Les règlements sur la marque communautaire, et sur les

Transcription

Les règlements sur la marque communautaire, et sur les
Les règlements sur la marque communautaire, et sur les dessins ou
modèles communautaires, et leurs «raisons particulières».
Dans le règlement sur la marque communautaire (ci-après «le RMC»),
l’expression «raisons particulières» est utilisée dans trois dispositions:
l’article 98, paragraphe 11, l’article 100, paragraphe 12 et l’article 100, paragraphe 23.
Dans le règlement sur les dessins ou modèles communautaires (ci-après
«le RDC», cette expression est employée dans deux articles: l’article 89, paragraphe 1, et l’article 91, paragraphes 1 et 2.
On peut aisément établir une équivalence entre les articles cités des
deux textes juridiques, compte tenu de la similitude de leurs contenus respectifs:
article 98, paragraphe 1, du RMC ----------avec article 89, paragraphe 1, du RDC.
article 100, paragraphe 1, du RMC---------avec article 91, paragraphe 1, du RDC.
article 100, paragraphe 2, du RMC---------avec article 91, paragraphe 2, du RDC.
Les tribunaux des marques communautaires ne sont concernés que par
deux de ces dispositions, car l’article 100, paragraphe 2, se réfère à la procédure
introduite auprès de l’Office aux fins d’une demande en déchéance ou en nullité,
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Article 98 du RMC: «1. Lorsqu'un tribunal des marques communautaires constate que le défendeur a contrefait ou menacé de contrefaire une marque communautaire, il rend, sauf s'il y a des raisons
particulières de ne pas agir de la sorte, une ordonnance lui interdisant de poursuivre les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon. Il prend également, conformément à la loi nationale, les mesures propres
à garantir le respect de cette interdiction. 2. Par ailleurs, le tribunal des marques communautaires applique
la loi de l'État membre, y compris son droit international privé, dans lequel les actes de contrefaçon ou de
menace de contrefaçon ont été commis».
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Article 100, paragraphe 1, du RMC: «Sauf s'il existe des raisons particulières de poursuivre la
procédure, un tribunal des marques communautaires […] sursoit à statuer […] lorsque la validité de la
marque communautaire est déjà contestée devant un autre tribunal des marques communautaires par une
demande reconventionnelle ou qu'une demande en déchéance ou en nullité a déjà été introduite auprès de
l'Office».
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Article 100, paragraphe 2, du RMC: «Sauf s'il existe des raisons particulières de poursuivre la
procédure, l'Office […] sursoit à statuer […] lorsque la validité de la marque communautaire est déjà
contestée devant un tribunal des marques communautaires par une demande reconventionnelle …».
et aux «raisons particulières» que celui-ci pourrait apprécier pour poursuivre la
procédure.
Les articles cités requièrent un travail d’interprétation de la part des tribunaux des marques communautaires, puisqu’ils font dépendre l’application
d’une conséquence juridique de l’existence ou non de «raisons particulières»
dans le cas d’espèce objet de la procédure.
Au vu de l’expression indéterminée («raisons particulières»), il vient immédiatement à l’esprit la question suivante:
Les
tribunaux
des
marques
communautaires
sont-ils
en
droit
d’interpréter, à leur libre arbitre, dans chaque cas d’espèce, ce qui constitue ou
non les «raisons particulières» prévues dans les dispositions? En d’autres termes, le système judiciaire accepterait-il, en matière de marque communautaire,
diverses interprétations de la part des tribunaux nationaux, sur ce qui constitue
ou non, à l’égard de mêmes faits, ces «raisons particulières»? Des interprétations diverses concernant des cas semblables ou identiques seraient-elles recevables?
Rappelons1, avant de poursuivre, que:
1.
Toute juridiction concernée dispose du pouvoir de poser à la
Cour de justice des Communautés européennes (ci-après «la
Cour de justice») une question relative à l’interprétation d’une
règle de droit communautaire lorsqu’elle l’estime nécessaire
pour résoudre un litige dont elle est saisie.
2.
Cependant, une juridiction nationale dont les décisions ne
sont pas susceptibles de recours juridictionnel interne est en
principe tenue de saisir la Cour de justice d’une telle ques-
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Compte tenu de son intérêt, nous annexons la note informative (à caractère purement informatif, non contraignant) de la Cour de justice sur l'introduction de procédures préjudicielles par les juridictions nationales, publiée au Journal officiel du 11 juin 2005 htpp://europa.eu.int/eurlex/lex/JOHtml.do?uri=OJ:C:2005:143:SOM:FR:HTML. Cette note informative peut être consultée à partir
de cette page dans les différentes langues de l’Union européenne.
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tion, sauf lorsqu’il existe déjà une jurisprudence en la matière
ou lorsque la manière correcte d’interpréter la règle communautaire apparaît de toute évidence.
La première juridiction à avoir saisi la Cour de justice de la question relative à l’interprétation de l’article 98, paragraphe 1, du RMC est une juridiction
suédoise.
Non seulement la Cour de justice a-t-elle interprété la disposition susmentionnée, dans le cadre défini par la juridiction nationale, mais elle a également saisi cette occasion pour, comme nous allons le voir, réitérer la vigueur des
principes de droit communautaire.
Les conclusions intéressantes que l’on peut dégager de l’arrêt en question sont exposées ci-après.
Pour des raisons purement méthodologiques et aux fins de l’exposé,
nous nous référerons uniquement aux raisons particulières citées à l’article 98.
Réflexions extraites de l’arrêt de la Cour de justice du 14 décembre
2006
dans l’affaire Nokia
Affaire Nokia: importation par un tiers, de la république des Philippines
en Suède, de «flash stikers» (autocollants pour téléphones portables qui clignotent lorsque le téléphone sonne) portant la marque Nokia, enregistrée en tant
que marque communautaire et en tant que marque nationale suédoise par Nokia
Corp.
Litige: la société titulaire de la marque communautaire, Nokia Corp, a introduit une action en justice à l’encontre du tiers en demandant que lui soit interdit, sous peine d’amende, d’utiliser dans le cadre de son activité commerciale,
des signes susceptibles de créer une confusion avec la marque suédoise et
communautaire Nokia.
Juridiction suédoise de première instance (tingsrätt): cette juridiction a
fait droit à la demande et a considéré qu’il avait été porté atteinte à la marque
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communautaire. Étant donné l’intention déclarée de l’importateur de poursuivre
l’importation des produits concernés, la décision a été prise d’interdire la réalisation de tels actes, sous peine d’amende.
Juridiction suédoise de deuxième instance (Svea hovrätt): cette juridiction a confirmé le critère selon lequel il avait été porté atteinte à la marque communautaire et qu’il existait un risque de réitération de ces actes de contrefaçon à
l’avenir. Cependant, dans la mesure où l’importateur n’avait pas commis de tels
actes auparavant, il ne lui a été reproché qu’une faute de négligence, et cette
juridiction a considéré qu’il n’y avait pas lieu de lui infliger une interdiction.
Juridiction suédoise de cassation (Högsta domstolen): à l’issue du pourvoi formé par Nokia, cette juridiction a décidé de suspendre la procédure et de
saisir la Cour de justice d’une série de questions préjudicielles, relatives à la notion de «raisons particulières» visée à l’article 98 du RMC et aux mesures pouvant être adoptées pour garantir le respect de cette interdiction.
Principes généraux réitérés par la Cour de justice dans l’arrêt Nokia
1. Principe d’application uniforme du droit communautaire.
2. Principe d’égalité.
Selon la Cour de justice, il découle de ces deux principes que les termes
d’une disposition du droit communautaire qui ne comporte aucun renvoi exprès
au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et
uniforme.
Cette interprétation doit être recherchée en tenant compte du contexte
de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause.
Dans le cas contraire, la disposition qui laisserait planer un doute sur son
sens et sur sa portée pourrait être interprétée différemment dans les divers États
membres, ce qui pourrait donner lieu à des conséquences différentes dans des
circonstances identiques. Dès lors, la protection garantie aux marques communautaires ne serait pas uniforme sur tout le territoire de la Communauté, ce qui
serait contraire au deuxième considérant du RMC, dans lequel il est dit littéralement que le règlement a pour objet de conférer aux entreprises «… le droit d'ac4
quérir […] des marques communautaires qui jouissent d'une protection uniforme
et produisent leurs effets sur tout le territoire de la Communauté».
Sur la base de ces prémisses, la Cour de justice conclut que la notion de
«raisons particulières» visée à l’article 98 doit recevoir une interprétation uniforme dans l’ordre juridique communautaire.
L’article 98 du RMC: son contenu.1. Il y a lieu de souligner le caractère éminemment impératif de
l’article 98 du RMC. Cette disposition prévoit l’obligation de rendre, sauf s'il y a
des raisons particulières de ne pas agir de la sorte, une ordonnance interdisant
au défendeur de poursuivre les actes de contrefaçon, et établit également
l’obligation d’adopter les mesures propres à garantir le respect de cette interdiction.
Il convient de remarquer que le RMC renvoie aux ordres juridiques nationaux pour la réglementation des actions en contrefaçon d’une marque communautaire (article 14, paragraphes 1 et 2, du RMC), mais le titre X n’énonce,
spécifiquement, aucune d’entre elles.
Comme chacun sait, à chaque action typiquement protectrice des marques sont assorties des conséquences qui lui sont habituellement inhérentes.
L’une des actions normalement exercées en cas de contrefaçon d’une
marque communautaire vise à interdire au défendeur de réaliser les actes
d’infraction; action qui implique en conséquence, sous réserve qu’il y soit fait
droit, qu’il soit adressé au défendeur un ordre lui interdisant de poursuivre les
actes de contrefaçon.
Cependant, et il s’agit là d’une particularité significative, le législateur
communautaire a prévu, d’une manière spécifique, l’interdiction de réaliser à
l’avenir des actes de contrefaçon, en configurant celle-ci d’une manière autonome et en ne la soumettant ni au principe dispositif, ni à l’initiative de la partie.
Son caractère autonome émane, comme nous l’avons dit, du fait qu’elle
est expressément visée dans le RMC.
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Le fait que le RMC la qualifie de «sanction» signifie qu’il ne s’agit pas
d’une action mais d’une conséquence des actes de contrefaçon ou de menace
de contrefaçon de la marque communautaire.
S’agissant d’une «sanction», l’initiative de la partie n’est ni obligatoire, ni
nécessaire pour être imposée par la juridiction. Nous avons précédemment souligné le caractère impératif de cette disposition. Si l’on qualifie l’interdiction de
sanction, comme le fait le RMC, il n’est pas obligatoire d’en faire la demande
pour que les tribunaux soient tenus de l’imposer, car la disposition est claire en
ce sens.
En résumé:
a) Le RMC présente l’interdiction de la poursuite des actes de contrefaçon comme une sanction. Il découle de cette particularité:
b) qu’il existe dès lors une obligation de la part des tribunaux des marques communautaires d’imposer l’interdiction bien que le demandeur n’en fasse
pas la demande;
c) qu’il existe l’obligation d’adopter les mesures propres à garantir le respect de l’interdiction, sans que les tribunaux des marques communautaires ne
soient toutefois tenus à l’initiative de la partie; il s’agit d’une «obligation absolue»
selon la teneur littérale de l’arrêt;
d) que la sanction d’interdiction devra donc être adoptée obligatoirement
après constatation des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon de la
marque communautaire;
e) que l’exception à cette règle générale sera subordonnée aux «raisons
particulières» pour ne pas appliquer l’interdiction.
2. Quels actes de contrefaçon doivent-ils être interdits au défendeur?
L’interdiction peut-elle frapper tout acte de contrefaçon que le défendeur
pourrait réaliser à l’avenir, même s’il ne s’agit pas strictement de ceux qui ont été
réalisés précédemment et qui sont à l’origine de la décision du tribunal, ou faut-il
la limiter exclusivement à ces actes antérieurs?
Les deux thèses pourraient être soutenues.
Le fait que la sanction consistant à interdire la réalisation d’actes de
contrefaçon puisse s’appliquer non seulement aux actes constatés jusqu’à la
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date concernée, mais à tous autres qui seraient effectués par le défendeur, avec
des variantes plus ou moins accentuées, permettrait une protection plus ferme
de la marque communautaire et protégerait dans une plus grande mesure ses
titulaires, lesquels ne seraient pas tenus, à l’égard des contrefacteurs tenaces
(véritables parasites des marques de tiers), d’engager des procédures successives pour infraction pour des faits non identiques aux faits antérieurs. Il suffirait, si
le contrefacteur a modifié, dans une mesure plus ou moins large, le contenu ou
la forme de l’acte d’infraction, que le demandeur s’adresse au tribunal ayant
adopté les mesures propres à garantir le respect de l’interdiction (ou à celui qui
serait compétent en conséquence du lieu de réalisation des faits), porte à la
connaissance de celui-ci les faits nouveaux et demande que soit exécuté le
contenu de l’ordre d’interdiction, y compris par l’adoption de mesures nouvelles
ou différentes.
La deuxième possibilité (l’interdiction se limiterait uniquement aux actes
réalisés antérieurement et ayant motivé la décision) est peut être plus en accord
avec le texte du règlement (qui utilise l’expression «actes de contrefaçon ou de
menace de contrefaçon») mais est moins audacieuse, et laisse clairement
l’initiative au contrefacteur.
Arrêtons-nous un instant sur les menaces de contrefaçon de la marque
communautaire et sur les contrefacteurs «pris à temps», permettant dès lors au
titulaire d’obtenir la décision d’interdiction. Les menaces d’actes de contrefaçon
ne sont généralement pas, de par leur nature même, des actes définitifs, achevés, mais préparatoires aux fins d’infraction. Or, si l’ordre d’interdiction se référait
uniquement aux menaces d’actes de contrefaçon, et non à d’autres qui, avec le
même effort, pourraient en découler, le titulaire de la marque se verrait dans une
situation certainement délicate. Il convient en effet de prendre en compte qu’en
termes strictement monétaires, la contrefaçon est très rentable dans de nombreux pays. Le contrefacteur tenace, intéressé par une marque communautaire,
est comparable au voleur qui s’intéresse à une maison, une moto ou une montre: tant qu’il n’aura pas satisfait son désir, «il ne se tiendra pas tranquille». Or,
cet individu qui a planifié son infraction, même «pris à temps», peut envisager de
pouvoir répéter la menace de contrefaçon par des actes différents, exploitant
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même éventuellement l’investissement réalisé jusqu’alors, étant donné que
l’interdiction dont il fait l’objet ne frappe que les actes préparatoires déjà réalisés.
C’est pourquoi la solution qui consiste à pouvoir étendre l’interdiction, d’une manière plus ou moins générique, aux actes de contrefaçon susceptibles d’être réalisés par le défendeur à l’avenir (rappelons que l’interdiction, par sa nature
même, «est tournée vers l’avenir») protégerait d’une façon plus ferme et décisive
le système de la marque communautaire.
Quelles sont ou peuvent être ces raisons particulières, selon
l’interprétation faite par la Cour de justice de l’article 98 du RMC? Comment doivent-elles être appréciées?
1. L’allégation et la preuve permettant d’assurer qu’il existe des raisons
particulières suffisantes pour ne pas émettre l’ordre d’interdiction au défendeur
appartient audit défendeur. À défaut d’alléguer et de démontrer l’existence de
ces raisons, la règle générale sera applicable. L’arrêt énonce que la «… preuve
relative aux agissements potentiels du défendeur dans l’avenir serait difficile à
rapporter pour le demandeur et risquerait de priver d’effet le droit exclusif que lui
confère sa marque communautaire». On ne peut exiger du demandeur qu’il
prouve qu’il existe un risque évident ou illimité de réitération des actes.
2. Dans les cas où le risque de réitération de la contrefaçon ne serait pas
évident ou manifeste, le tribunal des marques communautaires sera tenu, et
malgré ces circonstances, d’émettre l’ordre d’interdiction. La Cour de justice a
indiqué que ces circonstances ne constituent pas des raisons particulières pouvant motiver la non-application de la règle générale.
3. En d’autres termes, si à l’issue de la procédure, et indépendamment
du fait que le demandeur ait demandé ou non la sanction d’interdiction, le défendeur n’a pas obtenu la preuve de l’inexistence absolue du risque de réitération
des actes, le doute sur l’importance ou la réalité d’un tel risque étant dès lors
maintenu, le tribunal des marques communautaires devra imposer cette sanction.
4. Dans l’arrêt du cas d’espèce, la Cour de justice indique un exemple
d’inexistence de risque qui conduirait à considérer l’existence d’une «raison par8
ticulière»: le fait que le demandeur, titulaire de la marque communautaire, postérieurement aux actes d’infraction, perde ses droits en conséquence d’une introduction à son encontre d’une demande en ce sens.
5. La circonstance dans laquelle le droit interne prévoirait une sanction
pénale pour le cas où le contrefacteur de la marque réitérerait les actes de
contrefaçon constituerait-elle une raison particulière?
La Cour de justice, qui répond par la négative, avance les raisons suivantes:
a) l’expression «raisons particulières» fait référence à des situations de
fait et non de droit;
b) l’application du principe général selon lequel les tribunaux des marques communautaires doivent, sauf exception, rendre une ordonnance interdisant de poursuivre les actes de contrefaçon, dépendrait du contenu du droit national applicable, de sorte que, dans le cas des États membres dont la législation
nationale prévoit des sanctions de ce type, ils seraient «alors systématiquement
dispensés de rendre une ordonnance interdisant au défendeur de poursuivre les
actes incriminés, sans même avoir égard aux spécificités factuelles de chaque
affaire»;
c) la sanction de l’article 98 établie par un tribunal des marques communautaires, associée aux mesures propres à garantir le respect de l’interdiction,
possède, en tant que décision de justice, un effet de dissuasion supérieur à
l’interdiction générale d’actes de contrefaçon.
5. Dès lors, les mesures devront être adoptées par les tribunaux des
marques communautaires, même dans les cas d’interdiction générique prévus
dans la législation nationale et de prévision de sanctions pénales en cas de réitération.
6. Finalement, la Cour de justice a également indiqué, en relation avec
les mesures pouvant être adoptées pour garantir le respect de la sanction
d’interdiction, que les tribunaux des marques communautaires sont tenus
d’adopter les mesures propres à cet effet, quand bien même, en vertu de la loi
nationale, celles-ci ne pourraient pas être adoptées dans les cas de contrefaçon
analogue d’une marque nationale.
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