L`expertise militaire au service des forces,

Transcription

L`expertise militaire au service des forces,
27
REPORTAGE
L’expertise militaire au service des forces,
mais pas seulement
« La connaissance au service des
forces », tel est le slogan de l’Irba,
Institut de recherche biomédicale des
armées. Mais fort de son expertise,
l’Institut ne compte pas moins
de quatre Centres nationaux de
référence (CNR), au service de la santé
publique. À Marseille, le CNR arbovirus
et le CNR associé paludisme nous ont
ouvert leurs portes. Reportage.
D
© EB
© EB
ans les couloirs de l’hôpital militaire
Marseille, HIA Laveran (hôpital d'instruction des armées), les
blouses blanches croisent les uniformes. Ici tient ses quartiers l’équipe résidente de
recherche en infectiologie tropicale, regroupant le Au printemps 2012, l'équipe résidente de recherche en infectiologie tropicale de l'Irba a quitté le Pharo pour s'installer l'hôpital
CNR des arbovirus et le CNR associé paludisme. militaire Marseille Laveran.
Comme la moitié de l’équipe arbovirus et parasitologie qui travaille dans l’antenne marseillaise
de l’Irba (cf. encadré 1), le Pharmacien en chef Bruno Pradines,
j’ai étudié dans le civil et travaille sur le paludisme depuis ma
responsable du CNR associé
sortie de la fac. J’étais au CNR à Paris avant de venir faire mon
paludisme et chef de l’Unité
service militaire à Marseille à l’Institut de médecine tropicale du
de parasitologie et d’entoService de santé des armées, Le Pharo, justement pour continuer
mologie, est militaire. « Je
à participer à cette activité. Et ça fait 19 ans que je suis là ! Plus
suis pharmacien-chercheur,
d’opportunités, de responsabilités, plus de terrain ! » De son côté,
Isabelle Leparc-Goffart, « pure civile », est chercheur, détachée
Isabelle Leparc-Goffart, responsable du CNR
du ministère de la Santé depuis 8 ans, chef de l’équipe résidente
des arbovirus et Bruno Pradines, responsable
de recherche en infectiologie tropicale et responsable du CNR des
du CNR associé paludisme.
arbovirus.
Institut de recherche biomédicale des armées (Irba)
Général Daniel Garin, Médecin Général, directeur adjoint de l’IRBA.
« L’Irba, créé en mars 2009, regroupe différents centres de recherche
du Service de santé des armées. L’ensemble, divisé en quatre pôles
– Nucléaire, radiologique, chimique ; Maîtrise du risque infectieux ;
Recherche médicale opérationnelle ; Facteurs humains – sera installé
à terme dans de nouveaux locaux à Brétigny en Ile de France (entièrement opérationnels en 2015).
L’Irba travaille sur des problématiques qui concernent l’activité et
l’environnement spécifique des militaires (contraintes thermiques
fortes, risque chimique militaire) et qui ne sont pas une priorité de
santé publique. Il existe deux types de risques : le risque naturel
(arbovirus, paludisme) et le risque agressif, terroriste essentiellement.
L’idée est de maintenir et entretenir une compétence pour intervenir
si une crise survient. Le transfert des compétences avec le civil est
automatique. L’expertise de nos services a ainsi servi à la rédaction
du ‘Plan national de réponse à une menace de variole’. La différence
tient surtout au financement, qui dépend de la Défense (sauf pour les
CNR également financés par l’InVS) et au fait qu’une partie du personnel est militaire, donc mobilisable pour des opérations à l’étranger,
notamment dans des zones où le risque est trop élevé pour y envoyer
des civils. Sinon, le travail est identique : appel d’offres, publications
scientifiques, brevets et valorisations de brevets. »
Biologiste infos ❘ Octobre-Novembre 2013
28
29
REPORTAGE
REPORTAGE
Le moustique sous les projecteurs
À Marseille, l’équipe est mixte : six techniciens de laboratoire,
dont cinq militaires, et quatre cadres, dont un militaire, collaborent au quotidien.
Les moustiques sont les principaux vecteurs de maladies, dans
les régions tropicales et intertropicales. « Nous étudions les protéines présentes dans la salive des différents moustiques pour les
identifier ensuite chez l’homme, explique Bruno Pradines. Pendant
quatre ans, nous avons suivi 23 compagnies militaires sur place.
Nous analysions leur sérum avant, pendant et après les missions,
pour savoir s’ils avaient été ou non en contact avec le moustique.
Cela nous a permis de montrer que la plupart d’entre eux (90 %),
y compris ceux qui se protégeaient (répulsifs, vêtements, moustiquaires), étaient en contact avec les moustiques. Ces derniers
s’adaptent et piquent dorénavant plus tôt dans la soirée et plus
tard dans la matinée pour « contourner » le recours à la moustiquaire. Nous prélevons également les moustiques là où sont nos
militaires pour identifier quelles espèces sont présentes selon les
endroits. L’exposition change parfois radicalement à seulement
quelques kilomètres de distance. Nous examinons ensuite si ces
moustiques sont porteurs de paludisme ou d’un arbovirus. Ainsi,
nous savons combien de moustiques par nuit sont susceptibles de
piquer nos hommes, et parmi eux, le pourcentage de moustiques
porteurs de maladies. »
Olivier Flusin, 42 ans, militaire,
médecin en chef, MD-PhD
Chef d’unité adjoint de l’Equipe
résidente de recherche en infectiologie tropicale (Errit), responsable adjoint du CNR des
arbovirus
« J'ai fait mes études de médecine à Lyon, d'abord à l’Ecole du
Service de Santé des Armées (ESSA), puis à la faculté de médecine,
après le concours. Des études dans le civil, avec un accent sur
la médecine d’urgence et la médecine tropicale tout en suivant
un parcours militaire. Puis j’ai exercé notamment au Kosovo, à
l’Hôpital des Invalides et en Côte d’Ivoire, avant de m'orienter vers
la recherche en biologie et biochimie des agressions. Aujourd’hui,
je prépare un internat de biologie médicale pour aller vers le
diagnostic. Je suis davantage spécialisé en virologie, mais je suis
aussi formé en parasitologie ce qui me permet de travailler sur
les deux CNR de Marseille et mon statut de militaire me permet
d’accomplir des missions là des troupes françaises sont déployées. »
Le CNR associé paludisme surveille notamment le niveau de résistance aux anti-paludiques et évalue
l'efficacité des tests de diagnostic.
4 CNR au sein de l’Irba
• CNR Charbon (anthrax) à Lyon [1]
• CNR Poxvirus à Lyon [1]
• CNR associé Paludisme, entre Brétigny et Marseille [2]
• CNR Arbovirus, à Marseille [2]
[1] Jusqu’à ce que l’installation des labos P4 soit achevée à Brétigny.
[2] Jusqu’à la fin du mandat de CNR (en 2017)
recherche académique et très peu rentables pour l’industrie, l’armée
développe ses propres recherches. Les traitements médicamenteux
utilisés en prophylaxie contre le paludisme ont en effet souvent été
développés par l’armée française ou américaine, avant d’être repris
par l’industrie. » Même constat avec les arbovirus. « Nous avons
développé notre expertise dans des régions où ne vivent pas de ressortissants français et où il n’existe pas de recherche à proprement
parler. » Une spécificité militaire, qui est aussi un atout : « Nous
bénéficions des nombreux prélèvements réalisés sur nos troupes
en Afrique, explique Isabelle Leparc-Goffart. Cela nous confère
un niveau de surveillance unique dans cette région du monde. »
Surveillance, détection et
diagnostic
« Pour les arbovirus, nous faisons surtout de la surveillance et de
la détection, car les outils thérapeutiques n’existent pas, ou peu,
Octobre-Novembre 2013 ❘ Biologiste infos
Christine Prat, 31 ans, civil, agent sous-contrat, PhD
Responsable adjointe du CNR arbovirus
« Je suis arrivée en septembre
2012 à Marseille. je travaillais auparavant dans le secteur privé en Angleterre où
j’étais chargée de transfert de
technologie : adaptation des
découvertes universitaires au
format privé et industriel. J’ai
répondu à une annonce de
recrutement de l’Irba attirée
par les problématiques militaires et de santé publique en virologie.
Je trouve beaucoup d’intérêt ici dans l’application des recherches :
le contact avec le terrain est direct, le travail est plus contextualisé. Autre motivation pour moi, le sentiment de participer à une
mission d’intérêt public, en collaboration avec l’InVS, et non dans
une logique de génération de profit. Le fait que le ministère de
la Défense nous dote des moyens qui nous sont nécessaires est
un autre avantage ! »
© EB
© EB
© VD
© EB
Selon Bruno Pradines, le paludisme causerait 660 000 morts par
an dans le monde. Dans les armées, il touche près de 400 militaires
par an ; de décembre 2011 à décembre 2012, trois soldats en sont
morts. « Afrique, Guyane, Asie… Outre les touristes, nous sommes
les plus gros pourvoyeurs de cas du fait de notre présence lors
d’opérations extérieures de maintien de la paix. Mais comme
les pathologies tropicales ne sont pas porteuses au niveau de la
Militaires et Civils travaillent ensemble
explique Isabelle Leparc-Goffart. Nous menons des études de
séroprévalence pour dresser des cartes de risque, à destination
des militaires mais aussi de la santé publique. Nous avons couvert la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie bientôt, le Maroc, et des
prélèvements sont en cours au Mali. »
En tant que CNR des arbovirus, l’équipe participe à deux plans
nationaux : depuis le 1er juin, le plan de surveillance du West Nile
Civils et militaires travaillent en équipe, le statut militaire facilitant les déplacements sur le terrain.
surveiller le niveau de résistance aux antipaludiques dans les pays
où séjournent les troupes françaises et d’évaluer l’efficacité des tests
de diagnostic du paludisme : « Au Sénégal, nous avons observé
que certains parasites avaient muté et n’étaient plus reconnus par
certains tests de diagnostic rapide mis sur le marché. Des militaires
présentant des parasitémies très élevées, demeuraient négatifs au
test de diagnostic rapide ! », indique Bruno Pradines. L’équipe a en
effet relevé une augmentation de ces parasites non reconnus : de 0 %
en 2009 à 16 % en 2011. « Nous essayons de voir si ce phénomène
se reproduit ailleurs en récupérant des souches d’un peu partout
et en travaillant sur de nouveaux tests. »
Et bien-sûr, la recherche
© EB
Le terrain, une nécessité mais
aussi un atout
© EB
Élodie Barakat
« Il existe une centaine d'arbovirus, mais on ne sait en diagnostiquer qu'une trentaine. Par conséquent
nous travaillons à étoffer notre arsenal d'outils diagnostiques », explique Isabelle Leparc-Goffart.
et Toscana dans tous les départements du Sud de la France et le
plan Chikungunya-dengue, démarré au 1er mai pour surveiller
l’émergence du chikungunya et de la dengue : « Dès qu’un cas est
détecté, les prélèvements doivent nous arriver accompagnés d’une
fiche clinique complète, d’autant que cette année, le vecteur - le
moustique Aedes albopictus aussi appelé moustique tigre - est
présent dans 17 départements ! »
Le développement et l’évaluation des kits de diagnostic font partie
des autres attributions du CNR arbovirus : « Il existe une centaine
d’arbovirus ; mais on ne sait en diagnostiquer qu’une trentaine.
Par conséquent, nous travaillons à étoffer notre arsenal d’outils
diagnostiques. Nous procédons aussi à un transfert technologique,
surtout vers les hospitaliers pour les cas les plus courants (dengue
et chikungunya). »
Le CNR associé du paludisme a pour mission, entre autres, de
Les principales thématiques de recherche sur les arbovirus sont
les facteurs de virulence de la dengue, et du chikungunya : « Par
exemple, dans certaines épidémies, il y a plus de cas d’arthralgies
persistantes à long terme. Nous essayons d’identifier les protéines
spécifiques mises en jeux pour ce type de pathologie », explique
Isabelle Leparc-Goffart.
Les recherches de l’unité paludisme sont avant tout centrées sur
l’étude de la résistance des parasites : « Nous évaluons une quinzaine
d’antipaludiques administrés, en prophylaxie et en thérapeutique
et cherchons à identifier des résistances, soit par test in vitro, soit
en biologie moléculaire. » Et ce, sur les souches importées et sur
le terrain. « Gabon, Niger et Sénégal où nous avons un laboratoire
d’étude de la chimiosensibilité du paludisme… Au total, nous
travaillons avec une vingtaine de pays en Afrique. En partageant
nos données à l’international, nous pouvons ainsi établir une
cartographie des résistances », ajoute Bruno Pradines.
« Etre nommé CNR par l’InVS en 2012 a constitué une reconnaissance de notre expertise scientifique par le civil, explique Isabelle
Leparc-Goffart, mais notre objectif premier reste avant tout de
répondre aux besoins de nos troupes. » ■
Biologiste infos ❘ Octobre-Novembre 2013