Reflets du vide dans une page blanche
Transcription
Reflets du vide dans une page blanche
DOMINIQUE PETITJEAN Reflets du vide dans une page blanche Reflets du vide dans une page blanche Une folle histoire du vide créateur cinquièmement, l’effacement dans l’espace. Rien, cette écume, vierge vers Stéphane Mallarmé. Reflets du vide dans une page blanche “Rien”, depuis cette réminiscence par laquelle le hasard de ce qui suit commence ne serait sans la page blanche imposant cette césure franche que pour claironner un autre “je” dans l’espace, quitte à plagier le premier mot de l’œuvre complète du poète, votre corps voué à la rime s’efface. Alors qu’un premier jet délivre bien souvent un sésame à la pensée réfrénée par la blancheur immaculée de la page où aucun mot bienveillant ne résonne ni pour soi, ni pour personne, avant que mon désappointement ne bascule dans le découragement, j’ouvre l’ébauche jusqu’à son terme pour que, dans une phrase subsiste, le rien qui persiste. Quand l’urgence est venue pour mon esprit de se dédoubler du cadre blanc de la page qui reste immuable dans son image, la justesse de la phrase reflétant la dissolution de mon attention dans cette vision se réfère, non pas à notre monde qui s’épuise, mais au vide qui l’englobe. Reflets du vide dans une page blanche Assis au bord de moi-même j'interroge ma page blanche déversant son vide en mon sein quand bien même des mots, sous la forme avenante d’une phrase coulante, restituent la teneur des faits sous un aspect trompeur. J’aimerais tant que l’être désespéré, lorsqu’il plonge sa plume manquant d’usage dans le vide de sa page qui engloutit les autres vies que jamais il ne saisit, trouve une réponse élégante à la nécessité de son geste. Si des bribes d’ennui finissent par s’agréger c’est moins pour détacher mon hébétude de la blancheur indifférenciée de la page où les heures passent sans y laisser de trace que pour pointer la véritable nature de ce vide intérieur que ma plume déplace en permutant des mots. Reflets du vide dans une page blanche Nos pensées nous apparaissent-elles à mesure que prend forme l’objet qui nous y amène ? comme la présente s’ébauche à partir de la page blanche aspirant mon esprit dans un vide que ne traverse aucun signe si bien que pour y mettre fin, avec les mots requis, je l’écris. Du fait que je n’ose m’aventurer, sans connaître par avance les mots qui s’en suivent, que dans l’aire vierge d’une rame de papier, une enfilade de phrases sophistiquées conforte ma psyché dans son effort de trouver, en avançant dans le vide insondé d’une page blanche, en elle un contenu. Je me laisse inventer par le vide attirant des pages étant donné que ma plume, n’ayant rien de plus à dire, ne peut être dissociée de ce qui l’attend. Reflets du vide dans une page blanche Appréhendant que la blancheur floue de la page que je fixe là où mon regard se perd ne soit plus, au terme de mon attente, qu’un indéchirable silence, avec les mots qui remonte du fond de mon oubli par intermittence je comble un vide que j’éprouve depuis l’enfance. Ma page blanche, en imposant son vide comme point d’ancrage au ballotage de ma psyché qui s’est réfugiée, dès mon jeune âge, dans le langage, me permet de démêler le rien qui dans l'écriture m'arrive. Comme un long silence noté au début d’une partition, la blancheur questionnante de la page s’étire jusqu’à ce que s’entende la complainte qui sourd du vide chaque fois que ma plume en manque de sujet s’en empare. Reflets du vide dans une page blanche Je suis cet insensé qui, faute d’histoire à raconter autre que cette gageure de restituer dans une poésie forcée l’inanité de sa pensée, embrasse l'envers de sa face sur sa page vierge de trace après s’être approché du silence impénétrable que son miroir lui tend. Si je réussis, en moulinant comme une crécelle ma ritournelle, à déposer des mots sur une vie absente, c'est parce que l’enfant qui s’attardait dans le silence qui le rattrapait après chaque rime gentille qu’il alignait, déjà, oubliait d’être. Remonterais-je du vide de ma page des apories sans queue ni tête si ma main, pour seconder mon esprit qui s’évanouit avec la forme inaboutie lorsqu’il la poursuit en lui, outillée d’une plume, ne démêlait le fil des mots de la phrase qui, tant que dans son déroulement une logique ne vient, boucle sans fin ? Reflets du vide dans une page blanche Bien qu’aucune certitude ne m’oblige à me séparer d’une phrase heureuse, le vide recouvré de ma page suspend ma plume et s’impose à mes yeux si un alignement de mots qui en appelle d’autres d’aussi lumineux, s’écarte de l’orbe déclinante de ce poème et de ma vie qui s’y consacre. En dehors de soutirer d’une page blanche le vide qu’en moi j’y vois, ma plume ne récolte rien qui puisse contrebalancer mon absence d'imagination lorsque celle-ci me devance de quelques mots sur des feuilles de papier promptement chiffonnées. Nombre de feuilles de papier, raturées, déchirées, brûlées, redeviennent plus encore ce rien dans lequel ma pensée, emportée par sa folie de contenir le vide inépuisable dans une prose aimable échoue, car seule la beauté de la forme scelle la véracité du contenu. Reflets du vide dans une page blanche Si au-devant de ma plume ignare ne se retrouvait, en haut à gauche d’une nouvelle page blanche, du vide autant que nécessaire, mon poème s’accroîtrait-il ? Maintenant que le vide s’est installé autour de moi pour donner vie à ce poème je ne sais plus, privé de pages blanches, ni quoi faire, ni surtout où aller. Ce blanc dormitif de la page je le retrouve inchangé à mon réveil même si, avec des phrases improbables, sur lui ma plume revient car ne doutant que celui-ci, une fois transposé sur le plan de la pensée, ne réapparaisse comme un vide nécessaire aussi bien au corps ajouré d’une lettre que pour isoler les mots du chaos. Reflets du vide dans une page blanche Comme je méconnais, avant de l’entreprendre, la tournure torse où le vide de ma page se love, je gauchis la phrase insaisissable qui n’arrive à dépasser l’affirmation de son début jusqu’à ce que celle-ci, sans rien rajouter à ma pathologie, se détache de mon esprit. Anticipant votre souhait de ouïr le fond de ma pensée aussi distinctement que le reflux des vagues dans un coquillage, j’évide les phrases de ce poème des lieux communs qui parasitent ce que je découvre par moi-même jusqu’à ce que la fibre nacrée de la feuille de papier transparaisse au travers des mots. Contrairement à la page blanche où des mots finissent par mettre en avant sa surface vierge puisqu’indispensable au bricolage des pensées extrêmes de ce poème, mon esprit, afin d’être constamment disponible aux évolutions des tournures gourdes des phrases balourdes reste vide comme la rime introuvable ou alors une stupide. Reflets du vide dans une page blanche Conscient que privé d’une rame de papier ce grimoire ne serait qu’un silence intérieur ignoré je ponctue, la plume à la main, sur des feuilles où bruissent les phrases de mon retour au rien, une entêtante prosodie qui me poursuit. Chargée de circonscrire sur le moindre bout de papier un vide qui, sans le secours des mots, envahirait le ciel ma plume ne fait, en se pliant au rituel de cette hérésie, qu’enjoliver le rien auquel me ramènent les phrases menées à bien de ce poème. Ne sachant quel vide de la page blanche ou de moi-même s’ajoutera à mon poème avant qu’une tournure recherchée n’ait capturé la pensée disputée, je triture la phrase inconsistante qui, tant que sur ma page le reste, dans le même état me laisse. Reflets du vide dans une page blanche Seule ma plume qui, au-delà de l’élan brisé de ma pensée, ordonne par à-coups les mots comme il sied dans des formules appréciées, m’extirpe du vide qui me happe quand je poursuis dans ma tête la phrase évanescente qui m’échappe. Si les atermoiements de ma psyché ne m’avait détourné des chemins de la vie en commun pour l’impasse d’une poésie qui, sur l’heure, vous requière pour défricher l’espace attenant aux contours des éléments qui y apparaissent, ma page blanche encouragerait-elle ma pensée en bout de course à aller plus avant dans le vide ? Puisque mon esprit ne peut, dans la contemplation d’une page blanche, se maintenir à l’infini dans le vide, les quelques mots griffonnés dans des temps espacés convergent vers la pensée qui s’en dégage pour, une fois la phrase achevée, respirer la durée son souffle. Reflets du vide dans une page blanche Trop vieux pour m’insérer dans une quelconque activité accélérant la fuite en avant de ce monde en marche, ma page blanche retient mon esprit dans un vide que la nature a en horreur, sinon comment m’expliquerais-je, idiot toujours en quête de la pensée dispersée dans des bribes de phrases inachevées, les bluettes qui y fleurissent. Dans un premier temps je superpose, pour différencier mon esprit du blanc de la page, la surface vierge de ce carré de papier au vide illimité où, précipité, le monde se crée puis s’anime ensuite, confortée par cette théorie, la trace zigzaguante d’une phrase fuyante. Convaincu que les mots du premier jet visant une pensée précise ne peuvent tourbillonner à la recherche d’une formule concise sans que ne les recueille la surface vierge d’une feuille, je remplis ma page blanche de la nécessité de son vide et, cafouillages et ratures me servant d’arguments, plusieurs enrichissent mon poème du rien de son commencement. Reflets du vide dans une page blanche Dois-je attendre que mon poème ait épuisé les tournures plaisantes des phrases redondantes qui trompent, tour à tour, le temps qui passe dans ma tête accompagné d’aucun mot, pour que le vide de la page laisse sa place au monde avant que je ne meurs. Du jour où je ne ressentirai plus le besoin d’isoler la vacuité de mon être du vide illimité où s’éteignent, après avoir brillé comme le poème épuisant la matière noire d’une pensée, les éléments qui le peuplent, les pages blanches seront derrière moi. Ce poème dont les phrases ne réclament, pour boucler sur le présupposé de leur début que ce n’est qu’à l’aune de l’espace disponible que s’imbrique leur tournure, ni la maîtrise de la rime, ni celle de la belle prose, en s’articulant autour du vide fécond des pages blanches à venir a pris le pas sur ma pensée. Reflets du vide dans une page blanche Toute nouvelle phrase reprenant, pour le développer, le contenu de la précédente, ce poème donne corps, comme l’argile s’évasant sous les doigts du potier, au vide qui l’a fait naître. Puisque la prouesse de la phrase qui ressort de ce grimoire varie à mesure que la faiblesse de sa forme, par manque d’adresse, se modifie, plutôt que de rapporter une destruction créatrice du monde dans une poésie seconde, je m’en tiens à une conception du vide générant les énoncés qui le fondent. Après avoir traversé avec peu d’instruction d’indécents poèmes en prose qui en conservent la trace, le mouvement tourbillonnant de ma pensée se rapproche, sur le recto verso des pages, du vide qui l’anime. Reflets du vide dans une page blanche En intégrant le vide ordinairement refoulé dans son avancée, chaque nouvelle phrase de ce poème déploie sur le papier le cheminement d’une pensée qui, pour être partie de rien, ne rime à rien. Se tarira-t-elle la source de la folie de mon esprit de s’acoquiner avec des phrases perfides bouclant sur du vide puisque ce n’est que lorsque je reviens corriger les imperfections de leur forme contre lesquelles, brut, mon esprit bute, que celles-ci me dévoilent leur subtilité. Le jour où je ne m’attaquerais plus, pour un mot de travers, à la première phrase tordue qui me cherche, les feuilles de papier gribouillées que je bouchonne resteraient-elles pour autant la page blanche que je fixe tant que ne s’y rajoute, dans une formule quintessenciée, le rien qui me passe par la tête. Reflets du vide dans une page blanche Sans le support de ma page, le contenu attendu de la phrase tordue n’évoluerait vers le vide et le temps de la vie qui me passe entre les doigts à attendre que des mots parlent à des yeux sans ma voix, je n’en ferais don à la déraison. Et si des pages blanches, bientôt froissées par mon image, la singularité de ma pensée ne résultait pas ? le plus sage serait, en faisant vœux de silence d’effacement et d’oubli, de renoncer aux victoires sur une vie dérisoire de cette poésie qui, pour une promesse d’être dans la lettre, accentue l’écart entre le corps et l’esprit. Je ne cherche plus à être le poète pour qui sa pensée ardue, sans le support d’une page blanche, resterait tue, puisque la trace d'aucun écart entre l'image que je vois et le vide en moi ne se déploie pour que dans la vie tu ne sois pas, bats mon cœur bats mon cœur bats … Reflets du vide dans une page blanche poème relu et modifié le lundi 16 janvier 2017 Reflets du vide dans une page blanche Cahier édité aux dépens d'un amateur en vue d’un usage strictement personnel et non-marchand à la date du lundi 16 janvier 2017 ➤ Pour me contacter ➤ Pour une visite de mon site internet ➤ Pour votre propre don actant votre satisfaction et vos encouragements