Uber : révolution ou taxi illégal?

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Uber : révolution ou taxi illégal?
LE JOURNAL – BARREAU DU QUÉBEC
FÉVRIER 2015
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Uber : révolution ou taxi illégal ?
Marc-André Séguin, avocat
Le « transport citoyen » doit bien boucler sa ceinture : il aura vraisemblablement droit à une série de débats
politiques, législatifs et juridiques au cours des années à venir, selon bon nombre d’observateurs.
Le service est en apparence simple et fonctionne au moyen d’une application
téléchargeable sur un téléphone intelligent, par exemple. L’utilisateur peut alors faire
appel à un chauffeur en un simple clic et suivre son trajet en temps réel grâce à son GPS.
L’application fournit également des informations concernant le chauffeur et sa plaque
d’immatriculation, et transmet par courriel à l’utilisateur un reçu détaillé à la fin de la
course. Puisque toute la transaction se fait en ligne via les comptes de l’utilisateur et du
conducteur, le paiement est également automatiquement débité de la carte de crédit de
l’utilisateur, pourboire inclus. De là proviennent les plus sévères critiques à l’égard d’Uber,
décriant d’abord le fait que son accès est limité aux personnes ayant les moyens de s’offrir
les outils technologiques requis pour accéder à ses plateformes tels le téléphone intelligent,
la tablette ou l’ordinateur. On parle également de pratique illégale et déloyale du taxi.
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Uber ne laisse personne indifférent. Elle n’a pas encore six ans, et pourtant, l’entreprise
qui a commencé en 2009 en tant que start-up en Californie est aujourd’hui la cause
d’une crise sans précédent dans l’industrie du taxi, voire même du transport, un peu
partout dans le monde. Ses partisans la défendent comme une innovation offrant aux
usagers un nouveau mode de transport abordable et une qualité de service d’une
efficacité et d’une facilité hors du commun.
En effet, bien qu’Uber se présente comme une entreprise opérant une application mobile
mettant en contact des parties distinctes, son service va plus loin et transgresse la loi, selon
Me Louise Baillargeon, avocate pratiquant en droit des transports : « Les chauffeurs offrent
et effectuent du transport rémunéré à l’aide d’une automobile, mais sans permis, alors qu’il
Si certains sont tentés de décrire le débat actuel comme une lutte entre David et
s’agit d’une activité encadrée par la loi1 qui exige un permis de propriétaire de taxi. »
Goliath, il ne faudrait pas se méprendre sur la comparaison, poursuit l’avocate.
« Uber est installé dans plus de 50 pays, jouit de l’appui de Google et représente une valeur
Aussi controversée soit-elle, Uber gagne du terrain dans l’esprit de 40 milliards de dollars américains. Cette entreprise a donc les reins solides. Il faut que le
des législateurs. Aux États-Unis, l’entreprise est rapidement gouvernement établisse des règles, mais surtout pas au détriment de toute une industrie. »
devenue le moyen favori des membres du Congrès américain et
du personnel pour les courses en deçà de 100 $, et ce, malgré la
controverse entourant ce service dans plusieurs villes du pays.
L’avocate, qui d’entrée de jeu se défend de se poser en opposition à une forme de
concurrence, estime qu’il est important de rappeler les règles en vigueur, et s’inquiète
qu’on finisse par minimiser la pratique actuelle du taxi par les détenteurs de permis
en bonne et due forme. « À Montréal, il en coûte 250 000 $ pour obtenir un permis de
taxi, sans compter l’achat d’une voiture. Un investissement important, qui se traduit par
un actif que les chauffeurs n’ont pas envie de voir dévalué. La pratique du taxi n’est
pas facile. Pour faire ses frais et arriver à joindre les deux bouts, on parle souvent de
journées de 12 à 15 heures de travail au quotidien, sans compter les risques associés
comme les vols et les agressions. »
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Plusieurs invitent toutefois à la prudence dans les moyens à prendre. Dans une
allocution fort remarquée à l’automne dernier, le commissaire de la concurrence,
John Pecman, a louangé Uber comme étant un « exemple d’innovation encouragée
par l’accès direct des consommateurs à des services par l’entremise des téléphones
intelligents » entrevoyant que de tels changements « entraînent fréquemment un
remaniement des règlements et des lois qui alimentent des débats publics intenses ».
Il a aussi rappelé qu’il était important « d’éviter de paralyser des pratiques
innovatrices favorables à la concurrence ». Une intervention que Me Baillargeon juge
néanmoins « déplacée », puisque le Bureau de la concurrence n’intervient pas dans des
industries réglementées comme celle du taxi.
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Néanmoins, pourquoi l’industrie du taxi n’innove-t-elle pas pour faire face à la menace
et offrir un service compétitif et susceptible de plaire davantage à la clientèle ? L’ironie,
note Me Baillargeon, repose dans la réglementation dont le cadre est à ce point strict
qu’il limite la marge de manœuvre des exploitants autorisés. « Cette réglementation
a été mise en place pour protéger le client. Il n’y a aucun doute que l’industrie
pourrait innover, mais encore faut-il un cadre qui l’autorise et l’encourage. » Un autre
obstacle, avance-t-elle, réside dans le manque d’organisation des associations de taxi
en comparaison avec la structure sophistiquée d’Uber. Le message et la réponse des
taxis s’en trouvent forcément moins efficaces.
Cela dit, les forces d’Uber pourraient jouer contre l’entreprise elle-même. En effet,
l’un de ses attraits, selon plusieurs utilisateurs, repose sur une tarification compétitive et
que l’entreprise détermine unilatéralement. Mais lorsqu’une prise d’otages a terrorisé
le centre-ville de Sydney en Australie en décembre dernier, le site d’information
Mashable a rapporté qu’Uber a exigé plus de quatre fois le tarif ordinaire aux passagers
fuyant le centre-ville. Bien que l’entreprise se soit alors défendue sur Twitter en affirmant
que l’objectif de la hausse était « d’inciter les conducteurs à s’inscrire en ligne pour
aller chercher des passagers dans le quartier », l’entreprise a finalement offert de
rembourser les clients touchés. La déferlante de critiques n’a pas pour autant tardé sur
les médias sociaux.
Aussi controversée soit-elle, Uber gagne du terrain dans l’esprit des législateurs.
Aux États-Unis, l’entreprise est rapidement devenue le moyen favori des membres
du Congrès américain et du personnel pour les courses en deçà de 100 $, et ce, malgré
la controverse entourant ce service dans plusieurs villes du pays. Une étude publiée
en novembre dernier par la firme d’affaires publiques Hamilton Place Strategies montre
que la part de marché d’Uber pour le transport du personnel électoral du Congrès
américain est passée de 0 % en 2010, à 61 % en 2014.
Plus près de chez nous, le ministre des Transports, Robert Poëti, a rencontré,
le 16 décembre dernier, les dirigeants d’Uber Montréal, rencontre au terme de laquelle
le ministre a exprimé son ouverture à revoir la réglementation applicable à la pratique
du taxi, spécifiant que les activités menées entretemps par Uber étaient considérées
comme étant illégales.
Encore faut-il que cette position soit appuyée par des gestes concrets, estime
Me Baillargeon, qui suggère la saisie des voitures offrant un service qui contrevient à la
Loi concernant les services de transport par taxi.
La filiale montréalaise d’Uber n’a pas donné suite aux demandes d’entrevue du Journal
du Barreau.
Uber dans le monde
Uber sème la controverse à peu près partout où elle s’installe : présente dans plus
de 250 villes et quelque 50 pays, l’entreprise fait face à de plus en plus de barrières
dans divers marchés ou municipalités.
En Espagne, un tribunal a interdit son service tout comme les autorités gouvernementales
de la Thaïlande, de la Corée du Sud et de la France, ainsi qu’à Berlin et Hambourg.
L’entreprise est également visée par des règlements, notamment aux Pays-Bas.
Dans la ville de New Delhi, le service est interdit depuis qu’un conducteur
aurait violé une passagère. Des litiges sont également en cours au Danemark,
en Norvège, et en Belgique. Aux États-Unis, la ville de Portland a récemment porté
plainte contre Uber et plusieurs recours sont envisagés dans d’autres villes pour
violation de réglementation ou sous l’angle de compétition déloyale.
1 Loi concernant les services de transport par taxi