraintes présentes en langue.
En d’autres termes, une langue serait constituée non pas de rgles successives auxquelles
s’adjoindraient, de temps  autres, des contraintes, mais un ensemble de contraintes qui
s’opposent jusqu’ trouver une solution non contraignante. Une sorte de consensus
phonotactique.
Il ne s’agit plus de produire une forme de surface pour réparer une incompatibilité ou une
absence, mais de produire une forme de surface non conflictuelle.
Pour simplifier  l’extrme, trois courants, trois approches, existent en phonologie :
- une phonologie générative aux structures universelles, avec des rgles de transformation
rigoureuses ;
- une phonologie générative aux structures universelles perturbées par des contraintes et
des réajustements ;
- une phonologie générative aux structures universelles contraignantes.
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QUELQUES INDICES ANNONCIATEURS DE L’IMPORTANCE DE LA SYLLABE
- Le rôle de la syllabe dans les contraintes est essentiel, et plus important qu’un phonme
isolé.
On sait (Segui, Frauenfelder, Mehler, 1981) que dans des mots  deux syllabes, la syllabe est
reconnue plus rapidement que le phonme. Par exemple, /ba/ est reconnu avant /b/ dans
“bateau”, ce qui signifie que l’attaque est un constituant, et non une amorce indépendante.
- De mme (Vroomen et De Gelder, 1999), on sait qu’en position d’attaque un phonme
consonantique est détecté moins vite qu’en coda. Cela conforte l’idée d’une prédominance
hiérarchique de l’entité syllabique sur ses constituants.
- La structure CV étant statistiquement la plus répandue, lorsqu’un locuteur rencontre une
suite CC, il aura le réflexe de la traiter en coda+attaque : /fut.bOl/ et non /fut.tbOl/.
- Dans la chaîne parlée, les mots sont liés. Il arrive alors qu’une coda licite précde une
attaque licite ( /Z#/+/f_/), mais les deux ensemble sont illicites (* /Zf/).
Il y a modification du /Z/ en /C/, et cela peut engendrer, au niveau des mécanismes de décodage
de l’écrit subvocalisé, des erreurs de lecture.
- Les langues ont pour certaines des frontires syllabiques non ambiguës, claires, comme
le français et les autres langues latines.
D’autres langues (l’anglais, le japonais) n’ont pas de frontire syllabique, et la coupe du mot se
fait par l’accent qui est variable.
L’effet syllabique, et donc les contraintes phonotactiques ayant pour origine la syllabe,
concernent la premire catégorie de langues.
- Les consonnes peuvent tre classées selon une échelle de consonanticité, et les voyelles
sur une échelle de sonorité. De ce fait, l’attaque chercherait le phonme le plus consonantique, et
la rime le phonme le plus sonore.
Cette hiérarchie peut devenir, si elle se trouve menacée, une contrainte phonologique qui
engendrerait des rectifications dans la distribution syllabique (que ce soit dans un groupe
consonantique ou dans un agrégat consonantique, au sens de Pulgram, 1965).
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CONTRAINTES ET APPRENTISSAGES
- L’apprentissage de la lecture est particulirement complexe, et si des enfants peuvent, 
l’extrme, arriver  apprendre  lire seuls en ayant su trouver la corrélation symbolique qu’il y a
entre l’oral et l’écrit, il n’en reste pas moins que pour les autres l’apprentissage est long et semé
d’embches.
Et cela est vrai surtout pour les locuteurs d’une langue alphabétique. Ds 1968, Makita a montré
que les troubles de lecture touchaient trs peu les enfants japonais. On ne parle gure de
dyslexiques au Japon, alors que tous les pays dont le systme de la langue est alphabétique sont
confrontés  ce problme (environ 4  5 % des apprentis-lecteurs).
- Pour de plus en plus de chercheurs (Moras, Content, Alegria, ds 1986) c’est la conscience
phonologique qui serait le préalable  la lecture. Il y a un lieu de causalité entre les deux, et faire
l’économie de la conscience de la rime et du phonme est impossible.
Lorsque la langue apprise n’est pas la langue maternelle, on imagine bien qu’un second systme
phonologique entre en jeu, et engendre des contraintes.
La connaissance de la phonologie des deux langues, en particulier celle de Lo, est nécessaire
pour comprendre les erreurs de lecture (Cf. Conférence de Libreville, sur le site Internet cité).
- Le français écrit présente une contrainte supplémentaire : son systme de converntion phonographologique, selon Veroni (1988) ne permet d’écrire de façon transparente que la moitié des
mots. Que l’on pense  “f” et “ph” pour /f/, ou “in, ein, ain” pour /5/ !
Le systme phonologique maternel est trs puissant. Ds 4 jours, un nouveau-né est sensible  sa
langue maternelle (en opposition  une autre langue dotée d’une prosodie différente).
Des précautions expérimentales ont été prises et ont permis d’exclure le rôle du lexique ou des
phonmes isolés (par une méthode de filtrage des phrases, au niveau acoustique).
De mme, l’étude du rythme du babillage chez des enfants de 8  10 mois, en France, en Algérie,
en Angleterre, a montré que ces productions se calquaient sur celles du langage ambiant. On peut
donc envisager, de la part des enfants en bas-âge, une intégration précoce du systme
phonologique de leur langue maternelle, et, par contre coup, un rejet ou une ignorance, des
systmes étrangers (en fait, des systmes non présents).
De cette façon, le nourrisson retient les séquences légales de sa langue. Toute ingérence
phonologique étrangre sera perçue comme une agression qu’il faudra contrer, plus tard, par des
stratégies de défense, ou, selon la TCSR, de réparation.
Mais il existe également une stratégie de réparation qui consiste  ignorer la séquence illégale
étrangre, de façon involontaire, en perception : pour un Lo d’une langue comme le français, la
distinction des tons en chinois est non pertinente  l’oreille. De mme, un locuteur japonais ne
discerne pas [l] et [r]. Peut-on dans ce cas parler de contrainte ? Une contrainte peut-elle tre
systématiquement inconsciente ?
 l’oral, la contrainte est relativement consciente, car le locuteur est gné en réception, il le
ressent de façon physique, acoustique, concrte. De mme, en émission, il aura difficulté 
prononcer certains sons.
En lecture, tout est différent, tout simplement parce qu’il y a un systme codifié intermédiaire :
l’écrit.
L’apprenti-lecteur focalise son énergie  déchiffrer. Il n’est pas conscient de ses emprunts et des
contraintes phonotactiques. Il est devant une double difficulté : d’une part la découverte d’un
code graphique (arbitraire), d’autre par le conflit phonologique de sa langue maternelle avec la
langue écrite.
Ici, pas de rgle universelle, mais des rgles idiosyncrasiques.
Chaque locuteur, selon SA langue maternelle, fera tel type d’erreur de lecture.
C’est encore plus évident lorsqu’un apprenti-lecteur sait déj lire dans sa langue et apprend  la
fois un autre systme linguistique et un autre systme graphique (par exemple un locuteur
français qui apprend le russe).
Il semble de plus en plus probable que l’apprentissage de la lecture doive s’appuyer sur la
structure interne de la syllabe, et non sur des syllabes entires. En d’autres termes, la didactique
de l’apprentissage devrait tre non-linéaire, et s’efforcer de développer la conscience infrasyllabique, c’est--dire celle des unités internes de la syllabe et de leur articulation. Mais cela ne
suffit pas de le dire, faut-il encore le montrer. La partie suivante tentera de répondre  cette
attente.
Jean-marc Muroni