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LA MÉMOIRE DES FORÊTS
Actes du colloque
« Forêt, archéologie et environnement »
14 - 16 décembre 2004
Cet ouvrage est dédié à la mémoire de Jean-Claude Rameau,
Professeur à l’Ecole Nationale du Génie Rural des Eaux et des Forêts,
co-organisateur du colloque Sylva 2004, décédé le 6 octobre 2005.
LA MÉMOIRE DES FORÊTS
Actes du colloque
« Forêt, archéologie et environnement »
14 - 16 décembre 2004
Textes réunis et présentés par
Jean-Luc DUPOUEY, Etienne DAMBRINE,
Cécile DARDIGNAC, Murielle GEORGES-LEROY
Coédité par l’Office national des forêts, l’Institut national de la recherche agronomique et la
Direction régionale des affaires culturelles de Lorraine
© Tous droits réservés 2007
ISBN : 978-2-84207-319-0
Cet ouvrage a été imprimé sur papier certifié PEFC
Toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, de la présente publication, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite (article
L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle) et constitue une contrefaçon.
L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Français d’Exploitation du droit de Copie (CFC) - 20, rue des GrandsAugustins -75006 PARIS - Tél. : 01 44 07 47 70 / Fax : 01 46 34 67 19
Illustration de couverture : Antoine Carton
Crédits photos des chapitres : p. 19, 173, 261 ONF, p. 97 Laure Laüt
Conception et réalisation : imprimerie ONF
Table des matières
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
9
Quelques évolutions récentes des relations entre archéologie, forêt et environnement
Jean-Luc Dupouey, Etienne Dambrine, Cécile Dardignac, Murielle Georges-Leroy . . . . . . .
9
Le géographe et les archéologues des sylvosystèmes
Jean-Pierre Husson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
15
1ère partie : Évolution des paysages forestiers et usages
anciens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Transmissions et transformations dans les formes parcellaires en France
Esquisse d’un schéma général d’interprétation
Gérard Chouquer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
21
Pédoanthracologie, dynamiques de végétation et anthropisation dans les Hautes-Vosges
(Massif du Rossberg, Haut-Rhin, France)
Stéphanie Goepp, Dominique Schwartz, Michel Thinon, Christian Jeunesse . . . . . . . . . . .
35
Impact environnemental des activités paléométallurgiques sur la forêt du Morvan
(région du Mont-Beuvray). Résultats croisés des analyses pollinique et géochimique.
Isabelle Jouffroy-Bapicot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
45
La forêt jurassienne au cours des deux derniers millénaires à la lumière de quelques
diagrammes polliniques
Emilie Gauthier, Hervé Richard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
57
Analyse pollinique de la mardelle d’Assenoncourt (Moselle, France) : impact des pratiques
agricoles sur la biodiversité végétale en milieu forestier
Pascale Ruffaldi, Frédéric Ritz, Hervé Richard, Etienne Dambrine et Jean-Luc Dupouey . . . . . .
69
Etude xylologique et typologique des tablettes à écriture antiques en bois à partir
des découvertes faites à Saintes (Charente-Maritime)
Nima Saedlou, Monique Dupéron . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
79
Eco-histoire de la Forêt de Pinus nigra Arnold ssp. Salzmanni (Dunal) Franco
de Saint-Guilhem-le-Désert (Hérault, France)
Jean-Louis Vernet, Anaïke Meter, Lamri Zéraïa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
87
5
2ème partie : Caractérisation des occupations anciennes en
forêt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
Caractérisation des sites antiques dans les forêts du Berry et du Bourbonnais
Laure Laüt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
99
La forêt de Brotonne dans l’antiquité
Marie-Clotilde Lequoy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
Les parcellaires anciens fossilisés dans les forêts lorraines
Murielle Georges-Leroy, Dominique Heckenbenner, Jean-Denis Laffite, Nicolas Meyer,
avec la collaboration de Etienne Dambrine et Jean-Luc Dupouey . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Etat actuel des connaissances sur les sites archéologiques forestiers du Châtillonnais :
l’exemple des parcellaires
Yves Pautrat, Dominique Goguey . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
Le bois des Saints-Pères à Cesson (Seine-et-Marne)
Alain Senée, Dominique Robert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
Toponymes témoins de l’histoire de la fronde (1648-1652)
Alain Senée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
Les apports du laser aéroporté à la documentation de parcellaires anciens fossilisés par la forêt :
l’exemple des champs bombés de Rastatt en Pays de Bade
Benoît Sittler, Karl Hauger . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Biodiversité et archéologie : une étude interdisciplinaire en forêt de Rambouillet (Yvelines, France)
Thomas Vigneau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
3ème partie : Impact des occupations anciennes . . . . . . . .173
Impact des anciennes formes d’utilisation sur les sols forestiers dans les Vosges et en Forêt Noire
Katrin Bürger . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
Impact des usages agricoles antiques sur la végétation en forêt de Saint-Amond :
interaction avec le traitement sylvicole actuel
Jean-Luc Dupouey, Delphine Sciama, Jean-Denis Laffite, Murielle Georges-Leroy,
Etienne Dambrine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
Communautés végétales révélatrices de sites archéologiques dans les forêts du nord de la France
Guillaume Decocq . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
6
Stations forestières et archéologie aux Sources de la Seine
Eric de Laclos, Michel Mangin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
Impacts anthropiques anciens sur les sols forestiers. Quelques études de cas en contexte
archéologique et expérimental
Anne Gebhardt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
Bioindication végétale des sites archéologiques en Limousin et en Forêt d’Orléans
Axel Ghestem . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
Impact de l’habitat du Bas Moyen Age du Goënidou et de son parcellaire associé sur
l’environnement actuel : approche par une étude de végétation (Berrien, 29)
Quentin Lemouland, Gwenhaël Perrin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
Le projet “Saint Martin”. La mémoire du sol : restitution d’un paysage ancien par mesure
de l’impact de l’occupation et de pratiques agraires anciennes sur le fonctionnement actuel
du milieu biophysique.
Jean-Louis Maigrot, Patrice Beck, Gérard Chouquer, Pierre Curmi, Etienne Dambrine,
Jean-Luc Dupouey, F. Faucher . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245
Effets à long terme des pratiques agricoles sur les populations d'arthropodes : inventaire
du site de Thuilley-aux-Groseilles (54)
Anne Vallet, Michel Loubère, Hervé Jactel, Gilles Jacquemin, Jean-Claude Streito,
Luc Plateaux, Thierry Robert, Nicolas Kaminski, André Claude, Etienne Iorio,
Jean-Luc Dupouey, Etienne Dambrine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255
4ème partie : Gestion des sites archéologiques . . . . . . . . .261
La prise en compte du patrimoine archéologique dans la gestion forestière
L’exemple de l’Île-de-France
Cécile Dardignac . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263
Archéologie et espaces forestiers, l’accord complémentaire
Stéphanie Jacquemot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269
La collaboration archéologique entre le service régional de l’archéologie de Haute-Normandie
et l’Office National des Forêts pour la gestion des vestiges archéologiques
Thierry Lepert, Jean Meschberger . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277
Palimpsestes et héritages des polémopaysages dans les massifs du Saillant de Saint-Mihiel
Frédéric Steinbach, Jean-Pierre Husson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285
7
8
Introduction
Quelques évolutions récentes des relations entre
archéologie, forêt et environnement
Jean-Luc DUPOUEY(1), Etienne DAMBRINE(2),Cécile DARDIGNAC(3),
Murielle GEORGES-LEROY(4)
(1)
(2)
(3)
(4)
UMR-EEF, Equipe Phytoécologie forestière - INRA - 54280 Champenoux - [email protected]
Unité Biogéochimie des Ecosystèmes Forestiers - INRA - 54280 Champenoux - [email protected]
ONF - Direction technique, département recherche - Boulevard de Constance - 77300 Fontainebleau - [email protected]
SRA de Lorraine - 6, pl. de Chambre - 57045 Metz cedex 1 - [email protected]
En décembre 2004, plus de 200 participants se sont retrouvés au Campus de l’Office National des Forêts de
Velaine-en-Haye, en Meurthe-et-Moselle, pour participer au colloque Sylva2004 « Forêt, Archéologie et
Environnement ». Le présent ouvrage rassemble une sélection des communications présentées à cette occasion. On trouvera la liste complète des conférences et posters sur le site Web du colloque (sylva2004). En introduction à ces contributions, nous présentons ici brièvement quelques-unes des évolutions marquantes et
récentes des relations entre archéologie, forêt et environnement, qui ont motivé l’organisation du colloque.
Parce qu’elle a préexisté à la création des territoires cultivés, nous avons souvent le sentiment trompeur que la forêt
est naturelle. Pourtant, comme tout autre territoire, elle est mise en valeur et exploitée pour nos besoins. Quelle est
l’histoire de cette mise en valeur ? Depuis quand et, surtout, selon quelles modalités l’homme utilise-t-il les produits
et territoires forestiers ? Quand et comment est née la sylviculture, gestion raisonnée de la forêt ? Chasse, cueillette, pâturage, prélèvement de litière, prélèvement de bois pour le feu, pour la tonnellerie ou la construction, loisirs…
Comment ces « services » se sont-ils succédés ou entrecroisés au cours des siècles ?
La forêt est une composante majeure de notre environnement. Elle intervient dans les cycles de matière et d’énergie et sur la diversité du vivant, parce qu’elle constitue le principal flux de carbone de l’atmosphère vers les écosystèmes terrestres, parce qu’elle modifie les climats, régule l’érosion des sols, abrite une grande variété d’espèces qui
lui sont propres, préserve les écosystèmes des impacts directs d’une utilisation agricole ou urbaine. Il importe ainsi
de comprendre l’évolution au cours du temps de sa place dans nos paysages et, donc, de son rôle environnemental. De quelles essences était-elle constituée ? Quelle était sa structure ? Quand a-t-elle été défrichée, selon quelles
modalités ? Comment s’est-elle fragmentée, comment ont évolué ses lisières qui contrôle ses échanges avec les territoires alentours ? On considère souvent que les forêts ont subi un défrichement continu à partir de la grande sylve
primitive, entrecoupé de quelques soubresauts de reconquête lors des périodes de récession, jusqu’aux noyaux de
forêts anciennes relictuelles que nous aurait laissé, en France, le XVIIIe siècle. Mais ce schéma, longtemps accepté,
est-il vraiment en accord avec les observations récentes de l’écologie et de l’archéologie forestière ? La sylve primitive a probablement été fortement et précocement ouverte par les troupeaux de grands herbivores comme le suggèrent des études récentes (Vera 2000), et pouvait donc présenter la physionomie d’une savane ou d’une steppe
plutôt que celle d’une forêt dense. Et surtout, les terroirs agricoles se sont largement déplacés au cours du temps,
et pas seulement contractés ou rétractés.
Les deux questions précédentes, mode de mise en valeur et place des forêts dans le paysage, sont largement
abordées par l’archéologie depuis plusieurs années en France et ont déjà fait l’objet de plusieurs colloques
(FSHAPIF 1978, FHLMR 1984, Chevallier 1986, Béal 1995, Bernard et al. 2007). D’autres types de préoccupations sont plus récemment apparus.
En détournant les processus naturels à son profit, en utilisant les services écologiques que lui offre la forêt,
l’homme modifie les caractéristiques des écosystèmes forestiers. L’impact des activités humaines sur la nature
est une des préoccupations majeures des sociétés contemporaines. L’archéologie se doit de nous apporter son
éclairage sur ces questions, en les transposant aux sociétés anciennes : quel impact a eu l’homme sur son environnement ? Comment ont évolué les dépôts de polluants au cours des siècles, la diversité biologique et la fertilité des milieux ? Quand et où les prélèvements de bois et autres produits forestiers ont-ils dépassé la capaci-
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té de production naturelle des peuplements, entraînant des baisses de fertilité ? Quelles espèces, végétales ou
animales, ont disparu ou sont apparues dans les forêts sous l’action de l’homme ? Les larges émissions de
plomb de l’époque romaine ont-elle laissé des traces dans les sols forestiers ? Ces questions sont encore quasiment sans réponse.
On a longtemps distingué deux types de pratique de l’archéologie dans les forêts : l’archéologie forestière proprement dite, qui recouvre les questions précédentes, et dans laquelle la forêt est bien la cible principale des
études entreprises, et l’archéologie « en forêt », où l’on s’intéresse aux vestiges archéologiques conservés dans
les forêts, sans intérêt particulier pour l’environnement forestier, comme on les étudierait sous d’autres types
de couvert. Ce deuxième type d’activité archéologique s’appliquait par exemple aux structures recouvertes par
la forêt postérieurement à leur abandon et qui, au départ, n’avaient aucune relation avec le milieu forestier.
Nous voudrions montrer ici pourquoi cette distinction est artificielle, et comment des résultats de recherche
récents la rendent partiellement caduque.
Depuis la première moitié du XIXe siècle, date du minimum de couverture forestière en France (entre 8,9 et
9,5 millions d’hectares, Cinotti 1996), la forêt française s’est fortement étendue, pour atteindre aujourd’hui
15,5 millions d’hectares, en raison de l’abandon d’immenses terroirs agricoles. Au cours de la dernière décennie, la forêt française a ainsi progressé de 75 000 ha par an en moyenne, une surface équivalente à 3 fois celle
du massif de Fontainebleau environ. L’ampleur, la durée et la continuité de ce mouvement de recolonisation
des terres agricoles sont uniques dans l’histoire des forêts françaises, et constituent une véritable révolution
environnementale. Nous sommes entrés dans une phase de « transition forestière » (Mather et al. 1998), observée dans la plupart des pays européens.
Cette progression des forêts a, depuis quelques années, amené les écologistes et géographes à distinguer deux
types de forêts dans le paysage, les forêts dites récentes, car reconstruites au cours des deux derniers siècles à
partir d’abandons culturaux et les forêts dites anciennes, noyaux restés forestiers au travers des vicissitudes de
l’agriculture (Arnould 1991 ; Dupouey et al. 2002). Depuis les travaux pionniers de Rackam (1980) et Peterken
(1981) en Angleterre, de Hermy en Belgique (1994) et de Koerner et al. en France (1997), les résultats se sont
progressivement accumulés, tant en Europe qu’en Amérique du Nord, qui montrent l’importance écologique
primordiale de cette dichotomie. Un à deux siècles après leur abandon, et même après plusieurs cycles sylvicoles, les forêts issues de terroirs agricoles gardent une « mémoire » de cet usage ancien, imprimée dans la fertilité des sols, la productivité et l’état de santé des peuplements forestiers, la diversité des espèces végétales ou
animales présentes. De plus, on a pu montrer que de nombreuses espèces, dites « de forêt ancienne » sont
incapables de recoloniser ces nouvelles forêts qui leur sont offertes (Dupouey et al. 2002). Ces découvertes,
importantes pour le gestionnaire forestier, ne semblaient pas a priori concerner l’archéologue, puisque de telles
traces étaient supposées s’effacer un jour ou l’autre, après quelques siècles de régime forestier. Mais la question de la durée exacte de cette « mémoire » des écosystèmes forestiers s’est rapidement posée. En Angleterre,
où sont considérées comme forêts récentes celles apparues après l’an 1600 (en raison de la disponibilité suffisante de cartes dès cette date et d’une forte augmentation des surfaces forestières dans la deuxième moitié du
XVIIème siècle), on observe encore avec la même force les impacts dans la végétation forestière de l’agriculture ancienne, même quatre siècles après abandon. Ces recherches sur la pérennité des impacts de l’agriculture
dans les forêts actuelles ont pendant quelque temps buté sur cet horizon temporel de quatre siècles, en raison
de la rareté apparente, en forêt, des sites agricoles abandonnés plus anciennement.
Une étape importante a été franchie au cours des dernières décennies de recherches archéologiques. Les travaux de cartographie ont fourni progressivement les indices d’une occupation agricole d’ampleur insoupçonnée dans les forêts actuelles. Celles-ci ne sont pas des territoires sanctuaires, vierges de toute activité agricole,
mais ont souvent été défrichées et mises en valeur pour l’agriculture et l’élevage dès l’époque antique, voire
dès l’Age du Fer, avant d’être abandonnées et recolonisées par la forêt. Sur les plateaux calcaires du Nord-Est
de la France, différentes équipes (Georges-Leroy et al. 2003; Pautrat et Goguey, dans ce volume; De Laclos et
Mangin, dans ce volume) ont mis au jour des parcellaires qui s’étendent de la Moselle à la Côte-d’Or, sur plusieurs centaines de kilomètres et sont d’une emprise comparable, à titre d’exemple, à celle du cadastre B
d’Orange (950 km2). Plus à l’Ouest, la forêt de Tronçais, longtemps considérée comme immémoriale, a révélé
la présence de quelques 100 sites de constructions d’époque romaine (Bertrand 1980; Laüt et al. 2007). Les
forêts anciennes à l’échelle de quelques siècles ne l’étaient plus à l’échelle de quelques millénaires ! La couverture forestière n’avait pas seulement évolué selon des pulsations, bien identifiées, de déboisement/reboisement
autour de massifs « noyaux » pérennes, mais semblait aussi s’être « déplacée » dans le territoire selon des
modalités encore mal connues aujourd’hui.
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Pourquoi ces découvertes récentes, et pourtant de grande ampleur ? La forêt est longtemps restée peu prospectée par les archéologues, très certainement moins que les zones de champs ouverts, pour de multiples raisons : l’absence de labour limite la possibilité de voir remonter en surface les traces des occupations anciennes ;
la prospection aérienne y etait, pour la plus grande part des surfaces, inopérante ; le développement de l’archéologie préventive porte rarement sur ce milieu, notre vision biaisée d’un territoire forestier se rétrécissant
progressivement depuis les défrichements néolithiques impliquait automatiquement des noyaux forestiers par
principe vierges de toute occupation agricole importante ; enfin, et cet obstacle n’est pas des moindres, les
mondes culturels et administratifs des forestiers et archéologues sont restés longtemps éloignés. Pourtant, la
lenteur du cycle forestier, l’absence de travail du sol et d’érosion, la faible intensité des interventions humaines,
le recouvrement progressif des sites par la formation de l’humus permettent une conservation exceptionnelle
de structures ailleurs détruites ou ensevelies. Tel mur effondré il y a deux millénaires est toujours là, en surface, recouvert de quelques centimètres d’une couche de terre forestière, à l’abri des outrages de l’agriculture
intensive. Il y a là une véritable « fossilisation » des traces de l’organisation rurale ancienne, parfois aussi retrouvées sous la forme plus immatérielle de toponymes. C’est une particularité des territoires forestiers que de pouvoir livrer au prospecteur patient et passionné des kilomètres de chemins tortueux, de terrasses, de clôtures, ce
semis de cabanes adossées à des enclos patiemment engraissés. Ou ces parcellaires formatés, murs parallèles
et angles droits, expression géométrique d’une planification probable de la production.
Une synthèse récente sur la France (Maussion 2003), basée sur l’exploitation de la « Carte archéologique de la
Gaule » et des bases de données Dracar et Patriarche du Ministère de la Culture, a permis de dresser une liste
de 10 000 mentions de sites archéologiques, de tous types, localisés dans des territoires aujourd’hui forestiers.
Par un effet de loupe probable, dû à un état plus avancé des recherches, les régions du Limousin et du NordEst de la France apparaissent les plus riches en découvertes archéologiques forestières. Il reste, de façon évidente, un large potentiel archéologique à explorer dans nos forêts. Le développement de la technique de télédétection par laser (Lidar), qui offre la promesse d’une exploration enfin possible des couverts forestiers, devrait
accélérer la découverte et la cartographie des structures archéologiques forestières.
Les études écologiques des sites agricoles antiques, qui se multiplient (Dambrine et al. 2007) et dont un certain nombre sont publiées dans cet ouvrage, montrent que l’agriculture d’époque gallo-romaine a laissé des
traces indélébiles dans le fonctionnement actuel des écosystèmes forestiers. Leur résilience, c’est-à-dire leur
capacité à revenir à l’état antérieur à la perturbation agricole est faible.
L’archéologie « en forêt » ne peut ignorer ce fait, puisque les traces d’occupation à rechercher ne sont plus seulement des murs, tuiles, poteries, monnaies, mais deviennent tout autant des taux de phosphore dans le sol,
des productivités forestières, des jaunissements d’arbre… Et elle devient de facto une archéologie forestière au
sens plein du terme. Ce constat ne se limite pas aux seules forêts françaises ou européennes, mais paraît pouvoir s’appliquer à une large part des forêts tropicales jusque là considérée comme vierge (Willis et al. 2004).
Par essence, biologie, écologie d’une part et archéologie et histoire d’autre part sont liées par des intérêts
mutuels forts. L’activité humaine modifie la diversité et le fonctionnement des écosystèmes, à tous les niveaux
(structures génétiques intra-spécifiques, structure des communautés d’espèces, écosystèmes, paysages). Quelle
que soit leur discipline, les biologistes et écologistes ont donc besoin de l’appui des historiens et archéologues
pour comprendre les structures et le fonctionnement actuels du vivant. Dans les forêts, peu de mécanismes écologiques échappent à la marque ancienne imprimée par l’homme. A l’inverse, ces traces laissées dans les écosystèmes actuels peuvent servir aux archéologues de bio-indicateurs de la localisation, de l’intensité et des
modalités d’exploitation des paysages anciens par l’homme. Pionniers dans ces recherches, J.-M. Desbordes
(1973), A. Ghestem (1981), J.-L. Maigrot et J.-C. Rameau (1984) et J.-M. Couderc (1985) avaient déjà émis et
appliqué l’idée que ces fonctionnements actuels perturbés, et en particulier la composition en espèces des communautés végétales, pouvaient servir de bio-indicateurs efficaces de la présence de sites, reprenant des observations faites dès le XIXe siècle (de Saint-Venant, 1888). Le constat s’étend aujourd’hui, grâce aux progrès de
la biologie, à d’autres marqueurs : fonctionnement biogéochimique et composition des communautés microbiennes du sol, structure moléculaire de la variabilité génétique intra-spécifique (Kremer et Petit 2001), contenu isotopique des sols et des êtres vivants et surtout, à d’autres types d’indications que la seule présence de
sites archéologiques.
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La dernière interaction forte entre archéologie et forêt, et non des moindres, est la façon dont nous protégeons,
gérons et valorisons les sites archéologiques forestiers. Une enquête de 2004 sur les attentes des français en
matière de gestion forestière (Dobré et al. 2006) montre que l’action qui leur semble la plus prioritaire est de
«protéger la forêt pour le bien des générations futures », avant toute considération économique. Aujourd’hui,
et plus que par le passé, c’est bien l’intérêt patrimonial qui prime dans notre relation avec la forêt. Les organismes gestionnaires des forêts et de la conservation du patrimoine doivent en tenir compte et explorer de nouvelles formes de relations, sans doute plus étroites que par le passé. La question reste particulièrement mal résolue pour les forêts privées. Si les vestiges que l’on retrouve en forêt ont pu être bien conservés jusqu’à maintenant, le développement accéléré de la mécanisation forestière depuis quelques dizaines d’années peut désormais les mettre en danger. Les besoins qui semblent s’accroître dans le domaine du bois-énergie pourraient
conduire à une extension des surfaces consacrées à la ligniculture avec des itinéraires techniques plus agressifs
pour les sites archéologiques : plantations, taillis à courte rotation... Il devient urgent de relever et protéger ce
qui paraissait immuable, éternel et scellé.
Du point de vue de la gestion forestière, il serait profitable d’intégrer l’histoire des forêts en tant qu’élément
de réflexion écologique. Des cartes précises d’histoire de l’utilisation du sol incluses dans les documents d’aménagement permettraient, au même titre que les cartes de stations, de mieux raisonner les actions sylvicoles en
termes de fertilité des sols et des peuplements, de maintien de la biodiversité ou d’état de santé des arbres.
Ces chantiers sont entamés. Nous souhaitons que les communautés de chercheurs et de gestionnaires, issus
des mondes forestier, agronomique, archéologique et de l’environnement trouvent de nouvelles occasions de
se rencontrer pour les faire avancer.
Il y a enfin une dimension onirique à ces recherches, qu’ont voulu faire partager les organisateurs de ce colloque. L’émotion de la découverte, l’imagination qui précède nos interprétations, le sentiment particulier qui
nous lie à ces ancêtres lointains et anonymes, nous avons souhaité les mettre en son et en image, les dérouler,
et sollicité pour ce faire des artistes.
Antoine Carton a griffé des ardoises pour les trois affiches du colloque, et tracé dix dessins d’une craie grasse
et fertile. Quand je suis entré dans la forêt, j'avais mis mes yeux à l'envers, c'était plein de brouillard, de lumière, plein d'équilibre et de hasard. En grimpant dans les racines, j'ai retrouvé la mémoire.
Jean François Chevallier a étendu d’immenses huiles sur toiles et transformé la salle des conférences en sylve
originelle, Un peu après.
Cécile Franc Volo a suspendu trois petites vues du papier peint, prises par sa porte entrebâillée à cent vingt kilomètres heure et huit cent mètres d’altitude au dessus de la Lorraine un soir d’été.
Entre chaque exposé, Jean Michel Albertucci a livré sur le piano de Gaël le Billan ses désaccords et ses accords,
ses sentiments. L’ensemble des enregistrements, réalisés par Jérôme Demaison, se trouve gravé sur le disque
joint.
Dans les réserves de l’association Aye-Aye, Benoît Pollier et Sylvain Mariette ont sélectionné trois courts
métrages illustrant les harmonies et la cacophonie des temps.
Enfin, dans les salons de l’Hôtel de Ville gardé par la légion, une belle patricienne, Christiane Casanova a fait
dignement défiler ce peuple gallo-romain, des voyageurs, un maître d’école et ses élèves, des esclaves affranchis, un consul de passage….
Remerciements
Nous remercions vivement toutes les personnes qui ont aidé au succès de ce colloque, et en particulier Laurence
Le Maout, Corinne Weigerding, Patrick Behr, Roger Schipfer, Christian Kieffer, Yves Bernardi et Benoît Pollier à
l’INRA, Isabelle Laroque à l’ONF. Nous avons bénéficié du soutien financier de la Région Lorraine et de
l’Association Française d’Etude des Sols, que nous remercions pour leur confiance. Nous remercions également
l’imprimerie de l’ONF pour le long travail de mise en page de cet ouvrage.
12
Bibliographie
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14
Le géographe et les archéologues
des sylvosystèmes
Jean-Pierre HUSSON
Professeur, Département de Géographie - Nancy 2 - Boulevard Albert 1er – 54000 NANCY,
[email protected]
Le métier d’archéologue, désormais encadré par la loi préventive votée en 2001, obéit à trois fonctions renouvelées : la protection et la conservation, le devoir de recherche profondément modifié par le recours à une
gamme de sciences auxiliaires qui croît à la fois en diversité et efficacité, enfin, la diffusion des connaissances.
L’archéologie affiche sa dimension de service public. Elle apporte des éclairages nouveaux, parfois inédits à propos des relations hommes - environnement et également en ce qui concerne les alternances cycliques qui peuvent se succéder. Contrairement à la période des Trente Glorieuses où les inflexions économiques pouvaient
être projetées, planifiées, anticipées ; l’actuelle globalisation, la complexité, la dynamique et l’imprévisibilité des
systèmes portent à travailler à toutes les échelles de temps, et plus spécialement sur les temps longs emboîtés
où se dessinent des ruptures. Cette recherche permet de trouver des éléments de réponses à des problématiques environnementales désormais partagées par tous (Barrué-Pastor et Bertrand, 2000).
Etre en connivence avec l’épaisseur du temps permet d’apporter un supplément de sens au territoire. Cela sert
aussi à sérier, évaluer, anticiper les risques. Ainsi évite-t-on d’atteindre des points d’irréversibilité dans des processus évolutifs de dégradation. Ceci représente une somme d’ambitions qui nécessite de croiser toutes les
échelles spatiales avec tous les pas de temps, tous les systèmes d’articulations et de cassures des cycles. Tout
cela s’inscrit dans des suites de scenarii peu linéaires, le plus souvent bifurqués, comprenant des accélérations,
des alternances, des formes de boucles rétroactives. A côté des classiques terrains d’investigations (la mémoire des strates archéologiques urbaines, les parcellaires fossiles agraires, etc.) s’imposent aujourd’hui en archéologie de nouveaux gisements de recherche, plus spécialement les linéaires remodelés par les percées logistiques
(tracés des TGV, des autoroutes, etc.). S’ajoutent également les couvertures forestières, immense drapé recouvrant et fossilisant aussi bien les découpages des centuriations romaines que de précoces systèmes protoindustriels ou encore les polémopaysages hérités de la guerre de 1914 - 1918.
Sur le temps long, les espaces forestiers qui nous semblent trop souvent statiques par rapport à notre propre
espérance de vie sont en fait terriblement dynamiques dès que l’on sort du cadre de la révolution (R) ou d’une
durée égale à deux fois R, ce qui nous conduit tout de même à reculer sur six à quinze générations d’hommes.
Ce plongeon dans le temps nous amène directement à l’époque des balbutiements cartographiques, avec des
documents rares, fragiles mais qui peuvent actuellement être redressés grâce à l’utilisation de SIG adaptés, ce
qui autorise de formuler des investigations de recherche inédites.
La remontée dans le temps lève le voile sur des connivences passées qui sont inscrites dans la mémoire des sols
d’une trilogie ager-saltus-sylva qui fut toujours à géométrie variable en fonction des densités et de la sécurité.
Les recherches génétiques menées procurent un supplément de sens et de respectabilité aux territoires prospectés. Elles apportent des réponses à des questionnements scientifiques articulés à toutes les échelles. Cela va
du différentiel de fertilité entre deux parcelles d’une même station à la dynamique des massifs et à la fluctuation de leurs lisières. Ces investigations sont pour la plupart très neuves. Elles ont permis d’ouvrir très largement
le champ des questions formulées, énoncées, travaillées et ensuite de mesurer l’ampleur des tâches à accomplir en pratiquant d’indispensables croisements à la fois interdisciplinaires et transdisciplinaires. Ces franchissements sont porteurs de métamorphismes, de pollenisations, de rencontres qui imposent une certaine audace
fédératrice. Le sylvosystème, entendons par là le résultat du croisement de l’écosystème avec les successions de
gestions sylvicoles pratiquées, infléchies voire héritées en terme de résilience, de réussite, d’échec s’avère être
un passeur de frontières (Jollivet, 1992).
La géographie participe au travail de fond qui vient d’être énoncé. La discipline s’intègre dans une démarche
globale d’écohistoire (Beck et Delort, 1993). Cette dernière cherche à éclairer le présent ainsi que les futurs
proches, prévisibles en mesurant les apports des réflexions menées sur les temps longs, ce qui s’affirme de plus
en plus pertinent pour dresser des convergences de préoccupations écosystémiques.
15
La géographie historique relie l’actuel à des passés plus ou moins lointains inscrits en continuité avec le présent. Elle s’appuie sur un corpus archivistique qui laisse une place importante aux cartes anciennes dressées
pour faire la guerre, aménager les territoires (en particulier, les forêts abornées, fossoyées, traitées en taillis sous
futaie), asseoir une frontière, étayer un procès. Textes, archives et cartes ne servent pas seulement à nourrir une
recherche érudite qui serait déconnectée des questions posées par une société à un moment donné. Ils apportent une contribution à la connaissance des territoires perçus dans la richesse de l’épaisseur du temps qui a
nécessité leur sécrétion. J’ai eu cette conviction, il y a déjà plus de vingt ans quand j’ai consulté le dossier dressant l’inventaire des chaumes vosgiennes en 1700. A cette date, le duc Léopold confie à Villemin, gruyer de
Bruyères la mission de visiter les chaumes et leurs annexes (les repandises) abandonnées depuis près de soixante ans, suite aux malheurs laissés par la guerre de Trente Ans. Avec ce dossier, je disposais d’un témoignage
inédit pour tenter de comprendre la dynamique spatiale des accrus forestiers dans ce secteur particulier balayé
par l’effet de crête. Les croquis levés sur le terrain montrent, qu’à l’exception de quelques coulées conservées
pour canaliser les flux d’ouest, les anciennes chaumes sont pratiquement toutes reconquises par la forêt qui
escalade les sommets. A contrario, les procès-verbaux dressés à la fin du XVIIIe siècle font découvrir une situation inverse. Au cours du siècle, la reconquête opérée par les marcaires a été très forte. Localement, elle peut
même dépasser le cadre du Grand Pâtural du XVIIe siècle. Cet exemple est révélateur des empilements que nous
avons à gérer et de possibles mises en scène évolutives des territoires que nous pouvons mener. A l’échelle fine
de l’exploitation, et plus particulièrement de l’acensement (périmètre de défrichement autorisé et aborné pour
implanter une ferme), le même continuum peut être approché en prenant pour point de départ la création du
défrichement, l’établissement de sa cartographie utilisée pour attester du droit de propriété, les éventuelles
révisions liées à des agrandissements, la confrontation avec le cadastre napoléonien et enfin la visite de terrain.
C’est là une des bases d’investigations retenues pour étudier la fertilité comparative des substrats forestiers voisins ayant conservé une mémoire des sols différente.
Pris à deux échelles différentes, les deux exemples évoqués montrent que l’objet d’étude du géographe peut
être, quand il est relié à d’autres préoccupations porteur d’interrogations fructueuses à propos des cycles sylvigénétiques soumis à forte anthropisation. Ces questions peuvent même être dérangeantes, poser le problème
de l’antériorité de tel ou tel type de paysage revendiqué, idéalisé, publicisé. Croiser ses savoirs et ses méthodes
avec celles des historiens, archéologues, agronomes, pédologues, phytosociologues, etc. sert à dénouer la complexité des trajectoires des sylvosystèmes et la richesse des mémoires empilées qu’ils fossilisent.
Plus en avant dans le temps, la démarche de la géohistoire initiée par Fernand Braudel amène à se dissocier de
l’actuel. Dès lors, la reconstitution linéaire demeure ténue, incomplète, avec au mieux des traces enfouies, parfois ressurgies, le plus souvent fossilisées par différentes successions d’occupations passées. Approche audacieuse, la géohistoire apparaît plutôt, à mon sens comme une science auxiliaire au service de l’archéologie et
non l’inverse. Le recul dans le temps donne toute leur pertinence aux apports fournis par la palynologie, l’anthracologie, la sédimentologie, la dendrochronologie. La géohistoire renoue avec l’actuel quand on se penche
sur le cas très particulier des forêts peu anthropisées. Laissées, abandonnées à leurs propres dynamiques
internes, ces dernières sont des objets d’études passionnants. Elles apportent de nouveaux champs d’investigations, nourrissent des opportunités inédites de recherches et de retrouvailles entre les disciplines qui ont été
énoncées.
Au total, les regards posés sur les architectures forestières et les sylvosystèmes trouvent une nouvelle vitalité
dans le croisement des méthodes et des approches menées au sein de groupes pluriels par les origines des
chercheurs. L’écoarchéologie me semble être une excellente entrée pour progresser dans la connaissance pluriscalaire et dans l’enchevêtrement des temps longs indispensables à la compréhension des constructions des
sylvosystèmes.
16
Bibliographie
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du Mirail, 544 p.
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JOLLIVET M. (dir.), 1992, Sciences de la nature, sciences de la société : les passeurs de frontières, Paris, Editions
du CNRS, 589 p.
17
18
Évolution des paysages forestiers
et usages anciens
20
Transmissions et transformations
dans les formes parcellaires en France
Esquisse d’un schéma général d’interprétation
Gérard CHOUQUER
CNRS (équipe d’archéologie environnementale, UMR 7041, Nanterre)
Rédacteur en chef d’Études Rurales
Résumé
Cet article fait le point sur la profonde transformation des connaissances quant à la mise en place des planimétries rurales
en Europe de l’ouest. Dans une première partie, on démontre que la création des formes agraires est un phénomène qui
concerne la protohistoire avec un moment particulièrement fort au second âge du Fer. La comparaison avec ce qui se
passe dans les territoires d’Italie centrale conquis par Rome est éclairant. On y retrouve la même émergence et des modalités voisines de planification.
Cette lointaine émergence est responsable, dans certains pays ou certaines régions, des formes héritées. Dans le dessin
parcellaire par quartier qui se généralise au Moyen Âge, on ne peut plus reconnaître une création spécifique de cette
période, mais le résultat d’une évolution par auto-organisation d’une structure plus ancienne. Dès lors l’équilibre habituel du récit historique sur les parcellaires est rompu. S’agissant des initiatives, le curseur se déplace vers l’Antiquité. Mais
les époques médiévales et modernes connaissent une pluralité de situations : des créations, des transformations, des
transmissions, dont le bilan s’avère également très prometteur.
La recherche sur la dynamique de la planimétrie, et
notamment de la planimétrie viaire et parcellaire, a connu
deux évolutions importantes depuis quelques années. Je
me propose ici, en accord avec les organisateurs, de présenter ces éléments, et non pas de traiter du cas particulier des découvertes faites en zone forestière.
La première de ces évolutions porte sur la réévaluation du
rôle de l’Antiquité pré-romaine et romaine dans la formation des trames viaires et parcellaires. On sait, aujourd’hui, que ce rôle est majeur et cela pose une nouvelle et
vraie question, celle de l’équilibre global du récit traditionnellement proposé pour rendre compte de l’histoire
des planimétries. Un nouveau balancement s’impose.
La seconde évolution est la découverte, par l’archéologie
préventive et l’archéogéographie planimétrique, des processus de transmission des formes, qui avaient été pressentis par l’école de morphologie parcellaire des années
70-80. Un nombre important de fouilles et d’analyses de
formes témoignent que la dynamique d’un parcellaire est
un processus au moins bi-millénaire et que cette dynamique est composée de transformations et de transmissions.
1. - Que se passe-t-il dans l’Antiquité
pré-romaine et romaine ?
Les enquêtes se sont multipliées depuis vingt ans.
Il s’agit d’abord de nouveaux dossiers d’analyses de
formes par carto-interprétation, prospection aérienne à
basse altitude et photo-interprétation. Ces analyses, qui
sont conduites sur des représentations planimétriques
plus récentes (plan cadastral napoléonien ou premières
cartes topographiques), ont posé l’idée que les orientations antiques avaient considérablement marqué les paysages ruraux et qu’il était donc envisageable de traiter les
formes plus récentes afin d’y lire des trames antiques.
C’est sur cette base, par exemple, qu’ont été fondés les
travaux sur les centuriations romaines en Gaule, en Italie
où une tradition de reconnaissance de la centuriation est
un fait historiographique majeur (abondante bibliographie, synthèse dans Chouquer (dir), 1996-1997). On sait
que le bilan critique de ces travaux est engagé parce que
des intrus se sont glissés dans la liste des candidats au
titre de centuriation (Favory, 1997 ; Chouquer, 2000).
Mais, au-delà de cette nécessaire évaluation du travail
accompli, il n’en reste pas moins que des résultats fort
appréciables ont été obtenus, dont la solidité est avérée.
21
G. CHOUQUER
Ensuite, il s’agit des plans issus des chantiers d’archéologie préventive, de plus en plus nombreux, de plus en plus
vastes aussi, qui ont donné des cartographies saisissantes
de ces créations viaires et parcellaires originales du passé,
surtout antique. Des dossiers majeurs ont été publiés,
autour de Nîmes, en vallée du Rhône, dans le bassin parisien, en Normandie, en Bretagne, en Vendée, dans le
Nord et le Pas-de-Calais, en Lorraine. Les surfaces soumises à l’enquête archéologique sont de plus en plus
vastes : 200 ha à Mondeville, 300 à Arras “Actiparc”, 140
à Dourges et à Villeneuve d’Ascq, 150 à Évreux, etc.
(Berger et al.,2003 ; Carpentier et al.,2004 ; Catteddu,
2004 ; Coquidé et Vermeulen, 1999 ; Courbot-Dewerdt,
2003 ; Devals, 2004 ; Europort Vatry, 2005 ; Maréchal,
2003 ; Quérel, 2003 ; Royet, 2004 ; etc.). Ce sont des
fenêtres ouvertes sur des ensembles qui s’avèrent complexes en raison de la fréquence des remaniements parcellaires opérés dans un intervalle de quelques siècles. Les
parcellaires connaissent le même phénomène que celui
qui a été observé dans l’évolution des fermes indigènes,
à savoir des remaniements nombreux et tendant vers plus
de géométrie, surtout au deuxième Âge du Fer
(Buchsenschutz et Méniel (éd), 1994 ; Bayard et Collart
(éd), 1996 ; Marion et Blancquaert (éd), 2000).
Les prospections aériennes ont joué un rôle considérable
dans la connaissance des formes de l’habitat et, accessoirement, du parcellaire de la protohistoire, avec des publications d’atlas, de manuels et de d’inventaires (ex :
Agache, 1978 ; Leroux et al.,1999 ; Delétang, 1999 ;
Bréart (dir.), 1999). Les chapitres sur l’Âge du Fer et sur les
fermes indigènes sont devenus des passages obligés de
cette littérature, indice d’un changement profond de la
documentation.
Il s’agit enfin de prospections en forêts qui ont fait la
preuve de leur efficacité en permettant la cartographie
d’ensembles étendus, sur le modèle des cartes des parcellaires des sommets vosgiens ou d’Allain, connus depuis
longtemps dans la littérature archéologique. Aujourd’hui
les repérages de la forêt de Haye (plusieurs milliers d’hectares) et plus généralement dans la région étendue entre
Pont-à-Mousson et Neufchâteau (Georges-Leroy et
al.,2003), ou ceux de la forêt de Châtillon en Bourgogne
et ceux des sources de la seine (Chouquer et Favory,
1991, p. 181 ; Mangin et al.,2000), ou encore les relevés
signalés pour la forêt de Loches et exploités par Gaëlle
Jacquet dans sa thèse inédite (Jacquet, 2003), constituent
des contributions majeures à la connaissance des voies et
des parcellaires anciens, pré-romains et romains.
1.1. - Un schéma général émerge de ces enquêtes
La genèse du parcellaire est un phénomène qu’on peut
qualifier d’ancien, largement pré-médiéval. Toutes les
fouilles ou presque attestent la mise en place des premières planimétries dans une période large qui peut
remonter à la fin de l’Âge du Bronze ou au début du pre-
22
mier Âge du Fer pour les plus anciennes formes connues,
jusqu’au début du haut Moyen Âge pour des exemples
tardifs (fouilles de Montours et Louvaquint en Bretagne ;
Catteddu (éd), 2001).
Les parcellaires de l’Âge du Bronze sont assez bien
connus dans les îles Britanniques, et commencent seulement à émerger en France. Deux publications récentes
ont attiré l’attention sur ces divisions précoces. L’une
concerne les vestiges trouvés sur l’île de Tatihou dans la
Manche (Marcigny et Ghesquière, 2003a), l’autre des vestiges du Bronze Ancien mis au jour à Bernières-sur-Mer
dans le Calvados (Marcigny et Ghesquière, 2003b). Bien
que limitées à l’emprise des fouilles et ne permettant pas
de connaître le mode de regroupement des parcelles dans
des formes intermédiaires, ces deux fenêtres sont essentielles pour affirmer le début de la parcellisation à l’Âge
du Bronze ancien et moyen.
Pourquoi parler d’une genèse des planimétries qui va de
l’Âge du Bronze au Haut Moyen Âge et réunir le tout en
un ensemble ? Dans l’état actuel des connaissances, je
crois opportun de considérer que le phénomène d’émergence et de diffusion des formes planimétriques concerne une longue phase qui s’ouvre, en certains endroits, dès
l’Âge du Bronze, ailleurs à date plus ou beaucoup plus
tardive. Les fouilles de Montours et Louvaquint, localités
où a été mis en évidence un parcellaire des VIIIe-Xe s.,
n’ont, selon moi, rien à voir avec le Haut Moyen Âge
chrono-typologique, si l’on entendait par là une phase
spécifique de cette période. Elles n’ouvrent pas une phase
nouvelle dans la typologie des formes agraires. Elles ne
sont que l’effet retardé d’un développement des formes
planimétrique initié sur le lieu à l’Âge du Fer avec un
enclos, et seulement “continentalisé” près d’un millénaire plus tard, avec le développement du parcellaire à fossés, qui reprend l’orientation et la forme de l’enclos laténien. Ces parcellaires sont bien chronologiquement carolingiens, mais ils participent de la fin d’un processus qui,
lui, est antique au sens très large.
Cependant, dans cette longue phase d’émergence, une
période nettement plus resserrée, le second Âge du Fer et
le premier siècle de notre ère, est celle pour laquelle on
rencontre l’essentiel de l’information. Ensuite, on ne
connaît pas de création viaire et parcellaire à ce niveau.
C’est-à-dire que si les évolutions et les transformations
locales abondent, pendant le Moyen Âge et l’époque
moderne, aucune refonte radicale du parcellaire et de la
voirie ne change à ce point les orientations et la forme
des terroirs ordinaires (à l’exception des cas avérés de planification agraire).
Ce qui se passe lors de cette phase laténienne est un fait
majeur. L’occupation du sol se “continentalise”, c’est-àdire que les formes se diffusent dans d’espace. Cette
extension prend la forme d’une trame de liens planimétriques suffisamment nombreux pour créer des
connexions et un tissu de formes continu ou quasi continu, au moins dans les espaces à l’orographie modérée.
G. CHOUQUER
Exprimée de façon métaphorique, on peut dire qu’on
passe d’une occupation en formes d’îles ou de corridors,
à une occupation en forme de continent, par la diffusion
de la planimétrie viaire et parcellaire et la création d’habitats. En même temps que se forme ce tissu, on assiste à
la création de l’habitat, qui prend, avec la multiplication
des fermes indigènes et des villae, une forme dispersée
caractéristique et dont l’abondance est nouvelle. Ce passage d’une forme discontinue, en îlots, à une forme plus
reliée est un fait exceptionnel : c’est un seuil de percolation dans la mise en place de la planimétrie. Pour un
grand nombre de régions c’est l’origine de leur dessin
parcellaire, y compris médiéval et moderne, comme on va
le voir.
Cette phase d’émergence est “brouillonne”, en ce sens
qu’elle se traduit par la diversité des orientations et des
formes et leur enchevêtrement, ainsi que par leur compétition qui se traduit par des disparitions rapides et des
renouvellements tout aussi rapides. Les géographes parlent de logique de front pionnier pour décrire ces formes
issues d’une première occupation massive d’un espace.
En effet, que ce soit dans les fouilles en milieu rural (parcellaires ou habitats), dans les fouilles des grands oppida
urbains (l’exemple de Besançon est démonstratif), ou
dans les reconnaissances de centuriations dans le midi de
la France, un schéma identique se fait jour. Tout se passe
comme si les sociétés laténiennes (indigènes et romaine)
projetaient sur le sol des formes et en changeaient rapidement au point que des orientations diverses apparaissent sur les sites en quelques siècles, voire en quelques
décennies.
Cette effervescence se traduit toujours par une évolution
rapide vers une géométrie plus régulière et souvent plus
orthogonale. Le plan des fermes indigènes se régularise
et on passe de formes curvilignes à des enclos plus réguliers, souvent proches du carré ou du trapèze. Les parcellaires, de même, se diffusent en se régularisant. Dans le
cas des centuriations de Gaule méridionale, nous avons
eu à établir le même genre de constat. Aux seconds et
premiers siècles av. J.-C., les centuriations se développent
et, dans un certain nombre de cas bien avérés (Orange,
Narbonne, Béziers, Nîmes), se succèdent rapidement, formant le même type d’enchevêtrement.
Il se passe donc quelque chose de majeur et de comparable dans l’ensemble des sociétés de la fin de la protohistoire, quelque chose de strictement parallèle en Gaule
non romaine, en Bretagne ou en Germanie, comme dans
l’Italie et les provinces déjà romanisées. Ce fait majeur, ce
n’est pas la conquête romaine dont on pensait, il n’y a
pas encore si longtemps, que c’était elle qui créait la rupture en apportant le parcellaire et la voirie. Ce fait, c’est
l’émergence, à l’Âge du fer, de la planimétrie “continentalisée”, l’extension de l’occupation du sol, et, enfin, la
tendance générale à la régularisation et à la planification
des formes. Les aspects que prend ce fait majeur sont
divers, selon le degré plus ou moins grand de planification agraire qu’on peut constater. Bien entendu la
conquête romaine joue un rôle important dans la mise en
œuvre et la diffusion de ce processus historique.
1.2. - Formes non divisées et non planifiées
d’occupation du sol
Dès qu’on dispose de cartes couvrant des espaces suffisants, on peut apprécier la forme d’ensemble de ces planimétries agraires. Comment distinguer, cependant, ce
qui est évolution endogène d’une occupation vers plus de
géométrie, d’une authentique planification initiale ?
Autrement dit, comment distinguer, dans un processus
général d’occupation de terres nouvelles, ce qui ressortit
d’une appropriation “sauvage”, laissée à la libre initiative
des colons, de ce qui ressortit à une appropriation planifiée et conduite collectivement à partir d’une division par
un arpentage à des fins de redistribution de terres (équivalant à ce que les Romains appellent ager divisus et adsignatus, “territoire divisé et assigné”) ? Ce sont évidemment les formes qui permettent de trancher.
C’est ici qu’il convient de fixer les notions générales.
L’Antiquité préromaine et romaine est la phase de l’appropriation du sol, celle qui connaît cette logique dite de
“front pionnier” qui ouvre de nouveaux et nombreux
espaces à l’occupation. Comment cela se produit-il et
quel rapport doit-on établir entre le phénomène d’appropriation et les formes planimétriques ?
Parce que Rome prend très tôt une place remarquable
dans ce processus, dès le IVe siècle av. J.-C. en Italie et dès
les IIIe-IIe siècles dans les premières provinces conquises
par elle, la littérature gromatique, qui renseigne sur cette
appropriation, est centrale. Bien entendu, il s’agit de la
représentation romaine d’espaces indigènes, et cette
représentation ne nous est transmise que par des auteurs
qui écrivent sous l’Empire, donc bien après la phase
majeure dont ils rendent compte. Malgré ces biais, cette
littérature porte témoignage des formes indigènes d’occupation du sol, parce que les arpenteurs romains ont
régulièrement rencontrés des espaces agraires déjà occupés, parcellisés, habités, et dont il leur a fallu rendre
compte.
Les meilleurs exposés sont, de ce point de vue, chez
Siculus Flaccus et chez Hygin. La structure principale de
leur exposé est la suivante. Ils constatent que l’autorité
romaine, après avoir conquis un territoire, ne provoque
pas obligatoirement sa division par des limites afin de le
distribuer aux colons. Des territoires, bien que conquis par
Rome, classés dans l’ager publicus et soumis à toutes
sortes d’impôts (tributum soli, vectigal), sont offerts à un
régime dit “occupatoire”, c’est-à-dire qu’on laisse chacun
s’emparer à sa guise de ce qu’il pense pouvoir mettre en
valeur. On le fait souvent après avoir expulsé la population locale. Trois noms désignent ces espaces laissés à la
libre appropriation : agri soluti (terres libres, sous entendu
23
G. CHOUQUER
de limites ou confins préalables), agri occupatorii (terres
occupatoires), agri arcifinales (terres dont on a écarté les
occupants). Ces terres ressortissent de ce que le droit
romain qualifie de ius occupatorius, “droit occupatoire”,
définissant le territoire du même nom, ager occupatorius.
Voilà les noms sous lesquels les terres indigènes non divisées
par Rome — celles dont les archéologues retrouvent des
éléments de la planimétrie — apparaissent dans la documentation antique. Dès lors, la description très détaillée de
leurs modes de bornage chez Siculus et Hygin constitue une
excellente description des planimétries et des modelés
agraires indigènes de l’Âge du Fer. Ils nous apprennent que,
dans ces espaces, c’est l’accord entre les propriétaires ou
possesseurs voisins qui garantit les limites. Ils nous renseignent sur l’existence de variétés régionales et locales de bornage. Ils dressent des listes détaillées des marques du bornage : des arbres, des buissons, des fossés, des ruisseaux,
des talus, des murets de pierre, des tas de pierre (scorofiones), des pierres avec des marques, des chemins. Ils nous
renseignent enfin sur le fait que l’arpenteur doit savoir
apprécier de telles possessions au moyen de lignes d’arpentage qui vont d’un point de bornage à un autre, pour former le dessin géométrique d’un espace qui n’est pas carroyé.
Il n’est pas difficile d’imaginer que, dans de nombreux cas,
l’administration romaine a classé dans cette catégorie juridique des territoires agraires eux-mêmes déjà appropriés,
occupés et dont la planimétrie était en place, qu’elle soit
d’origine planifiée ou non.
On doit, enfin, attirer l’attention sur une erreur qui a été
quelquefois commise, lorsque pour désigner ces formes
indigènes qui ne ressortissent que du régime “occupatoire”,
les chercheurs ont utilisé les termes de strigation ou de
scamnation qui ne se rapportent pas du tout à cette catégorie d’espaces, et qui désignent au contraire des espaces
limités et assignés romains.
1.3. - Une phase majeure de planification, définie dans
les recherches britanniques
Comment qualifier la morphologie des planifications
agraires protohistoriques ? C’est chez les auteurs anglais,
en raison de la précocité des repérages archéologiques,
qu’on trouve les premières définitions.
La particularité principale de cette phase d’émergence est
la diffusion d’une forme de planification en bandes (strip
system des archéologues britanniques). Les recherches britanniques ont proposé des distinctions typologiques de
base qui ont été reprises dans les années 70 et 80 (Bowen,
1961 ; Bowen et Fowler, 1978 ; Bradley et Richards, 1978 ;
synthèse dans Favory, 1983). L’apport des travaux et des
synthèses des archéologues de l’Europe du nord et du nordouest est considérable parce qu’ils ont offert les premières
et nombreuses cartographies de formes parcellaires protohistoriques, représentant un apport équivalent à celui que
les antiquisants réalisaient, dans le même temps, avec la
24
cartographie des centuriations du pourtour méditerranéen.
S’agissant de la façon dont sont organisés les champs
(“fields systems”), les archéologues britanniques ont défini
deux unités typologiques. Le cohesive system est un
“ensemble cohérent” de formes viaires et parcellaires, dans
lequel des champs sont regroupés dans des bandes assez
régulières dont la longueur peut atteindre jusqu’à 2,5 km.
Ces bandes forment des plages variant de 1 à 5 km2 environ. Le modèle de ce type est l’ensemble des Berkshire
Downs, illustré par la figure de détail montrant les cohesive
systems situés au sud-ouest de l’oppidum de Segsbury. Leur
datation peut être haute, par exemple dès le Néolithique ou
l’Âge du Bronze, mais leur durée d’utilisation couvre aussi
les Âges du Fer. L’aggregate system (ensemble par accrétion) est un ensemble de parcelles, d’une superficie n’excédant pas 2,75 km2, constitué de parcelles moins régulières,
qui semblent s’être constituées par addition, c’est-à-dire
qu’on n’y repère pas de mode de groupement préférentiel
dicté par une forme intermédiaire répétée. Le cohesive system est donc un mode régulier d’organisation du parcellaire en bandes (strip system), bref une organisation sur un
plan préétabli, avec une forme intermédiaire typée; l’aggregate system, un mode cumulatif (estimé spontané) de groupement des parcelles, sans plan préétabli.
À cette définition concernant les champs et leur mode de
groupement, se sont ajoutées des observations importantes
concernant les grands fossés, murets ou banquettes délimitant le territoire et qui sont une des particularités bien
connues des observations réalisées dans les îles
Britanniques. Ce type de division est nommé ranch boundary (limite de propriété) et joue à une échelle supérieure par
rapport aux ensembles de bandes planifiées. Or les fossés
(ditches) ou banquettes ou murets (reaves, du nom local
donné à ces murets dans le Dartmoor) qui les composent,
découpent tout ou partie de l’espace agraire selon une
autre hiérarchie que celle des bandes de la planification. Ces
éléments linéaires accompagnent généralement les zones
de cohesive ou d’aggregate fields. Mais la relation morphologique qu’ils entretiennent n’est pas uniforme. Quelquefois
les lignes de division servent directement d’appui aux
bandes des ensembles cohésifs, comme les landes du
Dartmoor en donnent des illustrations très nettes (Upper
Dart, fig. 2 dans Fleming, 1986, p. 163 ; Slaugh Moor,
fig. 4.2 dans Bowen et Fowler, 1978, p. 26, d’après John
Collis). Mais d’autres cas montrent des intersections et des
discordances très nettes, avec des fossés ou des reaves traversant en oblique des ensembles de parcelles. À Danebury,
par exemple, la constatation d’une telle discordance suffit,
selon les chercheurs, à proposer l’idée que le bloc parcellaire recoupé par un fossé du type Wessex date le parcellaire
de l’Âge du Bronze, avant l’installation de ces fossés.
Ces délimitations sont hiérarchisées. Par exemple, dans
l’étude des environs de l’oppidum de Danebury, les archéologues ont proposé de distinguer deux espèces de fossés
(Palmer 1984, p. 10 pour les définitions). Les Wessex linear
ditches (fossés linéaires dits de Wessex) sont ceux qui com-
G. CHOUQUER
posent le système principal de division parcellaire et qui
remontent au milieu et à la fin de l’Âge du Bronze. À un
degré hiérarchique moindre, on trouve des local linear
ditches (fossés linéaires locaux). Ils partent souvent d’un
enclos de l’Âge du Fer, ou en relient deux, et traversent
quelquefois des ensembles de parcelles. Ils peuvent former
les fossés parallèles délimitant une voie. Dans d’autres
régions, H. C. Bowen avait effectué les mêmes observations
et parlait de “spinal linears” (lignes vertébrales) pour différencier les divisions principales des lignes ou fossés subsidiaires.
On comprend qu’il soit possible d’associer les deux éléments, champs et limites linéaires, pour qualifier un espace
agraire et passer à un niveau plus global de la forme. C’est
ce que fait François Favory, en synthétisant les travaux
anglais (1983). Il définit le cohesive system comme étant
un ensemble cohérent de voies et parcellaires, dominé par
un grand oppidum en position centrale (hillfort), délimité et
structuré par un ensemble de longs fossés ou de murets
linéaires (linear ditches) qui découpent l’espace en grandes
plages de territoire à l’intérieur desquelles on relève les
groupes de parcelles, de tumuli et d’habitats. Dès lors le
cohesive system devient l’expression par laquelle est nommée à la fois une organisation territoriale (au moyen de
ranch boundaries) et une planification agraire selon le
modèle typologique banal de la bande. Ces deux niveaux de
la réalité agraire ne sont pas toujours en relation de concordance ni planimétrique, ni chronologique.
Une des questions sous-jacentes à cette discussion est, entre
autres, la suivante. Ce qui est en jeu, c’est la possibilité ou
non pour l’archéologue ou l’archéogéographe de parvenir à
se faire une idée juste du degré de continentalisation des
formes atteint pendant la Protohistoire. Les aggregate systems britanniques sont-ils le signe d’un fonctionnement
agraire en îles, c’est-à-dire non encore continentalisé,
niveau qui ne serait atteint qu’avec les cohesive systems ?
Comme les archéologues classent souvent dans les aggregate systems des traces parcellaires très incomplètement
observées, la question est difficile à trancher. Le risque serait
qu’on en déduise des notions d’autarcie, ou qu’on interprète en termes de faiblesse de l’organisation planimétrique
des situations où il n’y a qu’une observation incomplète de
la réalité ancienne.
Il me semble préférable de bien discerner deux objectifs distincts et éventuellement en relation : le mode de division
territoriale de l’espace agraire selon les communautés qui
sont en présence ; le mode d’appropriation et de parcellisation de la terre, laissé à l’occupation libre ou organisé selon
une distribution planifiée. L’intérêt d’un relatif découplage
sera de permettre de comprendre que la forme en bande
dispose d’une ubiquité à la fois spatiale et chronologique
qui la rend quelque peu indépendante de la territorialisation
des Âges du Bronze et du Fer. Il ne faut pas systématiquement lier la forme en bandes avec les limites territoriales des
Âges des métaux, pas plus qu’il ne faut systématiquement
lier la centuriation avec les limites des cités ou des pagi
d’époque romaine.
Le lecteur de langue française trouvera dans la synthèse de
François Favory (1983) une recension détaillée et argumentée des travaux anglais et scandinaves qui ont installé le
modèle des cohesive systems. Depuis cette date, de nouvelles publications ont diversifié les exemples (Palmer,
1984 ; Whimster, 1989 ; travaux d’archéologie préventive en France, cités ci-dessus). Cependant, on regrette que
ce fait planimétrique et agraire essentiel soit encore
absent des synthèses, surtout des plus récentes (Audouze
et Buchsenschutz, 1989 ; Cunliffe, 2001 ; Malrain et
al.,2002).
Cette forme est bien connue en Angleterre où elle
accompagne la diffusion des enceintes des Âges du Fer,
du type hillfort (carte dans Cunliffe, 2001, p. 181). Mais
des planifications agraires organisées en bandes sur de
grandes surfaces et qui répondent aux critères ci-dessus
définis pour les parcellaires cohérents peuvent éventuellement être plus tardives et sans lien avec un grand oppidum de l’Âge du Fer. C’est le cas d’un des plus étonnants
ensembles parcellaires planifiés de toute l’Angleterre,
celui qui est situé entre Doncaster et Nottingham et qui
s’étend sur environ 25 km du nord au sud. Il est de datation beaucoup plus récente que tous les exemples britanniques cités jusqu’ici (Riley, 1980 ; carte dans Chouquer
et Favory, 1991, p. 172-173). On doit donc s’attendre à
trouver de grandes planifications en bandes à la fin de
l’Âge du Fer et au début de l’époque romaine, y compris
après l’abandon de grands oppida.
Je propose également de classer dans ce type l’immense
parcellaire planifié qui occupe les vallées des Tilles et de
l’Ouche, le long de la voie Traversaine (nom local donné à
une grande voie gauloise qui structure la voirie et le parcellaire antiques), et qui s’étend sur plus de trente kilomètres d’Arc-sur-Tille aux Maillys et sur quelque trente à
quarante communes actuelles (Chouquer et Favory,
1991, p. 176-177 ; Chouquer, 1996 ; Delétang (dir),
1999, p. 148-149). Les indices de planification y sont nets
avec des bandes parallèles à la voie Traversaine ou aux
autres voies principales (par exemple à Genlis ; Les
Maillys) ou perpendiculaires (au nord-est de Genlis et à
Labergement Foigney). La fouille d’une ferme indigène
parfaitement incluse dans ce parcellaire, à Genlis “Clos
du Varin”, a fourni un repère chronologique (fin IIe et
début Ie siècle av. J.-C.) utile quoique unique (Conche,
1994).
La question de la chronologie de mise en place de ces planifications est délicate. Quand des sériations sont proposées, les auteurs rencontrent le problème de l’amplification des datations ponctuelles. À Danebury, par exemple,
un phasage général a été proposé, mais avec beaucoup
de réserves. On doit aussi constater la précocité de certaines réalisations, comme dans le Dartmoor où une vaste
planification par bandes est mise en place entre 1700 et
1600 av. J.-C. (Fleming, 1986, 161). Cependant, je le
25
G. CHOUQUER
répète, le plus grand développement de cette morphologie est dû aux Âges du Fer, surtout le second, et les observations britanniques les plus courantes sont désormais
complétées par celles effectuées par l’archéologie française ou italienne.
1.4. - Réflexions sur le critère de régularité pour définir
la planification
Notre objectif, désormais, pourrait donc être de travailler à
la qualification du phénomène perceptible à travers ces
informations planimétriques abondantes de la protohistoire :
caractériser le mode, le processus et le seuil de percolation
qui fait qu’on passe d’un état discontinu de l’occupation à
une continentalisation ou un début de processus de continentalisation. La planification consciente est une façon collective de le faire, mais des modes plus individuels ou plus
locaux sont possibles.
Sans prétendre réduire le concept de planification à la seule
observation de formes périodiques, le critère de la régularité des formes intermédiaires est néanmoins central, et, ici,
c’est la morphologie agraire comparée qui peut nous guider. Or le seul exemple documenté par des textes pour l’Âge
du Fer, est l’exemple romain, puisque les auteurs gromatiques romains nous renseignent sur des divisions en bandes
de haute époque.
En Italie centrale, en effet, on a quelques idées sur la mise
en place des premières limitations romaines (Castagnoli,
1953 ; Chouquer et al.,1987 ; synthèse dans Chouquer et
Favory, 1991, p. 91-138). Les formes les plus anciennes de
division agraire qu’on observe dans les cités du Latium, de
Campanie et d’Étrurie — rappelons que ces espaces constituent les premières aires de colonisation et de division
romaines, aux portes de Rome — ne semblent pas se différencier fondamentalement de ce qu’on trouve dans
d’autres contextes protohistoriques. Les formes sont celles
de bandes de terre plus ou moins régulières. À Suessa
Aurunca (Campanie septentrionale), la trame des chemins
dessine une forme en bandes ondulantes qui paraissent
avoir été adaptées à la zone de collines qui entoure la ville
antique (Chouquer et al.,1987, fig. 51 p. 171). Si l’identification proposée était avérée — à savoir qu’il puisse s’agir
d’une division agraire précoce — on aurait un exemple très
proche des parcellaires protohistoriques qu’on trouve dans
l’Europe du nord et de l’ouest. Pour la cité antique
d’Anagnia, nous avons, de même, suggéré une possible
organisation précoce dans un ensemble de chemins et de
limites parcellaires respectant souvent des mesures
romaines, mais ne dessinant pas une forme stéréotypée et
périodique (eid., fig. 17 et 18, p. 114 ; carte dans Chouquer
et Favory, 1991, p. 103). C’est aussi le type observé à
Venafrum, avec des bandes très nettement dessinées mais
d’espacement irrégulier (carte dans Chouquer et Favory,
1991, p. 106-107 et 202).
26
Plus aisées à qualifier et sans doute aussi bien plus vraisemblables, les formes en bandes rectilignes avec périodicités
renvoient à des limitations qu’on peut classer dans le type
des lacinéations, strigations ou scamnations établies par le
tracé de chemins intersécants et par le dessin d’unités intermédiaires. Elles sont attestées aux IVe et au début du IIIe
siècles av. J.-C. L’exemple type de cette forme est sans doute
la grande limitation d’Alba Fucens, découverte par
Castagnoli, et dont nous avons, à sa suite, développé l’analyse et fourni une carte d’ensemble (eid., fig. 27, p. 131 ;
carte reprise dans Chouquer et Favory 1991, p. 105). La
forme est une lacinéation développée au moyen de longues
bandes pouvant aller jusqu’à 16 à 17 km de long, orientées
à 62° à l’est du nord géographique, et larges de 12 actus
linéaires (soit environ 12 x 35, 48 m = 425,76 m).
La bande est matérialisée au sol soit par une limite (muret
de pierres sèches ou fossé), soit par un chemin interparcellaire. Par quels termes les arpenteurs romains désignaient-ils
ces réalités ? Pour répondre à cette question, la recherche
a consisté à comparer la morphologie agraire et le texte des
notices conservées du Liber coloniarum, et de le faire pour
les cités du Latium et de Campanie du Nord dans lesquelles
on repère une division précoce du sol par Rome (Chouquer
et al.,1987, 238-239 ; carte générale dans Chouquer et
Favory, 1991, p. 97). Ces résultats ont permis de suggérer
des rapprochements et de découvrir comment les arpenteurs romains nommaient la morphologie agraire.
Dans les réalisations romaines, le nom du chemin est limes
intercisivus (chemin intersécant), et on possède des indices
suffisants pour dire que tel était le nom de l’axe dans des
planifications précoces romaines adoptant la forme en
bandes à la fin du IVe ou au début du IIIe s. av. J.-C. (ex. à
Interamna Lirenas, 234, 20 La ; Venafrum 239, 9 La ; Alba
Fucens 253, 5-14 La). Ce chemin est la matérialisation d’une
visée initiale qui produit un alignement appelé rigor interiectivus (littéralement, “l’alignement jeté entre” : PseudoAgennius, 31, 21 Th). Dans son étude, André Déléage avait
choisi de traduire limes intercisivus par “chemin interparcellaire” (Déléage, 1934), ce qui ne rend pas suffisamment la
notion de “couper par le milieu”, “fendre” qui se trouve
dans le verbe intercido d’où vient l’adjectif intercisivus. Voilà
pourquoi je propose “intersécant”.
Cependant l’expression de chemin intersécant n’est pas
exclusivement réservée à la définition des principales formes
intermédiaires des divisions romaines, ici la bande, ailleurs la
centurie. Son emploi est également attesté pour désigner
les chemins de moindre niveau, ceux qui divisent l’espace en
lots ou en unités sous-intermédiaires. Ainsi une centurie carrée peut être divisée en plusieurs bandes par des limites
intercisivi. Il en va de même dans les divisions en bandes, où
les limites intercisivi servent à définir des unités sous-intermédiaires. Le terme de limitatio est donc bien le terme le
plus générique qui soit, et il ne désigne pas plus les formes
précoces en bandes, que les formes classiques en centuries.
Quel est le nom de la bande elle-même entre deux chemins ? Il n’est pas certain qu’elle en ait possédé un. Dans
G. CHOUQUER
l’état actuel de la réflexion, on peut suggérer la position suivante. Le terme de limitatio désigne le mode de découpage
de l’espace agraire au moyen de chemins. Il provient d’une
intercisio, c’est-à-dire d’un découpage du territoire en vue
de l’assigner par lots.
Ensuite des termes comme lacineae, strigae, scamna, praecisurae, qu’on rencontre très souvent dans les notices du
Liber coloniarum, renvoient au mode de désignation des
lots dans la bande ainsi définie. Le terme lacineae, par
exemple, est fréquent en Latium et Campanie, quasi inexistant ailleurs (un seul exemple en Bruttium). Dans les notices
latio-campaniennes du Liber coloniarum qui se réfèrent à de
telles formes précoces, on trouve le plus souvent 1. le terme
lacinea, 2. la mention de limites intercisivi, et 3. trois fois la
formule groupée in lacineis limitibus intercisivis qu’on pourrait traduire par “en lacineae au moyen de limites intersécants” (Chouquer et al.,1987, 238-239). Dans ce dernier
cas, la lacinea peut être non pas toute la bande située entre
deux chemins, mais l’unité de terre subdivisée attribuée au
colon. On a divisé le sol par des limites formant de grandes
bandes, et on l’assigne par lots au moyen d’unités dites lacineae.
Ma proposition est, en effet, que les termes de striga, scamnum, lacinea, praecisura, peuvent être compris comme désignant le mode de lotissement de la bande, et que ce sont,
en quelque sorte, des termes de même niveau hiérarchique,
“sous-intermédiaire” par rapport à la bande elle-même.
La raison d’être de ce niveau sous-intermédiaire est pratique : il faut parvenir à localiser la terre à l’intérieur de la
bande, surtout quand celle-ci peut atteindre des dimensions
considérables (ex. à Alba Fucens, plus de 15 km). On comprend que l’arpenteur ait besoin de subdiviser encore et de
créer des unités numérotées pour désigner ensuite des
terres ou des lots à assigner. Il lui faut une unité plus petite,
à l’intérieur de cette unité intermédiaire qu’est la bande,
trop vaste et seulement désignée par les numéros des axes
qui l’encadrent.
Cette distinction entre un mode de division et la nécessité
de disposer d’unités sous-intermédiaires pour l’assignation
avait été très bien vue par Déléage (1934, p. 74). La clé de
cette question délicate, en raison du caractère polysémique
des termes striga et scamnum, tient probablement au développement d’enquêtes morphologiques et métrologiques
détaillées qui permettraient de savoir un peu mieux si l’idée
d’unités sous-intermédiaires à l’intérieur des limitationes
précoces est valable.
La série des exemples connus dans l’aire latio-campanienne
renvoie à des datations assez groupées, situées entre le
milieu du IVe s. et les premières décennies du IIIe s. av. J.-C.
si, du moins, l’interprétation romaine des formes observées
est confirmée pour chacun des cas envisagés. En effet, on
ne doit pas exclure l’hypothèse que tel ou tel parcellaire en
bandes, notamment lorsqu’il ne présente pas de périodicité
métrologique romaine, puisse être un parcellaire “indigène”, voire une reprise romaine de formes indigènes.
Je conclus cette première partie. Les sociétés de la protohistoire mettent en œuvre de façon précoce l’organisation de
la planimétrie des espaces qu’elles occupent. Le phénomène peut commencer très tôt, dès le premier Âge du Bronze.
Mais la phase majeure est, partout, celle des Âges du Fer,
surtout du second. Le fait que le phénomène soit parallèle
dans les espaces protohistoriques et dans ceux qui sont
conquis par Rome, montre que la cause majeure de cette
émergence de la planimétrie agraire n’est pas la conquête
romaine, mais quelque chose de plus général dont la
conquête fait partie et qui représente un chapitre plus
remarqué que les autres, notamment par les techniques
mises en œuvre et par la documentation héritée (textes des
gromatici veteres). Les formes de cette organisation planimétrique sont complexes, et tendent, globalement, vers la
planification régulière à l’aide de systèmes en bandes, souvent très développés.
2. - Les processus de transmission des
formes dans la durée
2.1. - Position du problème
Lorsque, dans les années 70 et 80, les photo- et cartointerprètes estimaient pouvoir lire et reconstituer des centuriations sur des cartes et des clichés aériens, ils posaient
un implicite qu’ils ne pouvaient guère démontrer : que les
formes se soient transmises et que “dans” la forme
actuelle on ait la possibilité de chercher des éléments de
la forme ancienne, celle-ci étant “cachée” dans la planimétrie comme le vent joufflu l’est dans le ciel nuageux
des images enfantines qu’il faut retourner en tous sens
pour finir par le trouver. Ce qui leur inspirait confiance
dans cette possibilité de lecture, c’est : 1. qu’ils connaissaient le modèle à chercher ; 2. qu’ils disposaient de deux
critères stables, l’orientation constante et la périodicité
métrologique, susceptibles d’être mis en œuvre de façon
scientifique et expérimentale.
De même nature étaient les travaux d’Éric Vion sur les
réseaux routiers. Ce chercheur a défendu le présupposé
d’une importante transmission des formes du passé dans
les états planimétriques hérités. Il a défini une méthode
cartographique à base de tris, afin de repérer des anomalies de formes (Vion, 1989).
Ces principes heurtaient les archéologues et les historiens
en raison de la vision stratigraphique qui était la leur et de
leur présupposé morpho-historiciste. Comme l’ancien
était présumé situé “dessous”, comme les périodes fonctionnaient sur la base de morphologies captives (à chaque
période sa forme), la transmission était estimée anecdotique, comme une ruine médiévale ou antique en élévation peut l’être aujourd’hui au milieu d’étables en tôle
ondulée et de pavillons vendus sur catalogues… Des cas
individuels de transmission étaient acceptés, mais l’idée
que la forme d’ensemble puisse être transmise n’était pas
27
G. CHOUQUER
recevable. L’argument principal était que cela renvoyait à
une vision déterministe et fixiste, “à la Roupnel”, alors
que la mobilité et la contingence étaient les horizons des
historiens et des archéologues. Il fallait donc changer et
on concevait le changement par périodes.
Les photo- et carto-interprètes ont eu raison de ne pas
baisser les bras malgré les incompréhensions, car la situation intellectuelle et scientifique est bouleversée, au point
que cette idée s’impose. L’archéologie préventive a
apporté, grâce aux nombreux dossiers cités plus haut, des
matériaux considérables pour apprécier la nature et l’ampleur de cette transmission. Un nouveau cadre théorique
est donc à mettre en place.
2.2. - Transmission et transformation
Le processus est double et paradoxal : il y a transformation et transmission, l’une parce qu’il y a l’autre.
L’explication est difficile puisqu’il s’agit d’une relation
dans le temps long qui met en jeu le rapport entre le fait
local et son amplification planimétrique.
La coupe de Pierrelatte “les Malalones” démontre un fait
majeur (Berger et Jung, 1996 ; Chouquer, 2000, p. 167 ;
Études Rurales 2003, p. 25). Sur deux millénaires environ,
la transmission ne cesse d’opérer et le fossé creusé pour
la première fois par un agriculteur de l’Antiquité, devient
le potentiel sur lequel plusieurs fossés parcellaires se fondent pour leur propre existence, malgré des interruptions
qui peuvent durer plusieurs siècles. Que la haie du paysage actuel transmette encore l’orientation antique est un
fait majeur. Bien entendu on a compris que cette transmission s’est produite alors que les états de l’occupation
du sol changeaient radicalement et que le mode d’exploitation de ce secteur variait tout autant. La transmission
s’est donc faite dans un contexte historique de mutation,
de transformation. C’est même l’existence de ces transformations de l’occupation du sol qui font qu’il y a eu
transmission, car si le site avait été enseveli et que plus
jamais il n’ait évolué (forêt ou friche permanente), il n’y
aurait pas de connaissance en surface des états anciens
enfouis et donc pas de transmission. C’est pour cela que
j’ai suggéré de nommer “transformission” (de transformation et transmission) ce phénomène original et paradoxal. Mais si on n’aime pas les néologismes, on peut se
passer du mot pour ne retenir que le phénomène.
Cependant, cette information ne suffit pas. Il faut replacer cette coupe dans la planimétrie pour mieux comprendre l’intérêt du phénomène. Le premier fossé agraire, à la base de la coupe, est tracé en respectant l’orientation de la centuriation d’Orange.
Ensuite, en effet, le maintien du même emplacement (isotopie de la forme) et de la même orientation (isoclinie)
pour les fossés ultérieurs ne transmet pas seulement le
fossé antique, mais contribue à la transmission de la
forme orientée antique toute entière. Quand on apprend
28
de Jean-François Berger et Cécile Jung que ce processus a
concerné 70 % des fossés qu’ils ont sondés en moyenne
vallée du Rhône, on découvre que c’est un processus paysager original et non pas un cas particulier. L’archéologie
préventive démontre donc, en quelque sorte, la réalité du
processus de transmission sur lequel on se fondait pour
étudier les centuriations dans les années 70 et 80.
Ce qui est devant nous est une nouvelle extension du
principe : accepter l’idée que ce processus maintenant
avéré pour les centuriations romaines, va pouvoir être
observé pour tout parcellaire. Autrement dit que “dans”
n’importe quel parcellaire actuel, “dans” n’importe quel
réseau viaire actuel, lus sur des documents planimétriques
modernes ou contemporains, nous devons pouvoir poser
l’hypothèse d’une transmission et d’une transformation
de formes plus anciennes.
Désormais une vérification systématique s’impose : comparer les formes viaires et parcellaires issues des fouilles
préventives avec le plan du parcellaire de la région
concernée, tel qu’on le voit sur les plans cadastraux, les
cartes et les photographies aériennes des XIXe et XXe s.
On mesurera alors la part de transmission et la part de
changement.
Je l’ai fait pour des dizaines d’exemples sur lesquels je travaille. Je peux vous dire que le résultat est massif : la
transmission n’est pas une anecdote, mais un fait majeur
de l’histoire du parcellaire, un fait globalement méconnu.
Mais ce fait ne peut pas être perçu tant qu’on produit des
cartes dans lesquelles on ne fait pas le lien entre les
formes anciennes et celles plus récentes. Il échappe tant
qu’on en reste à une approche archéologique stricto
sensu (le vestige archéologique en lui-même) ou une
approche topographique (repérer et localiser des objetstypes de l’antiquité ou du Moyen Âge dans un espace
auxquels il sont pour l’essentiel étrangers) au lieu de passer à une approche archéogéographique (le vestige trouvant sa place dans une forme et, en plus, dans une forme
en mouvement dans la longue durée). Le passage de l’archéologie et de la topographie à une morphologie est
l’évolution en cours.
2.3. - Quelle est la place des découvertes faites en
forêt dans ce schéma ?
Bien entendu, les découvertes faites dans les milieux
forestiers n’entrent pas exactement dans ce schéma,
puisque l’occupation du sol y a été sérieusement interrompue par la reprise du couvert forestier, et qu’il n’y a
pas eu transmission mais plutôt fossilisation de ruines ou
éléments relictuels.
Ces découvertes apportent néanmoins une double information quant à la dynamique de long terme. La première
est que les forêts sont un conservatoire de formes planimétriques anciennes dont la majeure partie est antique
(ce que j’ai rappelé plus haut). La seconde est qu’elles
G. CHOUQUER
prouvent l’importance de la mobilité paysagère, celle-ci
pouvant aller jusqu’à l’inversion, puisque ce qui était
ouvert est devenu forestier.
Les travaux des archéologues, des agronomes et des
forestiers qui explorent les forêts vont donc bien dans le
même sens global que tous les autres, en affirmant l’ampleur de la création parcellaire précoce, qui emprunte
quelquefois les formes de la planification en bandes
(exemple de Saint-Amond, fig. 3 p. 178 dans GeorgesLeroy et al.,2003) et, ensuite, celui d’une mobilité de l’occupation du sol. Simplement, ici, la transmission ne joue
pas comme elle joue dans des espaces ouverts, occupés
en continu.
2.4. - Modalités de formation de la mémoire
planimétrique
L’équipe d’archéogéographie que j’anime a travaillé sur le
phénomène de transmission et de transformation. Deux
avancées majeures ont été acquises (Études Rurales, 2003).
La première a été de définir le caractère auto-organisé du
processus d’évolution de la forme dans la durée, une fois
l’occupation (au sens antique du terme) ou la planification
initiale établies. Ce processus reste explicatif y compris
lorsque des interventions planifiées postérieures, historiquement repérables, ont pu rythmer l’histoire de la voirie, de
l’habitat et du parcellaire. Sur ces sujets, les thèses principales sont celles de Claire Marchand (2000) et Sandrine
Robert (2003).
Ensuite, nous avons travaillé sur la question des modalités
de cette transmission. Car il est malgré tout étonnant de
constater des transmissions jouant sur plusieurs millénaires,
donc de longue et même très longue durée. Sandrine
Robert a décrit avec pertinence les modalités de cette transmission (Robert, 2003a), en montrant que son aspect n’est
pas seulement matériel, mais aussi lié à l’organisation d’ensemble de la planimétrie. Sur la base d’une subtile distinction entre la trace et la forme, ou encore d’une articulation
entre le flux, le tracé, la construction ou forme d’ensemble,
il est possible de dire comment s’opère la transmission en
dehors d’une continuité matérielle locale entre la trace et la
forme.
Dans des travaux encore inédits (Traité d’archéogéographie,
vol. 1), j’ai décrit les processus, complexes et interagissants,
de formation et d’interprétation de la mémoire des formes.
J’ai montré comment la forme, dans son traitement morpho-historique, a été le résultat d’un double processus :
l’un, dit de “décimation de l’information initiale”, aboutit à la formation, dans la durée des temps historiques,
d’une forme auto-organisée qui est le réseau d’habitat ou la
trame viaire ou parcellaire sur laquelle nous travaillons. Ce
phénomène n’était pas connu et on croyait pouvoir raconter une histoire exactement inverse du processus réel, en
fondant le récit sur l’idée que les formes allaient de la perfection initiale à la dégradation historique. Or le schéma est
inverse puisqu’on va de la profusion initiale (disparité initia-
le de l’Âge du Fer) à la mise en ordre progressive par autoorganisation (apparition d’une forme dite résultante). C’est
dans ce cadre auto-organisé que se font les nouvelles interventions (sauf rares cas d’éradication et de planification
intégrale) qui construisent, alors, la diversité historique.
l’autre, cette fois au niveau des représentations savantes,
est un processus dit de “représentation spéculaire”. Il a
consisté à projeter sur le passé, cette forme résultante et à
la faire fonctionner comme filtre de lecture des formes
historiques. Le processus reposait sur la fabrication d’objets nécessaire à la bonne marche d’un récit fondé sur le
progrès des lumières et la nécessité des ruptures. Trois
objets emblématiques ont ainsi été surdéterminés, la centuriation antique, l’openfield et le bocage médiévaux.
Le fait que l’étude ait été partagée entre diverses disciplines assez cloisonnées (histoire, archéologie, géographie), n’a pas aidé à la prise de conscience de ce processus de “modernisation” de l’étude.
Aujourd’hui, l’information issue des travaux archéogéographiques et des fouilles préventives bouscule considérablement la donnée. Il faut reconstruire un tout autre schéma. C’est à cet objectif qu’est voué le travail archéogéographique dans les prochaines années.
3. - Le nouvel équilibre du récit
historique
J’en viens donc à ce qui constitue la préoccupation nouvelle, celle d’un réordonnancement du récit. Je le fais à
partir de l’exemple français, en indiquant que des observations très intéressantes pourraient être exploitées dans
les pays voisins et que des transferts réciproques sont
possibles selon les cas.
Comme j’ai consacré environ 150 pages à cette question
dans le premier tome du Traité d’archéogéographie, je ne
donne ici que quelques aspects importants.
3.1. - Le récit géo-historiciste
À l’époque de Marc Bloch, de Roger Dion et de Gaston
Roupnel, le récit s’ordonnait sur les bases suivantes. On
ne savait strictement rien des périodes pré-féodales. Par
conséquent on partait de l’actuel. On faisait le constat
géographique des formes, modelés et régimes agraires
qui caractérisaient l’ancienne France, et on les classait en
trois catégories principales censées se partager l’espace
français : les pays de champs ouverts, les pays de champs
clos, les pays de champs irréguliers du midi. Derrière ces
catégories se profilaient des types originels surdéterminés
qu’on allait progressivement faire émerger : l’openfield, le
bocage, déjà bien connus des auteurs des années 30 ; la
centuriation qui allait s’imposer seulement vers les années
50 en France.
29
G. CHOUQUER
À partir de là, on remontait dans le temps à la recherche des
origines. Cependant, la thèse de Gaston Roupnel, celle
d’une origine de ces régimes qui serait à situer dans la nuit
des temps était, dans les années 30, déjà abandonnée par
les esprits les plus sérieux. Chez Marc Bloch, qui n’avait rien
à dire sur les époques pré-médiévales, le tableau ne commençait de fait qu’avec le Moyen Âge féodal, censé être la
phase de mise en place des communautés villageoises et de
leur organisation si particulière de l’espace.
Le paysage agraire était donc une affaire millénaire et
médiévale. Ce qu’il y avait avant n’était pas connu, et, au
mieux, s’il devait l’être un jour, le serait, pensait-on, en
discordance avec ce qui avait suivi.
3.2. - Révisions transitoires de l’ancien récit
Il ne fait pas de doute que la découverte progressive des
centuriations — en France dans les années 50-90 — a,
dans une phase que je qualifie de transitoire, accusé le
schématisme de cette typologie. Puisque l’espace antique
se remplissait de quadrillages, on était donc conforté
dans l’idée de rapporter préférentiellement au Moyen
Âge toutes les formes observées autour des villages.
L’openfield et le bocage devinrent alors les objets typologiques essentiels pour qualifier la phase médiévale et
moderne, même si on restait évasif sur la date d’apparition de ces phénomènes.
On fit alors de l’openfield une planification globale (mais
non pas primaire puisqu’il y avait eu autre chose avant),
censée donner au Moyen Âge son identité et sa forme
emblématique (Zadora Rio, 1991, principalement sur la
base de travaux britanniques).
On ne prit pas conscience que l’openfield ou le bocage
n’existaient pas en tant qu’objets identitaires aux échelles
d’espace et de temps où on voulait les faire fonctionner,
et qu’il s’agissait alors de représentations très essentialistes de réalités beaucoup plus diverses à la fois dans l’espace et le temps, c’est-à-dire de “représentations spéculaires” (sur l’openfield, voir Lavigne, 2003 ; sur le bocage,
au profit de Watteaux, 2005). De même on ne prit pas
conscience que la centuriation n’était pas cette forme
ubiquiste et déterministe qu’on voulait y voir, — et qui
conduisit en effet à en voir partout — mais une forme historique précise et dont la transmission avait sérieusement
renforcé les traits dans les planimétries hérités (belle
démonstration dans Marchand, 2003).
3.3. - Un autre équilibre
Un équilibre différent conditionne désormais le nouveau
récit d’histoire de la planimétrie que nous devrons prochainement produire.
Si la phase antique, au sens large (protohistoire et antiquité romaine), est celle de la projection de nombreuses
formes qui continentalisent l’espace, si la disparité est
initiale (profusion des orientations et des géométries par-
30
cellaires) et que la suite de l’histoire est une décimation
progressive des formes, malgré des interventions planifiées encore repérables, l’équilibre se déplace au profit
de l’Antiquité quant à la “genèse” des formes.
Disons-le simplement. L’Âge du Fer vient d’entrer comme
un candidat particulièrement sérieux dans le récit global
d’histoire des formes planimétriques. Mais il vient de le
faire non pas comme une phase importante mais stratigraphiquement close, et donc oubliée de la mémoire des
formes. Il vient de le faire comme une phase initiale d’un
processus au développement bimillénaire. La genèse des
planimétries n’est plus médiévale, pas même exclusivement romaine puisque les centuriations sont un chapitre
spécifique dans ce plus vaste mouvement de développement de la planimétrie qui touche toutes les sociétés protohistoriques et romaines. Elle est antique, au sens large,
et transmise aux époques ultérieures, avec une gamme
complexe et asynchronique de situations locales et une
régularité micro-régionle qui nécessite une réflexion
d’échelle.
Dès lors, et c’est un événement majeur pour l’histoire des
formes planimétriques, les époques médiévales et
modernes apparaissent différemment. Elles ne sont plus
le temps de la genèse de notre planimétrie, après une
tabula rasa de plusieurs siècles. Elles sont le temps de la
“transformission” de la planimétrie héritée de l’Antiquité
pré-romaine et romaine, transformission qui s’opère sur
la base d’une auto-organisation. Il faut voir cette autoorganisation comme un phénomène de réenrichissement
des formes. La diversité des formes de l’occupation du
sol, parce que celles-ci créent des transformations renouvelées, provoque une transmission marquée des orientations et des formes antiques. Les centuriations antiques
— la démonstration serait encore plus nette en Italie
qu’en France — comme les parcellaires hérités de la protohistoire, sont alors autant des constructions médiévales et modernes que des survivances antiques “miraculeusement préservées”. Les exceptions à ce schéma
général existent : ce sont les cas avérés de planifications
médiévales (décrites dans Lavigne, 2002 ; travaux en
cours sur les planifications en Italie et en Espagne), ainsi
que des situations locales discordantes connues ici ou là
(intéressants exemples dans Gautier, Naas et Leroux,
1996).
Nous comprenons alors un peu mieux que les diagrammes chronologiques des archéologues montrent
souvent un “trou” de l’information pour le Moyen Âge
(Jung 1999, fig. 84, 106, 113 ; Europort Vatry, 2005,
fig. 202, p. 145). L’explication n’est pas uniquement à
chercher dans des causes externes de type taphonomique (par exemple un optimum climatique bien pratique pour expliquer qu’il n’y a plus besoin de parcellaires
fossoyés, ce qui justifierait qu’on ne voit pas le parcellaire). Elle est à chercher dans la dynamique du parcellaire
lui-même.
G. CHOUQUER
Si l’on doit renoncer à l’idée d’une succession de morphologies agraires (et urbaines) totalement indépendantes, dont chacune aurait été spécifique à une grande
période de l’histoire agraire, les conséquences sont
importantes. Il faut alors admettre que la dynamique des
planimétries n’est pas un décalque de la périodisation
dans laquelle les historiens ont défini leurs objets et leurs
catégories. Il faut refonder les objets à partir desquels on
écrit l’histoire de la formation de la planimétrie.
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Stéphanie GOEPP(1), Dominique SCHWARTZ(1), Michel THINON(2), Christian JEUNESSE(3)
(1) Université Louis Pasteur, Faculté de Géographie et d’Aménagement, 3 rue de l’Argonne, 67083 – Strasbourg Cedex – [email protected][email protected]
(2) Institut Méditerranéen d’Ecologie et de Paléoécologie (IMEP, UMR 6116) – Faculté des Sciences et Techniques Saint-Jérôme, Avenue Escadrille Normandie-Niemen – boîte
451, 13397, Marseille Cedex 20 – [email protected]
(3) Service Régional d’Archéologie d’Alsace, DRAC, Palais du Rhin, 2, place de la République, 67082 Strasbourg Cedex – [email protected]
Résumé
L’histoire de la végétation des Hautes-Chaumes des Vosges est encore mal connue. Aussi, le but de notre étude est de
retracer les phases majeures des changements de végétation et des variations de l’écotone forêt/prairie à l’échelle de
l’Holocène, et d’acquérir une meilleure connaissance des facteurs d’évolution des paysages, parmi lesquels le facteur
anthropique est prédominant (feux, déforestations, abandons, défrichements…).
A ces fins, la méthode pédoanthracologique - étude des charbons de bois des sols - a été testée dans le massif du Rossberg. Les
charbons ont été extraits de deux sols bruns acides situés sous prairie, puis déterminés. Dix-huit d’entre eux ont été datés par
AMS. Leur âge s’étend de 22000 à 1000 ans BP. S’y ajoute une datation sur une charbonnière. Les résultats montrent :
une distribution aléatoire de l’âge des charbons dans les sols. Le processus principal expliquant cette dispersion semble
être la bioturbation ;
l’existence de possibles phases de feux, à des périodes variées, depuis le Néolithique. Alors que les historiens estiment
que la première ouverture de la forêt sommitale date du 8e siècle AD, notre étude montre qu’elle a probablement au
moins 2100 ans. Il est évident que l’existence de défrichements précoces a été jusqu’à présent sous-estimée ou inconnue ;
une corrélation entre trois phases de feux - Bronze final, 2e Age du Fer, Haut Moyen Age - et les périodes d’anthropisation du milieu, principalement liées à des mouvements migratoires de populations.
Mots-clés : Pédoanthracologie, charbons de bois, paléoenvironnements, feux, défrichements, pâturages, écotone
forêt/prairie, Hautes-Chaumes, Vosges, France
Abstract
The history of the “Hautes-Chaumes des Vosges” vegetations are not well known yet. Thus, the purpose of this study is
to retrace the most important phases of vegetation changes, and in particular the variations of the forest/grassland ecotone, at the Holocene time scale, and to acquire a better knowledge of the factors which influence the landscape evolution, among which the human factor is predominant (fires, clearings, abandonments…).
That is why the pedoanthracological method – soil charcoals study - was tested on the “massif du Rossberg”, covered
by grasslands above 1000 m a.s.l. Charcoal were extracted from two acidic brown soils situated under current grasslands, then determined. Eighteen charcoal were 14C AMS dated. Their ages range from 22000 to 1000 years BP. A dating on a charcoal kiln is added to those. The results show :
a random distribution of the age of charcoal in the soils. The main process explaining this dispersion seems to be the
bioturbation ;
the existence of possible fire phases, at varied periods, since the Neolithic. The first opening estimation of the upper
forest goes back to the 8th century AD. But it is likely to date from at least 2100 years. It is obvious that the existence
of early clearings has been yet underestimated or unknown ;
a correlation between three fire phases - final Bronze Age, Second Iron Age, High Middle Age - and the anthropologic periods, notably at the time of human migrations movements.
Key words : Pedoanthracology, charcoal, palaeoenvironments, fires, clearings, grasslands, forest/grassland ecotone,
Hautes-Chaumes, Vosges, France
35
S. GOEPP, D. SCHWARTZ, M. THINON, C. JEUNESSE
36
T. Adam
Les “Hautes-Chaumes” sont des milieux naturels ouverts
de type prairial, localisés sur les principaux sommets des
Vosges. Afin de mieux protéger ces espaces naturels, une
meilleure compréhension de leur origine, histoire et évolution est nécessaire, ainsi qu’une connaissance accrue
des modes économiques passés de mise en valeur et
d’utilisation des espaces forestiers et pastoraux adjacents.
Jusqu’à présent, les chaumes dépassant 1250 à 1300 m
d’altitude étaient considérées comme “primaires”, donc
naturelles, les autres étant considérées comme “secondaires”, issues de défrichements anthropiques (Carbiener,
1966). Nous cherchons à nuancer cette affirmation, l’évolution de ces espaces pastoraux étant mal connue, en
particulier pour les périodes précédant le Moyen-Age,
pour lesquelles nous ne bénéficions pas de documents
d’archives.
Le constat actuel concernant l’évolution paysagère au
cours des XIXe et surtout XXe siècles est celui d’une progression rapide de la forêt sur les espaces pastoraux (photos 1 et 2). Cette reprise forestière naturelle considérable
souligne le dynamisme forestier et l’importance de l’évolution du paysage sur un temps séculaire, donc relativement court. De façon identique, d’autres périodes du
passé ont pu subir les mêmes évolutions. Ainsi, les conséquences de la Guerre de Trente Ans (1618-1648) ont été
ressenties longtemps après la fin de cette période troublée, certaines chaumes restant inexploitées jusqu’au
début du XVIIIe siècle (Boyé, 1903 ; Garnier, 2004). Autre
exemple, celui de défrichements médiévaux liés à l’installation des abbayes dans de nombreuses vallées vosgiennes au cours des VIIe-VIIIe siècles de notre ère.
L’installation de populations dans les différentes vallées
vosgiennes est avérée dès le Haut Moyen-Age par les
archives historiques (Garnier, 2004) ; avant cette période,
les écrits concernant les installations humaines dans les
vallées vosgiennes deviennent rares, ce qui ne préfigure
en rien l’absence de l’Homme dans la région. Aux preuves
écrites se substituent alors des traces archéologiques,
pour la période antique principalement : voies romaines
traversant les Vosges par le col de Bussang et par celui de
Saales, rares traces d’habitats ou d’industries protohistoriques, au col du Bonhomme par exemple (Simon, 1992 ;
Uhlrich et al.,1988 ; Pétrequin et Jeunesse, 1995). Les
traces sont toutefois trop fragmentaires pour donner une
image précise de l’évolution des chaumes vosgiennes.
Afin de montrer les évolutions “naturelles” de ces paysages pastoraux, à la fois à des échelles temporelles pluriséculaires à plurimillénaires (Holocène) et à des échelles
spatiales réduites à quelques centaines d’hectares de
chaumes, il est nécessaire de pallier les lacunes temporelles des archives historiques, et celles, spatiales et chronologiques, des sites archéologiques. Actuellement, les
charbons de bois des sols sont parmi les seuls marqueurs
paléoenvironnementaux à répondre à ces exigences, aux
échelles spatiales locales. L’analyse pédoanthracologique
présentée ici nous permet de remettre en cause l’origine
jusqu’à présent supposée médiévale des chaumes dites
“secondaires”. En outre, elle complète et affine celle
précédemment effectuée dans un sol du Rossberg
(Goepp et al.,sous presse ; Schwartz et al.,2002 , 2005,
sous presse).
T. Adam
1. - Introduction
Photos 1 et 2 : Evolution entre les années 1900 (en haut) et 2002 (en bas) de
l’état de la chaume du Gsang, au nord du Rossberg.
2. - Site d’étude
Le massif du Rossberg est situé à l’extrémité Sud-Est
d’une ligne de crête secondaire orientée Nord-Ouest/SudEst, dans le Sud du massif vosgien (figure1). Cet
ensemble de sommets, dont les altitudes ne dépassent
pas 1191 m, est respectivement limité au Nord et au Sud
par les vallées profondément entaillées de la Thur et de la
Doller, rendant les versants de ce massif très pentus. Le
soubasssement géologique est constitué par un ensemble
complexe de roches volcano-sédimentaires d’origine primaire (grauwackes et schistes du Dévono-Dinantien). Sur
cet ensemble se développent des types de sols relativement homogènes : sols bruns ocreux et acides (Boudot,
1974, 1976), ainsi que, localement, des andosols et sols
bruns andiques (Aran, 1998). Le climat est de type semi-
S. GOEPP, D. SCHWARTZ, M. THINON, C. JEUNESSE
continental à caractère océanique marqué : la pluviosité
y est très élevée (2000 mm/an environ sur la crête centrale), la température moyenne annuelle fraîche : 5 °C à
1200 m. La ventilation importante des crêtes joue un rôle
non négligeable sur la physionomie et le métabolisme des
végétaux, notamment sur les ligneux, qui prennent un
aspect tortueux et en drapeau. Les forêts culminales font
place à des espaces ouverts, dont une partie est actuellement mal entretenue : friches, landes à callunes, à myrtilles, à fougères…, alors qu’une autre partie est constituée de prairies de fauche et de pâturages extensifs encore exploités. La composition floristique est caractérisée
par l’abondance des graminées basses (Festuca rubra,
Nardus stricta…) et de la présence de dicotylédones non
ligneuses (Potentilla erecta, …). La hêtraie et la hêtraiesapinière se partagent l’essentiel du domaine forestier,
aux altitudes dépassant 600 m, à l’exclusion de quelques
plantations d’épicéas (Picea abies). Le hêtre (Fagus silvatica) et le sapin (Abies alba) sont souvent accompagnés par
Acer campestris, Acer pseudoplatanus, Fraxinus excelsior.
Aux abords des principaux sommets, généralement audelà de 1000 m, les faciès forestiers de reconquête sont
généralement constitués par une hêtraie pure.
3. - Méthodes
Deux fosses pédologiques ont été décrites (figures 2 et 3),
l’une localisée sur un versant orienté Sud-Ouest (Ross 2),
sur une prairie faiblement pâturée, l’autre sur un versant
orienté Est-Nord-Est (Ross 4), pour laquelle la pression
pastorale est supérieure. Les deux fosses ont fait l’objet
de prélèvements systématiques de sols (figures 2 et 3)
tous les 10 cm. 10 à 12 kg de sol pour chaque niveau
sont nécessaires à l’extraction des charbons. Cette extraction suit un protocole défini par Thinon (1992), repris par
Carcaillet et Thinon (1996), Talon et al. (1998). Les échantillons sont séchés, pesés, puis malaxés dans une cuve
Massif Vosgien
Figure 1 : Localisation du site d’étude et des profils pédologiques.
37
S. GOEPP, D. SCHWARTZ, M. THINON, C. JEUNESSE
rotative avec de l’eau, afin de détruire les agrégats. Le
surnageant, comprenant matière organique et charbons
légers, est versé sur un tamis fin de 0,4 mm, rincé, séché
puis trié manuellement sous binoculaire. Le culot de la
cuve (sables) est ensuite versé sur une colonne de tamis
de 5 mm, 2 mm, 0,8 mm et 0,4 mm, tamisé, mis à défloculer dans une solution défloculante, puis rincé et séché.
L’extraction des charbons se fait par élutriation :
Les charbons, plus légers que le matériau minéral, sont
entraînés par un flux d’eau ascendant et récupérés sur un
tamis. Un nettoyage manuel des charbons est nécessaire
avant observation et détermination. L’observation de
chaque charbon est effectuée sous microscope épiscopique à contraste interférentiel (x200, x500, x1000), et la
détermination à l’aide d’une collection de références de
charbons, et à partir d’ouvrages de référence (Greguss,
1959 ; Jacquiot, 1955 ; Jacquiot et al.,1973 ;
Schweingruber, 1978 ; 1990). Une sélection de fragments individuels de charbons a été datée au 14C par
AMS, pour une part au Laboratoire de l’Université
d’Utrecht aux Pays-Bas, et au Poznañ Radiocarbon
Laboratory en Pologne, pour les autres.
Figure 2 : Description du profil Ross 2.
38
4. - Résultats
Le tableau I présente les résultats des déterminations et
datations par Spectrométrie de Masse Atomique de 18
charbons de bois issus des 2 profils de sols décrits ci-dessus. Il fait apparaître les déterminations, les âges bruts 14C
(par AMS) BP (Before Present), les âges calibrés cal BC
(Before Christ) et cal AD (Anno Domino) et la période historique ou préhistorique correspondante. Notons la diversité des espèces (9 espèces différentes) et la variabilité
temporelle des dates obtenues, s’étendant de 18200 ±
100 à 570 ± 30 BP. Les figures 4 (Ross 2) et 5 (Ross 4)
représentent les âges des charbons en fonction de la profondeur dans le sol, ainsi que la droite et le coefficient de
corrélation âge/profondeur. Au vu de ce coefficient très
faible (R2 de 0,05 et 0,15 respectivement pour Ross 2 et
4), la répartition des âges des charbons semble aléatoire
avec la profondeur.
La figure 6 présente graphiquement les taux de carbone
organique estimés par la méthode Walkley and Black
(1934), et la figure 7 présente les Anthracomasses
Spécifiques par Niveau (ASN en mg.kg-1) calculées en rapportant la masse totale de charbon d’un niveau (mg) par
la masse de l’échantillon prélevé (kg) de ce niveau, après
avoir soustrait la masse des éléments grossiers (> 5 mm).
Figure 3 : Description du profil Ross 4.
S. GOEPP, D. SCHWARTZ, M. THINON, C. JEUNESSE
Référence
Référence
N°
N°profil
profil
profondeur
Profondeur
(cm)
Age
non
Age 14C
14C non
calibré
Age calibré
cal BC / cal
Age calibré
AD
Période
Période
Espèce
Espèce
UtC 11540
Poz 6154
Poz 6147
UtC 11538
UtC 11527
UtC 11531
UtC 11529
UtC 11539
Poz 6150
Poz 6145
Poz 6144
Poz 6149
UtC 11528
Poz 6151
Poz 6143
UtC 11530
Poz 6208
Poz 6153
Poz 6146
Charbonnière
Ross 4
Ross 4
Ross 2
Ross 2
Ross 2
Ross 2
Ross 2
Ross 4
Ross 2
Ross 2
Ross 4
Ross 2
Ross 4
Ross 2
Ross 2
Ross 4
Ross 4
Ross 4
5 - 10
20 - 25
70 - 75
100 - 120
20 - 25
100 - 120
70 - 75
20 - 25
50 - 55
50 - 55
70 - 75
70 - 75
50 - 55
20 - 25
100 - 120
70 - 75
50 - 55
20 - 25
90 - 100
129 ± 31 BP
570 ± 30 BP
1280 ± 30 BP
1301 ± 45 BP
1494 ± 30 BP
1930 ± 60 BP
1968 ± 32 BP
2113 ± 35 BP
2125 ± 35 BP
2135 ± 30 BP
2210 ± 30 BP
2930 ± 35 BP
3030 ± 60 BP
3850 ± 35 BP
5580 ± 40 BP
6970 ± 60 BP
9570 ± 50 BP
10170 ± 170 BP
18200 ± 100 BP
1680 - 1949 cal AD
1300 - 1370 cal AD
660 - 810 cal AD
650 - 830 cal AD
530 - 650 cal AD
50 cal BC - 240 cal AD
50 cal BC - 90 cal AD
210 - 40 cal BC
240 - 40 cal BC
240 - 50 cal BC
380 - 180 cal BC
1220 - 1000 cal BC
1430 - 1110 cal BC
2460 - 2200 cal BC
4500 - 4340 cal BC
5930 - 5720 cal BC
9170 - 8740 cal BC
10700 - 9200 cal BC
20400 - 18900 cal BC
Epoque moderne
Bas Moyen Age
Haut Moyen Age
Haut Moyen Age
Haut Moyen Age
Gallo-romain
Gallo-romain
2e Age du Fer
2e Age du Fer
2e Age du Fer
2e Age du Fer
Bronze final
Bronze final
Néolithique final
Néolithique moyen
Néolithique initial
Mésolithique ancien
Paléolithique final
Paléolithique supérieur
Fagus sylvatica
Acer pseudoplatanus
Acer pseudoplatanus
Fagus sylvatica
Abies pectinata
Abies pectinata
Populus sp.
Juniperus communis
Fraxinus excelsior
Juniperus communis
Juniperus communis
Fagus sylvatica
Acer pseudoplatanus
Coryllus avellana
Fagus sylvatica
Tilia platyphyllos
Pinus sylvestris
Pinus sylvestris
Abies pectinata
cal BC/calAD
calibré
Tableau I : Déterminations et datations 14C par AMS de 19 charbons de bois des sols
-8000
-6000
-4000
-2000
âges calibrés BC/AD
0
2000
-25000
0
-20000
-15000
-10000
-5000
âges calibrés BC/AD
0
5000
0
y = 0,0 04x + 58 ,38
Juniperus
communis
2
R = 0,0 501
20
Ab ie s
pectin ata
Pinus
silvestris
20
Coryllus
avellana
Acer
pseudo.
40
Acer
p se ud o.
Juniperus
communis
40
Pinus
silvestris
60
Tilia
p latyp hyllo s
80
F raxinus
excelsior
60
Juniperus
communis
Fagus
silvatica
Po pulu s sp .
Acer
pseudo.
80
100
Fagus
silvatica
Ab ies
pectinata
Fagus
silvatica
Abies
pectinata
100
120
y = -0,0015x + 44,166
R2 = 0,1538
140
120
profonde ur
(cm)
Figure 4 : Répartition des âges des charbons en fonction de la profondeur
(Ross 2)
profondeur
(cm)
Figure 5 : Répartition des âges des charbons en fonction de la profondeur
(Ross 4)
% car bo ne
0
5
10
15
20
25
30
ASN (mg/kg)
0
0
50
100 150 200 250 300 350 400 450 500 550 600
0
20
20
40
40
60
60
80
80
Ros s 4
100
R os s 2
100
Ros s 2
R os s 4
120
Figure 6 : Répartition du carbone organique en fonction de la profondeur
120
Figure 7 : Répartition des Anthracomasses Spécifiques en fonction de
la profondeur
39
S. GOEPP, D. SCHWARTZ, M. THINON, C. JEUNESSE
Ces quantités de charbons, importantes sous la surface
(2012,7 mg/kg pour Ross 2 et 564,7 mg/kg pour Ross 4),
diminuent rapidement avec la profondeur, pour se limiter
à quelques mg/kg seulement à partir de 75 cm.
5. - Discussion
5.1. - Interprétation des résultats
L’analyse des datations de charbons et de leur détermination préalable (tableau I, figures 4 et 5) nous permet
d’élargir notre champ de connaissances des chaumes du
Rossberg.
Périodes précédant le Néolithique
La date isolée d’Abies pectinata vers 20400 – 18900 cal
BC, en plein contexte pléniglaciaire, confirme l’absence
de glaciers en altitude lors de la dernière glaciation. A
cette époque, seuls des glaciers de cirques et de vallées
étaient présents dans les Vosges, dont la vallée de la Thur
(Flageollet, 2002 ; Andréoli, 2003). La présence de
ligneux, sans doute isolés au vu des conditions climatiques, est donc tout à fait possible, même si les espaces
déglacés devaient être occupés par des végétations herbacées. Plusieurs hypothèses peuvent être émises sur
l’origine, anthropique ou naturelle, de ce charbon, sans
qu’il soit actuellement possible d’en exclure aucune.
L’origine naturelle semble peu probable du fait du climat
froid et sec de cette période ; le rôle de la foudre n’est
toutefois pas exclu. Quant à l’hypothèse d’une origine
anthropique du feu, elle pourrait par exemple être liée au
passage d’un groupe de chasseurs.
La présence du pin sylvestre (Pinus silvestris) vers 107009200 et 9170-8740 cal BC signale une colonisation des
versants par une végétation ligneuse pionnière, suite au
réchauffement climatique post-glaciaire (De Valk, 1981 ;
Edelman, 1985). Dans ce cas, la question de l’origine des
feux reste là aussi posée.
Période néolithique
Le Tilleul (Tilia platyphyllos) est daté de l’optimum climatique holocène, vers 5930-5720 cal BC. De plus, il a été
trouvé sur l’adret (Ross 2), ce qui correspond à une situation ensoleillée, préférée par cette espèce. Les conditions
climatiques de l’époque expliquent qu’on le trouve plus
haut qu’actuellement.
Fagus silvatica est une espèce actuellement très répandue
sur les versants et sommets vosgiens, jusqu’à
1250/1300 m. Un charbon daté de 4500-4340 cal BC
apparaît sur Ross 2, vers 1070-1080 m. La comparaison
avec plusieurs diagrammes palynologiques (De Valk,
1981 ; Edelman, 1985) souligne qu’à cette époque, Fagus
existe dans la composition des forêts, mais pas sous le
faciès connu actuellement comme hêtraie-sapinière.
Le noisetier (Coryllus avellana), daté de 2460-2200 cal
40
BC, est une espèce héliophile qui se trouve préférentiellement dans des faciès arbustifs de recolonisation (anciens
pâturages abandonnés ou friches) ou dans des faciès
forestiers très ouverts (forêt naturelle ouverte, ou clairière
naturelle). C’est le cas actuellement sur un lambeau de
forêt “naturelle” au Rossberg. Il est donc difficile de trancher entre une présence naturelle, liée à l’existence de
faciès forestiers relativement ouverts, et une prolifération
liée à l’exploitation du milieu dès le Néolithique final.
Protohistoire
Acer pseudoplatanus et Fagus silvatica sont représentés
au Bronze final (respectivement 1430-1110 et 1220-1000
cal BC). Communs à cette époque dans les Vosges, ces
deux charbons semblent indiquer une nette présence
forestière sur les 2 versants étudiés du Rossberg.
3 charbons de genévrier (Juniperus communis), dont les
dates ne sont pas significativement différentes, ont été
datés de 380-180 cal BC, 240-50 cal BC et 210-40 cal
BC. La présence de cette espèce, caractéristique d’espaces ouverts abandonnés ou sous-pâturés, atteste de
l’existence des chaumes depuis au moins le 2e Age du Fer.
Elle indique une phase d’abandon, suivie d’une réouverture délibérée par le feu.
Il est remarquable de noter que sur l’ensemble de la
Protohistoire, seules les périodes du Bronze final et du 2e
Age du Fer apparaissent.
Période gallo-romaine
Les dates de l’époque gallo-romaine sont en relative
continuité avec l’époque précédente, et semblent correspondre à une (re)fermeture du milieu après le 2e Age du
Fer : Populus sp. (50 cal BC-90 cal AD), bien que non
déterminé à l’échelle spécifique, pourrait correspondre à
Populus tremula (tremble). En effet, seul P. tremula
semble être présent sur les contreforts vosgiens et les
sommets (jusqu’à 1330 m), P. nigra et P. alba restant plutôt confinés à la vallée du Rhin et à la plaine d’Alsace
(Issler et al.,1965). Or cette espèce est exigeante en
lumière, et caractéristique des lisières et clairières. Sa présence correspondrait alors à un abandon des chaumes,
sur un versant qui, quelques dizaines d’années auparavant, voire de façon contemporaine, était déjà envahi par
du genévrier commun. La phase de feu peut être interprétée comme une tentative de réouverture du milieu.
Moyen-Age
L’activité pastorale au Haut Moyen-Age s’est développée
après une période déconnectée de l’époque gallo-romaine. En effet, une période relativement longue entre la fin
de l’Empire gallo-romain et le Haut Moyen-Age apparaît.
Abies pectinata, Fagus silvatica et Acer pseudoplatanus,
datés respectivement de 530-650, 650-830 et 660-830
cal AD, sont des espèces communes des forêts d’altitude
vosgiennes. Une raréfaction des feux semble avoir lieu
dès la fin du Moyen-Age, puisque seul 1 charbon est daté
S. GOEPP, D. SCHWARTZ, M. THINON, C. JEUNESSE
du Bas Moyen-Age (Acer pseudoplatanus, 1300-1370 cal
AD), et qu’aucune date n’émaille l’époque moderne. Le
Moyen-Age constitue donc la dernière phase au cours de
laquelle le feu est employé pour exploiter le milieu.
L’absence de passages de feux depuis 650 ans est sans
doute liée à la pression agricole et pastorale fortes, et à
une évolution des techniques vers d’autres modes de
défrichements : charbonnage, surcénage (Reitzer,
1990 ; Garnier, 2004 ; Goepp et al.,sous presse). La présence de nombreuses charbonnières dans le massif du
Rossberg, dont certaines sont situées sur les chaumes
(Goepp et al.,sous presse) souligne l’apparition d’un nouveau mode d’exploitation du milieu forestier. Une datation de charbon (tableau I) nous permet de rattacher
cette technique au développement industriel des vallées
de la Thur et de la Doller au XVIIIe siècle.
5.2. - Apports méthodologiques
Plusieurs constats majeurs peuvent être faits quant à la
répartition des charbons de bois dans les sols. D’une part,
les anthracomasses (ASN), tout comme le carbone organique de ces sols, diminuent en fonction de la profondeur
(fig. 6 et 7). Cette répartition est donc relativement similaire. D’autre part, les âges des charbons de bois dans ces
deux profils de sols (fig. 4 et 5) sont répartis aléatoirement
avec la profondeur, si l’on se réfère à la droite de régression (Hopkins et al.,1993 ; Carcaillet et Talon, 1996).
Enfin, il existe une distribution aléatoire avec la profondeur de charbons d’une espèce donnée datée d’une
période donnée. En effet, dans le profil Ross 2, trois charbons de genévrier se situent à des profondeurs variables :
20-25 cm, horizon A12 ; 50-55 cm et 70-75 cm, horizon
B, alors que leurs dates ne sont pas significativement différentes. Les deux charbons de genévrier temporellement
les plus proches pourraient provenir d’un seul individu. De
façon similaire dans le profil Ross 4, deux charbons de pin
sylvestre sont situés l’un dans l’horizon A12 (20-25 cm),
l’autre dans l’horizon Sal (50-55 cm) , mais ont des âges
relativement voisins, bien que les dates ne se chevauchent
pas (10700-9200 cal BC et 9170-8740 cal BC).
Ce triple constat - diminution des anthracomasses avec la
profondeur, absence de corrélation âge/profondeur, distribution d’une espèce donnée à des profondeurs
variables - apporte la preuve irréfutable de l’importance
majeure des processus pédogénétiques sur le brassage et
la fragmentation des charbons (Carcaillet, 2001).
La bioturbation, effectuée notamment par les lombriciens, engendre d’intenses remaniements des charbons
au sein de ces sols (Johnson, 1990 ; Thinon, 1992 ;
Carcaillet, 2001). Bien que s’effectuant plutôt de la surface vers la profondeur, ils sont possible aussi du bas vers le
haut, en particulier par l’activité des taupes. C’est
d’ailleurs cette intense activité biologique, à laquelle se
mêlent un certain nombre de processus chimiques, qui
entraîne une structuration en horizons des sols. Il n’est
donc pas étonnant de constater la bonne corrélation
entre répartition des anthracomasses (fig. 7) et du carbone organique (fig. 6), cette dernière faisant apparaître un
léger palier vers 30 cm, qui provient du passage de l’horizon organique A12 à l’horizon Sal (Ross 2). D’autres processus édaphiques peuvent aussi jouer un rôle sur la
répartition des charbons dans les sols, en particulier les
chablis lors de tempêtes, qui provoquent d’importants
remaniements particulaires au sein des sols (Johnson,
1990 ; Carcaillet, 2001). Le colluvionnement peut entraîner des charbons dans la pente, mais aucune trace de
remaniements colluviaux ne sont observables au sein des
sols étudiés, malgré des pentes relativement fortes de 25
à 40% environ. De plus, les stations se localisent à peu de
distance d’une crête (fig. 1), ce qui réduit les apports de
matériaux possibles de l’amont. Quant aux pieds de
vaches, souvent liés au piétinement animal domestique,
ils ne jouent pas en dessous de 20-25 cm de profondeur.
De plus, ils n’ont pas été observés sur les stations étudiées, bien que localement présents sur les versants du
massif du Rossberg.
6. - Conclusion
L’intensification des feux va de pair avec l’augmentation
de la pression anthropique au cours du temps (depuis la
Protohistoire surtout, jusqu’au Moyen Age). En effet, 15
dates sur 18 sont postérieures au Mésolithique, réparties
sur 7000 ans environ. Les deux tiers des dates se répartissent entre 1430 cal BC et 1370 cal AD, soit sur 2800 ans.
L’apparition de phases de feux lors des périodes du
Bronze final, du 2e Age du Fer et du Haut Moyen Age
souligne l’importance de l’anthropisation du massif du
Rossberg. Ces trois périodes ont en commun :
l’importance de l’anthropisation de la région liée à des
mouvements migratoires de populations de l’Est de
l’Europe (influences steppiques), effectuée parfois sous
la forme d’invasions. Les phases de feux attestées sur
les chaumes sont bien corrélées à ces périodes de
migrations. Se pose alors l’hypothèse de l’apport par
ces populations allochtones de techniques de défrichements et d’exploitation des espaces pastoraux par le
feu ;
le mode de gestion des espaces pastoraux : les feux
pastoraux des espaces montagnards correspondent à
un type d’exploitation du milieu différent des techniques liées à l’agriculture itinérante sur brûlis pratiquée dans les plaines et vallées. Hormis depuis le Bas
Moyen-Age, ces feux semblent avoir toujours constitué
un élément fondamental du système pastoral (Métailié,
1981). Le feu peut être considéré comme un outil destiné à entretenir et à améliorer facilement les espaces
pastoraux, favorisant ainsi la pratique et le maintien de
l’élevage en montagne ;
41
S. GOEPP, D. SCHWARTZ, M. THINON, C. JEUNESSE
le rôle important de l’élevage dans l’économie, attesté
par l’importance des feux. Même si le système agrosylvo-pastoral était fondé sur une exploitation de toutes
les ressources naturelles disponibles, l’élevage tenait au
sein de la montagne vosgienne une place prépondérante ;
le mode de gestion des zones forestières, dès le
Néolithique : l’exploitation est extensive, le pâturage
peut s’effectuer sous forêt, l’émondage y est pratiqué.
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Ainsi, les chaumes du massif du Rossberg ont subi, à au
moins trois reprises entre le IVe siècle avant J.C. et le Ie
siècle après J.C., des mises à feux délibérées succédant à
un abandon ou à une sous-exploitation des chaumes, et
au début de leur (re)colonisation par des espèces pionnières comme Juniperus communis ou exigeantes en
lumière, comme Populus sp. Cette sous-exploitation peut
avoir pour origine une charge pastorale insuffisante, la
présence de l’homme s’avérant trop ténue ou trop irrégulière. L’occupation des chaumes à cette époque pourrait
donc n’avoir été qu’épisodique, fonction notamment de
la pression anthropique dans les vallées vosgiennes.
Cette étude recule nettement l’âge, jusqu’à présent supposé médiéval, des chaumes dites “secondaires” du
Rossberg : les charbons de genévrier datés permettent
de repousser leur origine au moins jusqu’à l’Age du Fer.
D’autres datations confirmeront ou permettront de reculer encore davantage l’origine de ces espaces pastoraux.
BOYÉ P., 1903, Les Hautes-Chaumes des Vosges. Etude
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Remerciements
Cette étude a été financée par le Programme National
Sols et Erosion (PNSE, Institut National des Sciences de
l’Univers) et par le programme ECLIPSE (Environnement et
CLImat du Passé : histoire et Evolution, CNRS), ainsi que
par le Service Régional d’Archéologie d’Alsace (DRAC
Alsace, Ministère de la Culture et de la Communication).
Les auteurs tiennent à remercier MM. Yannick Despert et
Christian Schwoehrer du Parc Naturel Régional des
Ballons des Vosges (Bureau des Espaces Naturels) pour
leur soutien et leur collaboration.
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43
44
Impact environnemental des activités paléométallurgiques
sur la forêt du Morvan (région du Mont-Beuvray).
Résultats croisés des analyses pollinique et géochimique.
Isabelle JOUFFROY-BAPICOT
Laboratoire de Chrono-écologie – UMR 6565 CNRS – Université de Franche-Comté
UFR Sciences et Techniques. 16, route de Gray – 25030 Besançon Cedex
[email protected]
Résumé
Les raisons de l’installation et de la prospérité de l’oppidum éduen de Bibracte sur le Mont-Beuvray (Morvan-Bourgogne),
dans une région difficile d’accès et au climat rude, posent toujours question. La découverte de grandes tranchées antérieures au développement de l’agglomération, qui pourraient résulter d’exploitations de minerai à ciel ouvert, a conduit
à envisager le rôle déterminant de l’activité métallurgique sur l’installation humaine dans cette région. Dans cette
optique, nous avons entrepris l’analyse conjointe de palynologie et géochimie du plomb de la tourbière du Port-desLamberts (Glux-en-Glenne – 58), située à environ 5 km du Mont-Beuvray. La confrontation entre diagramme pollinique
et courbe de teneur en plomb d’origine anthropique de la tourbe montre de remarquables corrélations. Plusieurs phases
d’activités métallurgiques, caractérisées par la présence de plomb anthropique dans la tourbe et contemporaines de
défrichements parfois drastiques, ont été mises en évidence, de la Protohistoire à la période contemporaine. Certaines
de ces phases peuvent être mises en relation avec les données archéologiques et historiques, comme c’est le cas pour la
métallurgie éduenne de la fin de l’âge du Fer (2e - 1er siècles av. notre ère) ou l’exploitation d’époque moderne. D’autres,
telle que la première phase paléométallurgique du Bronze final (13e - 8e siècles av. notre ère), sont en revanche tout à
fait inédites. Toutes ont donné lieu à des défrichements de plus ou moins grande ampleur qui auront eu un impact
durable sur la forêt morvandelle.
Abstract
The reasons why the Bibracte oppidum, on the Mont-Beuvray (Morvan Mountain-Burgundy), became the largest settlement of the Aeduan Celtic tribe are still surprising. The site isn’t easy to reach, and climate conditions are rugged.
Recently, wide trenches have been found, on and around the site, and interpreted as remains of mining excavations. On
this basis, archaeologists have assumed that one of the reasons which may have attracted early settlers, are mining and
smelting activities. The present study aims to document this hypothesis by means of pollen and geochemical analyses,
performed in a peat core collected in the Port-des-Lamberts peat land (Glux-en-Glenne – 58), situated at about 5 km
from the Mont-Beuvray. Different periods of mining were recognised from Prehistory to modern times, according to the
presence of anthropogenic Pb in peat, related to drastic decrease of trees pollen. Some were already known from archaeological dates or historical archives, especially for Late Iron Age (2nd-1st century BC) and modern periods. But prehistoric ancient mining activities from Late Bronze Age (ca.13e-8e century BC) were also discovered. They all led to modifications in plant cover, probably related to forest clearance.
45
I. JOUFFROY-BAPICOT
1. - Introduction
L’étude conjointe de palynologie et de géochimie du plomb
du remplissage tourbeux de la tourbière du Port-desLamberts, située dans le haut Morvan, répond en premier lieu
à une problématique archéologique. Dans cette zone géographique, un site d’une grande importance pour la seconde
partie de l’âge du Fer, l’oppidum de Bibracte, a connu un
rayonnement politique et économique considérable jusqu’à
la conquête romaine. Il est cité comme l’oppidum maximum
du puissant peuple éduen par César, qui y séjourna à plusieurs reprises durant la guerre des Gaules. Le choix de l’implantation de cette grande agglomération, située sur le
Mont-Beuvray, à 821 m d’altitude, dans une région relativement difficile d’accès, aux conditions météorologiques caractérisées par une importante pluviométrie (site qualifié de pôle
pluviométrique du Morvan… et l’un des pôles de la France
septentrionale par J.-P. Chabin (1996)), et aux sols plutôt
pauvres, suscite toujours des interrogations. Par ailleurs, ce
site fouillé à partir du XIXe siècle, et qui bénéficie d’une structure européenne de recherche archéologique depuis 1984
(Guillaumet, 1996 ; Gruel et Vitali, 1999 ; Guichard et
al.,2004), a livré les vestiges d’une activité artisanale métallurgique considérable. De plus, le massif du Morvan, constitué
de roches primaires, présente un potentiel métallogénique
polymétallique (fig. 1), qui a été exploité jusqu’au milieu du
XXe siècle (Marcoux, 1986). Enfin, ces dernières années de
grandes tranchées, ne pouvant être expliquées par la géomorphologie, ont été retrouvées sur le site même de Bibracte,
comme dans l’ensemble du massif du Morvan. Toutes ces
données ont conduit les archéologues à s’interroger sur le
rôle déterminant de la métallurgie dans l’installation et la
prospérité des Eduens dans le haut Morvan.
Afin d’appréhender le phénomène de façon globale, une
étude pluridisciplinaire a été engagée pour mesurer l’impact
des activités métallurgiques sur l’environnement des sociétés
qui les ont pratiquées1. L’analyse pollinique a permis de suivre
l’impact des activités métallurgiques sur le couvert végétal.
Les différentes phases, extraction, réduction, transformation,
sont particulièrement consommatrices de bois et donc à l’origine de défrichements perceptibles dans les enregistrements
polliniques (Richard et Eschenlohr, 1998). Par ailleurs, la
réduction et la transformation du minerai émettent dans l’atmosphère des micropolluants métalliques qui vont ensuite se
redéposer au sol. L’analyse géochimique des sédiments permet de retrouver la trace de ces éléments métalliques, et
notamment l’analyse géochimique du plomb. Comme pour
le matériel sporopollinique, le milieu tourbeux constitue un
excellent récepteur et conservateur de ces retombées atmosphériques (Shotyk, 1996 ; Shotyk et al.,1997b ; Martinez
Cortizas et al.,2002b). La confrontation des résultats de ces
deux types d’analyses va donc permettre de corréler des
phases de défrichements affectant le couvert arboréen avec
l’enregistrement de la paléopollution. Ce type d’analyses,
déjà éprouvé dans divers pays européens, notamment en
Suisse (Shotyk et al.,1997a ; Shotyk 2002), en Espagne
(Martinez Cortizas et al.,1997 ; Martinez Cortizas et
al.,2002a), en Grande Bretagne (Mighall et Chambers,
1993 ; Mighall et al.,2002a; Mighall et al.,2002b; Mighall et
al.,2004) ou encore en Autriche (Küster et Rehfuess, 1997),
fait partie des premières expériences réalisées en France
(Monna et al.,2004b), avec celles menées au Mont Lozère
(Lavoie et al.,2006) et au Pays Basque (Galop et al.,2001;
Monna et al.,2004a). Cette démarche pluridisciplinaire était
aussi l’occasion d’étudier l’évolution de la végétation dans
une région jusqu’à maintenant un peu oubliée des analyses
paléoenvironnementales. En effet, le Morvan n’avait alors fait
l’objet que de deux séries d’analyses polliniques effectuées
par G. Lemée dans les années 50 (Lemée, 1951), et d’un diagramme réalisé par H. Richard au début des années 90
(Richard, 1996). Pour mener à bien cette étude paléoenvironnementale, il était nécessaire de trouver un remplissage tourbeux, en contexte naturel, pas trop éloigné du site de Bibracte
et qui couvre au moins les 4 derniers millénaires. Toutes ces
conditions étaient remplies par la tourbière du Port-desLamberts, distante de seulement quelques kilomètres du
Mont-Beuvray.
Figure 1 : Carte géologique du haut Morvan, principales failles et minéralisations,
mines modernes. Localisation du Mont-Beuvray et du point de forage.
(Conception et cartographie : Ch. Petit).
(1) Cette étude a été menée dans le cadre du programme “Paléoenvironnement” du Centre Archéologique Européen du Mont-Beuvray dirigé par V. Guichard (58370 Glux-enGlenne). L’équipe, sous la direction de Ch. Petit (géoarchéologie), est principalement composée de J.-P. Guillaumet (archéologie-manufacture métallique), F. Monna et B. Forel (géochimie), I. Jouffroy-Bapicot et H. Richard (palynologie).
46
I. JOUFFROY-BAPICOT
La tourbière du Port-des-Lamberts est située dans le haut
Morvan, sur la commune de Glux-en-Glenne, dans le département de la Nièvre. Elle s’est développée sur le versant est et
nord-est du Mont Préneley, à une altitude de 700 m environ
et sur une surface de presque 6 ha. La tourbière, d’origine
soligène, repose sur un substrat géologique majoritairement
composé de tufs ryolithes, de quartz et de micas noir, surmonté d’une couche importante d’arène granitique.
L’imperméabilité de cette couche, liée à des précipitations
importantes et régulières a permis le développement de la
formation tourbeuse (Agou, 1997). L’originalité de cette tourbière est de présenter une mosaïque de formations tourbeuses, et donc de formations végétales, des stades pionniers
aux stades matures ; cela a justifié son inscription parmi les
sites classés de Bourgogne et a motivé un arrêté de biotope.
Son environnement proche est typique du paysage du haut
Morvan : un hameau de quelques maisons, entouré de
pâtures, au sein d’un couvert majoritairement forestier, composé de hêtraies et plantations de résineux. Après avoir testé
les profondeurs de l’ensemble de la tourbière, un carottage a
été effectué dans la zone qui présentait la plus grande épaisseur de tourbe, à savoir la partie bombée, la plus évoluée. Elle
se présente sous la forme d’importantes buttes de sphaignes
surmontées par la callune (Calluna vulgaris) et la linaigrette
vaginée (Eriophorum vaginatum). Ce sondage effectué au
carottier russe de type GYK a permis l’obtention d’une carotte de tourbe relativement homogène de 2 mètres.
2. - Matériels et méthodes
Sur la même carotte ont été effectuées : l’analyse pollinique,
l’analyse géochimique ainsi que 4 datations radiocarbone par
AMS.
L’analyse pollinique de la séquence de tourbe a été réalisée
avec un pas d’échantillonnage de 4 cm. Les échantillons ont
fait l’objet de traitements physicochimiques destinés à extraire les grains de pollen et spores de la matrice organo-minérale (d’après la méthode Frenzel, détaillée dans Feagri et
Iversen, 1989). Les grains de pollen et spores ont été identifiés à l’aide de clés de détermination (Moore et al.,1991), de
photographies (Reille, 1999) et de la collection de référence
du laboratoire de Chrono-écologie. Un minimum de 400
grains de pollen de plante terrestre par lame a été compté, en
plus de l’aulne et des cypéracées, taxons dominants et forts
pollinisateurs. Le diagramme a été constitué et tracé à l’aide
du logiciel Tilia 2.0 et de ses extensions Tilia.graf 2.0 et
TGview 1.6.2. (Grimm, 1991-1993).
Figure 2 : Taux de sédimentation de la tourbière du Port-des-Lamberts établi sur
la base des datations radiocarbone disponibles.
L’analyse géochimique concerne la paléopollution au
plomb. Nous ne donnerons ici que les grandes lignes de
la méthode qui est détaillée par ailleurs, pour ce site
(Monna et al.,2004b), et de manière générale (Monna et
al.,1998 ; Monna et al.,2000). Tout d’abord, pourquoi le
plomb ? Le plomb est présent et relativement abondant
dans de nombreuses minéralisations. Ainsi, les exploitations de cuivre, d’or, d’argent, d’étain des premiers métallurgistes ont émis dans l’atmosphère suffisamment de
plomb pour être enregistré dans l’environnement. Ici,
l’enrichissement en plomb ne sera pas seulement quantifié sur un critère d’abondance, mais la variation de plomb
contenu dans le sédiment est pondérée par la combinaison avec un élément terrigène, le scandium. Grâce à ce
ratio, il devient alors possible de discriminer les parts
naturelles et anthropiques de l’apport en plomb ; un
ratio exprimé par la courbe du Pb anthropique. De plus,
l’analyse isotopique du plomb permet de différencier un
plomb issu de l’érosion du substratum de celui remobilisé
lors des activités paléométallurgiques, et cela grâce à sa
signature isotopique, issue du rapport de deux isotopes
radiogéniques : 206Pb/207Pb (sur les bases de l’analyse isotopique et ses applications, voir aussi Monna, 2001).
Cette signature apporte donc une information sur les différences de provenance des paléopollutions.
Profondeur (cm)
Lab. No.
Âge 14C BP
Dates calibrées BC-AD (2 sigma)
77-79
LY-10942
1070 ± 50
[888 (984, 905, 965, 1015) 1028] cal. AD
97-99
LY-10943
1460 ± 60
[441 (605, 617, 635, 585, 565) 664] cal. AD
126-128
LY-10944
2480 ± 40
[790 (583, 643, 661, 587, 544) 407] cal. BC
163-165
LY-10945
3117 ± 54
[1515 (1406, 1325, 1425, 1355) 1225] cal. BC
Tableau 1 : Dates radiocarbone de la séquence du Port-des-Lamberts.
47
I. JOUFFROY-BAPICOT
Quatre datations radiocarbone sur tourbe ont été effectuées
au Centre des Sciences de la Terre à l’Université de Lyon. La
calibration de ces dates a été réalisée avec le logiciel Calib
4.1.3. (Stuiver et al.,1998).
3. - Commentaire
ZPL-PL1
La combinaison des différents spectres ainsi que la datation radiocarbone du niveau 163/165 : 3095 ± 75 BP,
permettent d’attribuer le début de la séquence à la transition entre l’Atlantique récent et le début du Subboréal.
D’après les spectres polliniques, le couvert végétal semble
dominé par la forêt. Durant la zone pollinique locale (ZPL)
PL1, la hêtraie-chênaie typique de cette partie du Morvan
se met en place, les pourcentages de pollen de chêne
(Quercus) et encore plus de hêtre (Fagus) augmentent
régulièrement, alors que ceux du tilleul (Tilia), espèce
mésothermophile caractéristique de la période
Atlantique, diminuent rapidement au cours de la ZPL
PL1a. On note la présence discrète mais continue de résineux, notamment le sapin (Abies) et le pin (Pinus), qui
vont diminuer et tendre à disparaître par la suite. L’aulne
(Alnus) tient une place prépondérante dans la représentation de la pluie pollinique de cette période, avec un taux
de plus de 90% des taxons arboréens, lorsqu’il n’est pas
retiré de la somme totale des grains de pollen de plantes
terrestres. Toutefois, cette représentation est très locale,
elle est l’image de l’aulnaie riveraine du cours de l’Yonne
et de la zone humide qui l’entoure. La présence de cette
aulnaie, dont on ne peut estimer l’étendue spatiale,
masque en partie les fluctuations des autres taxons, l’aulne étant de plus un fort producteur pollinique (Janssen,
1959). De ce fait, ses valeurs ont été retirées du calcul de
pourcentage total des grains de pollen de plantes terrestres, et sa courbe est exprimée par rapport à ce total.
Il en est de même pour les Cypéracées et la callune
(Calluna), qui sont liés à la dynamique de végétation de la
tourbière. Dans le couvert herbacé, on remarque déjà la
présence discrète d’indices polliniques d’anthropisation
(IPA) (Behre, 1981), avec les occurrences de grains de pollen de plantes cultivées comme les céréales (Cerealia
Typ.), et du pollen de plantes rudérales, c’est à dire de
plantes dont la croissance est favorisée par l’activité
humaine. Ici, il s’agit du plantain lancéolé (Plantago lanceolata), des Chenopodiacées et surtout des oseilles
(Rumex). Ces taxons sont les témoins d’une activité agropastorale proche de la zone de forage qui peut être attribuée à la fin du Néolithique et au début de l’âge du
Bronze (l’absence de datation des niveaux les plus profonds ne nous permettant pas d’être plus précis).
La zone pollinique 1b enregistre une ouverture du milieu
forestier, qui touche le chêne et les résineux : sapin et
pin. Parallèlement, la part des Poacées et des taxons de
plantes rudérales s’amplifie dans les spectres polliniques.
Les assemblages polliniques de la zone suivante, PL1c,
48
évoquent quant à eux une déprise agricole. Le total de
pollen d’arbres est en augmentation, largement influencé
par la progression rapide de la courbe du hêtre, dont les
taux polliniques passent d’un peu moins de 20 % à plus
de 50 % du total des grains de pollen de plantes terrestres comptés. Les IPA, s’ils ne disparaissent pas complètement, n’ont qu’une représentation ténue. Le niveau
163-165, qui se situe dans le courant de cette phase, est
daté de [1515 (1406, 1325, 1425, 1355) 1225] cal. BC.
Cette datation nous permet de proposer une chronologie
pour les événements décrits en zone 1b et 1c. Une première période de défrichement à vocation agro-pastorale,
touchant le chêne, le pin et dans une moindre mesure le
hêtre, peut être attribuée au Bronze ancien (2300-1700
BC) et la période de déprise qui lui fait suite au Bronze
moyen (1700-1200 BC). Cette déprise, affectant le
Bronze moyen, a récemment été mise en évidence plus à
l’est, sur des sites nord-alpins et jurassiens (Richard et
Gauthier, sous presse).
ZPL-PL2
La ZPL PL2a débute avec la première chute importante du
taux de pollen de hêtre. L’ouverture du milieu provoquée
par la chute du hêtre profite aux arbres pionniers, tels que
le noisetier (Corylus) et le bouleau (Betula), ainsi qu’aux
Poacées. De même, les pourcentages de chêne connaissent aussi une augmentation sensible. Celle-ci ne correspond par forcément à une augmentation de la part du
chêne dans la forêt environnante, mais il a été démontré
que l’éclaircissement de la forêt dû à la diminution de la
population de hêtre favorisait la pollinisation des fleurs de
chênes (Troels-Smith, 1981). Au cours de cette phase, les
indices d’activités agropastorales, même s’ils n’ont pas
complètement disparus, puisque que l’on note la présence d’espèces rudérales comme les oseilles et le plantain
lancéolé, sont toutefois très discrets et les céréales quasi
inexistantes. La combinaison de ces spectres polliniques,
qui évoque la diminution massive d’un arbre, le hêtre,
sans qu’elle soit accompagnée d’une hausse significative
des témoins d’une activité agro-pastorale, correspond au
premier signal clair sur la courbe isotopique d’un apport
de plomb anthropique. La corrélation de ces deux événements rend très vraisemblable l’hypothèse d’une première activité métallurgique autour du Mont-Beuvray. Cet
événement peut être attribué avec grande vraisemblance
au Bronze final (1200-700 av. notre ère) grâce aux datations radiocarbone qui l’encadrent : [1515 (1406, 1325,
1425, 1355) 1225] cal. BC en PL1c, et [790 (583, 643,
661, 587, 544) 407] cal. BC en zone 2b. Les données
archéologiques pour cette période sont encore lacunaires
et consistent surtout en trouvailles isolées dans le Morvan
(Chevrier, 2002), hormis le site de Blanot (21), un riche
dépôt votif du Bronze final, composé de vaisselle en bronze et de parures en or et en bronze (Thévenot, 1991).
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200
180
160
140
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1,19
1,22
55,00
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env. 1360 BC
3115 ± 55 BP
env. 640 BC
2480 ± 40 BP
env. 600 AD
1460 ± 60 BP
env. 960 AD
1070 ± 50 BP
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40
Phases de paléopollution
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IPA*
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PL1a
PL1b
PL1c
PL2a
PL2b
PL3a
PL3b
PL4a
PL4b
PL5a
PL5b
PL5c
PL5d
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Analyses polliniques : I. Jouffroy-Bapicot
Analyses géochimiques : F. Monna et C. Blanchot
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Figure 3: Diagramme pollinique et courbes géochimique de la tourbière du Port-des-Lamberts (Glux-en-Glenne - 58).
Diagramme pollinique simplifié, les taxons herbacés dont la représentation est toujours inférieure à 1% ont été retirés, homis les IPA*:
Indices Polliniques d’Anthropisation. Les arbustes, faiblemeny représentés, et qui ne présentent pas de variations significatives, ne sont pas non plus figurés.
Courbes du plomb anthropique et ratio des isotopes 206Pb/207Pb
15,00
Plomb anthropique (μg/g)
-5,00
Tourbe brune homogène
Tourbe brune fibreuse
Tourbe peu évoluée
1,16
206Pb/207Pb
Arbres
I. JOUFFROY-BAPICOT
49
I. JOUFFROY-BAPICOT
ZPL Strate arboréenne
Strate herbacée
La teneur en Pb anthropique est
toujours en baisse, mais le rapport
isotopique se rapproche régulièrement de 1,14.
La courbe de Pb anthropique
PL5c Alors que Quercus et Corylus stagnent, Fagus reprend On constate une augmentation du taux de pol- connaît ici un pic spectaculaire. Elle
doucement de l’importance. Mais la nouveauté vient sur- len de Cerealia Typ., de Plantago lanceolata et de
atteint son maximum avec une
tout de la présence plus marquée des résineux : Pinus, Rumex. Le pourcentage de Calluna croît très
valeur de 84 μg/g au niveau 24,
suivi de Picea et d’Abies en fin de zone.
rapidement.
avant de diminuer en fin de zone.
Après avoir atteint un taux de 20 %, Fagus diminue tout
PL5b
au long de cette phase, et arrive en dessous des 5 % au
Les indices d’anthropisation décroissent progresniveau 34. Les autres espèces de la chênaie mixte ont une
sivement tout au long de la période.
Au cours de ces deux phases, la
présence constante discrète, hormis Quercus qui reprend
courbe du Pb anthropique reste
de l’importance.
stable, dans la continuité de la
Fagus et Quercus sont à nouveau les taxons dominants, au
zone 4b. Les valeurs isotopiques
PL5a détriment de Betula. Les taux de Carpinus, présent spora- Un taux relativement stable de Poaceae oscille
forment aussi un groupe très
diquement dans les zones précédentes, augmentent pour entre 25 et 30% et le taux cumulé des IPA dépas- homogène autour de 1,17.
se stabiliser de façon durable autour de 5 %. La présence se ici les 10 %. Localement, Calluna fait son
de pollen de Castanea et Juglans, espèces favorisées par apparition.
l’Homme, est aussi plus importante et régulière.
Suite à la baisse générale des taxons arboréens qui affecte
Le Pb anthropique, à nouveau
PL4b
la phase précédente, le pourcentage des espèces pion- Le pollen de Cerealia Typ. et de plantes rudérales proche de zéro en fin de zone
nières est en augmentation : Betula surtout et Corylus et messicoles, malgré une légère diminution, est précédente, rejoint des valeurs
dans une moindre mesure. En fin de zone, le taux de Fagus toujours bien présent.
qui resteront durablement entre
remonte rapidement.
7 et 11 μg/g
PL5d
PL4a
Le taux de pollen d’arbre poursuit la courbe ascendante
amorcée durant la phase précédente. Fagus atteint à nouveau les 20 %, les plantations de résineux sont de plus en
plus perceptibles, avec notamment Pinus.
La représentation pollinique du couvert herbacé
continue de diminuer considérablement, qu’il
s’agissent des Poaceae et autres herbacées, ou
des plantes liées à l’activité humaine.
Après une légère reprise, on observe une nouvelle chute du
nombre de grains de pollen d’arbres ; tous sont concernés
sans exception. Le taux de représentation du couvert forestier est alors au plus bas, avec à peine plus de 30 %.
Les pourcentages des taxons favorisés par l’activité humaine, présents dans le spectre, sont tous
en augmentation, particulièrement Rumex. Il en
est de même pour Cerealia Typ.
Pb anthropique, 206Pb/207Pb
La courbe du Pb anthropique
connaît une nouvelle progression,
toutefois moins importante que la
précédente.
La courbe décroît de façon régulièL’image pollinique de la hêtraie-chênaie reprend de l’im- Les occurrences de Cerealia Typ. sont maintenant
re et spectaculaire tout au long de
portance, alors que Betula tend à disparaître. Le taux de constantes, et les premiers grains de pollen de
la période pour rejoindre des
pollen d’Alnus est lui aussi durablement diminué.
Secale font leur apparition.
valeurs proches de zéro.
La chute des taxons arboréens est accompagnée On note ici une augmentation
PL3a Elle est marquée par une baisse drastique des taxons arbo- par une hausse sensible des Poaceae, une diver- rapide et remarquable du Pb d’oriréens, et notamment de Fagus, suivi d’Alnus. Cette zone
sification importante des autres herbacées et une gine anthropique, qui culmine
marque aussi la disparition quasi-totale de Tilia et d’Abies.
présence régulière des IPA.
autour de 24 μg/g au niveau 117.
La strate herbacée est marquée par la chute
PL2b Les taux de pollen d’arbres sont toujours largement domi- spectaculaire du taux de pollen de Cyperaceae, Les valeurs restent stables par rapnants. A côté d’Alnus, Fagus tient une place prépondéranport à la fin de la période précéalors que le taux des autres herbacées restent
te, elle aussi plutôt stable. Betula augmente régulièrement.
dente.
constant.
PL3b
PL2a
PL1c
PL1b
PL1a
Le début de cette phase enregistre une brutale diminution
du taux de Fagus, alors que Quercus, Betula et Corylus,
après la légère chute en fin de période précédente reprennent de l’importance. Le phénomène s’inverse ensuite. Les
taux d’Alnus restent relativement constants.
L’ouverture liée à la chute de Fagus coïncide avec
une poussée importante des Cyperaceae, alors
que les autres herbacées, Poaceae et indices
d’anthropisation, restent faiblement représentés.
Il n’y a pas de pollen de Cerealia Typ.
A partir du niveau 149, les valeurs
du Pb anthropique augmentent
nettement et durablement et les
valeurs isotopiques sont modifiées.
La zone est marquée par l’augmentation très nette du taux Le couvert herbacé diminue en pourcentage et
de pollen de Fagus, au détriment de Quercus, Corylus et en variété. Quelques indices sporadiques d’activiBetula.
té agropastorale subsistent toutefois.
Alors que la courbe des Cyperaceae diminue, on
Les principaux taxons arboréens, Quercus, Fagus, Pinus et
observe une nette augmentation des IPA, princiAlnus diminuent, alors que Corylus, essence pionnière qui
palement Cerealia Typ., Plantago lanceolata,
était en diminution constante lors de la phase précédente,
Rumex et les Rubiaceae, même s’ils restent
reprend de l’importance.
faibles en proportion.
Le début du diagramme pollinique est caractérisé par des
taux de pollen d’arbre dominants (autour de 90 %). Fagus
et Quercus tiennent une place de plus en plus importante.
A l’inverse, Corylus, tout d’abord dominant, ainsi que Tilia,
diminuent régulièrement. Alnus est déjà très présent localement.
Durant toute cette première
phase, les valeurs du Pb anthropique d’origine atmosphérique
restent autour de zéro. La signatuLa représentation pollinique du couvert herbacé re isotopique, autour de 1,19, est
est très largement dominée par les Cyperaceae. celle du plomb indigène.
Toutefois, on note déjà une discrète présence
d’indices d’anthropisation, avec la trace de
Cerealia Typ. et de plantes rudérales comme
Plantago lanceolata, les Urticaceae ou encore les
Rubiaceae.
Tableau 2 : description du diagramme, Zones Polliniques Locales (ZPL), ratio 206Pb/207Pb et courbe du plomb anthropique (sens de lecture : de bas en haut).
50
I. JOUFFROY-BAPICOT
Suite à cette phase, la ZPL 2b montre une stabilisation de
la courbe du Pb anthropique. En ce qui concerne les
assemblages polliniques, les pourcentages de hêtre, après
une augmentation rapide, restent relativement stables.
Au niveau de la zone proche du forage une baisse importante et définitive des Cypéracées est concomitante de la
prise d’importance du bouleau, ce qui peut évoquer une
évolution locale de la zone humide. Cette période correspond très certainement au premier âge du Fer (environ
750-450 avant notre ère), période pour laquelle dans le
haut Morvan, à la différence du nord du Morvan, les
témoignages archéologiques sont peu fréquents.
ZPL PL3
La zone pollinique suivante, PL3a, montre une remarquable corrélation entre une chute drastique du taux de
pollen de hêtre et un pic important d’apport en plomb
anthropique, qui ne sera dépassé que par la pollution
atmosphérique contemporaine. Cette chute est accompagnée d’une diminution tout aussi spectaculaire du taux
de bouleau. De même, la représentation pollinique de
l’aulnaie locale est elle aussi affectée, et elle ne fera ensuite que stagner durablement. Le couvert forestier en général semble subir un défrichement de grande ampleur : le
total des taxons arboréens passe d’environ 90 % au
début de la phase à un peu moins de 50 % au niveau -112.
Cette zone correspond à une ouverture du milieu plus
importante que la précédente, mais aussi à une période
où les témoignages d’activités agro-pastorales sont très
significatifs. Un changement durable est imprimé au paysage. Les datations par le radiocarbone permettent d’attribuer cette phase au second âge du Fer (IIe-Ier siècles av.
notre ère). Cette nouvelle dimension prise par les activités
humaines décelées dans le diagramme pollinique, accompagnée d’un apport en plomb anthropique, répond tout
à fait à l’importance de l’occupation de Bibracte durant
les deux derniers siècles de notre ère, occupation au sein
de laquelle l’activité métallurgique tient une part importante (Gruel et Vitali, 1999).
Le début de la ZPL 3b voit le couvert forestier reprendre
rapidement de l’importance comme le montrent les
courbes de hêtre et de noisetier, suivies de celle du chêne
dans un second temps. Seule la représentation du bouleau continue à s’amenuiser, la présence locale de la forêt
ne permettant certainement pas à cette essence héliophile de retrouver sa place. Le charme (Carpinus), qui ne
connaissait alors que quelques occurrences sporadiques
commence à être plus présent. Toutefois, au cours de la
période, ce couvert forestier ne cesse de décroître et les
indices d’activité humaine sont présents de manière discrète mais continue. Le seigle (Secale), fait son apparition
dans le courant de cette phase, que l’on peut attribuer à
l’époque romaine. La baisse de fréquentation du lieu,
qu’évoquent les assemblages polliniques et la baisse du
plomb anthropique, est en adéquation avec les données
archéologiques et historiques. En effet, après la conquête
romaine, l’oppidum de Bibracte est rapidement délaissé à
la faveur de la nouvelle cité d’Augustodunum (Autun
actuelle), fondation augustéenne à l’est du massif du
Morvan, dans la vallée de l’Arroux. La vie économique,
sociale, culturelle mais aussi l’artisanat métallurgique
(Chardron-Picault et Pernot, 1999) sont transférés dans la
nouvelle “capitale” éduenne.
ZPL PL4
Au début de la ZPL PL4a, une nouvelle chute du taux de
pollen de hêtre est associée à des indices d’activité agropastorale qui n’ont encore jamais été aussi importants.
Au même moment, la courbe du plomb anthropique augmente à nouveau, et cet enrichissement en plomb est
assorti d’une nouvelle signature isotopique. Ces indices
d’activités humaines agropastorales et paléométallurgiques sont ici beaucoup plus surprenants. Deux datations radiocarbone encadrent cette période : [441 (605,
617, 635, 585, 565) 664] cal. AD au niveau 97-99 et [888
(984, 905, 965, 1015) 1028] cal. AD au niveau 77-79.
Elles permettent d’attribuer cette phase au haut MoyenAge, période plutôt connue pour le recul de population
qui suit l’instabilité de la chute l’Empire romain. Nous
pourrions donc être ici en présence d’un habitat local
pérenne des époques mérovingienne et/ou carolingienne ; une donnée nouvelle qui reste à vérifier archéologiquement.
La zone suivante, PL4b, après une légère phase de reprise forestière, enregistre une nouvelle déforestation drastique. A la différence des défrichements précédents elle
semble toucher massivement l’ensemble des essences
forestières dominantes, non plus seulement le hêtre, mais
aussi le chêne et le noisetier. A l’inverse, les taux de pollen de bouleau forment un pic spectaculaire, profitant
probablement de l’ouverture du couvert forestier. Il faut
toutefois rester prudent dans l’interprétation, cette forte
augmentation pouvant également résulter d’une dynamique propre à la tourbière, qui connaîtrait un assèchement passager ; celui-ci pouvant par ailleurs résulter de
l’exploitation intense du milieu forestier de cette époque.
Cette phase, qui fait suite à une datation d’autour de l’an
mil, correspond à la manifestation locale d’un essor des
activités métallurgiques du XIe siècle, à l’échelle européenne. Malheureusement, ici encore, les données
archéologiques locales font défaut pour aller plus loin
dans l’interprétation.
ZPL PL5
Une nouvelle augmentation de la représentation du
hêtre, observée en zone PL5a, pourrait correspondre aux
débuts de l’exploitation des forêts seigneuriales pour le
chauffage de Paris. Dès la fin du XVIe siècle, les forêts du
massif du Morvan vont en effet approvisionner Paris en
bois de chauffe pour plusieurs siècles. Les possesseurs de
51
I. JOUFFROY-BAPICOT
grands massifs forestiers, pour une grande part issus de la
noblesse parisienne, mais aussi de l’aristocratie et de la
noblesse locales, prennent conscience de l’enrichissement
qu’ils peuvent tirer de cette activité. Les défrichements à
vocation agro-pastorale sont alors strictement limités. Par
ailleurs, le hêtre, excellent bois de chauffe, est favorisé
(Vigreux, 1994). La forêt de Glux-en-Glenne, propriété de
la famille d’Abboville, a activement participé à ce nouvel
essor. La tourbière du Port-des-Lamberts est donc directement concernée par cette activité, dont elle tire son nom.
Les “ports”, étaient les lieux où l’on déchargeait et jetait
à l’eau les bûches qui partaient pour le flottage. C’est ici
le premier port sur l’Yonne, à quelques centaines de
mètres de sa source. Un étang est aménagé en contrebas
de la tourbière, pour réguler le cours de l’Yonne et effectuer des lâchers d’eau pour le départ du flot. En ce qui
concerne les activités agropastorales, les taux de pollen
de céréales et de plantes rudérales sont en augmentation.
De plus, les taxons de plantes messicoles, c’est-à-dire les
mauvaises herbes des cultures, comme le coquelicot
(Papaver Rhoeas) ou le bleuet (Centaurea Cyanus), sont
plus présents qu’auparavant. Autant d’indices qui vont
dans le sens de cultures proches régulières. La présence
du pollen de châtaignier (Castanea) et dans une moindre
mesure de noyer (Juglans), s’intensifie. Les fruits de ces
arbres apportent un complément alimentaire non négligeable aux populations locales. Les témoignages de pollutions atmosphériques restent quant à eux constants,
qu’il s’agisse de la courbe du plomb anthropique ou de la
signature isotopique de l’enrichissement. Difficile alors
dans ces conditions de trancher entre un effet résiduel
des exploitations précédentes ou d’une activité métallurgique relativement constante.
La chute drastique du taux de hêtre en zone suivante, la
ZPL PL5b, semble être le résultat de l’exploitation intense
de cette essence comme bois de chauffe. A l’inverse, la
représentation du chêne augmente régulièrement.
Toutefois, cette impression de disparition quasi-totale du
hêtre dans la forêt environnante, avec un taux qui passe
de 30% à moins de 5% sur une douzaine de centimètres,
doit être pondérée. La forêt est alors exploitée en taillis
fureté, un tiers des rejets sur souche étant prélevé tous les
dix ans (Vaucoulon et Chiffaut, 2004, Vigreux, 1994). Ce
type d’exploitation, qui conduit à un épuisement de la
souche, a aussi certainement des répercutions sur la production pollinique de l’arbre. Il faut donc plutôt imaginer
une forêt avec une population de hêtres en taillis dont la
production pollinique est très faible.
Au cours de la ZPL PL5c, l’augmentation progressive du
taux de pollen de hêtre, pourrait correspondre, au début
du XXe siècle, à l’arrêt complet de la production de bois
de chauffe. Durement concurrencé par le charbon de
Lorraine, l’activité, qui avait commencé à décliner au
milieu du XIXe siècle, s’arrête définitivement dans les
années 20. Le comportement d’autres taxons, telle l’augmentation des taux de résineux et notamment du pin, va
52
dans le sens de cette datation. Des archives mentionnent
les premières expériences de plantation de résineux dans
le Morvan entre le milieu du XIXe siècle et le début du XXe
(archives citées dans Seguin, 1988). De même, la reprise
de la culture céréalière et l’apparition du sarrasin
(Fagopyrum) dans le diagramme pollinique reflètent les
cultures traditionnelles morvandelles du début du XXe
siècle, avant l’installation quasi exclusive de l’élevage
bovin (Crosnier, 1998). Enfin, la pollution atmosphérique,
prend ici une ampleur encore inégalée, l’apport anthropique est très important et les signatures isotopiques se
dirigent régulièrement vers un ratio plus bas. Ici, plusieurs
facteurs sont susceptibles de se combiner. Localement, les
archives témoignent d’une reprise de l’exploitation minière dans l’ensemble du Morvan. Toutefois, une pollution
plus globale entre maintenant largement en compte, celle
de l’ère post industrielle, puis plus spécifiquement la pollution liée aux carburants.
Enfin, au cours la zone PL5b, l’augmentation du taux
total de pollen d’arbres se poursuit et s’intensifie. Avec
presque 80% au niveau 4, il rejoint des valeurs qu’il
n’avait plus égalées depuis la zone PL2b, c’est-à-dire le
début de l’âge du Fer. Parallèlement, les taux de Poaceae
et des autres herbacées diminuent rapidement, et les IPA
tendent à disparaître. C’est l’image du paysage actuel, à
nouveau de plus en plus forestier, qui se met en place.
Toutefois, l’enrésinement du Morvan, replanté d’épicéa et
de pin douglas depuis le début des années 60 (Vaucoulon
et Chiffaut, 2004), très visible dans le paysage, est ici peu
perceptible. Peut-être à cause de la situation de la tourbière sur le bas des pentes du Mont Préneley, site classé
et protégé de Bourgogne, où est encore préservée une
belle hêtraie typique du haut Morvan.
4. - Conclusion
L’étude conjointe de palynologie et de géochimie du
plomb, réalisée sur la séquence de tourbe du Port-desLamberts, a donné des résultats très probants dans le
cadre de la problématique paléométallurgique, sur le
massif du Morvan. Cinq phases d’activités métallurgiques, du Bronze final à la période contemporaine, ont
pu être mises en évidence. Toutes ont eu un impact relativement durable sur le couvert forestier, combinées ou
non à des phases d’intensification des activités agropastorales. Ainsi, les activités métallurgiques, même précoces, telles ici celles de l’âge du Fer, peuvent-elles avoir
un impact majeur sur le couvert forestier. Ce phénomène
a déjà été démontré pour d’autres activités préindustrielles fortement consommatrices de bois, comme par
exemple l’exploitation du sel dans le Jura (Dufraisse et
Gauthier, 2002). Autour du Mont Beuvray, les défrichements semblent avoir principalement touché le hêtre,
réputé être un excellent bois de chauffe, mais qui est
aussi l’essence dominante de la forêt du haut Morvan. Il
est donc difficile de déterminer dans cette préférence la
I. JOUFFROY-BAPICOT
part des qualités intrinsèques de cette essence et celle de
sa disponibilité. Concernant les paléopollutions, environ
20 % du plomb anthropique a été déposé avant notre
ère, et 50 % avant le XVIIIe siècle. Ces données paléoenvironnementales montrent l’impact très important des
activités préindustrielles de cette région, devenue aujourd’hui l’une des moins industrialisées de France. Un héritage qui doit être pris en compte dans les évaluations de la
qualité de l’environnement actuel.
Reste encore à l’archéologie à déterminer la nature exacte des activités métallurgiques : extraction, réduction,
manufacture métallique. Si la dernière phase est bien
connue pour la fin de l’âge du Fer, les preuves d’extraction sont encore à mettre au jour. Dans ce sens, la fouille
de minières potentielles est entreprise en 2005, sur le site
même de Bibracte.
La suite de cette étude s’attache maintenant à la spatialisation des phénomènes révélés : défrichements,
pollutions. S’agissant de la pluie pollinique il est maintenant avéré que les petits réceptacles, petits lacs,
petites tourbières comme c’est le cas ici, enregistrent
un signal local. En est-il de même pour le signal paléopollution ? Pour tenter une histoire au niveau du massif il est donc nécessaire de multiplier ce type d’approche. Ainsi, cette première étude approfondie de
l’évolution de la forêt morvandelle, en relation avec les
activités humaines locales successives, est-elle poursuivie par l’étude de forages effectués dans l’ensemble du
massif. Ces études polliniques et leur confrontation aux
autres données paléoenvironnementales et archéologiques devront aboutir à une histoire du couvert végétal du Morvan, non plus déduite de ce que l’on connaît
des zones voisines, mais qui s’appuie sur un faisceau
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La forêt jurassienne au cours des deux derniers millénaires à la lumière de quelques diagrammes polliniques
Emilie Gauthier, Hervé Richard
Laboratoire de Chrono-écologie, UMR 6565-CNRS/Université de Franche-Comté, UFR ST, 16 route de Gray – F-25030 Besançon cedex
Résumé
Au-delà de la description de la dynamique naturelle du couvert végétal de l’Holocène, l’analyse pollinique s’intéresse
aujourd’hui à l’évolution de la pression des sociétés humaines sur l’environnement. Les Indices Polliniques
d’Anthropisation (IPA) permettent de décrire les différentes phases d’emprises et de déprises agricoles propres à une
région. Afin d’illustrer l’évolution de l’impact de l’homme sur la végétation du Massif jurassien au cours des deux derniers millénaires, quatre diagrammes polliniques ont été choisis. Les données polliniques sont comparées aux informations archéologiques et historiques locales.
L’essor agricole des deux premiers siècles de notre ère, la déprise de la transition Bas-Empire/haut Moyen-Âge et le
modeste essor de l’époque mérovingienne sont visibles dans ces diagrammes. Les grands défrichements médiévaux sont
parfois perceptibles dès les VIIIe et IXe siècles, mais il faut attendre les XIe-XIIe siècles pour enregistrer un signal fort du
développement des activités agropastorales dans les zones d’altitude. Les données polliniques et historiques témoignent
alors nettement du recul de l’espace forestier. Cette emprise ne semble se ralentir que temporairement au cours du XIVe
siècle. Les défrichements s’accélèrent aux XVe et XVIe siècles et durant la période moderne.
Abstract
Beyond the description of the natural evolution of the Holocene vegetation, the pollinic analysis is interested today in
the development of the cultural landscape. The Anthropogenic indicators facilitate the reconstruction of agricultural
activities in a small-scale area. In order to illustrate the evolution of the human impact on the vegetation in the Jura
Range during the last two millennia, four pollinic diagrams were selected. The pollinic data are compared with archaeological and historical informations.
The Roman agricultural development, the decrease of human impact connected with the transition Low-Empire-early
Middle Age and the little rise in the Merovingian times are visible in these diagrams. The first sign of medieval deforestation sometimes appear in the VIIIe and IXe centuries, but it’s necessary to await XIe-XIIe centuries to perceive a high signal of intensification of land use in the altitude areas. Pollen record and historical data testify then clearly an open landscape. A last decline of anthropogenic indicators appears in the fourteenth century, but fifteenth and sixteenth centuries
are characterised by new strong deforestations and substantial human impact, in spite of the climatic deterioration of
Little Ice Age.
La forêt primaire qui couvrait l’essentiel de l’Europe tempérée s’est lentement transformée au cours de
l’Holocène. Des pinèdes aux forêts de feuillus, de la chênaie mixte aux hêtraies-sapinières mêlées d’épicéa en altitude, le climat a d’abord dicté la composition et l’évolution de la végétation. C’est au cœur de cet environnement forestier que s’implantent les premières communautés néolithiques dans les VIe et Ve millénaires avant
notre ère. Mais c’est surtout au cours des trois derniers
millénaires que l’emprise de l’homme sur la végétation
s’accentue. Le processus est pourtant loin d’être linéaire.
Le deuxième plateau du Jura forme, par son climat
contrasté et sa végétation forestière dense, un milieu
longtemps considéré comme difficile, voire “répulsif”,
pour les sociétés agricoles anciennes. La rareté des données archéologiques et des sources textuelles antérieures
à la période médiévale classique accréditait l’hypothèse
d’un peuplement tardif. Pourtant les analyses polliniques
ont déjà montré l’ancienneté des impacts anthropiques
(Richard, 1995 et 2000), et les communautés agropastorales n’ont certes pas attendu le XIe siècle, ni même la
période gallo-romaine, pour essaimer ces massifs forestiers d’altitude.
Le massif du Jura est réputé pour le nombre important de
lacs, tourbières et marais, autant de zones privilégiées
pour la conservation des grains de pollen et des spores.
Depuis les travaux de S. Wegmüller (1966), de très nombreux sites ont fait l’objet d’analyses polliniques. Nous
57
E. Gauthier, H. Richard
avons sélectionné pour cette étude spécifique quatre analyses effectuées sur les plateaux jurassiens au-dessus de
800 m d’altitude. Ces sites offrent une très bonne lisibilité des deux derniers millénaires et il était intéressant de
mesurer au cours de cette période les fluctuations de la
pression des sociétés humaines successives sur le couvert
forestier de cette région.
1. - Lire la domestication de
l’environnement végétal
L’étude plus particulière des indices polliniques d’anthropisation (Behre, 1981 et 1988) permet au spécialiste d’appréhender l’évolution des activités agropastorales. Des diagrammes d’anthropisation synthétiques suivent précisément les variations de l’impact des sociétés humaines sur le
couvert végétal. Le modèle utilisé est celui de Berglund et
Ralska-Jasiewiczowa (1986). Ce type de diagramme comporte trois courbes, représentant respectivement :
les anthropochores, c’est-à-dire les plantes cultivées
(Cerealia, Secale, Fagopyrum) ;
les messicoles, adventices des cultures (Centaurea cyanus, Papaver, Spergula arvensis et Polygonum persicaria), les apophytes (Plantago lanceolata, Plantago
major/media, Rumex, Chenopodiaceae, Artemisia et
Urticaceae) et les héliophiles pionniers (Juniperus) ;
la dernière courbe représente les Poaceae.
L’évolution des indices d’activités agropastorales, la chute
des taxons arboréens et, au contraire, l’augmentation de
certains arbres et arbustes favorisés par les ouvertures et
une concurrence plus faible, sont autant de signaux
anthropiques.
2. - Suivre les indices polliniques
d’anthropisation du couvert végétal
Après la très longue période qui couvre les deux premiers
tiers du Néolithique où les indices sont très discrets, très
localisés et discontinus (Richard, 2000 et 2004), une première phase d’anthropisation est comprise entre la fin du
Néolithique et la fin de la Protohistoire (Gauthier, 2001 et
2004). Le signal anthropique est encore fluctuant, avec
des périodes d’augmentation et de diminution des taux
de pollen de céréales, d’apophytes et de poacées. Ces
taxons ne disparaissent jamais totalement au cours des
déprises agricoles, même lors de déprises de fortes amplitudes, comme celles correspondant à des dégradations
climatiques importantes, au Bronze moyen ou au début
du premier âge du Fer par exemple (Magny, 1993a et
1995 ; Richard, 1995 ; van Geel et Magny, 2000 ;
Richard et Gauthier, sous presse).
À l’intérieur d’un même territoire, les zones agricoles
pouvaient changer de place. Afin de minimiser les efforts
et en raison d’une densité de population encore relative-
58
ment faible, les défrichements concernaient sans doute
des surfaces limitées, situées surtout à des altitudes
basses et moyennes où les aléas climatiques sont moins
menaçants. Quant aux céréales capables de pousser plus
en altitude, elles sont déjà le fruit de sélections opérées
depuis les débuts de la néolithisation (Pelt et al.,1999).
Les mêmes endroits, abandonnés provisoirement, sont
réoccupés, car il est plus facile de nettoyer un lieu enfriché que de défier de nouveau la forêt primaire.
C’est finalement le modèle agro-sylvo-pastoral décrit
dans la littérature (entre autres : Iversen, 1949 ;
Bertrand, 1975 ; Guilaine, 1991) qui souvent s’applique. La forêt était dominante, dense et, pour une
grande part, inconnue. Mais elle était aussi, à proximité des zones habitées, le lieu essentiel de chasse, de
cueillette et de pâturage. Certaines parties, comme les
environs des sources salées (Pétrequin et al.,2001 ;
Dufraisse et Gauthier, 2002) et, comme nous le verrons,
les zones situées à proximité de proto-industries du fer
(Richard et Eschenlohr, 1998 ; Gauthier, 2001) faisaient l’objet d’une fréquentation plus importante. Les
défrichements très étendus étaient alors motivés par le
besoin en combustible et non la quête d’un espace
agricole. C’est le cas aussi dans les régions où les activités paléométallurgiques étaient nombreuses, comme
dans le Morvan (Monna et al.,2004a ; Jouffroy-Bapicot
I., ce volume) ou le Pays Basque (Monna et al.,2004b).
Un palier est souvent franchi à la fin de l’âge du Bronze
(entre environ 1000 et 800 avant notre ère) où l’emprise humaine sur la végétation est toujours très forte. A
partir de la période gallo-romaine, le signal anthropique offre une meilleure cohérence et une deuxième
phase se dessine. L’essor agricole des deux premiers
siècles de notre ère, la déprise de la transition BasEmpire - haut Moyen Âge et le modeste essor de
l’époque mérovingienne sont visibles dans la plupart
des analyses polliniques du Massif jurassien. Les clairières étaient toutefois encore dominantes, mais les
zones défrichées semblent occupées de manière permanente.
Même si une amorce du phénomène est parfois visible
dès les VIIIe et IXe siècles, il faut attendre les XIe-XIIe
siècles pour percevoir, grâce à l’amplification des défrichements, un signal net et sans ambiguïté du développement des activités agropastorales dans les zones d’altitude. Les données polliniques et historiques témoignent alors clairement du recul de l’espace forestier.
L’un des signes de la régression de la forêt et de l’augmentation des espaces cultivés (outre la chute des taux
de pollen d’arbres) est l’apparition dans les diagrammes
polliniques des messicoles comme le bleuet et le coquelicot. De larges superficies restaient cependant très
forestières et, dans le Jura, aux alentours des certaines
tourbières, le couvert forestier ne paraît pas reculer
avant le XVe siècle (Gauthier, 2001 et 2002) ; il en est
probablement de même sur le Massif vosgien.
E. Gauthier, H. Richard
Enfin des divers troubles qui ont rythmé la vie des populations locales au cours du dernier millénaire, un seul
semble avoir eu des conséquences perceptibles dans les
diagrammes polliniques. Il s’agit des effets des épidémies
de peste et des guerres du XIVe siècle. Il faut cependant
noter que le seul phénomène visible est une baisse des
indices polliniques d’anthropisation démontrant un abandon des pratiques agropastorales et un enfrichement des
terres. Les effets directs des détériorations climatiques du
Petit Âge Glaciaire sont quant à eux difficiles à évaluer par
la palynologie.
L’essor agricole se met en place aux XVe et XVIe siècles et,
durant la période moderne, les défrichements s’accélèrent. Sur les plateaux jurassiens, la polyculture disparaît
peu à peu et la vocation pastorale s’affirme au cours des
derniers siècles. Le domaine forestier, surexploité,
regagne du terrain à partir du XXe siècle, mais cet effort
considérable de reboisement ne transparaît encore que
très discrètement dans les diagrammes polliniques.
ALTITUDES
300-700 m
700-900 m
plus de 900 m
> 500 m
4
e
Lou
2
1
3
3. - Les données archéologiques et
historiques
Des quatre sites étudiés (fig. 1), seul le secteur de
Chaffois, et plus généralement la Chaux d’Arlier, offrent
des preuves archéologiques d’un peuplement protohistorique. Une trentaine de tumulus datant de l’âge du
Bronze et du premier âge du Fer (Hallstatt) ont été repérés et fouillés dans cette vaste dépression (Bichet et
Millotte, 1992). La fondation de Pontarlier (Abiolica)
remonte à l’époque gallo-romaine, et la nécropole mérovingienne de la Grande Oye (VIe-VIIe siècles), à Doubs,
atteste l’occupation mérovingienne du secteur (Manfredi
et al.,1992). La situation géographique de cette microrégion explique l’abondance d’indices archéologiques : la
Chaux d’Arlier constitue en effet la seule voie de passage
transversale aux plissements du Massif jurassien permettant de rejoindre aisément le Plateau suisse puis l’Italie.
Sur le deuxième plateau, les données archéologiques se
limitent malheureusement à ce secteur.
Censeau, dans le Val de Mièges, est dans le prolongement et au sud-ouest de la Chaux d’Arlier. De rares données archéologiques et textuelles (Rousset, 1853) laissent
supposer un peuplement antérieur à l’an Mil.
La tourbière des Fourgs est quant à elle au cœur d’un
“désert archéologique” et il n’existe pratiquement aucune preuve d’occupation de ce secteur avant les XI-XIIe
siècles. C’est précisément durant le XIIe siècle que la commune de Les Fourgs, et plus généralement le plateau
environnant, sont colonisés dans le but d’exploiter la sève
des résineux pour la fabrication de la poix (Tissot, 1978 ;
Bulle, 1988).
Le haut-plateau des Franches-Montagnes, au nord du
massif dans le canton du Jura suisse, situé entre 800 et
Lausanne
N
0
10
50 km
Figure 1 : Les sites étudiés.
1100 m d’altitude, n’a livré que très peu de vestiges
archéologiques. Toutefois, le seul territoire de la commune de Lajoux révèle plus d’une trentaine de ferriers (ateliers de production de fer) datant essentiellement des XIIIe
et XIVe siècles (Richard et Eschenlhor, 1998 ; Eschenlohr,
2001). Une telle densité d’ateliers, importants consommateurs de charbon de bois, a dû avoir un impact important sur le couvert forestier local qu’il est intéressant
d’analyser.
4. - Les données polliniques
4.1. - L’époque gallo-romaine
À l’aube de la conquête romaine, les quatre sites sélectionnés montrent des traces plus ou moins évidentes
d’activités agropastorales. Si la Chaux d’Arlier (Gauthier,
2001 et 2002), malgré une image pollinique toujours très
forestière, semble faire l’objet d’une mise en valeur régu-
59
E. Gauthier, H. Richard
lière depuis l’âge du Bronze, Censeau et Les Fourgs révèlent des occupations plus fluctuantes, sans réelle corrélation chronologique. A proximité de la tourbière de La
Beuffarde aux Fourgs, il est possible que la présence de
minerai de fer (Rosenthal, 1992), soit à l’origine des défrichements qui affectent régulièrement les lieux dès le
deuxième âge du Fer (La Tène). Dans les analyses de la
tourbière de Lajoux une présence apparemment constante est démontrée sur la totalité de l’âge du Fer par une
augmentation des taxons herbacés (Poaceae, Céréales,
Plantago, Rumex).
La principale caractéristique de la période gallo-romaine
est l’apparition d’un signal anthropique assez homogène.
La Chaux d’Arlier (Chaffois) montre une certaine continuité des activités agropastorales depuis la Protohistoire
(fig. 2). Les modifications environnementales opérées par
l’homme durant cette période sont finalement assez
légères et se traduisent d’avantage par une reprise
(fig. 4 : Les Fourgs, B1) ou une extension légère (fig. 3 :
Censeau, C2) des défrichements. La mise en valeur agricole s’opère essentiellement dans des zones déjà partiellement peuplées et défrichées (Richard, 1995), comme
dans d’autres moyennes montagnes, les Pyrénées (Galop,
1998) ou le Massif central (Miras, 2004) par exemple.
Dans un contexte économique et politique favorable, il
est possible que l’amélioration climatique caractérisant les
débuts de l’ère chrétienne (Magny, 1995) ait joué un rôle
dynamisant.
Les dates radiocarbone, comme l’estimation des âges,
semblent indiquer que l’essor agricole gallo-romain est
assez court et concerne principalement le Haut Empire.
Parfois, dès la fin du IIe siècle, au plus tard vers le IIIe - IVe
siècle (fig. 2 : Chaffois, 2ème partie de LB1c), une chute
des indices d’activités agropastorales et une recolonisation forestière sont observables ; les phénomènes s’accentuent à la transition avec le haut Moyen Âge.
Le diagramme de Lajoux (fig. 5) montre, pour les tous
premiers siècles de notre ère, un événement brutal et très
net qui affecte pratiquement tous les taxons : très forte
régression du sapin (Abies) et de l’épicéa (Picea), en anticoïncidence avec un développement du hêtre (Fagus), du
noisetier (Corylus), du bouleau (Betula)… Ceci démontre
que les sapins et les épicéas ont été en grande partie éliminés à proximité de la tourbière analysée. Cette ouverture importante profite d’abord au hêtre qui voit disparaître ses concurrents principaux, ce qui stimule entre
autre sa pollinisation, et aux essences secondaires profitant de ces éclaircissements, comme le noisetier et le bouleau. Ces événements sont certainement la traduction
pollinique des coupes destinées à fournir le combustible
nécessaire aux ateliers de production de fer.
4.2. - Le haut Moyen Âge
Le recul des activités anthropiques est net au début du
haut Moyen Âge. A Censeau (fig. 3 : C3a) et aux Fourgs
60
(fig. 4 : B2) où il est d’ailleurs possible de discerner un
niveau où les taxons marqueurs d’anthropisation disparaissent presque complètement ; à Lajoux (fig. 5 : 1ère
moitié de E3). Les marqueurs sont fortement en baisse.
Les zones abandonnées sont recolonisées, selon les sites,
par le hêtre, le sapin et l’épicéa, mais aussi par le charme,
l’orme et le frêne. Cette déprise a fait l’objet de plusieurs
datations. Lorsqu’on considère les écarts type des data14
tions C effectuées sur les sites de Censeau, des Fourgs
et de Lajoux, il apparaît clairement que la déprise commence au plus tôt vers le milieu du IIIe siècle et se termine, au plus tard, au début du VIIe siècle. Ces dates englobent toujours la totalité du Ve siècle et la presque totalité
du VIe. Ce synchronisme laisse supposer qu’un événement
d’importance a conduit au dépeuplement temporaire de
la région. La cause la plus évidente semble être celle des
invasions qui frappent précisément l’arc jurassien entre le
IIIe et le Ve siècle (Lerat et al.,1981 ; Bouvard, 1997). Cette
déprise est aussi attestée sur les quelques sites étudiés
dans la plaine jurassienne (Gauthier, 2001 ; Gauthier et
Joly, 2003) et dans la majorité des analyses polliniques
suisses et allemandes (voir entre autres : Behre, 1988 ;
Richoz et Gaillard, 1989 ; Rösh, 1992 ; Richoz et
al.,1994 ; Wiethold, 1998) ; c’est la “migration period”.
Pourtant, si cette déprise est due aux invasions, il peut
paraître étrange que Chaffois (fig. 2 : LB2), le seul site
situé sur une voie de passage importante et donc davantage exposé à divers troubles, ne semble affecté que par
un ralentissement des activités agropastorales (fin de
LB2), et non par une réelle déprise. La plaine de la Chaux
d’Arlier était sans doute plus peuplée, comme le montrent les nombreuses données archéologiques déjà citées
(Manfredi et al.,1992). Les analyses polliniques de
Neublans (Gauthier, 2000 ; Vannière et al.,2000 et 2003),
dans la basse vallée du Doubs (Jura), suggèrent également que le peuplement se concentre sans doute dans
des secteurs précis durant la fin de l’époque gallo-romaine et le début du haut Moyen Âge, et la Chaux d’Arlier
en fait partie. Il est cependant intéressant de remarquer
que sur tous les sites, occupés ou non, la recolonisation
forestière est effective et les activités agricoles, quand
elles persistent, sont développées au sein d’un milieu très
boisé.
Vers la fin du VIe siècle et le début du VIIe siècle, céréales
et apophytes réapparaissent de manière régulière mais les
défrichements restent encore très discrets, même à
Chaffois. Le pastoralisme, les troupeaux pâturant en
forêt, sont certainement à la base de ces activités
humaines. À Censeau (fig. 3 : C3b) et à Les Fourgs
(fig. 4 : B3), l’occurrence régulière de grains de pollen
d’Urticaceae, un taxon nitrophile souvent lié à la présence de bétail, confirme cette hypothèse.
Quant à l’impact réel des aléas climatiques sur la répartition du peuplement, il est difficile de le mettre en évidence. A partir de ces analyses, la déprise agricole qui s’étend
entre le IIIe et VIe siècle est contemporaine d’une amélio-
E. Gauthier, H. Richard
0
5
1302-1448 cal. AD
1044-1261cal. AD
127-381 cal. AD
LB6
10
14
18
22
26
30
34
38
42
46
LB5
LB4
BMA
MAC
LB3
LB2
52
56
60
64
68
HMA
LB1c
AP/T
FAGUS
CANNABIS/HUMULUS
PICEA
ABIES
CARPINUS
QUERCUS
CORYLUS
BETULA
PINUS
PROFONDEUR
en cm
POACEAE
CYPERACEAE
AUTRES HERBACEES
Cerealia
Messicoles
et apophytes
Poaceae
LT/H
Figure 2 : diagramme pollinique partiel et simplifié de la tourbière des Barbouillons, commune de Chaffois (25, F) dans la Chaux d’Arlier (d’après Gauthier, 2001 et 2002).
datations : BP = Before Present, date radiocarbone non-calibrée exprimée avant 1950 de notre ère ; cal. AD : date exprimée en années solaires (date calibrée par la dendrochronologie), AD = Anno Domini, c’est-à-dire après Jésus-Christ.
AP/T : rapport entre les grains de pollen d’arbres et d’arbustes (AP = Arboreal Pollen) et le total (T) des grains de pollen comptés.
zonation archéologique estimée : LT/H = La Tène/Hallstatt ; Ép GR = Époque Gallo-Romaine ; HMA = Haut Moyen Âge ; MAC = Moyen Âge Central ; BMA = Bas Moyen
Âge ; Ép M&C = Époque Moderne et Contemporaine.
ration climatique ; au contraire la modeste reprise amorcée au VIIe siècle s’accorde avec une nouvelle péjoration
climatique (Magny, 1993b et 1995). Le développement
des campagnes semble alors plus dépendant des facteurs
socio-économiques que des changements climatiques.
4.3. - Le Moyen Âge classique
L’essor agricole qui débute à l’aube de l’an Mil ne correspond pas vraiment à une amplification immédiate des
défrichements et à une soudaine élévation des taux de
céréales, d’apophytes et de poacées. L’apparition d’une
ouverture du couvert forestier d’ampleur plus ou moins
importante est le premier phénomène observable et certains de ces déboisements sont sans doute légèrement
antérieurs à l’an Mil. Hêtre, charme, sapin et épicéa sont
les essences prioritairement touchées (fig. 2 : Chaffois,
LB3 ; fig. 3 : Censeau, C4a ; fig. 4 : Les Fourgs, B3 ;
fig. 5 : Lajoux, extrême fin de E3). L’élévation des taux
d’indices polliniques d’anthropisation, indiquant la réelle
mise en valeur agricole, est légèrement postérieure, elle
est datée entre le milieu du XIe siècle et le XIIIe siècle.
L’ouverture des massifs forestiers favorise alors, selon les
sites, la pollinisation de l’aulne, le bouleau et du noise-
tier ; ce phénomène est par exemple particulièrement
visible à Chaffois (fig. 2 : LB4). Parmi les céréales, le
seigle apparaît de manière très régulière et le chanvre
(Cannabis/Humulus) semble faire l’objet d’une culture à
proximité des sites étudiés.
Les défrichements récurrents observables à la tourbière
des Fourgs dès l’âge du Fer sont plus marqués que sur les
trois autres sites. La présence de minerai de fer étant
attestée, ces déboisements locaux, mais importants, s’expliquent certainement par une exploitation métallurgique
accompagnée d’un léger développement des activités
agropastorales. Ce phénomène est une nouvelle fois très
marqué à Lajoux où la zone E4 (fig. 5) montre les mêmes
indices que précédemment : chute brutale du sapin et de
l’épicéa, augmentation du hêtre, du bouleau et du noisetier. Ces défrichements ciblés se produisent dans les XIe et
XIIe siècles.
Malgré les défrichements et l’ampleur de la pression
agropastorale qui caractérisent généralement les débuts
du XIe siècle, le couvert arboréen est loin de disparaître.
Cet espace forestier joue certainement un rôle encore
important dans la vie des agriculteurs ; au bas Moyen
Âge, il semblait encore inépuisable aux yeux des habitants
de cette région (Loew, 1954 ; Gresser et al.,1990).
61
E. Gauthier, H. Richard
0
10
C5
21
1058-1292 cal. AD
1027-1207 cal. AD
410-609 cal. AD
28
32
36
40
44
48
52
56
60
64
68
72
76
80
84
88
92
96
100
104
108
112
116
120
124
128
132
136
140
145
C4d
C4c
C4b
C4a
BMA
MAC
C3c
C3b
HMA
C3a
C2
C1
AP/T
CANNABIS/HUMULUS
CARPINUS
PICEA
ABIES
QUERCUS
CORYLUS
BETULA
PINUS
PROFONDEUR
en cm
FAGUS
POACEAE
CYPERACEAE
AUTRES HERBACEES
LT/H
Cerealia
Messicoles
et apophytes
Poaceae
Figure 3 : diagramme pollinique partiel et simplifié de la tourbière de La Seigne, commune de Censeau (39, F) (d’après Gauthier, 2001).
datations : BP = Before Present, date radiocarbone non-calibrée exprimée avant 1950 de notre ère ; cal. AD : date exprimée en années solaires (date calibrée par la dendrochronologie), AD = Anno Domini, c’est-à-dire après Jésus-Christ.
AP/T : rapport entre les grains de pollen d’arbres et d’arbustes (AP = Arboreal Pollen) et le total (T) des grains de pollen comptés.
zonation archéologique estimée : LT/H = La Tène/Hallstatt ; Ép GR = Époque Gallo-Romaine ; HMA = Haut Moyen Âge ; MAC = Moyen Âge Central ; BMA = Bas Moyen
Âge ; Ép M&C = Époque Moderne et Contemporaine.
L’amélioration climatique qui se met en place au même
moment a probablement favorisé cet essor agricole général, surtout dans ce secteur du deuxième plateau du Jura.
Mais le succès de cette expansion agraire a d’abord une
origine socio-économique, qui, plus que le climat, a motivé ce peuplement.
4.4. - Le bas Moyen Âge
La récession économique, les guerres, les famines, les épidémies (Lerat et al.,1981 ; Gresser, 1989) et peut-être les
prémices du Petit Âge Glaciaire (Magny, 1993b et 1995 ;
Messerli et al.,2000) ont des répercussions souvent identiques dans la plupart des diagrammes polliniques européens. Le déclin des activités anthropiques, fréquemment
accompagné d’une régénération du couvert forestier, est
alors visible (Rösh, 1992 ; Galop, 1998 et 2000 ;
Dumayne-Peaty, 1999). Sur les plateaux du Jura, la déprise, ou plutôt le recul des activités agropastorales durant
le bas Moyen Âge, est perceptible sur les sites présentés.
Ces événements sont bien datés : les trois datations
obtenues sur le début (fig. 3 : Censeau, début de C4b et
fig. 5 : Lajoux, 1ère moitié de E5), le milieu (fig. 2 :
Chaffois, LB5), et les prémices de la reprise (fig. 4 : Les
Fourgs, B5), permettent de cerner chronologiquement ce
62
phénomène. Le début du ralentissement agricole est daté
à Censeau de 1058-1292 cal. AD, ce qui peut paraître
précoce. La date situant l’apogée de l’emprise agricole à
Les Fourgs (fig. 4 : B4) est en effet presque contemporaine : 1268-1395 cal. AD. Il est évidemment possible d’expliquer cela par un simple décalage chronologique entre
les deux sites, Les Fourgs ayant été affecté plus tardivement que Censeau par les troubles divers relatifs à cette
période. Les deux dates se recoupent pourtant sur une
vingtaine d’années, en fait les deux dernières décennies
du XIIIe siècle. Or cette période constitue peut-être un
moment charnière durant lequel la déprise agricole a pris
place. Certains historiens (entre autres Bouvard, 1997)
précisent d’ailleurs que le dépeuplement des zones montagneuses du Jura débute dès la deuxième moitié du XIIIe
siècle ; à partir de cette époque la multiplication des
chartes de franchise, destinées à retenir ou attirer les
gens, souligne les débuts d’une crise économique. Celleci se prolonge durant le XIVe siècle et le début du XVe,
comme le confirme la date 14C de Chaffois - entre 1302
et 1448 - effectuée au niveau LB5 où les taux des taxons
marqueurs de l’anthropisation sont au plus bas (fig. 2) ; la
régénération forestière, se traduisant ici par l’augmentation des taux de hêtre, est particulièrement évidente.
E. Gauthier, H. Richard
1685-1955 cal. AD
1429-1631 cal. AD
1268-1395 cal. AD
414-540 cal. AD
B1
Figure 4 : diagramme pollinique partiel et simplifié de la tourbière de La Beuffarde, commune de les Fourgs (25, F) (d’après Gauthier, 2001).
datations : BP = Before Present, date radiocarbone non-calibrée exprimée avant 1950 de notre ère ; cal. AD : date exprimée en années solaires (date calibrée par la dendrochronologie), AD = Anno Domini, c’est-à-dire après Jésus-Christ.
AP/T : rapport entre les grains de pollen d’arbres et d’arbustes (AP = Arboreal Pollen) et le total (T) des grains de pollen comptés.
zonation archéologique estimée : LT/H = La Tène/Hallstatt ; Ép GR = Époque Gallo-Romaine ; HMA = Haut Moyen Âge ; MAC = Moyen Âge Central ; BMA = Bas Moyen
Âge ; Ép M&C = Époque Moderne et Contemporaine.
La reprise des activités anthropiques est plus ou moins
précoce, selon les sites (début des zones polliniques
locales LB6, C4c B6a, 2ème moitié de E5). Les textes précisent par exemple qu’en mai 1400, Jean de Chalon-Arlay
encourage, en accordant divers droits, le repeuplement
de Censeau, dévasté par la peste (Rousset, 1853). À la
tourbière des Fourgs (fig. 4), le début de cette reprise est
plutôt centré sur le milieu du XVe siècle : 1429-1631 cal. AD.
Cette déprise du XIVe siècle apparaît même plus franchement que celle des Ve-VIe siècles, et il ne fait aucun doute
que les effets conjugués des guerres, des épidémies de
peste et du début du Petit Âge Glaciaire aient conduit au
dépeuplement de cette partie du Jura. Le refroidissement
climatique, effectif jusqu’au XIXe siècle, n’entravera
cependant pas le nouvel essor économique des XVe-XVIe
siècles.
4.5. - L’époque moderne et contemporaine
Après cette crise du XIVe siècle, les quatre diagrammes
polliniques font apparaître une extension importante des
défrichements et l’essor d’un système agricole dominé
par la polyculture et l’élevage. La représentation pollinique du hêtre, du sapin et de l’épicéa chute rapidement,
indiquant la réduction, puis l’épuisement rapide du couvert forestier. Les conséquences locales pourtant dévastatrices de la guerre de Dix Ans ne transparaissent pas dans
les diagrammes polliniques. Il est vrai que les communes
étudiées ne font pas partie de celles directement impliquées dans le conflit et ruinées par les troupes armées
(Louis, 1998). Si la crise a été plus violente, mais sans
doute plus brève, que celle du XIVe siècle, l’abandon temporaire des terres s’est plutôt traduit par un enfrichement
plus que par une régénération d’un couvert forestier déjà
fortement dégradé.
Les analyses paléoenvironnementales récentes touchant
le dernier millénaire ont parfois trop tendance à attribuer
le moindre micro-phénomène à l’effet du Petit Âge
Glaciaire. Les recherches menées sur des sources textuelles montrent que la péjoration climatique n’était pas
homogène (Behringer, 1999 ; Messerli et al.,2000). Si certaines décennies étaient caractérisées par une météorologie très médiocre, les améliorations climatiques demeuraient cependant fréquentes. Et même si des récoltes ont
été particulièrement mauvaises certaines années, les
innovations technologiques, accompagnant l’augmentation de la pression démographique, soutiennent la poursuite du développement d’un système agropastoral qui
63
E. Gauthier, H. Richard
1269-1439 cal AD
975-1267 cal AD
126-530 cal AD
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
50
55
59
65
70
75
80
85
90
94
E7
E6
620 80 BP
E5
E4
925 85 BP
E3
1730 70 BP
E2
100
105
110
115
120
E1
LT
AP/T
CARPINUS
PICEA
ABIES
QUERCUS
CORYLUS
BETULA
PINUS
PROFONDEUR
en cm
FAGUS
AUTRES HERBACEES
POACEAE
Cerealia
Messicoles
et apophytes
Poaceae
Figure 5 : diagramme pollinique partiel et simplifié de Derrière-les-Embreux, commune de Lajoux (Ju, CH) (d’après Richard et Eschenlohr, 1998).
datations : BP = Before Present, date radiocarbone non-calibrée exprimée avant 1950 de notre ère ; cal. AD : date exprimée en années solaires (date calibrée par la dendrochronologie), AD = Anno Domini, c’est-à-dire après Jésus-Christ.
AP/T : rapport entre les grains de pollen d’arbres et d’arbustes (AP = Arboreal Pollen) et le total (T) des grains de pollen comptés.
zonation archéologique estimée : LT/H = La Tène/Hallstatt ; Ép GR = Époque Gallo-Romaine ; HMA = Haut Moyen Âge ; MAC = Moyen Âge Central ; BMA = Bas Moyen
Âge ; Ép M&C = Époque Moderne et Contemporaine.
s’adapte le plus souvent aux aléas climatiques de cette
période.
Les spectres polliniques des derniers niveaux des
séquences étudiées montrent généralement un milieu
très ouvert. Au cours du XXe siècle, la polyculture a disparu et la vocation pastorale s’est définitivement affirmée. La forêt a regagné du terrain, mais cet effort
considérable de reboisement qui fait aujourd’hui du
Jura une des principales régions forestières de France,
ne transparaît que très discrètement dans les quatre
diagrammes présentés. C’est la végétation même des
tourbières (bouleau, pin, callune, carex) qui est le plus
clairement représentée dans les diagrammes, prouvant
une fois de plus l’extrême localité de la pluie pollinique
captée dans les sédiments.
5. - Conclusion
Ces quatre analyses montrent que l’évolution de l’impact de l’homme sur la végétation dans cette zone de
moyenne montagne, depuis la période gallo-romaine,
64
n’a jamais été régulière et linéaire. Les fluctuations
mises en évidence se rapprochent de ce qui a déjà été
observé dans d’autres milieux montagnards comme les
Pyrénées (Galop, 2000), le Massif central (Miras, 2004)
et certaines parties des Alpes (Court-Picon, 2003). Dès
la fin de La Tène et durant la période gallo-romaine, les
défrichements s’étendent très légèrement et une mise
en valeur agricole du territoire paraît s’organiser. Une
déprise touche la plupart des sites pendant les Ve et VIe
siècles de notre ère. Mais sans nier une certaine baisse
démographique à cette époque, la persistance des activités agropastorales démontre plus un regroupement
de populations dans certaines zones spécifiques qu’un
déclin général des activités agricoles. Des analyses palynologiques, les datations radiocarbone associées aux
investigations archéologiques en cours dans diverses
zones du Massif jurassien permettront sans doute de
mieux comprendre cette période charnière et encore
peu connue.
Faiblement mais régulièrement, le signal anthropique
réapparaît sur l’ensemble des sites à l’aube du VIIe
siècle. Les activités agropastorales se développent tou-
E. Gauthier, H. Richard
jours au coeur d’un milieu forestier étendu. L’explosion
démographique, le poids des instances monastiques
puis laïques des XIe, XIIe et XIIIe siècles favorisent le peuplement, et surtout, le défrichement de l’ensemble du
massif. Contrairement aux images véhiculées par certains historiens, de vastes étendues de forêts restent
encore en place sur ces moyennes montagnes. Une partie de ces forêts sont exploitées dans un périmètre restreint proche des zones habitées mais de vastes zones
sont encore densément arborées. Les conséquences
démographiques des guerres et des épidémies du XIVe
siècle marquent un recul net de l’agriculture. Il faut
donc attendre le XVe siècle pour que le couvert forestier
recule réellement. Enfin, la déprise polliniquement mise
en évidence dans les niveaux sub-contemporains (XVIIIeXIXe s.) correspond en fait à un bouleversement total de
la gestion de l’espace. Dès le milieu du XXe siècle il n’y
a plus de polyculture mais, selon les secteurs, une spécialisation des activités (élevage et résineux sur les plateaux, vignobles, polycultures fortement céréalières
dans les basses plaines…). Le couvert forestier a regagné du terrain, sa composition est aujourd’hui complètement gérée.
L’épaisse forêt qui couvrait le Jura n’a pas entravé l’essor d’activités agricoles et l’exploitation des potentialités du sol et du sous-sol. Si au cours des deux derniers
millénaires des périodes de déprises ou de reculs des
activités agricoles sont perçues dans les diagrammes
polliniques, c’est plus le résultat de processus économiques, politiques et sociaux que la conséquence directe de dégradations climatiques qui devaient pourtant
être vivement ressenties dans ces zones de moyenne
montagne. L’équilibre qui a longtemps persisté entre
espaces agropastoraux et forestiers bascule à l’aube de
l’an Mil. Les innovations technologiques, les rendements agricoles plus importants qui en découlent et
l’essor démographique aidant, l’homme s’affranchit
totalement des contraintes liées à son environnement.
Comment aller plus loin maintenant ? Bien qu’ayant
fait des progrès très importants ces dernières années, la
datation précise des phénomènes décrits est encore à
améliorer. Conscient des limites de sa méthode, le palynologue cherche sans cesse à progresser. Les hypothèses formulées ici tiennent compte par exemple des
distorsions possibles dues à la taille des récepteurs :
une petite tourbière comme celle de La Beuffarde aux
Fourgs donne une image plus locale de la végétation
alors que la tourbière des Barbouillons à Chaffois, qui
fait partie d’une vaste zone humide, restituera une
image pollinique beaucoup plus régionale. Mais peuton aller au-delà du schéma qui consiste à suivre la succession des emprises et des déprises agricoles ? La
cause de ces phénomènes est d’abord à préciser dans
la plupart des cas : phénomènes naturels, fluctuations
démographiques, aléas socio-économiques… Il faut
pousser encore plus loin la description des groupements végétaux perçus par la palynologie : quels types
de forêts, quel était leur degré d’ouverture, quelles cultures, quelles surfaces emblavées, cultivées, pâturées ?... Pourra-t-on aller jusqu’aux pratiques agricoles ?
Le recours aux référentiels actuels, très en vogue
aujourd’hui, permettra de répondre, peut-être partiellement à ces questions.
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67
68
Analyse pollinique de la mardelle d’Assenoncourt
(Moselle, France) : Impact des pratiques agricoles
sur la biodiversité végétale en milieu forestier
Pascale RUFFALDI (1), Frédéric RITZ (2), Hervé RICHARD (1), Etienne DAMBRINE
et Jean-Luc DUPOUEY (4)
(1)
(2)
(3)
(4)
(3)
Laboratoire de Chrono-écologie - UMR 6565 CNRS - 16 route de Gray - 25030 Besançon Cedex – [email protected]
Office National des Forêts – [email protected]
Unité Cycles Biogéochimiques, INRA, 54280 Seichamps – [email protected]
Equipe Phytoécologie, INRA, 54280 Seichamps – [email protected]
Résumé
Dans les chênaies développées sur les terrains marneux du Plateau lorrain, on trouve de très nombreuses mardelles tourbeuses à sphaignes, riches et originales sur le plan botanique, dont l’origine est discutée. Le carottage et les datations
radiocarbone d’une de ces dépressions montrent deux mètres de remplissage argilo-silteux lité, commençant au VIIe siècle
et finissant au XIVe siècle, surmonté de deux mètres de tourbe organique. L’analyse palynologique révèle 4 zones successives. La base du diagramme est caractérisée par un couvert de chênaie-charmaie dense avec des taux de pollen arboréens avoisinant les 85 %. Très rapidement, on note une augmentation des indices polliniques d’anthropisation (Plantago
lanceolata, Rumex, Artemisia, Urticacées). La présence en pourcentages élevés de plantes aquatiques et hygrophiles
(comme Potamogeton, Sparganium) et, d’autre part, de Cannabis montre que la mardelle est en eau et utilisée temporairement comme zone de rouissage. Dès le haut Moyen Age, les valeurs des taxons arboréens chutent brutalement et
l’augmentation des valeurs des Céréales atteste une phase d’anthropisation très marquée qui dure jusqu’au XIIIe siècle.
Le XIVe siècle voit le retour des grains de pollen d’arbres, interprété comme une phase de déprise agricole.
Postérieurement, la mare évolue en tourbière oligotrophe. Si son origine anthropique est probable, son utilisation par
l’homme est certaine, dans un contexte non forestier pendant tout le Moyen Age. L’abandon de l’agriculture autour du
XIVe siècle pourrait dater le début de l’exploitation de taillis à vocation industrielle par les Salines.
Mots clés : pollen, mardelle, histoire de l’utilisation des sols, Lorraine, forêt
Abstract
In ancient oak forests developed on neutral soils over shales of the Lorrain Plateau, small (<0.1 ha) depressions filled with
peat are common. The origin of these depressions is disputed. By coring and radiocarbon dating one of these depressions, from the bottom to the top, we found 2 meters of silty clay sediment dated from the VIIIth to the XIVth century,
and two meters of oligotrophic organic peat. Pollen analysis of this core reveals 4 layers: The beginning of the sediment
was formed below an oak forest. Very quickly, the percentage of herbaceous pollen increases (Plantago lanceolata,
Rumex, Artemisia, Urticaceae). The presence of a significant proportion of aquatic plants (Potamogeton) as well as
Cannabis indicates that the depression was a pond. Throughout the Middle Ages, tree pollen decreases while the proportion of cereals shows that the area was cultivated. Tree pollen increases since the XIVth century which indicates that
the area went back to forest, probably in relation with the need for fuel-wood by the local salt industry. This investigation suggests that these small depressions in present forests were made by man, or at least used by man in a cultivated
context early in the Middle Ages.
Keywords: pollen, wet depression, land use history, Lorrain, forest
69
P. RUFFALDI, F. RITZ, H. RICHARD, E. DAMBRINE et J-L. DUPOUEY
1. - Introduction
Les analyses paléobotaniques (palynologie, anthracologie, carpologie…) montrent que le couvert forestier s’est
lentement transformé au cours des dix derniers millénaires. Des forêts de pins aux groupements singuliers
dominés par les noisetiers, de la chênaie mixte aux
hêtraies-sapinières mêlées d’épicéas en altitude, l’évolution des paramètres climatiques de l’interglaciaire actuel
a longtemps dicté la composition et l’évolution du couvert végétal. Des différences existent bien sûr suivant les
régions, dictées surtout par la position latitudinale et l’altitude. Le poids et la précocité de l’impact anthropique
sur cette évolution varient également. Mais ce schéma
général reste et peut s’appliquer à l’ensemble de l’Europe
de l’Ouest.
Les analyses polliniques récentes effectuées sur le Plateau
lorrain et la vallée de la Moselle (Blouet, 1996 ; Ruffaldi,
1999, 2000 ; Koenig et Ruffaldi, à paraître ; Ruffaldi et
Blouet, ACR en cours) permettent de décrire plus précisément la mise en place de la forêt holocène de cette
région. Les forêts boréales se sont installées progressivement au cours de l’interstade Bølling-Allerød (environ
12800 à 11000 av. J.-C.), mise en place interrompue par
le retour de conditions climatiques plus rudes au Dryas
récent (11000- environ 9600). Les pins et les bouleaux du
Préboréal (environ 9600-8000) sont remplacés en proportion importante par le noisetier pendant le Boréal (80006900). Durant l’Atlantique ancien (6900-4800), la chênaie mixte (chênes, ormes, tilleuls essentiellement) est le
peuplement dominant. Les transformations de
l’Atlantique récent (4800-3400) se marquent surtout par
une réduction de la chênaie. Les taux importants d’aulne
et de hêtre caractérisent le Subboréal (3400-2700). Au
Subatlantique (2700 av. J.-C. à nos jours), les chênaiescharmaies dominent le Plateau lorrain. Les déforestations
sont surtout marquées à l’époque romaine et au MoyenAge.
Dans le présent travail, nous nous intéressons aux évolutions observées au cours des 1500 dernières années et
montrons l’impact passé des activités humaines, à partir
de l’analyse d’un milieu très particulier, les mardelles
intra-forestières.
Dans les forêts lorraines, sur les terrains marneux du
Keuper, on trouve de très nombreuses mardelles, ou
mares tourbeuses. Ces mares occupent une surface de
quelques ares ou dizaines d’ares. Elles sont couvertes par
une végétation oligotrophe très surprenante de
sphaignes et de bouleaux, tandis que les zones qui les
entourent sont occupées par des taillis de charme sous
futaie de chêne, typiques de sols plus neutres. Ces mardelles comportant un tapis de sphaignes développé sur
une épaisseur de tourbe constituent de petites enclaves
de la «boulaie pubescente tourbeuse de plaine» au sein
de la chênaie-charmaie mésotrophe. Elles présentent un
intérêt floristique et abritent parfois des espèces rares
70
comme le trèfle d’eau (Menyanthes trifoliata), la laîche
tronquée (Carex curta) ou encore une mousse,
Dicranodontium denudatum. Ces deux dernières espèces
ont un caractère plutôt montagnard (Letang, 2004).
Ces milieux particulièrement propices à la conservation
du matériel sporopollinique ont depuis longtemps attiré
les palynologues (Müllenders et Haesendonck, 1963 ;
Coûteaux, 1969a) qui trouvaient là des sites d’analyse
dans des régions où les zones tourbeuses, recherchées
par cette discipline, faisaient souvent défaut. Leur origine
a souvent été discutée : sont-elles le fruit de phénomènes naturels ou des formes héritées d’activités anthropiques ? Certains espéraient avoir affaire à des pingos de
petite taille, résultat de la fonte de lentilles de glace isolées, qui pourraient fournir une sédimentation continue
depuis la fin des temps glaciaires. La proximité de ces
zones humides et rondes avec des sites archéologiques a
souvent fait pencher la balance en faveur d’une origine
anthropique. Elles auraient pu servir d’abreuvoir, de fosse
à rouir ou de carrière d’argile. D’ailleurs, quelques-unes
sont bien d’authentiques « mares » fossiles. Certaines
auraient une origine naturelle liée à des soutirages localisés. Il est tentant en effet de lier la densité de ces mardelles aux niveaux géologiques sous-jacents riches en sel
(Barth et al.,2001), concentrés dans les niveaux du
Keuper (comme c’est le cas ici). Les exploitations de sel
par l’homme sont très anciennes, en particulier dans cette
région (Olivier, 2001, 2003). Le lien entre exploitation du
sel par l’homme, soutirage et création de mardelles reste
toutefois encore à établir. Une analyse systématique
d’une zone géographique riche en mardelles et en sites
archéologiques liés à l’exploitation du sel pourrait
résoudre ce problème. Notre travail est une première
étape dans cette direction.
2. - Présentation du site
La mardelle située en parcelle 82 du bois des Capenottes,
à côté d’Assenoncourt (département de la Moselle, fig.1)
mesure une quarantaine de mètres dans sa plus grande
longueur et l’épaisseur de sédiment noyé est de près de
4 m. Elle fait partie de ces groupements avec présence de
sphaignes. Sa composition botanique est indiquée au
tableau 1. Elle occupe une superficie de 12,8 ares et présente au centre des touradons de laîches (Carex rostrata,
C. elongata) et des tapis de sphaignes (Sphagnum flexuosum, S. palustre, S. squarosum), colonisés par des bouleaux pubescents (Betula pubescens) et des bourdaines
(Frangula alnus), entourés d’une ceinture d’eau libre et de
saules (Salix cinerea). On note également la présence, à
l’ouest, d’une zone à trèfle d’eau (Menyanthes trifoliata).
Un transect effectué d’Ouest en Est a permis de mettre en
évidence un remplissage variant de 2,80 m à 3,60 m
(fig.2).
P. RUFFALDI, F. RITZ, H. RICHARD, E. DAMBRINE et J-L. DUPOUEY
Figure 1 : Localisation du sondage d’Assenoncourt (Moselle).
MARDELLE D'ASSENONCOURT - BOIS DES CAPENOTTES - PARCELLE 82
t
➢
N
X
SAULE
BOULEAU
BOURDAINE
X
X
SPHAIGNES ET CAREX
X
X
X
u
SONDAGE
X
X
A
32 m
TRÈFLE D'EAU
X
X
X
X
PALYNOLOGIQUE
X
X
XX
X
X
X
XX
X
X
X
X
B
X
p
uq
Superficie ~ 12,8 ares
40 m
profondeur (m)
2
SOL
FORESTIER
EAU LIBRE
SAULES
TOURADON
SPHAIGNES - BOULEAUX - BOURDAINE - CAREX
EAU LIBRE
SAULES - CAREX
SOL FORESTIER
SPHAIGNES
1,3
TRÈFLE
D'EAU
1
SONDAGE PALYNOLOGIQUE
0
-1
-2
-3
-4
0
OUEST
4
8
12
16
20
24
28
32
36
40
distance (m)
44
EST
Figure 2 : Cartographie des zones de végétation et profil de la mardelle.
71
P. RUFFALDI, F. RITZ, H. RICHARD, E. DAMBRINE et J-L. DUPOUEY
La séquence analysée présente un enregistrement de 4 m
de profondeur avec des sédiments argilo-silteux de la
base jusqu’à 2 m. Ces sédiments se présentent sous la
forme d’une succession de lits fins (mm) alternés, argilolimoneux clairs et de lits foncés plus organiques. Une
tourbe fibreuse recouvre ces sédiments jusqu’au sommet.
Il faut également signaler la présence d’une poche d’eau
de 40 cm, entre 1,60 et 2m de profondeur, engendrant
ainsi une zone sans pollen.
Le sondage a été effectué à l’aide d’une sonde russe
manuelle de type GIK. Les échantillons prélevés sont préparés selon la méthode du Laboratoire de Chrono-écologie de Besançon, avec acétolyse et traitement à la soude
et au chlorure de zinc. Les sédiments sont riches en matériel sporo-pollinique, une moyenne de 500 grains de pol-
Trois datations radiocarbone AMS ont été faites sur les
sédiments argileux :
à 389 cm : 1490 ± 30 BP (Poz-12605), soit après calibration à 2 σ [534 (598) 642] cal. AD ou [1416 (1352)
1308] cal. BP ;
à 286 cm : 955 ± 30 BP (Poz-12604), soit après calibration à 2 σ [1018 (1144) 1161] cal. AD ou [932 (806)
789] cal. BP ;
à 210 cm : 660 ± 30 BP (Poz-12603), soit après calibration à 2 σ [1283 (1375) 1394] cal. AD ou [667 (651)
556] cal. BP.
Strate muscinale
Strate arborée
Betula pubescens
+
Quercus petraea
+
Quercus robur
+
Frangula alnus
1
Lonicera periclymenum
1
Viburnum opulus
+
Strate herbacée
Carex rostrata
4
Carex elongata
2
Galium palustre
2
Lysimachia vulgaris
2
Menyanthes trifoliata
2
Iris pseudacorus
1
Dryopteris carthusiana
1
Poa chaixii
1
Carex sylvatica
+
Molinia caerulea
+
Anemone nemorosa
+
Cirsium palustre
+
Deschampsia caespitosa
+
Epilobium montanum
+
Juncus effusus
+
Luzula multiflora
+
Rumex conglomeratus
+
Scrophularia nodosa
+
Scutellaria galericulata
+
Solanum dulcamara
len par échantillon a donc pu être comptée. Les résultats
sont présentés en fréquences relatives (fig.3).
Espèces terricoles
Sphagnum flexuosum
Sphagnum palustre
Sphagnum squarosum
Callergon cordifolium
Calliergonella cuspidata
Dicranum scoparium
Eurhychium praelongum
Eurhynchium striatum
Hypnum cupressiforme
Lophocolea bidentata
Plagiothecium undulatum
Mnium hornum
Espèces épixyliques et corticoles
Dicranella heteromalla
Hypnum cupressiforme var. filiformis
Lepidozia reptans
Plagomnium undulatum
Rhizomnium punctatum
Ulota crispa
Dicranum viride
Dicranum flagellare
Tetraphis pellucida
Coefficients d’abondance-dominance
(d’après Braun-Blanquet, 1964) :
+
< 1%
3
≥ 25%
1
≥ 1%
4
≥ 50%
2
≥ 5%
5
≥ 75%
Tableau 1 : Composition floristique de la mardelle.
72
5
1
+
+
1
+
+
+
+
+
+
+
P. RUFFALDI, F. RITZ, H. RICHARD, E. DAMBRINE et J-L. DUPOUEY
Figure 3 : Diagramme pollinique de la mardelle d’Assenoncourt - Bois des Capenottes.
73
P. RUFFALDI, F. RITZ, H. RICHARD, E. DAMBRINE et J-L. DUPOUEY
La date obtenue à la base de la séquence souligne le caractère récent du remplissage et la dilatation de la séquence
(400 cm pour 1500 ans) a permis une approche détaillée de
l’impact de l’homme sur le couvert végétal. Les résultats ont
été comparés aux références polliniques strictement locales,
encore peu nombreuses (Ruffaldi, 1999, 2000 ; Koenig et
Ruffaldi, sous presse ; Ruffaldi et Blouet, ACR en cours) et
aux analyses extra-régionales faites dans le département
des Ardennes (Mullenders, 1960 ; Lefèvre et al.,1993), en
Belgique et au Luxembourg (Munaut, 1967 ; Coûteaux
1969 a et b ; Gilot et al.,1969 ; Munaut et Paulissen, 1973 ;
Guiot et Coûteaux, 1992), dans le Bassin Parisien (Van Zeist
et Van der Spoel-Walvius, 1980 ; Leroyer, 1997), la
Bourgogne (Gauthier et al.,2005), les Vosges (Woillard,
1975 ; Janssen, 1996) et le Jura (Wegmüller, 1966 ; de
Beaulieu et al.,1994 ; Gauthier, 2001).
3. - Analyse pollinique
L’analyse pollinique du sondage nous révèle un enregistrement attribuable en totalité au Subatlantique (2700
BP à nos jours, fig.3). La présence de Carpinus et surtout de Juglans nous permet plus particulièrement de
soutenir son attribution aux deux derniers millénaires.
Ces faits sont confirmés par la datation radiocarbone
effectuée sur les sédiments de la base du remplissage.
La base du diagramme est caractérisée par un couvert
forestier dense avec des taux de pollen arboréens avoisinant les 85 % ; la forêt est de type chênaie-charmaie
mélangée de hêtre, de frêne, d’orme, de tilleul et de
noisetier. Le couvert herbacé, et en particulier les
plantes liées à la présence de l’homme telles que
Plantago lanceolata, Artemisia, Chénopodiacées,
Urticacées … (Indices Polliniques d’Anthropisation, IPA ;
cf. Behre, 1986), présentent des valeurs faibles.
Ces enregistrements signent une image d’un paysage
fortement boisé et pourrait correspondre à la fin de la
période des Grandes Invasions (début VIIe siècle) qui en
engendrant une grande instabilité dans les populations
autochtones, a provoqué l’abandon des cultures et des
pâturages, recolonisés par la végétation arborescente
(Behre, 1988 ; Richoz et al.,1994 ; Rösch, 1992 ;
Gauthier, 2001 ; Gauthier et Richard, ce volume).
Très rapidement, on note une augmentation dans les
valeurs des herbacées, en particulier les Poacées, avec
une reprise des IPA (exemple : Plantago lanceolata,
Rumex, Artemisia, Urticacées), qui indiquerait la reconquête des espaces forestiers et des terres éventuellement abandonnées à la période précédente.
La présence en pourcentages élevés de plantes aquatiques (Potamogeton, Sparganium) et hygrophiles
(Nymphea, Typha) montre que la mardelle est en eau,
puisque ces plantes sont caractéristiques d’eaux
fraîches des étangs neutres ou alcalins. Cette mardelle
a d’ailleurs été utilisée temporairement comme zone de
74
rouissage de la fibre textile de Cannabis puisque l’on
observe à 387 cm des valeurs polliniques élevées de
cette plante (33 %). Les enregistrements polliniques
montrent une présence constante de Cannabis jusqu’à
50 cm (pourcentages compris entre 1 % et 10 %) attestant de la culture de la plante au voisinage du site.
A partir de 320 cm, les valeurs des taxons arboréens chutent brutalement et l’augmentation des valeurs des
Céréales atteste une phase d’anthropisation très marquée.
Les datations radiocarbone nous permettent d’attribuer
cette première zone (zone 1) au Haut Moyen-Age.
Durant cette période, la forêt domine les paysages et,
comme le retrace Fourquin (cité par Gauthier, 2001),
« La civilisation Mérovingienne reste une civilisation du
bois » qui utilise les forêts pour l’élevage, les défrichements sont limités et les pâturages assez rares. A partir
de 355 cm, les valeurs des Céréales et en particulier du
blé augmentent. Parallèlement, les taux des arbres,
comme Carpinus, Fagus et Alnus chutent. Quercus est
toujours abondant ; il est peut-être épargné, car ses
glands étaient souvent utilisés pour la nourriture des
porcs (Heitz-Weniger, 1977), mais il peut s’agir aussi de
la traduction d’une production pollinique plus forte des
chênes, moins concurrencés à cette époque par
d’autres essences.
La zone 2 marque une forte phase d’anthropisation caractérisée par des valeurs très élevées de Triticum type, ainsi
que de Secale et d’autres Céréales. Les IPA (particulièrement Plantago lanceolata, Chénopodiacées et Rumex)
augmentent également. Cet essor agricole coïncide avec
une intensification des défrichements (valeurs des pollens
arboréens < 30%) et correspond au Bas Moyen-Age. A
partir de 210 cm (début de la zone 3), les valeurs des
Céréales et des IPA chutent. Ce niveau est daté par le 14C
de 660 ± 30 BP, c’est-à-dire après calibration à 2␴ entre
1283 et 1394 de notre ère. Le XIVe siècle est maintenant
souvent décrit par les palynologues comme une phase de
déprise agricole (Rösh, 1992 ; Galop, 1998 et 2000 ;
Dumayne-Peaty, 1999, 2001 ; Richard et Gauthier, ce
volume). La crise économique, les guerres, les épidémies,
et peut-être les premiers effets du Petit Âge Glaciaire
(Magny, 1993 et 1995 ; Messerli et al.,2000) ont des
répercussions souvent identiques dans la plupart des diagrammes polliniques européens. Le déclin des activités
anthropiques, fréquemment accompagné d’une régénération du couvert forestier, est alors visible.
L’enregistrement pollinique est ensuite interrompu par
un trou d’eau correspondant au radeau flottant de la
tourbière. A partir de 160 cm, niveau correspondant au
début de la tourbification, on observe l’installation sur
le site de taxons inféodés aux milieux tourbeux :
Betula, Salix, Frangula, Calluna, Ericaceae (Vaccinium)
et, dans les herbacées, quelques grains de pollen de
Drosera. Parallèlement, les taux de Céréales chutent
vers des valeurs inférieures à 5 %.
P. RUFFALDI, F. RITZ, H. RICHARD, E. DAMBRINE et J-L. DUPOUEY
La mardelle est toujours en eau jusqu’en fin de zone 3,
mais on voit apparaître en milieu de zone 2 des grains
de pollen de Menyanthes trifoliata, plante que l’on rencontre dans les groupements de tourbières de transition et tremblants, se développant dans les processus
d’atterrissement des plans d’eau. On peut noter également des valeurs importantes de pollen de type
Potentilla, qui pourrait être Potentilla palustris, caractéristique également de ces groupements. Se développant dans des situations où l’alimentation en eau est à
la fois minéralotrophique (par les écoulements latéraux
dans le sols) et ombrotrophique (par les pluies), ces
groupements de transition préfigurent une évolution
vers des tourbières (Manneville et al.,1999).
Ensuite, cette végétation évolue vers une acidification
du milieu local mise en évidence par l’apparition et le
développement d’espèces acidiphiles pionnières telles
Drosera, Vaccinium et les Sphaignes. Dans un second
temps, des espèces plus acidiphiles s’implantent
comme Calluna. En fin de dynamique se met en place
un milieu boisé avec Frangula, Betula et Pinus. Cette
dynamique est bien visible sur le diagramme à partir du
milieu de la zone 2 et dans la zone 3. Le processus d’atterrissement se poursuit jusque dans la zone 4.
4. - Conclusion
La dilatation de la sédimentation, la fiabilité du calage
chronologique, la qualité du matériel sporo-pollinique
conservé et la diversité taxonomique font de cette analyse un outil fiable pour reconstituer l’évolution de la
végétation liée directement au bilan hydrique de cette
mardelle et, au-delà, le couvert végétal local. A travers
cette évolution « naturelle » s’inscrivent parfaitement
les changements environnementaux générés par les
phénomènes socio-économiques les plus marquants
des deux derniers millénaires, comme les déprises des
VIe-VIIe et du XIVe siècles.
Ces résultats soulignent donc le potentiel exceptionnel
de ces milieux particuliers qui permettent une approche
très fiable de l’évolution de l’environnement local et
régional. Une analyse plus systématique de ces remplissages, liée à un inventaire des sites archéologiques et
des données historiques locales, doit maintenant être
entreprise.
Vis-à-vis des nombreuses hypothèses proposées pour
expliquer l’origine des mardelles, la mardelle
d’Assenoncourt apparaît comme une forme anthropique probable, puisque l’enregistrement commence
au Ve siècle. La seule origine périglaciaire pour cette
dépression doit donc être écartée. L’analyse pollinique
atteste, dès les premiers niveaux, d’une activité humaine (peu de chêne, dominance du charme, présence de
céréales et surtout des IPA). De plus, la mare en eau est
utilisée très rapidement comme fosse à rouissage. Il est
néanmoins possible qu’elle n’ait pas été creusée par
l’homme, mais que l’homme se soit servi d’une dépression qui se serait créée par soutirage vers le Ve siècle. Le
litage du sédiment suggère une activité agricole à
proximité immédiate, avec une succession, durant tout
le Moyen Age, de phases d’érosion (peut-être liées à la
culture) et de phases d’accumulation de sédiments
organiques, qui pourraient illustrer des abandons temporaires. Le développement conjoint de la forêt alentour et de la tourbe organique dans la mardelle pourraient témoigner de l’orientation vers la production de
bois de feu de cette zone géographique, devant les exigences de l’industrie des salines (Degron, 1996).
L’analyse de ces mardelles lorraines va être poursuivie,
afin de vérifier dans quelle mesure le schéma précédent
se répète dans d’autres sites. Outre leur intérêt botanique et hydrologique, ces mardelles apparaissent
comme des archives irremplaçables des évènements
historiques dans la Lorraine rurale. A tous ces titres,
elles méritent une protection.
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N. SAEDLOU, M. DUPÉRON
Etude xylologique et typologique des tablettes à
écriture antiques en bois à partir des découvertes
faites à Saintes (Charente-Maritime)
Nima SAEDLOU, Monique DUPÉRON
UMR 5143 - Laboratoire de Paléobotanique et Paléoécologie (Paris 6)
12, rue Cuvier 75005 Paris
[email protected][email protected]
Résumé
Les tablettes à écriture en bois, au-delà des données paléographiques, nous livrent des informations d’ordres typologique
et xylologique. La typologie des tablettes semble tout d’abord liée à une certaine utilisation sociale tels les codex triplex
servant à consigner les actes importants. Elle met aussi en évidence deux techniques d’écriture : dans un cas, une partie centrale évidée reçoit de la cire étalée sur laquelle le texte est gravé à l’aide d’un stylet, dans l’autre cas, une surface
plane reçoit des inscriptions à l’encre. Contrairement aux tablettes écrites à l’encre pour lesquelles des essences de proximité (principalement des feuillus) étaient largement employées, les tablettes gravées étaient surtout réalisées dans des
bois de résineux : majoritairement sapin (Abies alba) et épicéa (Picea abies). La localisation des sites où ces dernières ont
été découvertes dépassant l’aire naturelle de répartition de ces deux essences, des questions sur leur origine et leur
importation se posent.
Abstract
Wooden writing tablets give paleographical but also typological and xylological data. Typology of writing tablets seems
to be link to a specific social use like “codex triplex” used for legal documents. It corresponds to different technics for
writing : the recessed surface with a wax coating could be incised by a stilus (stylus-tablets) or an the other hand, the
plane surface was inscribed in ink (leaf-tablets). Local woods (specially hardwood) were used for leaf-tablets whereas
softwoods, specially fir (Abies alba) and spruce (Picea abies) for the stylus-tablets. The area, where the stilus-tablets have
been discovered, is wider than the natural area of these two woods, so the question of their origin and importation can
be discussed.
Les supports d’écriture antiques en bois font partie des
objets domestiques retrouvés dans les sites archéologiques. Au-delà de l’information typologique, ils ont surtout intéressé les paléographes pour les écritures laissées
à leur surface.
Pour notre part, l’étude d’un corpus d’objets en bois
découverts à Saintes, Charente-Maritime (Saedlou, 2002)
a fourni un certain nombre de tablettes à étudier : ces
supports dont les écrits n’ont malheureusement jamais pu
être déchiffrés, ont donné lieu à des identifications botaniques. La diversité des essences employées nous a
amené à élargir notre vision aux exemples de tablettes
répertoriées dans la littérature (fig.1) et à nous y intéresser sous l’angle de la xylologie. A travers cette étude,
nous avons cherché à connaître l’implication de la matiè-
re première dans la réalisation et la typologie de ces
objets. Connu depuis la plus haute antiquité égyptienne,
l’usage des tablettes en bois a perduré durant le MoyenAge, mais afin de délimiter un cadre chronologique,
seules les tablettes datant des cinq premiers siècles de
notre ère ont été considérées.
Au sens large, une tablette ou tabella désigne une planchette : tablette de bois, de pierre ou de métal. Selon
Lafaye (1877-1919) les tabellae ceratae existaient chez les
Grecs depuis la plus haute Antiquité. Ces supports étaient
présents dans tous les lieux où l’écriture se pratiquait,
c’est-à-dire dans les écoles, les familles, les tribunaux, les
commerces et toutes les relations de la vie sociale. Selon
leur destination et leur utilité, ces tablettes avaient plusieurs tailles. Celles de petites dimensions pouvaient être
79
N. SAEDLOU, M. DUPÉRON
Figure 1 : Localisation des tablettes citées dans le texte
1-Vindolanda (Bardon Hill) ; 2-Carlisle ; 3-Londres ; 4-Vannes (Morbihan) ; 5-Rennes ; 6-Rezé-les-Nantes (LoireAtlantique) ; 7-Le Mans (Sarthe) ; 8-Saintes (Charente-Maritime) ; 9-Toulon ; 10-Région de Tébessa (Algérie) ; 11-Tzum
(anciennement Tolsum, Pays-Bas) ; 12- Rottweil (Bad-Würtemberg) ; 13-Untereschenz (Suisse) ; 14-Oberwinterthur
(Suisse) ; 15-Pompéi (Italie)
transportées avec soi comme un carnet de notes ;
d’autres, beaucoup plus grandes servaient à tenir des
comptes.
Deux sortes de tablettes en bois, révélées par l’archéologie, semblent coexister dans l’Antiquité.
1. - Tablettes à cire gravée avec un
stylet
Il en existait de différents types.
La tablette à un feuillet unique, telle qu’elle a été représentée sur une stèle sculptée de Saintes (Coulon, 1995),
semble avoir eu un usage essentiellement scolaire. Un
feuillet unique de taille plus réduite pouvait aussi correspondre à une étiquette ; c’est le cas du plus ancien support retrouvé à Saintes (fig.2-7), datant de la fin du premier siècle de notre ère, découvert dans le puits Renaud
80
Rousseau. Cette pièce a une forme générale rectangulaire se rétrécissant d’un côté. Elle a été évidée sur quelques
millimètres dans sa partie centrale devant recevoir de la
cire finement étalée sur laquelle des inscriptions pouvaient être notées à l’aide d’un stylet. Le trou visible dans
l’extrémité rétrécie devait permettre d’accrocher l’étiquette à un support, ce que confirme la marque d’usure entre
le trou et l’extrémité la plus étroite, probablement laissée
par le fil permettant son accrochage. Cet objet a été réalisé dans du bois de sapin (Abies alba).
D’autres types de tablettes étaient formés d’un nombre
variable de feuillets constituant le codex : ils étaient
assemblés au moins par deux (codex duplex), mais le plus
souvent par trois : le codex triplex servant à consigner les
actes importants. Des codex à cinq feuillets (quinquiplex)
ou plus (multiplex) ont aussi été découverts.
Dans le cas du codex triplex, chaque feuillet est constitué
de deux pages ayant des fonctions particulières (fig.2-1).
N. SAEDLOU, M. DUPÉRON
Figure 2 : 1- Schéma des trois feuillets d’un codex triplex ; 2- Exemple de l’orientation de l’écriture sur un codex triplex (Lafaye, 1878) ;
3- Schéma de l’orientation du débit d’un feuillet dans un tronc ; 4- Fragments d’un objet interprété en tant que tablette, puits 2 du site
« 10 rue Port-la-Rousselle » (Saintes) ; 5- Fragments d’une tablette en tilleul, puits G des « Ateliers Municipaux » (Saintes) ; 6- Feuillet
central d’une tablette en sapin, site des Petites Sœurs des Pauvres (Saintes) ; 7- Etiquette en sapin, puits Renaud Rousseau (Saintes) (dessin D. Charrier) ; 8, 9- Reconstitution d’un codex triplex, puits G du site des « Ateliers Municipaux » (Saintes) (clichés Musée
Archéologique de Saintes) ; 10, 11, 12 – Trois feuillets provenant d’un codex triplex, puits G du site des « Ateliers Municipaux »
(Saintes) (Cliché G. Vienne)
81
N. SAEDLOU, M. DUPÉRON
82
Le premier feuillet est constitué d’une page de couverture et d’une page évidée ; l’évidement central permettait
au scribe d’étaler la cire à l’intérieur du cadre. L’écriture se
faisait au moyen d’un stylet métallique muni d’un côté
d’une pointe et de l’autre d’une spatule permettant de
racler la cire et donc d’effacer le texte. Pour être reliés les
uns aux autres, les feuillets appelés cerae de chaque
tablette (tabella) portaient de petits trous sur le côté servant à passer un cordon (Vienne, 1992). Le deuxième
feuillet se compose de la page 3 où est écrit la fin du texte
et de la page 4 à trois parties évidées : une partie recevant le contrat d’achat ou les actes juridiques, l’autre les
noms des témoins disposés à gauche et à droite d’une
bande creusée dans le bois – celle-ci est destinée à recevoir les sceaux que les témoins apposaient par dessus une
ficelle qui permettait aux deux premiers feuillets (1 et 2)
d’être scellés. Ce système assurait l’inviolabilité du texte
intérieur (scriptura interior) tout en permettant de
connaître à tout moment le texte original. En cas de litige, le juge, après avoir vérifié l’intégrité du système, invitait les témoins à reconnaître leur sceau et ouvrait la
tablette (Marichal, 1992). Le troisième feuillet est identique au premier feuillet : une page entièrement évidée
et l’autre servant de couverture. L’orientation de l’écriture sur la page 5 n’est pas la même selon les différents
auteurs : pour Boissevain (1920), cette orientation change, ce qui permettrait de distinguer les feuillets 1 et 3. En
revanche la représentation de la tablette tirée de Lafaye
(1877-1919) (fig.2-2) montre une orientation du texte
similaire dans les feuillets 1 et 3. Dans ce cas, qui semble
être celui des codex triplex de Saintes, en absence de
texte, les feuillets 1 et 3 peuvent être intervertis.
Petites Sœurs des Pauvres mais aucun codex triplex entier
n’a pu être reconstitué. Un feuillet (fig.2-6), présente un
côté entièrement évidé et l’autre partagé en trois parties ;
il constituerait donc le feuillet central d’un codex triplex.
Ses dimensions, de 162 mm sur 106 mm, sont plus
petites que celles des tablettes du puits G, mais il a également été réalisé dans du bois de sapin (Abies alba).
Un ensemble de fragments est composé des restes de
quatre tablettes également en sapin (Abies alba). Parmi
ces objets, on peut remarquer deux petits feuillets avec 2
encoches de chaque côté : de dimensions nettement
inférieures au codex triplex, ils devaient plutôt servir dans
des correspondances moins officielles. Deux des tablettes
découvertes peuvent aussi être des réemplois de tablettes
plus grandes.
En déterminant une poche de 26 fragments de tablettes,
il est apparu que 8 d’entre eux sont en épicéa (Picea
abies) alors que 18 sont en sapin (Abies alba). Sans présager du nombre de tablettes présentes, ceci permet de
dire qu’elles étaient au minimum deux, réalisées chacune
dans un bois spécifique. Elles devaient appartenir typologiquement au genre codex triplex car sur certains fragments ont été observés les caractéristiques d’un feuillet
central.
Comblé entre le IIIe et le début du IVe siècle de notre ère,
le puits 2 du site de la rue Port-la-Rousselle a livré un reste
de tablette. Ce fragment comporte un côté plein et un
autre évidé. Bien qu’il ne soit pas entier, la longueur de la
page (130 mm), inférieure à toutes celles trouvées par
ailleurs, fait penser qu’il peut s’agir de la plus petite des
tablettes découvertes à Saintes. Son bois est du sapin
(Abies alba).
Un nombre relativement important de fragments de
tablettes ou de codex triplex entiers ont été retrouvés
dans trois sites à Saintes ce qui démontre que ces objets
devaient être couramment utilisés. Ces tablettes ayant été
découvertes dans le comblement de puits à eau, leur
datation a été réalisée archéologiquement grâce à la présence, à proximité, d’objets dont les durées de circulation
sont parfaitement connues, telles les monnaies ou les
céramiques.
Sur le site des Ateliers Municipaux, quatre supports complets de type codex triplex, ont été mis au jour, ce qui en
fait un site exceptionnel pour ces découvertes (Rouvreau,
1975) (fig.2-10, 11 et 12). Une des tablettes a ainsi pu
être entièrement restaurée et ré-assemblée (fig.2-8 et 9).
Les dimensions des feuillets sont comprises entre 190 et
220 mm de longueur, et 130 à 160 mm de largeur. Ces
quatre codex triplex ont été fabriqués dans du bois de
sapin (Abies alba) et datent de la seconde moitié du IIe
siècle.
Datant de la même période, d’autres feuillets de tablettes
en bois ont été mis au jour dans le puits 9 du site des
De comblement plus ancien (dernières décennies du IIe
siècle), le second puits de ce site a livré deux fragments
(fig.2-4), identifiés comme appartenant à une tablette,
posant un problème typologique. En effet, plusieurs
observations semblent aller à l’encontre de cette interprétation : d’une part, ces plaquettes, exposées au Musée
Archéologique de Saintes, ont une épaisseur supérieure à
celle des autres tablettes ; d’autre part, aucun système
permettant l’accrochage des plaquettes entre elles
(comme dans les codex duplex ou triplex) ou sur un support quelconque (cas des étiquettes) n’est visible.
Malheureusement, dans le musée le système de présentation de cet objet, fixé par un fil de nylon sur un support
en bois, nous a empêché d’observer l’une des faces ;
cependant une photographie, datant de la mise au jour de
l’objet nous la montre. Elle ne présente pas de face évidée
typique des tablettes à écriture. Ces plaquettes ont, en
outre, été fabriquées en chêne (Quercus sp.), un bois qui
ne semble pas avoir été utilisé pour la fabrication de
tablettes. Une trace, probablement laissée par une scie,
peut être observée au centre de l’objet (flèche fig.2-4).
N. SAEDLOU, M. DUPÉRON
Comme nous venons de le constater, la fabrication des
tablettes se faisait généralement en sapin (Abies alba),
essence majoritairement identifiée à partir des tablettes
de Saintes et de celles retrouvées dans d’autres sites
archéologiques ; c’est également l’essence la plus souvent
citée pour cet usage dans les textes antiques. Son emploi
pour la fabrication des tablettes est attesté dans une aire
géographique assez vaste s’étendant à toute l’Europe
romaine (Dietrich, 1992) :
en Frise (Pays-Bas), près de Tzum, a été mis au jour en
1917 un feuillet d’une tablette rectangulaire. Cette
tablette semble, par sa description, en tout point semblable à celles retrouvées à Saintes, bien qu’elle soit de
dimension plus réduite : 116 mm sur 136 mm. Chaque
face du feuillet est évidée rectangulairement sur 96 mm
de largeur et 116 mm de longueur. Datée du début du
Ier siècle ap. J.-C., cette tablette devait être, d’après l’auteur (Boissevain, 1920), le panneau central d’un triptyque,
à Pompéi, ont été exhumées 153 tablettes contenant
des quittances délivrées depuis l’an 15 jusqu’à l’an 62.
Ces tablettes ont en moyenne une hauteur de 100 à
150 mm et une largeur inférieure. Les triptyques y sont
beaucoup plus nombreux que les diptyques (Marichal,
1992),
en Angleterre, le sapin a aussi été signalé pour la majorité des « stylus tablets », entre autres à Carlisle où 21
fragments ont été mis au jour (Collingwood et Wright,
1992),
en Allemagne, la ville de Rottweil a livré deux fragments de tablettes de cette même essence datant des
deux premiers siècles de notre ère (Laur-Belart, 1955),
en Suisse, de nombreuses tablettes en sapin ont été
décrites à Oberwinterthur (Hedinger et Urs, 2003),
en France, c’est le bois utilisé pour plusieurs tablettes
découvertes à l’ouest du pays : à Vannes (Morbihan)
sur le site Sainte Catherine (Dietrich, 1992) ; à Rennes
sur le site de la place Hoche, pour une tablette datant
du IIe siècle de notre ère (Guitton, 2000).
Dans les textes antiques, Théophraste1 cite cette essence
comme le matériau privilégié des tablettes à écrire.
Mais le sapin n’est pas l’unique résineux ayant servi à la
fabrication de codex :
à Oberwinterthur (Suisse) de nombreuses tablettes en
épicéa ont été décrites (Hedinger et Urs, 2003), de
même qu’en France où nous avons identifié cette
essence sur deux fragments de tablettes provenant du
site des « Filles-Dieu » au Mans (Sarthe) (Saedlou,
2003) ;
en Angleterre à Vindolanda (nom antique de
Chesterholm), deux « stylus tablets » examinées sont
en mélèze (Larix) ou en épicéa (Picea), deux bois non
indigènes et donc sans doute importés (Bowman et
Thomas, 1983). L’épicéa commun (Picea excelsa) est
aussi cité par Marichal (1992). Il est à noter que cette
essence peut être aisément confondue avec le mélèze
(Larix decidua) en raison de caractères anatomiques
très voisins.
d’autres résineux servant à la fabrication de ces objets
ont aussi été identifiés : le cyprès, l’if, le « thuya », et
le pin sont cités par Lafaye (1877-1919) ; du pin (Pinus
halepensis) a servi à la fabrication de la tablette retrouvée dans le port antique de Toulon (Ramière, 1992) ; la
plupart des tablettes de Rezé-lès-Nantes semblent être
également en pin (Deschamps et Pirault, 1999), bien
qu’aucune observation anatomique puisse confirmer
cette identification.
Concernant les bois de feuillus, les exemples sont plus
rares. Deux tablettes en bois d’érable ont été mentionnées : une d’elles, trouvée à Unterschenz (Suisse), date
du Ier siècle de notre ère et a des dimensions inférieures à
celles des tablettes traditionnelles (longueur : 7,9 cm ;
largeur : 4 cm ; épaisseur : 0,5 cm). Deux trous pour le
passage de ficelles sont présents ainsi que l’évidement sur
une face (Hedinger et Urs, 2003). L’autre tablette en
érable (Acer sp.) est originaire de Carlisle en Angleterre.
Quelques tablettes en hêtre (Fagus sylvatica) et une en
buis (Buxus sempervirens) ont été découvertes à Londres
(Collingwood et Wright, 1992).
Pour expliquer le choix de la matière première, il faut
prendre en compte les propriétés physiques du bois et
donc essayer de comprendre comment l’objet a été
façonné. Toutes les tablettes ont dû être fabriquées suivant les mêmes étapes :
1/ fendage
2/ ébauchage et planage au couteau ou au ciseau
3/ traçage de traits délimitant l’évidement
4/ creusement des cavités destinées à recevoir la cire
5/ perçage de trous permettant la réunion des différents feuillets.
Le bois pouvait être fendu suivant les rayons, puis les
tablettes taillées soit dans le sens de la longueur soit de
la largeur de la pièce de bois obtenue (fig.2-3). Le type de
taille devait être choisi en fonction du diamètre du tronc
disponible : un petit diamètre impliquait de tailler une
tablette dans le sens de la longueur (selon le fil du bois) ;
pour un diamètre plus grand, la tablette pouvait être
fabriquée dans le sens de la largeur. Le choix se portait
sûrement sur des essences pouvant fournir des troncs
d’un assez gros diamètre et se fendant facilement. A
Saintes, les tablettes sont toutes débitées sur quartier, ce
qui semble faciliter la réalisation de l’évidement central.
Pour tous ces objets, l’amincissement central destiné à
recevoir la cire nécessite un bois assez solide pour être
ainsi travaillé.
(1) Théophraste, trad. 1993 par S. Amigues, Recherches sur les plantes. Tome III Livres V et VI, Les Belles Lettres., Paris, p. 20.
83
N. SAEDLOU, M. DUPÉRON
D’après Marichal (1992) les tablettes de pin ou de sapin
sont les plus grossières car ces bois ont de grosses fibres se
prêtant mal au polissage et à un travail précis ; on constate cependant que le bois de sapin a souvent été employé
pour les tablettes bien que leur fabrication soit délicate.
2. - Tablettes à inscriptions à l’encre
Un autre type de support à écriture était en usage dans
l’Antiquité : les tablettes en « feuille » ou « leaf-tablets »
qui recevaient l’écriture tracée à l’encre. Cette seconde
typologie, sous évaluée jusqu’au début des années 70,
s’est avérée importante grâce à la découverte à
Vindolanda (aujourd’hui Chesterholm, nord de la Grande
Bretagne) de plusieurs centaines de ces tablettes
(Bowman et Thomas, 1983).
De même typologie que celles-ci, 14 fragments ont été
découverts à Saintes dans le puits G. Une détermination antérieure ayant conclu à du frêne (Fraxinus excelsior) a été démentie par un examen microscopique
(Saedlou, 2002) qui a permis d’identifier pour la première fois à Saintes, du tilleul (Tilia sp.). Les 14 fragments étant tous de cette essence, la probabilité qu’ils
correspondent à une unique tablette est forte.
Malheureusement, son état très fragmentaire ne permet pas de connaître ses dimensions initiales et sa typologie exacte ; pourtant, l’absence d’évidement ainsi que
le bois employé laissent penser que cette tablette était
plutôt écrite à l’encre. Cette découverte s’avère être
très intéressante car elle est comparable à celles faites
en Angleterre (Collingwood et Wright, 1992), où ce
type de tablettes était très majoritairement réalisé à
partir de tilleul comme le mentionne Lafaye (18771919).
Du point de vue de ses caractéristiques techniques, le
tilleul est par ailleurs cité par Lacombe (1868 rééd.
1986) comme étant le plus propre à la sculpture car il
est agréable à travailler ; en revanche, il est trop tendre
et ne résiste pas assez dans les détails un peu délicats.
A son sujet, Pline L’Ancien2 dit cependant qu’il émousse très vite les herminettes. Son emploi reste privilégié
pour la fabrication des cadres ou tout au plus pour les
ouvrages à fond levé qui n’ont pas de poids à supporter, ce qui est le cas des tablettes.
D’autres feuillus ont également été utilisés :
C’est le cas de tablettes provenant d’Algérie. D’après les
auteurs (Courtois et al.,1952), l’une est en érable de
Montpellier (Acer monspessulanum) ou hybride (Acer
monspessulanum X Acer italicum) alors que trois planchettes appartiennent à un bois de la famille des Rosacées,
très probablement de l’amandier (Prunus amygdalus). Enfin,
un échantillon aurait été réalisé, à partir d’un saule ou d’un
peuplier blanc, comme Salix pedicellata ou Populus alba.
Le peuplier (Populus sp.) a aussi servi à la réalisation d’une
tablette datée du IIe siècle dont un fragment a été retrouvé
à Rennes (Guitton, 2000).
L’aulne (Alnus glutinosa) et le bouleau (Betula sp.) ont servi
de matière première pour des « leaf tablets » (identifiées
en Angleterre respectivement à partir de sept et de deux
tablettes) : ce sont des tablettes de petite taille et de faible
épaisseur, servant essentiellement à la correspondance et
sur lesquelles le texte était écrit à l’encre (Collingwood et
Wright, 1992).
Une seule essence résineuse a été identifiée pour cette
typologie. Il s’agit du cèdre de l’Atlas (Cedrus atlantica) utilisé pour trois tablettes d’époque vandale (Ve siècle de notre
ère) provenant d’Algérie (Courtois et al.,1952). Le bois de
cèdre est caractérisé par l’absence de tout organe sécréteur
de résine (sauf probablement des canaux traumatiques,
comme le sapin). Par ailleurs, il est léger, tendre, homogène, très facile à travailler ou à polir et ne se déforme pas, à
condition d’être débité dans un plan radial. Les avantages
de ce bois étaient tels que les artisans n’hésitaient pas à
faire rechercher la matière première jusque dans l’Aurès
(Algérie), à quelque 150 kilomètres du lieu de l’emploi
(Courtois et al.,1952).
La contrainte essentielle dans la fabrication des tablettes en
feuilles était l’obtention d’une surface la plus plane possible. Cette difficulté était accrue avec certains bois de résineux présentant une différence très marquée entre les bois
de printemps et d’été, rendant le bois très hétérogène.
Les étapes de fabrication ont pu être reconstituées pour
des tablettes d’époque vandale (Courtois et al.,1952) ; la
chaîne opératoire utilisée devait être similaire à celles des
autres tablettes écrites à l’encre. Les plaquettes de bois ont
été obtenues par refente au moyen d’un outil tranchant
dans un rondin court préalablement fendu en quartiers.
Elles ont été débitées en épaisseurs de 2 à 9 millimètres sur
mailles, autrement dit selon le sens radial, ce débit garantissant de moindres déformations ultérieures. Grâce à cette
technique, les plaquettes de cèdre, en particulier, sont
demeurées parfaitement planes. En cas de tranchage tangentiel ou tranchage sur dosse, les plaquettes se seraient
déformées en tirant au cœur, ou en « faisant la tuile ». Un
des échantillons, en saule ou en peuplier, préparé de cette
manière a d’ailleurs subi cette déformation. Il est à noter
que seul le bois de cœur a été retenu, l’aubier, plus fragile,
a été écarté.
3. - Conclusion
Sans généraliser, il semble au vu des informations
recueillies, que l’emploi des essences soit corrélé à une certaine typologie de tablettes. En effet, les supports d’écriture à l’encre, de petite taille, servant pour la prise de notes
(2) Pline l’Ancien, trad. 1962 par J. André, Histoire naturelle. Livre XVI, Les Belles Lettres, Paris. 198 p.
84
N. SAEDLOU, M. DUPÉRON
ou dans la correspondance personnelle, étaient plutôt réalisés dans un bois indigène du lieu où ils ont été découverts
et le plus souvent dans des bois de feuillus. A Saintes, une
tablette de cette typologie est en tilleul, essence sans doute
indigène de la région à l’époque antique car des restes de
fruits appartenant à ce genre ont été retrouvés dans le
même puits.
Pour les codex, gravés à l’aide d’un stylet, et servant de
support à des textes plus officiels, les bois de résineux, tels
sapin, épicéa ou pin ont été préférés quel que soit le lieu
de la découverte. La répartition des sites où ont été découverts des objets en sapin ou en épicéa est plus vaste que
l’aire de répartition naturelle de ces deux essences. A
Saintes, les bois de sapin et d’épicéa, largement identifiés à
partir de tablettes, ne sont pas indigènes de la région
actuellement. Les conditions écologiques ayant peu changé durant deux mille ans, ces bois ne devaient pas être présents dans la végétation naturelle de ce lieu dans l’antiquité. Certainement choisis en fonction de caractéristiques
physiques, nous pouvons formuler deux hypothèses quant
à leur découverte :
un commerce à grande échelle du bois en vue de fabriquer localement ces tablettes.
l’existence de centres de production de tablettes à proximité de la matière première nécessaire, impliquant donc
un commerce d’objets déjà manufacturés (Dietrich,
1992).
Bibliographie
Cette seconde hypothèse semble la plus plausible car pour
des questions techniques, les artisans travaillaient les bois
« verts », c’est-à-dire très peu de temps après abattage de
l’arbre. La durée de transport, en séchant le bois, l’aurait
rendu plus difficile à façonner.
De plus, le volume représenté par des tablettes déjà réalisées est beaucoup moins important que celui du matériau
brut ce qui facilite le transport. La grande similitude typologique des codex abonde aussi dans le sens de cette hypothèse car dans le cas de fabrication locale, on peut penser
que des typologies régionales se seraient développées.
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en Bretagne : les bois gorgés d’eau du campus de la place
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d’Archéologie, Université Rennes 2 de Haute-Bretagne,
p.113-114.
Des recherches ultérieures ainsi qu’une identification botanique systématique des objets seront nécessaires pour une
meilleure connaissance du choix du bois effectué par l’artisan pour la fabrication des tablettes ; elles permettront en
outre, de privilégier l’une ou l’autre des hypothèses concernant le mode d’exportation des tablettes dans tout l’empire romain.
Remerciements
Ce texte est dédié à la mémoire de Guy Vienne.
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p.91-96.
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COULON G., 1995, L’enfance en Gaule romaine, Les
Dossiers de l’Archéologue, 12, p.19-34.
COURTOIS C., LESCHI L., PERRAT C., SAUMAGNE C.,
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Bibliologia : Elementa ad librorum studia pertinentia, 12,
Ed. Brepols, Turnhout, p.211-220.
86
Eco-histoire de la Forêt de Pinus nigra Arnold ssp.
Salzmanni (Dunal) Franco de Saint-Guilhem–le-Désert
(Hérault, France)
Jean-Louis VERNET(1), Anaïke METER(1), Lamri ZÉRAÏA(2)
(1) UMR 5059, Université de Montpellier II, 163 rue A. Broussonet, Montpellier.
(2) Office National des Forêts, rue de la Croix Haute, Montpellier.
Résumé
L’étude des charbons de bois témoins des feux holocènes dans les sols et sédiments permet de mieux comprendre l’évolution du peuplement forestier en moyenne montagne calcaire méditerranéenne. En particulier, une région du sud de la
France (monts de St Guilhem) a joué un rôle conservateur pour les anciens écosystèmes présteppiques. La forêt de Pinus
nigra ssp. Salzmanni est une création récente sous sa forme actuelle. En effet, c’est au Moyen Age avec l’installation de
l’abbaye de Gellone que la forêt initiale de Pinus sylvestris et Pinus nigra ssp. Salzmanni, héritage de la dernière glaciation a commencé à se transformer en la forêt actuelle.
Abstract
Charcoal, remains of Holocene fires recorded in natural sediments allow us a new approach concerning forest evolution
on the mountains of the Mediterranean region. The area of St Guilhem, southern Massif Central (France) played an
important role in the preservation of pre-steppic ecosystems up. The present day forest of Pinus nigra ssp. Salzmanni is
a recent phenomenon. It is during the Middle Ages, with the setting up of the abbey of Gellone, that the initial forest
of Pinus sylvestris and Pinus nigra ssp. Salzmanni, heritage from the last glaciation, started to change in the present
forest.
1. - Introduction
2. - Généralités et état de la question
2.1. - Biogéographie et répartition du pin de Salzmann
Saint-Guilhem-le-Désert, situé en rive droite des gorges
de l’Hérault, à 35 km au nord-ouest de Montpellier, est
connu du public pour deux raisons principales : son
abbaye fondée au IXe siècle (804) et son boisement
remarquable de pins noirs de Salzmann (Pinus nigra
Arnold ssp. Salzmanni (Dunal) Franco) s’étendant sur
1000 à 2000 hectares de chaînons montagneux constitués essentiellement de dolomies du Bathonien.
A l’occasion du douzième centenaire de la fondation de
l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert, nous avons pu, avec le
concours de l’ONF, étudier l’éco-histoire de cette forêt en
se basant sur les résidus carbonisés laissés dans le sol par les
paléofeux. Les informations susceptibles d’être apportées
par le dernier cycle climatique Holocène ont, en effet, un
grand intérêt pour comprendre, d’une part, la colonisation
forestière des monts de St Guilhem, et d’autre part, les incidences des peuplements humains sur la forêt.
Cette étude est une approche anthracologique couplée
aux datations 14C.
Selon Palamaref (1987), l’espèce collective Pinus nigra
Arnold, tire son origine de Pinus laricioides Menzel, fossile connu au Miocène et au Pliocène. Ce dernier avait une
vaste aire de répartition dans les régions circum-méditerranéennes. L’aire a été morcelée sous l’effet de différents
événements géologiques (crise messinienne, orogenèse
alpine etc.) en îlots de superficies inégales.
Il existe ainsi de nombreuses populations disjointes de pin
noir sur les montagnes du pourtour méditerranéen. Cette
complexité taxinomique s’accompagne d’une grande
variabilité biochimique, génétique (Arbez et Miller,
1971 ; Bonnet-Masimbert et Bikay-Bikay, 1978 ;
Scaltsoyiannes et al.,1994 ; Bojovic, 1995 ; Rafii et
al.,1996), et morphologique d’interprétation souvent
délicate (Quézel, 1980). Il paraît possible de distinguer un
certain nombre de sous-espèces de valeur essentiellement
géographique dont la sous-espèce Salzmanni largement
présente en Espagne orientale, de l’Andalousie à la
87
J-L. VERNET, A. METER, L. ZÉRAÏA
Catalogne et aussi sur le revers méridional pyrénéen. En
France, elle ne constitue que quelques peuplements isolés dans les Pyrénées orientales, dans l’Hérault (région de
Saint-Guilhem-le-Désert) et dans les Cévennes siliceuses
(région de Bessèges-Largentière) occupant des superficies
totales ne dépassant pas 3000 ha.
2.2. - Le pin de Salzmann au Pléistocène
Le pin de Salzmann avait une aire plus étendue qu’aujourd’hui au Pléistocène, il y a environ 120 000 ans (dernier interglaciaire avant le présent). Il est présent sous
forme d’empreintes de cônes dans les tufs de Castelnaubas à l’entrée de Montpellier, datés de 113 700 ans, vers
la fin du dernier interglaciaire. Le climat était celui de
l’étage supraméditerranéen actuel. La température
moyenne annuelle à Montpellier était alors de 4 à 5 °C
inférieure à l’actuelle (Farizier, 1980 in Vernet, 1997 ;
Ambert et al.,1995).
Le pin de Salzmann a laissé des charbons de bois, en compagnie de Pinus sylvestris L., dans les sites Paléolithiques
supérieurs du Pont du Gard (Bazile-Robert, 1979) entre
30000 et 14000 ans avant le présent. Pendant les
périodes les plus froides du dernier glaciaire, dont la
mieux connue se situe il y a 20 000 ans, les températures
avaient baissé de 9 °C environ et les végétations étaient
caractérisées par les steppes et les forêts présteppiques
de pin sylvestre et de bouleau dans l’actuelle région des
garrigues.
Au cours de brèves phases de réchauffement, des préforêts de pin de Salzmann, de chêne vert et de chênes
caducifoliés méditerranéens firent leur réapparition. Puis,
avec le réchauffement climatique qui s’installa définitivement à partir de 10 000 ans, le pin de Salzmann fut remplacé rapidement par la forêt primaire méditerranéenne
de chênes verts et chênes pubescents. Le pin de
Salzmann se réfugia alors dans les niches écologiques que
nous lui connaissons aujourd’hui, en particulier sur les calcaires dolomitiques des monts de Saint-Guilhem-leDésert où il se régénère préférentiellement.
Pour Quézel et Barbéro (1988), les pinèdes de pins de
Salzmann sont sur deux étages de végétation, le supraméditerranéen à chêne pubescent et le mesoméditerranéen à chêne vert dominant. La limite entre ces étages
passerait vers 300-400 m. Les précipitations sont toujours
élevées, précipitations >1000mm et m (moyenne des
températures minimales du mois le plus froid) de –3 à
+2 °C. La grande difficulté de cette schématisation est
due au substrat : en effet, le chêne pubescent n’aime pas
la dolomie au contraire du chêne vert.
On note trois formations distinctes :
2.3.1. - Les formations forestières du mésoméditerranéen supérieur sont présentes sur le revers sud du
plateau de St Guilhem et la vallée de la Buège. Ce sont
des forêts fermées avec des arbres atteignant 15 m. Les
sols développés sur dolomie sont évolués, arénacés et
plus ou moins rendziniques en surface. Le chêne vert est
abondant avec le buis et les compagnes du chêne pubescent comme Piptatherum paradoxum, Helleborus foetidus, Coronilla emerus, Melittis melissophyllum, Acer
monspessulanum, Juniperus oxycedrus, Phillyrea angustifolia, Pistacia lentiscus ainsi que Juniperus phoenicea et
Erica scoparia ( Piptathero-Quercetum ilicis).
2.3.2. - Les préforêts du mésoméditerranéen supérieur (photo 1) sont représentées par un matorral sous
couvert de pins de Salzmann avec Erica multiflora,
Rosmarinus officinalis, Fumana ericoides, Staehelina
dubia, Lavandula latifolia, Coris monspeliensis, Quercus
ilex, Buxus sempervirens, Juniperus phoenicea et
Juniperus oxycedrus. Ces préforêts appartiennent aux
Pistacio-Rhamnetalia, association nouvelle Pino
Salzmanni-Juniperetum phoenicea.
2.3. - Phytosociologie et peuplements de pin de
Salzmann à Saint-Guilhem-le-Désert
Pour Braun-Blanquet (1952), Pinus nigra ssp. Salzmanni
appartient essentiellement à deux groupements :
(a) Un groupement de matorral arboré de l’association
Rosmarineto-Lithospermetum sous-association dolomiticum. Cette sous-association, spéciale aux affleurements
dolomitiques du Bathonien de la bordure cévenole est
pauvre en caractéristiques d’association, d’ordre et de
classe mais le pin de Salzmann se développe bien dans ce
groupe et s’y resème spontanément.
(b) Un groupement de type forestier représentant un
Querco-Buxetum pinetosum Salzmanni (Braun-Blanquet
et Fukarek, 1955).
88
Photo 1 : Préforêt de pins de Salzmann vers Pont d’Agre.
J-L. VERNET, A. METER, L. ZÉRAÏA
2.3.3. - Les pinèdes supraméditerranéennes de pins
de Salzmann se développent à Saint-Guilhem au-dessus
de 400 m d’altitude avec des arbres pouvant atteindre
jusqu’à 15 m, au fût bien droit ou bien des arbres plus
tortueux avec un couvert plus clair sur sols peu profonds.
Les espèces associées sont Acer opulifolium,
Polygonatum officinale, Euphorbia dulcis, Helleborus foetidus ainsi que des taxons herbacés du Seslerio-elegantissimae : Thalictrum minus ssp. saxatilis, Phyteuma tenerum, Euphorbia duvalii, Sesleria elegantissima, Senecio
gerardi, Euphrasia salisburgensis, Serratula nudicaulis,
Campanula speciosa. Ces pinèdes appartiennent à l’association Querco-Buxetum.
2.3.4. - Types de peuplements
Gonelle (1999) distingue quatre types de peuplement à
Pinus Salzmanni :
Les pineraies d’ubac : hauteur moyenne : 9 m, diamètre
moyen : 29 cm, diversité floristique : 75 espèces ; caractéristiques : Sesleria caerulea et Coronilla emerus.
Les pineraies d’adret : hauteur moyenne : 8 m, diamètre
moyen : 23 cm, diversité floristique : 119 espèces ; caractéristiques : Erica multiflora et Rosmarinus officinalis.
Les pineraies de combe : hauteur moyenne : 14 m, diamètre moyen : 35 cm, diversité floristique : 53 espèces ;
caractéristique : Ilex aquifolium.
Les pineraies de crête : hauteur moyenne : 7 m, diamètre moyen : 19 cm, diversité floristique : 67 espèces ;
caractéristique : Globularia vulgaris.
En définitive, les pinèdes de pins de Salzmann colonisent
des secteurs à précipitations élevées sur des sols très
contrastés (substrat dolomitique à Saint-Guilhem, schiste
en Ardèche méridionale et divers substrats siliceux), bien
drainants, sur lesquels chênes verts ou chênes blancs sont
de piètres concurrents. Quézel et Barbéro (1988) en font
des pseudoclimax.
3. - Matériel et méthode
3.1. - Méthode
La méthode utilisée ici1 s’appuie sur des travaux à haute
résolution spatiale sur le Causse Méjean (Quilès et
al.,2002 ; Vernet, soumis) à partir de résidus de paléofeux : les charbons de bois, qui constituent un matériel de
choix dans les sols et les formations superficielles. Les
milieux de dépôts pris en compte, comme sites de
concentration potentiels, sont les dépressions karstiques
telles dolines, ouvalas ou poljés, ou encore des remplissages complexes. Des études sur les feux modernes montrent une corrélation qualitative et quantitative excellente
entre les charbons et la végétation dont ils proviennent,
en l’absence de tout transport (Scott, 2000) ou de transport sur de courtes distances, généralement hectomé-
triques, comme c’est le cas dans les présentes conditions
géomorphologiques. Des premiers résultats testés avec la
palynologie indiquent qu’il y aurait une corrélation entre
la biomasse de charbons et l’intensité du feu (Vernet et
al.,1994).
3.2. - Feux et charbons de bois
3.2.1. - Types de feux
Les départs des feux de forêt sont dus, généralement, soit
à des imprudences, soit à des causes climatiques. La strate herbacée est la première à brûler, parfois le feu ne se
propage pas et seules en témoignent des traces noires sur
l’écorce des arbres. Les strates arbustives et arborées sont
alors épargnées. Toutefois, lorsque le feu est de forte
intensité, les arbres déshydratés par un long stress
hydrique s’enflamment et l’incendie se propage alors à
toutes les strates, aidé éventuellement par le vent et la
sécheresse estivale dans la région méditerranéenne. Il a
été démontré (Trabaud et Campant, 1991) que l’énergie
et la chaleur, dégagées par ce type de feu, pénétrant dans
le sol sont si élevées que les semences enterrées sont
totalement ou presque totalement tuées. De plus, les
graines de pin de Salzmann sont généralement disséminées à la fin du moi de mai (Calas, 1900) avant la saison
des incendies. Le feu ne peut donc pas jouer le rôle de
disséminateur des graines en provoquant l’ouverture des
cônes fermés. Seules peuvent survivre et germer, les
semences ayant résistées, dans le sol, à l’incendie, ce qui
rend difficile la régénération naturelle de ce pin.
3.2.2. - Transport des charbons de bois
Les résidus carbonés se rencontrent dans les sols actuels
jusqu’au voisinage de la roche mère. Les charbons peuvent être transportés, et l’on distingue deux types de
transport :
Le transport sur de courtes distances (quelques
mètres)
Les eaux concentrent les charbons alors que le vent ne
transporte que des petits éléments carbonisés, fleurs,
bourgeons etc. (Scott et al.,2000) ou alors de petits charbons (inférieurs à 1mm) qui ne s’incorporeraient pas au
sol des zones non brûlées (Blackford, 2000). Les eaux de
ruissellement entraînent les charbons de bois. Si la pente
est forte et le courant important, les charbons vont se
concentrer en chenaux lorsque l’eau se retire. Si la pente
est plus douce, l’eau plus ou moins stagnante laissera en
se retirant un bourrelet où se concentrent les charbons.
Dans les deux cas, les charbons se concentreront et se
conserveront alors au sein de milieux de dépôt primaire :
talus, doline, bas de pente où il est intéressant de les prélever (photo 2).
(1) L’essentiel des résultats est présenté dans une note succinte ( Vernet et al., 2005).
89
J-L. VERNET, A. METER, L. ZÉRAÏA
pelle mécanique, atteignant à chaque fois la roche mère.
Une coupe de sol est réalisée et selon la stratigraphie
nous effectuons un nombre variable de prélèvements,
toujours de bas en haut. Chaque prélèvement correspond
à un volume de terre de 10l et est étiqueté (année, site,
lieu et couche archéologique). Les prélèvements sont
transportés jusqu’au laboratoire dans des sacs à gravats.
3.4. - Traitement et identification des charbons de bois
3.4.1. - Préparation
Photo 2 : Bourrelet de charbons après le feu (chapelle St-Côme, Causse Méjean,
sept 2003).
Le transport sur de grandes distances
Selon Berger et Thiébault (2002), les dépôts primaires
peuvent subir un déstockage sous l’effet de l’eau, se
transformant après transport en dépôt secondaire, et ceci
jusqu’au nième dépôt. Ainsi, ces charbons ne seront pas
exclusivement caractéristiques de la végétation passée du
lieu où ils se déposent. C’est pourquoi les charbons doivent être récoltés de préférence dans des dépôts primaires lorsqu’ils sont accessibles.
Les charbons de bois sont extraits par tamisage ménagé à
l’eau. Le tamis a une maille de 2 mm et seuls les fragments supérieurs à cette maille sont retenus. Les charbons inférieurs à 2 mm ne permettraient pas une identification utile. Des expérimentations montrent, en outre,
que les fractions inférieures à 2 mm peuvent être négligées, leur incorporation étant retardée voire nulle
(Vernet, soumis) . Les charbons sont pour la plupart compris entre 2 mm et 10 mm.
Le matériel retenu par le tamis est ensuite mis à sécher.
Un tri est effectué pour séparer les charbons de bois de
divers autres éléments retenus après le tamisage et le
séchage. Les charbons supérieurs à 2 mm sont facilement
visibles et prélevés à la pince sous la loupe.
Les charbons sont comptés et pesés. Parmi les pins identifiés certains ont été réservés pour la datation.
3.3. - Echantillonnage des charbons de bois
3.4.2.- Identification
L’étude a porté sur 3 sites : la Citerne, la mare du Pont
d’Agre et la Combe de la Louet nord 2.
Ces 3 sites sont situés dans une pineraie de combe, au
sein de formations forestières du supraméditerrannéen,
dans des dépressions fermées ou cuvettes dolomitiques.
Dans chaque site, une fosse a été creusée à l’aide d’une
La détermination demande, au préalable, l’obtention et
l’observation de 3 plans de coupe : transversal, longitudinal tangentiel et longitudinal radial, obtenus par fracturation manuelle orientée. L’observation s’effectue au
microscope photonique à réflexion fond blanc, fond noir.
Les déterminations sont faites à l’aide du guide d’identification des charbons de bois préhistoriques et récents
(Vernet et al.,2001), de l’ouvrage d’anatomie des bois
européens (Schweingruber, 1990) et de l’anthracothèque
du laboratoire. Les coupes sont parfois impossibles à réaliser toutes en raison de la petite taille des charbons. Cela
étant, la famille, le genre et parfois l’espèce sont déterminables.
4. - Résultats
4.1. - Identification des charbons de bois
Photo 3 : Partie supérieure du profil de sol à Pont d’Agre.
Il est important de rappeler que nous travaillons sur du
matériel millimétrique ce qui augmente les difficultés
d’identification par rapport aux archéo-charbons de taille
centimétrique. Nous ne donnerons pas, sauf exception,
les critères de détermination, renvoyant aux ouvrages
spécialisés (Vernet et al.,2001).
(2) La Citerne : 31T0545710 UTM 4846643, alt. 540 m ; Pont d’Agre : 31T0544831 UTM 4846197, alt. 600 m ; Combe de la Louet : 31T0545659 UTM 4847215, alt. 487 m.
90
J-L. VERNET, A. METER, L. ZÉRAÏA
Les Feuillus à zone poreuse identifiés sont : Quercus type
pubescens Willd., cf. Laburnum anagyroides Medicus.,
Rosa sp.
Les Feuillus à pores diffus sont plus diversifiés : Buxus
sempervirens L., Quercus ilex L., Ilex aquifolium L.,
Prunus mahaleb L. Acer monspessulanum L., A. opalus
Miller., Salix/Populus, Phillyrea/Rhamnus, Ruscus aculeatus L.
Les Conifères sont représentés par : Juniperus, Pinus.
Le genre Pinus présente un bois homoxylé avec des
limites de cernes bien visibles, des rayons très étroits,
parfois épaissis, des fibres trachéides, des canaux résinifères transversaux et longitudinaux de localisation
variable selon les espèces. Les rayons sont hétérogènes avec des trachéides transversales dentées possédant des champs de croisement en fenêtre. Ces caractères sont ceux de la section sylvestris. Dans cette section, cohabitent plusieurs taxons importants : Pinus
sylvestris L., le complexe de sous-espèces de Pinus nigra
Arnold, Pinus mugo Turra, Pinus pinaster Aiton et Pinus
uncinata Miller.
Les caractéristiques édaphiques et altitudinales
excluent Pinus pinaster qui ne pousse pas sur les substrats de type dolomitique. Pinus uncinata est une espèce subalpine avec un mode de croissance particulier
(bois final généralement mince), de même s’exclut
Pinus mugo. Il reste deux espèces probables pour la
forêt de Saint-Guilhem : Pinus Salzmanni, bien sûr, mais
aussi Pinus sylvestris qu’il ne faut pas exclure.
La différenciation anatomique entre ces deux espèces
est difficile. La plupart des auteurs ne les distinguent
pas (Schweingruber, ibid) Cependant, une tentative
d’identification a été réalisée il y a quelques années :
elle repose sur plusieurs caractères dont le principal est
la position des canaux sécréteurs longitudinaux dans les
1
0,9
Pinus sylvestris
0,75
Pinus nigra ssp.Salzmanni
BOIS FINAL
0,5
BOIS INITIAL
0
Figure 1 : Schéma anatomique de comparaison de la position des canaux
sécréteurs dans les zones d’accroissement entre Pinus sylvestris et Pinus nigra
ssp.salzmanni., d’après Bazile-Robert, 1979.
zones d’accroissement, prenant comme référence 0
pour le début du bois initial et 1 pour la limite externe
de l’accroissement (Bazile-Robert, 1979) (fig.1).
Ces mesures ne tiennent pas compte du fait que les
canaux soient placés dans le bois initial ou dans le bois
final, car le passage de l’un à l’autre est très progressif
et des erreurs sont possibles, mais aussi parce que l’importance de l’un par rapport à l’autre est très variable
et conditionnée par des agents extérieurs. Certains
échantillons en mauvais état ne pourront pas nous
fournir d’indications.
La Viale est, Causse Méjean
Pont d’Agre
1
1
0,9
0,9
PSY
PSY
0,8
0,8
0,7
0,7
PSA
0,6
0,6
0,5
0,5
0,4
0,4
0,3
0,3
0,2
0,2
N om bre de
0,1
c harbons
0,1
0
0
0
40
( e f f e c t if t o t a l 2 9 4 : c h a r b o n s )
80
0
( e f fe c tif t o ta l 3 7 5
40
80
c harbons )
Figure 2 : Position des canaux sécréteurs en plan transversal, à gauche Pont d’Agre à Saint-Guilhem comparé à La Viale est sur le Causse Méjean (Vernet, soumis).
91
J-L. VERNET, A. METER, L. ZÉRAÏA
4.2. Datation des charbons de bois
La forêt de pins de Salzmann de Saint-Guilhem n’est
donc pas une forêt relique pure comme on le pensait
jusqu’à présent, mais certainement constituée d’un
mélange d’espèces de pins. Les auteurs montrent que
cette association entre le pin de Salzmann et le pin
sylvestre existe aujourd’hui à l’étage montagnardméditerranéen en quelques points de Méditerranée
occidentale (Quézel et Médail, 2003).
Notons que dans certains niveaux, la position extrême
des canaux sécréteurs du pin sylvestre n’apparaît pas,
Les datations ont été réalisées par le Dr Andreas
Scharf à l’université de Nuremberg par la méthode
AMS (accélérateur couplé à un spectromètre de
masse). Nous avons sélectionné pour cela dix niveaux
de prélèvements : les six niveaux de la mare du Pont
d’Agre car c’est sur ce site que la fosse était la plus
profonde, trois niveaux de la Combe de la Louet nord,
le plus ancien (CLON1) et deux niveaux intermédiaires
(CLON3 et CLON4) ainsi que le niveau le plus ancien
du site de la Citerne (LCI1) (Vernet et al.,2005).
Figure 3 : Datations C14 des feux à Saint-Guilhem-le-Désert.
92
notamment au niveau PAG6 qui est le niveau historique le plus récent du site de la mare du Pont d’Agre
ou en CLON2 et CLON4. Le pin sylvestre se serait-il
retiré dans une autre niche récemment ? Y a t-il une
exploitation différentielle entre le pin de Salzmann et
le pin sylvestre ?
Cette seconde hypothèse est appuyée par les particularités anatomiques des deux pins. En effet, le pin de
Salzmann est un pin qui n’intéresse que peu les forestiers du fait de sa faible productivité, à l’inverse du pin
sylvestre qui est réputé pour son bois de qualité pour
la création de charpente par exemple.
Dans les trois sites, nous avons réalisé un histogramme de
la position des canaux sécréteurs dans les zones d’accroissement du pin afin de voir si les deux espèces sont présentes et en quelles proportions (fig. 2). Les données sont
comparées avec celles obtenues sur le Causse Méjean
(Vernet, soumis).
Il faut noter un grand polymorphisme du point de vue de
la position des canaux sécréteurs. Les positions extrêmes
des canaux des deux espèces étant représentées, c’est-àdire 1 pour le pin sylvestre et 0,5 pour le pin de Salzmann,
on peut dire que les deux espèces sont présentes. Il est
difficile de préciser la proportion de chacune d’entre
elles car les aires de répartition de leurs canaux sécréteurs se chevauchent.
J-L. VERNET, A. METER, L. ZÉRAÏA
Les résultats peuvent être présentés de deux façons :
Les dates BP qui correspondent aux dates avant le présent avec pour référence la date de 1950 AD ou les
dates calendriers AD ou BC calibrées à 1 ou 2 sigma.
Nous avons retenu comme dates calendriers la moyenne de l’intervalle de confiance à 2 sigma présentant le
maximum de probabilité (fig. 3).
Ces dix dates nous ont permis d’élaborer une première
chronologie des feux de la forêt de St Guilhem.
D’après les travaux de Trabaud et Campant (1991), la
forêt de St Guilhem fut récemment et régulièrement victime d’incendies souvent criminels. Depuis l’année 1851,
date d’acquisition de la forêt par l’Etat, il a été dénombré
24 incendies. Dans notre étude, trois ont été enregistrés
et un seul a été daté par le 14C.
La teneur en 13C des échantillons a aussi été mesurée par
le Dr Scharf. Le 13C est un isotope stable et plus lourd que
le 12C. En période de sécheresse, l’ouverture des stomates
des feuilles des pins étant limitée, l’assimilation du 13CO2
est freinée. Les plantes assimilent moins de 13C en période sèche qu’en période humide. Le 13C est ainsi un indicateur d’humidité/sécheresse relative à un moment
donné (Vernet et al.,1996). Couplé aux datations 14C, la
teneur en 13C est un indicateur indépendant de l’évolution du climat.
4.3. - Dynamique de la forêt d’après l’anthracologie
Pour chaque site échantillonné, nous avons réalisé un diagramme anthracologique.
4.3.1. - La Citerne
Le diagramme anthracologique de la Citerne enregistre
les feux les plus récents, à partir de 48 BP soit 1870 AD.
Du point de vue qualitatif, les fréquences de Pinus sont
importantes tout au long de la séquence avec des fragments d’écailles de cônes dans les deux premiers niveaux.
Buxus sempervirens est présent, en particulier dans le premier niveau. Il tend à disparaître dans le niveau le plus
récent (LCI3). Par ailleurs, Ruscus aculeatus (niveau LCI2)
confirme par sa présence la fermeture de la forêt.
Quantitativement, la masse de charbons augmente considérablement dans le niveau le plus superficiel (LCI3), qui
enregistre les feux les plus récents à l’exclusion de celui
d’août 1973 qui a épargné ce secteur de la forêt domaniale.
4.3.2 - la Combe de la Louet nord
Le diagramme anthracologique de la Combe de la Louet
nord enregistre des feux beaucoup plus anciens à partir
de 5680 BP. Du point de vue qualitatif, nous notons la
présence de Pinus sur toute la séquence avec une contribution sporadique du pin sylvestre. Comme à la Citerne,
nous retrouvons la présence localisée (CLON1/4/5)
d’écailles de cône de pin. A partir du niveau CLON3, des
fréquences non négligeables de Buxus sempervirens sont
enregistrées datées à partir de 1486 AD, ce qui semble
correspondre avec les dates des deux autres séquences.
4.3.3. - La mare du Pont d’Agre
La séquence anthracologique de la mare du Pont d’Agre
fournit la date de 6687 BP, ce qui est la plus ancienne,
contemporaine de l’extrême début du Néolithique. Du
point de vue qualitatif, les résultats sont les plus complets, nous observons plusieurs assemblages de végétations. Tout d’abord, dans le niveau le plus ancien (PAG1),
on note principalement la présence de Pinus, Quercus
ilex et Acer. Avec PAG2, les données sont assez semblables, mais l’on enregistre la disparition de Quercus ilex,
l’apparition de Quercus cf. pubescens ainsi que le début
de la courbe continue de Juniperus. Avec PAG3, Ruscus
aculeatus et Quercus ilex sont de nouveau présents. A
partir de PAG4, nous observons un changement important dans les assemblages de végétation. La fréquence de
Pinus décroît mais surtout, nous notons l’apparition de
Buxus sempervirens et l’augmentation de sa fréquence
dans les niveaux PAG5/6. Il en est de même pour Quercus
cf. pubescens dont la fréquence augmente dans les
niveaux PAG4/5. Il faut noter que la phase à buis est
datée de 1342 AD (PAG5) contre 1870 AD dans la
séquence de la Citerne.
Du point de vue floristique, on note une forte contribution de Pinus sylvestris dès le niveau PAG1, qui se prolonge dans les niveaux supérieurs pour disparaître complètement dans le niveau récent PAG6. Le pin sylvestre est
présent essentiellement dans les niveaux PAG2/3/4 antérieurement à la fondation de l’abbaye de Gellone.
Du point de vue quantitatif, nous enregistrons une
forte fréquence de charbons précédant l’extension des
fréquences de buis. Nous avons également essayé de
mettre en évidence les relations qu’il pouvait y avoir
entre les feux et l’ouverture du milieu, testées par la
vitesse de sédimentation. Deux vitesses sont enregistrées : une vitesse « lente » entre 0,10 mm/an et 0,18
mm/an, une vitesse « rapide » entre 0,39 mm/an et
0,54mm/an. Si les vitesses « lentes » témoignent
d’une certaine stabilité dans l’érosion et donc d’un fort
couvert végétal, nous pouvons suggérer deux fortes
périodes d’érosion. La première entre 4968 et 4464 BP
(PAG2/3) et la seconde postérieure à la fondation de
l’abbaye de Gellone entre 644 et 158 BP (PAG5/6).
Cette seconde période peut être mise en relation avec
l’augmentation considérable du buis.
93
J-L. VERNET, A. METER, L. ZÉRAÏA
De plus, l’âge croît avec la profondeur, ce qui exclut tout
remaniement majeur. Il semblerait, en effet, que notre
matériel soit de taille trop importante pour être ingéré par
la pédofaune. Selon Carcaillet et Talon (1996), les vers de
terre sont capables d’ingérer des particules supérieures à
400 μm et jusqu’à 2mm, ce qui correspond au matériel
éliminé pendant la phase de tamisage (maille du tamis de
2mm).
Les données du delta 13C fluctuent entre –22 et –24 pour
mille (un point atypique à -28 à CLON4), et indiquent
que, globalement, les conditions de sécheresse prévalent
au cours de ces épisodes de feux. Les résultats du delta
13
C ont été comparés à un référentiel de pinède du
Causse Méjean qui donne une marge actuelle comprise
entre -26 et -28, donc largement plus « humide »
(Vernet, soumis).
5. - Discussion
La courbe continue de Juniperus, qui commence à
l’Holocène ancien et se continue presque jusqu’au bout
pour la mare du Pont d’Agre, témoigne d’une pinède préforestière quasi présente tout le temps. Toutefois, les
niveaux extrêmes (PAG1 et PAG6) ne répertorient pas le
genévrier. Juniperus occupe actuellement les crêtes bordant la mare du Pont d’Agre alors que Populus se situe au
fond du talweg. Ainsi, est-il possible de penser qu’au
niveau le plus ancien PAG1, seul le fond de la dépression
aurait brûlé comme en témoigne la présence de Populus,
épargnant les crêtes et donc les genévriers. Néanmoins,
ceci montre la quasi pérennité des formations qualifiées
par Quézel et Barbéro (1988) de préforestières du mésoméditerranéen supérieur, correspondant à l’association
Pino salzmannii-Juniperetum phoeniceae.
La plus ancienne date obtenue est contemporaine de
l’Holocène ancien moyen (vers 7000 BP). Les conditions
de mise en place de la forêt étaient donc déjà réalisées
antérieurement, au sortir du dernier glaciaire. A la fin du
dernier glaciaire, les résultats obtenus permettent de suggérer une hypothèse hautement probable de peuplements mixtes de pins sylvestres et de pins de Salzmann
formant des forêts pré-steppiques avec plusieurs
Juniperus dont J. phoenicea. Avec l’amélioration climatique, ces peuplements ont gagné en altitude et se sont
enrichis de composantes supraméditerranéennes.
L’extension du peuplement vers les formations mésoméditerranéennes de Quercus ilex paraît davantage être en
relation avec l’anthropisation qui a ouvert des espaces
dans les boisements thermophiles.
Un autre aspect intéressant est la contribution de Pinus
sylvestris qui démontre l’hétérogénéité du peuplement
ancien. Les seules populations actuelles où le pin sylvestre
est un élément important avec le pin de Salzmann sont
les populations des gorges du Tarn situées selon Quézel
et Barbéro (loc.cit.) au sein de l’étage montagnard-médi-
94
terrannéen. Ces formations cohabitent avec des associations herbacées riches en espèces arcto-alpines dont
Gentiana costei. Nos données, éclairent l’authenticité des
peuplements des gorges du Tarn d’une part, et d’autre
part semblent montrer l’origine complexe des peuplements actuels de pins de Salzmann de la forêt de St
Guilhem, l’homogénéité actuelle étant due à la gestion
anthropique.
La gestion anthropique nous paraît particulièrement évidente dans cette recherche puisque tous les niveaux
supérieurs à la fondation de l’abbaye montrent une recrudescence de Buxus sempervirens témoignant d’une
ouverture considérable de la forêt mature. En effet, la
colonisation d’un site par le buis représente le deuxième
stade post-traumatique succédant aux pelouses à graminées. Au sein de la forêt de St Guilhem, les traumatismes
possibles ont essentiellement une origine anthropique, ils
peuvent être la conséquence de déprises pastorales,
d’écobuages, etc. Cette interprétation se voit confirmée
par l’accélération de l’érosion, et l’augmentation de la
masse de charbons dans ces mêmes périodes.
Cependant, il est possible aussi que la forêt ait été stable
pendant très longtemps et qu’à une certaine époque elle
fut victime de perturbations par des feux d’origine naturelle. Le régime des feux aurait-il changé ? La présence
d’écailles de cône de pin, distribuées de façon non aléatoire dans les niveaux historiques de la Citerne et de la
Combe de la Louet nord, pourrait résulter de feux très
importants, très violents, brûlant et éclatant les cônes
présents en hauteur sur les pins, tandis que des feux plus
courants d’une moins grande envergure n’affectent que
le sous bois ou faiblement les pins. C’est ce qui est essentiellement visible à Saint-Guilhem-le-Désert.
Les feux très violents, à la fréquence d’un incendie tous
les dix ans, peuvent devenir des agents de destruction de
la forêt de pins de Salzmann. L’espèce serait réellement
en danger si tout le peuplement brûlait à cause de la difficulté de régénération du pin à la suite de très forts
incendies (Trabaud et Campant, 1991).
Conclusion
Les sondages ont atteint la base des remplissages. Une
active sédimentation a commencé dés l’Holocène ancien,
à l’optimum climatique. Les trois diagrammes anthracologiques résument l’éco-histoire holocène de la forêt. Une
première phase d’incendie témoigne d’une pinède mésoméditerranéenne à Quercus ilex. La deuxième phase est
contemporaine du Néolithique récent. L’apparition de
Quercus pubescens montre une tendance vers une pineraie supraméditerranéenne. La tendance à la pinède
mésophile supraméditerranéenne s’accentue avec la troisième phase contemporaine de la période romaine. La
dernière phase qui englobe les niveaux historiques semble
marquer une altération importante de la pinède avec des
fréquences importantes de Buxus sempervirens. Il faut
ajouter à ceci la présence de façon continue de Juniperus
qui pourrait témoigner de la présence discrète de préforêts.
La forêt de St Guilhem avec ses arbres pouvant atteindre
aujourd’hui près de 15 m de haut devait apparaître dès le
Moyen Age comme un massif forestier particulièrement
intéressant, en particulier pour le bois d’œuvre, surtout
par rapport à la chênaie méditerranéenne déjà fortement
délabrée. Les fondateurs de l’abbaye ne s’y sont pas
trompés. La gestion anthropique y est particulièrement
patente. Quant au climat, les données isotopiques
convergent toutes vers de forts impacts de la sécheresse.
On ne sait si les feux anté-historiques sont naturels ou
non, en revanche à partir de la fondation de l’abbaye de
Gellone, l’anthropisation ne fait plus de doute, même si
la sécheresse est avérée. On ne doit le bon état actuel du
peuplement qu’à la convergence de deux phénomènes, la
déprise généralisée des activités agro-pastorales et la
conservation raisonnée sous l’égide de l’ONF.
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1391-1397.
96
Caractérisation des occupations
anciennes en forêt
98
Caractérisation des sites antiques dans les forêts du
Berry et du Bourbonnais
Laure LAÜT
40, avenue d’Italie – 75013 Paris – [email protected]
Résumé
Les régions du Berry (Cher, Indre) et du Bourbonnais (Allier), formaient à l’époque romaine le territoire des Bituriges
Cubes. Un cinquième de cet espace est aujourd’hui couvert de bois et forêts, répartis en Sologne, en Brenne, en
Boischaut-sud et dans le Bocage bourbonnais. Dans le cadre d’un projet collectif de recherche (UMR 8546, CNRS),
des données archéologiques ont été intégrées à un système d’information géographique, pour étudier différents
aspects de l’occupation antique dans cette zone. Seuls 10 % des 3293 sites gallo-romains répertoriés ont été trouvés en milieu forestier, avec une plus forte représentation des structures artisanales, au détriment des habitats et surtout des sépultures. Cela s’explique par des niveaux de visibilité au sol différents selon les types de vestiges, mais également par la répartition actuelle des forêts, qui n’est peut-être pas sans relation avec celle des forêts antiques,
comme le suggère la confrontation des cartes pédologiques et archéologiques. A une autre échelle, une attention
particulière a été portée sur la forêt de Tronçais (Allier), où des recherches sont menées en collaboration avec l’INRA
(centre de Nancy). Cette chênaie de 10 000 hectares abrite 112 sites gallo-romains, dont l’implantation, la taille, et
pour certains la chronologie et la fonction ont pu être cernés. Les données polliniques et anthracologiques, mais aussi
l’analyse des sols et de la flore actuelle indiquent que la forêt faisait partie du paysage dès l’époque romaine, intégrant des exploitations agricoles de faible envergure, et de petites unités de production de fer ou de tuiles.
Abstract
The regions of Berry (Cher, Indre) and of Bourbonnais (Allier), formed in the Roman time the territory of Bituriges
Cubes. Today, the fifth of this aera is covered with wood and forests, distributed in Sologne, in Brenne, in SouthBoischaut, and in the bocage of Bourbonnais. Within the framework of a collective research project (UMR 8546,
CNRS), archaeological data were integrated in a GIS with the aim of studying different aspects of the antique activity in this area. Only 10 % of 3293 identified Gallo-Roman sites were found in forested environment, with a higher
proportion of craft structures than settlements and still more graves. It is explained by different levels of visibilities on
the ground according to the types of vestiges, but also by the current distribution of forests, which may be in relation with the distribution of the antique forests, as it is suggested by the comparison between the pedological and
archaeological maps. A particular attention was paid to the forest of Tronçais (Allier), where researches are made in
association with the INRA (Centre of Nancy). 112 of Gallo-Roman sites were found in this 10 000 hectare oak forest.
It has been possible to precise the distribution, the size, and sometimes the date and the function of these sites. The
analysis of pollens and of charcoals and also, of grounds and of the current flora indicate that the forest was a part
of the landscape during the Roman time, with small farms and small production units of iron or tiles.
99
L. LAÜT
Forêt de Tronçais
limites départementales
principales villes actuelles
forêts actuelles
territoire antique des Bituriges Cubes
0
20
40 Km
Sources: PCR-Berry (UMR 8546, CNRS-ENS Paris), cartographie : L. Laüt
Figure 1 : Localisation du territoire antique de la cité des Bituriges Cubes.
1. - Le cadre de l’enquête et les
questions abordées
Le secteur qui va être évoqué ici se situe au cœur de la
France. Il comprend le Berry, qui couvre les départements
du Cher et de l’Indre, ainsi qu’une partie du Bourbonnais,
dans le département de l’Allier (fig.1). A l’époque
romaine, ces deux régions sont réunies en une seule et
même entité administrative, correspondant au territoire
des Bituriges Cubes, dont la capitale était Avaricum
(Bourges). Cet espace de 18000 km2 s’étend pour l’essentiel sur les formations sédimentaires du Bassin parisien, et
dans sa partie la plus méridionale, sur les premiers contreforts du Massif Central. Deux types de paysages assez
contrastés s’y opposent. Au centre du Berry, la
Champagne berrichonne est un vaste plateau calcaire
assez sec, qui est aujourd’hui un espace d’openfield
consacré aux productions céréalières. Autour d’elle s’articule une série de régions naturelles plus vallonnées, plus
boisées et plus humides comme le Boischaut, la Sologne,
la Brenne, le Sancerrois ou le bocage et la forêt de
Tronçais. Les surfaces boisées couvrent près de 4000 km2,
soit environ 20% du territoire biturige. Les forêts se composent essentiellement de feuillus, avec localement
quelques forêts de conifères et enfin des forêts mélangées, surtout en Sologne1.
(1) Pour le Berry, voir notamment Brêthes, 2003
100
Les forêts du Berry et du Bourbonnais sont loin d’avoir été
explorées de façon systématique. En dehors de découvertes
ponctuelles, faites dans le cadre d’opérations d’archéologie
préventive ou de prospections-inventaire, quelques programmes de recherches ont porté spécifiquement sur des
massifs forestiers du territoire biturige. C’est le cas de la
forêt de Châteauroux, sur laquelle D. Audoux et D. Dubant
ont mené une enquête diachronique (Dubant et Audoux,
1999). Dans le secteur de la Sologne, H. Delétang (1984) a
effectué une étude sur le parcours d’une voie reliant
Bourges à Orléans, qui traverse un territoire à dominante
boisée. En forêt d’Allogny, près de Bourges, ce sont les vestiges d’activités métallurgiques qui ont été plus spécialement abordés par J. M. Bordeloup (Landes et Bordeloup,
1985 ; Bordeloup, 1994). Enfin, la forêt domaniale de
Tronçais a fait l’objet d’explorations régulières par E.
Bertrand, entre 1960 et 1990 (1980 ; 1983 ; Piboule et
Bertrand, 1995) et depuis 2000, de nouvelles campagnes
de prospection et de fouilles y sont menées, en parallèle des
tests sur la flore et les sols entrepris par l’INRA – centre de
Nancy (Bourdet, 2000 ; Humbert, 2002 ; 2003 ; Dupouey
et al., 2002 ; Dambrine et al., à paraître ; Laüt, 2004 ; Laüt
et al., 2004).
Cette étude des vestiges antiques en forêt à l’échelle de plusieurs départements a été réalisée grâce à un système d’information géographique utilisé dans le cadre d’un projet
L. LAÜT
collectif de recherches sur le territoire biturige (laboratoire
d’archéologie de l’école normale supérieure à Paris, UMR
8546, CNRS). Ce SIG permet de confronter les données
géographiques aux données archéologiques, soit près de
4000 sites protohistoriques et gallo-romains actuellement
répertoriés (Batardy et al., 2001 ; Collectif 2005 (CD-rom)).
La répartition des vestiges peut ainsi être examinée selon
leur cadre de découverte, afin de préciser les types de sites
que l’on voit mieux en milieu forestier, les sites que l’on voit
moins bien et ceux que l’on ne voit pas du tout... Enfin,
nous changerons d’échelle pour aborder le cas particulier du
massif forestier de Tronçais, qui a bénéficié d’approches pluridisciplinaires concertées, et dont l’environnement et les
formes de l’occupation du sol à l’époque romaine commencent à être relativement bien cernés.
2. - Un état des connaissances, sur
l’ensemble du territoire biturige
2.1. - Les types de vestiges observés en milieu
forestier
Sur 3293 sites gallo-romains répertoriés en territoire biturige, seulement 10 % ont été trouvés en milieu forestier,
alors que les surfaces de bois et forêts représentent 20 %
de l’espace étudié (fig.2). Globalement, les vestiges antiques
sont donc deux fois moins observés en forêt que dans l’ensemble de la zone. Mais la situation diffère d’un type de
structure à l’autre, comme le montrent les bilans obtenus
sur trois catégories de sites, abordées séparément : les
habitats ruraux, les ateliers sidérurgiques et les sépultures.
Dans la catégorie des habitats ruraux2, il existe deux types
de constructions, qui ne présentent pas la même visibilité
en milieu forestier : les constructions en matériaux périssables d’une part et les constructions en dur d’autre part.
La première catégorie correspond à des fermes en terre et
bois ou à des structures en enclos palissadés, qui peuvent
être en usage dans la région jusqu’au IIe siècle de notre
ère. Sur les 72 établissements répertoriés, moins de 6%
seulement ont été repérés en forêt, ce qui représente un
taux particulièrement faible. Cette sous-représentation
s’explique par la nature même de ces sites, qui ne laissent
aucun relief en surface, mais seulement des structures en
négatif, très difficiles à repérer en forêt.
Les établissements ruraux construits avec des murs en
pierres sèches ou des murs maçonnés au mortier, sont
beaucoup plus nombreux à la période romaine. A ce jour,
nous en connaissons 1278, dont 8% trouvés en milieu
forestier. Cette faible représentation est plus difficile à
expliquer que dans le cas des bâtiments en matériaux
périssables. En effet, les ruines des constructions en dur
laissent souvent des reliefs chargés de matériaux de
construction (moellons, tuiles) facilement repérables,
comme on a pu le constater dans le massif de Tronçais,
où des dizaines de sites ont été repérés en prospection. La
situation actuelle est donc à mettre en grande partie sur
le compte du manque d’explorations systématiques des
forêts, dans le reste du territoire biturige.
site gallo-romain découvert en forêt
site gallo-romain découvert hors forêt
voie importante
voie secondaire
agglomérations antiques
forêts actuelles
territoire antique des Bituriges Cubes
BOURGES
Levroux
Drevant
Argentomagus
Néris-les-Bains
Sources: PCR-Berry (UMR 8546, CNRS-ENS Paris), cartographie : L. Laüt
Figure 2 : Les sites gallo-romains répertoriés sur le territoire des Bituriges Cubes.
(2) Les données sur les habitats sont issues de la récente synthèse de C. Gandini sur le sujet (Gandini 2000).
101
L. LAÜT
Dans le domaine des productions artisanales, les activités
sidérurgiques représentent une part importante de l’économie régionale à l’époque romaine. Les vestiges de ces
ateliers se présentent aujourd’hui sous la forme d’amas
de scories (ferriers) qui ont recouvert progressivement les
fours de réduction du minerai de fer. 219 ferriers antiques
sont actuellement répertoriés (Dieudonné-Glad, 1991 ;
Dumasy et al., 1993 ; Dumasy 1994, Bordeloup, 1994 ;
Laüt, 1994 ; Dieudonné-Glad et Dumasy, 1995 ;
Sarreste, 2003), dont 21% découverts en milieu forestier,
ce qui est tout à fait proportionnel aux surfaces boisées
du territoire biturige et bien supérieur à la représentation
globale des sites en forêt (10%). Ce phénomène s’explique avant tout par la meilleure conservation des ferriers
en sous-bois, où leur élévation peut atteindre plusieurs
mètres de haut, comme c’est le cas notamment en forêt
d’Allogny, près de Bourges. La bonne visibilité des vestiges d’ateliers sidérurgiques en milieu forestier a d’ailleurs été remarquée dans d’autres régions métallurgiques
de la Gaule, comme le secteur de la Montagne Noire
(Decombeix et al., 2000 p.31). En terrain cultivé en
revanche, les labours ont progressivement arasé ces amas
de scories, qui forment de grandes taches sombres, dont
le relief dépasse rarement une cinquantaine de centimètres.
Concernant les sites funéraires, 429 sépultures isolées ou
nécropoles sont actuellement répertoriées en territoire
biturige. Il s’agit le plus souvent d’incinérations en pleine
terre ou dans des coffres en pierre3, les stèles, sarcophages ou monuments de type mausolée étant beaucoup
plus rares. A ce jour, la seule sépulture identifiée en forêt
dans ce secteur est un cas exceptionnel, celui du monument funéraire de Sauzelles, qui porte des bas-reliefs gravés sur une paroi rocheuse, en bordure de Creuse
(Fauduet, 1983). Mais dans leur grande majorité, les vestiges funéraires ne présentent pas ou peu d’élévation et
sont souvent découverts en réemploi, hors de leur
contexte d’origine. C’est pourquoi les sépultures galloromaines sont beaucoup plus difficiles à repérer en milieu
forestier que les tumuli protohistoriques par exemple.
Ces différents cas de figure permettent de mesurer les
avantages, mais aussi les limites des informations recueillies en forêt, sur l’occupation du sol antique. De ce fait,
les données archéologiques récoltées peuvent s’avérer
difficilement comparables à celles obtenues en rase campagne. Ainsi, la forêt peut livrer des vestiges en relief
(bâtiments maçonnés, chaussées, ferriers) ou en creux
(carrières, mardelles), mais relativement peu de matériel
en surface. En terrain ouvert en revanche, les structures se
révèlent très arasées, voire totalement détruites par les
travaux agricoles, avec en contrepartie un matériel de surface plus abondant et des plans de constructions en
matériaux périssables ou en dur repérables en vue
aérienne. De telles disparités doivent donc être prises en
compte lorsque l’on aborde ces différents terrains d’investigation, au sein d’une même région.
Le calcul de la densité des différents types de sites, par
rapport aux surfaces de bois et forêts couvrant l’ensemble de la zone étudiée, fait apparaître deux groupes assez
distincts (fig.3). D’une part, le groupe des sites nettement
sous-représentés en forêt rassemble les sépultures, les
constructions en matériaux périssables et, dans une moin-
Rapport des densités
1,8
1,6
1,4
Sites sur-représentés en forêt
1,2
1
0,8
0,6
0,4
Sites sous-représentés en forêt
0,2
0
Sépultures
Bâtiments en Bâtiments en
Ateliers
terre et bois
dur
sidérurgiques
Figure 3 : Ecart de répartition des sites gallo-romains, entre la forêt actuelle et l’ensemble de la zone étudiée.
(3) Concernant les coffres funéraires en particulier, voir Brissaud, 1988 ; 1993.
102
Carrières et
mines
Autres
artisanats
L. LAÜT
dre mesure, les constructions maçonnées. D’autre part, le
groupe des sites normalement représentés ou légèrement
sur-représentés en forêt comprend les ateliers sidérurgiques, les carrières et mines et les autres installations
artisanales (fours de potiers et de tuiliers). La question de
la plus ou moins grande visibilité des vestiges en milieu
forestier a déjà été soulignée pour chacune de ces catégories. Mais la répartition fonctionnelle des sites au sein
de ces deux groupes mérite également d’être considérée.
En effet, les sites les mieux représentés en forêt relèvent
exclusivement de la production artisanale. A l’exception
des carrières, dont l’implantation en ripisylve est souvent
dictée par la géologie, il s’agit d’ateliers de réduction du
minerai de fer ou de fabriques de terre cuite. Or, à
l’époque romaine, ces artisanats du feu sont traditionnellement pratiqués à proximité de sources d’approvisionnement en bois, pour alimenter les fours. Tout se passe donc
comme si la répartition des forêts actuelles livrait un lointain écho de celle des forêts antiques. Pour tester la validité d’une telle hypothèse, différentes analyses spatiales
ont donc été menées à partir du SIG, sur l’ensemble du
territoire biturige.
2.2. - Carte des sols, métallurgie antique et forêts
actuelles
Dans le cadre du PCR sur le territoire biturige, une collaboration a été établie avec J. Moulin, de la chambre d’agriculture de l’Indre, pour retraiter les données de la carte pédologique actuelle, en fonction de critères de qualité valables
pour l’époque romaine4. La plus ou moins grande valeur
agricole des sols a donc été déterminée, sans tenir compte
des techniques modernes d’exploitation5.
La superposition de cette nouvelle carte avec celle des
forêts actuelles montre que les principaux massifs forestiers se cantonnent aux marges des terres considérées
comme les plus favorables pour l’époque romaine. Quant
aux ateliers sidérurgiques gallo-romains, ils respectent la
même logique de répartition, en se concentrant à l’écart
des bonnes terres (fig.4). Ces observations confortent
donc l’idée d’une relative stabilité dans la répartition globale des forêts du territoire biturige, depuis l’Antiquité. Fr.
la
ire
Lo
le Cher
l'I
nd
re
la
l'A
eu
Cr
lli
er
se
pédologie:
terres agricoles les plus favorables
terres agricoles les moins favorables
sites gallo-romains:
agglomérations
forêts actuelles
ateliers sidérurgiques
limites du territoire biturige
secteur sans information
Sources: PCR-Berry (UMR 8546, CNRS-ENS Paris), cartographie: L. Laüt
Figure 4 : Sols, forêts actuelles et ateliers sidérurgiques antiques, sur le territoire biturige.
(4) Il s’agit de la version numérisée de 27 cartes des sols au 1/50 000ème, publiées par les pédologues des Chambres d’Agriculture du Cher, de l’Indre, du Loir-et-Cher et
du Loiret, en collaboration avec l’INRA d’Orléans et l’IGN.
(5) Pour le détail des critères de classement des sols, voir B. Vannière, dans Batardy et al., 2001, p. 44-55 et A. Maussion, dans Maussion et Gandini, 2003.
103
L. LAÜT
Duceppe-Lamarre (in Batardy et al., 2001, p.16-19), dans
une étude sur la trame forestière ancienne à partir des
textes du Haut Moyen-Age, avait d’ailleurs noté la forte
pérennité de certains grands massifs bituriges, comme
ceux de Bommier-Maron, Châteauroux, Vierzon, ou le
sud de Tronçais. Mais bien évidemment, les contours
forestiers ont dû subir de nombreuses fluctuations depuis
2000 ans, qui échappent la plupart du temps aux historiens comme aux archéologues. Cependant, des précisions ponctuelles sont parfois apportées à ce sujet,
comme ce fut le cas pour le secteur de Bourges où N.
Dieudonné-Glad (1992, p.68) a pu confronter les données archéologiques au témoignage de César, décrivant
la prise d’Avaricum (Bourges) en 52 av. J.C. L’auteur
évoque en effet l’existence de « bois » et de « forêts
épaisses » au nord et nord-est de Bourges, non loin de
l’actuelle forêt d’Allogny6. Or les ferriers se concentrent
précisément dans cette zone, alors que les exploitations
agricoles (enclos, villae) se répartissent au sud de
Bourges, dans un secteur plus fertile. Au moment de la
Conquête, comme sans doute durant la période romaine,
ce n’est pas le minerai, présent au nord comme au sud de
Bourges, qui a conditionné la répartition des activités
agricoles et métallurgiques, mais la qualité des terres et la
présence de zones boisées, d’ailleurs toujours présentes
aujourd’hui, approximativement dans le même secteur.
3. - Une étude de cas : la forêt
domaniale de Tronçais
3.1. - Approches archéologiques et environnementales
La forêt domaniale de Tronçais est une futaie de chênes
et de hêtres qui couvre 10 600 hectares, dans le sud-est
du territoire biturige (fig.1). Les premières recherches
archéologiques y ont été menées par E. Bertrand (1980 ;
1983 ; Piboule et Bertrand, 1995) qui, entre 1960 et
1990, a régulièrement prospecté chaque parcelle de cette
forêt et découvert, entre autres, une centaine de sites
gallo-romains. Sur la base de ces informations, de nouvelles campagnes de prospection et des sondages ont été
engagés en 2000 et 2001, pour préciser la caractérisation
de ces sites et tenter de compléter encore la carte archéologique. En parallèle de ces interventions archéologiques,
J.-L. Dupouey, E. Dambrine et leur équipe (Bourdet, 2000 ;
Humbert, 2002 ; 2003 ; Dupouey et al., 2002 ;
Dambrine et al., à paraître ; Laüt, 2004 ; Laüt et al., à
paraître) ont réalisé des relevés floristiques, ainsi que des
sondages pédologiques et anthracologiques autour d’une
sélection de 10 sites. Enfin, depuis 2002, une fouille programmée est menée sur le site des Petits Jardins, qui est
un sanctuaire du Ie siècle comprenant trois bâtiments dont
deux temples de type fanum. Après son abandon, un ate(6) César, De Bello Gallico, VII, 16 et 18
104
lier de tuilier a été aménagé sur les ruines d’un des temples, peut-être dès la fin de l’Antiquité, pour produire des
tuiles à rebord jusqu’au VIe/VIIe siècle (Laüt, 2005).
L’ensemble des résultats obtenus sera abordé ici, dans la
perspective d’une reconstitution du paysage antique.
3.2. - De la forêt actuelle au paysage antique
A l’heure actuelle, la carte archéologique de la forêt de
Tronçais compte 112 sites gallo-romains, soit un site pour
95 hectares en moyenne (fig.5). Les établissements ont
pu être classés selon quatre niveaux hiérarchiques, en
fonction de leur superficie, de leurs reliefs et du mobilier
trouvé en surface. Dans de nombreux cas, la vocation
principale d’une construction ou du moins certaines des
activités pratiquées sur place peuvent être déterminées.
Ainsi, 48 sites sont associés à des mardelles, dépressions
circulaires en partie comblées par des dépôts organiques,
qui sont généralement identifiées à des mares. Des analyses polliniques faites par H. Richard (2003) sur deux
d’entre-elles à l’occasion de sondages, ont révélé des
concentrations importantes de céréales. On peut donc
raisonnablement proposer l’hypothèse d’exploitations
agricoles pour ces « sites à mardelle ». D’autres types
d’établissements ont également pu être identifiés par
leur matériel de surface ou le dégagement de leurs structures 21 petits ateliers métallurgiques, 4 ateliers de tuiliers, un sanctuaire attesté et deux autres présumés, auxquels s’ajoutent quelques stations routières probables,
sur des parcours de voies romaines.
La répartition topographique des constructions révèle des
choix d’implantations assez variés. La proximité de l’eau
semble toutefois assez déterminante, puisque les deux
tiers des sites sont installés à moins de 300 m d’un cours
d’eau. Les terres sont ici très peu fertiles en moyenne,
mais les établissements ruraux évitent les terrains les plus
difficiles à travailler, et notamment les sols hydromorphes
(Bourdet, 2000). Un constat analogue a d’ailleurs pu être
établi à l’échelle de l’ensemble du territoire biturige par
A. Maussion dans le cadre de sa thèse (2003 ; Maussion
et Gandini, 2003).
Quant aux tests de J.L. Dupouey et E. Dambrine sur la
composition des sols et la flore actuelle, autour d’une
sélection représentative de 10 sites, ils livrent des indications sur l’extension des terres exploitées autour des sites
gallo-romains. La baisse de l’acidité du terrain dans l’environnement des bâtiments peut être liée à la présence,
rare au demeurant, de calcaire et de mortier dans les
constructions, mais aussi à l’amendement des terres pour
l’agriculture. Quant à l’augmentation du phosphore et de
l’azote, elle indique des enclos à bétail, ou des champs
cultivés ayant reçu un apport de fumier. Cette présence
des animaux d’élevage est d’ailleurs suggérée par les
nombreuses mardelles voisines des constructions, même
L. LAÜT
Figure 5 : Caractérisation des sites gallo-romains en forêt de Tronçais
si pour l’heure, les sondages et fouilles n’ont livré aucun
reste osseux, en raison de l’acidité du terrain. La biodiversité actuelle est également marquée par ces usages
antiques, puisque l’on observe une plus forte densité et
une plus grande variété d’espèces végétales autour des
sites. Mais il est intéressant d’observer que ces différentes
perturbations se limitent à un périmètre relativement restreint de 100 m à 200 m autour des bâtiments. Or, les
analyses anthracologiques et polliniques révèlent une
forte ambiance forestière autour des bâtiments testés.
L’hypothèse initialement émise par H. Richard, d’établissements ruraux implantés dans des clairières, se voit donc
étayée par ces résultats.
4. - Conclusion
A l’issue de ce rapide tour d’horizon du Berry et du
Bourbonnais, il apparaît indéniable que les forêts représentent de réels conservatoires du patrimoine, où tout
n’est certes pas visible, mais où la couverture végétale
assure une excellente protection des vestiges. Au-delà de
ce premier bilan du potentiel archéologique des forêts
locales, l’analyse spatiale à l’échelle d’un grand territoire
a livré un certain nombre de pistes de recherches, sur la
répartition des surfaces agricoles et des surfaces boisées
à l’époque romaine. Dans cette perspective, la forêt de
Tronçais a été un terrain d’expérimentation privilégié où
l’enquête, menée conjointement par des archéologues,
pédologues, botanistes et palynologues, a fourni un faisceau d’indices révélant un environnement forestier, dès
l’époque romaine. Cette forêt antique devait être beaucoup moins compacte que l’imposante chênaie actuelle,
pour laisser se développer une agriculture modeste et
d’assez nombreuses productions artisanales, à partir
d’une centaine d’établissements ruraux. Mais un tel scénario n’est certainement pas valable partout, et seule la
multiplication des données de terrain permettra de compléter ces premiers éléments de réponse. Il reste donc à
souhaiter la mise en oeuvre d’interventions similaires, sur
d’autres massifs forestiers du territoire biturige, pour étoffer progressivement notre connaissance de l’occupation
105
L. LAÜT
du sol et de l’espace forestier antique.
5. - Remerciements
Nos remerciements vont à tous ceux qui ont apporté leur
contribution à cette enquête ou qui ont facilité sa réalisation : O. Buchsenschutz (Paris, UMR 8546 du CNRS) et
les autres membres du PCR « Territoire biturige » dont
les travaux ont été cités, Elie Bertrand (†) (Cérilly), J.-L.
Dupouey et E. Dambrine, (INRA-Nancy), H. Richard
(Besançon, UMR 6565, CNRS), Y. Lejean (ONF-Allier), J.
Moulin (Chambre d’agriculture de l’Indre), Ph. Vergain,
puis F. Letterlé (SRA Auvergne) ainsi que tous les prospecteurs et fouilleurs bénévoles ayant participé aux opérations en forêt de Tronçais.
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107
108
La forêt de Brotonne dans l’antiquité
Marie-Clotilde LEQUOY
Direction Régionale des Affaires Culturelles de Haute-Normandie, Service Régional de l’Archéologie – 12 rue Ursin Sheid – 76140 Le Petit Quevilly
[email protected]
Résumé
La forêt domaniale de Brotonne occupe un méandre de la basse vallée de la Seine sur plus de 7000 ha. C’est une forêt
ancienne, citée sous le nom de forêt d’Arelaune dans plusieurs textes de l’époque mérovingienne. Un grand nombre de
sites archéologiques gallo-romains ont été découverts à l’intérieur du massif et leur présence laisse penser que la couverture végétale environnant ces habitats était très différente du paysage forestier qui s’est développé à la fin de l’antiquité en fossilisant ces vestiges.
Les sites d’habitat se répartissent sur les meilleures terres, les limons situés en rebord du plateau, dans la partie sud du
massif, et ceux correspondant à un méandre abandonné de la Seine. L’occupation antique a fait l’objet de plusieurs
années de recherches alliant prospections, sondages et fouilles étendues, qui ont révélé un terroir assez densément peuplé, occupé par de riches domaines fonciers. En témoignent les dimensions exceptionnelles d’une villa ornée de
mosaïques, l’étendue d’une autre villa qui pourrait être l’héritière du domaine d’un aristocrate gaulois, la richesse d’une
troisième révélée par un trésor comprenant de nombreux bijoux en or. A côté de ces grands établissements, figurent des
habitats plus modestes, un village d’artisans, des lieux de culte.
Abstract
The national forest of Brotonne occupies approximately 17300 acres in a meander of the low valley of the Seine. It is an
old forest, called forest of Arelaune in several texts of the mérovingienne périod. However, many Gallo-Roman archeological sites were discovered inside and their presence lets think that the vegetable cover surrounding these habitats was
very different from the forest landscape which developed in the end of antiquity by fossilizing these vestiges. The sites
of habitat are distributed on the best grounds, the silts located in edge of the plate, in the southern part of the forest,
and those corresponding to an abandoned meander of the Seine. The ancient occupation was the subject of several
years of research combining prospections, surveys and extended excavations, which revealed a soil rather populated,
occupied by rich landowners. An exceptional large villa was decorated with mosaics, another one succeeded to a gaulish aristocrat’s country house, a treasure including many gold jewels was found in a third one. There were also, near
these great establishments, modest houses, a craftsmen village, religious places.
La forêt de Brotonne occupe aujourd’hui environ 7000
hectares d’un méandre de la rive gauche de la Seine et
s’étend sur le territoire de deux communes, La Maillerayesur-Seine et Vatteville-la-Rue. Ce massif forestier est
connu sous le nom de forêt d’Arelaune dans des textes de
l’époque mérovingienne où il apparaît à plusieurs
reprises. La plus ancienne mention est issue de l’Histoire
1
des Francs de Grégoire de Tours : en 537, Clothaire Ie,
poursuivi par Théodebert et Childebert, trouve refuge
dans la forêt (in silva Arelauno). Un peu plus tard, saint
Condède2, venu d’Irlande, débarque au port d’Arelaune
et traverse la forêt du même nom pour se rendre à l’abbaye de Fontenelle (Saint Wandrille-Rançon). En 7153,
Dagobert III renouvelle le privilège accordé par Childebert
à l’abbé saint Bénigne de Fontenelle, soit la donation du
quart de la forêt. Ce dernier texte est particulièrement
intéressant car il cite plusieurs toponymes servant de
limite à la concession. Malheureusement, la plupart sont
très difficiles à identifier.
La forêt d’Arelaune ou de Brotonne, attestée comme propriété royale depuis le VIe siècle, semble être l’héritage des
empereurs romains, en application du code théodosien
de 395 qui donne au fisc les terres vacantes. A la fin du
IVe siècle, il semble donc que ce terroir soit dépourvu de
toute occupation humaine et que les terres soient à l’état
d’abandon ou de landes. Cependant, rien n’indique que
la forêt est déjà constituée.
Mais à partir de l’époque mérovingienne, la forêt est citée
en temps que telle. Néanmoins le terme latin de silva ne
recouvre pas tout à fait le terme de forêt dans son accep-
(1) Historia francorum , in M.G.H., scriptores rerum merovingicarum, II, 2, p.282, 25.
(2) Vita Condedi, éd. Levison, in M.G.H., scriptores rerum merovingicarum, V, 1910, p.644-651.
(3) Gesta sanctorum patrum fontanellensis coenobi (gesta abbatum fontanellensium), éd. Lohier (Dom F.) et Laporte (R.P.J.), 1936, p.29-30.
109
M-C. LEQUOY
tion moderne. La forêt mérovingienne est constituée
tout autant de landes que de taillis et ne ressemble en
rien aux belles futaies actuelles. Au XVIe siècle encore, la
forêt de Brotonne apparaît comme peuplée essentiellement de taillis4, souvent jeunes, car les besoins massifs en
bois de chauffage ne permettent pas à la forêt de se
développer durablement.
Les limites du massif forestier se fixent dès l’époque
moderne car les cartes du XVIIe et du XVIIIe siècle ne montrent guère de modifications par rapport à aujourd’hui.
Par contre, on peut s’interroger sur les lisières médiévales
de la forêt, notamment lors du grand mouvement de
défrichement du XIIe siècle, car de très nombreux toponymes situés le long de la limite sud ainsi que des lambeaux de bois semblent évoquer un essartage d’une
bande d’environ 500 m à 1 km, parallèle à la limite
actuelle. La plupart de ces terres sont aujourd’hui occupées par des prairies mais elles ont été cultivées anciennement car des survols aériens ont montré des traces de
champs en billons très visibles en lumière rasante5, en particulier sur la commune de La Haye-Aubrée.
Cependant, bien que la couverture forestière du méandre
de Brotonne soit ancienne, la découverte de nombreux
vestiges archéologiques gallo-romains implique une occupation du sol très différente à cette époque. L’habitat y
est relativement dense et l’activité agricole très présente.
Mais en l’absence d’études environnementales, le paysage est difficile à restituer.
Les premières découvertes archéologiques sont totalement fortuites et se situent en bordure de forêt. En 1810
(Lequoy, 1976, p.119-121), l’abbé Rever identifie, au
hameau du Flacq (commune d’Aizier), un bâtiment
chauffé par hypocauste que la Seine a mis à découvert en
bord de rive lors d’une tempête. En 1811 est découvert
un trésor au Landin, en lisière de forêt6. Mais c’est Léon
Fallue (1836) qui réalise le premier travail d’envergure sur
la forêt. Il dresse un inventaire détaillé et cartographié de
tous les vestiges connus à partir d’enquêtes auprès des
habitants et des gardes forestiers. Son travail incorpore
aussi bien des vestiges attestés et reconnus par lui sur le
terrain que les nombreuses mares, puits et indices de sites
qu’il a vus ou qu’on lui signale. Son œuvre présente une
grande richesse documentaire et, même si son utilisation
en est malaisée, constitue la base de toutes les recherches
ultérieures.
Quelques années plus tard, un inspecteur des Eaux et
Forêts, R. Charlier, effectue des fouilles archéologiques
sur une villa gallo-romaine à la suite de la découverte for-
tuite d’une mosaïque (Charlier, 1837-1839 et 1844). Puis,
bien que les vestiges de la forêt soient régulièrement cités
dans les inventaires de sites, leur emplacement tombe
peu à peu dans l’oubli. Ce n’est que dans les années
1974-1975 que de nouvelles recherches sont entreprises.
Le point de départ en est un travail universitaire (Lequoy,
1976) basé sur un inventaire complet de toutes les découvertes antérieures avec vérification sur le terrain. La prospection en forêt7 limitée à l’origine à la reconnaissance
des vestiges signalés par la bibliographie et notamment
par L. Fallue, s’étend rapidement aux alentours, dans un
rayon de plus en plus éloigné, jusqu’à parcourir des parcelles forestières entières. La prise de croquis est systématisée et des relevés au théodolite sont programmés sur les
sites les plus importants. Enfin, la prospection se développe particulièrement dans les années 1984-19878 sur
les parcelles devant être mises en labour. Mais devant
l’immensité de la tâche (le nombre des parcelles est beaucoup trop important), il est fait le choix de parcourir en
priorité les « zones vides » pour vérifier la présence ou
non de vestiges ainsi que les endroits susceptibles d’être
les plus favorables à une occupation humaine, selon des
critères définis par les expériences précédentes : rebord
de plateaux, sols favorables à l’agriculture… En effet, la
plupart des sols recouverts actuellement par la forêt sont
relativement pauvres car ils correspondent à l’emplacement des anciennes terrasses de la Seine. Mais d’autres
terres sont plus fertiles. Ce sont d’une part les formations
superficielles du rebord du plateau, constituées par des
limons qui recouvrent l’argile à silex, et d’autres part les
alluvions situées le long du méandre abandonné de la
Seine.
Le méandre de Brotonne est un territoire un peu à l’écart
des grands axes de circulation bien qu’il constitue le dernier point de passage aisé d’une rive à l’autre avant l’embouchure du fleuve. Car plus en aval, des marais rendent
difficile la traversée de la Seine et il a fallu attendre ces
dernières années pour qu’un pont soit enfin construit.
Dans l’antiquité, une voie permettait de relier Brionne
(Breviodurum) à Lillebonne (Juliobonna) par une traversée
au niveau de Vieux Port ou Aizier. Une branche de cette
voie remontait le long de la rive pour trouver un nouveau
passage au sommet du méandre en direction de
Caudebec-en-Caux (Lotum). Ce denier embranchement,
qui n’est pas mentionné dans les itinéraires antiques, est
probablement un axe secondaire. Il est néanmoins cité
comme via publica dans la donation de Dagobert III en
715.
(4) Arpentage de la forêt de Brotonne, 1565-1567 (Archives Nationales, KK 947). Dans ce texte, la forêt est divisée en dix gardes dont les noms subsistent encore. Sur les
13621 arpents que compte alors la forêt, seuls 2200 arpents sont en demi-futaie, le reste est en taillis de qualité diverse.
(5) Gauthier N., Prospection aérienne, bilan des deux premières années, juillet 1984-juin 1986, p. 6, pl. II, dans Rapport de l’A.T.P. La basse vallée de la Seine, Service Régional
de l’archéologie.
(6) Loriot X. et Scheers. S., Corpus des trésors monétaires antiques de la France, IV, Haute-Normandie, p.85-86.
(7) La prospection a été réalisée pendant les deux premières années avec l’aide des étudiants du Groupe Universitaire de Recherches Archéologiques de Rouen puis à partir de 1976, pendant plus de 10 ans, par les membres du Groupe Archéologique du Val de Seine sans qui ce travail n’aurait pu se faire. Je remercie tous ceux qui y participé, en particulier E. Cordier, R. Legros, B. Montfort, B. Penna, J.-C. Rabiot, P. Sorel qui ont travaillé avec moi durant de nombreuses années.
(8) Dans ces années, a été mis en place un programme de recherches inter-disciplinaire dans le cadre d’une A.T.P. du C.N.R.S. sur la basse-vallée de la Seine (coordination
M.-C. Lequoy).
110
M-C. LEQUOY
Figure 1 : Forêt domaniale de Brotonne - cellule carte archéologique
111
M-C. LEQUOY
Sur la carte archéologique de la forêt (fig.1) apparaissent
les 70 sites actuellement répertoriés. Quelques-uns
appartiennent à l’époque néolithique et quelques autres
à la période médiévale mais le plus grand nombre sont
soit des enceintes et des parcellaires d’époque indéterminée, soit des vestiges gallo-romains (habitat, tombes, trésors monétaires, objets isolés) ou encore des puits qui le
plus souvent constituent des indices pour localiser un
habitat dans les environs. Dans cet article, nous avons
choisi de présenter plus spécifiquement les habitats
antiques car c’est le domaine sur lequel la recherche est
la plus avancée. En outre la forêt de Brotonne offre à cet
égard un exemple remarquable de fossilisation de ces
sites et de leur environnement. Sont décrits ci-dessous les
principales découvertes avec un développement plus
important pour celles qui n’ont encore fait l’objet d’aucune publication.
armes (trois épées avec leurs fourreaux, 3 ou 4 umbos de
bouclier, un manipule, 5 lances), des outils (2 haches,
1 paire de forces), des éléments personnels (5 fibules,
1 rasoir), des éléments de chars (8 bandages de roue, clavette et garniture de stabilisation d’essieu, 3 barres de
soutien de caisse, fiches à anneau …), des éléments de
harnachement (3 mors à filets et gourmettes, 3 mors de
bride, 1 anneau porte-rênes ?), de la vaisselle (urne et
coupe en verre, 2 poteries, 1 chaudron et 1 vase en
bronze, 1 seau en bois à garniture de bronze).
Autour de la tombe, des micro-reliefs sont encore parfaitement visibles sous le couvert forestier. Tout le rebord du
plateau a été aménagé en une vaste terrasse qui couvre
environ 12 hectares. Près de la pente se trouve une
1. - Sépulture aristocratique de l’âge du
Fer et villa de la Grande Houssaye (fig. 1,
n°7)
Il semble paradoxal de commencer l’inventaire de l’habitat antique par la découverte d’une tombe aristocratique
de la fin de l’âge du Fer. Mais celle-ci est sans doute la
dernière demeure d’un riche propriétaire terrien du début
de la Tène D1 (vers 150-120 av. J.-C.) dont le domaine
pourrait s’être perpétué jusqu’à la période gallo-romaine.
En effet, la prospection a révélé la présence sur le même
emplacement d’une grande villa et d’un aménagement
parcellaire dont on ne sait pas, en l’absence de fouilles, à
quelle période exacte le rattacher.
Le rebord du plateau sur lequel fut trouvée la tombe gauloise est entaillé à l’ouest et à l’est par deux vallons secs
qui isolent une plate-forme quadrangulaire d’environ 600 m de
long sur 350 m à 500 m de large. Celle-ci présente au
nord un pente abrupte qui domine l’ancien méandre
abandonné de la Seine9 et est ouverte au sud du côté du
plateau.
La tombe était constituée d’une simple fosse de 1,60 m
de large et 0,60 m de profondeur. Au centre avaient été
déposés l’urne cinéraire, en verre, des restes du bûcher,
quelques objets métalliques brûlés et de la vaisselle en
céramique, verre et bronze. Un chaudron retourné les
recouvrait et huit bandages de roues de char, démontés,
les encerclaient Autour des bandages de roues et au dessus d’eux avaient été placés des armes, des outils et des
éléments liés au repas (fig.2). Le mobilier comprend des
éléments liés au foyer (grands chenets ornés de têtes de
taureau, trépied, chaîne de crémaillère, chaudron), des
Figure 2 : Tombeau de la Grande-Houssaye
enceinte quadrangulaire d’environ 80 m de côté. Une
tranchée de sondage de 30 m de long, ouverte sur le côté
est, a permis de connaître la formation du talus qui l’enclot. Il est constitué à sa base de la terre prélevée dans le
fossé qui le borde puis est surélevé par un apport d’argile
destiné à caler un muret de silex monté à sec et situé à
l’aplomb du fossé. Aucun élément de datation n’a été
découvert. Autour de l’enceinte s’ordonnent des talus de
parcellaire10. En arrière, sur plus de 400 m de long, s’étendent les vestiges d’une grande villa gallo-romaine. Le bâtiment principal (fig.3) semblerait être celui qui est situé à
l’ouest et conserve la plus grande élévation (environ 1 m).
Les autres bâtiments se présentent sous forme d’un léger
bombement, parfois presque imperceptible11 et se déve-
(9) Le méandre de Brotonne est abandonné par la Seine il y a environ 500 000 ans et devient fossile.
(10) Certains talus sont bien marqués, d’autres sont très arasés et n’ont pas été vus lors des premiers relevés, publiés en 1993.
(11) Cette difficulté à identifier certains bâtiments paraît due à la nature des matériaux de construction utilisés. En effet, la construction en bois et torchis est une pratique
courante dans la région et les mico-reliefs laissés par ce type de construction sont nettement moins visibles sur le terrain. Des relevés effectués par J. Bardat montrent néanmoins une acidification notable du milieu sur ces buttes. La présence de bâtiments sur solins de silex est confirmée par la découverte de solins dans le jardin de l’ancienne
maison forestière
112
M-C. LEQUOY
loppent jusqu’à un ensemble de plusieurs mares et excavations situées à l’est. Les tempêtes de ces dernières
années ont fait apparaître à proximité des mares des
restes métallurgiques (scories, laitier).
Figure 3 : Bâtiment principal de la villa de la Grande-Houssaye
coce (fin du Ier siècle av. J.-C.- début du Ier siècle ap. J. C. ?)
sur lequel reposent les premières maçonneries en silex,
élevées dans le courant du Ier siècle. Dans un troisième
état, est aménagée une pièce chauffée ornée d’enduits
peints. Puis les murs sont reconstruits en silex avec un
chaînage d’angle en pierres calcaires et la pièce, désormais froide, est agrandie par une abside. Enfin, après un
incendie, de gros remblais sont rapportés et il semble que
la phase finale (IVe siècle ?) soit constituée de bois et torchis.
Une prospection attentive des alentours de l’enceinte
principale a permis de dresser un plan de la villa (fig.4).
Les seuls éléments encore visibles sont ceux situés en
forêt. Les labours successifs ont effacé toute trace dans le
champ voisin et malgré plusieurs passages, nous n’y
avons remarqué que quelques fragments de tuiles dispersés et mis au jour depuis longtemps. Là encore, le couvert
forestier a joué un rôle de conservatoire des vestiges. Le
plan montre, en effet, non seulement la présence de plusieurs bâtiments formant la partie agricole mais aussi
l’emplacement de plusieurs mares, d’un puits, des cheminements le long de la villa et des entrées, l’aménagement
de cours annexes (jardin d’ornement, potager ?) de part
et d’autre de la partie résidentielle.
2. - Villa du Landin (fig. 1, n°8)
Ce site, à la lisière sud-est de la forêt, sur le plateau, est
particulièrement bien conservé en élévation. Le bâtiment
principal se présente sous la forme d’une butte de terre
élevée qu’on appelle « Le Catelier » (Fallue, 1836, p. 19).
Effectivement, il subsiste encore un tertre de 40 m sur 25
m et plus de 2 m de haut, entouré d’un talus imposant
bordé d’un fossé qui forme un enclos de 90 m sur 80 m
(fig.4). Celui-ci présente à l’ouest une entrée en chicane.
C’est peut-être pour cette raison que ces vestiges ont
attiré très tôt l’attention. Le Marquis de Sainte-Marie,
propriétaire des terres voisines et sous-préfet de PontAudemer, entreprend vers 1810 quelques recherches
dont nous ne savons presque rien et découvre un trésor12.
La composition exacte de celui-ci demeure incertaine car
quelques divergences apparaissent entre les différentes
mentions de la découverte. Il semble néanmoins se composer de 400 monnaies d’argent et de billons (antoniani)
du IIIe siècle (avec un terminus variant de Valérien/Gallien
à Claude II soit autour de 268/270), de bijoux dont un
remarquable bracelet en or et de trois vases incomplets
en bronze. L. Fallue réalise quelques fouilles sur le bâtiment principal dont il publie un plan en 1836. Celui-ci
présente deux corps de bâtiments parallèles séparés par
une cour ouverte au sud. En 1982, R. Legros13 effectue un
sondage destiné à préciser l’état de conservation du site
et sa chronologie. Il relève un niveau d’occupation pré-
Figure 4 : Plan de la villa du Landin
(12) cf note 6.
(13) Archéologue bénévole, membre du Groupe Archéologique du Val de Seine (R. Legros, 1982, D.F.S. 400, Service Régional de l’archéologie de Haute-normandie)
113
M-C. LEQUOY
3. - Villa de la mare des Crès (fig. 1, n°2)
Cette villa se situe à la lisière actuelle de la forêt, au sudouest, et ses vestiges s’étendent à la fois sous le couvert
forestier et dans le champ voisin. Le domaine est implanté
sur le rebord du plateau qui domine à l’est une ancienne
vallée sèche.
Les vestiges sont bien apparents malgré leur faible élévation. Deux tertres rectangulaires de dimensions modestes
(20 m x 12 m ; 12 m x 10 m) sont entourés d’un talus et
d’un fossé. A 200 m au sud, se trouvent une mare et une
autre structure de terre de même orientation. Quelques
tuiles gallo-romaines apparaissent à fleur de terre mais
aucune fouille ne semble avoir été effectuée sur cet
ensemble. Dans le champ contigu, une ancienne prairie
récemment mise en culture, subsistent des traces de bâtiments appartenant à la villa : nous avons constaté une
très faible pousse du maïs sur certaines zones. Il a été
collecté un grand nombre de débris de construction (silex,
tuiles) et de tessons de céramique gallo-romaine.
Cependant aucune structure n’était suffisamment apparente pour pouvoir être relevée en plan et un survol aérien
réalisé plus tard n’a rien apporté.
4. - Villa du Nouveau Monde (fig. 1, n°1)
Situés dans un contexte topographique très semblable à
celui de la villa de la mare des Crès, les vestiges de cette
villa sont constitués de deux ou trois bâtiments (l’un d’entre eux apparaît peu nettement dans la topographie et sa
présence mériterait d’être confirmée) qui s’étendent
autour de la mare du Glageux. Le site, très proche de la
lisière, se poursuit dans les champs voisins où l’on note les
traces d’un autre bâtiment ainsi que la prolongation du
parcellaire observé en forêt.
5. - Villa de la mare Callentin (fig. 1, n°3)
Cinq bâtiments sont implantés autour d’une mare, sur un terrain caillouteux de mauvaise qualité où l’argile à silex est très
proche de la surface et favorise la présence d’eaux stagnantes. Des relevés puis une fouille de sauvetage14 ont été réalisés avant le labour de la parcelle. Mais les niveaux archéologiques semblent avoir été fortement érodés lors d’aménagements antérieurs car il ne restait en place que très peu d’élévation (quelques murs sont arasés au niveau des fondations
et un seul niveau d’occupation était conservé).
Deux bâtiments ont fait l’objet de sondages. Le premier
a permis de reconnaître une construction sur poutres
sablières enterrées dont trois états ont été observés
mais n’ont pu être datés. Le second concerne un bâtiment carré de 15 m de côté, construit en bois et torchis
sur solins et murets de silex. La seule occupation
conservée est comprise entre la seconde moitié du IIe
siècle et le début du IIIe siècle.
Le mode de construction de cet ensemble et son mauvais
état de conservation n’ont pas permis d’en avoir une bonne
image lors des relevés et même au moment de la fouille.
Cependant les sondages ont été trop limités en surface.
Ces vestiges semblent correspondre à un habitat, probablement de type villa, construit en matériaux périssables
(bois et torchis). Un enclos formant une cour subsiste
encore à l’est sur toute sa longueur (180 m) ainsi qu’au
sud où il est conservé sur au moins 150 m.
6. - Villa de la Mosaïque (fig. 1, n°5)
Le site se trouve actuellement dans une parcelle plantée
en futaie de hêtres. Les vestiges des différents bâtiments
sont encore parfaitement visibles car ils forment des
buttes de terre aux formes quadrangulaires dont l’élévation est souvent comprise entre 0,50 m et 1 m de hauteur
-1,50 m pour la plus haute. La plupart de ces tertres présentent à l’intérieur des tranchées étroites qui correspondent à l’emplacement de murs récupérés. En effet, R.
Charlier, Inspecteur des Eaux et Forêts, qui entreprend les
premières fouilles sur la villa signale que « Il y a quelques
années, des ouvriers terrassiers chargés de l’empierrement d’une route voisine remarquèrent à la surface du sol
quelques silex qu’ils se mirent en mesure d’extraire ; au
lieu de cailloux isolés, ils trouvèrent des fondations de
muraille dont ils suivirent exactement les directions, en
sorte qu’aujourd’hui presque toutes les enceintes sont
indiquées par une espèce de petit fossé, mais partout, les
intérieurs sont restés intacts ». Ces affirmations ont été
confirmées par les sondages réalisés en 1976 et 1987.
Rien ne semble avoir changé depuis cette description, à
l’exception des emplacements où R. Charlier a réalisé des
fouilles. Ces zones correspondent à de grandes excavations qui apparaissent encore sur le terrain et permettent
de les identifier15. D’autres éléments sont perceptibles sur
le terrain : l’orifice d’un puits, l’emplacement d’une mare
pavée (fig.5), appelée mare des Buttes (Fallue, 1836) formée de trois bassins aux formes géométriques communiquant entre eux, des carrières, trois dépressions rectangulaires (enclos à bestiaux ?), l’emplacement probable d’un
ancien chemin qui longe la limite sud de la villa sur toute sa longueur.
Le site s’est implanté sur le rebord d’une terrasse
ancienne de la Seine, dominant un méandre abandonné
du fleuve. Le substrat géologique est formé par la craie
du Crétacé supérieur, Coniacien et Santonien, craie dure
dont les assises supérieures se prêtent bien à la taille et
dont quelques bancs affleurent à environ 400 m de la
villa. La craie est recouverte par des alluvions anciennes
formées de limons argilo-sableux. Sur ces formations
superficielles se développent des sols bruns lessivés.
(14) La fouille a été dirigée par B. Montfort, archéologue bénévole, membre du Groupe Archéologique du Val de Seine (B. Montfort, 1987 et 1988, D.F.S. 233 et 234,
Service Régional de l’archéologie de Haute-Normandie)
(15) C’est ainsi que l’on peut encore identifier sur le terrain l’emplacement où a été decouverte une grande mosaïque.
114
M-C. LEQUOY
Ils semblent desservis par un aqueduc, dont une partie a
été mise en évidence lors des fouilles du XIXe siècle, luimême alimenté par la source de Grainetieu, située à environ 400 m de là, sur une courbe de niveau très légèrement supérieure à celle des bains. Les deux corps de bâti-
Figure 5 : Mare de la villa de la Mosaïque
Le plan des vestiges visibles au sol a été relevé au théodolite. La villa s’étend sur 550 m de long et 150 m de large,
couvrant ainsi une surface d’environ 8 hectares. Dans une
première cour fermée par un muret (180 m x 150 m), se
trouvent deux corps de bâtiment parallèles reliés entre
eux par une galerie (partie résidentielle de la villa), l’un
des bâtiments formant séparation entre les deux cours.
C’est à l’extrémité sud-est du premier bâtiment qu’a été
découverte en 1838 la mosaïque d’Orphée16. Elle ornait
probablement le sol d’un triclinium (salle à manger)
comme le suggère l’abside adjacente, décorée elle aussi
d’une mosaïque à décor géométrique. Cependant l’un
des pavements semble plus ancien que l’autre et deux
états successifs ont peut-être été amalgamés ensemble à
l’époque.
Un sondage réalisé en 1987 (Lequoy, 1990, p. 116-117,
fig.6) montre quatre phases d’occupation principales :
construction au début du Ier siècle d’un édifice en bois et
torchis sur des solins de silex ; renouvellement de cet
habitat en bois et torchis dans une deuxième phase ; puis,
après un incendie, construction d’un bâtiment maçonné
avec une galerie en façade (poteaux de bois sur dés de
pierre) ; enfin élargissement de la galerie et utilisation de
colonnes en pierre, embellissement de la pièce située à
l’arrière par un dallage de pierre. La fin de l’occupation
est mal cernée en raison de la destruction de ces niveaux
par les fouilles du XIXe siècle. Mais on note dans les inventaires anciens une série monétaire qui se prolonge jusqu’à
Constantin et une verrerie à décor émaillé, manifestement tardive. On peut donc raisonnablement imaginer un
abandon définitif du site dans le courant du IVe siècle.
Le deuxième bâtiment semble une adjonction au premier,
à une date inconnue. Il comprend une double galerie installée de part et d’autre d’un édifice carré (entrée ?)
construit au-dessus d’une cave. A l’extrémité sud, sont
installés des thermes privés ornés de plusieurs mosaïques.
Figure 6 : Sondage réalisé en 1987 dans la villa de la Mosaïque
ments sont reliés par une galerie et délimitent ainsi une
petite cour intérieure bordée de portiques17.
Autour de cet ensemble, se trouve une vaste cour fermée
par un muret de silex, dans laquelle se trouve un puits.
Elle paraît avoir été cultivée. En effet, un sondage réalisé
perpendiculairement au mur de clôture a révélé une terre
limoneuse d’excellente qualité qui a été travaillée régulièrement comme le montre la constitution d’une sorte de
semelle de labour à une profondeur voisine d’un fer de
bêche18. La qualité du terrain est confirmée par un relevé
phytocoenologique réalisé par J. Bardat (1987) qui écrit à
ce propos : « il permet de constater que le sol est très
humifère et chargé de fragments de craie lui conférant
l’aspect d’un sol brun calcique… On peut supposer que
cet endroit pouvait avoir fait l’objet d’une antique activité
de jardinage (ornemental ou potager) car le sol initial est
un limon lessivé dont l’aspect et les caractéristiques texturales permettent de le classer dans le type lessivé
acide ».
A l’est de la partie résidentielle se développe une seconde
cour, la partie agricole de la villa. C’est là que se trouvent
une mare, des bâtiments d’exploitation, plusieurs dépressions aux formes régulières (enclos à bestiaux ?).
Cette villa, par ses dimensions importantes, son décor
(colonnes de pierre, mosaïques), la présence de thermes,
(16) Cette mosaïque, déposée au Musée départemental des Antiquités de Rouen, a été étudiée par J. P. Darmon ainsi que celles des thermes dans Recueil général des
mosaïques de la Gaule, II, province de Lyonnaise, Xe supplément à Gallia, Paris, 1994, p. 85-88, Pl. LI-LXIII.
(17) Ce type de plan, avec des bâtiments entourant un péristyle se retrouve dans les villas les plus importantes : Vieux-Rouen-sur-Bresle, Saint Marguerite-sur-mer (CiezarEpailly L., Agglomérations secondaires et villae, dans Rogeret I., Carte Archéologique de la Gaule, La Seine-Maritime, 1997, p. 85).
(18) Cette observation a été confirmée oralement par le Centre de géomorphologie de Caen lors d’une réunion de l’A.T.P. Vallée de Seine.
115
M-C. LEQUOY
le plan centré du bâtiment principal autour d’un péristyle,
est très probablement la résidence d’un riche propriétaire
dont le domaine devait s’étendre sur une grande superficie. Sa présence implique une vaste zone de prairies et de
cultures alentours, ce qui pose le problème de la couverture végétale existant à cette période (elle est actuellement en plein cœur de la forêt). Le choix de la position
topographique de la villa est assez remarquable. Elle
bénéficie de la ligne de sources située à la base du plateau, de la craie qui affleure sur les versants, des meilleures terres du méandre constituées par les limons des
alluvions anciennes et enfin d’une situation sur une pente
très douce.
7. - La fontaine de Grainetieu
gonale à côtés légèrement convexes d’environ 5 hectares.
Deux interruptions du talus, l’une au nord-est, l’autre à
l’ouest marquent peut-être les entrées. Dans la zone centrale du polygone se trouvent deux sources devant lesquels sont aménagés des bassins (fig.7) ; un système de
dérivation relie les deux points d’eau vers un troisième
bassin situé près de l’entrée nord. D’après L. Fallue
(1836), cette source appelée « la fontaine de
Grainetieu » avait été bouchée volontairement par une
masse d’argile plaquée sur une armature de bois. Elle fut
dégagée en 1835 lors d’une grande sécheresse dans le
pays et, à cette occasion, de la céramique gallo-romaine
fut découverte.
Ces sources constituent un approvisionnement aisé en
eau courante à l’intérieur du massif forestier et le choix
d’implanter une grande villa possédant des thermes à
proximité n’est sûrement pas fortuit.
8. - Site des Trois Pierres (fig. 1, n°6)
Les vestiges se trouvent, comme ceux de la villa de la
mosaïque, le long du méandre abandonné de la Seine,
dans une parcelle occupée, lors des premières
prospections, par un taillis naturel dense de charmes. Les
vestiges se composent de trois bâtiments de dimensions
modestes qui s’étendent d’est en ouest sur 140 m de
longueur, le premier et le deuxième étant séparés par
deux mares. Le bâtiment situé au centre présente un plan
en équerre et à environ 20 m de lui, on remarque l’orifice
d’un puits maçonné en silex. Celui-ci, a un diamètre de
1,20 m et s’ouvre au fond d’un creusement en entonnoir
d’environ 4 m de diamètre. D’autres micro-reliefs ont été
repérés dans la parcelle forestière située au sud mais la
densité de la végétation (ronces, fougères) n’a pas permis
de les relever. Ce site a été fouillé partiellement en 1845
(Lequoy, 1976, p.73-74, fig.8) mais seul le mobilier est
succinctement décrit dans un inventaire. Y figurent
notamment de nombreuses figurines en terre cuite, une
déesse mère, trois Venus anadyomènes, les fragments
d’une trentaine d’autres statuettes et un cheval ainsi
qu’une série de monnaies s’échelonnant de Claude (milieu
du Ier siècle) à Constantin II (milieu du IVe siècle) et des objets de
parure.
Figure 7 : La fontaine de Grainetieu
A proximité de la villa ci-dessus, au pied du versant abrupt
du plateau qui domine le méandre abandonné de la
Seine, se situe une ligne de sources. Six points d’eau, qui
s’échelonnent sur une distance d’environ 500 m, ont été
repérés. Tous présentent un aménagement comparable :
un bassin de réception pavé de silex qui se prolonge par
des fossés de dérivation.
Un ensemble est particulièrement remarquable par l’ampleur des travaux réalisés. Il est entouré d’un talus
conservé sur 0,60 m de haut qui forme une enceinte poly-
En 1990, à l’occasion d’une coupe d’éclaircie du taillis et
de l’aménagement de chemins coupe-feu (l’un des
bâtiments s’étant retrouvé au milieu du passage), le site a
fait l’objet d’une fouille préventive19. Le bâtiment dégagé
(7,50 m x 3,80 m) est construit dans un premier état (IIe
siècle) sur des soubassements de silex. Les angles
extérieurs sont renforcés par des blocs de grès, les angles
intérieurs par des pierre calcaires. Il est constitué de deux
pièces aux sols en terre battue mêlée de craie. Après un
incendie, les maçonneries sont reprises pour installer une
(ou deux ?) pièces chauffées par hypocauste et un
(19) B. Montfort, 1990, D.F.S. 399, Service Régional de l’archéologie de Haute-Normandie.
116
M-C. LEQUOY
appentis servant de salle de chauffe. Au nord, est accolée
une autre pièce (3,20 m x 2,20 m) dont les murs sont
bâtis en bois et torchis. A l’intérieur, un petit bassin
polygonal se vidangeait par un conduit en terre cuite
(tuiles rondes). La présence de conduits de chaleur
remontant le long des murs, de nombreux fragments de
verre à vitre dans les décombres ainsi que d’enduits peints
à décor figuratif illustre le souci d’un certain confort.
S’agit-il de bains, constitués d’une ou deux pièce(s)
chaude(s) et d’une pièce froide ? Une tranchée ancienne
de fouilles a été retrouvée (fouilles de 1845 ?) en travers
de cet édifice. La liste du mobilier en bronze (fibules,
miroir, bague, monnaies...) et en os (une dizaine
d’épingles) recueilli en 1845 est assez caractéristique des
bains mais la présence de statuettes aussi nombreuses
posent question. On s’attendrait davantage à trouver ce
type d’objets dans un sanctuaire.
Deux habitats seulement ont été fouillés (fig.9). Le premier, daté du IIe siècle, est une maison de trois pièces (8
m x 6, 80 m) dont la plus grande est chauffée par hypocauste grâce à un fourneau adjacent abrité par un
auvent. Les murs sont constitués d’un petit appareil de
silex et les angles de la pièce chauffée sont renforcés par
un chaînage de briques. La deuxième maison, située à
peine à une dizaine de mètres, n’a été fouillée qu’en partie. Dégagée sur 8 m de longueur, elle possède des soubassements en silex (élévation en bois et torchis ?) et un
sol en terre battue dans lequel deux foyers ont été aménagés de part et d’autre d’un refend. Elle était ornée
d’enduits peints. Entre les deux édifices se trouve une
cour dans laquelle s’opérait probablement un travail du
fer (présence d’un four, de nombreux déchets). A côté on
peut noter la présence d’un puits maçonné et d’une mare
asséchée. Deux bas fourneaux ont été mis en évidence à
40 m à l’ouest de la première maison.
Figure 8 : Le site des Trois Pierres
Le bâtiment fouillé se situe un peu à l’écart des deux
autres, dont il est séparé par les mares. Faut-il y voir des
bains dépendant d’un habitat ou est-il en relation avec un
sanctuaire ? Le plan des vestiges visibles sur le terrain
n’est pas caractéristique d’une villa mais il est actuellement incomplet. Il sera nécessaire d’entreprendre d’autres recherches pour répondre à cette question.
9. - La petite agglomération rurale des
Landes (fig. 1, n° 4)
Elle est implantée sur le rebord de l’ancien méandre abandonné de la Seine, dans une position topographique semblable à celle du site des Trois Pierres et de la villa de la
mosaïque. Le nombre d’habitations qui la compose
demeure inconnu mais la population vivant dans ce secteur peut être déduite des 431 tombes rassemblées dans
la nécropole située à proximité immédiate (environ 150 m
au sud), ces sépultures s’étalant du début du Ier siècle au
début du IVe siècle20.
Figure 9 : Plan du site des Landes
Sur la partie haute de l’ancienne terrasse, au nord-est de
l’habitat, se trouve un réseau de petits fossés qui se coupent perpendiculairement entre eux. Ils semblent dessiner
un parcellaire agraire. Des sondages ont fait apparaître
deux niveaux successifs de vallonnements réguliers des
couches archéologiques qui s’apparentent à des fonds de
sillons. Le niveau inférieur correspondrait à l’antiquité, le
niveau supérieur au XIIe siècle (présence d’un prieuré
médiéval à proximité). Des analyses palynologiques21 ont
mis en évidence pour la période gallo-romaine la présence de prairies, de culture de céréales (sarazin) et de
noyer, soit un milieu ouvert et non pas forestier.
Au sud de l’habitat se développe une nécropole (429 incinérations, 2 inhumations dont une d’enfant). Les fouilles
(20) Ce site a fait l’objet de fouilles programmées par M.-C. Lequoy de 1976 à 1987.
(21) Ces analyses ont été réalisées par M.-F. Huault (Université de Haute-Normandie).
117
M-C. LEQUOY
ont permis, outre l’étude du rituel funéraire, de mesurer
le développement du site et son ouverture vers l’extérieur
au cours des trois premiers siècles de notre ère. Les
tombes du Ier siècle apparaissent en effet peu nombreuses
et les dépôts sont modestes. A partir du milieu du IIe siècle, le mobilier funéraire se diversifie avec l’apparition de
céramique sigillée, de verrerie et d’objets en bronze. Au
IIIe siècle, les sépultures sont trois fois plus nombreuses
qu’au Ier siècle. L’urne funéraire est désormais accompagnée par des objets plus variés et en plus grand nombre
(2 à 3 objets en moyenne alors qu’au Ier siècle, l’urne est
le plus souvent seule ou accompagnée d’une seule autre
céramique. Cet accroissement notable du nombre des
tombes et de la richesse du mobilier indique vraisemblablement une augmentation de la population vivant sur
place et une ouverture du site aux circuits économiques
voisins.
Bien qu’abandonné au début du IVe siècle, cet habitat a
peut-être survécu dans les mémoires car c’est à cet
emplacement que s’installe au XIIe siècle le prieuré Saint
Ouen de Brotonne, dépendant de l’abbaye Saint Pierre de
Préaux.
Ainsi, le territoire de la forêt de Brotonne a connu une
occupation importante dans l’antiquité en raison de plusieurs facteurs. Certains sols y sont d’assez bonne qualité.
C’est le cas notamment des alluvions anciennes qui se
développent le long du méandre abandonné de la Seine
et des limons des rebords du plateau (toute la lisière sud
de la forêt). Ces derniers reposent sur l’argile à silex mais
en bordure de pente, leur épaisseur n’est pas très importante (à l’inverse du plateau où leur épaisseur atteint souvent plusieurs mètres), et ils sont mieux drainés, ce qui en
fait des terres moins lourdes à travailler. Les vestiges
archéologiques y sont nombreux, comme c’est le cas tout
du long de la vallée de la Seine, et sont dans l’ensemble
bien conservés sous le couvert forestier. Les sites placés
actuellement à la lisière montrent un état de conservation
très différent suivant qu’ils se situent en zone boisée ou
en terrain cultivé. C’est la présence des micro-reliefs qui a
permis d’obtenir des résultats très positifs par la prospection. Celle-ci s’est établie dans la durée et de multiples
passages sur les mêmes sites ont permis la plupart du
temps d’obtenir des compléments d’information ou de
compréhension. Quelques sites ont été relevés en plan, ce
qui a permis d’élaborer une réflexion archéologique plus
approfondie sur la structuration et l’environnement des
vestiges repérés. Ainsi, au moins trois ensembles s’étendent sur plus de 10 hectares. Des sondages et des fouilles
ont confirmé l’excellent état de conservation et l’intérêt
majeur de ces sites. Même ceux qui ont été fouillés au
XIXe siècle ne l’ont été que très superficiellement et ces
travaux n’ont pas entamé le fort potentiel archéologique
des vestiges.
Mais ceux-ci sont fragiles du fait de leur faible profondeur d’enfouissement. Sur le site des Landes, les murs
118
des bâtiments affleuraient à la surface du sol et le dernier niveau d’occupation se trouvait à une profondeur
de 10 à 15 cm. Dans la nécropole, la terre noire cendreuse recouvrant les tombes apparaissait sous les feuilles
et les sépultures étaient enfouies entre 25 à 70 cm de
profondeur. Le niveau supérieur de la riche tombe gauloise de la Grande Houssaye était à environ 20 cm sous
le sol actuel. A la mare Callentin, un labour de surface
effectué une quinzaine d’années avant la fouille avait
détruit presque tous les niveaux d’occupation de l’habitat. La richesse du patrimoine archéologique forestier,
qui a été préservée pendant des siècles, risque donc de
disparaître à brève échéance si on n’y prend pas garde.
De simples débardages mal conduits peuvent avoir un
fort impact sur le sol forestier. A titre d’exemple, sur la
villa du Landin, des photos prises vers 1975 puis en
1987 lors des débardages après une tempête et enfin
récemment en 2006 montrent qu’un site magnifiquement conservé présente actuellement un tassement
important du sol qui le transforme en zone humide une
bonne partie de l’année. Devant l’évolution des techniques de sylviculture, le patrimoine archéologique en
milieu forestier paraît bien fragile. Il est donc particulièrement important de définir une politique en la
matière, en concertation entre l’ONF et la DRAC, et on
ne peut que saluer les initiatives qui se développent
actuellement, tant en Haute-Normandie qu’au niveau
national, et souhaiter qu’elles aboutissent à une prise
en compte raisonnée du patrimoine archéologique sans
être un frein à la nécessaire gestion de la forêt.
Bibliographie
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basse vallée de la Seine, rapport de l’A.T.P., Service
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M-C. LEQUOY
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presqu’île de Brotonne, Service Régional de l’Archéologie
de Haute- Normandie.
119
120
Les parcellaires anciens fossilisés
dans les forêts lorraines
Murielle GEORGES-LEROY (1), Dominique HECKENBENNER(2), Jean-Denis LAFFITE(3), Nicolas
MEYER(4) avec la collaboration de Etienne DAMBRINE et Jean-Luc DUPOUEY
(1) Conservateur du Patrimoine, SRA de Lorraine – 6, pl. de Chambre – 57045 Metz cedex 1, [email protected]
(2) Conservateur, Musée du Pays de Sarrebourg – Rue de la Paix – 57400 Sarrebourg, [email protected]
(3) Chargé d’études, INRAP Grand Est Nord, Rue de Méric – CS 80005 – 57063 Metz cedex 2, [email protected]
(4) Chargé d’études, INRAP Grand Est Nord, Musée du Pays de Sarrebourg – Rue de la Paix – 57400 Sarrebourg, [email protected]
(UMR 7044 Strasbourg)
Résumé
En Lorraine, deux grandes aires géographiques, étudiées depuis le XIXe s., font à nouveau l’objet depuis une dizaine d’années de recherches sur un type particulier de vestiges qui se présentent essentiellement sous la forme de pierriers : le
plateau calcaire des Côtes de Moselle, de Pont-à-Mousson à Neufchâteau et le piémont vosgien au sud-est de
Sarrebourg jusqu’au seuil du col de Saverne. Ces pierriers restituent un véritable paysage fossilisé qui peut couvrir des
surfaces considérables de plusieurs centaines d’hectares. Ils correspondent à des structures agraires (limites de parcelles,
terrasses, tas d’épierrement, etc), mais aussi à des voies, à des bâtiments, des nécropoles, des sanctuaires et des carrières.
A ce jour plusieurs milliers d’hectares sont inventoriés dans ces deux secteurs. Deux approches différentes, mais complémentaires sont mises en œuvre pour aborder ce type de structures. Dans le piémont vosgien, des relevés très détaillés au
théodolite ont été réalisés sur 80 ha, afin de mieux comprendre leur organisation spatiale et leur environnement (nécropole, sanctuaire, parcellaire). C’est en revanche une approche plus extensive qui a été privilégiée sur le plateau calcaire
avec des relevés beaucoup plus schématiques au GPS, mais couvrant d’immenses étendues (8000 ha) et leur intégration
à un SIG, en association avec des données environnementales.
Une majorité des sites étudiés est attribuable à la période gallo-romaine, mais certains sont toutefois datés de l’époque
médiévale. Ils témoignent d’une exploitation assez systématique et organisée de ces secteurs, qui a eu un fort impact
environnemental, encore sensible actuellement.
Les forêts lorraines recèlent de nombreux sites archéologiques. Dans cette région, la base Patriarche du
Ministère de la Culture et de la Communication, support de la carte archéologique nationale, recense
3000 entités archéologiques qui pourraient se situer
en forêt, sur un total de 25000 entités (état fin
2004)1. Dans le cadre de ce colloque, nous nous
sommes intéressés à un type particulier de sites, qui se
présentent essentiellement sous la forme de pierriers
(fig. 1). Ceux-ci restituent un véritable paysage fossilisé couvrant des surfaces considérables de plusieurs
dizaines voire plusieurs milliers d’hectares. Ils ont été
préservés, depuis plus de 1500 à 2000 ans pour certains, par le milieu forestier ; protection dont n’ont
pas bénéficié les autres vestiges qui ont été érodés ou
détruits par les labours ou les aménagements divers.
Ces pierriers, sortes d’éboulis allongés, sont en partie
recouverts par la végétation. Pouvant exceptionnellement atteindre 1,50 m, leur hauteur conservée ne
dépasse pas en général quelques dizaines de centimètres ; ils peuvent parfois être suivis sur plusieurs centaines de mètres de long. Associés à des terrasses,
empierrées ou non, ils délimitent des parcelles de
forme plus ou moins régulière, des enclos ou des chemins, souvent matérialisés par une double ligne de
pierriers. Mais certains de ces pierriers correspondent
aussi à des tas d’épierrements circulaires ou à des
bâtiments effondrés.
Ce type de vestiges est largement répandu en
Lorraine, mais il commence surtout à être connu dans
deux aires géographiques (fig. 2). La première zone
implantée sur le plateau calcaire des Côtes de
Moselle, entre Nancy et Neufchâteau, fait l’objet de
(1) Une entité archéologique est une information archéologique localisée, caractérisée par un ensemble cohérent de vestiges présentant une unité chronologique et/ou fonctionnelle sur un espace donné. Le calcul du nombre d’entités recensées en forêt a été fait en croisant la localisation des sites avec la couche des forêts lorraines. Le chiffre
obtenu est donc imprécis, car certaines entités archéologiques mal situées sont référencées sur le centroïde de la commune et d’autres sont imprécisément localisées.
121
M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER
gq
Luxembourg
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Allemagne
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Saverne
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Côte Bajocienne
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Sarrebourg
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Vestiges du
Piémont Vosgien
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NANCY
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Franche-Comté
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LEGENDE
50 km
Relief de Côte
Secteurs de parcellaires fossiles
Murielle Georges-Leroy del, août 2005
Figure 2 : Localisation des parcellaires fossiles (pierriers) conservés en forêt en
Lorraine.
Albert Fuchs et Emile Linckenheld. Elles ont à nouveau
été réétudiées dans les années 1970 par Etienne
Louis, Michel Loiseau et Philippe Bruant pour le plateau calcaire et par François Pétry et Marcel Lutz pour
les Vosges.
Figure 1 : Vue d’une terrasse empierrée à Saint-Quirin, Belle-Roche (cliché D.
Heckenbenner).
travaux depuis 1998 par une équipe composée d’archéologues du Service Régional de l’Archéologie et de
l’Institut National de Recherches Archéologiques
Préventives (Murielle Georges-Leroy, Jean-Denis
Laffite), de chercheurs de l’Institut National de
Recherches Agronomiques de Nancy (Etienne
Dambrine, Jean-Luc Dupouey) et d’agents de l’Office
National des Forêts (Philippe Loué).
La seconde zone, dans le piémont vosgien au sud-est
de Sarrebourg jusqu’au seuil du col de Saverne, est
étudiée depuis 1992 par une équipe d’archéologues
de divers statuts (Collectivité, INRAP, bénévoles) travaillant autour du musée du Pays de Sarrebourg
(Dominique Heckenbenner, Nicolas Meyer). Ces deux
zones sont toutes deux connues des érudits locaux
depuis le XIXe siècle : pour le plateau calcaire on peut
signaler les travaux de Etienne Olry, François
Barthélemy, Gustave Bleicher et Jules Beaupré, dans le
dernier tiers du XIXe siècle et pour le piémont vosgien
ceux de Alfred Goldenberg, Charles-Gabriel Beaudet
de Morlet, Timothée Welter, puis Adam Reusch,
122
Des vestiges semblables sont recensés dans d’autres
régions (Normandie, Bourgogne, ChampagneArdenne, Rhénanie et Eifel en Allemagne), mais on
signalera seulement à titre de comparaison ceux présentés lors de ce colloque sur le secteur des sources de
la Seine (E. de Laclos, M. Mangin) et la forêt de
Châtillon en Côte d’Or (Y. Pautrat, D. Goguey) et sur
la forêt de Brotonne en Normandie (M.-C. Lequoy).
1. - Le plateau bajocien entre Nancy et
Neufchâteau : l’exemple du massif
forestier de Haye
Principalement située dans le département de la
Meurthe-et-Moselle, entre Nancy et le nord de
Neufchâteau, la première zone d’étude, de près de
40 km de long sur 10 à 20 km de large, est implantée
sur des plateaux, culminant entre 350 et 450 m et
limités à l’est par les Côtes de Moselle et leurs buttes
témoins (fig. 3). Géologiquement ces terrains sont
des terrains calcaires ou marno-calcaires appartenant
au Bajocien, qui peuvent être localement recouverts
M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER
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tiges, dont 25 ha relevés). En plus des travaux de
cartographie, des sondages archéologiques y ont
été réalisés sur plusieurs bâtiments (Laffite, 2001
et 2002), ainsi que des travaux plus spécifiques,
dirigés par E. Dambrine et J.-L. Dupouey, sur
l’impact des occupations agricoles anciennes sur
le plan de la biodiversité forestière (Dupouey et
al., 2002). Pour plus de précisions, nous renvoyons à ces publications, ainsi qu’à un premier
état de la question présenté en 2000 (GeorgesLeroy et al., 2003).
Depuis 2000, ces travaux communs portent sur le
massif forestier de Haye. Implanté dans la boucle
de la Moselle entre Nancy et Toul, ce massif d’une
Forêt
superficie de 12000 ha est quasi exclusivement
d'Allain
constitué de la forêt domaniale de Haye (6500 ha)
et de forêts communales. Un très important travail
de cartographie systématique y est en cours
depuis 2000, et ce malgré les énormes dégâts causés par la tempête de décembre 1999, qui outre
un grand nombre de destructions posent des proForêt de Saint-Amond
blèmes
d’accessibilité
et
de
lisibilité.
Principalement réalisé par l’INRA et l’ONF à l’aide
Sion
de GPS (Patrick Behr et Philippe Loué), il intègre les
relevés effectués en 1979 par E. Louis au théodoSoulossesous-Saint-Elophe
lite et ceux menés depuis 1995 par Ph. Loué au
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5 km
topofil (ou au pas) et à la boussole. A ce jour, enviAgglomération secondaire
LEGENDE
Relief de côte
Voie romaine Lyon - Trêves
gallo-romaine
Réseau viaire secondaire
ron 6 700 ha répartis dans un quadrilatère de
Massif forestier actuel
Secteur de parcellaires
12 km sur 13 km sont relevés (fig. 4), mais il reste
Figure 3 : Inventaire des secteurs de parcellaires fossiles conservés en forêt entre Nancy et le
encore au moins 2000 ha à prospecter, principalenord de Neufchâteau, dans leur contexte gallo-romain.
ment dans la partie nord du massif. Il s’agit donc
de la plus importante zone de vestiges de parcellaires connue dans la région.
de formations superficielles limono-argileuses. De
Le choix du GPS pour la cartographie, malgré une précision
grands massifs forestiers, principalement des hêtraies,
bien moindre qu’un théodolite, surtout en milieu forestier,
couvrent presque entièrement ces plateaux. Il s’agit
et donc un relevé plus schématique2, a été fait car c’était
principalement de forêts communales ou domaniales,
ce qui facilite l’accès aux travaux de terrain.
alors le seul outil qui nous permettait cette approche extenDans ce secteur, 8000 ha de parcellaires fossiles ont été
sive. Nettement plus rapide qu’un levé au théodolite3,
inventoriés depuis 1993, ce qui représente 20 % de la
même si le temps consacré à ce relevé est tout de même
surface forestière du secteur. Les principales zones étuimportant du fait de l’étendue à couvrir (près de 200 km de
diées sont tout d’abord la forêt communale de Allain,
linéaire relevés à ce jour), la cartographie au GPS permet
connue sous le nom de « bois Anciotta » pour laquelle
son intégration directe dans un système d’information géonous possédons le relevé le plus ancien, à savoir celui
graphique (SIG). Les autres types de relevés nécessitent une
de E. Olry de 1870 (Olry, 1875). Un nouveau relevé, de
phase de géoréférencement qui, pour un certain nombre
300 ha environ sur les 400 ha identifiés, a été levé dans
de raisons techniques, peut parfois se solder par une perte
les années 1970 par Ph. Bruant (Peltre et Bruant, 1991).
de précision. Ce manque de précision est toutefois à relatiCe dernier, comme son prédécesseur, y a également réaviser par rapport à l’échelle de travail, rarement inférieure
lisé quelques sondages, avec la collaboration de E. Louis.
au 1/10 000 pour le travail sur les parcellaires.
Parallèlement ces données ont donc été intégrées à un SIG
Deux autres massifs forestiers ont été explorés en 1998
fonctionnant sous le logiciel ArcView 3.3. Il comprend un
par notre équipe pluridisciplinaire, le massif forestier de
certain nombre de thèmes archéologiques, avec leurs bases
Saint-Amond (450 ha de vestiges relevés) et la forêt
de données associées : voies, murées (pierriers linéaires),
communale de Thuilley-aux-Groseilles (150 ha de vesterrasses (avec ou sans pierrier), tas de pierres, dépressions,
COTES
DE
Forêt de
Thuilleyaux-G.
don
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Murielle Georges-Leroy del août 2005
(2) La précision des GPS utilisés par l’INRA et le SRA (Trimble ProXL et PowerPathfinder) semble être dans des conditions favorables de quelques mètres, au pire 10-15 m.
(3) Par exemple, une étude menée en 1997 pour le compte de l’ONF, a montré que l’équivalent de 24 jours de travail pour une personne ont été nécessaires pour des levés
au théodolite contre 8 heures de travail au GPS (Piedallu et Gégout, 2002).
123
M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER
habitats, etc, ainsi que des thèmes écologiques (zones de
petites pervenches et de groseilliers à maquereau, qui sont
des indicateurs d’occupation humaine, relevés de végétation et de sols). Un certain nombre de fonds cartographiques sont également mobilisés (limites administratives,
parcellaire forestier de l’ONF, Scan 25 et Bd Alti de l’IGN,
etc). Ce SIG a été utilisé dans un premier temps comme un
outil de gestion des données collectées, très utile vues les
étendues étudiées. Il permettra dans une phase ultérieure
l’analyse spatiale de ces vestiges.
Beaucoup de travaux, de prospection notamment, restent
à mener sur la forêt de Haye, mais un premier état de la
question peut déjà être présenté.
Les relevés nous permettent de mieux appréhender les éléments structurants de ce paysage ancien. Ainsi 45 km de
voies, que l’on peut répartir en deux catégories, sont en
cours d’étude. Au moins deux voies principales traversent la
forêt (fig. 3 et 4). La première semble parcourir le massif du
nord au sud. Ses deux tronçons, séparés par l’actuelle autoroute A 31 qui coupe le massif forestier en deux, ont été
reconnus sur une douzaine de kilomètres. Ils empruntent le
sommet du plateau en évitant les profonds vallons qui existent à l’est et à l’ouest et franchissent la cuesta au nord et
au sud, par deux vallons qui entaillent le plateau pour descendre jusqu’à la Moselle. La morphologie du tronçon sud
commence à être bien connue. Sur les zones planes, la voie
se présente soit en butte bordée de fossés latéraux soit bordée de pierriers latéraux. Dans les zones de franchissement
de vallons la voie passe en butte en fond de vallon et en
creux dans les pentes. Enfin, lorsque la voie est implantée à
flanc de pente, elle passe en terrasse. Le niveau de circulation lui-même fait de 6 à 9 m de large, mais la largeur
totale du dispositif (avec fossés et/ou pierriers latéraux) varie
de 11 à 23 m. Les sondages réalisés en 2000 ont permis
d’étudier sa structure interne composée d’un hérisson de
pierres reposant sur un remblai et recouvert d’une couche
de limons argileux gris compactés (Laffite, 2005) (fig. 5).
Outre sa structure, sa datation repose sur le mobilier galloromain recueilli en 2000 (hipposandale et monnaies des Ier
et IIe s. trouvées dans l’empierrement), mais aussi sur la présence de plusieurs bâtiments gallo-romains implantés juste
en bordure. Cette voie constitue en quelque sorte un tronçon parallèle à la grande voie impériale Lyon – Trêves, qui
passe une dizaine de kilomètres à l’ouest, en évitant la boucle de la Moselle (fig. 3).
L’autre grande voie, reconnue sur environ 6 km, semble
s’embrancher sur la première puis se diriger vers l’ouest,
où elle pourrait mener à Toul, le chef-lieu de la cité des
Leuques. Elle pourrait franchir la Moselle à Gondreville,
où les piles d’un pont probablement gallo-romain ont été
reconnues. Ce tronçon, qui disparaît presque totalement
par endroits, a une morphologie et des dimensions semblables à la première.
Figure 4 : Massif forestier de Haye. Parcellaires fossiles et habitats gallo-romains.
Les voies secondaires se matérialisent en général par la
présence d’un double pierrier linéaire ménageant un passage d’environ 5-6 m. Les tronçons reconnus sont moins
longs, même si certains atteignent 2 km, mais ils semblent fonctionner plus étroitement avec le parcellaire.
Ce parcellaire, qui reste totalement à analyser, est également matérialisé par des éléments linéaires qui prennent
la forme de pierriers, les murées (près de 100 km relevés)
ou de terrasses, marquées en aval par une déclivité plus
forte que la pente naturelle (85 km relevés) ; ils témoignent de la mise en valeur agricole de ces plateaux. Les
terrasses correspondent à des terrasses de culture,
comme l’ont montré les coupes réalisées dans deux d’entre elles en avril 20054. Les murées, associées aux terrasses empierrées et à de nombreux tas de pierres (425
recensés), attestent d’un épierrement assez systématique
de ces plateaux et donc également de leur mise en culture. Cette pratique de l’épierrement des champs mais
aussi des pâtures de fauche est attestée chez les agronomes latins. Ces murées et ces terrasses matérialisent
également pour certains de véritables limites parcellaires
(4) Menées avec la collaboration d’Anne Gebhardt, sédimentologue à l’INRAP, les analyses et l’exploitation des données de ces sondages sont encore en cours de
traitement.
124
M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER
OUEST
EST
RELEVES J-D LAFFITE , DAO J-J BIGOT
ETUDE ARCHEOLOGIQUE 2000
INRAP - SRA LORRAINE - INRA - ONF
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Figure 5 : Maron, Forêt domaniale de Haye, parcelle 323. Coupe de la voie gallo-romaine.
; les arpenteurs latins citent en effet parmi les types de
limites possibles, les attinae (tas de pierre en forme de
mur – Chouquer et Favory, 2001, p. 188).
La datation de ces parcellaires est délicate et se fait de
manière indirecte, car peu d’éléments de datation sont
contenus dans les terrasses ou les pierriers eux-mêmes.
Les sondages de 2005 ont toutefois permis de recueillir
un morceau de tuile gallo-romaine et un fragment d’amphore de Bétique dans une des terrasses étudiées. Un certain nombre de faits convergents attestent par ailleurs
d’une datation gallo-romaine d’une majorité de ces parcellaires, même s’il n’est pas toujours possible de distinguer dans le détail des éléments qui pourraient être d’autres époques. Il en est ainsi de la datation des structures
liées à ces parcellaires, comme les bâtiments (cf. infra) ou
les voies, mais aussi de celle du mobilier ramassé en surface. Par ailleurs, l’analyse des cartes et textes médiévaux
et modernes apporte également un certain nombre de
renseignements. Ainsi on sait que dès le XIIe s., l’étendue
du massif forestier de Haye est peu différente de celle que
nous connaissons aujourd’hui, à l’exception des zones de
marges. Toutefois, se mêlent aux vestiges gallo-romains
des vestiges plus récents, qui témoignent des usages postérieurs de la forêt (plates-formes de charbonniers, petites
carrières, fours à chaux, chemins forestiers, etc).
Ces parcellaires sont parsemés de petits habitats isolés,
dont une cinquantaine ont été identifiés à ce jour. A
l’exception de deux bâtiments qui ont fait l’objet d’un
sondage dans les années 1970 (M. Loiseau en 1973 –
Notin, 1977 – et fouilles E. Louis en 1979), ces bâtiments ont uniquement été appréhendés par des prospections au sol, complétées assez souvent par l’échantillonnage des chablis de la tempête de 1999.
L’identification comme bâtiment d’un tiers d’entre eux
reste donc incertaine. Ces habitats se présentent sous
la forme de bâtiments isolés, quelquefois par groupe de
deux, d’une taille variant entre 40 et 370 m2, mais en
grande majorité inférieure à 150 m2. Ils ont en général
une pièce observable, mais parfois deux ou plus. Les
murs sont construits en pierres sèches ou liées à l’argile
et, pour les deux fouillés, plus ou moins bien parementés et pratiquement sans fondation. Des tuiles ont été
repérées sur la moitié des bâtiments. Ces petits bâtiments sont comparables par leur construction à ceux
repérés dans les autres massifs forestiers étudiés (Allain,
Thuilley-aux-Groseilles et massif forestier de SaintAmond – Laffite, 2001 et 2002 ; Peltre et Bruant,
1991). Près de la moitié des habitats sont entourés par
un enclos quadrangulaire d’une surface variant de 500
à 3800 m2 environ. Ils sont très liés au réseau parcellaire auquel ils s’appuyent en majorité. Par ailleurs un
certain nombre d’entre eux sont installés en bordure de
voie : la grande voie nord-sud est ainsi bordée de 6
bâtiments sur les 6 km de son tronçon sud.
Trois sites plus étendus se distinguent. Le premier situé
à Velaine-en-Haye, dans la parcelle forestière 352 de la
forêt domaniale, se compose d’un groupement de 4
enclos, comprenant des bâtiments témoignant d’un
mode de construction différent : présence de moellons
mieux taillés, usage du mortier, éléments de décor
(enduit mural et peut-être de plafond) et architecturaux
(colonne). Un deuxième localisé à Maron, parcelle
forestière 419, a livré des éléments de construction et
du mobilier sur une surface de 5300 m2 et pourrait correspondre à une petite villa. Enfin, à Gondreville, dans
les parcelles 14 et 15 de la forêt communale, un
ensemble de pierriers et du mobilier archéologique,
notamment des déchets de forge (scories, ratés de
production, etc) ont été repérés sur une surface de
12000 m 2 le long de la grande voie vers l’est. On peut
envisager la présence d’un petit établissement routier à
cet endroit.
La majorité des habitats datés sont du Haut-Empire,
mais plusieurs d’entre eux témoignent toutefois d’une
occupation aux IIIe et IVes.
125
M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER
2. - Le piémont vosgien et le seuil du col
de Saverne
hypothèses et interprétations quant à la fonction et à
l’origine de ces aménagements (Pétry, 1977, 1989, 1994,
1997).
La seconde zone s’étend sur 25 km d’ouest en est et sur
une vingtaine de kilomètres du nord au sud, de
Sarrebourg vers le Donon et jusqu’au col de Saverne.
Située en grande partie en Lorraine, essentiellement dans
le département de la Moselle, elle déborde néanmoins sur
l’Alsace (département du Bas-Rhin).
Les vestiges se rencontrent sur les premiers reliefs gréseux
du massif vosgien à des altitudes comprises entre 350 et
500 m. L’appellation « sommets vosgiens » qui leur a
été attribuée (on a parlé de « culture » et même de
« civilisation des sommets vosgiens » tant ces vestiges
étaient considérés comme atypiques des occupations
gallo-romaines connues alors) n’est donc pas adaptée. En
effet si les points les plus élevés de ce secteur géographique culminent entre 800 et 1000 m, les collines et plateaux occupés par les sites n’ont rien de zones montagneuses inhospitalières. Par ailleurs, il apparaît
aujourd’hui que ces occupations sont loin d’être toutes
gallo-romaines.
Géologiquement, la plupart des sites sont installés sur un
substrat constitué de grès bigarrés du Trias inférieur
(couches intermédiaires et plus rarement grès à volzia).
Aujourd’hui très boisée, cette région est arrosée par plusieurs rivières, la Sarre blanche et la Sarre rouge qui coulent vers le nord, la Zorn jaune et la Zorn blanche qui se
jettent dans le Rhin.
Depuis 1992, les découvertes de stèles gallo-romaines
lors des prospections réalisées sur les communes de SaintQuirin, de Garrebourg et de Walscheid notamment ont
donné lieu à des opérations de relevés ponctuelles avant
la mise en sécurité de ces sculptures au musée de
Sarrebourg. Ces travaux de cartographie ont été complétés par des sondages et des opérations de fouille. Ainsi,
afin de comprendre l’organisation d’un hameau galloromain différent du Wasserwald, le site de la CroixGuillaume à Saint-Quirin a fait l’objet d’une fouille programmée (1994-1999). Après la tempête de décembre
1999 qui a durement touché ce secteur, les interventions
de relevés topographiques se sont multipliées non seulement sur les sites détruits mais aussi sur les zones susceptibles d’être replantées ou de devenir inaccessibles lors de
la repousse de la végétation.
120 parcellaires ou habitats ont été recensés jusqu’à ce
jour sur plusieurs milliers d’hectares, dans la plupart des
cas en forêt domaniale ; 18 sites ont fait l’objets de relevés planimétriques, dont 12 sont antérieurs à la seconde
guerre mondiale. En Moselle, en effet, les premiers relevés sont réalisés par l’architecte H. Ehrhardt pour les
Alsaciens A. Goldenberg et G. de Morlet, dès la seconde
moitié du XIXe s. Les vestiges alors reconnus sur les communes de Garrebourg et Hultehouse sont cartographiés
en totalité (Goldenberg, 1860). Les fouilles ponctuelles et
les relevés se multiplient au début du XXe s. à l’initiative
de T. Welter qui explore notamment les sites du secteur
de Saint-Quirin et de Walscheid (Welter, 1906), de A.
Fuchs (Fuchs, 1914) et surtout d’A. Reusch, qui établit des
inventaires très complets des vestiges découverts et des
traces de parcellaires fossiles (Reusch, 1911 et 19151916). Ces documents constituent encore aujourd’hui
une référence. Plus récemment, les importantes fouilles et
relevés menés par F. Pétry au Wasserwald (commune de
Haegen) dans les années 1970 et 1980, puis les prospections réalisées ces vingt dernières années montrent que
ces vestiges couvrent parfois des surfaces de 200 à 250 ha
(Heckenbenner et Meyer, 2004) (fig. 6). A partir de la
fouille du Wasserwald, F. Pétry a effectué un important
travail descriptif des vestiges et proposé de nombreuses
126
Les structures anthropiques objets de nos recherches sont
souvent encore bien visibles et apparaissent plus ou
moins organisées sous le couvert forestier. Certains tas ou
talus résultent d’épierrements réalisés soit dans
l’Antiquité soit postérieurement. Les nombreuses terrasses destinées à retenir la terre (fig. 1), qui marquent
les paysages des premiers reliefs entre Saverne,
Sarrebourg et le Donon, sont traditionnellement interprétées comme des aménagements agricoles. Les murets de
parcellaires souvent bien conservés déterminent des
espaces plus ou moins réguliers qui correspondent sans
doute à une organisation agraire du terroir. C’est le cas en
particulier du site de Belle-Roche (commune de SaintQuirin) qui fera l’objet d’une campagne de relevés en
automne 2005. Dans la grande majorité des cas, ces
structures sont difficiles à dater. Car si les terrasses et les
murets de parcellaires sont attestés dès l’époque romaine,
ils ont aussi été largement utilisés jusqu’au XIXe s.
Des chemins, larges de 3 à 6 m, souvent creux ou bordés
de chaque côté de murets en pierres sèches, structurent
ces différentes formes d’occupation. En l’absence d’étude
précise et de cohérence reconnue avec un site, ils sont
impossibles à dater.
En revanche, certains murs dont l’élévation peut atteindre
0,8 m appartiennent de toute évidence à des bâtiments
effondrés ou délimitent des enclos (habitats, fermes,
sanctuaires…) qui grâce au mobilier découvert peuvent
être plus facilement datés. Ainsi la fouille du hameau
gallo-romain de la Croix-Guillaume à Saint-Quirin a permis de reconnaître plusieurs bâtiments dont les murs
étaient constitués dans leur partie basse de blocs de grès
assemblés sans mortier (fig. 7). Les élévations étaient en
bois et les toitures en matériaux périssables. On peut
aussi observer sur certains sites gallo-romains la présence
de blocs disposés régulièrement qui sans doute ont servi
M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER
Château de Lutzelbourg
Zorn (223 m)
bâtiment
Gewinnwald
nÈcropole
(380 m)
Zorn (203 m)
non relevé
Bannwald
Langenbust
(384 m)
non relevé
Hultehouse
(397 m)
bâtiment
nécropole
fanum
nécropole
Grosslimmersberg (465 m)
non relevé
fanum ?
Garrebourg
bâtiment
(393 m)
nécropole
fanum ?
Wasserwald (458 m)
d'après Pétry 1977 et 1984
fanum ?
nécropole
Schladen (387 m)
non relevé
Limmersberg
- Diebsberg (474 m)
fanum
Wintersberg
(440 m)
nécropole
bâtiment
fanum ?
nécropole
Tiergarten (470 m)
bâtiments
Kreutzkopf
(462 m)
Wuestenberg
(536 m)
Légende :
cours d'eau
falaises
chaos naturel de roches
murs
pierrier
terrasse
chemin creux
Hultehouse
Limmersberg
village actuel
lieu-dit
site non relevé
(470 m) altitude NGF
0
1 km
DAO N. Meyer
Figure 6 : Forêts domaniales de Phalsbourg et Saverne. Parcellaires gallo-romains d’après le plan de H. Ehrhardt (1858), les travaux de F. Pétry et les prospections récentes
d’embases de poteaux. Il s’agit généralement de petites
unités d’habitations (5 à 6 m de côté), mais qui peuvent
être mitoyennes pour former des bâtiments plus importants (Wasserwald, Croix-Guillaume). Ces unités d’habitation se regroupent en hameaux qui se juxtaposent les uns
aux autres composant ainsi des groupements plus vastes
(Wasserwald, Hultehouse, Garrebourg) (fig. 6).
Les constructions médiévales ne diffèrent pas fondamentalement des bâtiments gallo-romains. C’est le mobilier,
les éléments d’architecture, l’abondance des moellons qui
permettent de les distinguer, comme nous avons pu l’observer sur le site de l’Altdorf à Dabo ou à la Croix du
Hengstburg à Walscheid où on distingue clairement les
groupements d’habitations.
L’une des particularités du Piémont vosgien est l’abondance des blocs taillés et sculptés qui gisent encore fré-
quemment dans l’humus. Depuis 1992, de nombreuses
figurations de divinités gallo-romaines ont été repérées
au centre d’enclos et de constructions effondrées. Les
plans relevés ont confirmé l’identification de ces vestiges
à des sanctuaires (Ludwigsberg, Walscheid, TroisFontaines, Freiwald). Dans l’humus forestier, les stèles
funéraires souvent brisées, ou bien des cercles de pierres
ou des enclos marquent encore fréquemment l’emplacement des nécropoles antiques. La fouille partielle ou
totale de plusieurs d’entre elles (sites du Bannwald et du
Limersberg à Hultehouse, de l’Altdorf à Dabo, du
Schantzkopf à Harreberg, de la Croix-Guillaume à SaintQuirin) a montré qu’il s’agissait toujours de nécropoles à
incinération datées du Ier au IIIe s.
Enfin, des excavations de plus ou moins grande taille, et
les tas de déchets attenants, attestent la présence de carrières d’extraction, nombreuses sur ce secteur des Vosges.
127
M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER
Figure 7 : Vue des maisons de Saint-Quirin, La Croix Guillaume
(cliché D. Heckenbenner).
Les fronts de taille portent encore les traces d’outils
métalliques tels que le pic et les coins. Il n’est pas rare
de découvrir des blocs en cours d’extraction ou de
taille. La fouille du site de la Croix-Guillaume à SaintQuirin a permis de mettre en évidence les techniques
d’extraction utilisées et l’existence d’activités de taille
et de sculpture à l’époque gallo-romaine (fig. 8).
Néanmoins, l’extraction et le travail de la pierre ne sont
pas spécifiques à l’époque romaine. Jusqu’au XIXe s.
les techniques n’ont pas évolué. A partir des fronts de
taille visibles, sans fouille archéologique, il est souvent
impossible de dater ces carrières.
D’autres activités ont aussi marqué le paysage forestier : les verreries itinérantes médiévales et modernes et
les places de charbonniers.
La méthode de relevés choisie pour ce secteur, diffère
de celle qui est utilisée dans la forêt de Haye. En effet,
la plupart des vestiges étant déjà repérés et des éléments sculptés étant visibles sans fouille, il était primordial de privilégier l’étude de leur organisation spatiale et de leur environnement. C’est pourquoi les
relevés, très détaillés, ont été réalisés au tachéomètre.
Bien que la mise en œuvre de cette méthode nécessite
beaucoup de temps, les résultats sont déjà prometteurs. En effet, à l’échelle d’un hameau antique,
comme celui de Harreberg-Schantzkopf, on peut percevoir précisément comment se structure l’espace,
comment le parcellaire est implanté par rapport à la
topographie, aux chemins, aux habitations et à la
nécropole (fig. 9).
Ce programme de recherche, qui n’en est qu’à ses
débuts, devrait s’enrichir dans les années à venir d’analyse de sols et de végétaux dans ce secteur où leur
conservation a été favorisée par le milieu.
128
Figure 8 : Carrière de Saint-Quirin, La Croix Guillaume (cliché D. Heckenbenner).
Conclusion
Si les deux zones d’études présentées ont connu le même rythme
de travaux (XIXe-début XXe s., puis années 1970, et enfin
recherches actuelles), elles ont toutefois été peu mises en
perspective, alors que de grandes similitudes existent entre elles.
La remise à plat de la documentation, les nouveaux travaux de
terrain et les deux méthodologies d’étude complémentaires
actuellement mises en œuvre devraient pouvoir faire progresser
leur connaissance.
Les parcellaires actuellement recensés en forêt sont dans
leur grande majorité gallo-romains. Toutefois plusieurs
d’entre eux sont d’époque médiévale, comme celui lié à
l’abbaye de défrichement créée au XIIe s. à Vilcey-sur-Trey
près de Pont-à-Mousson (Georges-Leroy et al., 2003,
p. 179) ou ceux relevés autour de villages médiévaux disparus dans les Vosges, à Dabo - Altdorf (Meyer et al.,
2004) et Walscheid - Croix du Hengstburg (XIIIe-XIVe s. –
relevé P. Rohmer).
Pour l’époque gallo-romaine, ces implantations ont été
longtemps considérées comme des occupations de
« marges », mais les travaux récents semblent au
contraire témoigner de l’exploitation assez systématique
et organisée de ces secteurs dès le Ier s. Mais de nombreuses questions se posent encore : tout d’abord dans
quels milieux s’implantent ces parcellaires : milieu déjà
ouvert et cultivé par les Gaulois ou milieu plutôt forestier
? Sur la commune de Gondreville, dans la boucle de la
Moselle, plusieurs fouilles ont montré la présence de batteries de silos de l’Age du Fer qui témoignent pour cette
époque d’une activité agricole importante (Deffressigne
et al., 2002). L’occupation de la fin de l’Age du Fer est
également bien repérée autour du seuil du col de Saverne
(Oppidum du fossé des Pandours à Saverne – Fichtl,
M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER
nécropole
1314
1318
1319
1320
bâtiment 1
Légende :
chemin
chemin actuel
mur de parcellaire moderne
bâtiment 2
rocher
éboulis
pierrier ou muret effondré
bâtiment 4
bâtiment 3
terrasse
pierre taillée
0
DAO T. Le Saint-Quinio - N. Meyer
100 m
Altitude non rattachée en NGF (+ ou - 1 m)
Figure 9 : Harreberg, Schantzkopf. Plan général du site.
2004). De même nous avons des interrogations sur la
datation et les modalités de la reconquête forestière,
même s’il semble que certains de ces parcellaires soient
abandonnés dès la fin de l’époque gallo-romaine ou dans
le courant du haut Moyen Age. Par ailleurs quelle est la
place de la forêt dans l’Antiquité sur ces secteurs ? Si le
plateau calcaire a apparemment connu une occupation
agricole très importante qui semble avoir laissé peu de
place à la forêt, la question se pose différemment pour le
piémont vosgien. La Silva Vosagus est certes attestée par
les sources antiques (Table de Peutinger) à partir du IIIe s.
(fin de l’occupation antique reconnue pour l’ensemble du
massif montagneux) mais son importance dans le détail
reste inconnue ; couvre-t-elle la totalité du massif vosgien, y compris le piémont ? A côté des activités agricoles
probablement prédominantes, d’autres activités plus
modestes comme l’exploitation de la pierre sont bien
reconnues maintenant. Aucune recherche n’a cependant
encore porté sur l’exploitation du bois, activité supposée
de longue date.
Les prélèvements palynologiques réalisés sur des tourbières proches des sites étudiés dans les Vosges et sur le
plateau calcaire pourraient en partie répondre à ces questions.
Cette occupation a dans tous les cas eu un fort impact
environnemental, encore sensible actuellement comme le
montrent les travaux coordonnés par J.-L. Dupouey et
E. Dambrine présentés dans ce volume.
Remerciements
Nous remercions vivement Patrick Behr et Philippe Loué
pour leurs travaux, notamment de cartographie, sur la
forêt de Haye, ainsi que les bénévoles de l’ARAPS.
Ces travaux ont bénéficié du concours financier de la
Direction régionale des Affaires culturelles de Lorraine et
des Conseils Généraux de Meurthe-et-Moselle et de
Moselle.
129
M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER
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131
132
Etat actuel des connaissances sur les sites
archéologiques forestiers du Châtillonnais :
l’exemple des parcellaires
Yves PAUTRAT (1), Dominique GOGUEY
(2)
(1) Conservateur du patrimoine, Service régional de l’archéologie de Bourgogne – 39-41 rue Vannerie – 21000 Dijon – [email protected]
(2) Maître de conférence, Université de Savoie – 4 rue du Colonel Marcaire – 21240 Talant – [email protected]
Résumé
Une prospection forestière systématique, avec relevés des vestiges visibles à l’aide d’un GPS précis, est effectuée par les
auteurs depuis plusieurs années dans le Châtillonnais, au nord du département de la Côte-d’Or. Elle couvre maintenant
près de 6000 ha, en zone de plateau ou en bordure de la vallée de la Digeanne.
Les parcellaires ainsi mis en évidence (talus, épaulements, murées, etc.) permettent de distinguer plusieurs modes d’occupation de l’espace. A un parcellaire irrégulier et discontinu, incluant de petits enclos ouverts et des terrasses agricoles
ou d’habitat, très dépendant du relief dans les zones de combes et de vallée, s’oppose un découpage orthonormé avec
des parcelles fermées de grande taille localisé sur le plateau. Les rares éléments de datation disponibles semblent indiquer une antériorité du premier sur le second.
Abstract
The systematic field survey and mapping of archaeological landscapes using GPS (Global Positioning System) equipment
has been underway in the Châtillonnais forest in the northern part of the Côte d’Or, France for the last several years.
Nearly 6000 hectares of woodlands have been prospected in a zone consisting of the Châtillonnais plateau and the limit
of the Digeanne valley.
The archaeological and topographical features which have been inventoried include embankments, supporting walls,
low stone walls, etc., allow us to distinguish at least two different types of spatial organisation. The first is composed
of irregular and non-contiguous parcels, including small open enclosures, as well as terraces probably used for agricultural or settlement needs. Local topography seems to have been an important factor in determining the morphology of
these features, which are located mainly in an area composed of ridges and valleys. The second and apparently more
regularly organised system is composed of larger, closed parcels which are mainly located on the plateau. The rare artefacts which been found in association with these two different types of landscapes imply a relative chronological relationship in which the first class of structures is anterior to the second.
133
Y. PAUTRAT, D. GOGUEY
1. - Introduction
ponctuelles.
Dans les années cinquante et soixante, la Société
Archéologique et Historique du Châtillonnais a réalisé un
inventaire des structures archéologiques gallo-romaines
de la forêt domaniale de Châtillon-sur-Seine, sous forme
de fiches décrivant la trentaine d’habitats repérés. Depuis
d’autres informations, toujours dispersées, ont été ajoutées à partir de prospections pédestres ponctuelles, mais
aussi de photographies aériennes.
Plus récemment, une convention signée en 1997, entre le
Service régional de l’archéologie de Bourgogne et l’Office
National des Forêts a servi de cadre à une collaboration
d’inventaire archéologique. L’objectif principal était patrimonial : permettre à l’ensemble des structures conservées sous le couvert forestier d’être localisées et protégées de toute dégradation due à l’activité forestière
future (coupes, débardages, etc.). Un inventaire exhaustif
a donc été mis en œuvre, bénéficiant de l’opportunité
d’utiliser un système de localisation par satellite (G. P. S.),
dont les données sont ensuite traitées dans un Système
d’Information Géographique. Deux secteurs ont été privilégiés : la forêt domaniale de Châtillon (Pautrat, 2002) et
les forêts communales de la rive droite de la Digeanne
(Goguey D. et Bénard, 2002). Leur étude se poursuit
encore, tandis que leurs résultats sont intégrés dans le
projet collectif de recherche « Vix et son environnement » (responsable C. Mordant) qui s’attache à étudier le MontLassois (oppidum), la plaine de Vix qui inclut la célèbre
tombe princière et bien au-delà, le Châtillonnais protohistorique, riche en nécropoles tumulaires.
2.1. - Les vestiges en relief
2. - Vue d’ensemble
Ce sont plus de 3600 ha qui ont été inventoriés dans la
forêt domaniale de Châtillon et 1600 ha dans les forêts
communales de la rive droite de la Digeanne (ainsi que
500 ha sur la commune de Minot) (fig.1). Ces vastes surfaces, géographiquement cohérentes, permettent d’appréhender un terroir archéologique très largement
conservé sous le couvert forestier. Un simple coup d’œil
sur les photographies aériennes des plateaux calcaires de
Côte-d’Or, aux marges du Châtillonnais forestier, montre
que les vestiges ténus repérés en forêt ont été depuis
longtemps arasés et totalement détruits par les labours
hautement mécanisés. Ce terroir archéologique manque
toutefois d’éléments de datation ; il juxtapose sur le
même plan des vestiges de toutes périodes, sans que l’on
puisse trier parmi ceux-ci et proposer une série de plans
successifs par périodes.
Les vestiges inventoriés se répartissent dans quelques
grandes catégories que l’on peut regrouper en deux ensembles, les vestiges en relief et ceux en creux. Tout ce qui se
trouve enfoui sans indice hors sol passe inaperçu, sauf à
mettre en œuvre la prospection au détecteur de métaux,
nécessairement limitée à des vérifications sur des zones
134
Pierriers : Isolés ou intégrés à des enclos, il s’agit
d’amas de pierres plus ou moins volumineux de
formes variées avec zone déprimée centrale, résultant de l’effondrement de bâtiments sur eux-mêmes.
Très rarement, des éléments architecturaux, tambour
de colonne, pierres de seuil ou de montant de porte,
sont visibles.
Terrasses : Ce sont des espaces plans, plus ou moins
aménagés selon le pendage du terrain. Ils sont souvent retenus par un soutènement en aval et creusés
dans la pente en amont, avant d’être aplanis. La
prospection (pédestre ou au détecteur de métaux)
fait apparaître du mobilier archéologique évoquant la
présence, soit d’habitats (céramiques, monnaies,
objets ou outils de la vie quotidienne), soit d’ateliers
(scories).
Voies : On y trouve des chemins anciens - dont la lecture attentive des documents cartographiques des
deux derniers siècles montre qu’ils permettaient, soit
de traverser la forêt d’un village à l’autre, soit de la
contourner - et des itinéraires larges et rectilignes,
complètement indépendants de l’habitat actuel, qui
peuvent être assimilés à des voies antiques.
Limites parcellaires : Liées aux voies ou complètement
indépendantes, elles délimitent des espaces vides
(cultures, prairies, jardins, voire même habitats ?), qui
se referment parfois sur 3 ou 4 côtés pour former
des enclos. Plusieurs types de structures constituent
ces limites parcellaires : des murées, formées par
l’accumulation de pierres au dessus du sol, avec ou
sans parement ; des murs, conservés en légère élévation ou arasés au niveau de leur fondation ; des talus,
formés d’un bombement de terre sans pierres ou
alors très rares ; des épaulements, matérialisant une
différence de niveau entre deux surfaces, de l’ordre
de quelques dizaines de centimètres, distincts de tout
phénomène géologique (affleurement ou courbe de
niveau). Ces limites peuvent être complètement isolées, rectilignes ou courbes. Elles se complètent fréquemment.
Tertres : Il s’agit le plus souvent de tas de pierres,
ronds ou allongés… Certains, alignés, matérialisent
des limites probables, d’autres peuvent être assimilés
à d’authentiques tumulus, soit par la trace d’une
fouille ancienne en cratère, soit par des structures
funéraires évidentes : coffre(s), couronnes périphériques, mais la majorité ne peuvent être mis en relation avec une fonction précise (épierrement ?,
stockage ?).
Pierres levées : Fréquemment intégrées dans les
murées ou marquant leur extrémité, elles peuvent
être aussi isolées et s’apparenter à des mégalithes (?)
pour les plus grandes ou à des indices de tombes
Y. PAUTRAT, D. GOGUEY
Figure 1 : Localisation des zones prospectées dans l’ensemble du Châtillonnais et tracé des principales voies antiques attestées (relevés D. Goguey & O.N.F.
et Université de Bourgogne ; Carte Y. Pautrat).
135
Y. PAUTRAT, D. GOGUEY
plates pour les plus discrètes.
2.2. - Les vestiges en creux
Mines : Le Châtillonnais étant riche en fer, les minières
sont abondantes dans certaines zones, sous la forme
de puits se ramifiant à la base, de tranchées ou de
grandes excavations en carrière.
Carrières : Elles exploitent le banc calcaire, plus rarement des dépôts de pente (grèses) ou des poches d’argile. On les trouve fréquemment à proximité des routes
et pistes forestières, dont elles ont sans doute servi à
l’empierrement à partir du XVIIIe siècle.
Fossés : Ils sont liés aux limites parcellaires évoquées
plus haut, ou aux communications (fossés latéraux de
voies). Ils peuvent parfois s’apparenter à des terrassements exploratoires (recherche de minerai de fer ou
d’un niveau géologique spécifique), très rarement à du
drainage.
3. - Les parcellaires
Nous avons souhaité, ici, mettre l’accent sur les limites
parcellaires. Par « parcellaire », nous entendons une
organisation de l’espace au moyen de vestiges linéaires
de types variés (murées, épaulement, talus, fossé, etc.),
que les « parcelles » ainsi induites soient régulières ou
non, fermées ou non.
3.1. - Les parcellaires de la Digeanne (fig.2)
3.1.1. - Une irrégularité apparente
Ce parcellaire apparaît comme sinueux, irrégulier
dépourvu de tout caractère orthogonal. L’implantation
des structures épouse les contours du rebord de plateau,
ou plus exactement de la langue de plateau entaillée par
la Digeanne ; la partie médiane du plateau est vide de
vestiges. Le parcellaire associe des murées parallèles aux
courbes de niveau – des épaulements anthropiques en
amont desquels sont établies des terrasses – et des
murées qui descendent les pentes. Les épaulements prennent appui sur des ressauts géomorphologiques et les
murées de pentes rayonnent à partir des buttes.
L’apparente irrégularité de ce parcellaire n’est que le reflet
de son extrême dépendance au relief.
3.1.2. - Un parcellaire incomplet
A l’exception de deux parcelles, ce système de murées ne
délimite pas de parcelles fermées : les plus fermées le
sont sur trois côtés, on trouve plusieurs exemples de
murées uniques qui coïncident avec la portion de terrain
occupée par un groupe de tertres. Le parcellaire est
incomplet sans traces apparentes de destruction. Au
136
contraire, des constantes apparaissent : l’extrémité de
murées est ponctuée par un tertre, et l’arrêt des murées
coïncide avec un changement de relief (fond de vallon,
ruisseau, rebord de plateau) ou une particularité géologique (lapiaz). De nombreuses murées s’arrêtent au
niveau d’un chemin présumé ancien (par exemple, la voie
protohistorique et romaine Beneuvre – Vertault).
Ces constantes, répétées dans chaque ensemble de la
Digeanne mais aussi visibles sur d’autres rebords de plateau dans le Châtillonnais évoquent un code connu de
chacun et mêlant repères naturels et repères culturels. On
peut faire un rapprochement avec deux allusions faites
par des agronomes romains à propos de pratiques
anciennes concernant les terres non arpentées. Frontin
énumère ainsi différents éléments de délimitation : « les
terres artificinales (non arpentées) sont délimitées selon
l’ancienne coutume par des cours d’eau, des fossés, des
hauteurs, des voies, des arbres plantés autrefois », et
Siculus Flaccus également à propos de terres non cadastrées, ajoute à ces éléments de délimitation des amas de
pierres et des murées. Il fait état explicitement d’un
recours simultané à différents repères dans un même secteur : « l’extrémité d’un même terrain peut aussi être
délimitée de nombreuses manières, d’un côté par des
bornes, de l’autre par des arbres, d’un autre par un talus,
d’un autre par un ruisseau, ainsi que par tout autre genre
de limite observable sur les confins ». Le caractère
incomplet et hétérogène du parcellaire nous oriente vers
un système de délimitation, un marquage plus symbolique que fonctionnel. En effet même dans les enclos fermés d’habitat les murées semblent insuffisantes pour
retenir le bétail, on peut d’ailleurs penser que le parcellaire destiné au bétail était complété par des haies,
comme l’évoque Varron.
3.1.3. - Association du parcellaire avec d’autres structures
Le parcellaire est régulièrement associé à d’autres structures, identifiées par des fouilles ou des prospections.
a) Murées et tumulus
Au sud du secteur étudié, au niveau où la Digeanne
prend sa source, (commune de Minot) le parcellaire situé
sur la rive droite de la Digeanne ou sur les rebords d’un
vallon parallèle (vallon de la Groême), est situé à proximité immédiate de nécropoles tumulaires fouillées par H.
Corot (Chaume, 2001) : par exemple, aux Crais de
Vauchebaux les nécropoles jouxtent un parcellaire constitué d’épaulements appuyés sur un ressaut et de murées
qui descendent le versant et s’arrêtent au niveau d’un
ruisseau intermittent. A La Moloise, un tumulus est établi
sur une terrasse retenue par un puissant soutènement et
la portion de terrain où se trouve le tumulus est limitée
d’un côté par une murée. Aux Lochères, l’association est
plus étroite, puisque un tumulus est situé au départ d’une
Y. PAUTRAT, D. GOGUEY
Figure 2 : Les parcellaires de la Digeanne ; murées de soutènement parallèles aux courbes de niveau. En haut, secteur d’Essarois. En bas, Bois de Doucharme à Minot (relevés D. Goguey & O.N.F. et Université de Bourgogne ; Carte Y. Pautrat).
137
Y. PAUTRAT, D. GOGUEY
murée qui descend la pente. Cette association de tumulus et d’un système irrégulier de murées « qui quadrillent
de leur réseau capricieux tant de sites protohistoriques »
(Peyre, 1981) se retrouve pour la Côte-d’or à MagnyLambert, à Mavilly-Mandelot (Henry, 1933), à Darcey, etc.
La fréquence de l’association tumulus de pierre et système de murées irrégulières, peut être un indice pour
envisager la mise en place de ce système dès le premier
âge du fer.
Les épaulements installés sur le rebord de plateau ou sur
les versants retenant à l’amont des terrasses sont nombreux. Les plus longues ont entre 90 et 140 m de longueur, d’autres sont courtes, en moyenne 10 m de long.
Les terrasses dans les parcellaires sont souvent considérées comme agricoles, mais différents indices conduisent
à envisager pour un certain nombre d’entre elles une
fonction d’emplacement aménagé pour supporter un
habitat en bois et torchis.
b) Parcellaires et enclos d’habitat1 (fig.3)
a) Des terrasses agricoles ?
Plus au nord, le parcellaire est lié à des habitats en matériaux périssables identifiés dans des enclos qui prennent
différentes formes. Des enclos fermés complexes de
forme para-géométriques constituent l’équivalent des
« fermes indigènes » – les murées tenant lieu de fossés
– et ils ont livrés des éléments de datation de la Tène D et
du gallo-romain. Ainsi les enclos de Champerrin, qui délimitent des habitats et des cours sont prolongés au sud
par des murées. Celles-ci forment des parcelles fermées
sur trois côtés, le quatrième côté étant matérialisé par un
chemin, probablement ancien. Ces parcelles incomplètes,
prenant appui sur l’enclos d’habitat, semblent dévolues à
la culture, comme le suggère le soc découvert dans l’enclos, ou au pâturage. Au nord de ce même site, la murée
de l’enclos d’habitat est reliée à l’est à un petit enclos
interprété comme un sanctuaire privé. L’enclos des
Cornouillères est également prolongé par un parcellaire,
à l’est et à l’ouest par des épaulements.
Les enclos d’habitat ne sont pas les seuls à être liés structurellement au parcellaire : l’enclos fermé trapézoïdal des
Grands Carrés est établi sur un terrassement (1 m de
dénivelé) surmonté par une murée de 158 m de long. Le
côté est de l’enclos se prolonge par une murée qui se raccorde à une très longue murée (700 m) ourlant la limite
de la langue calcaire. Cet enclos autour duquel s’organisent des murées, par sa forme et son matériel est interprété comme un enclos cultuel.
Dans toute la partie nord du secteur, le parcellaire est lié
à une autre forme d’habitat situé dans des petits enclos
irréguliers, incomplets qui ont fourni des indices de datation plus anciens que les précédents (Tène B, C, D et
gallo-romain). Ces habitats ne semblent pas avoir une
fonction principalement agricole, ils ont tous donné des
indices de travail du fer, et le parcellaire, établi en rebord
de plateau, contre le lapiaz, semble délimiter l’espace
habité et occupé plutôt que des parcelles de culture.
Sur ces versants calcaires où la profondeur du sol est irrégulière et dépasse rarement 30 cm, la terrasse apparaît
comme un moyen de remédier au lessivage et de garder
une certaine épaisseur de terre. La fouille d’une de ces
terrasses à Minot en 1980 par C. Peyre apporte des informations : il a décelé dans la partie amont de la murée de
soutènement « trois couches bien distinctes, la couche
de niveau actuel (15 à 20 cm), la couche de surface
antique (20 à 25 cm) et une troisième couche intermédiaire (30 à 40 cm) vraisemblablement une couche de
terre rapportée » (Peyre, 1981). On ne trouve pas de versant aménagé systématiquement en terrasses, comme en
Provence ou en Asie, mais plutôt des groupements de 2
ou 3 par versant.
3.1.4. - La question des terrasses
b) Des terrasses d’habitat
La dimension, l’aménagement de certaines terrasses, et
surtout le matériel recueilli en prospection font de cellesci des emplacements d’habitat ou d’atelier.
Des terrasses courtes (10 m de long), curvilignes ou rectilignes, constitueraient un espace bien exigu pour une culture, de plus certaines font l’objet d’aménagement particulier : ainsi les terrasses des Rochottes comme celles du
Ru de Vau sont implantées à l’intérieur d’une parcelle
délimitée par deux murées qui descendent le versant, le
soutènement est puissant (1,50 m de dénivelé), et l’aire
terrassée est limitée à l’arrière par un petite murée. L’une
et l’autre ont livré des indices d’occupation et de datation
(tessons D1-D2 et sigillée à la Combe du Ru de Vau, et
coin, clous débris ferreux, petite scie à deux soies et boucle de ceinture Tène B/C aux Rochottes). La terrasse CHA
18, terrasse prolongée de deux murées, a fourni un matériel abondant (coulures, objets ratés ou réparés, fibule
Tène C).
Certaines terrasses longues ont également accueilli des
habitats, ainsi à Banges à 200 m de la nécropole tumulaire, un replat de versant est aménagé par deux soutènements successifs qui supportent deux terrasses étroites.
Sur l’une d’elles, on a trouvé un fragment de fourreau et
(1) Les plans de détail des enclos réguliers et irréguliers, leur description complète et les planches de matériel ont déjà été publiés : voir Goguey D. et Bénard J. (2002). Une
synthèse de la forme et de la fonction de ces enclos est faite dans Goguey D. et Bénard J., « Les enclos » dans « L’organisation de l’espace », dans Les espaces clos dans
l’urbanisme et dans l’architecture publique ou privée en Gaule et dans les régions voisines, Caesorodunum, Pulim, à paraître en 2006.
138
Y. PAUTRAT, D. GOGUEY
Figure 3 : Les parcellaires de la Digeanne. Localisation des principaux vestiges repérés. Les flèches indiquent les zones d’habitat probables situées dans
des enclos ou sur des terrasses ; les cercles, les zones à fonction funéraire ou cultuelle identifiées grâce à la prospection au détecteur de métaux (relevés D. Goguey & O.N.F. et Université de Bourgogne ; Carte Y. Pautrat). En vignette : enclos irréguliers de Trouy 7 et 8 (relevé O.N.F. 1996, complété sur
le terrain par D. Goguey ; mise au propre A. Violot).
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Y. PAUTRAT, D. GOGUEY
Photo 1 : Terrasse du Chanoi 06 (cliché D. Goguey).
un fragment de rebord de vase de bronze.
A Minot également, sur une terrasse sillonnée par
d’énormes murées perpendiculaires au rebord de plateau,
l’emplacement d’une fosse-dépotoir a été décelé grâce à
un petit matériel abondant (15 clous de menuiserie et
charpente, 36 tessons Téne D, augustéens et IIe siècle,
une fibule Tène D, une fibule Haut-Empire, un style). Un
autre exemple est apporté par la terrasse Chanoi 6 à
Essarois (photo 1) : cette terrasse située 2 m en retrait du
rebord de plateau, lui-même aménagé, a livré une monnaie celtique (IIe -Ier siècle av J .C.), un fragment de fibule
Tène C, un fragment de fibule du Haut-Empire et l’extrémité d’une bouterolle gauloise.
3.2. - La forêt domaniale de Châtillon
3.2.1. - Les Ursulines
Le quart nord-ouest de la forêt domaniale de Châtillon
présente un parcellaire régulier et homogène sur près de
trois kilomètres d’est en ouest et un kilomètre et demi du
nord au sud (soit environ 450 hectares). Dans ce secteur,
dit « des Ursulines », le plateau calcaire tabulaire est
coupé par deux combes est-ouest (Combe de Val Thibaut
et Combe de l’Homme Mort).
140
Y. PAUTRAT, D. GOGUEY
Constitué de longues murées (parfois prolongées ou
remplacées par des talus de terre) ce parcellaire s’organise selon les points cardinaux, de part et d’autre
d’une voie, elle-même nord-sud. Cette voie se matérialise par deux murées de faible envergure (largeur
d’environ 2 à 3 m et hauteur d’environ 0,40 m), séparées de 8 à 12 m. Localement, cette voie s’encaisse
progressivement entre deux talus et oblique légèrement vers l’ouest pour emprunter un petit thalweg et
descendre dans la combe de Val Thibaut. Elle remonte
sur le flanc sud de la combe, en reprenant progressivement son axe d’origine. Plus au sud, on la perd
complètement au voisinage d’une unité d’habitation
(2 bâtiments dans un enclos). Au nord, on ne retrouve
cette voie que par tronçons, séparés par des vides où
plus aucun indice n’est visible (arasement total ?) ; elle
oblique cependant vers Châtillon-sur-Seine. Cette voie
ne présente aucun rapport avec le maillage des chemins en usage au cours des XVIIIe et XIXe siècles qui
reliaient les villages périphériques de la forêt, qu’ils
soient maintenant disparus (mais signalés sur les
documents d’arpentage forestiers de 1856) ou encore
partiellement en usage. Elle est typologiquement très
proche de celle, est-ouest, sondée au sud du massif en
1991-93, qui relie la vallée de la Seine au fanum du
Tremblois, et l’on peut donc, avec prudence, lui attribuer une même origine antique. Les similitudes
d’orientation et l’accroche de certains éléments du
parcellaire directement sur les murées latérales de la
voie permettent d’avancer une probable contemporanéité des deux types de structure.
Ce parcellaire dessine de grands enclos irréguliers,
rarement fermés, ou de longues limites qui présentent
de fréquentes lacunes, en particulier vers le nord.
Celles-ci sont dues à des destructions récentes (carrière), mais probablement aussi à des récupérations
plus anciennes. Au sud, il s’achève par un grand
enclos, de près de 5 ha, fermé par une murée courbe
irrégulière. (fig.4)
Très peu d’habitats peuvent être mis en relation avec
ce parcellaire et uniquement dans sa partie sud. Outre
l’unité d’habitation citée ci-dessus, mentionnons un
enclos ouvert sur son côté est enfermant un petit pierrier d’effondrement correspondant à un bâtiment de
petite taille (abri ?, étable ?), et un autre enclos fermé,
d’une superficie légèrement supérieure à un hectare,
qui possède lui aussi un petit bâtiment effondré le
long de son mur sud.
Figure 4 : Nord de la forêt domaniale de Châtillon. Secteur dit « des Ursulines » : parcellaire régulier axé sur une voie antique (relevés Y. Pautrat & O.N.F. ;
Carte Y. Pautrat).
141
Y. PAUTRAT, D. GOGUEY
En dehors de ce cas, et de celui de la Combe de l’Air que
nous détaillerons plus loin, nous avons une structuration
de l’espace beaucoup plus lâche et irrégulière, dispersée
sur l’ensemble du plateau calcaire. Il s’agit toujours d’éléments parcellaires linéaires de nature variée : rares murs,
murées plus ou moins étalées, épaulements de terre (avec
ou sans pierres apparentes), talus de terre de faible relief,
etc., mais qui ne présentent pas d’organisation cohérente. En de rares endroits et sur de faibles longueurs, ils
présentent une organisation en bandes parallèles, qui
évoque des champs en lanières. Ailleurs, il s’agit d’enclos
ou d’espaces tendant ou non à se refermer, généralement
associés à des bâtiments ou d’éléments de parcellaire irrégulier plus ou moins isolés : limites parcellaires variées
divergeant dans des directions aléatoires sur des surfaces
de 6 à 10 ha. Le plus souvent, il s’agit de tronçons isolés,
rectilignes, sinueux ou courbes, que l’on ne peut rapporter à d’autres éléments du paysage, naturel ou anthropique. Dans quelques cas, ces murées ont pour fonction
évidente de border des zones de lapiaz (pour empêcher la
divagation des animaux ?). Exceptionnellement, on
trouve également des chapelets de tertres de pierres,
presque jointifs sur plusieurs centaines de mètres, qui
évoquent eux aussi une limite parcellaire.
Une seule datation 14C a pu être pratiquée sur les charbons de bois d’un sol cultivé, noyé sous un recouvrement
limoneux orangé venant buter contre une murée de limite
parcellaire, courbe et irrégulière ; son maximum de probabilité se situe entre 785 et 887 après Jésus-Christ,
attestant de pratiques culturales au haut Moyen Âge.
Quelques sondages, réalisés en 2000, ont montré que les
murées de pierres sèches présentent toutes une architecture, même sommaire, défigurée par l’érosion (laves
empilées en parements, chaînage interne, boutisses).
3.2.2. - La Combe de l’Air
Ce secteur de la forêt domaniale de Châtillon a fait l’objet d’un important défrichement au début des années
soixante-dix, suivi d’un enrésinement total ou partiel
d’une vingtaine de parcelles (environ 220 ha). René
Goguey, archéologue aérien, a pu photographier en 1973
et 1974, un vaste parcellaire constitué de murées dont les
pierres avaient été mises à nu par le nettoyage au bulldozer de bandes régulières, séparées par des cordons de
défrichement (Goguey R., 1976) (photo 2). En quelques
années, la végétation herbacée puis arbustive a fait disparaître toute trace de ce parcellaire qui commence seulement de pouvoir être appréhendé sous les résineux.
Le couvert végétal dense, l’alternance dans certaines
parcelles de bandes enrésinées et de bandes de feuillus,
Photo 2 : Photographie aérienne du secteur de la Combe de l’Air (cliché R. Goguey, 1974).
142
Y. PAUTRAT, D. GOGUEY
Limites parcellaires
Tertres
Extractions
Habitat
Voie antique
carrière
Figure 5 : Forêt domaniale de Châtillon. Secteur de la Combe de l’Air (relevés Y. Pautrat & ONF ; Carte Y. Pautrat).
la présence des cordons de défrichement, rendent
encore la prospection très délicate. Seules les murées
ou structures visibles sur les photographies aériennes
(ou leur prolongement immédiat) ont été relevées ; les
vestiges plus ténus qui peuvent se trouver aux environs
resteront encore masqués de nombreuses années. Les
limites de parcellaire qui ont pu être cartographiées
(fig.5), prennent l’apparence, tantôt d’un petit bourrelet de terre et pierres de 2 à 4 m de large et haut de
0,10 à 0,30 m au grand maximum, tantôt d’un épaulement de terrain à rares pierres superficielles d’un dénivelé de 0,20 à 0,40 m. L’apparence actuelle de ces
structures est très largement induite par les travaux
forestiers des années soixante-dix : selon que l’on
passe d’une bande de feuillus à une bande enrésinée,
ou d’un côté à l’autre d’un cordon de défrichement, la
limite parcellaire passe d’un type à l’autre. Nous supposons que le passage du bulldozer a plus ou moins arasé
des murées édifiées sur un épaulement (ou contre lesquelles la terre s’est accumulée formant cet épaule-
ment), les conservant à certains endroits sur une faible
épaisseur et les nivelant ailleurs pour ne laisser subsister que l’épaulement (?).
Le parcellaire visible sur les photographies aériennes ou cartographié à l’automne 2004 présente une organisation
rigoureuse, approximativement orthonormée en direction
des points cardinaux, à l’image du secteur cartographié au
nord-ouest du massif. Dans le détail, on distingue deux
orientations principales : l’une, à l’est, rigoureusement
nord-sud-est-ouest ou avec un décalage de quelques
degrés vers l’est, l’autre, à l’ouest, nettement décalée de
plusieurs degrés vers l’ouest. Dans l’un ou l’autre parcellaire, certaines parcelles sont franchement irrégulières et
dérogent au modèle orthonormé global. Les deux parcellaires pivotent autour d’un même point qui se trouve être
un pierrier, très arasé, probablement issu d’un bâtiment.
Un pierrier plus à l’est, a été testé au détecteur de métaux2.
Il a livré une monnaie du IIe siècle après J.-C. et du matériel
métallique antique contemporain (fibule de type Ettlinger
(2) Autorisation n° 2004-103 du 1er juin 2004. Responsable : D. Goguey.
(3) Ancien président de la Société Historique et Archéologique du Châtillonnais, auteur de prospections forestières dans les années soixante à soixante-dix.
(4) Laffite (2001-2002) interprète les dimensions du parcellaire de Favières comme des multiples de l’actus : « Les valeurs les plus fréquentes correspondent à trois actus.
D’autres mesures correspondent à des modules de 2 – 2,5 – 3,5 – 4,5 – 10 – 16,5 – 20 actus ».
143
Y. PAUTRAT, D. GOGUEY
n° 50). Ces divers pierriers avaient été vus et fichés en 1964
par C. de Brotonne3, qui mentionne : « Murs apparents,
pierres de taille, pierres sciées, verre, poterie (fragments
d’amphore). Villa qui semble importante, peut-être incendiée en partie, dont les divers bâtiments sont adossés aux
murs d’un clos de 110 m x 160 m » (fiche n° 30 dite
« Villa de la Combe de l’Air »).
Une partie du second parcellaire est occultée par une
grosse anomalie (tache blanche pierreuse sur les photographies aériennes) qui se présente comme un groupe de
dépressions et de buttes pierreuses, que nous interprétons comme une zone de carrière.
Les enclos fermés les moins ambigus ont été répertoriés
et mesurés, mais les chiffres obtenus sont imprécis
(erreurs GPS et imprécision relative des mesures sur SIG)
et restent peu significatifs. Il est difficile de dire si ces
mesures sont des multiples de l’actus4 mesure romaine
d’arpentage (35,4 m). Ils confirment surtout l’irrégularité
géométrique du parcellaire, dont la superficie des parcelles varie de 1 à 3 hectares.
Une voie antique, reliant probablement les sanctuaires
antiques d’Essarois et du Tremblois a été identifiée, au
nord de l’enclos de Barlot, sous la forme d’une double
murée de gros volume (2 m de haut, voire plus, et plusieurs mètres d’assise) encadrant un espace de circulation
de 6 à 8 m de large déconnecté de toute liaison récente
entre les villages riverains de la forêt. Au niveau du parcellaire de la Combe de l’Air, nous trouvons deux portions
d’itinéraire distinctes. Deux fossés parallèles peu lisibles,
séparés par une dizaine de mètres, partent en ligne droite
d’un coude de la route forestière de la Combe de l’Air,
traversent deux murées du parcellaire et s’interrompent
brutalement au contact d’une troisième. Plus au sud,
deux parcelles du même parcellaire se raccrochent à un
itinéraire matérialisé par deux murées conséquentes (1 à
1,50 m de haut et 2 à 4 m de large) séparées par un
espace de 5 à 7 m, se transformant localement en un
remblais surélevé de même largeur. Bien que d’envergure
moindre, ce « chemin » se rapproche typologiquement
de la voie antique Essarois-Tremblois connue près de l’enclos de Barlot. Il est toujours figuré sur la carte I.G.N. bien
que totalement abandonné, et figure sur les anciennes
cartes forestières sous le nom de « Chemin de SaintGermain ». A partir des récents relevés, on peut avancer
l’hypothèse que la frange sud du parcellaire s’appuie sur
ce « Chemin de Saint-Germain » qui serait un authentique tronçon de l’itinéraire Essarois-Tremblois.
Plus au nord, la relation chronologique du parcellaire avec
le double fossé repéré dans les parcelles 821 et 823,
auquel il se surimpose, est beaucoup plus délicate à défi-
Figure 6 : Forêt domaniale de Châtillon. Enclos de Barlot. H = zones d’habitat. A = zones d’atelier (données issues de la prospection au détecteur de métaux) (relevés Y.
Pautrat & O.N.F. ; prospection au détecteur D. Goguey ; carte Y. Pautrat).
(5) Celui-ci mentionne les deux fossés parallèles sur son croquis, avec la mention « double fossé (moderne ?) » et l’arrête au même endroit.
144
Y. PAUTRAT, D. GOGUEY
nir. Les parcelles les plus à l’est ont pu être cultivées, effaçant toute trace de cette voie, tandis que celle qu’il traverse, d’une autre nature (elle correspond à la « villa »
fichée en 1964 par C. de Brotonne5), aurait pu en permettre la conservation ténue. Nous avons là un problème
d’antériorité relative qui reste difficile à résoudre, en l’absence de sondages ou d’une analyse plus détaillée
appuyée sur un relevé plus élargi.
3.2.3 - Barlot
Situé au sud de la forêt domaniale, le parcellaire de Barlot
apparaît assez différent. Il est implanté en bordure de
lapiaz et comporte quelques parcelles discontinues,
incomplètes et un enclos fermé, complexe où se mêlent
des murées curvilignes (côtés Nord et Sud de l’enclos) et
des murées rectilignes formant des angles droits (côté
Ouest). Une prospection au détecteur à métaux a permis
de recueillir des éléments de datations et d’appréhender
l’organisation de l’espace. (fig.6)
Le matériel datant suggère une occupation principalement gallo-romaine : l’indice le plus ancien est un tesson
protohistorique (rebord de vase noir, du IIIe au Ier siècle av.
J.-C.). De nombreux tessons grossiers à dégraissant calcaire6 ont été trouvés mais étant donné le contexte, ils ont
davantage de probabilités d’être du Ier siècle après J.-C. La
période augustéenne apparaît à travers des tessons
(assiette grise carénée, céramique peinte et rebord de
céramique grossière) et le IIe siècle est bien représenté par
un rebord de céramique métallescente et 9 monnaies de
la période antonine.
La localisation et la nature du petit matériel ferreux donne
des indices pour distinguer les emplacements d’habitats
et d’atelier, et les zones cultivées : des constructions en
matériaux périssables sont indiquées par la densité de
clous de menuiserie et quelques clous de charpente dans
les angles de deux murées et le long de murées. Un matériel d’habitat - vaisselle diversifiée, fragments de verre,
clefs de coffre, charnière, peson - provient de ces mêmes
endroits. Deux zones d’atelier sont indiquées par la présence de battitures, scories et débris ferreux.
A l’extérieur de l’enclos, une parcelle limitée sur trois
côtés, le quatrième étant le lapiaz, entourait un habitat
avec des éléments de datations du IIe siècle ap. J.-C. Aux
emplacements des habitats comme des ateliers la terre
est différente, plus sombre et plus légère. Les caractéristiques végétales mises en évidence par Alice Jannet :
« flore plus riche et de tendance nitrophile marquée »
sont peut-être directement liées à l’habitat plutôt qu’à la
culture. Le transect des prélèvements concerne en effet
presque exclusivement le secteur où la prospection montre les signes d’habitat.
A l’Est et à l’Ouest de cette zone d’occupation, l’enclos
est apparemment vide, et deux objets nous incitent à son-
ger à des espaces agricoles : une clochette de chèvre et
un pique-bœuf.
Cet ensemble comporte ainsi plusieurs emplacements
d’habitats, les principaux à l’intérieur du grand enclos
fermé, concentrés où se trouvent des partitions internes
et des pierres dressées intégrées à la murée, un autre
étant situé dans une petite parcelle extérieure. Par sa
forme, et les éléments de datation, le grand enclos fermé
est à rapprocher des enclos fermés sur la rive droite de la
Digeanne, mais l’abondance et la variété de céramique
évoquent une occupation plus importante.
4. - Conclusion
Dans ce cas particulier des parcellaires, nous avons montré deux zones aux caractéristiques très contrastées, traversées par le même itinéraire Beneuvre – Essarois –
Tremblois – Vertault. Le parcellaire qui surplombe la vallée
de la Digeanne est irrégulier, il apparaît fortement dépendant du relief et malgré sa densité il est discontinu, les
zones occupées sont interrompues par des zones « tampon » non mises en valeur où le lapiaz est resté en l’état.
Les éléments de datation métalliques s’inscrivent dans la
période laténienne (avec une possible antériorité) et au
début du gallo-romain. Au contraire, le parcellaire de la
Combe de l’Air, implanté sur le plateau, se caractérise par
des parcelles fermées, polygonales et liées les unes aux
autres. Les habitats testés au détecteur montrent tous
une occupation autour du IIe siècle après Jésus-Christ.
Dans le premier cas, il est permis de supposer une création progressive, non dictée par d’autres considérations
que celles du relief et de la fonction recherchée, mais
étant donné les constantes observées et les éléments de
datation recueillis, tout se passe comme si les habitants
organisaient l’espace selon un code commun et non écrit.
Dans le second cas, une volonté manifeste d’organisation
de l’espace a encadré la création des parcelles. Faut-il voir
là un effet de la romanisation de campagnes reculées ?
En l’état actuel de la recherche, le parcellaire de la Combe
de l’Air est presque une exception, et le modèle observé
sur la Digeanne semble beaucoup plus représenté.
Dans les deux cas, il faut souligner la difficulté de distinguer à priori entre parcelles d’habitat et de culture. A la
Combe de l’Air, la parcelle ou sont concentrés plusieurs
bâtiments probables est semblable aux parcelles voisines,
à priori agricoles. Dans le parcellaire de la Digeanne, où
les habitats sont en bois et torchis, la difficulté est encore
plus nette pour distinguer les enclos qui entourent un
habitat de ceux qui entourent des parcelles cultivées, ou
les terrasses à habitat des terrasses agricoles, même si la
dimension et la forme donnent quelques indices.
Ces premières observations nous incitent à étendre les
relevés et surtout à tenter de multiplier les possibilités
d’obtenir des informations sur la datation et la fonction
(6) Des tessons de ce type ont été trouvés en particulier à Blessey. Voir Mangin (2000).
145
Y. PAUTRAT, D. GOGUEY
des structures inventoriées.
Remerciements
Nous remercions, tout particulièrement pour l’identification du mobilier céramique et métallique, Philippe Barral
et Lionel Orengo, ainsi que Michelle Hamblin pour le
résumé anglais.
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Seine. L’agglomération antique de Blessey-Salmaise, Côte
146
Le bois des Saints-Pères à Cesson (Seine-et-Marne)
Alain SENÉE(1), Dominique ROBERT(2)
(1) 18, rue Jean Moulin – 91 330 YERRES – [email protected]
(2) 4, impasse du Vieux Puits – 77 390 COURTOMER – [email protected]
Résumé
Le bois des Saints-Pères, possession de l’abbaye médiévale des Saints-Pères de Melun, présente de nombreux vestiges
d’activités humaines. Il est actuellement menacé par l’extension du centre commercial de Boissénart.
Abstract
The wood of the « Saints-Pères », possession of the medieval abbey of the « Saints-Pères » of Melun, present many
vestiges of human activities. It is currently threatened by the extension of the shopping centre of Boissénart.
Le bois, d’une vingtaine hectares, se trouve sur la commune de Cesson en ville nouvelle de Sénart, entre la vallée de l’Yerres au nord et celle de la Seine au sud (fig.1).
Il dépend d’un opérateur foncier et aménageur d’Etat
dans l’attente, à court terme, d’un retour à la commune
de Cesson dont le Plan Local d’Urbanisme inscrit le bois
comme espace boisé classé.
Jusque dans les années soixante-dix, le bois des SaintsPères appartient à un paysage agricole traditionnel du
plateau de la Brie française. La décision d’implanter une
ville nouvelle sur dix communes de deux départements
limitrophes (Seine-et-Marne et Essonne) bouleverse irrémédiablement la physionomie de cet espace, façonné au
fil des siècles et fossilisé par les pratiques agraires.
1. - Données historiques
Les prospections pédestres et les sondages menés par les
archéologues bénévoles depuis de nombreuses années,
les fouilles archéologiques entreprises par les équipes professionnelles ainsi que les recherches en archives permettent de donner une image de l’occupation humaine de ce
territoire du paléolithique moyen (Senée, 1988) jusqu’à
nos jours.
Au Moyen Âge, les seigneuries de Savigny-le-Temple, Vert
Saint Denis, Cesson et Pouilly-le-Fort, proches de la ville
royale de Melun se composent de lieux possédant une
entité propre.
Cesson devient une paroisse au XIIe siècle lorsque l’archevêque de Sens donne le prieuré de Saint-Leu à l’abbaye
bénédictine des Saints-Pères de Melun (Leroy, 1912).
Si les possessions du prieuré de Saint-Leu sont bien renseignées par les archives, il n’en est pas de même concernant le bois des Saints-Pères pour lequel s’ajoute une
confusion avec le bois du prieuré dit de Saint-Leu lorsqu’il
s’agit des aliénations de la mense conventuelle aux XVIe
et XVIIe siècles. Néanmoins, nous disposons de superficies
d’après des textes du XVIe siècle : l’abbé commendataire,
Charles de Marillac vend 57 arpents de bois taillis du
« bois saint-Père » en 1545 (A.D.S.M. H223) alors que le
bois contient 80 arpents (près de 40 ha) d’après une
déclaration de 1521 (A.D.S.M. H257).
Au XVIIe siècle, l’abbaye des Saints-Pères de Melun est
affiliée à la Congrégation de Saint-Maur et c’est dans ce
contexte que le nombre d’arpents boisés soumis au versement du cens augmente considérablement dans la
seconde moitié du siècle (Walraet-Broquaire, 2002). En
1669, le bois contient 67 arpents de bois taillis tenus en
fief par le seigneur de Pouilly et ceci jusqu’à la Révolution
(A.M. Melun II d.22).
Certains toponymes témoignent d’aménagements particuliers en périphérie du bois des Saints-Pères : au nord,
Le Plessis Picard fait face au Plessis-le-Roi ; à l’est, Les
Closeaux, lieu-dit situé à un croisement majeur ;
contiguës à la lisière sud-ouest du bois, deux haies : La
justice de la haye st germain suivie de celle de La haye
guerin. D’après le plan d’intendance de la paroisse de
Cesson levé en 1787 (A.D.S.M. C 50), la voie pavée en
grès qui traverse le bois d’est en ouest est l’axe de circulation permettant de joindre Pouilly-le-Fort (sur la commune actuelle de Vert Saint Denis, au nord-est) par l’intersection dite Les Closeaux ; cet axe croise, au niveau
d’un pont, le chemin reliant le bois à Cesson et Melun au
lieu-dit Le marchais reau, marqué par une croix.
Le bois apparaît donc comme un carrefour sur tous les
documents, dont les plus anciens datent du XVIIIe siècle,
au-delà des différentes phases d’extensions et de rétrécissements qu’il a connues. Le bois des Saints-Pères reste
147
A. Senée, D. Robert
Figure 1 : Situation du bois des Saints-Pères.
actuellement le seul vestige du temporel de l’abbaye
melunaise entre la forêt de Sénart au nord et celles de
Rougeau et Bréviande au sud, lambeaux de la Bellus lucus
du XIIe siècle d’après l’abbé Fortin (Fortin, 1901).
2. - Peuplement forestier
Le bois est un taillis sous futaie de chênes anciens. Les
essences d’accompagnement sont le châtaignier et le
charme. En sous-étage, les églantiers, les néfliers et les
noisetiers (à l’ouest) caractérisent un peuplement vieillissant. Le couvert dense et la taille des cépées du taillis
(chêne, châtaignier, charme, érable champêtre) indiquent
une ancienneté comprise entre 100 et 200 ans. La dernière coupe de taillis date de 50 ans.
148
Il faut noter une différence de peuplement au nord-est
avec la présence de merisiers. Au nord des routoirs, la
taille des chênes (diamètre d’environ 1,20 m) atteste un
peuplement plus ancien et correspond à de très vieilles
réserves du traitement forestier. Le sol est tapissé de jonquilles et d’anémones des bois (A. nemorosa L.) au printemps. Depuis l’été 2004, après le débardage, les robiniers colonisent le sol. Sont visibles également des
euphorbes des bois et des ornithogales au pied de chênes
typiques d’un traitement de la futaie au XVIIIe siècle. Au
sud et au sud-est, la présence de poiriers (Pyrus communis L.) et de pommiers (Palus sylvestris L.), espèces à croissance lente et indicateur d’occupation humaine, renforce
le caractère ancien du bois. C’est dans cette partie sud du
bois que se trouve le chêne dont la silhouette est comparable aux plus beaux arbres remarquables du départe-
A. Senée, D. Robert
ment avec une circonférence de 4,60 m à 1,30 m du sol.
Au sud-ouest du bois, au-delà d’un profond fossé, la présence d’ormes témoigne d’un usage différent de cette
parcelle. Enfin, de nombreux sureaux, indicateurs de sol
azoté dû à la fréquentation humaine et animale, prospèrent sur les fossés de la voie pavée.
3. - Structures
Le bois présente de nombreuses traces d’occupation,
d’utilisation et de destruction (fig.2).
La voie pavée en grès est bornée (Anglaret, 1999), large
de six mètres et bordée de fossés. Cet axe est la Route
d’aqueux qui mène à Savigny-le-Temple, au sud-ouest,
en direction de la forêt de Rougeau via la forêt d’Aqueux
(A.D.S.M. C 50). Elle permettait donc, à une date encore
inconnue, de relier la seigneurie de Pouilly-le-Fort à la vallée de la Seine. Il n’est pas incongru d’envisager par ailleurs le percement de cette voie avec les aménagements
cynégétiques entrepris pour le roi Louis XV entre les forêts
de Sénart et Rougeau.
Des mares sont disséminées dans le bois et l’une, actuellement asséchée, recoupe la voie pavée. Trois autres
mares se trouvent dans la partie sud, entre la voie et les
routoirs. L’une est asséchée, l’autre a été recreusée en son
centre et l’eau y est contenue à l’intérieur d’un talus
annulaire, aménagé récemment par les chasseurs pour
abreuver la grande faune ; enfin, la dernière, en eau,
conserve un aménagement terrassé suivi d’un lit de
pierres immergé. Des routoirs (mares de rouissage du lin)
ponctuent la lisière sud du bois ; ils sont alignés sur le
cours d’un affluent du Ru de Balory. Un fossé profond
renforcé par un talus double le ruisseau au sud et se poursuit au-delà des routoirs au nord-ouest. Aux deux extrémités sud de son tracé, le talus a été détruit.
Quatre reliefs de forme quadrangulaire, clairement identifiés, sont dispersés au milieu du bois bien que trois d’entre eux soient implantés de part et d’autre de la voie
pavée en grès. Rien ne permet d’affirmer une corrélation
certaine entre ces structures et les mares, bien que toutes
se situent dans le même espace, en partie centrale et
méridionale du bois. Ces structures, appelées loges par
commodité, ont sensiblement les mêmes dimensions :
4 m x 4 m. L’une est accompagnée d’un puits. Deux de
ces reliefs présentent une particularité : l’un est concave ;
l’autre, isolé, le plus au sud, montre deux parties
convexes, avec en leur milieu un chêne, dont on peut
penser qu’il a été utilisé comme support puisque l’écorce
porte l’entaille d’un lien sur tout son périmètre à 1,60 m
de hauteur. Enfin, en bordure de la voie et à l’est, les vestiges d’une construction en meulière (2 m x 3 m) sont
encore visibles sur une hauteur de 0,80 m ; des tuiles à
ergot parsèment le sol alentour.
Figure 2 : Localisation des vestiges (A : voie pavée ; B : construction en meulière ; S : relief ; M : mare ;
R : routoir ; GR : site gallo-romain).
149
A. Senée, D. Robert
C’est dans la partie est du bois que se trouvent quelques
excavations circulaires qui renvoient à l’exploitation de
matériaux tels que le sable et le grès dont le prélèvement
est mentionné par l’instituteur de Vert Saint Denis en
1889 (A.D.S.M. 2 Mi 557).
C’est également sur cette façade orientale que nous
avons repéré en prospection au sol un site gallo-romain,
dans la pièce de culture jouxtant la lisière du bois. Le plan
de la seigneurie de Pouilly-le-Fort établi au début du XVIIIe
siècle montre à cet emplacement des champs en lanières
dont une partie a été reconquise par le bois.
Toutes ces structures témoignent d’occupations et prélèvements ponctuels en milieu couvert, liés aux ressources
du territoire et aux activités séculaires de ses habitants et
plus particulièrement au travail de transformation du lin
et du chanvre. En effet, l’instituteur de Vert Saint Denis
rapporte dans sa monographie l’importante culture du lin
avant 1889 ; c’est à cette date du reste que les registres
d’état civil font état du décès d’un ouvrier de l’usine de
teillage du lin située à Vert Saint Denis (Anglaret, 1999).
Beaucoup plus tôt, en 1644, le curé de Cesson établit le
compte de la dîme dans lequel est nommée la filasse
(A.D.S.M. H281). Les mares dites routoirs ainsi que les
loges pourraient être liées à cette activité avant que le
XIXe siècle n’interdise le rouissage en cours d’eau, ce qui
peut justifier l’implantation artisanale de Vert Saint Denis,
un peu plus au sud-est.
Enfin, le bois a dû servir à l’approvisionnement de la tuilerie de Cesson : pendant la Révolution, il porte le nom
de bois de la tuilerie (Anglaret, 1999).
cent sur ses spécificités historiques et écologiques telles
que le chêne remarquable au sud-est, les fruitiers anciens
et la présence possible du pic noir qui peuvent jouer le
rôle d’atouts face à la pression commerciale.
Remerciements
Claire MABIRE LA CAILLE, maître de conférences, Guy
FROISSART et Alain DURAND historiens locaux, pour la
communication de leur documentation archivistique,
André MARCHAUDON pour les photographies,
Renaud TRANGOSI, technicien forestier, pour la détermination forestière.
Abréviations
A.D.S.M. : Archives départementales de Seine-et-Marne
A.M. : Archives municipales
Archives
A.D.S.M.
C 50 : Plans d’intendance des paroisses de Cesson,
1787 et de Savigny-le-Temple, 1787.
H223 (1466-1630), H257 (1384-1669), H281 (XVIIe siècle) : Fonds de l’abbaye des Saints-Pères de Melun.
2 Mi 557 : Monographie de Verrière, instituteur de
Vert Saint Denis, 1889.
A.M. de Melun
II d.22, p.3 : Déclaration devant notaire, 1669.
4. - Enjeu actuel
Le bois est menacé par la création d’une Zone d’Activités
Commerciales, extension du centre actuel de Boissénart, qui
s’étend sur près de 200 000 m2, prenant l’espace boisé en
tenailles et l’endommageant dans ses parties nord et est.
De plus, l’un des deux projets de développement envisage
un remodelage paysager irréversible avec des plantations de
type urbain servant d’écran au milieu existant dont le tout
proche bois des Saints-Pères.
Pourtant, le défi « Sénart 2015 » qui s’appuie sur la loi
Voynet de 1999 s’est donné cinq objectifs dont le critère
environnemental : « préserver le paysage et le cadre de vie
des agressions du développement » ; de plus les entreprises doivent s’engager dans une charte qualité environnementale à échelle et financement européens.
Face à cette situation, nous avons saisi, entre autres, l’écomusée conservatoire de variétés anciennes de Savigny-leTemple ainsi que le Conseil d’Architecture, de l’Urbanisme
et de l’Environnement du département de Seine-et-Marne.
Nos démarches consistent donc actuellement à mobiliser
les moyens nécessaires à la conservation de ce bois
comme témoin du continuum francilien en mettant l’ac150
Bibliographie
ANGLARET F., 1999, Histoires de CESSON, Amatteis,
224 p.
FORTIN J., 1901, La forêt de Beaulieu, Bulletin de la
Société d’Histoire et d’Archéologie du diocèse de Meaux.
LEROY G., 1912, Notice historique sur Saint-Leu, hameau
de la commune de Cesson, Bulletin de la Société
d’Archéologie, Sciences, Lettres et Arts du Département
de Seine-et-Marne.
SENEE A., 1988, Le gisement paléolithique supérieur de la
butte du Luet à Cesson, Pagus Melodunensis, 3.
WALRAET-BROQUAIRE S., 2002, L’abbaye de Saint-Père
de Melun et son temporel au XVIIe siècle : approche
archéologique, Mémoire de maîtrise sous la direction de
Mme Mabire La Caille , Université Paris-I-PanthéonSorbonne.
Toponymes témoins de l’histoire de la fronde
(1648-1652)
Alain SENÉE
Société d’Art, Histoire et Archéologie de la Vallée de l’Yerres
18, rue Jean Moulin – 91 330 YERRES – [email protected]
Résumé
Les événements de la Fronde en 1652 sont conservés en Brie sous la forme de toponymes mais également sous celle
d’une structure défensive en terre. Le couvert forestier a permis la préservation de ces témoignages.
Abstract
The events of the Sling in 1652 are preserved in Brie in the forms of toponyms but also under that of a defensive ground
structure. Forest cover allowed the safeguarding of these testimonies.
1. - Situation géographique
La zone où se sont déroulés plusieurs épisodes importants
de la Fronde a pour cadre la partie occidentale de la Brie
Française située entre Brie-Comte-Robert (Seine-etMarne) et Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne).
Cette partie terminale du plateau briard, en surplomb,
revêt, pour celui qui l’occupe, une importance stratégique
considérable. Sa situation dominante permet d’observer
aussi bien le plateau de l’autre versant de la vallée de
l’Yerres et la lisière de la forêt de Sénart que la confluence
des vallées de la Seine, de l’Orge, de l’Yerres, de la Marne
et Paris dans le lointain. Les différents toponymes conservés, dans et aux alentours de la forêt du Bois de la
Grange, de cet épisode de notre histoire témoignent de
l’âpreté des combats, de la cruauté des hommes qui s’affrontaient et des craintes que la Fronde a longtemps suscitées parmi les habitants de la région.
2. - Historique
Durant la Fronde, les armées en présence sont constituées
en grande partie de mercenaires : Suisses pour le roi et
commandés par Turenne ; Lorrains et Allemands pour
l’armée de Condé. Ce dernier fait appel à des « entrepreneurs de guerre » comme les ducs Ulrich de Wurtemberg
et Charles IV de Lorraine (Chancelier, 1998). Ces troupes
s’implantent et s’affrontent dans toute la région occupant tour à tour les mêmes positions.
Charles IV de Lorraine entre en France après la défaite
infligée par Turenne à l’armée des princes à Etampes en
mai 1652. Il vient prêter main forte aux frondeurs qui
conservent néanmoins la ville, encerclée par Turenne.
Mais sous la pression de ce dernier, le duc de Lorraine lève
le siège après que son armée ait commis les pires exactions dans toute la région comme le pillage des abbayes
d’Yerres et de Jarcy ainsi que les manoirs et châteaux de
Vaux-la-Reine et Brie-Comte-Robert (Dubois-Corneau,
1932).
Ainsi peut s’expliquer l’existence, dans les forêts des alentours, de toponymes liés à ces affrontements et aux principaux protagonistes.
3. - Toponymes et structure
Les toponymes relevés sont les suivants : Le Petit
Virtemberg (Limeil-Brévannes), Le Grand Virtemberg
(Limeil-Brévannes), Le Camp des Lorrains ou Redoute de
Virtemberg (Yerres), La Mare Armée (Yerres), Le Chemin
des Lorrains (Brunoy et Villecresnes) (fig. 1). Sur les
feuilles du cadastre napoléonien de Limeil-Brévannes, les
toponymes de Virtemberg, déformation orthographique
de Wurtemberg, sont associés à un toponyme d’origine
locale. Ils attestent qu’en ces différents lieux, encore boisés, d’autres camps ou retranchements existaient ou existent encore et que le souvenir de cette présence s’est
transmis au cours des siècles.
151
A. SENÉE
aujourd’hui sous la forme d’une faible dépression
correspondant au fossé presque comblé, large de
4 m, qui entourait la structure. Une légère levée
de terre en délimite les contours actuels. Elle a la
forme d’une étoile à quatre branches régulières et
très évasées correspondant aux critères des retranchements bastionnés que l’on édifiait à cette
époque. Sa superficie intérieure est d’environ
2500 m2 pour une longueur de 54 m (fig. 2).
D’après une estampe anonyme contemporaine
des événements (1652), elle était intégrée dans
un vaste réseau de fortifications constitué de plusieurs lignes de redoutes érigées autour des points
stratégiques. Elle reste, à ce jour, la seule structure
défensive en terre connue.
Bibliographie
BAILLY P., 1991, Mary-sur-Marne, Notre
Département : La Seine-et- Marne, 17, Mars-Avril
1991, p.19-22.
DUBOIS-CORNEAU R., 1932, La Fronde, Bulletin
de la Société Historique et Archéologique de BrieComte-Robert, 1-2, p. 9-40.
CHANCELIER M., 1998, Villeneuve-Saint-Georges
au fil d’un tableau, Catalogue d’exposition de la
Société d’Art, Histoire et Archéologie de la Vallée
de l’Yerres, Brunoy, p.13-29.
Figure 1 : Forêt du Bois de la Grange (Essonne et Val-de-Marne) : emplacement des différents
toponymes liés à La Fronde.
Ces toponymes ne se limitent pas à cette seule zone
d’étude. En partant de Brunoy, Le chemin des Lorrains,
permet de quitter cette commune en direction de l’est. En
suivant cette « ligne de fuite », ils apparaissent sur le
territoire de plusieurs communes de la partie orientale de
la Seine-et-Marne : La Montagne des Lorrains à Marysur-Marne où, selon la tradition, en 1652, les habitants
du lieu auraient vaincu les mercenaires du duc de
Lorraine, soldats ne faisant tout que pour le ventre, tuant,
violant, profanant les églises. Ils étaient dénommés
« Les Boyaux Rouges ». Le Bois Lorrain à Saint-Pathus,
Le Pré Lorrain à Beautheil, La Butte des Lorrains à
Chaumes-en-Brie témoignent encore de ces craintes.
(Bailly, 1991).
La redoute étoilée du Camp des Lorrains se situe au sud
du château de la Grange-du-Milieu, et non loin du château de Grosbois qui furent les points névralgiques de
toutes ces escarmouches et intrigues. Elle apparaît
152
A. SENÉE
Figure 2 : Plan du Camp des Lorrains ou Redoute de Virtemberg (Yerres - Essonne).
153
154
Les apports du laser aéroporté à la documentation
de parcellaires anciens fossilisés par la forêt :
L’exemple des champs bombés de Rastatt
en Pays de Bade
Benoît SITTLER(1), Karl HAUGER(2)
(1) Institut für Landespflege – Universität – D-79085 FREIBURG [email protected]
(2) Stadionstraße 28 D- 76437 RASTATT
Résumé
La documentation de vestiges archéologiques butte souvent sur des difficultés particulières dès lors qu’ils ont été fossilisés sous couvert forestier. Ce cas s’applique aussi aux champs bombés comme formes du modelé agraire traditionnel
ayant généré une succession de crêtes et de creux, avec des dénivelés de 30 à 60 cm et dont la trame permet de reconstituer l’anatomie de parcellaires anciens.
La technique du laser aéroporté développée pour des mesures altimétriques de haute résolution a été testée dans le
cadre d’un projet visant une cartographie fine d’un important complexe de champs bombés fossilisés sous forêt près de
Rastatt en Pays de Bade. Les objectifs de cette étude étaient de développer un modèle numérique de terrain en 3 dimensions de ces champs conservés en forêt.
Les données ont été acquises lors de missions laser aéroportées commissionnées par le Land Bade Wurtemberg pour la
mise à jour des données altimétriques du cadastre. Basée sur la mesure des distances parcourues par des impulsions laser
émises depuis un émetteur-récepteur, cette technologie s’appuie sur un traitement préalable des données brutes incluant
aussi la sélection des points laser ou échos effectivement réfléchis au niveau du sol. Les coordonnées de ces derniers couplées à l’utilisation d’un SIG servent alors à la réalisation du modèle numérique de terrain. Ce dernier révèle avec un étonnant degré de vraisemblance et à grande échelle le modelé de ces champs fossilisés, témoignant ainsi des capacités
insoupçonnées de cette technique à détecter et visualiser en 3-D des structures en relief qui en milieu forestier échappent à l’observateur.
Abstract
The documentation of relics of ancient cultivation practices is a special issue to landscape and heritage preservation
agencies. In sites where such legacy of medieval agriculture survived under woodlands, assessing the characteristics of
the pattern of furlong and strips is often difficult due to methodological constraints imposed by the obscuring vegetation that prevents systematic observations.
As a new technology for obtaining high resolution measurements of surface elevations, airborne laser scanning has been
tested on fossilized ridge and furrow that survived in woodlands near Rastatt in South West Germany. The purpose was
to generate 3-D models of these corrugated fields displaying altimetric differences between 30 and 60 cm.
Data for this pilot study were obtained from flight missions carried out by the Land survey agency of Baden Wurttemberg
for the purpose of updating comprehensive altimetric data base. Filtering and processing of row data with subsequent
use of GIS enabled to generate realistic 3D terrain models representing the earth's surface void of any forest or vegetation structure. The resolution of this data that creates true-to-life renderings of these corrugated patterns of medieval
fields compares favorably with terrestrial mappings, allowing large areas of landscape to be captured as three-dimensional surface data. This technology promises to open historic structures and archaeological sites to more visually
detailed, accurate and efficient examination
155
B. SITTLER, K. HAUGER
1. - Introduction
La documentation de vestiges archéologiques fossilisés en
relief sous le couvert forestier butte souvent sur des difficultés non seulement liées à la révélation de leur existence dès lors que la végétation les a colonisés depuis des
générations, mais aussi à l’exécution de relevés planimétriques. Cela s’applique tout particulièrement pour des
structures s’étendant sur de grandes surfaces et présentant des différences altimétriques guère perceptibles. Ce
cas de figure concerne entre autres l’archéologie agraire
avec ses formes héritées de pratiques agricoles anciennes
et que le retour de la forêt a figé.
Si en terrain découvert la prospection aérienne s’est souvent révélée d’une grande efficacité pour mettre en évidence les trames de terroirs médiévaux et des vestiges
ruraux qui y étaient associés (Beresford et Saint-Joseph,
1979 ; Braasch, 1996), la télédétection traditionnelle prisée pour sa capacité à fournir des vues synoptiques se
heurte ici à son incapacité à voir au travers du voile de la
canopée.
La technique du laser aéroporté dont l’application dans le
domaine civil est récente, a été testée dans le cadre d’un
projet visant une cartographie fine d’un important complexe de champs bombés fossilisés sous forêt près de
Rastatt en Pays de Bade. Une prospection terrestre avait
laissé entrevoir le caractère exceptionnel du site (Hauger
et al., 2001) sans toutefois parvenir à en appréhender
précisément les mensurations géométriques ainsi que le
périmètre réel de ces anciens champs fossilisés.
2. - Problématique
Les champs bombés encore perceptibles dans nos paysages sont des preuves archéologiques attestant d’une
ancienne occupation agricole et à ce titre leur documentation permet de jeter un regard sur l’utilisation des paysages à des époques révolues, surtout lorsque des sources
narratives scripturales ou iconographiques font défaut.
Ce cas s’applique tout particulièrement aux parcellaires
romains ou médiévaux.
Le modelé même de ces champs bombés se traduisant
par une succession de creux et de crêtes espacés de 5 à
20 mètres a été généré par la pratique de labours en ados
liée à l’utilisation de charrues à versoir fixe (Ewald, 1969 ;
Callot, 1980). L’abandon de ces pratiques qui est allée de
pair avec la modernisation de l’agriculture au XIXe siècle
s’est accompagnée d’un nivellement de ces parcelles. Ces
modelés n’ont été conservés que dans les situations où
ces parcelles furent converties en prairies comme ce fut
souvent le cas en Angleterre ou alors lorsque pour des raisons diverses la forêt y a repris ses droits après l’abandon
des labours.
La documentation de ces sites par les archéologues
agraires s’est souvent limitée à des prospections terrestres
156
lorsque ces structures étaient facilement lisibles (Ewald,
1969) ou aériennes (Beresford et Saint-Joseph, 1979)
mais rares ont été les cas de champs bombés conservés
en milieu forestier.
C’est aussi la raison pour laquelle de nombreux sites sont
restés ignorés. Ce cas s’applique aussi au Fossé Rhénan
où ces champs bombés avaient pourtant marqué de leur
empreinte la physionomie des paysages passés (Schwerz,
1816 ; Callot, 1980). Il en est ainsi d’un important complexe de champs bombés dans les Forêts du Bruch de
l’Andlau au Sud de Strasbourg.
Pour le site au sud de Rastatt en Pays de Bade (Hauger et
al., 2000), les difficultés rencontrées lors d’une cartographie terrestre d’une zone s’étendant sur plus de 1000
hectares et aussi de l’application de méthodes tachéométriques comme autre procédé pénalisé par l’encombrement végétal du milieu forestier ont été à l’origine d’une
recherche d’autres techniques susceptibles de supplanter
ces approches traditionnelles. A cet effet, les missions de
laser aéroporté mises en place par les Services du
Cadastre (Landesvermessungsamt Bade-Wurttemberg)
allaient offrir une possibilité de tester l’applicabilité de
cette technique pour la restitution du microrelief des
champs bombés.
3. - Méthodes
Présentation du site : La zone concernée se situe dans la
plaine du Rhin au sud de Rastatt. Elle occupe une
ancienne terrasse qualifiée de Stollhofener Platte et dont
le rebord domine à l’ouest de 6 à 8 mètres le lit majeur
du Rhin. Cette partie exhaussée s’étend sur environ 5 km
de longueur et une largeur de 2 à 3 km. Vers l’Est, elle est
délimitée par la zone déprimée et marécageuse de la
Kinzig Murg Rinne. Ses substrats caillouteux et sableux et
l’absence de contact direct avec la nappe phréatique (profondeur du toit de la nappe d’environ 3 à 4 mètres)
confèrent à ce site une certaine aridité et pauvreté.
Hormis les abords immédiats des villages de Hugelsheim
et Iffezheim encore voués à l’agriculture, ce site est essentiellement boisé, avec des peuplements mixtes dominés
par les pins, épicéas et hêtres. La grande tempête
« Lothar » de 1999 y a localement créé des trouées et des
chablis dégagés entre temps, alors que d’autres secteurs
ont conservé leur couvert beaucoup plus dense.
Une prospection préliminaire de ce parcellaire à champs
bombés avait donné lieu a une première cartographie
encore provisoire de tous les champs dont l’observation
directe avait clairement fait apparaître l’alternance des
creux et des bombements. Cette première délimitation
porte sur une surface minimum d’environ 350 hectares
(Hauger et al., 2001).
B. SITTLER, K. HAUGER
Une première étude historique attribue à ce parcellaire
une origine médiévale, son abandon étant consécutif à la
Guerre de Trente Ans, avec retour à une couverture forestière se faisant par le biais d’une friche boisée.
3.1. - La technique du Laser aéroporté
Cette technique qualifiée de LIDAR (Light Detection and
Ranging) et déjà appliquée dans divers autres domaines
(Ackermann, 1999 ; Pfeifer et al., 1999 ; Von Hansen et
Vögtle, 1999 ; Maas, 2002 ; Persson et al., 2002) a pour
principe la mesure des distances parcourues par des
impulsions laser émises depuis un émetteur-récepteur
monté à bord d’un avion et dont le positionnement est
assuré par la combinaison d’un récepteur GPS et d’une
plate-forme inertielle. Ces systèmes combinent deux entités : un télémètre laser couplé à un procédé d’orientation
du faisceau laser pour mesurer la distance le séparant de
la surface survolée et des capteurs pour déterminer la
position et l’altitude de la plate-forme (fig.1).
En zone boisée ou bâtie, les impulsions laser subissent
plusieurs réflexions avant d’atteindre le sol. On parle alors
d’échos multiples enregistrés par l’impulsion émise. Le
premier écho correspond au premier contact avec l’objet
en sursol, soit en forêt la canopée, le dernier écho étant
celui qui atteint le sol pour s’y réfléchir (fig. 2). Pour séparer les points du sursol de ceux correspondant effectivement à la surface du sol, il faut donc appliquer des algorithmes de filtrage pour lesquels divers logiciels sont disponibles.
First pulse
Last
pulse
Figure 2 : Impulsions laser en présence d’un couvert forestier (First pulse = premier écho et Last pulse = dernier écho).
Les données brutes livrées sous la forme d’un nuage de
points 3D géo-référencé par le prestataire font ensuite
encore l’objet d’un traitement ultérieur requis pour la réalisation de modèles numériques de terrain. Ces opérations incluent des calculs de trajectographie et de nuages
de points, des classifications semi-automatiques ainsi que
des corrections interactives sur stations de photogrammétrie numérique. Les performances de la mesure altimétrique doivent tenir compte de diverses sources d’erreurs
qui jalonnent la chaîne d’acquisition et qui peuvent se traduire par une incohérence des données. C’est ainsi
qu’outre des erreurs liées au fonctionnement même du
système laser, diverses autres imprécisions peuvent affecter la qualité des données (atmosphère, nature des surfaces etc.).
Figure 1 : Le principe de la télédétection par laser aéroporté.
La référence à une station GPS au sol permet d’améliorer
la précision géographique du capteur. Le calcul de ces distances repose sur la mesure du temps de propagation de
l’impulsion laser. Le balayage des surfaces est opéré à de
très hautes fréquences selon des bandes d’une largeur
pouvant aller de 300 à 700 mètres, pour des altitudes de
vol de l’ordre de 1000 mètres. La densité des points est
évidemment fonction de divers paramètres ; selon les systèmes et les applications, elle varie généralement entre
0,1 point et 5 points par m2.
Les coefficients de pénétration varient évidemment en
fonction de la densité des couverts et de la saison. En
période hivernale, il peut ainsi atteindre 60 % dans des
peuplements de feuillus, alors qu’il peut descendre
jusqu’à 20 % dans des zones de conifères très denses.
Les coordonnées de l’ensemble des points au sol permettent de générer un modèle numérique de terrain (MNT),
mais il est aussi possible de n’utiliser que les premiers
échos pour restituer un modèle numérique de la surface
de la canopée, la différence entre les deux permettant
même de déduire le volume de la couche végétale.
157
B. SITTLER, K. HAUGER
3.2. - Les missions de laser aéroporté du Land Bade
Wurtemberg
Dans le cadre d’un programme de grande envergure
ayant pour ambition de disposer de données altimétriques de haute précision (un point pour moins de 5 m2)
pour tout le territoire du Land Bade Wurtemberg (35 000 km2),
les services du cadastre (Landesvermessungsamt) ont
opté pour le laser aéroporté (Hoss, 1997 ; Gütlinger et al.,
2001). Les missions étalées sur 5 ans (2000 – 2005) ont
été assurées par la Compagnie Topscan. Les survols qui
requièrent un paramétrage préalable (angle et fréquence
de balayage, fréquence des impulsions et intervalles de
distance) ont eu lieu en période hivernale.
Pour la présente approche, les responsables de ces services (Mrs. Scheyer et Gütlinger) ont gracieusement
accepté de procéder à un traitement pour une zone test
d’un kilomètre sur un kilomètre au sein du site à champs
bombés. Cette démarche a comporté le géoréférencement en coordonnées ETRS89/UTM, les différents points
étant discriminés selon qu’ils correspondent à des points
au sol (MNT) ou en sursol (MNS). Des extraits de ces données ont ensuite été traités avec le logiciel Erdas Imagine
avec contrôle préalable avec Erdas. Ces extraits ont été
exportés depuis Erdas Imagine vers des quadrats Arc View
en préalable à la création de profils de surface.
lations propres aux champs bombés avec le profil encaissé
du fossé (Hardtgraben) profond d’environ 1,5 m et qui en
cet endroit coupe les champs bombés.
Ces fichiers une fois visualisés sous forme de profils, rendent perceptibles la dimension verticale de façon très
intuitive dans des milieux où le couvert forestier rend l’observation directe très aléatoire comme l’ont illustré les
relevés terrestres et tachéométriques.
4. - Résultats
Figure 3.a
4.1. - Visualisation de la microtopographie à partir des
derniers échos
Pour illustrer les performances de cette approche, on a
confronté les résultats obtenus en ne retenant que les
données laser émanant des premiers « échos » avec celles
résultant des derniers « échos » correspondant aux
rayons ayant effectivement touché le sol. Cette comparaison est très instructive, comme en témoigne la mise en
parallèle des images numériques obtenues (fig. 3a et 3b).
Si 3a rappelle par bien des détails une photo aérienne
d’un massif forestier avec ici aussi les différences de densités du
couvert résultant des chablis de la tempête « Lothar », c’est un
tout autre « pattern » que restitue le modèle numérique de
terrain. Ce dernier laisse apparaître de manière incontestable la trame du finage que la forêt a fossilisé, un examen plus approfondi permettant ainsi de procéder à une
analyse détaillée de ce modelé agraire.
Une visualisation en 3D du modèle numérique de terrain
dérivé du semis de points de dernier écho au sol est illustrée par ces images « en relief » d’extraits de parcelles
forestières (fig. 4). Le modelé où se succèdent des crêtes
et des creux y est parfaitement lisible, ce type de représentation rendant perceptible la dimension verticale. Dans
cet extrait, il est intéressant de comparer aussi les ondu-
158
Figure 3.b
Figure 3 : Modèles numérique de surface (3a) et de terrain (3b) pour ces quadrats
de 1km sur 1km.
B. SITTLER, K. HAUGER
La longueur est déterminée en mesurant la distance au
travers d’un champ bombé et la largeur moyenne d’un
champ bombé en divisant par sa surface planimétrique
avec sa longueur correspondante.
Pour déterminer les amplitudes des ondulations, on a
tracé un profil en travers des champs bombés (fig. 6) en
utilisant le logiciel adapté. Alors qu’Arc View fournit des
profils en lignes, Erdas Imagine fournit des profils
spatiaux. Les profils obtenus reproduits dans le graphe
rendent facilement compte des différences de niveau. Les
distances figurent en abscisse et les élévations en ordonnée.
Alors que dans le cas présent la délimitation des champs
bombés (polygones) a été opérée par digitalisation
manuelle sur écran, des algorithmes sont envisageables
ultérieurement pour procéder à ces recherches de
manière automatique. Un tel programme a été mis au
point pour la détection de tumuli en Hollande à partir des
semis de points laser (De Boer, 2005).
Figure 4 : Extraits du site visualisé en 3D.
4.2. - Les mesures altimétriques et planimétriques
des champs bombés
Dans la perspective d’une analyse plus fine des formes
planimétriques et du parcellaire dans son ensemble, on a
procédé à des tests visant à appréhender les caractéristiques géométriques des champs dont les limites ont été
révélées par le modèle numérique de terrain. Ces tests
ont été opérés sur des surfaces échantillons et ont porté
sur les dimensions géométriques (longueur et largeur)
ainsi qu’altimétriques. A cette fin, il a été fait appel à l’extension 3D analyste du logiciel Arc View 3.8, son application ayant porté sur une délimitation manuelle préalable
des champs bombés (fig. 5).
Grâce à ce programme, il est possible de déterminer des
surfaces ainsi que des “volumes de surfaces”. Ces dernières sont appréhendées en tenant compte des différences de niveau. Ce paramètre diffère de l’extension planimétrique en 2D de chaque modèle. La surface planimétrique en 2D est une surface carrée dès lors qu’on observe
la surface depuis l’espace. La surface est en revanche la
surface réelle et rend compte d’informations pertinentes
se rapportant à la rugosité et l’ondulation. Plus la différence entre les deux surfaces est grande, d’autant plus
grande sera la rugosité de la surface.
Figure 5 : Délimitation manuelle du périmètre des champs bombés.
5. - Discussion
La manière dont cette approche révèle à l’observateur les
trames géométriques de ces levées de terre parallèles
séparées par des raies dissimulées sous couvert végétal en
font une nouvelle voie d’accès aux possibilités encore
insoupçonnées à la connaissance du paysage. Avec une
résolution altimétrique de l’ordre de 15 cm dont la précision reste cependant encore à appréhender en fonction
des caractéristiques techniques des missions et de la
nature des couverts, bien des structures sont désormais
accessibles pour des prospections, et ce cas ne concerne
pas seulement celles dont la répétitivité des formes saute
immédiatement aux yeux.
159
B. SITTLER, K. HAUGER
Hoehe (m)
123
122
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60 62 64 66 68 70 72 74 76 78 80 82 84 86 88 90 92
Distance (meters)
Figure 6 : Exemple de profil en travers.
Comme un examen encore très sommaire l’a révélé, bien
d’autres éléments ont pu être détectés, un des avantages
étant aussi de pouvoir indirectement dater – dans le relatif – certaines structures en fonction de leur disposition.
C’est ainsi qu’il apparaît que les fossés viennent couper
les champs bombés. Leur creusement est donc postérieur
à ces champs. Dans le cas du long fossé rectiligne du
Hardtgraben, sa mention dans les archives du XVe siècle
permet de déduire que ces champs bombés étaient déjà
en place au Moyen Age. En revanche, les champs bombés viennent butter sur un ancienne voie attribuée aux
Romains (Römerweg), sans correspondance géométrique
avec les champs d’en face, suggérant que cette voie était
déjà en place lors de la mise sous labour de ce site.
Si les coûts entraînés par des missions de laser aéroportés
restent dissuasifs pour bien des initiatives, le cas du Land
Bade Wurtemberg démontre que si l’investissement initial
est certes impressionnant, la multiplicité des utilisateurs
potentiels peut justifier dans le moyen et long terme la
préférence donnée à cette technologie. Du forestier souhaitant appréhender les structures de la canopée
jusqu’aux hydrologues intéressés par des modèles numériques de terrain requis pour évaluer les risques d’inondation en passant par les archéologues et urbanistes, les
besoins de données aussi précises doivent encourager à
s’associer pour engager de telles initiatives.
Remerciements
Nous tenons à remercier tous ceux qui ont bien voulu
apporter leur concours à l’élaboration de cet article. Nous
sommes tout particulièrement reconnaissants envers le
Landesvermessungsamt Baden-Württemberg pour la gracieuse mise à disposition des données laser ainsi qu’à
160
René Siwe (Télédétection/ Univ. de Freiburg) pour son
aide lors du traitement de ces données. Nos remerciements vont également au Landratsamt Rastatt (Mr. von
Rueden et Mr. Schenkel) pour les diverses contributions
au projet.
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161
162
Biodiversité et archéologie : une étude
interdisciplinaire en forêt de Rambouillet
(Yvelines, France)
Thomas VIGNEAU
Muséum National d’Histoire Naturelle – Unité Scientifique 306 Réseaux trophiques du sol : fonctionnement et gestion de l’écosystème forestier
Doctorant, Université Paris X – Nanterre, UMR 7041 Archéologie et sciences de l’Antiquité.
7bis, passage de Bonneval – 28000 Chartres – [email protected]
Résumé
L’étude présentée dans cet article s’inscrit dans le cadre d’une thèse de doctorat consacrée à la dynamique de l’occupation du sol dans le sud des Yvelines depuis l’Antiquité. Le sujet intéresse principalement la forêt de Rambouillet dont la
plus ancienne mention écrite remonte au début du VIIe siècle (vers 615), et qui est volontiers considérée comme les vestiges d’une vaste forêt « primitive ». La fréquence des occupations gallo-romaines au sein de ce massif forestier remet
en cause cette hypothèse, et soulève la question des modes de mise en valeur dont les territoires couverts par l’actuelle
forêt de Rambouillet ont fait l’objet pendant la période gallo-romaine. Afin de contribuer à l’étude des fonctions des établissements antiques du massif forestier de Rambouillet, des relevés floristiques systématiques sont effectués en complément de la réalisation de campagnes de prospection et de sondages archéologiques. Il s’agit, au travers de cette
approche interdisciplinaire, d’évaluer les rapports entre les caractéristiques écologiques de la végétation forestière et les
structures archéologiques, et d’appréhender l’organisation spatiale des occupations antiques. Les premiers résultats
obtenus sur un site d’habitat rural, probablement occupé au cours des IIe et IIIe siècles après J.-C., et pour lequel l’hypothèse d’un antécédent agricole est proposée, sont brièvement présentés.
Abstract
The study laid out in this article takes place within the framework of a thesis dealing with the evolutions of land use in
the south of the Yvelines region since Antiquity. The subject mainly relates to the forest of Rambouillet (20000 ha) of
which oldest mention dates back to the beginning of the seventh century AD (towards 615), and which is readily regarded as the relics of a vast « primitive » forest. The frequency of roman occupations within this forest calls into question
this hypothesis, and raises the question of the land use modalities during the roman period. In order to contribute to the
investigation of the functions of antique settlements located within the forest of Rambouillet, systematic floristic recordings, in addition to prospection campaigns and archaeological surveys, are carried out within several roman sites.
Through this interdisciplinary approach, it is a question of assessing the relationships between the ecological characteristics of forest vegetation and the archaeological remains, and to investigate the spatial structure of antique occupations.
The first results obtained on a rural settlement, probably occupied during the second and the third century AD, and for
which the hypothesis of a former agricultural land use is assumed, are briefly presented.
163
T. VIGNEAU
1. - La zone d’étude : contexte topographique, formations géologiques et
types de sols
Le massif forestier de Rambouillet est situé dans le sud du
département des Yvelines. Fragmenté en plusieurs
ensembles, il s’étend sur environ 20000 ha et comprend
14550 ha de forêt domaniale (fig. 1).
Les espaces forestiers actuels occupent principalement une
zone de plateaux dont le soubassement est formé par des
argiles à meulières. Celles-ci reposent sur un important
dépôt de sables stampiens dont l’érosion a modelé des versants plus ou moins pentus. Argiles à meulières et sables
stampiens, localement surmontés par des sables argileux,
sont irrégulièrement recouverts par des loess et des sables
Figure 1 : Le massif forestier de Rambouillet – carte de localisation
164
soufflés. Sous couvert forestier, les dépôts limoneux sont
peu étendus, assez superficiels et souvent très sableux, alors
que les secteurs de plateaux occupés par les cultures présentent des dépôts éoliens plus importants, plus épais, et
dont la fraction sableuse est plus réduite. Les colluvions,
généralement sableuses ou sablo-limoneuses, occupent les
fonds de vallons sur les plateaux, les bas de versants dans
les vallées, et constituent de larges étendues sur les pentes
développées dans les sables. Dans les fonds de vallées, les
alluvions récentes sont le plus fréquemment constituées de
matériaux fins, et présentent localement des faciès tourbeux (Crahet, 1981).
Les formations géologiques conditionnent en grande partie les modes actuels de l’occupation du sol. Les cultures
occupent significativement les espaces recouverts par les
limons. Ce type de substrat détermine des sols bruns
T. VIGNEAU
offrant de bonnes conditions de drainage ainsi que de
bonnes réserves en eau et en minéraux. Les espaces
forestiers occupent principalement des secteurs où les
argiles à meulières et les sables stampiens jouent un rôle
prépondérant dans les processus pédogénétiques. On y
retrouve des sols plus ou moins podzolisés et affectés à
des degrés divers par l’hydromorphie. Les facteurs topographiques et édaphiques introduisent de forts contrastes
sur le plan des conditions de drainage : fréquemment
engorgés sur le plateau et en bas de pente, les sols sont
au contraire soumis à un drainage important sur les versants, notamment sur les pentes creusées dans les sables
purs. Les colluvions sablo-limoneuses déterminent des
sols aux potentialités souvent limitées et présentant une
hydromorphie parfois marquée.
Dans ce contexte, la végétation forestière, à l’exception
de quelques stations modérément acides, regroupe des
formations plus ou moins acidiphiles. En dehors des stations au sol inondé ou engorgé en permanence, où se
développent aulnaies et tourbières, la végétation se rattache principalement à différents types de chênaies
(Bournérias, 1972). La chênaie-charmaie mésotrophe se
développe sur les sols limoneux, et occupe des surfaces
restreintes par comparaison aux formations oligotrophes
(chênaie sessiliflore à bouleau verruqueux, chênaie
pédonculée à molinie). La forêt présente d’autre part des
faciès landicoles (landes à Genêt, à Fougère aigle ou à
Bruyère).
2. - Du mythe historiographique au
renouvellement de la problématique
La première mention écrite de la forêt de Rambouillet apparaît au début du VIIe siècle (vers 615) sous le vocable Silva
aequilina (forêt d’Yveline). Les sources écrites postérieures
révèlent que ce territoire constitue à la fin du VIIIe siècle un
vaste domaine rattaché au fisc carolingien, dont la plus
grande partie est cédée en 768 à l’abbaye de Saint-Denis
par Pépin le Bref (Bourgeois, 1995). La charte de donation
indique que la forêt d’Yveline n’était pas intégralement
occupée par des espaces boisés et des terres incultes, et
révèle que celle-ci renfermait des terres cultivées, des vignes,
des prairies ainsi que des lieux habités. Mais, faute de données précises, il est difficile d’évaluer l’emprise des espaces
occupés alors par la végétation forestière.
L’hypothèse « classique » de la forêt primitive
Pour de nombreux historiens, l’actuel massif forestier de
Rambouillet correspond aux vestiges d’une vaste « forêtfrontière », qui constituait à l’époque gauloise une
marche forestière située aux confins des cités des
Carnutes et des Parisii (Granger, 1927 ; Higounet, 1990).
De multiples travaux semblent tirer argument des faibles
potentialités agricoles des plateaux occupés aujourd’hui
par le massif de Rambouillet pour avancer l’hypothèse
d’une relative stabilité des espaces forestiers depuis des
temps immémoriaux. Jugés impropres aux cultures, les
sols de plateaux auraient constitué un facteur limitant à
l’extension des cultures permanentes (Higounet, 1966).
Par ailleurs, l’idée d’une déforestation cumulative, effectuée à partir du haut Moyen Âge, fait l’objet d’un large
consensus dans l’historiographie (Roblin, 1951 ;
Higounet, 1990). Ces défrichements, qui s’intensifient
aux XIIe et XIIIe siècles, auraient abouti au démantèlement
partiel de l’antique forêt d’Yveline, les marges forestières
résiduelles se retrouvant confinées aux terres les moins
fertiles.
L’apport des données palynologiques et archéologiques
Les documentations archéologique et paléo-environnementale remettent en question ces propositions. Des analyses palynologiques réalisées sur trois tourbières du massif forestier témoignent de l’alternance d’épisodes de
déforestation et de phases de reprise forestière depuis le
Néolithique (Jalut, 1966, 1967 ; Barthélémy, 1983).
Illustrées par plusieurs phases de déboisement successives, les influences anthropiques sur la végétation
deviennent sensibles à partir de la seconde moitié de
l’Atlantique : les analyses indiquent un recul de la chênaie au profit des landes à callune, et suggèrent le développement de pratiques agro- ou sylvo-pastorales. Pour le
Subatlantique, les séquences polliniques témoignent de
manière convergente de l’apparition des céréales (seigle),
de Plantago lanceolata, des rudérales, des graminées et
des cypéracées, suggérant ainsi la présence d’habitats à
proximité des sites étudiés et le développement de systèmes agraires associant mise en valeur intensive et
extensive des terroirs. Toutefois, l’absence de calage chronologique des phases récentes des séquences étudiées
rend difficile la confrontation de ces analyses avec une
documentation archéologique plus particulièrement
abondante pour l’Antiquité.
Les multiples prospections réalisées en forêt de
Rambouillet depuis le milieu du XIXe siècle (Moutié,
1868 ; Toussaint, 1951 ; Zuber, 1969), complétées par
quelques recherches plus récentes (Bénaily et al., 2003 ;
Vigneau, 2005), illustrent la fréquence des occupations
antiques. Un nombre restreint d’établissements, classiquement interprétés comme des villae, se distinguent des
autres sites antiques par le caractère sensiblement plus
étendu des indices d’occupation (mobilier archéologique
et matériaux de construction en surface, micro-reliefs
indiquant des fondations sous-jacentes). Ces sites se
caractérisent également par des indices écologiques
témoignant d’une élévation notable des niveaux trophiques. Ce phénomène est illustré par la présence d’humus actifs sur le plan biologique (notamment des mulls
165
T. VIGNEAU
eutrophes) et par le développement d’espèces végétales
atypiques compte tenu des potentialités du milieu : il
s’agit en particulier d’espèces nitroclines et nitrophiles
dont la présence peut vraisemblablement être inférée aux
modifications des propriétés physiques et chimiques des
sols introduites par l’occupation des structures d’habitat
et par l’amendement des sols. En effet, le maintien de
niveaux trophiques élevés sur des périmètres relativement
éloignés des structures d’habitat et dépourvus d’indices
de substructions conduit à émettre l’hypothèse de la
vocation agricole d’une partie des terroirs environnants.
Ce type de sites, que l’on peut situer à un niveau hiérarchique plus élevé que les autres établissements de la forêt
de Rambouillet, offre par ailleurs des conditions de prospection relativement favorables au ramassage de surface,
la discontinuité de la litière, liée au recyclage rapide de la
matière organique, facilitant le repérage du matériel
archéologique épandu à la surface du sol. De ce fait, ces
établissements livrent davantage de mobilier archéologique que la plupart des autres sites. Ils semblent aussi
occupés plus longuement, le matériel collecté suggérant
des périodes d’occupation entre la Tène finale et le IVe siècle après J.-C.
Hormis ces quelques sites relativement bien documentés, des formes plus modestes d’habitat sont attestées :
elles sont caractérisées par leur plus faible superficie, et
se rapportent à des périodes d’occupation probablement plus limitées (du Ier au IIIe siècle). De petites villae,
comme celle de la Millière, fouillée de 1964 à 1974
(Zuber, 1974), peuvent se rattacher à cette catégorie de
sites. On peut y rajouter une série d’établissements
livrant un mobilier archéologique relativement abondant (tuiles et céramique commune) mais dont les
structures et l’organisation spatiale, à l’exception du
site du Bois de Vilpert (cf. infra), ne sont pas aisément
perceptibles en prospection de surface.
Le trait le plus original de la documentation archéologique de la forêt de Rambouillet tient à la présence de
nombreux enclos quadrangulaires (plus d’une trentaine
au total) fréquemment désignés sous l’appellation de
Camp Romain par la toponymie. Constitués par un talus
bordé par un fossé extérieur, ces enclos adoptent un plan
rectangulaire ou trapézoïdal, et présentent une surface
comprise entre 7500 m2 et 1,5 ha (Zuber, 1969, 1978).
Étant donné la rareté du matériel archéologique collecté,
leur chronologie reste mal connue, la majorité des enclos
n’ayant d’ailleurs livré aucun élément de datation. On sait
néanmoins que quelques enclos sont occupés au cours de
la Tène finale et pendant le Ier siècle après J.-C. Pour la
plupart, ces enclos sont dépourvus de vestiges de fondations, et semblent correspondre à des occupations sporadiques et de courte durée. Toutefois, ils renferment peutêtre des structures légères en matériaux périssables, dont
la mise en évidence n’est possible qu’à la fouille.
166
Successivement interprétés comme des fortifications militaires (Rabourdin, 1936), puis comme des enceintes à
caractère cultuel édifiées à la fin du second Âge du Fer
(Buchsenschutz, 1978), ces sites peuvent correspondre à
des habitats ruraux, ainsi que le suggère la fouille de deux
enclos en forêt de Saint-Arnoult-en-Yvelines (Baray,
1989). Cette hypothèse peut en particulier être envisagée
sur un site où des substructions en meulière sont attestées et où un parcellaire fossoyé semble organisé autour
de l’enclos. En tout cas, même en admettant l’hypothèse
d’un arasement des structures depuis l’abandon définitif
des enclos, la hauteur du talus (1,50 m au maximum)
conduit à écarter l’hypothèse de systèmes fortifiés.
D’autre part, l’hypothèse cultuelle reste discutable, dans
la mesure où, faute de données archéologiques, celle-ci
se fonde uniquement sur des critères morphologiques.
Questions et hypothèses de travail
La fréquence des structures antiques au sein du massif
forestier de Rambouillet contredit la thèse historiographique classique de la sylve « primitive ». La documentation archéologique conduit à penser que, entre la fin du
second Âge du Fer et le début du Bas-Empire, les espaces
forestiers du sud des Yvelines étaient plus morcelés
qu’aujourd’hui. On peut notamment poser l’hypothèse
d’une relative ouverture du paysage sur les secteurs de
limons où le réseau des occupations antiques apparaît
bien développé. La recherche de sols susceptibles d’être
mis en culture sans investissement excessif et la nécessité
d’accéder aux ressources en eau sans contraintes
majeures ont vraisemblablement constitué des facteurs
déterminants dans l’implantation des établissements. Les
secteurs de sables stampiens ont probablement été peu
privilégiés, ainsi que le suggère la documentation archéologique. Au cours de l’Antiquité, les zones de plateaux
regroupaient probablement des terroirs cultivés et des
zones plus ou moins boisées mises en valeur de façon
plus extensive. La présence fréquente de ferriers et de
charbonnières à proximité des sites d’habitat présumés
suggère à cet égard l’existence d’un réseau de petits ateliers de réduction associés à des zones de taillis destinées
à pourvoir en combustible. Toutefois, en l’état actuel des
recherches, aucun élément de datation ne vient étayer
cette hypothèse.
Pour la zone étudiée, la période du Haut-Empire semble
constituer une phase d’expansion des occupations
humaines par comparaison aux périodes postérieures.
Les données archéologiques suggèrent l’hypothèse
d’une désaffection relative des plateaux à partir du IVe
siècle après J.-C., voire dès le IIIe siècle, et semblent
témoigner d’un redéploiement des habitats vers les
fonds de vallées. A l’appui de cette hypothèse, la répartition des villages et des hameaux principaux cités avant
le Xe siècle, dont certains sont associés à des cimetières
à l’époque mérovingienne, confirme le rôle exercé par
T. VIGNEAU
les cours d’eau dans le regroupement des habitats au
début du Moyen Âge (Bourgeois, 1995, 1997). La disparition apparente de nombreux points de peuplement
sur les zones de plateaux pourrait indiquer l’abandon
des terroirs offrant les potentialités agricoles les plus
limitées au profit de secteurs plus favorables aux cultures intensives. De ce point de vue, la période de transition entre l’Antiquité et le Haut Moyen Âge a pu
conduire à une certaine spécialisation fonctionnelle des
espaces agraires, opposant des terroirs de polyculture
assez intensive privilégiant vallées et plaines alluviales,
et des marges de plateaux exploitées de manière plus
extensive (Bourgeois, 1997). Les conditions de préservation dont les structures archéologiques ont bénéficié
en milieu forestier semblent par ailleurs indiquer que de
nombreux sites occupés au cours du Haut-Empire n’ont
pas fait l’objet d’une affectation agricole après leur
abandon définitif. Ces arguments confortent ainsi l’hypothèse d’une progression des terres incultes au cours
de l’Antiquité Tardive, sinon pendant le Haut Moyen
Âge, et fournissent une explication possible de la
constitution du massif forestier de Rambouillet.
Ces hypothèses restent toutefois fragiles en raison des
difficultés soulevées par l’interprétation de données
archéologiques dont la portée est généralement limitée
et dont la représentativité est sujette à caution.
Contrairement à d’autres secteurs de la région Île-deFrance, où la multiplication des opérations archéologiques préventives depuis une dizaine d’années a permis de préciser les évolutions affectant les structures
d’habitat et la trame du peuplement entre le HautEmpire et le haut Moyen Âge (Daveau, 1997 ;
Ouzoulias et Van Ossel, 2001), le sud des Yvelines reste
assez mal documenté. On peut déplorer une vision très
partielle de la chronologie et de la hiérarchie des établissements antiques, et craindre une appréhension
biaisée de l’évolution des modalités de l’occupation du
territoire. Il est en effet probable que les lacunes accusées par la documentation archéologique pour le BasEmpire et le Haut Moyen Âge soient en partie l’illustration d’un « effet de source » lié au fait que l’essentiel
des données archéologiques provient de prospections
pédestres. Dans ce contexte, il apparaît important de
procéder à l’acquisition de données complémentaires,
et notamment à la mise en œuvre de fouilles stratigraphiques. Outre la détermination des périodes d’occupation des sites archéologiques, l’étude de leurs fonctions
constitue en enjeu important, et appelle le développement de recherches intéressant spécifiquement le
milieu forestier. Dans cette perspective, l’utilisation des
outils de bio-indication peut utilement compléter les
approches habituellement développées dans le cadre
de recherches archéologiques, et apporter une contribution décisive à l’analyse fonctionnelle des sites
(Dupouey et al., 2002 ; Georges-Leroy et al., 2003).
3. - Outils de bio-indication et analyse
spatiale : un site archéologique en
cours d’étude
Parmi les études actuellement développées en forêt de
Rambouillet, des relevés phytosociologiques sont
conduits sur plusieurs sites antiques dans le but d’appréhender et d’étudier de manière comparative leur
« signature » écologique. L’originalité de la démarche
réside dans l’adoption d’un maillage systématique pour
le positionnement des relevés et dans la mise en œuvre
d’analyses spatiales appliquées à l’étude de la structuration de la végétation. Les premiers résultats obtenus
sur un site du Haut-Empire sont présentés ici.
Le site étudié, sur lequel une campagne de relevés
microtopographiques a été engagée (fig. 2), est localisé
sur un secteur de plateau présentant une légère pente
orientée au Nord. Vraisemblablement boisé depuis la
fin du XVIIIe siècle au plus tard, le secteur comprend
deux types sols d’après la carte pédologique au 100
000e : au nord, des sols bruns lessivés développés à
partir de colluvions sablo-limoneuses reposant sur des
sables plus ou moins argileux ; au sud, des sols podzoliques hydromorphes développés à partir d’un matériau
sablo-limoneux reposant sur des argiles à meulières
(Crahet, 1981).
Interprété comme une villa lors de sa découverte, le
site, probablement occupé aux IIe et IIIe siècles après J.C., suggère davantage l’hypothèse d’un établissement
rural plus modeste. Il comprend les vestiges d’un bâtiment principal d’environ 25 sur 15 m dont les murs présentent un parement utilisant des matériaux variés
(meulière, grès et calcaire). La prospection a d’autre
part mis en évidence les vestiges d’un enclos à talus et
fossé extérieur à l’ouest du bâtiment. La collecte de
scories de coulée et de fragments de laitier au niveau
de l’angle de l’enclos suggère la présence d’au moins
un bas-fourneau sur le site. Par ailleurs, la présence de
plusieurs charbonnières sur la zone étudiée semble
confirmer l’hypothèse de fonctions métallurgiques.
Toutefois, en l’absence de tout élément de datation, la
contemporanéité de ces charbonnières avec l’occupation antique du site n’est pas avérée.
3.1. - Matériel et méthodes
Une série de 178 relevés phytosociologiques réalisés sur
des placettes de 100 m2 a été effectuée en mai 2004 sur
167
T. VIGNEAU
Figure 2 : Bois de Vilpert – carte de localisation et plan des structures.
une zone de 500 m de côté centrée sur les vestiges
archéologiques. Les placettes ont été réparties selon un
quadrillage systématique de la zone d’étude, le centre du
dispositif ayant fait l’objet d’un maillage plus serré (25 m)
que la périphérie (50 m). Les placettes correspondant à
des situations atypiques (trouées, travaux d’exploitation)
n’ont pas été étudiées. Chaque placette a fait d’objet
d’un relevé phytosociologique selon la méthode sigmatiste élaborée par Braun-Blanquet (1951). La flore bryophytique n’a pas été étudiée et fera l’objet de relevés
ultérieurs. La matrice des données collectées a fait l’objet
d’une analyse factorielle des correspondances et d’une
classification ascendante hiérarchique. L’impact du site en
termes de gradients écologiques a d’autre part été évalué
au moyen du système des valeurs indicatrices d’Ellenberg
(Ellenberg et al., 1991) pour la lumière (L), l’humidité du
sol (F), l’acidité (R) et la disponibilité du sol en Azote (N).
Pour chaque placette, une moyenne pondérée pour L, F,
R et N a été calculée après transformation des coefficients
d’abondance-dominance par des valeurs numériques,
selon la méthode proposée par Van der Maarel (1979).
Les données calculées ont fait l’objet d’une analyse en
168
composantes principales et d’une classification ascendante hiérarchique, puis ont donné lieu à une analyse
spatiale au moyen d’une interpolation par kriegeage.
3.2. - Résultats et discussion
L’analyse des relevés phytosociologiques fait apparaître
4 groupes principaux de placettes (fig. 3). On notera que
3 espèces (le Chèvrefeuille, la Ronce et la Fougère mâle),
présentes dans plus de 50 % des relevés, constituent le
« bruit de fond » de la zone étudiée.
Un premier ensemble (groupe 1) regroupe 67 relevés
majoritairement situés à la périphérie du dispositif, et en
particulier au sud de la zone d’étude. Ce groupe correspond à une formation de type chênaie acidiphile relativement ouverte. Il s’agit des milieux les plus acides et les
plus humides rencontrés sur la zone étudiée. La strate
herbacée est nettement dominée par Molinia caerulea,
Deschampsia flexuosa et Holcus mollis. Le cortège acidiphile (avec notamment Melampyrum pratense,
T. VIGNEAU
Figure 3 : Bois de Vilpert – distribution spatiale des groupes de placettes.
Hypericum pulchrum, Pteridium aquilinum) est associé à
quelques acidiclines (en particulier Dryopteris carthusiana)
et à quelques neutroclines (dont Poa nemoralis et
Potentilla reptans). La Fougère mâle (Dryopteris filix-mas),
présente sur un peu plus du tiers des relevés, apparaît
sous représentée par comparaison aux 3 autres groupes.
Ces derniers se distinguent de l’ensemble précédent sur
le plan du type de formation végétale (ils s’inscrivent dans
un contexte de chênaie-charmaie). Le milieu est par ailleurs plus fermé, notamment en ce qui concerne les
groupes 3 et 4. Au sein de cet ensemble de 111 placettes,
un premier groupe de 82 relevés (groupe 2), encore assez
acide, se distingue du groupe 1 par la moindre fréquence
et le caractère moins abondant des acidiphiles, à l’exception de Pteridium aquilinum et de Holcus mollis. La strate
herbacée est marquée par la fréquence plus importante
des acidiclines de mull mésotrophe (Millium effusum,
Hyacinthoides non-scripta) et de quelques neutroclines
(dont Hedera helix et Stellaria holostea). Le groupe 3,
constitué par 24 relevés, correspond à un milieu relativement plus fermé que précédemment : en témoignent la
diminution globale du nombre d’espèces et la plus forte
proportion des espèces sciaphiles ou de demi-ombre. Cet
ensemble se différencie du précédent par la disparition
des acidiphiles de moder (Deschampsia flexuosa,
Melampyrum pratense, Hypericum pulchrum). Au niveau
de la strate arborescente, l’Érable champêtre (Acer campestre), témoignant de sols riches en bases et en azote,
apparaît dans 5 relevés. La strate herbacée est par ailleurs
marquée par la présence de Melica uniflora et de
Lamiastrum galeobdolon, deux neutroclines relativement
exigeantes sur le plan trophique et qui sont absentes des
groupes précédents. Le groupe 4 constitue un ensemble
restreint de 5 placettes situées à moins de 30 m des structures archéologiques visibles (2 placettes au niveau du
bâtiment principal, 2 le long du talus de l’enclos, la dernière au niveau de l’angle de ce dernier). Ce groupe se
caractérise par la disparition du cortège acidiphile à l’exception du Chèvrefeuille. L’Érable champêtre domine le
Charme au niveau de la strate arborescente sur 4 relevés.
La strate herbacée est d’autre part marquée par l’apparition des neutronitroclines (Arum maculatum, Geranium
robertianum, Ranunculus ficaria) de Ranunculus auricomus (neutronitrophile) et de Primula veris subsp. veris
169
T. VIGNEAU
Figure 4 : Bois de Vilpert – variabilité spatiale des valeurs indicatrices d’Ellenberg pour la richesse du sol en azote (N).
(neutrocalcicole).
Les analyses réalisées sur les valeurs indicatrices d’Ellenberg
montrent que le centre de la zone étudiée (en particulier les
secteurs situés à proximité du bâtiment et de l’enclos) se distingue de la périphérie du dispositif par une végétation plus
sciaphile, moins hygrophile, moins acidiphile et correspondant à des niveaux trophiques plus élevés. Les disparités
constatées pour les valeurs relatives au facteur lumière (L)
traduisent des différences sur le plan de la structure des
peuplements : elles n’ont pas nécessairement de signification archéologique, et tirent probablement leur origine de
traitements sylvicoles différenciés.
Le gradient constaté pour les valeurs de F met d’une part
en évidence le caractère plus hydromorphe du sud de la
zone étudiée, c’est-à-dire sur les secteurs situés plus en
amont sur le versant : ceci peut s’expliquer par la présence des argiles à meulières à plus faible profondeur que
sur les zones situées plus en aval, du fait d’un recouvrement moins épais de colluvions sablo-limoneuses. Par ailleurs, les secteurs situés dans un rayon de 100 m autour
170
du bâtiment et de l’enclos hébergent une végétation
caractérisant des milieux relativement bien drainés, alors
qu’une tendance hygrocline s’exprime au-delà de ce périmètre. La présence d’éléments grossiers en surface,
comme à proximité immédiate du bâtiment principal et le
long du talus de l’enclos, peut expliquer le caractère plus
filtrant des horizons superficiels du sol. On peut d’autre
part envisager l’hypothèse selon laquelle les meilleures
conditions de drainage attestées sur la partie centrale de
la zone étudiée traduisent des modifications de texture
des sols introduites par leur ancienne utilisation agricole.
L’impact du site apparaît très nettement au travers de la
variabilité spatiale des valeurs théoriques pour l’acidité
et la richesse du sol en azote (R et N), ces deux indicateurs constituant les facteurs contribuant le plus à la
différenciation des relevés. Les abords du bâtiment et
les secteurs situés le long du talus de l’enclos correspondent aux valeurs les plus élevées pour R et N (fig. 4).
Par ailleurs, on peut constater que des zones situées à
l’est et au nord-est du bâtiment principal, qui sont
dépourvues de vestiges apparents, se distinguent de la
T. VIGNEAU
périphérie de la zone étudiée par des valeurs significativement plus élevées pour R et N, indiquant ainsi une
acidité plus faible et des niveaux trophiques plus élevés.
A proximité du bâtiment rectangulaire, le caractère
marginal des espèces acidiphiles et le développement
des calciclines et des calcicoles peuvent être inférés à la
charge relativement importante en carbonates du sol,
liée à l’emploi de blocs de calcaire dans les fondations.
A cet égard, la présence ponctuelle de l’Érable le long
du talus de l’enclos, ainsi qu’à l’intérieur de l’emprise
présumée de ce dernier, permet d’envisager l’existence
de substructions sous-jacentes : cette hypothèse est
d’ailleurs suggérée par la présence de blocs de calcaire
à la surface du sol et par des indices topographiques.
L’élévation notable des niveaux trophiques au niveau du
bâtiment principal et de l’angle de l’enclos, qui traduit
vraisemblablement une disponibilité supérieure en azote
des horizons superficiels des sols, semble constituer un
bon marqueur des secteurs les plus intensément occupés
du site. Dans le même temps, le maintien de niveaux trophiques relativement élevés au delà des abords immédiats
du bâtiment suggère l’hypothèse de pratiques de fertilisation des sols, et conforte l’hypothèse d’un antécédent
agricole en rapport avec l’occupation antique du site.
Toutefois, il est possible que ce phénomène soit lié à
l’existence éventuelle d’autres structures d’habitat exclusivement construites en matériaux périssables et dont la
mise en évidence échappe à la prospection de surface.
4. - Conclusion
Les premières études conduites sur le site du Bois de
Vilpert mettent nettement en évidence le rôle joué par
l’occupation antique sur la structuration de la végétation.
L’adoption d’une démarche résolument spatiale apporte
en particulier des éléments d’appréciation de l’emprise du
site et de son organisation spatiale. Elle fournit d’autre
part un faisceau d’informations permettant la programmation de fouilles dont la mise en œuvre apparaît nécessaire pour évaluer les hypothèses issues de l’étude de la
flore vasculaire. Dans le même temps, il apparaît opportun de compléter les recherches en cours par l’étude des
bryophytes terricoles et humo-terricoles et par la réalisation d’analyses biogéochimiques au niveau des horizons
organo-minéraux. Des études portant sur la méso-faune
du sol sont également envisagées afin de mieux cerner
l’impact du site sur l’écosystème. L’application de ces différentes approches à d’autres sites et la mise en œuvre
d’une analyse comparative ouvrent ainsi d’intéressantes
perspectives de recherches concernant l’étude de la hiérarchie des établissements gallo-romains du massif fores-
tier de Rambouillet. On peut en attendre, pour le sud des
Yvelines, un renouvellement des connaissances au sujet
des formes d’habitat antiques ainsi qu’une appréhension
plus précise des modalités de l’occupation du sol au cours
du Haut-Empire.
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172
Impact des occupations anciennes
174
Impact des anciennes formes d’utilisation
sur les sols forestiers dans les Vosges et en Forêt Noire
Katrin BÜRGER
Institut für Physische Geographie - Werderring 4 - D-79085 Freiburg
[email protected]
Résumé
L’ancienne utilisation des écosystèmes forestiers a modifié les propriétés des sols et peut se manifester encore plus de
cent ans après cette utilisation. Dans le passé les forêts ont été déboisées pour être converties en surfaces agricoles (pâturages, prés, champs). Le projet de recherche démontre que l’état des sols forestiers se distingue encore aujourd’hui à
cause de cette ancienne utilisation ; comme le prouvent les résultats du rapport C/N, de la saturation des bases et de
␦15N. Il montre clairement que l’ancien usage a encore des conséquences sur le cycle des sols forestiers. L’historique de
l’utilisation de terre mérite plus d’attention dans le cadre de recherches écologiques et pour la compréhension des processus biochimiques et la dynamique des forêts. L’histoire de l’occupation des sols doit être traitée comme un aspect fondamental des études écologiques et une composante critique pour un développement forestier durable.
Abstract
Past land use in forest ecosystems can change the properties of soils and be reflected more than a hundred years after
usage. In the past, forests are cleared to product arable land (pasture, meadow, cropland). The study already shows that
the present condition of forest soils differs according to previous land use; be confirmed by the results of C/N, exchangeable bases and ␦15N. The widespread and long-lasting impact of human activity on natural ecosystems indicates that land
use history must be treated as an integral aspect of ecological study and a critical component of conservation planning
for a better understanding of biogeochemical processes and the dynamics of forest landscapes.
1. - Contexte et objectif de l’étude
Les forêts actuelles sont le produit des nombreuses
actions anthropiques du passé. A la fin du Moyen Age, les
forêts des moyennes montagnes européennes étaient
fortement défrichées et utilisées en partie comme
champs, pâturages ou prés. De la fin du XVIIIe au début
du XIXe siècle la dégradation des forêts a pris des proportions de plus en plus grandes. L’histoire de l’utilisation des
sols des Vosges et de la Forêt Noire se ressemble fortement. Leurs forêts et leurs sols forestiers étaient soumis à
de forts changements suite aux défrichements et à la
transformation des sites en terrains agricoles. Au cours du
XIXe siècle la pression sur les forêts s’est atténuée et le
reboisement a été amorcé surtout sous forme de plantations d’épicéas. L’impact de l’ancienne utilisation sur
l’état actuel des écosystèmes forestiers se manifeste entre
autre par des changements des conditions édaphiques.
Une comparaison des sites boisés comportant des forêts
secondaires (utilisées pour d’autres vocations par le passé)
avec des sites forestiers d’origine, met en évidence ce
changement. Les effets de l’utilisation agricole sur l’écologie des forêts actuelles n’ont été que rarement étudiés.
Depuis le siècle dernier les écologues de plusieurs pays
européens découvrent l’importance des activités anthropiques du passé sur l’écologie forestière et les sols forestiers. L’impact persistant et très répandu ainsi que l’effet
des anciens modes d’utilisation du sol sur les écosystèmes
forestiers montrent que l’histoire de l’occupation des sols
doit être traitée comme un aspect fondamental des
études écologiques et une composante critique pour un
développement forestier durable. La persistance des différences entre les sites résultant d’utilisations diverses,
ayant perduré encore plusieurs siècles après l’abandon de
l’agriculture et le reboisement, doivent retenir l’attention
des sylviculteurs. Le projet de recherche mis en place dans
le cadre du Graduiertenkolleg «Gegenwartsbezogene
Landschaftsgenese » (DFG) associe des informations écologiques et historiques pour développer de nouveaux
175
K. BÜRGER
moyens pour l’interprétation de l’état des sites forestiers
et pour la sylviculture. L’objectif de l’étude est d’appréhender l’impact du passé agricole qui est à l’origine des
modifications profondes sur la fertilité des nouveaux sols
redevenus forestiers. Cette approche se base sur des
recherches comparatives sur plusieurs parcelles dans les
Vosges et en Forêt Noire.
2. - Choix des sites et méthodes
Pour cette étude, des prélèvements ont été effectués sur
31 parcelles réparties sur cinq sites ayant fait l’objet d’utilisations agricoles différentes et reboisés à ce jour. Les
sites de « la forêt de protection Flüh », de « la forêt de
protection Im Zweribach », de Blasiwald et de
Menzenschwand se situent dans le sud de la Forêt Noire
(fig.1). La forêt du Miellin au sud des Vosges fait déjà l’objet de recherches dans le cadre du projet « Héritage bioculturel forestier », un programme européen LifeEnvironnement sous la direction de l’ONF - Division Lure.
Des analyses comparatives de l’écosystème, particulièrement des relevés floristiques et édaphiques, sont effectuées en étroite coopération avec ce projet « Life ».
La géologie de tous les sites est d’origine cristalline, ce qui
garanti une certaine homogénéité des conditions géologiques et édaphiques. Ces sites comportent surtout des
sols bruns avec l’humus mull-moder (Ah-Bv-C) sous des
peuplements de hêtres, sapins et épicéas.
Figure 1 : Les sites de recherche
176
Pour chaque site on a procédé à une recherche historique
en analysant des cartes et des cadastres anciens ainsi que
d’autres documents. Cette recherche permet de mettre
en évidence les données concernant les anciennes pratiques agricoles datant d’une période de 100 à 160 ans.
Quatre catégories d’anciennes pratiques ont ainsi été
retenues : les forêts anciennes (servant de référence), les
pâturages, les prés, les champs. Pour chaque site, plusieurs parcelles ont été sélectionnées en fonction de leur
utilisation agricole différente.
D’autres indices témoignant d’utilisations anciennes telles
des terrasses, des murets ou des horizons d’incendie
contribuent également à documenter d’anciens usages
du sol (fig.2).
Sur chacune des parcelles, au moins deux fosses pédologiques ont été creusées. À l’aide de ces profils pédologiques on a décrit les paramètres physiques de sol (par
exemple la texture, la couleur). Par ailleurs on a prélevé
des échantillons au sein de chaque horizon. En plus, des
descriptions des conditions édaphiques ont été effectuées
à l’aide d’une tarière pour assurer une bonne représentativité des résultats. Enfin, sur chacune des parcelles on a
collecté plusieurs échantillons de l’horizon superficiel du
sol.
Les matériaux édaphiques ont été séchés et tamisés à
<2mm. Ils ont été analysés par des méthodes pédologiques standard pour comprendre l’impact des anciennes
utilisations agricoles sur les paramètres du sol. Ces
K. BÜRGER
Figure 2 : Un horizon d’incendie sous pâturage ancien (Zweribach) et des anciennes terrasses de champ (Miellin)
méthodes comportaient les analyses physiques et chimiques suivantes : le pH, la saturation en bases, le teneur
en azote, la teneur en carbone, le rapport carbone sur
azote (C/N), le teneur en ␦15N.
3. - Résultats et discussion
Les résultats des analyses de sol démontrent que les
anciennes utilisations agricoles ont modifié l’état actuel
des sols forestiers. Les différences des sols en fonction des
anciennes pratiques se manifestent surtout au niveau des
horizons superficiels. Les analyses ont mis en évidence
l’augmentation en éléments nutritifs selon l’ordre suivant : forêts anciennes - pâturages anciens - anciens prés
- anciens champs.
Morphologiquement, les sols forestiers ont subi des
modifications résultant de l’utilisation ancienne. Les différences nettes entre les profils permettent généralement
de déterminer s’il s’agit d’un ancien sol cultural ou d’un
sol de forêt ancienne. Pour les anciennes terres agricoles
le premier horizon (appelé Ap) est plus épais et sa limite
le séparant de l’horizon B est nette (fig.3). Le labour a
homogénéisé le sol jusqu’à 15-30 cm de profondeur. La
matière organique transférée en profondeur s’est mélangée avec le sol minéral. Dans les forêts anciennes, le premier horizon (appelé Ah) est moins épais (3-12 cm), sa
limite est ondulée et diffuse.
Les analyses chimiques démontrent des différences nettes
des propriétés et de la fertilité des sols forestiers. Ces différences peuvent être expliquées par un transfert des
substances nutritives entre les systèmes agricoles. Le
transfert a été effectué par le prélèvement de la biomasse
(la litière, les déjections animales) opéré surtout entre les
pâturages ou bien les forêts et les champs. Les prés et les
champs ont été enrichis avec du fumier ou par l’irrigation
des prés.
Le rapport carbone sur azote (C/N) est un indicateur pour
l’activité biologique au sol et de la vitesse de la décompo-
sition potentielle du stock de matière organique. Une
augmentation de la teneur en azote accentue l’intensité
de la décomposition. Un rapport C/N entre 10 et 20
indique une activité biologique favorable. La figure 4
montre que le rapport C/N dans le premier horizon diminue à cause de l’intensité de l’utilisation du sol. Les sites
enrichis avec des substances nutritives, tels sur les anciens
prés et les anciens champs, se distinguent par des rapports C/N plus favorables que les forêts anciennes et les
pâturages anciens. Les parcelles anciennement utilisées
comme forêt ou comme pâturage affichent des rapports
C/N entre 15 et 20. En revanche, les utilisations agricoles
comme prés ou champs se traduisent par des rapports
C/N entre 11 et 15, soit inférieures aux valeurs des forêts
anciennes et des pâturages anciens ce qui résulte de leur
teneur en carbone organique plus faible.
Les forêts produisent plus de la litière décomposable
et la surface du sol n’est pas sous labour. La teneur en
carbone plus élevée sous les pâturages provient de la
décomposition du lacis des racines. En plus, la collecte
du fumier des pâturages s’est traduite par des pertes
en azote. C’est pourquoi le rapport C/N ne diffère
guère de la teneur relevée sous les forêts anciennes.
Le rapport C/N sous les champs et les prés est plus
étroit à cause de la teneur en carbone plus faible comparativement à la teneur en azote plus élevée (résultant d’engrais) qui améliore la décomposition de la
matière organique. Le meilleur ensoleillement et l’aération des sols sous les champs accélèrent aussi la
décomposition. Koerner (1999) a aussi observé que
les rapports C/N varient en fonction des anciennes utilisations du sol.
La saturation en bases représente la part au pourcentage de la somme des cations basiques échangeables
calcium (Ca2+), magnésium (Mg2+), sodium (Na+) et
potassium (K+) par rapport à la capacité d’échange
cationique. La saturation en bases des parcelles sous
d’anciens prés ou d’anciens champs a une teneur plus
élevée que les parcelles des forêts anciennes ou pâtu177
K. BÜRGER
Figure 3 : Sol brun avec horizon agricole (Ap) sous ancien champ et sol brun sous forêt ancienne (Blasiwald)
C/N
25
20
Ancienne utilisation
forêt
15
pâ tur a ge
prés
cha m p
10
5
0
Z1 Z2 Z4 Z7 Z3 Z6 Z8 Z9 Z5 Z10 F1 F6 F2 F3 F4 F5
M4 M2 M3 M1
Sites
Figure 4 : Rapport C/N pour trois échantillons isolés et un échantillon mélangé du premier horizon (F=Flüh, M=Miellin, Z=Zweribach)
rages anciens (fig.5). Le prélèvement de la biomasse
dans les forêts et pâturages contribue à l’appauvrissement, tandis que les prés et les champs sont enrichis
par l’approvisionnement d’engrais. Les forêts actuelles
utilisées autrefois comme pâturages ont une saturation en bases plus basse à cause du déversement de la
biomasse. Les champs et les prés ont absorbé surtout
du K+ introduit sous forme de fumier et du Ca2+ et du
Mg2+ émanant des engrais minéraux (fig.6). En France
et en Belgique l’effet perdurant de l’utilisation historique des forêts a aussi été observé (Goovearts et al.,
178
1990; Koerner et al., 1999). Aujourd’hui, plusieurs
siècles après la mise en culture on peut trouver une
saturation en bases plus élevée et des rapports C/N
plus faibles à la surface des sols forestiers.
Le rapport entre les isotopes d’azote 15N et 14N (exprimé
comme ␦15N) est utilisé pour retracer les anciennes pratiques agricoles en forêt. Une augmentation de la teneur
en ␦15N peut être observée sous les parcelles anciennement cultivées par rapport aux anciennes forêts. Le ␦15N
des sols forestiers décroît selon l’ordre suivant : forêts
anciennes < pâturages anciens < anciens champs
K. BÜRGER
BS ( %)
100
80
Ancienne utilisation
60
forêt
40
pâ tur a ge
prés
cha m p
20
0
Z1 Z2 Z4 Z7 Z3 Z6 Z8 Z9 Z5 Z10
F1
F6
F2
F3
F4
F5
M4 M2 M3 M1
Sites
Figure 5 : La saturation en bases pour trois échantillons isolés et un échantillon mélangé du premier horizon (F=Flüh, M=Miellin, Z=Zweribach)
8
δ 15 N ( ‰)
6
4
Ancienne utilisation
forêt
pâturage
prés
champ
2
0
-2
-4
Z1
Z2
Z4
Z3
Z6
Z5
F1
F2
F3
F4
M2 M3 M1
Sites
Figure 6 : Le
␦15N pour trois échantillons isolés et un échantillon mélangé du premier horizon (F=Flüh, M=Miellin, Z=Zweribach)
< anciens prés (fig. 6).
Pour les sols qui seront encore cultivés actuellement le
␦15N est un bon marqueur pour retracer l’utilisation historique des forêts. Les teneurs en ␦15N des sols minéraux
reflètent les anciens modes d’utilisation des sols. Ils sont
plus élevés sous des sols forestiers cultivés autrefois par
rapport aux sols des forêts anciennes. L’augmentation des
isotopes d’azote est corrélée avec l’intensité de l’ancienne
utilisation agricoles (champs, prés). Les teneurs en ␦15N
plus faibles sous les forêts anciennes sont corrélées avec
les pertes modestes de l’azote dans les écosystèmes forestiers. A l’opposé, sous les forêts ayant été cultivées par le
passé, l’absorption de l’azote par la nitrification, la dénitrification ou la volatilisation d’ammonium sont responsables de l’enrichissement en ␦15N dans le substrat et par
conséquent pour les teneurs en ␦15N plus élevées
(Johannisson et Hoegberg, 1994).
Les teneurs en ␦15N plus élevées résultent aussi de l’ancien
input du fumier enrichis en 15N ainsi que des processus de
179
K. BÜRGER
la nitrification, lesquels conduisent à l’exportation de
l’azote appauvri en 15N sur les terrains amendés autrefois.
La perte d’azote est corrélée avec l’enrichissement en 15N
(Hoegberg et Johannisson, 1993). L’addition d’urée
comme c’est le cas dans les pâturages s’accompagne de
la volatilisation d’ammonium et de la nitrification. Huettl
et Schaaf (1995) constatent qu’après le défrichement on
assiste à une perte d’azote très élevée par lessivage du
nitrate qui induit une augmentation des teneurs en ␦15N.
␦15N n’est pas un paramètre de la fertilité du sol mais
pourrait servir comme traceur d’un apport d’azote et de
l’intensité des processus chimiques et microbiologiques.
La constance des teneurs d’azote restant élevées encore
plusieurs siècles après le reboisement, observée en forêts
cultivées autrefois par rapport aux forêts anciennes,
démontre l’impact persistant de l’utilisation agricole historique sur le cycle d’azote des sols forestiers. Les différences des sites peuvent être interprétées en relation avec
le transfert des substances nutritives des forêts et des
pâturages sur les prés et les champs.
4. - Conclusion
L’étude montre que l’état actuel des écosystèmes forestiers - les sols en particulier - diffère en fonction des
anciennes pratiques agricoles. Les analyses des sols mettent en evidence un gradient de fertilité selon l’ordre suivant : forêts anciennes < pâturages anciens < anciens
champs < anciens prés. Ces différences peuvent être
expliquées par un transfert de fertilité, qui a été effectué
par le prélèvement de la biomasse (les récoltes) et les
déjections animales et ayant lieu entre les forêts ou les
pâturages et les champs ou les prés. Les résultats présentés ci-dessus mettent en évidence l’impact des anciennes
formes d’utilisation sur les sols des écosystèmes forestiers.
Les différences entre les sites et les impacts sur le cycle
des sols forestiers sont clairement visibles plusieurs décennies après l’abandon de l’agriculture et le reboisement.
Les recherches écologiques des forêts doivent toujours
prendre en compte l’histoire de l’ancienne utilisation du
sol. Les traitements sylvicoles pourraient également profiter de la connaissance de l’histoire ancienne des parcelles.
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de la succession de différentes affectations sur les propriétés chimiques de pédons en Fagne de Chimay
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of forests is correlated with losses of nitrogen, Plant and
180
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végétation et les sols des forêts reboisées dans le massif
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isotopique naturel de l’azote dans quelques sols forestiers
et agricoles de Belgique soumis à divers traitements culturaux, Geoderma, 6, p.213-222.
Impact des usages agricoles antiques sur la végétation
en forêt de Saint-Amond :
interaction avec le traitement sylvicole actuel
Jean-Luc DUPOUEY(1), Delphine SCIAMA(1), Jean-Denis LAFFITE(2),
Murielle GEORGES-LEROY(3), Etienne DAMBRINE(4)
(1)
(2)
(3)
(4)
UMR-EEF, Equipe Phytoécologie forestière – INRA – 54280 Champenoux – [email protected]
INRAP Grand Est Nord – Rue de Méric – CS 80005 – 57063 Metz cedex 2 – [email protected]
SRA de Lorraine – 6, pl. de Chambre – 57045 Metz cedex 1 – [email protected]
Unité Cycles Biogéochimiques – INRA – 54280 Champenoux – [email protected]
Résumé
L’impact important des usages agricoles antiques du sol sur la composition des communautés végétales dans les forêts actuelles
a déjà été observé dans quelques études ponctuelles. Nous étudions ici cet impact sur une plus large échelle, le massif forestier
de Saint-Amond sur les plateaux calcaires de Lorraine, dans lequel des situations répétées de zones perturbées par une occupation ancienne, de la fin du Ier siècle avant JC au IIe siècle après JC (32 relevés de végétation) et non ou peu perturbées
(57 relevés) sont échantillonnées et comparées, en conditions géomorphologiques et topographiques homogènes. De plus,
nous testons ici l’impact de la conversion des anciens taillis sous futaie en futaie sur la conservation du signal historique. Les résultats indiquent un fort impact de l’utilisation ancienne du sol sur la végétation actuelle. Les sites anciennement perturbés sont
plus riches en espèces (37 contre 32 en moyenne par relevé) et présentent des diversités β et γ plus élevées. Une liste de 26
espèces plus fréquentes sur les sites anciennement perturbés est mise en évidence. Ces espèces caractéristiques des parcellaires
anciens ont tendance à être des espèces nitrophiles. Seules 2 espèces apparaissent liées aux sites non ou peu perturbés. Mais
l’aspect le plus nouveau de ces résultats est que la conversion en futaie ne gomme pas l’impact des perturbations anciennes sur
la végétation, mais semble au contraire l’amplifier. Finalement, ces observations étendent nos résultats antérieurs obtenus sur le
seul site de Thuilley-aux-Groseilles. Ils confirment le rôle majeur et jusque là mal pris en compte de l’histoire de l’occupation
antique des sols sur les variations actuelles de la biodiversité. Les différences de végétation mises en évidence peuvent servir d’indicateurs en prospection archéologique.
Mots-clefs : végétation herbacée ; biodiversité ; utilisation ancienne du sol ; archéologie ; époque gallo-romaine ; traitement
sylvicole ; futaie ; taillis sous futaie
Abstract
The important impact of ancient Roman land-use on community composition in present day forests has already been observed
in a few local studies. Here, we study this impact on a larger scale, the Saint-Amond forest on calcareous plateaus of Lorrain. In
this forest, we sampled 32 plots disturbed by ancient Roman occupation (from the Ist Century BC to the IInd Century AD) and 57
plots in undisturbed or slightly disturbed areas, in homogeneous geomorphological and topographical conditions. In addition,
we tested the role of the progressive conversion from coppice with standards to high forest on the maintainance of the ancient
land use signal. For this purpose, we subdivided the two previous sampling strata, disturbed or undisturbed, into two subgroups,
coppice with standards and high forest. Results showed a strong impact of ancient Roman land-use on present day vegetation.
Species richness was higher in disturbed plots (37 species on average per plot against 32 in undisturbed areas), and disturbed
areas displayed higher β and γ diversities. A list of 26 species more frequent in disturbed sites is presented. These species were
generally more nitrogen demanding. Only two species appeared more frequently in undisturbed areas. A new result is that conversion to high forest did not erase the impact of ancient land-use on vegetation and even enhanced it. Finally, these results
extend previous observations obtained on the sole site of Thuilley-aux-Groseilles. They confirm the major role of land-use history on present day biodiversity patterns, role still often understimated in many forest studies. These vegetation differences
observed between disturbed or undisturbed areas can be used as tools during archaeological surveys.
Keywords: vegetation community; biodiversity; past land-use; archaeology; Roman period; sylviculture; high forest; coppice with
standards
181
J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE,
M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE
1. - Introduction
La végétation forestière est fortement influencée par l’histoire de l’utilisation du sol. Dans les pays d’Europe tempérée ou méditerranéenne, ou dans l’Est du continent Nordaméricain, qui sont passés par un maximum des surfaces
défrichées au cours du XIXe ou au début du XXe siècle
(Mather et al. 1998, Bellemare et al. 2002), on distingue
maintenant classiquement deux types de forêts : les
forêts récentes, issues du reboisement de terres agricoles
abandonnées depuis ce maximum de défrichement, et les
forêts anciennes, qui étaient déjà boisées à cette époque
(Dupouey et al. 2002b). Cette distinction correspond à
des différences de contenu chimique des sols (Koerner et
al. 1997) et, surtout, à des différences marquées de composition des communautés végétales (Peterken et Game
1984, Hermy et al. 1999). On a ainsi progressivement élaboré le concept d’espèces de forêt récente et de forêt
ancienne, pour les espèces présentant une fréquence de
présence plus élevée dans l’un ou l’autre type de forêt.
Les écosystèmes forestiers présentent différents mécanismes de “mémoire” de l’utilisation ancienne du sol. La
portée de cette mémoire est mal connue. Elle atteint plus
de 400 ans en Angleterre, où les forêts anciennes sont
définies comme celles qui existaient déjà en 1600. Dès
1984, Peterken et Game allaient même jusqu’à poser la
question de la réversibilité à long terme de ces modifications de l’environnement dues à la mise en culture. Nos
travaux ont récemment mis en évidence des effets possibles de l’agriculture gallo-romaine sur la diversité végétale
dans une forêt du Nord-Est de la France (bois de Thuilleyaux-Groseilles, Dupouey et al. 2002a). Environ 1700 ans
après l’abandon d’une petite ferme gallo-romaine, nous
avons observé une structuration spatiale de la végétation
actuelle liée à l’organisation ancienne de l’espace agricole, sur un substrat par ailleurs homogène. Cependant,
ces résultats préliminaires n’avaient été observés que
dans un seul site de cette région. Depuis, des prospections de surface nous ont permis de découvrir de nombreux autres sites d’habitats de la même époque, caractérisés par la présence de bâtiments reliés à des murets,
couvrant des milliers d’hectares dans la même petite
région naturelle (Laffite et al. 2002, Georges-Leroy et al.
2003). Ces découvertes ont rendu possible le test de l’hypothèse d’un impact de l’agriculture gallo-romaine sur la
biodiversité par des observations répétées dans des zones
anciennement occupées ou non perturbées.
La sylviculture, en modifiant la structure des peuplements, et donc le microclimat et le cycle des éléments
minéraux, peut jouer de façon significative sur la composition des communautés végétales herbacées (Gosselin et
Laroussinie 2004). En Lorraine, comme dans de nombreuses autres régions de France, la sylviculture traditionnelle a été celle du taillis sous futaie (TSF) pendant de
182
nombreux siècles. Depuis le XVIIIe siècle, on assiste à la
conversion progressive de ces forêts au régime de la
futaie régulière. Becker (1979) a montré que cette
conversion entraînait une évolution importante de la
végétation, impact confirmé ensuite par les travaux de
Decocq et al. (2004). Comment perdurent les traces des
occupations anciennes au travers de ces changements de
sylviculture ? Les modifications induites par la sylviculture
sont-elles suffisantes pour les faire disparaître ? La
réponse à ces questions peut avoir une portée appliquée,
puisqu’elle permettrait de juger quel système sylvicole
conserve le mieux les traces biologiques des occupations
très anciennes.
Nos objectifs étaient donc :
de tester, sur un échantillon de plusieurs dizaines d’habitats gallo-romain, l’hypothèse d’un impact à très long
terme de l’agriculture sur les communautés végétales
des forêts actuelles,
d’étudier le rôle d’un changement de sylviculture sur la
composition de ces communautés végétales et, surtout, sur le maintien des différences liées à l’agriculture
ancienne, en comparant l’amplitude des variations de
végétation induites par les usages anciens avec celle
des variations dues à la sylviculture.
Nous avons pour cela travaillé dans un grand massif des
plateaux calcaires de Lorraine (Nord-Est de la France).
2. - Site et méthodes
Le massif de Saint-Amond est situé entre Nancy et
Langres. D’une surface de 10 000 ha environ, il repose sur
les calcaires oolithiques durs du Bajocien supérieur,
Bathonien et du Callovien. C’est un vaste plateau de
basse altitude (350 à 475 m), entaillé de petites vallées
aux flancs abrupts. Les sols vont des rendzines superficielles, développées sur une fine couche d’argile de
décarbonatation (20 cm en moyenne) à des sols bruns
plus ou moins épais sur dépôts limoneux. Le climat est
semi-continental, humide et froid.
En 1998 ont été repérées, cartographiées puis fouillées
des structures archéologiques de surface : terrasses,
enclos, habitats et chemins creux marqués par la présence
d’un réseau dense de pierriers (Laffite et al. 2002). Ces
pierriers, larges de 2 à 4 m pour une hauteur de 0,5 à
1 m, délimitent un parcellaire constitué de grandes
planches relativement parallèles entre-elles, avec un écartement approchant les 3 actus (100 m environ). L’emprise
totale de ce système agraire, constitué de 3 ensembles
disjoints, est de plus de 700 ha. Trois sondages ont permis de dater l’occupation du site : les tuiles, poteries et
monnaies trouvées indiquent toutes une occupation de la
fin du Ier siècle avant JC au IIe siècle après JC (Laffitte et al.
J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE,
M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE
Zones perturbées
Zones peu ou pas perturbées
Densité de traces d’occupation
Taillis sous
futaie
Futaie
Total
Enclos
2
4
6
Terrasses proches
13
13
26
Total
15
17
32
Terrasses lointaines
7
10
17
Absence de traces
19
21
40
Total
26
31
57
41
48
89
Total
Tableau I : Distribution des échantillons par catégorie d’utilisation ancienne du sol et type de régime sylvicole actuel.
2002). Aucun indice d’une quelconque occupation ultérieure, médiévale ou moderne n’a été trouvé, à l’exception de quelques charbonnières d’époque récente et d’un
ermitage reporté sur la carte des Naudin (1736), sans
défrichement signalé. La forêt a ainsi permis une excellente conservation de ce parcellaire antique, figé dans son
état d’abandon. L’épierrement pratiqué à grande échelle
dans la zone étudiée indique une volonté de mise en
valeur agricole de ces sols pierreux.
Cette forêt était anciennement traitée en taillis sous
futaie à la révolution de 30 ans. Depuis 1838, les peuplements sont progressivement convertis en futaie régulière.
Le hêtre (Fagus sylvatica) est l’essence dominante de la
strate supérieure, accompagné des chênes pédonculé
(Quercus robur) et sessile (Quercus petraea) et du frêne
(Fraxinus excelsior). Le charme (Carpinus betulus) domine
dans le sous-bois.
A partir de la carte des murs et des sondages archéologiques, nous avons installé 89 placettes dans l’ensemble
de la zone en essayant d’échantillonner des niveaux variés
d’intensité ancienne d’utilisation du sol (tableau I). Nous
avons distingué 4 niveaux croissants d’intensité, en nous
basant sur la distance aux bâtiments repérés sur le terrain
et à la densité des murets de pierres : les zones non perturbées, en l’absence de toute trace, les terrasses lointaines, où la densité des murets est faible et qui sont éloignées des bâtiments, les terrasses proches, de densité
d’occupation du sol plus élevée et plus rapprochées des
bâtiments et les enclos, qui entourent les bâtiments. Les
enclos, de petite surface et en petit nombre, sont de facto
peu représentés dans notre échantillon. Par contre, nous
avons installé plus de placettes dans les zones exemptes
de toute perturbation, afin d’améliorer la caractérisation
de la variabilité des milieux dans l’ensemble du massif.
Dans chacun des 4 niveaux d’occupation du sol précédemment définis, nous avons essayé d’équilibrer le nombre de placettes en fonction du régime sylvicole, taillis
sous futaie ou futaie régulière.
Lors de certaines analyses ultérieures, nous avons
regroupé ces 4 niveaux en deux types d’utilisation
ancienne : les zones perturbées d’une part (terrasses
proches et enclos), et les zones peu ou pas perturbées
d’autre part (terrasses lointaines et zones sans perturbation ancienne visible). En effet, l’étude antérieure menée
en forêt de Thuilley-aux-Groseilles (Dupouey et al. 2002a)
nous avait montré que les terrasses lointaines se comportent, d’un point de vue écologique et floristique, comme
les zones où aucune perturbation n’est visible et que les
terrasses proches et les enclos sont très similaires.
En chaque point a été établi un relevé phytosociologique
classique sur une surface fixe de 400 m2. On a distingué
trois strates : arbres, arbustes et strate herbacée. Dans
chacune des strates a été relevée l’abondance-dominance
de toutes les espèces observées, selon une échelle ordinale classique à 6 niveaux (+, 1 à 5).
Pour les analyses suivantes, les strates herbacée et arbustive ont été fusionnées, et la strate arborescente n’a pas
été prise en compte, sauf mention contraire. En effet,
celle-ci dépend fortement de la sylviculture. Dans un premier temps, on a analysé la diversité spécifique des relevés, en décomposant celle-ci en ses trois composantes
classiques : diversité α (dans chaque relevé), β (entre sites)
et γ (totale). Si les diversités α et γ ne sont que des nombres d’espèces, la diversité β peut être estimée de diverses
façons. Nous l’avons mesurée ici comme étant la valeur
moyenne de similarité entre toutes les paires de relevés
possibles, en utilisant le coefficient de similarité de
Jaccard :
183
J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE,
M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE
2
Diversité β =
et Jij =
Σ Jij
i=1,N j=1,Nj<i
N(N-1)
a
a+b+c
où N est le nombre de relevés, a le nombre d’espèces en
commun dans les relevés i et j, b le nombre d’espèces propres à i et c le nombre d’espèces propres à j. Les résultats
obtenus avec d’autres coefficients de similarité classiques
(Sorensen par exemple), que nous avons calculés, sont
identiques.
Nous avons ensuite analysé les variations, entre usages
anciens ou selon le traitement sylvicole, de la composition
en espèces des communautés en se basant sur une analyse multivariable de l’ensemble du tableau relevés x
espèces. Seule la présence-absence des espèces a été
prise en compte. Nous avons utilisé une méthode d’ordination non métrique (positionnement multidimensionnel), basée sur l’analyse du tableau des similarités de
Jaccard entre relevés, calculées précédemment. Bien que
reconnues de façon répétée comme plus adéquates que
les méthodes d’ordination plus classiques, les méthodes
de positionnement non métrique ne sont finalement que
peu utilisées en écologie végétale, principalement en raison des temps de calculs qui étaient, encore récemment,
prohibitifs. Les différences éventuelles entre types d’utilisation ancienne des sols ou régimes sylvicoles ont ensuite
été testées par analyse de variance de chacun des 5 premiers axes factoriels obtenus :
Axeijk = Cste + Utii + Sylvij + Utii*Sylvij + εijk (modèle 1)
avec :
Axeijk : position du relevé k du type d’utilisation
ancienne i et du type de sylviculture j sur l’axe factoriel
Cste : terme constant
Utii : type d’utilisation ancienne du sol, en deux classes
(zone peu ou pas perturbée / zone perturbée). Les quatre classes d’utilisations anciennes établies a priori ont
été regroupées selon les deux classes précentes.
Sylvij : type de sylviculture en deux classes (futaie / taillis sous futaie)
Utii*Sylvij : terme d’interaction entre les deux facteurs
précédents
εijk : erreur
Finalement, un modèle logistique de la présence/absence
en fonction du traitement sylvicole, de l’utilisation du sol
et de leur interaction a été établi pour chaque espèce
prise individuellement. On présente ici la fréquence de
présence des espèces pour lesquelles un de ces deux
effets principaux au moins est significatif au seuil de
184
10 %. En effet, à ce stade d’étude encore très préliminaire des effets à long terme des usages anciens, et en
raison du nombre de relevés disponibles encore modeste,
il nous semble intéressant de s’intéresser à des espèces
dès l’instant où elles montrent des différences de fréquence significatives à ce seuil de 10 %. Des comparaisons de fréquence de chaque espèce dans les deux
classes d’utilisation du sol, ou dans les deux classes de
traitement sylvicole, par un simple test exact de Fisher
donnent des résultats quasiment identiques à ceux obtenus par le modèle logistique.
3. - Résultats
La richesse en espèce par site est la même dans les deux traitements sylvicoles (33,6 en moyenne). Par contre, elle diffère fortement et significativement entre usages anciens :
36,9 espèces en moyenne dans les sites anciennement
occupés, et 31,7 dans les sites non ou peu perturbés, soit 5
espèces de plus. La diversité β est légèrement supérieure
dans les sites anciennement perturbés, pour un nombre de
relevés pourtant inférieur (32 contre 57). Le coefficient de
similarité de Jaccard moyen entre toutes les paires de relevés possibles est de 0,421 en zone non ou peu perturbée,
et de 0,415 en zone perturbée (0,402 entre relevés de ces
deux sous-ensembles). La diversité β est supérieure en futaie
par rapport au TSF (similarité moyenne de 0,414 contre
0,429), mais le nombre de relevés est lui aussi supérieur en
futaie (48 contre 41). La diversité γ, ou nombre d’espèces
total rencontrées dans chaque type de relevé, est nettement
supérieure dans les zones anciennement perturbées :
113 espèces contre 106, pour un nombre de relevés inférieur. Ainsi, alors que la conversion n’a pas induit de différences nettes de diversité, l’agriculture ancienne est liée à un
nombre plus élevé d’espèces par relevé, à une variabilité
entre sites plus forte et, en conséquence, à un cortège global d’espèces plus riche.
Axe
F
F
F
R2 global Utilisation
Sylviculture Interaction
ancienne
1
0,23
24,6***
0,1ns
0,2ns
2
0,50
0,2ns
84,2***
6,6*
1 (futaie)
0,35
25,1***
-
-
1 (taillis
sous futaie)
0,14
6,6*
-
-
Tableau II : Analyse de variance des effets traitement sylvicole et utilisation
ancienne sur les deux premiers axes du positionnement multidimensionnel selon
le modèle 1 (deux premières lignes) et analyse de l’effet utilisation ancienne sur
l’axe 1 du positionnement multidimensionnel pour chaque traitement sylvicole pris
séparément (deux dernières lignes).
J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE,
M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE
0,5
0,4
0,3
Dimension 2
0,2
0,1
0,0
- 0,1
- 0,2
- 0,3
- 0,4
- 0,5
- 0,4
- 0,3
- 0,2
- 0,1
0,1
0,0
0,2
0,3
0,4
0,5
0,4
0,5
Dimension 1
TSF
Traitement sylvicole
Futaie
0,5
0,4
0,3
Dimension 2
0,2
0,1
0,0
- 0,1
- 0,2
- 0,3
- 0,4
- 0,5
- 0,4
- 0,3
- 0,2
- 0,1
0,0
0,1
0,2
0,3
Dimension 1
Utilisation ancienne du sol
hors parcellaire
intra-parcellaire
Figure 1 : Position des relevés sur les deux premiers axes d’une analyse multidimensionnelle. En haut : traitement sylvicole (ronds noirs : futaie, carrés blancs : taillis sous
futaie). En bas : type d’utilisation ancienne (ronds noirs : relevés situés dans le parcellaire gallo-romain, carrés blancs : relevés en dehors du parcellaire).
185
J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE,
M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE
L’analyse multidimensionnelle de l’ensemble du tableau
de relevés permet d’identifier les deux premiers axes factoriels comme étant liés aux deux facteurs échantillonnés,
qui ont donc bien un effet significatif sur la composition
des communautés végétales (fig.1 et tableau II). L’axe de
variance maximale (axe 1) est lié à l’utilisation ancienne et
l’axe 2 au traitement sylvicole. Les positions moyennes
des relevés de chacune des quatre catégories d’utilisation
du sol définies au tableau I s’ordonnent par ordre de perturbation décroissante au long de l’axe 1, sans différence
entre les terrasses lointaines et les zones non perturbées :
enclos (-0,17), terrasses proches (-0,12), terrasses lointaines et zones non perturbées (0,07). Ceci confirme a
posteriori la validité du regroupement des deux dernières
classes de perturbation. L’analyse de variance confirme
ces effets de l’utilisation ancienne, avec une coupure plus
fortement marquée entre traitements sylvicoles qu’entre
utilisations anciennes. Il n’apparaît pas d’effets significatifs sur les 3 axes suivants. Une interaction faible entre les
effets du traitement sylvicole et de l’utilisation ancienne
est visible sur l’axe 2 (tableau II). Les tests multivariables
prenant en compte conjointement les axes 1 et 2 donnent des résultats identiques. On constate que les différences entre sites anciennement cultivés ou non sont plus
nettes en futaie qu’en taillis sous futaie.
Quelles sont les espèces caractéristiques de chaque type
de forêt échantillonné ? 28 espèces apparaissent liées au
type d’utilisation ancienne du sol (tableau III).
Conformément à ce qui a été observé pour la richesse
spécifique, ces espèces sont toutes (sauf 2) plus fréquentes sur les anciens parcellaires gallo-romains qu’à
l’extérieur. 51 espèces sont liées au traitement sylvicole,
confirmant que cette coupure est plus nette que celle liée
aux usages anciens. Il y a quasiment autant d’espèces
caractéristiques du taillis sous futaie que de la futaie.
Les espèces caractéristiques des parcellaires anciens ont
tendance à être des espèces nitrophiles. On retrouve des
espèces classiques déjà mises en évidence dans les études
antérieures (Vinca minor, Ribes uva-crispa…). Nous
retrouvons, entre TSF et futaie, les mêmes différences que
celles observées par Becker (1979). Les espèces de futaie
sont un peu plus nitrophiles, hygrophiles, acidiphiles et
sciaphiles que celles du taillis sous futaie. Les mousses
sont plus abondantes en TSF, ainsi que les espèces du taillis (noisetier, charme, érable champêtre…).
4. - Discussion
Ce travail permet, comme celui mené en parallèle en
forêt de Tronçais (Dambrine et al. 2007), d’étendre à plusieurs sites les observations précédentes faites sur le seul
site de Thuilley-aux-Groseilles. Nous retrouvons, en
échantillonnant un nombre plus élevé de situations, les
186
mêmes résultats que ceux obtenus initialement : augmentation de la diversité phanérogamique liée à l’agriculture ancienne, avec une augmentation de la fréquence
des espèces nitrophiles. Nous confirmons donc, pour une
surface beaucoup plus vaste, les résultats précédents
obtenus sur un petit système agraire. L’utilisation agricole
ancienne, en enrichissant les sols dans les enclos et les
terrasses proches par des apports probables de fumure
organique et de cendres, a durablement modifié la répartition des espèces végétales. Les zones non ou peu perturbées (terrasses lointaines) correspondraient dans ce
schéma à des situations d’exportation d’éléments minéraux : exploitation forestière dans les zones non perturbées et pâturage dans les terrasses lointaines.
Les sites étudiés ont connu une occupation apparente de
durée limitée, trois siècles tout au plus. La date d’abandon des habitats est relativement bien identifiée grâce à
la datation précise des monnaies et poteries trouvées
dans les sondages archéologiques. On retrouve une
même date d’abandon (fin du IIe siècle AC ou début du IIIe
siècle AC) pour tous les sites agricoles de même type dans
plusieurs régions de France, ce qui laisse supposer une
origine commune (troubles militaires, variation climatique, épidémies, évolution sociale ou technique conduisant à l’abandon de ces terres ingrates, érosion...). On ne
peut exclure cependant que l’exploitation des terres et le
maintien de zones ouvertes aient perduré un certain
temps, à partir d’un centre d’habitat plus éloigné, sous la
forme de pâturages par exemple. La période médiévale a
d’ailleurs vu souvent, en France, le pâturage continuer à
se mêler aux activités purement forestières. Les documents écrits les plus anciens dont nous disposons (carte
de 1736, actes de justice du XVIIe siècle) indiquent une
utilisation uniquement forestière de nos sites. Les bans
agraires des communes environnantes les plus proches
sont aujourd’hui à 2,5 km. Il faut noter que le pâturage,
lorsqu’il n’est pas accompagné d’une fumure ce qui est le
cas des zones les plus périphériques des finages, tout
comme l’exportation de bois hors des forêts, conduisent
à une baisse de la fertilité des sols. Cela renforce notre
hypothèse d’un impact à très long terme de la période
agricole antérieure au IIIe siècle, puisque les activités ultérieures, pâturage ou exploitation forestière, n’ont probablement contribué qu’à en gommer les traces. Par contre,
il est plus difficile de dater avec sûreté le début de la
période agricole. On ne peut exclure un défrichement et
un habitat antérieurs à la période gallo-romaine et qui
auraient échappé aux investigations archéologiques.
En parallèle nous retrouvons aussi les différences déjà
observées entre taillis sous futaie et futaie, avec un cortège d’espèces caractéristiques de chacun de ces traitements. En taillis sous futaie, les espèces qui rejettent de
souche sont favorisées par les coupes successives de taillis. Les chênes, plus héliophiles, sont plus fréquents en
J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE,
M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE
Espèce
Fréquence zones
Fréquence zones
Effet Utilisation
non ou peu perperturbées
ancienne du sol
turbées
Fréquence
TSF
Fréquence
futaie
Effet traitement
Interaction
sylvicole
Paris quadrifolia
31,3
1,8
***
2,4
20,8
***
***
Geranium robertianum
31,3
1,8
***
4,9
18,8
**
*
Milium effusum
68,8
33,3
***
36,6
54,2
*
ns
Glechoma hederacea
34,4
10,5
**
4,9
31,3
***
ns
Ribes uva-crispa
31,3
10,5
**
2,4
31,3
***
(*)
Rhytidiadelphus triquetrus
53,1
28,1
**
61,0
16,7
***
ns
Euonymus europaeus
28,1
8,8
**
26,8
6,3
**
ns
Asarum europaeum
62,5
31,6
**
36,6
47,9
ns
ns
Mercurialis perennis
71,9
42,1
**
48,8
56,3
ns
ns
Vinca minor
59,4
26,3
**
34,1
41,7
ns
ns
Poa nemoralis
34,4
10,5
**
19,5
18,8
ns
*
Ornithogalum pyrenaicum
28,1
12,3
*
24,4
12,5
*
***
Galium aparine
9,4
0,0
*
0,0
6,3
*
*
Carex sylvatica
62,5
84,2
*
65,9
85,4
*
ns
Scrophularia nodosa
0,0
12,3
*
0,0
14,6
*
*
Torilis japonica
18,8
5,3
*
4,9
14,6
*
ns
Hypericum hirsutum
40,6
17,5
*
19,5
31,3
ns
ns
Acer platanoides
93,8
78,9
*
78,0
89,6
ns
ns
Crataegus monogyna
59,4
36,8
*
46,3
43,8
ns
**
Abies alba
9,4
0,0
*
4,9
2,1
ns
ns
Bromus ramosus
subsp. benekenii
40,6
24,6
(*)
48,8
14,6
***
ns
Cardamine pratensis
68,8
52,6
(*)
68,3
50,0
*
*
Aquilegia vulgaris
6,3
0,0
(*)
0,0
4,2
(*)
(*)
Pulmonaria obscura
40,6
24,6
(*)
22,0
37,5
ns
ns
Geum urbanum
37,5
19,3
(*)
22,0
29,2
ns
ns
Helleborus foetidus
18,8
7,0
(*)
14,6
8,3
ns
ns
Primula elatior
40,6
22,8
(*)
24,4
33,3
ns
ns
Fragaria vesca
28,1
14,0
(*)
19,5
18,8
ns
ns
Quercus robur
37,5
29,8
ns
51,2
16,7
***
ns
Oxalis acetosella
15,6
12,3
ns
0,0
25,0
***
ns
Arum maculatum
53,1
68,4
ns
43,9
79,2
***
ns
Circaea lutetiana
12,5
21,1
ns
2,4
31,3
***
ns
Rubus idaeus
15,6
7,0
ns
0,0
18,8
***
ns
Corylus avellana
71,9
84,2
ns
92,7
68,8
***
ns
Stachys officinalis
18,8
31,6
ns
7,3
43,8
***
ns
Ulmus glabra
40,6
54,4
ns
19,5
75,0
***
ns
Dryopteris filix-mas
28,1
19,3
ns
2,4
39,6
***
ns
Carex muricata
40,6
38,6
ns
61,0
20,8
***
(*)
Sorbus aria
31,3
19,3
ns
39,0
10,4
**
ns
187
J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE,
M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE
Espèce
Plagiomnium undulatum
Eurynchium striatum
Rosa arvensis
Thuidium tamariscinum
Anemone nemorosa
Fagus sylvatica
Viburnum lantana
Ligustrum vulgare
Acer campestre
Rubus fruticosus
Lonicera xylosteum
Cornus sanguinea
Carpinus betulus
Epipactis helleborine
Viola mirabilis
Euphorbia cyparissias
Neottia nidus-avis
Euphorbia amygdaloides
Lathyrus vernus
Galeopsis tetrahit
Sorbus torminalis
Convallaria maialis
Stellaria holostea
Carex flacca
Carex digitata
Fréquence zones
perturbées
25,0
56,3
59,4
21,9
12,5
90,6
31,3
15,6
75,0
46,9
25,0
28,1
93,8
3,1
6,3
6,3
9,4
46,9
6,3
6,3
15,6
25,0
25,0
3,1
9,4
Fréquence zones
Effet Utilisation
non ou peu
ancienne du sol
perturbées
31,6
61,4
57,9
26,3
5,3
96,5
22,8
12,3
68,4
64,9
15,8
28,1
91,2
7,0
1,8
3,5
8,8
50,9
7,0
1,8
17,5
17,5
12,3
3,5
5,3
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
Fréquence
TSF
Fréquence
futaie
Effet traitement
sylvicole
43,9
73,2
73,2
39,0
0,0
87,8
39,0
22,0
82,9
65,9
29,3
39,0
100,0
12,2
7,3
0,0
14,6
36,6
12,2
0,0
24,4
29,3
12,2
7,3
12,2
16,7
47,9
45,8
12,5
14,6
100,0
14,6
6,3
60,4
52,1
10,4
18,8
85,4
0,0
0,0
8,3
4,2
60,4
2,1
6,3
10,4
12,5
20,8
0,0
2,1
**
**
**
**
**
**
**
**
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
(*)
(*)
(*)
(*)
(*)
(*)
Interaction
ns
*
(*)
ns
ns
ns
ns
(*)
ns
***
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
*
ns
ns
Tableau III : Espèces caractéristiques de l’intensité de la perturbation ancienne (zones perturbées / non ou peu perturbées) et des types de régime sylvicole (futaie / taillis
sous- futaie). Pour chaque espèce sont indiqués : sa fréquence dans chacune des classes de perturbation ancienne ou de régime sylvicole, en pourcentage, et le seuil de
significativité du test de l’effet de l’occupation ancienne et du régime sylvicole dans un modèle logistique prenant en compte ces deux facteurs et leur interaction, selon
l’échelle suivante : *** P<0,001, ** P<0,01, * P<0,05, (*) P<0,10, ns Px0,10. En gras sont notées les classes de perturbation ou de régime sylvicole dont chaque espèce est
caractéristique.
188
TSF et le hêtre, plus sciaphile, en futaie. Les mousses sont
probablement favorisées par les niveaux de lumière plus
bas et une humidité atmosphérique plus élevée entretenue dans le sous-bois par le taillis, et l’alternance de ces
milieux très fermés avec une ambiance très sèche lors des
coupes de taillis.
lié à l’agriculture ancienne se retrouve avec la même
intensité après la conversion du taillis sous futaie à la
futaie. Il apparaît même, dans notre échantillon, amplifié.
Cette amplification pourrait être due à des différences
d’environnement, de sol en particulier, entre taillis sous
futaie et futaie.
Mais le résultat important de ce travail est que la sylviculture n’interagit que peu avec l’utilisation ancienne du sol :
la conversion ne semble en rien avoir gommé les différences de végétation entre usages antiques. D’une part, il
a été relativement aisé de trouver, lors de la phase
d’échantillonnage, des taillis sous futaie ou des futaies sur
les deux types d’utilisation ancienne définis a priori (intraparcellaire gallo-romain, d’une part, et non ou peu perturbé par l’agriculture ancienne, d’autre part). Il ne semble donc pas y avoir de lien important, dans ces forêts,
entre les sites choisis pour l’agriculture et ceux choisis
pour la conversion, 17 siècles après. D’autre part, le signal
En perspective, il serait intéressant de compléter ces analyses purement floristiques par des analyses de sol, qui
permettraient de mieux contrôler l’existence éventuelle
de biais d’échantillonnage (liaisons type de sylviculture /
utilisation ancienne / type de sol). En particulier, en l’absence de contrôle sur le type de substrat, nous ne pouvons pas complètement écarter l’hypothèse selon laquelle
les implantations gallo-romaines se seraient faites préférentiellement sur les sols les plus riches, expliquant à la
fois pourquoi ces différences floristiques perdurent sur
d’aussi longues périodes et pourquoi elles sont indépendantes des changements de sylviculture.
J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE,
M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE
En décembre 1999, la tempête a ravagé le massif de
Saint-Amond. L’exploitation des chablis et la mise des
souches en andains, fortement mécanisées, ont provoqué
d’importants dégâts sur les sites et effacé les microreliefs. Les traces archéologiques disparaissent. Qu’en estil des traces écologiques ?
Remerciements
Nous remercions Vincent Badeau, Patrick Behr, Serge
Didier, Philippe Jet, Johan Lasouche, Yves Lefèvre, JeanLuc Martin, Concha Moares, Benoît Pollier, Anne Poszwa
et Frédéric Steinbach pour leur participation aux travaux
de cartographie et de fouille des sites. Ce programme de
recherche a bénéficié de l’appui financier décisif du GIPECOFOR (programme « Biodiversité et gestion forestière »).
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189
190
Communautés végétales révélatrices de sites archéologiques dans les forêts du nord de la France
Guillaume DECOCQ
Université de Picardie Jules Verne – Département de Botanique
1, rue des Louvels – F-80037 Amiens Cedex
[email protected]
Résumé
Le caractère original de la végétation s’observant au niveau de sites archéologiques est connu depuis longtemps et a parfois été mis à profit en prospection au sol, sans pour autant que des méthodes d’étude aient été formalisées. Nous présentons ici quelques résultats de recherches menées dans ce domaine, ayant pour cadre théorique la phytosociologie.
On part du principe qu’une communauté végétale se constitue spontanément à partir d’un réservoir régional d’espèces,
sur lequel vont agir des contraintes liées à la structure du paysage, à la synécologie de l’habitat et aux interactions interspécifiques. Par ses activités, l’homme va interférer avec l’un et/ou l’autre de ces niveaux et laisser ainsi son empreinte
dans la végétation. Trois approches sont présentées, correspondant à trois échelles spatiales différentes : l’analyse socioécologique et biogéographico-historique d’espèces cryptogéniques, à l’échelle de la population ; l’analyse phytosociologique comparative, à l’échelle de la phytocœnose ; et l’analyse phytocœnologique de l’hétérogénéité paysagère, à
l’échelle du paysage. Plusieurs exemples sont exposés pour les forêts du nord de la France. Bien que des recherches complémentaires soient encore nécessaires, en particulier pour l’échelle paysagère, un certain nombre d’indicateurs botaniques ont d’ores et déjà pu être dégagés et peuvent aider l’archéologue dans ses prospections au sol.
Abstract
Plant communities indicating archaeological sites in the forests of northern France.
The vegetation established on archaeological sites has long been recognized as original and sometimes used as an aid
during field investigations. However robust methods for this are still lacking. Within this framework, we present some
results from our own research. The theoretical background is provided by phytosociology, considering that a plant community is assembling from a regional species pool under the constraints of landscape structure, habitat quality and
assembly rules. Human activities may impact one or more of these levels and thus durably alter vegetation. Three
approaches are presented, addressing three spatial scales: socio-ecological and historico-biogeographical analysis of
cryptogenic species, at the population scale; comparative phytosociological analysis, at the phytocoenosis scale; and phytocœnological analysis of the landscape heterogeneity, at the landscape scale. Several examples are given for forests of
northern France. Further researches are needed, especially at the landscape scale. A number of botanical indicators has
been provided already and may guide archaeologists for field investigations.
191
G. DECOCQ
1. - Introduction : végétation et
archéologie
La valeur indicatrice de la végétation en matière de prospection archéologique est connue depuis longtemps. En
1932 déjà, Roupnel expliquait comment il avait pu
reconstituer l’évolution des paysages de la campagne
bourguignonne depuis le Néolithique, en déchiffrant les
traces conservées par la végétation (Roupnel, 1932).
Quelques décennies plus tard, Desbordes (1975) énonçait, pour la première fois, les principes d’une prospection
archéologique au sol reposant, entre autres indices, sur la
nature du tapis végétal. Suivront un certain nombre de
travaux s’inspirant de ceux de Desbordes, qui s’attacheront surtout à décrire la végétation de sites archéologiques (Ghestem et Vilks, 1979 ; Ghestem, 2002 ;
Ghestem et al., 1994, 1995, 1996, 1997, 1999, 2003 ;
Boyer, 1984 ; Crozat, 1999). La démarche inverse, qui
consiste à repérer des « anomalies » du tapis végétal
préalablement à la typologie archéologique reste plus
ponctuelle (Couderc, 1985, 1993).
Dans tous les cas, ces travaux sont restés très descriptifs
et, souvent, limités à l’échelle locale (e.g. villa galloromaine, voie romaine, motte castrale). Aucune synthèse
n’a été réalisée à ce jour et, par conséquent, aucune formalisation des approches méthodologiques. De plus, les
échelles spatiales connexes n’ont quasiment pas été
explorées. L’échelle de la population d’une plante est
importante pour comprendre l’origine d’une espèce dans
une communauté végétale. Citons à ce sujet les travaux
de Duvigneaud qui a introduit la notion de « plante castrale » pour désigner des taxons allochtones (néophytes)
introduits volontairement par l’homme dans des parcs de
château, où ils se sont secondairement naturalisés
(Duvigneaud, 1991 ; Duvigneaud et Saintenoy-Simon,
1993). Lorsque ledit château a disparu et que la plante
castrale est demeurée, celle-ci est une bonne indicatrice
d’un site archéologique. L’échelle du paysage végétal n’a
pas été explorée sous l’angle de l’archéologie, en dehors
des travaux fondateurs de Roupnel (1932), ou, tout au
moins, nombre de travaux concernent l’archéologie des
milieux forestiers mais pas ou peu l’archéologie comme
facteur façonnant le paysage forestier. Ainsi trouve-t-on
des études de biogéographie historique des forêts, reposant principalement sur des méthodes d’analyse régressive du paysage (Dubois, 1980, 1996), qui visent à
reconstituer l’histoire des paysages régionaux et la dynamique des surfaces boisées au sein de ces paysages.
Nombreuses également sont les études de paléo- ou d’archéo-écologie, qui s’efforcent de reconstituer la dynamique écologique d’un paysage végétal en utilisant des
techniques comme la palynologie, la carpologie, l’anthracologie et d’autres (Materne, 2004). Enfin, plusieurs
études ont analysé les différences floristiques entre forêts
anciennes et forêts récentes (e.g. Peterken et Game,
1984 ; Hermy et al., 1999 ; Donohue et al., 2000) et
192
avancent un certain nombre de mécanismes explicatifs
reposant sur la qualité des habitats forestiers (Honnay et
al., 1999) et la capacité de dispersion des espèces
(Honnay et al., 1998), rappelant au passage l’importance
de prendre en compte les échelles paysagère et populationnelle lorsque l’on étudie les communautés végétales.
Mais à notre connaissance, aucune étude n’a porté sur
l’analyse des mosaïques paysagères en forêt, dans un but
de reconstitution des activités humaines du passé et de
l’aménagement ancien du territoire. Une récente étude
s’est cependant efforcée de mettre en relation la végétation, les propriétés physico-chimiques du sol et l’intensité
de la pression humaine à l’échelle d’un site archéologique
(une villa gallo-romaine) et de ses dépendances (Dupouey
et al., 2002). Pour la première fois, une mosaïque de
communautés végétales, sorte de « micro-paysage », a
été superposée à un schéma local d’aménagement de
l’espace par l’homme près de 2000 ans plus tôt.
Depuis plusieurs années, les travaux de recherche menés
au sein du Département de Botanique de l’Université de
Picardie Jules Verne s’efforcent de formaliser un certain
nombre d’approches visant à étudier les relations entre
communautés végétales et activités humaines du passé.
En particulier, il s’agit de dégager des communautés végétales « indicatrices » de sites archéologiques, utilisables en
prospection archéologique, mais aussi utiles pour comprendre l’histoire écologique des forêts. Dans cette contribution,
nous allons donner un aperçu sur ces différentes voies de
recherche et sur quelques résultats significatifs, après en
avoir exposé les fondements théoriques.
2. - Fondements théoriques
L’une des théories les plus influentes en écologie est celle
du climax (Clements, 1916). Selon celle-ci, qui a largement été amendée au cours du XXe siècle, en l’absence
d’intervention humaine et dans un secteur géographique
donné, la végétation doit être homogène et en « équilibre » avec les conditions climatiques et géomorphologiques : c’est la végétation naturelle potentielle ou climax.
En phytosociologie -la science qui étudie les communautés végétales-, on utilise le terme de « tésela » pour
désigner un territoire suffisamment homogène écologiquement et dynamiquement pour ne porter qu’un seul
climax (Géhu et Rivas-Martinez, 1981). Les concepts de
climax et de tésela sont donc intimement liés. En pratique, en dehors de quelques situations exceptionnelles
(e.g. végétations des hautes altitudes ; forêts «
vierges » ?), la végétation est loin d’être homogène sur de
tels secteurs géographiques, même s’ils sont uniformes
d’un point de vue abiotique. On observe, au contraire,
une véritable mosaïque paysagère, composée de différents types de phytocœnoses (e.g. forêts, prairies,
champs, étangs), dont le déterminisme est anthropique :
en aménageant l’espace, l’homme crée une diversité
G. DECOCQ
d’écosystèmes à usage défini ; autrement dit, il rend la
tésela hétérogène en induisant des successions secondaires et en entretenant des communautés végétales non
climaciques (Decocq, 2006).
La phytosociologie repose sur un paradigme qui considère une relation binaire entre un habitat et une communauté végétale (Géhu et Rivas-Martinez, 1981 ; Gillet et
al., 1991). Pour qu’une espèce colonise un habitat donné
et participe à la communauté végétale que ce dernier
héberge, au moins 3 conditions sont requises :
l’autoécologie de l’espèce doit être compatible avec la
synécologie de l’habitat (une espèce calcicole ne peut
pas coloniser un sol sableux acide !) ;
l’espèce doit être présente à proximité de l’habitat ;
autrement dit, elle doit faire partie du réservoir régional
d’espèces (‘regional species pool’ ; Zobel, 1997) et être
capable de s’y disperser (Primack et Miao, 1992) ;
l’espèce doit être suffisamment compétitive pour s’incorporer à la communauté végétale en place en
« déplaçant » une ou plusieurs espèces déjà installée(s), ou être capable d’occuper une niche jusque là
vacante (dans le cas de communautés végétales non
encore saturées cœnologiquement) ; ce processus est
soumis aux règles d’assemblage des espèces en communautés (‘assembly rules’ ; Wilson, 1999).
On peut représenter schématiquement ce processus par
une superposition de « filtres » que devraient franchir
successivement les espèces du réservoir régional pour
réussir à s’implanter dans un habitat (fig.1). D’abord, un
filtre « paysager » symboliserait l’influence de la structure du paysage sur la dispersion des diaspores végétales ;
puis un filtre « écologique » représenterait la nécessaire
adaptation des espèces dont les diaspores parviennent à
l’habitat à la qualité de celui-ci (e.g. besoins en ressources : eau, sels minéraux, lumière…) ; enfin, un filtre
« fonctionnel » signifierait que l’incorporation d’une
espèce à une communauté est soumise aux règles d’assemblage. Évidemment, ces filtres ne doivent pas être vus
comme des entités fixes, mais comme des structures
dynamiques dans le temps et interagissant en permanence. La dynamique temporelle des filtres et du réservoir
régional d’espèces détermine la succession se déroulant
au niveau de l’habitat.
Ce qui nous intéresse ici, c’est l’influence de l’homme sur
ce processus de colonisation d’un habitat par les plantes.
En fait, l’homme peut intervenir à l’un et/ou l’autre des 3
filtres et/ou du réservoir régional d’espèces :
il peut modifier directement le réservoir régional
d’espèces en introduisant, dans la région concernée,
des espèces en provenance d’autres régions, connexes
(cas de l’extension artificielle de l’aire de répartition de
certaines espèces indigènes) ou lointaines (cas des
xénophytes, dont certaines seront capables de se naturaliser pour s’incorporer durablement, sinon définitivement, dans le réservoir régional d’espèces ; les espèces
allochtones invasives en sont un cas particulier). A l’op-
posé, l’homme peut éliminer certaines espèces du
réservoir régional, soit volontairement (cas, par exemple, de nombreuses espèces adventices des cultures ou
encore, à une époque plus ancienne, des arbustes sempervirents comme l’if ou le houx dans certaines forêts
françaises ; Maury, 1867), soit involontairement (cas
d’espèces spécialisées dont l’habitat a été détruit ou
altéré) ;
il peut altérer le filtre paysager en favorisant la
connectivité des tâches d’un habitat, par exemple par
la mise en place de corridors biologiques, ou, beaucoup
plus fréquemment, en réduisant cette connectivité par
fragmentation des habitats en tâches de plus en plus
petites et de plus en plus éloignées les unes des autres.
Dans ce dernier cas, les processus métapopulationnels
s’en trouvent fortement altérés et le risque d’extinction
augmente pour de nombreuses espèces (Hanski, 1999).
À l’échelle d’un habitat donné, les chances de ce dernier d’être colonisé par des espèces adaptées sont
réduites ;
il peut modifier le filtre écologique, c’est-à-dire les
propriétés physico-chimiques et biotiques d’un habitat,
et rendre cet habitat impropre aux espèces qui l’avaient
colonisées jusqu’ici. Ces modifications entraînent donc
de profondes modifications de la communauté végétale résidente, d’abord quantitatives, puis qualitatives.
C’est le cas, par exemple, lorsqu’un milieu humide est
drainé : les espèces hygrophiles régressent au profit des
espèces mésophiles ; ou encore lorsqu’un milieu
ouvert est boisé : les espèces héliophiles seront remplacées par des espèces sciaphiles ;
il peut enfin altérer le filtre fonctionnel en affectant
directement la communauté végétale en place et en
modifiant artificiellement les règles d’assemblage des
espèces. C’est le cas lorsqu’il exerce une prédation
sélective, c’est-à-dire lorsqu’il récolte ou tente d’éradiquer certaines espèces d’une communauté végétale
(e.g. espèces toxiques d’une prairie, espèces comestibles d’une lisière, espèces médicinales d’une forêt). À
l’opposé, il peut forcer une espèce à « rentrer » dans
une communauté végétale en la plantant (e.g. enrichissement d’une forêt en essences à haute valeur ajoutée,
plantation d’espèces ornementales dans une pelouse,
cas particulier des espaces cultivés). Enfin, certaines
pratiques agissent indirectement sur le filtre fonctionnel, comme, par exemple, le fauchage, qui favorise les
espèces à fort pouvoir de régénération (en particulier
les Graminées) au détriment des autres. Notons d’ailleurs que de nombreuses pratiques modifient simultanément le filtre fonctionnel et le filtre écologique. C’est
le cas, par exemple, du pâturage, qui a des effets à la
fois sur la communauté végétale en place (e.g. prédation sélective des espèces) et sur les propriétés de l’habitat (e.g. tassement du sol, enrichissement en matières
organiques), ces dernières rétroagissant sur la végétation, d’où des effets globaux extrêmement complexes.
193
G. DECOCQ
Réservoir régional
régionald’espèces
d'espèces
Réservoir
Homme
Filtre paysager
Filtre écologique
Filtre fonctionnel
Communauté végétale
Figure 1 : Représentation schématique du processus de colonisation d’un habitat
par la végétation.
Ce processus peut être simplement représenté par une superposition de « filtres »
que les espèces appartenant au réservoir régional doivent successivement franchir
pour parvenir à s’implanter dans l’habitat et participer à la communauté végétale
résidente. Aucune de ces entités n’est définitivement figée dans le temps ; au
contraire, chacune est dynamique et subit des modifications permanentes. Par ses
activités, l’homme contribue à cette dynamique en interférant à l’un et/ou l’autre
de ces niveaux.
Pour revenir à la phytosociologie, nous dirons qu’elle offre
un cadre conceptuel particulièrement intéressant pour
aborder les relations historiques entre l’homme et les
communautés végétales. En tant que science issue de la
phytogéographie, elle prend naturellement en compte la
répartition géographique des espèces, c’est-à-dire la
nature des réservoirs régionaux d’espèces. De plus, elle se
focalise sur la relation entre conditions écologiques d’un
habitat (i.e. synécologie) et composition spécifique d’une
communauté végétale (i.e. synfloristique), c’est-à-dire sur
ce que nous avons appelé « filtre écologique » et « filtre fonctionnel ». En revanche, il faut reconnaître la faible considération des structures paysagères par la phytosociologie, même si l’avènement de la phytosociologie
« intégrée » (Gillet et al., 1991 ; Gillet et Gallandat,
1996) a permis de progresser sur ce point.
En phytosociologie, la végétation est considérée comme
le détecteur physique de l’ensemble intégré des facteurs
du milieu (de Foucault, 1986). L’étude de la végétation est
donc un moyen indirect d’analyser ces facteurs. De ces
relations sont issues deux lois phytosociologiques (de
Foucault, 1997) :
la loi synchorologique qui dit que chaque communauté végétale possède une aire de répartition donnée ;
la loi physique, qui considère qu’à chaque communauté végétale correspond une combinaison de facteurs écologiques du milieu et une seule.
Dans une synthèse méthodologique antérieure (Decocq,
2005), nous avons introduit la notion d’ « anomalie phytosociologique » pour qualifier une communauté végétale
observable dans la nature qui, tout au moins en apparence,
transgresse l’une des deux lois précédentes. En pratique, la
grande majorité des anomalies phytosociologiques sont en
fait des anomalies synécologiques, qui contreviennent à la loi
physique de la phytosociologie. Dans la mesure où ces anomalies ont presque toujours une explication historique, elles
deviennent particulièrement intéressantes en matière d’archéologie ; c’est ce que nous allons développer dans la suite
de cette synthèse. Dans ce qui suit, nous n’entrerons dans
aucune considération méthodologique dans la mesure où
une récente synthèse vient d’être publiée sur le sujet ; nous y
renvoyons le lecteur intéressé (Decocq, 2005).
3. - Analyse socio-écologique et
biogéographico-historique d’espèces
cryptogéniques
3.1. - Principe
Cette première approche est centrée sur une espèce
cryptogénique (sensu Carlton, 1996, i.e. une espèce
dont les origines dans un secteur géographique donné
sont méconnues et pour laquelle on est incapable de
dire avec certitude s’il s’agit d’une espèce indigène ou
d’une archéophyte). Cette espèce est prise comme une
composante d’une communauté végétale dont on
recherche, dans un premier temps, si son profil socioécologique est compatible avec celui d’une végétation
anthropogène. Dans un second temps, en croisant ces
critères socio-écologiques avec des données géographiques et historiques, on cherche à dégager un faisceau d’arguments en faveur du caractère archéophytique de l’espèce cryptogénique. Si celui-ci se confirme,
on teste, dans un troisième temps, la valeur indicatrice
de cette espèce, dans un contexte socio-écologique
déterminé, en recherchant systématiquement un site
archéologique au niveau ou à proximité de ses stations
répertoriées.
3.2. - Exemple du buis (Buxus sempervirens1)
Cette approche a d’abord été appliquée au buis dans le
nord de la France, où son statut d’indigénat est controversé (Decocq et al., 2004). Nous avons pu montrer que
le buis se rencontrait dans trois types de communautés
végétales :
une communauté à Taxus baccata - Buxus sempervirens, caractérisée par un grand nombre de xénophytes
(1) La nomenclature des noms scientifiques suit Lambinon J., De Langhe J.E., Delvosalle L., Duvigneaud J., 1992. Nouvelle flore de la Belgique, du Grand Duché du
Luxembourg, du nord de la France et des régions voisines. Quatrième édition. Meise, Editions du Patrimoine du Jardin botanique national de Belgique, 1092 p.
194
G. DECOCQ
reconnues : Mahonia aquifolium, Prunus laurocerasus,
Aesculus hippocastanum, Evonymus latifolius,
Staphylea
pinnata,
Physocarpus
opulifolius,
Symphoricarpos albus et Robinia pseudaccacia. À ces
espèces s’en ajoutent d’autres, indigènes en France,
mais pas dans les régions concernées : Taxus baccata,
Picea excelsa, Lonicera xylosteum et Prunus padus.
Cette communauté était toujours établie sur des sols
profonds, plus ou moins calcaires, en situation de plateau. Systématiquement, un château de construction
postérieure à la Renaissance était trouvé à proximité
directe des stations ;
une communauté à Fraxinus excelsior - Mercurialis
perennis, caractérisée par un groupe d’espèces sans
cohérence socio-écologique (c’est-à-dire ne cohabitant
habituellement pas), dont Ulmus glabra, Sambucus
racemosa, Mespilus germanica, Lamium galeobdolon,
Campanula trachelium, Hyacinthoides non-scripta,
Paris quadrifolia, Galium odoratum, Symphytum officinale, Teucrium scorodonia, etc. Cette communauté
s’observait systématiquement sur des pentes fortes
occupées par des éboulis crayeux, souvent d’exposition
sud. Les ruines ou simplement l’emplacement ancien
d’un château médiéval ont été retrouvés à chaque fois
dans l’environnement immédiat ;
une communauté à Quercus pubescens - Buxus sempervirens, limitée à un seul site sur un éperon crayeux,
à proximité duquel se trouvait un château de la
Renaissance.
En commun à ces trois communautés, on trouvait un
grand nombre d’espèces qui étaient soit calcicoles (e.g.
Mercurialis perennis, Ligustrum vulgare, Viburnum lantana, Brachypodium sylvaticum), soit nitrophiles (e.g.
Urtica dioica, Geranium robertianum, Sambucus nigra,
Galium aparine, Glechoma hederacea, Geum urbanum,
Alliaira petiolata), soit notoirement castrales (e.g. Vinca
minor, Vincetoxicum officinale), et qui ne sont pas des
compagnes habituelles du buis dans son aire d’indigénat.
En conclusion, le buis pouvait être considéré, dans le nord
de la France, comme une archéophyte et une plante castrale (Decocq et al., 2004). Dès lors, dans cette région et
en situation intraforestière, le buis et la communauté
végétale à laquelle il appartient peuvent être de bons
révélateurs d’un site archéologique (fig.2a).
3.3. - Exemple de la nivéole (Leucojum vernum)
La même approche a été appliquée à la nivéole printanière, mais cette fois en choisissant une aire d’étude qui
inclut à la fois des stations d’indigénat incontestable (vers
l’est) et d’autres d’origine anthropique avérée (vers
l’ouest). Ces résultats n’ont encore été publiés que très
partiellement (Decocq, 2005). Sans entrer dans le détail,
nous avons pu reconnaître quatre types de communautés
Figure 2 : Deux espèces cryptogéniques pouvant révéler la présence de sites
archéologiques dans les forêts du nord de la France : (a) le buis, Buxus sempervirens L. et (b) la nivéole (Leucojum vernum L.). (Clichés photographiques : G.
Decocq).
végétales auxquelles participait Leucojum vernum dans le
nord de la France :
l’une au caractère franchement hygrophile, limitée aux
stations les plus orientales (Ardennes), toutes localisées
en situation alluviale (aulnaies-frênaies eutrophiques) et
loin de tout contexte archéologique. C’est la socio-écologie habituelle de la nivéole dans son aire continue
d’indigénat, si bien que l’on peut interpréter ces stations comme spontanées et naturelles ;
une seconde, moins hygrophile, liée à des sols frais
mais rarement inondés, en fond de vallon sur alluvions
anciennes ou colluvions argilo-calcaires (frênaies colluviales). Aucun site archéologique n’a pu être mis en évidence à proximité de ces stations. En revanche, la
connection des vallons avec l’ancien réseau hydrographique d’avant le glaciation du Riss laisse penser que
toutes ces stations correspondent aux irradiations les
plus occidentales de l’espèce et, donc, à des stations
naturelles relictuelles ; toutes sont situées dans le nord
de l’Aisne (Thiérache) ;
une troisième, franchement mésophile et caractérisée
par un ensemble d’espèces n’ayant aucune cohérence
195
G. DECOCQ
socio-écologique, véritable « anomalie phytosociologique » (e.g. Vinca minor, Mercurialis perennis, Milium
effusum, Ribes uva-crispa, Helleborus viridis, Galanthus
nivalis). Cette communauté a été rencontrée dans l’ensemble de la dition, dans des situations extrêmement
contrastées : pentes crayeuses xériques, pentes argileuses humides, fonds de vallée sèche, plateaux
crayeux, etc. Dans la végétation ligneuse, la présence
d’authentiques xénophytes était quasi systématique
(e.g. Prunus insititia, Prunus padus à l’ouest, Buxus
sempervirens). Enfin, presque à chaque fois, on pouvait
retrouver la notion d’un site archéologique à proximité,
à type de château ou d’abbaye ;
une quatrième, sans localisation géographique ni écologie préférentielle, caractérisée, d’une part par l’absence du cortège d’espèces nitrophiles qui accompagnait la nivéole dans les trois communautés précédentes, et, d’autre part, par le très faible recouvrement
de la population de nivéole, réduite à quelques individus. Ces caractéristiques étaient compatibles avec l’hypothèse d’une introduction récente de l’espèce, d’autant plus qu’une route était systématiquement présente à proximité (les bords de route et les carrefours
accueillant fréquemment les déchets de jardin) et que
la plupart de ces stations n’étaient pas répertoriées par
les botanistes du XIXe siècle.
En conclusion, la nivéole est une espèce indigène dans la
partie orientale de l’aire d’étude, mais dont l’aire « naturelle » a été élargie par l’homme. Sa « signature socioécologique » permet de différencier les stations indigènes des stations artificielles ; dans ce dernier cas, la
nivéole et la communauté qui l’héberge sont des anomalies botaniques potentiellement révélatrices d’un site
archéologique de type castral ou prioral (fig.2b).
4.-Analyse phytosociologique comparative
4.1. - Principe
Cette seconde approche n’est plus ciblée sur une espèce
en particulier, mais sur la communauté végétale établie sur un type donné de site archéologique (e.g.
une motte castrale, une villa gallo-romaine), dont on va
analyser la végétation comparativement à celle d’un site
témoin apparié. Ce dernier est choisi dans le même massif forestier, le moins éloigné possible, dans les mêmes
conditions topographiques, édaphiques et biotiques
actuelles, et en dehors de tout contexte archéologique (ce
qui n’exclut pas que le site ait été ou soit influencé par
l’homme, par exemple via la gestion forestière). D’autres
mesures comme, par exemple, des analyses physico-chimiques du sol, peuvent être menées simultanément à
l’étude de la végétation. On cherche alors à mettre en évidence des groupes socio-écologiques différentiels par
analyse statistique des deux séries appariées de relevés
floristiques (sites archéologiques versus sites témoins).
196
4.2. - Exemples
Cette démarche a d’abord été appliquée à une série de
mottes castrales picardes (Decocq et al., 2002), puis à une
série de villae gallo-romaines dans la forêt de Compiègne
(Renaux, 2003 ; Doyen et al., 2004 ; Plue, 2005). Nous
renvoyons aux publications princeps pour de plus amples
informations sur la méthodologie et l’intégralité des résultats et conclusions. Dans les deux cas, les résultats
convergent et permettent de dégager plusieurs groupes
socio-écologiques indicateurs :
un groupe neutro-calcicole composé d’espèces
inféodées aux sols de réaction neutre à basique et/ou
riche en CaCO3 (e.g. Mercurialis perennis,
Brachypodium sylvaticum, Galium odoratum, Melica
uniflora, Vicia sepium, Euphorbia amygdaloides,
Evonymus europaeus, Ligustrum vulgare). Ce groupe
est souvent le révélateur de la présence de remblais calcaires, enfouis plus ou moins profondément dans le sol,
ou de ruines de constructions anciennes ensevelies. Ce
premier groupe n’est en fait utilisable que sur des sols
forestiers non calcaires (e.g. sols bruns plus ou moins
lessivés, sols lessivés, sols podzoliques) ;
un groupe eutrophique, composé d’espèces affectionnant les sols riches en nitrates et/ou en phosphates
(e.g. Urtica dioica, Geranium robertianum,
Aegopodium podagraria, Alliaria petiolata, Geum urbanum, Galium aparine, Sambucus nigra, Glechoma
hederacea, Poa trivialis). C’est un excellent indicateur
d’une présence humaine prolongée puisque l’enrichissement d’un sol en azote et en phosphore est proportionnel au degré de pression anthropique (Craddock,
1982 ; Goodale et Aber, 2001). Il est utilisable sur quasiment tous les types de sol forestier, en dehors de ceux
naturellement riches en nitrates (e.g. sols alluviaux
régulièrement amendés par les crues) ;
un groupe d’espèces des forêts anciennes (sensu
Hermy et al., 1999) qui, au contraire des deux précédents, différencie négativement les sites archéologiques (c’est-à-dire que c’est leur absence ponctuelle
qui révèle la présence du site). Ces espèces (e.g.
Anemone nemorosa, Hyacinthoides non-scripta, Viola
reichenbacchiana, Carex pilulifera, Deschampsia
flexuosa) ont la particularité de mettre très longtemps
à recoloniser un habitat duquel elles ont été éliminées.
Cette propriété serait principalement due à leur faible
capacité de dispersion (la plupart sont myrmécochores,
c’est-à-dire que leurs graines sont dispersées par les
fourmis) et à leur faible pouvoir concurrentiel, en particulier vis-à-vis des espèces eutrophiques (Hermy et al.,
1999 ; Honnay et al., 1998, 1999 ; Graae et al.,
2004). La vitesse de recolonisation étant spécifique de
chaque espèce de ce groupe, la composition de celui-ci
sur un site donné pourrait indiquer, au moins approximativement, l’âge du boisement d’un site archéologique. Par exemple, en comparant les résultats obtenus
pour les mottes castrales (Xe-XIe siècles) à ceux obtenus
G. DECOCQ
Figure 3 : Anomalies phytosociologiques en forêt de Compiègne (Oise).
Sur ces sols podzoliques, la phytosociologie prédit une communauté végétale herbacée pauvre, correspondant à celle se trouvant dans l’angle inférieur droit des deux clichés ci-dessus, notamment caractérisée par des espèces de forêts anciennes. Deux îlots de végétation luxuriante s’observent pourtant (dans la partie supérieure gauche des
deux clichés), en dehors de toute différence significative de la luminosité au sol ; les espèces eutrophiques et neutro-calcicoles dominent et côtoient des espèces cryptogéniques. La prospection archéologique révèlera la présence de deux anciens habitats gallo-romains. (Clichés photographiques : G. Decocq).
pour les villae gallo-romaines (Ier-IVe siècles), on se rend
compte que certaines espèces, comme la jacinthe des
bois, présente partout autour du site en vastes populations, a eu le temps de recoloniser les seconds, mais pas
les premiers, suggérant un délai de plus de dix siècles
pour que les plus « mobiles » des espèces de forêts
anciennes puissent recoloniser un site archéologique.
L’anémone des bois était, elle, absente sur les deux
types de site, bien qu’abondante partout autour.
Aux côtés de ces trois groupes socio-écologiques, on
pourrait en citer un quatrième, beaucoup plus hétérogène et sans cohérence socio-écologique. Il regrouperait
des espèces « utilitaires » pour l’homme (i.e. plantes
médicinales, plantes alimentaires, plantes ornementales,
etc.), qui sont régulièrement retrouvées, mais pas systématiquement, sur des sites archéologiques. La plupart
sont d’ailleurs des espèces cryptogéniques et/ou d’authentiques plantes castrales (e.g. Taxus baccata, Lonicera
xylosteum, Iris foetidissima, Viola odorata, Vinca minor,
Galanthus nivalis, Prunus padus, Vincetoxicum hirundinaria, Helleborus foetidus).
En conclusion, cette seconde approche permet de dégager des groupes d’espèces caractéristiques des « anomalies phytosociologiques » qui, une fois circonscrits pour
une région donnée, sont utilisables en prospection
archéologique (Decocq, 2005). C’est la combinaison de
ces différents groupes qui permet, le plus souvent, de
reconnaître le caractère anormal d’une communauté
végétale, dans la mesure où, les conditions stationnelles
étant connues, elle n’est pas prédite par la loi physique de
la phytosociologie (fig.3).
5. - Analyse phytocœnologique de
l’hétérogénéité paysagère
Après les échelles de la population et de la phytocœnose,
c’est l’échelle paysagère que cette troisième approche
permet d’appréhender, en analysant la diversité phytocœnotique intra-téselaire (i.e. à l’intérieur des limites
d’une tésela), c’est-à-dire l’hétérogénéité du paysage
végétal en termes de communautés végétales. Les
aspects théoriques et méthodologiques de cette
197
G. DECOCQ
Figure 4 : Comparaison du paysage végétal théorique (a) au paysage végétal réel (b) de la forêt de Compiègne (Oise).
En (a), la carte représente les téselas prédites par la loi physique de la phytosociologie. En la comparant à la carte (b) qui correspond à la végétation actuelle de la forêt de
Compiègne, on voit que l’hétérogénéité paysagère réelle est beaucoup plus importante. La diversité intra-téselaire peut être interprétée à partir des données sur l’aménagement ancien du territoire (depuis l’Antiquité) et sur la diversité des pratiques humaines et des usages anciens. (D’après Decocq, 2003).
démarche ont été publiés par ailleurs (Decocq, 2003). Ce
type d’étude est grandement facilité par l’outil informatique, en particulier les systèmes d’information géographique (SIG).
Le principe est simple. A l’échelle d’un paysage forestier,
on commence par délimiter des territoires suffisamment
homogènes écologiquement et dynamiquement pour ne
porter qu’un seul climax : autrement dit, on cartographie
les téselas d’un paysage. Selon la théorie phytosociologique, la loi physique prédit que l’on devrait observer
autant de communautés végétales climaciques que de
types de tésela.
Dans un second temps, on réalise une cartographie fine
des phytocœnoses réellement observées sur le terrain,
que l’on va ensuite superposer à la carte de la végétation
potentielle (fig.4). La seconde carte montre une hétérogénéité paysagère (facilement quantifiable à l’aide d’indices
type indice de Shannon-Wiener H’) beaucoup plus importante que celle prédite.
Nous considérons que cette hétérogénéité est due à l’influence des activités humaines sur le complexe sol-végétation. Par conséquent, la diversité intra-téselaire est une
mesure du nombre de trajectoires distinctes de la succession secondaire théorique à un instant t, ce nombre étant
lui-même déterminé par le régime des perturbations
subies par la tésela et les capacités de résistance/résilience
des écosystèmes. A l’échelle d’un paysage forestier, le
ratio richesse phytocœnotique théorique (égale à 1 à l’intérieur d’une tésela) : richesse phytocœnotique réelle
pourrait être un bon indicateur paysager de l’anthropisation historique d’un paysage (Decocq, 2003, 2005). Plus
198
la valeur de ce ratio tendra vers 1, plus le paysage pourra
être considéré comme « naturel » ; au contraire, plus il
tendra vers 0, plus il pourra être considéré comme « artificiel » ou anthropisé. Pour interpréter un paysage
anthropisé, toutes les sources d’information sont utiles.
Une première étape consiste à superposer la carte de la
végétation observée avec la carte des usages actuels de la
forêt (incluant essence dominante, type de sylviculture,
phase du cycle sylvicultural, etc.) ; une partie du décalage
entre végétation théorique et végétation exprimée sera
expliquée par ces usages actuels. Une seconde étape peut
consister à superposer à la carte de la végétation actuelle,
une carte de distribution des sites archéologiques repérés
lors de campagnes de prospection au sol (Doyen et al.,
2004). Là encore, une part du décalage mis en évidence
pourra être expliquée, en reliant les anomalies phytosociologiques avec les usages anciens du sol. Par exemple,
en forêt de Compiègne, entre les zones d’habitat identifiées à l’aide des groupes indicateurs précédemment
cités, on peut mettre en évidence des zones de pâturage
d’âge gallo-romain (communautés de landes secondaires
à Calluna vulgaris) ou médiéval (communautés à Holcus
mollis) ou des zones anciennement cultivées (communautés à Rubus fruticosus coll. souvent envahies par l’espèce
invasive Prunus serotina). Evidemment ces reconstitutions
sont probabilistes et leur qualité étroitement dépendante
de la qualité des sources historiques disponibles pour le
paysage étudié. C’est en une véritable reconstitution de la
dynamique de l’aménagement du territoire par l’homme
depuis l’Antiquité à nos jours que consiste cette
démarche, dont les résultats comportent inévitablement
des zones d’ombre.
G. DECOCQ
6. - Conclusion : vers une approche
ethnologique de l’écologie historique
des forêts ?
En fournissant un cadre théorique robuste et en formalisant un certain nombre d’approches et de méthodes, nos
travaux ont permis de mettre en évidence la réelle valeur
heuristique du concept d’anomalie phytosociologique en
tant que conséquence d’un fait archéologique. Une
approche multiscalaire intégrant les échelles populationnelle, phytocœnotique et paysagère est nécessaire à la
compréhension des interactions entre activités humaines
et processus d’assemblage des espèces en communautés
végétales ; elle est le fondement même d’une véritable
écologie historique des écosystèmes et des ethnopaysages qu’ils composent. L’écologie historique des forêts
est probablement un champ disciplinaire - ou plutôt,
transdisciplinaire - d’avenir. En Europe occidentale,
comme dans de nombreuses autres régions du globe, les
écosystèmes et les paysages sont un héritage des activités
humaines du passé ; le premier facteur de leur déterminisme est bien souvent l’homme. A l’heure où une priorité est de conserver la biodiversité, il est indispensable de
prendre cette dimension en considération (Swetnam et
al., 1999). Toutefois, de nombreuses recherches sont
encore nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes selon lesquels des activités humaines qui se sont
parfois déroulées des millénaires plus tôt ont encore des
répercussions sur les communautés végétales actuelles.
La valeur indicatrice des communautés végétales dans le
domaine de l’archéologie extensive réclame des investigations complémentaires pour améliorer les outils déjà disponibles. Enfin, parce que les modifications anthropiques
des écosystèmes sont dirigées et dictées par des facteurs
socio-économiques et/ou politiques de l’époque à
laquelle elles se produisent, il nous paraît indispensable
d’introduire la subjectivité et l’anthropocentrisme dans les
analyses des relations homme-végétation, quitte à aller à
l’encontre du « politiquement correct » en écologie, où
l’objectivité mathématique, l’échantillonnage aléatoire et
les statistiques sont ordinairement du règle. C’est ce pour
quoi nous avons plaidé récemment : introduire les
approches de l’ethnologie et, plus particulièrement, de
l’ethnophytosociologie (i.e. la science qui étudie les relations entre l’homme et les communautés végétales ; de
Foucault, 1990) dans le domaine de l’écologie historique
(Decocq, 2006).
Remerciements
L’auteur remercie l’ensemble des collaborateurs qui ont
participé aux travaux de terrain et de laboratoire qui
ont été synthétisés ici : Dorothée Bordier, Stéphanie
Renaux, Robert Saguez, Patrice Thuillier, Valérie Vieille.
Ces travaux ont été réalisés en collaboration avec le
Laboratoire d’Archéologie de l’Université de Picardie
Jules Verne (UPRESS-EA 3912) dirigé par Philippe
Racinet.
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201
202
Stations forestières et archéologie aux Sources
de la Seine
Eric DE LACLOS(1), Michel MANGIN(2)
(1) Office National des Forêts, cellule d’expertises naturalistes de Bourgogne & Champagne-Ardenne – 11C, rue René Char – 21000 Dijon
(2) en collaboration avec Michel Mangin, Professeur émérite des Universités (Université de Franche-Comté) 15, rue de la Maladiére – 21220 Brochon
Résumé
A proximité du sanctuaire antique des Sources de la Seine, la superposition d’une carte des stations forestières avec le
relevé des structures archéologiques d’un village gallo-romain et de son parcellaire agricole, sur près de 200 hectares, a
été riche d’enseignements. Elle a permis de distinguer une partie des aménagements antiques qui auraient pu passer
pour être l’œuvre de la nature, de reconnaître des espèces végétales probablement liées à l’occupation ancienne du site
et d’interpréter les vocations agronomiques des parcelles de l’époque à partir de leurs facteurs favorables et limitants.
Par ailleurs, l’implantation précise du village, outre les raisons politiques et religieuses, résulte bien d’une connaissance
intime du territoire et de ses ressources naturelles.
Abstract
Near the sanctuary of the "Sources of the Seine", in the department of Côte-d’Or, a romano-gaulish village formed by
about forty houses has been studied together with all its agricultural lots.
They have been preserved by the forest, which covered these places without interruption since the abandonment of the
site at the end of the III cent. AD. The whole of the lots circumscribed by walls (total length 20 km) covers a surface of
more than 140 hectares.
The area between the "Sources of the Seine" and the area of the lots, bordered by a 2600 m long wall, is occupied by
another group of lots covering a surface of about 50 hectares without any connected settlement.
A phytoecological study has been undertaken to understand and interpret the organization of the two groups of juxtaposed lots. This study started with a definition and positioning of forest observatories on a surface of more than 200
hectares. Thanks to this study it was possible to establish the natural or artificial nature of some of the features and to
identify two plants, Buxus sempervirens and Senecio ovatus, whose appearance is possibly connected to ancient activities. Overlapping the stations’ map with that of the romano-gaulish lots allows us to formulate some interpretations
about the lots usage and to demonstrate that the birth of the village and its surroundings are connected not only to its
position in close proximity to the Sources of the Seine, along the road to Haut-Auxois and Alesia, but also to the exploitation of the available natural resources (climatic zone, water, stones, soil fertility…).
1. - D’Alésia aux Sources de la Seine
La découverte du parcellaire rural gallo-romain lié au
sanctuaire antique des Sources de la Seine et l’étude à la
fois archéologique et phytoécologique dont il a fait l’objet, sont la conséquence inattendue d’un programme
couvrant un espace beaucoup plus vaste : l’étude des
campagnes de la ville gallo-romaine d’Alésia (sur le MontAuxois, commune d’Alise-Sainte-Reine, Côte-d’Or).
Les deux recherches furent conduites parallèlement dans
la décennie quatre-vingt-dix, mais avec des caractères
spécifiques du fait de la différence d’échelle. L’étude de
l’environnement rural d’Alésia a porté sur 500 km2 (le
Haut-Auxois et les vallées qui l’encadrent), avec 120 habitats et une quarantaine de forges, en majorité établies sur
un dense réseau de voies (Mangin et al., 2000a) (fig. 1).
Le programme de prospection dans les forêts des communes de Blessey, Salmaise et Saint-Germain-SourceSeine sur les marges méridionales du plateau du
Châtillonnais, n’a concerné que les 200 hectares où
demeuraient les vestiges d’occupation antique : habitats
et parcellaire rural (Mangin et al., 2000b ; Mangin,
Laclos, Courtadon, à paraître).
Ces 200 hectares d’occupation comportent deux parties nettement séparées par une longue murée nordsud : d’une part, le village antique de Blessey-Le
Chalonge et son parcellaire et, d’autre part, le parcellaire qui relie Le Chalonge au sanctuaire des Sources de
la Seine (fig. 2 et 3).
203
E. DE LACLOS, M. MANGIN
Figure 1 : Blessey-Salmaise. Carte de situation entre le Haut-Auxois et La Montagne (éch. 1 : 250 000), (J.-L. Courtadon)
A l’ouest, en limite du versant du plateau et sur celui-ci
s’étend un vaste parcellaire de 140 hectares. Les parcelles,
de forme géométrique et adaptées aux contraintes physiques, sont délimitées par des murées de divers types
dont la longueur cumulée dépasse les vingt kilomètres.
Une quarantaine d’habitats sont alignés sur un axe directeur nord-sud (un « village » d’une douzaine de maisons
dans leurs enclos et de petits groupements de quelques
habitats) ; deux grandes « fermes » sont isolées dans le
parcellaire. Un relais avec sa forge ouvre le village sur le
204
Chemin Rouge, axe ancien reliant les Sources de la Seine
au Haut-Auxois (fig. 3). Ce groupement a été implanté au
début de notre ère et organisé dans le cadre d’un plan
global à partir du milieu du Ier siècle.
Position et fonctions peuvent-elles expliquer la création,
l’organisation et le développement de ce village ? Sa position à proximité des Sources de la Seine et sur l’axe les
reliant au Haut-Auxois et à Alésia n’est pas anodine ; les
cinq forges qui y ont été identifiées sont établies, l’une
sur le Chemin Rouge, les autres dans le village et les
E. DE LACLOS, M. MANGIN
Figure 2 : Superposition des stations forestières et du parcellaire antique - zone sud.
205
E. DE LACLOS, M. MANGIN
Blessey-Salmaise - zone Nord
Figure 3 : Superposition des stations forestières et du parcellaire antique - zone nord.
hameaux ; elles sont à mettre en rapport tant avec la circulation qu’avec les besoins des travaux ruraux, car l’importance du parcellaire agricole atteste d’une activité
rurale notable.
A l’est, l’espace de 800 m qui sépare ce parcellaire du
sanctuaire des Sources de la Seine est lui aussi aménagé
sur une cinquantaine d’hectares. Le système de parcelles
est organisé d’une façon analogue à celui du Chalonge et
délimité aussi par des murées dont certaines soutiennent
des terrasses étagées dans le versant. Mais, à la différence
du parcellaire du Chalonge, il est totalement dépourvu
d’habitat (fig. 3).
Comprendre l’organisation du parcellaire agricole de ces
deux espaces et interpréter ses utilisations possibles exigeaient une recherche spécifique. Ce sont les principaux
acquis de ce travail qui font l’objet de la présente communication. L’étude phytoécologique constitue, en effet, l’un
des trois volets — et non le moindre — de l’ensemble des
recherches pluridisciplinaires conduites pour caractériser
ce site. Elle s’inscrit aux côtés, d’une part, de l’étude sur
le terrain du parcellaire et de l’habitat par l’équipe de M.
Mangin (avec la fouille de deux constructions et les relevés détaillés de l’ensemble du parcellaire par J.-L.
Courtadon) et, de l’autre, de l’étude des forges du site
tant sur le terrain, avec la fouille de la forge du relais par
A. Faivre, qu’en laboratoire, avec l’exploitation du mobilier (métal et déchets de travail) à l’UMR5060, CNRS
« Métallurgies et Cultures » de Sévenans-Belfort sous la
direction de P. Fluzin.
206
2. - L’étude phytoécologique
Passant de l’échelle du paysage des campagnes d’Alésia à
celle du terroir correspondant au finage d’un village galloromain, l’étude phytoécologique − programmée dans le
contexte bien particulier de la forêt ayant recouvert le site
− répond à d’autres objectifs et emploie des méthodes
très différentes qui ne pourraient pas s’appliquer à l’ensemble du Haut-Auxois.
Le village antique de Blessey-Le Chalonge est relativement
bien daté par le mobilier découvert lors de prospections
de surface ou lors des quelques fouilles citées plus haut ;
les premiers témoignages d’occupation remontent au
milieu du premier siècle et les derniers ne vont guère audelà de la fin du troisième siècle. L’on ne peut rien dire
encore de l’occupation qui a très probablement précédé
l’implantation du village à l’époque augustéenne ; mais
certains vestiges insérés plus ou moins dans l’organisation
du parcellaire antique et sans rapport avec une acculturation gallo-romaine pourraient avoir été déjà présents sur
le site quand le village a été implanté.
En revanche, pendant les siècles qui ont suivi le départ
des habitants et l’abandon des parcelles du terroir, cet
espace n’a probablement pas été oublié : retourné à la
forêt qui n’avait d’ailleurs jamais dû être loin, il est
devenu le point de rencontre de plusieurs domaines, avec
toutes les différences de gestion que cette diversité
implique et que l’on retrouve jusqu’à aujourd’hui.
L’étude phytoécologique couvre donc un espace défriché
et en partie cultivé pendant deux siècles et demi et dont
E. DE LACLOS, M. MANGIN
tout porte à croire que la forêt est venu le recouvrir sans
interruption depuis 1700 ans. Par conséquent, les différentes unités de végétation qui caractérisent les variations
géologique, topographique et pédologique se sont mises
en place depuis un temps suffisamment long pour permettre la définition d’une typologie précise des stations
forestières.
Sous forêt, la végétation est intimement liée aux variations de la couverture pédologique. Les plantes, par leur
répartition spatiale, révèlent tantôt la richesse chimique
du sol, tantôt sa capacité à retenir l’eau, tantôt sa teneur
en azote. Par ailleurs, les arbres agissent sur le sol par leur
système racinaire et par la matière organique qu’ils
apportent.
L’approche phytoécologique d’un territoire consiste à
mettre en évidence la relation qui existe entre les plantes
et leur support dans un contexte climatique donné. Cette
relation est décrite et synthétisée dans des catalogues dits
« de stations forestières » qui proposent des listes descriptives d’unités écologiques homogènes auxquelles est
associé un cortège floristique particulier. Le territoire de
Blessey-Le Chalonge n’étant couvert par aucun catalogue
de stations, une typologie spécifique y a été élaborée. Elle
doit permettre de croiser les indications qu’elle fournit
avec le parcellaire mis en évidence par l’étude archéologique et, in fine, de fournir une interprétation de la valeur
agronomique des terres dans le contexte de leur utilisation antique.
11 stations ont été définies, seules seront envisagées ici
les 5 stations qui caractérisent la variabilité de la couverture pédologique du plateau. En effet, c’est dans cette
situation que le parcellaire agricole est très majoritairement implanté.
3. - Les différentes stations forestières
du plateau (fig. 2 et 3).
Le site de Blessey-Le Chalonge est à l’articulation entre la
dépression de l’Auxois à l’ouest et les plateaux calcaires
(Châtillonnais, Montagne), à l’est et au nord : deux
régions différentes par leurs terrains, leur morphologie,
leur hydrologie.
L’entablement du plateau date du Bathonien et présente
deux faciès principaux :
des calcaires compacts, durs, parfois irrégulièrement
dolomitisés et cariés par la dissolution météorique ;
des calcaires oolitiques, blancs et tendres.
Des limons peu épais forment des lentilles discontinues
qui viennent masquer par endroit ces faciès de roche et
les sols à qui ils ont donné naissance.
Ces roches et formation superficielle, qui ont parfois été
bouleversées par les phénomènes périglaciaires, sont à
l’origine des sols des stations qui suivent.
S1 : station carbonatée et humifère.
Elle apparaît généralement au niveau des calcaires oolitiques tendres qui, sous l’effet du gel, du dégel et des dissolutions, s’altèrent et alimentent continuellement la terre
fine en carbonate de calcium. Parfois, les phénomènes
périglaciaires (cryoturbation, solifluxion) ont mêlé de l’argile de décarbonatation avec des graviers de calcaire tendre. Enfin, plus rarement, cette station correspond à des
accumulations de graviers de calcaire dur, appelées grèze,
localement. Des plantes calcaricoles comme Daphne
mezereum, Carex alba, Viburnum lantana permettent de
cerner facilement ses limites.
Au total, ces terrains sont peu propices aux cultures de
l’époque antique en raison des contraintes chimiques
qu’induisent les sols carbonatés ; de plus, les réserves en
eau sont globalement assez faibles. Cependant, il n’existe
pas de contraintes physiques au labour.
S2 : station calcicole et mésoxérophile.
La surface qu’elle recouvre est très faible. Les sols, issus de
calcaires durs, correspondent à une couche d’argiles de
décarbonatation inférieure à 30 cm. Les réserves en eau
sont très limitées ; un éventuel labour nécessite un épierrement très important.
S3 : Station décarbonatée, argileuse, sur plateau
C’est la station la plus recouvrante du site archéologique.
Typiquement, c’est un sol développé à partir d’argiles de
décarbonatation, reposant sur des calcaires durs, décarbonaté sauf en contact immédiat avec les éléments grossiers (pellicule calcaire), calcique, et dont la « couche
utile » est supérieure à 30 cm. Les réserves en eau sont
assez bonnes dans le contexte local.
La quantité d’éléments grossiers peut être assez variable
et, dans certains secteurs, cette station n’est labourable
qu’au prix d’épierrements importants, qui ne viendront
d’ailleurs jamais à bout des plus grosses roches.
S4 : Station sur limons.
Cette station occupe une surface relativement importante
toujours insérée dans l’espace couvert par la station précédente. La définition de cette station repose sur la présence de limons d’épaisseur assez conséquente dans le
contexte local, les réserves en eau élevées favorisent
l’agriculture. Parallèlement, les horizons supérieurs sont
généralement appauvris en bases échangeables, si bien
qu’une flore acidicline (Atrichum undulatum) tend à s’installer. Cette station forme un croissant discontinu reliant
les zones d’habitats de Blessey-Le Chalonge au sanctuaire
des Sources de la Seine.
S5 : Station d’affleurements rocheux (zones hachurées
pour partie sur les figures 2 et 3).
Elle forme, souvent en contact avec les deux stations précédentes, de petits lapiaz ⎯ voire des « champs de
207
E. DE LACLOS, M. MANGIN
pierres » ⎯ où s’installent entre les blocs et dans les fissures une flore hygrosciaphile (Asplenium scolopendrium,
Cardamine heptaphylla). Elle est, en théorie, impropre à
toute utilisation agricole. Ces espaces sont souvent nettement délimités par des murées résultant de l’épierrement
des parcelles alentours.
4. - Les apports de l’étude de terrain
Les multiples sondages pédologiques et l’examen attentif
de la flore qu’exigent la réalisation de la carte des stations
ont permis de découvrir certains éléments qui ont
concouru à mieux comprendre le site archéologique.
Parmi eux, le plus manifeste est le système de cultures en
terrasses qui domine le versant est du vallon des Sources
de la Seine, appelé Combe des Arnauts (fig. 3). A l’origine, seules quelques murées discontinues avaient été
relevées par l’équipe archéologique. Actuellement, c’est
une douzaine de terrasses parallèles qui ont pu être mises
en évidence avec précision.
En effet, ces terrasses résultent d’un aménagement sommaire du plateau qui est ici légèrement incliné vers le vallon.
Sur le terrain, elles sont marquées tantôt par des alignements de blocs calcaires, tantôt par un léger décrochement
topographique, masqué bien souvent par la végétation en
place. Les sondages pédologiques ont permis de constater
que l’épaisseur de la couche utile ⎯ l’horizon labourable
dans le cas présent ⎯ variait régulièrement au rythme de
ces banquettes dont le caractère artificiel n’apparaissait pas
au départ. Or ces variations d’épaisseur sont très probablement dues à des labours qui, rejetant régulièrement la terre
vers l’aval, ont ainsi atténué la pente tout en dégageant parfois des éléments grossiers qui ont permis d’étayer la terrasse (fig. 4). La quantité de blocs calcaires visibles en surface est très variable, pratiquement nulle sur la station S4,
Avant aménagement
Figure 4 : Aménagement en terrasses.
208
ce qui ne facilite pas le repérage des terrasses, et très hétérogène sur la station S3.
Par ailleurs, deux plantes paraissent en décalage avec leur
aire de distribution naturelle :
le buis (Buxus sempervirens) qui, en Côte-d’Or, et à
cette latitude, se cantonne aux versants et corniches les
mieux exposés. A Blessey-Le Chalonge, sa présence sur
le plateau correspond exactement à l’emplacement du
village antique et il n’est guère douteux qu’il ait été
introduit durant l’Antiquité et se soit maintenu jusqu’à
nos jours.
Le séneçon de Fuchs (Senecio ovatus) est particulièrement abondant dans le Massif central et le Morvan.
Dans le département de la Côte-d’Or, outre la périphérie proche du Morvan, il présente une curieuse population isolée et correspondant à peu près au Haut-Auxois.
Hasard ou raisons historiques ? il est bien difficile de
trancher, d’autant plus que les exigences écologiques
de la plante sont assez larges et que sa relation éventuelle avec les activités antiques demeure obscure pour
le moment ; toujours est-il que cette belle astéracées
fleurit ça et là le site archéologique. Cette population
est la plus éloignée de l’aire morvandelle, en outre, une
lacune importante existe avec les autres populations du
nord-est et que l’on retrouve dans le département de la
Haute-Marne.
5. - Les relations entre le parcellaire
agricole et les stations forestières
La superposition de la carte des stations avec celle du
parcellaire antique (fig. 2 et 3) est assez riche d’enseignements.
Après aménagement
E. DE LACLOS, M. MANGIN
Une longue murée de 2 600 mètres limite, à l’est, le
parcellaire du village de Blessey-Le Chalonge ; elle
coïncide très exactement sur sa partie méridionale
avec la limite des stations S1 et S3 (fig. 2 sud). Cette
limite naturelle entre deux types de stations bien différenciés correspond également à la limite entre les
communes de Salmaise et de Bligny-le-Sec. L’espace
situé à l’est de la murée (station S1) semble n’avoir
jamais été aménagé. Par contre, la partie septentrionale de la murée ne correspond à aucune limite naturelle et son implantation relève d’une autre logique.
En regardant l’ensemble du parcellaire antique, on
constate que les habitats et les murées d’épierrement
sont disposés le long d’un arc constitué pour l’essentiel par les stations S3 et S4 et qui relie les « fermes »
du sud de la zone aux Sources de la Seine. Il apparaît,
au niveau du parcellaire, que la station S1 a été évitée
par les paysans de l’époque qui ont principalement
recherché les sols limoneux ainsi que ceux qui étaient
recouverts par des argiles de décarbonatation. Il semble que la charge en éléments grossiers de la station
S3, voire de S2, n’ait pas été vraiment un facteur limitant. Le volume épierré permet d’affirmer que ces
terres ont été effectivement labourées ; il n’est pas
possible de mettre en rapport la quantité de murées et
tas de pierre qui se situent sur S3 avec un simple
ramassage de surface sans travail de la terre. Il est difficile d’imaginer que ces pierres aient été apportées
de plus loin (depuis la station S5 par exemple) afin de
constituer des limites de parcelles : quelques sondages ont permis de constater que le faciès (débit et
nature de la roche) des éléments grossiers constituant
le parcellaire est toujours en rapport avec les sols sur
lesquels ils reposent.
On retrouve, plus au nord, la station S1 vers les
Champs froids, et là encore, elle semble marquer l’interruption du parcellaire. Cette station a cependant
pu être utilisée pour des pacages extensifs, son enherbement rapide et sa strate herbacée fournie en hiver
(Sesleria caerulea, Carex flacca, Carex alba…) la rendent tout à fait apte à jouer ce rôle.
Par contre, au nord-ouest, les vestiges d’habitats et
d’utilisation antique du sol se prolongent au-delà des
relevés cartographiques qui sont ici présentés ; ce
secteur, à l’ouest de l’actuelle route menant au village
moderne de Blessey, aujourd’hui cultivé et sur lequel
se prolonge la station S3 (et sans doute S4), est assez
riche en témoignages d’occupation gallo-romaine.
Il semble donc que les stations S3 et S4 aient justifié
en partie l’implantation du village et le choix des
terres cultivées.
La proximité de S4, station la plus fertile et de S5, station la plus riche en éléments grossiers de calcaire dur,
ayant peut-être été même recherchée. Ce cas de
figure est peu fréquent dans la région et offre finale-
ment un éventail de possibilités intéressantes à
l’époque : pierre mureuse abondante propre à la
construction d’enclos, habitats et murées de parcellaire en contact avec une terre profonde, facile à travailler et possédant de bonnes réserves en eau.
Outre ces aspects propres à satisfaire les besoins de
l’existence matérielle, la roche aride qui « perce » le
limon fertile a pu également frapper l’imaginaire
d’une population vivant en contact étroit avec son terroir et induire ainsi des repères − tels que des surfaces
circulaires épierrées avec blocs dressés − dont la fonction nous échappe aujourd’hui.
Contre le village proprement dit, et au nord-est,
10 parcelles d’un à deux hectares, parallèles et
contiguës, semblent être une sorte de « lotissement
horticole », rappelant les « chenevières » des villages modernes alentours dans lesquelles presque
chaque habitant d’une commune vient cultiver les
légumes que ne peuvent contenir le jardin clos attenant au domicile.
Au Chalonge, il repose sur des sols labourables à
réserve en eau correcte (station S3) les plus proches
du village.
6. - Le village dans son environnement
naturel
Le site d’implantation du village de Blessey-Le Chalonge n’a
pas été choisi au hasard ; même si la proximité du sanctuaire des Sources de la Seine reste sans nul doute la motivation principale qui a justifié son existence, la volonté de
tirer le meilleur parti des ressources naturelles locales a probablement justifié le choix précis de l’actuel canton de
Chalonge. En effet, ce lieu réunit plusieurs atouts qui ont
permis à une petite population de gallo-romains de s’implanter et de prospérer pendant deux siècles et demi :
une exposition topographique sud-ouest favorable au
bien-être de ses habitants et aux cultures de type jardins et vergers ;
des terres labourables à proximité dont les caractéristiques correspondaient bien aux nécessités de l’époque ;
deux niveaux aquifères indépendants et peu éloignés
des habitations permettant l’alimentation en eau ;
de la pierre facile à extraire et en quantité suffisante utilisable pour la construction des habitats et des enclos
attenants.
La conjonction de ces quatre facteurs est rarissime à la périphérie du sanctuaire des Sources de la Seine ; les prospections spécifiquement réalisées ne l’ont décelée que sur un
autre site, au nord du village moderne de Salmaise, dont l’espace était déjà occupé par quatre fermes de la même époque
et qui n’était, par conséquent, pas disponible. Il faut donc
209
E. DE LACLOS, M. MANGIN
souligner que les deux secteurs les plus favorables au regard
des quatre facteurs énumérés ci-dessus sont également ceux
qui révèlent l’occupation la plus dense à l’époque.
L’implantation précise du village de Blessey-Le Chalonge
résulte donc bien d’un choix réfléchi en fonction d’une
connaissance intime du territoire et de ses ressources
naturelles.
Conclusion
L’étude phytoécologique du site de Blessey-Le Chalonge,
pour apporter pleinement sa contribution, a bénéficié de la
qualité exceptionnelle des reports cartographiques des vestiges archéologiques. En effet, sur deux cents hectares,
chaque murée, chaque tas de pierre, l’ensemble des bornes
et pierres naturelles levées, toutes les structures énigmatiques
dont la fonction est douteuse ou échappe aujourd’hui aux
archéologues, ont été localisés avec une précision de l’ordre
de quelques décimètres. C’est grâce à ce fond cartographique remarquable qu’une interprétation de l’utilisation du
parcellaire a été rendue possible et a pu pleinement remplir
son rôle. Il faut rappeler également le rôle conservatoire joué
par la forêt : les perturbations engendrées par les activités
forestières telles l’exploitation des bois, la fabrication de charbon de bois ou même la production de chaux, étant sans
commune mesure avec celles que l’agriculture développe.
Une question demeure cependant en suspens : la végétation
qui s’est installée depuis l’abandon du site à la fin du IIIe siècle
a-t-elle été durablement modifiée par les pratiques agraires
de l’Antiquité ?
Pour répondre à cette question, il faudrait disposer de relevés
de référence, pour chacune des stations, dans un secteur
proche de Blessey-Le Chalonge, et dont on puisse être certain
qu’il n’ait jamais été labouré au cours des âges.
Il sera bien difficile de trouver un tel secteur, compte tenu de
l’importance des vestiges d’activités agricoles qu’il est commun d’observer dans les forêts de la région proche. En outre,
il paraît hasardeux de se référer à des listes dépassant l’échelle
de la région naturelle tant les réponses de la végétation
varient en fonction de l’environnement, qu’il soit d’ordre climatique, pédologique ou historique.
Il reste que, à l’heure des spécialisations étroites, les ponts
jetés entre différentes disciplines scientifiques sont plus nécessaires et féconds que jamais. La collaboration qui vient d’être
présentée ici en est un bon exemple.
Remerciements
Les auteurs remercient chaleureusement Jean-Louis
Courtadon pour avoir fourni gracieusement et rapidement les
supports cartographiques nécessaires ainsi que Jean Chrétien
pour son amicale collaboration tout au long de ce travail.
210
Bibliographie
BUGNON F. et al., 1998, Nouvelle flore de Bourgogne : Atlas
de répartition, Bull. Scie. Bourg. T. III, éd. hors série, 489 p.
MANGIN M., FLUZIN P., COURTADON J.-L., FONTAINE M.-J.
et Coll., 2000a, Forgerons et Paysans des Campagnes
d’Alésia : la terre, le fer, la route en pays mandubien (HautAuxois, Côte-d’Or), (Ier s. av. J.-C. - VIIIe s. ap. J.-C.),
Monographies du CRA 22, Valbonne, CNRS Editions, 512 p.
MANGIN M., COURTADON J.-L., FLUZIN P., DE LACLOS E., et
Coll., 2000b, Village, forges et parcellaire aux Sources de la
Seine. L’agglomération antique de Blessey-Salmaise, Côted’Or, Paris, Les Belles Lettres, (Presses Universitaires franccomtoises 700, Série “Environnement, Sociétés,
Archéologie”, n° 2), 520 p.
MANGIN M., DE LACLOS E., COURTADON J.-L., 2002-2004
à paraître, L’environnement rural des Sources de la Seine : du
village antique de Chalonge, à la Combe des Arnauts,
Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte d’Or,
t. XC.
RAMEAU J.C., MANSION D., DUMÉ G., 1989, Flore Forestière
Française, T. 1, plaines et collines, I.D.F., 1785 p.
Impacts anthropiques anciens sur les sols forestiers.
Quelques études de cas en contexte archéologique
et expérimental
Anne GEBHARDT
INRAP-GEN, UMR6566 - Université de Rennes1. [email protected]
Résumé
Marquées par de nombreuses traces d’occupations humaines anciennes, nos forêts actuelles n’apparaissent finalement
pas si naturelles à qui sait les regarder de près.
Depuis l’origine, leur histoire est ponctuée de phases de défrichements et d’implantations humaines, générant un remaniement important du sol depuis sa structure intime jusqu’à la forme locale du micro-relief. A la suite d’un retour de la
forêt, ces traces sont conservées jusqu’à nos jours dans un milieu boisé protecteur. Souvent considéré comme stable, il
n’en est pas moins fragile. En effet, le passage intensif de bétail pour le vain pâturage ou les travaux forestiers comme
le charbonnage et l’exploitation du bois ont pu occasionner une érosion localisée, mais bien réelle, dont il faut tenir
compte dans l’histoire des paysages boisés et de leur évolution.
Mots-clefs : archéologie, forêt, pédologie, micromorphologie des sols, France.
Abstract
Imprinted with numerous traces of historic anthropogenic occupation, our modern forests are in fact not so natural if
we take time to look at them closely. Over time, the history of these forests has been punctuated by phases of deforestation and reafforestation which has caused significant changes in the substrate at different scales from the soil microstructure up to the local landform scale. Once forest is re-established, and where a protective forest cover is retained,
evidence of these earlier changes is preserved up to the present day. Although forested environments are often considered stable, they are still fragile. A range of forest and activities (eg, cattle grazing, charcoal making, and timber getting) will result in localized, but very real, erosion that we need to take into account in reconstructing the history of forest and woodland landscapes and their evolution.
Keywords : archaeology, forest, pedology, soil micromorphology, France.
1. - Introduction
Marquées par de nombreuses traces d’occupations
humaines anciennes, nos forêts actuelles n’apparaissent
finalement pas si naturelles à qui sait les regarder de près.
Outre un grand nombre de structures d’habitats anciens
(Pétry, 1977 ; Georges-Leroy et al, 2003 ; Meyer, 2003)
attestant de l’ouverture passée du milieu, on peut y
observer de nombreuses traces d’exploitation forestière
ancienne. Plus qu’un travail exhaustif, cet article propose
quelques pistes de réflexion, à travers l’étude de perturbations d’origine anthropique en milieu forestier, rencontrées au cours d’une quinzaine d’années de recherches
sur l’évolution des paysages anciens en Europe
Occidentale (Gebhardt, 1993 ; Gebhardt, 1995).
Les recherches en archive montrent à quel point l’histoire
de la forêt vosgienne (Garnier, 2004a), comme sans
doute la plupart de nos forêts, est marquée par des
phases de défrichement et de reprise sylvicole, suivant la
démographie et la politique du moment. Comme en
milieu ouvert, les implantations agricoles vont y engendrer un remaniement important du micro-relief local
(habitat, terrasses, talus, chemins, …), et des modifications intimes de la structure du sol qui pourront rester
longtemps visibles au microscope (Langohr, 1981).
Les travaux présentés ici montrent également que le
milieu forestier, souvent considéré comme stable, n’en est
pas moins sujet à l’érosion (Kwaad, 1977) surtout dans
des secteurs perturbés par l’homme (Langohr, 1986). En
effet, une fois débarrassé de l’humus protecteur à l’occa211
A. GEBHARDT
sion de travaux forestiers comme le charbonnage, l’exploitation du bois, ou du passage intensif de bétail pour
le vain pâturage, un sol forestier en pente peut localement être très érodé. Cette érosion qui suit des axes privilégiés, participe à l’approfondissement des chemins
creux orientés dans le sens de la pente. Ces derniers, pouvant temporairement, à l’instar d’un réseau bocager
(Marguerie et al, 2003), servir de réseau de drainage.
Hambacher
Forst
Lann Gouh
Mandray
Grand
Hachn
Wasserwald
Ecomusée de
Haute Alsace
2. - Méthodologie
Les exemples présentés ici font partie d’une série de travaux de recherche, effectués dans le Nord-Ouest de la
France depuis une quinzaine d’années, sur l’impact de
l’homme sur la microstructure du sol et les modifications
du paysage qui en découlent.
Figure 1 : localisation des sites. (DAO, A. Gebhardt)
Introduite en archéologie métropolitaine à la fin des
années 80 (Courty et al, 1989), la micromorphologie des
sols permet l’observation microscopique des sols à partir
de lames minces issues de sédiments meubles préalablement consolidés en laboratoire (Murphy, 1986).
Combinée à une solide connaissance du terrain c’est un
des outils pédo-sédimentaires les plus performants permettant la reconnaissance des héritages sédimentaires et
des transformations pédologiques (Courty et Fédoroff,
2002). Elle peut donc livrer une chronologie des évènements liés ou non à l’activité anthropique ancienne
(Gebhardt, 2000), et permettre ainsi d’appréhender le
degré et le mode d’anthropisation d’un paysage.
Parallèlement à l’étude de sols et sédiments anthropisés
rencontrés lors du suivi de travaux archéologiques en
contexte préventif ou non (Gebhardt, 1993, 2000,
2005a), un référentiel micromorphologique en structures
anthropiques agraires anciennes et expérimentales est
collecté dans le but d’obtenir une collection de lames
minces de référence. Ces dernières servant à mieux comprendre les formations pédo-sédimentaires associées aux
sites archéologiques (Gebhardt, 1995, 2003a).
Les 7 sites présentés sont localisés dans le Nord-Ouest de
l’Europe pour des raisons d’homogénéité pédo-climatique et faciliter la comparaison avec des sites archéologiques de la même zone (Gebhardt, 1992). A travers ces
sites quatre thématiques ont pu être abordées : le rôle du
débardage (Grand Hachu, Mandray), l’impact du charbonnage (Ecomusée de Haute Alsace) et les modifications
occasionnées par le labour (Hambacher Forst,
Wasserwald) ainsi que le pacage animal (Lann Gouh) sur
la structure de divers sols forestiers.
212
3. - Présentation géomorphologique des
sites
Dans cet article seront détaillés les travaux encore non
publiés effectués sur les sites du Grand Hachu/Mandray et
du Wasserwald. Les résultats issus des autres sites seront
simplement évoqués pour mémoire car déjà publiés par
ailleurs (Gebhardt 1991, 1995, 1999, 2003b, 2005b).
A Hambacher Forst (Cologne, Allemagne), un labour
expérimental à l’aide d’un araire à traction humaine
(Meurers-Balke, 1985 ; Gebhardt, 1995) a été mené sur
un sol actuellement sous forêt de type brun lessivé
(Duchaufour, 1983) et développé sur sédiment limonolœssique.
Le Wasserwald (Haegen, Bas-Rhin) est une agglomération
secondaire gallo-romaine du Ier/IIIe siècle ap. J.-C. (Pétry,
1977, 1994), localisée sur le versant ouest des Vosges
septentrionales gréseuses à une dizaine de kilomètres de
Saverne (Bas-Rhin). Ce petit village semi-dispersé s’étend
sur un sol actuel peu épais de type brun acide
(Duchaufour, 1983) au sommet d’un replat fortement
diaclasé des Grès à Voltzia du Bundsandstein.
Il n’y subsiste plus qu’un chemin principal bordé de murs
en pierres sèches sur lesquels viennent s’appuyer des
enclos, divers bâtiments et deux nécropoles. Si la contemporanéité des structures est loin d’être évidente (Meyer,
2003), l’agriculture y est attestée par la présence de tas
d’épierrement, de traces de soc de charrue sur les grès
affleurant et d’un parcellaire complexe. Par ailleurs, la
confrontation des résultats de fouilles avec d’autres sites
analogues mieux conservés laisse soupçonner la pratique
ancienne de l’élevage (Pétry, 1977) sur se site actuellement sous forêt.
A. GEBHARDT
Des démonstrations de charbonnage à l’ancienne menées à
l’automne 1985 par l’Ecomusée de Haute Alsace (HautRhin) nous ont permis de suivre l’évolution du sol sous les
charbonnières (Gebhardt, 2003b, 2005b). Le site est localisé
dans une zone jamais cultivée de mémoire d’homme de la
forêt de l’Ill, sur un sol de type alluvial (Duchaufour, 1983).
4. - Impact anthropique sur les sols
forestiers, quelques résultats
La voie romaine bien conservée du Grand Hachu
(Contrexeville, Vosges), est installée sur les pentes d’une
cuesta où affleurent les marnes irisées (Keuper). Le caractère imperméable de ce substrat a favorisé l’exploitation
forestière sur un sol de type hydromorphe (pseudogley,
Duchaufour, 1983). De part et d’autre de cette voie, une
série de structures linéaires en creux mal expliquées
(Gebhardt in Bouchet, 2005), courent parallèles à la
pente en s’approfondissant vers le bas du versant. Ils ont
été interprétés comme des chemins de vidange plus
récents, utilisés pour l’exploitation du bois comme ceux
de Mandray (Vosges). Ces derniers entaillent des formations de pentes gélifluées formées au détriment du substrat gneissique (à grenats et cordiérites) où se développent des sols de type brun acide (Duchaufour, 1983).
Recoupée transversalement par un chemin forestier
moderne, la double « courue » de la parcelle Launou
révèle un remplissage meuble et instable où se développe un sol jeune à horizon humique de type AC. Ce
dernier à fait l’objet d’une observation approfondie au
microscope, afin de préciser la structure du sédiment liée
aux activités de débardage.
A Lann gouh (Melrand, Morbihan ; Chalavoux et al,
1990 ; Chalavoux, 1993) deux « porcs de Bayeux »
ont été parqués dans une parcelle en pente fraîchement
débarrassée de sa végétation de taillis clairsemés, sur un
sol de type brun acide (Duchaufour, 1983) développé sur
des dépôts de pente granitiques arénisés. Après une
quinzaine de jours de pacage, des observations pédosédimentaires ont permis de pointer le degré de dégradation du sol causé par le pâturage porcin intensif
(Gebhardt, 1995).
Les formations linéaires au profil en large V observées au
Grand Hachu présentent un remplissage basal argileux
homogène et humifère (brun noir) (fig.2a,b), sans aucune
trace d’écoulement d’eau vive et où se développent une
végétation hygrophile de types joncs.
Elles prennent naissance en haut du relief et leur profondeur augmente nettement en bas de pentes (1,5m à 2m).
Il semble que le site ait été peu affecté par l’érosion, car
la voie romaine, qui du reste est antérieure à ces structures mal datées, reste bien conservée, sur toute la pente
(sauf au sommet). Leur grand nombre sur une petite surface, leur distribution et leur orientation systématiquement parallèle à la pente exclu la mise en relation de ces
chemins forestiers fossoyés avec la vaine pâture et l’obligation au troupeau d’emprunter un chemin désigné, souvent fossoyé, pour éviter la divagation des animaux
(Husson, 1991) et nous oriente plutôt vers un usage d’exploitation de matériaux (bois, pierres). Au Grand Hachu,
l’absence de carrières fait plutôt pencher en faveur de
l’hypothèse de chemins d’exploitation forestière de type
débardage. Des recherches bibliographiques et des observations complémentaires faites dans le secteur boisé de
Mandray ont permis d’appuyer cette hypothèse. De plus,
il existe un certain nombre de similarités entre ces structures et les voies de débardages modernes liées au nettoyage de la forêt après la tempête dévastatrice de 1999
(orientation parallèle à la pente, rigole d’érosion au fond
des ornières (Gebhardt, in Bouchet, 2005). Enfin, en
posant la question à d’anciens paysans forestiers, il semble que ces structures linéaires en creux, appelées « courues » en Déodatie, soit effectivement liées au débardage.
Figure 2 : traces de voies de vidange au Grand Hachu (Contrexeville, Vosges ; b),
avec rigole d’érosion au fond (b). Le passage doit être préparé afin que le schlitteur puisse enfoncer ses pieds pour freiner la schlitte (c).
(Clichés A. Gebhardt (a et b) et anonyme in Keiflin, 1998 (c)).
4. 1. - Impact du débardage sur le milieu forestier : le
cas des voies de vidange
Si la bibliographie forestière historique et ethnographique
mentionne souvent le débardage à traction animale ou le
schlittage (Michiel et Schuler, 1857 ; Fournier, 1891 ;
Mechin et Claudel, 1984), peu de références sont faites à
l’impact de ce type d’exploitation sur le sol et aux dégâts
associés. Outre le labour occasionné par le passage des
grumes, quelques rares auteurs font référence à la
longue préparation du “chemin de bouc” et de schlittage
(Boithias et Brignon, 1985 ; Garnier, 2004) : suppression
des cailloux, racines, transport de terre là où elle manque.
La terre doit être meuble pour que le schlitteur puisse
enfoncer ses talons (fig.2c) ou pour éviter que la
“tronce”ne s’emballe. Il faut donc régulièrement piocher
la terre pour la ramollir. Ce n’est que dans les cas
extrêmes de pentes trop faibles ou de passages rocailleux
que sont installés les “raftons”, ces quartiers de bois
213
A. GEBHARDT
écorcés et suiffés. Boithias et Brignon (1985) citent un
rapport de 1845 qui décrit très bien le caractère de plus
en plus ramifié vers l’amont de ces voies de vidange. Au
vu du travail d’entretien nécessaire, il paraît donc évident
que leur aménagement ne pouvait se faire que dans le
cadre d’une exploitation officielle, à grande échelle et que
les mêmes voies de vidange étaient réutilisées pendant de
nombreuses années (Jéhin, 1993).
D’un point de vue pédo-sédimentaire on retiendra donc
trois 3 étapes fondamentales dans l’évolution de ces
voies : l’ablation de la végétation protectrice et des horizons humiques lors de l’aménagement de la voie ou du
passage des grumes ou des schlittes, un entretien
constant et une utilisation régulière en période humide
qui favorise également le creusement rapide de ces voies
par les eaux de ruissellement.
L’observation du fond de la double « courue » de
Mandray (fig.3) montre le passage brutal de 2 cm d’humus actif noir et grumeleux à environ 7 cm de sédiment
plus minéral, jaune et un peu plus compact légèrement
perturbé bioturbé. La limite avec un sédiment inférieur
compact, plus sombre et toujours localement grumeleux,
est nette. Au microscope, la structure grumeleuse très
ouverte, très organique et fortement bioturbée est confirmée au sommet (fig.3d) alors que le niveau inférieur
jaune est plus compact et nettement moins organique
(fig.3e). L’alternance du compactage par les passages de
schlitte et du travail du sol préalable tend à finement
homogénéiser les horizons organiques et organo-minéraux, tout en favorisant une érosion fine mais continue
qui génère un dépôt sans formation de litages ou laminations comme celui décrit par Bertran et Texier (1999) sur
des pentes compactées et modifiées par l’homme.
Le sédiment basal enfin, est plutôt compact et bien structuré mais avec des zones plus grumeleuses liées à la bio-
turbation actuelle (3f,g) ; sa couleur plus sombre semble
liée à une augmentation de la matière organique. La netteté des limites entre des horizons bien distincts révèle
une faible homogénéisation par une bioturbation peu
active dans un sol acide.
En milieu forestier l’érosion semble surtout activée par
l’ouverture de pistes d’exploitation (Rey et al, 2004). A
Mandray, le recouvrement de l’horizon humique naturel
par un apport de sédiment organo-minéral érodé en
amont confirme l’importance de ces chemins creux dans
le processus d’érosion par ruissellement sous couvert
forestier. L’absence de rigole d’érosion, telles celles observées au fond des pistes d’exploitation modernes (fig.2a),
et au Grand Hachu peut s’expliquer par une exploitation
forestière plus douce des massifs forestiers, qui proscrit la
mise à nue du sol liée à une coupe à blanc au profit d’une
coupe sélective des arbres dans un massif boisé en permanence.
4. 2. - Le charbonnage
Le travail de recherche effectué sur l’impact de l’activité
de charbonnage sur le sol qui ne sera pas détaillé dans cet
article (voir Gebhardt, 2003b ; 2005b), montre que là
encore, la préparation du sol est essentielle pour la réussite de la carbonisation. La surface doit être débarrassée
des feuilles, les racines extraites à l’aide d’une bêche ou
d’un motoculteur, ce qui modifie profondément la structure du sol. De même, après récupération du charbon de
bois et tamisage du sédiment fin très charbonneux pour
sa réutilisation dans la construction de la nouvelle meule,
la place est nettoyée pour une prochaine utilisation. Lors
d’une cuisson réussie, la température ne doit pas augmenter sous la meule et le sol ne montre aucune trace de
rubéfaction. Les fragments brûlés observés viennent probablement du sédiment local tamisé et micro-fragmenté
qui, pénétrant au cœur de la meule par les interstices du
bois, participent au ralentissement d’une combustion
Figure 3 : anciens chemins de vidange ou courrue à Mandray (Vosges ; a, b, c). Double courrue entaillée par un chemin forestier moderne (c). La même vue de l’amont
(b). Sédiment de remplissage du fond de cette dernière vue au microscope optique en lumière naturelle. De haut en bas : horizon organique supérieur actuel (d), horizon
organo-minéral colluvionné (e), horizon minéral très compacté (f) avec localement des zones plus ouvertes et organiques (g). (Clichés A. Gebhardt)
214
A. GEBHARDT
réductrice. Les modifications de la structure du sol sont
nettement reconnaissables au microscope sous la forme
de revêtements argilo-poussiéreux, et d’une homogénéisation des horizons organiques et minéraux superficiels.
Comme pour les chemins de vidange, la préparation de la
surface de travail correspond donc à un véritable labour
qui se reconnaît jusque dans la structure intime du sol. Au
vu de la charge de travail nécessaire à cette préparation,
qui par ailleurs ralenti la re-colonisation de la végétation,
on comprendra aisément l’importance de la réutilisation
des anciennes aires de fauldes lors des rotations d’exploitation.
4. 3. - Le labour
A Hambacher Forst, la microstructure du sol forestier
limono-lœssique a été clairement modifiée après huit
séries de quatre labours croisés à l’araire (fig.4a).
Les horizons supérieurs ont été largement remaniés
(fig.4b) isolant des agrégats arrondis (Gebhardt,
1995, 1999). A la limite inférieure de l’horizon remanié, un début de semelle de labour, liée au compactage par le passage de l’outil a été observé (fig.4c).
Les revêtements argileux et poussiéreux (fig.4d) observés également dans les profils de référence sont liés à
une mise à nue du sol sans doute dès l’époque
romaine.
Au Wasserwald, sous le parement du mur bordant le
chemin principal, le profil d’une cinquantaine de centimètres révèle un sédiment sableux grossier sur lequel
s’est développée une pédogenèse de type brun acide
au profil très homogène et dont l’horizon supérieur
est plus riche en matières organiques (fig.5, fig.6b). La
fouille a toutefois révélé de nombreux artéfacts
anthropiques (objets métalliques et céramiques fragmentés) dans les vingt premiers centimètres du profil.
Au microscope, la matière organique, qui donne au fond
matriciel son aspect fortement empoussiéré, présente un
aspect très dégradé et bien stabilisé. Les phytolithes et
résidus charbonneux sont également bien présents.
Mises à part quelques intrusions racinaires, l’activité biologique est absente, préservant une structure fortement compactée par les murs qui les fossilisent. Outre
quelques revêtements en « barbes et coiffes » sans
doute reliques d’une influence du gel/dégel en période
périglaciaire, on distingue des revêtements argileux peu
épais limpides (fig.6e : RL) et d’abondants revêtements
argileux poussiéreux plus ou moins épais (fig.6c,d,e :
RP1, RP2, RP3). Si les premiers sont liés au lessivage
d’argiles du sol brun forestier, les seconds sont associés
à une déstabilisation de la surface du sol, suite à sa
mise à nu. Au vue des autres indices présents sur le site
(tas d’épierrement, traces de soc de charrue, parcellaire), un labour ancien peut être à l’origine de ces traits
microscopiques particulièrement caractéristiques de la
mise en culture d’une parcelle.
Figure 4 : expérience de labour à l’araire à Hambacher Forst (Cologne, Allemagne ; a). Au microscope optique, en lumière naturelle, on observe dans l’horizon de labour
à l’araire des agrégats arrondis (b) et un tassement lié a l’outil (c). Les revêtements poussiéreux (d) également observés dans le profil de référence sans doute liés à une mise
en culture ancienne. (Clichés A. Gebhardt)
215
A. GEBHARDT
pH
Prof 1
-4/-14
-14/-24
-24/-34
4.45
4.50
4.45
A
7
7
6
G r anulométrie
%
LF
L G SF
SG
8
7
29 47
9
6
31 46
10 6
31 47
C ‰
6,75
0.75
1.65
MO ‰
11.7
1.3
2.85
C a ++
0.5
0.4
0.5
M g++
0.3
0.4
/
C apacité d'échange
N a+
K+
S
0.07
0.08
0.95
0.07
0.1
0.97
0.07
0.08
0.65
T -S
2.95
2.70
2.17
T
3.90
3.67
2.82
Figure 5 : résultat des analyses pédo-sédimentaires du profil P1 enfoui sous le mur bordant le chemin principal du Wasserwald. A : argiles, LF : limons fins, LG : limons
grossiers, SF : sables fins, SG : sables grossiers, C : dosage du carbone, MO : dosage de la matière organique, mé/100g
4. 4. - Le pacage animal
L’expérience de Lann Gouh a permis de pointer les dégâts
causés par le parcage de cochons en milieu boisé. Le
jeune taillis couvrant la parcelle légèrement en pente a
été éclairci. Le passage intense des animaux a détruit l’humus, déstabilisant rapidement l’horizon organique supérieur du sol. Tombant sur le sol nu, la pluie peut libérer
des particules de terre et entraîner les colloïdes argileux
en aval sur la pente (Ellison, 1948 ; Poesen, 1986 ;
Langohr, 1990). Ainsi, à Lann Gouh, après deux semaines
de pacage, les racines sont à nu (fig.7a,b). De plus, le tassement et le colmatage de la porosité du sol peut mener
à une réduction de l’infiltration qui augmente le ruissellement d’un rapport de 1 à 12 en comparaison avec des
terrains similaires non pâturés (Rey et al, 2004).
Figure 6 : le Wasserwald (Haegen, Bas-Rhin), vue générale du site (a) et profil étudié fossilisé sous un mur (b). Vue au microscope optique en lumière naturelle des
principaux traits micromorphologiques (c, d, e) ; barre = 1 mm pour (c) et (d) et
0.25mm pour (e). (Clichés : A. Gebhardt)
Figure 7 : Lann Gouh (Melrand, Morbihan). (Clichés et dessins A. Gebhardt)
216
Un horizon colluvionné d’une quinzaine de centimètres
d’épaisseur apparaît en aval de la parcelle. En lame
mince, on repère très bien cet apport de sédiment légèrement compacté, et à la limite nette, par-dessus la
séquence pédologique naturelle (fig.7c,d). Il s’agit d’un
mélange d’horizons organiques et d’horizons minéraux
plus compacts (Gebhardt, 1995).
A. GEBHARDT
5. - Conclusion
Considéré comme protecteur et peu anthropisé, comparé
aux zones d’urbanisme ou d’agriculture intensive, le
milieu forestier n’en est pas moins fragile.
Sa régulière fréquentation (chemins, pacage), son exploitation (bois, charbon, matériaux divers…), voire sa mise
en culture temporaire ont conduit à une déstabilisation
localisée des sols. La modification de ces derniers peut
encore être ponctuellement détectée à différentes
échelles, depuis le terrain (terrasses, chemins creux, aménagements divers, …) jusqu’au microscope (agrégats dus
au labour, indices de mise à nu du sol ou d’érosion, artéfacts anthropiques,…).
Par ailleurs, la mise à nu des sols forestiers, volontaire
dans le cas de la préparation d’une aire de faulde ou d’un
chemin de vidange, et involontaire à l’occasion de pâturages intensifs ou de déboisements a généré une érosion
non négligeable surtout si le terrain est en pente. Là
encore, outre le repérage d’accumulations colluvionnées
en zones boisées, une observation pédo-sédimentaire
minutieuse du sol peut apporter des informations sur le
mode d’exploitation des parcelles amont.
Le sol forestier est, lui aussi, riche en informations sur le
mode d’occupation anthropique d’un lieu donné. Son
étude est incontournable pour approfondir la connaissance des premières influences de l’homme sur le milieu.
A l’instar des micro-reliefs anciens construits par l’homme
et des artéfacts archéologiques, il reste vulnérable face
aux modes d’exploitation forestier modernes. Ne l’oublions pas !
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Bioindication végétale des sites archéologiques en
Limousin et en Forêt d’Orléans.
Axel GHESTEM
Laboratoire de Botanique et de Cryptogamie – Faculté de Pharmacie – 2, rue du Dr Marcland - 87025 LIMOGES Cedex.
Résumé
La végétation originale de quelques sites archéologiques de la région du Limousin choisis en raison de leur environnement boisé est analysée dans cette publication. Ces sites sont liés les uns à une occupation d’époque gallo-romaine, les
autres à différentes périodes de l’époque médiévale. Leur végétation, analysée en fonction des affinités écologiques des
espèces, est comparée à celle de stations considérées comme des témoins de la flore forestière locale. De la même
manière, est conduite une analyse pédochimique comparative des substrats permettant de justifier la présence d’espèces
végétales en de tels sites. Par ailleurs, l’impact d’un tracé de voie romaine (Orléans à Sens) sur la végétation de la Forêt
d’Orléans est attesté et démontré par l’analyse de la végétation et du substrat sur site et hors site.
La flore des sites archéologiques présente, on le sait, une
remarquable originalité. Aussi, divers auteurs n’ont pas
manqué de qualifier la présence tout à fait particulière de
certaines plantes en ces lieux, d’anomalies botaniques.
Les premières recherches régionales en Limousin concernant les corrélations entre végétation et sites archéologiques ont commencé il y a une vingtaine d’années à l’initiative de J. M. Desbordes à l’époque où celui-ci était
Directeur Régional des Antiquités Historiques. Les travaux
initiaux effectués par A. Vilks et nous-même ont été
publiés dans la Revue Archéologique du Centre (1981).
Par la suite, J.F. Boyer (1984) et B. Desbordes (1996) ont
sous notre direction effectué l’étude botanique et pédochimique de différents sites d’époques gallo-romaine et
médiévale. Les résultats de ces recherches ont fait l’objet
de leur mémoire de thèse de doctorat en Pharmacie et
l’essentiel de leurs observations a été publié dans les
Travaux d’Archéologie Limousine (J.F. Boyer, 1984 et
A. Ghestem et al., 1996 à 2000) ou encore dans les
Mémoires de la Société des Sciences Naturelles et
Archéologiques de la Creuse (Ghestem et al., 1998).
Enfin, depuis, plusieurs autres sites ont fait l’objet de tels
inventaires approfondis de la part de notre équipe de
recherche ce qui porte actuellement à environ 35 le nombre de sites où l’originalité de la flore a été vérifiée et analysée avec pour objectif la mise en évidence d’espèces
indicatrices (A. Ghestem, 2002).
Nous nous proposons ici de présenter quelques exemples
que nous avons expressément choisi de prendre parmi les
sites archéologiques gallo-romains ou médiévaux situés
dans un contexte plutôt forestier. Les sites gallo-romains
qui ont été choisis sont :
le site de Bussière Etable, Commune de Châteauponsac
(Haute-Vienne) ;
l’agglomération gallo-romaine du Bois de la Tourette,
Commune de Blond (Haute-Vienne) ;
les vestiges de la villa gallo-romaine (les Couvents),
Commune de la Chapelle Montbrandeix (HauteVienne) ;
les vestiges gallo-romains de la « Ville d’Antone »,
Commune de Pierre Buffière (Haute-Vienne) ;
le site de la Grange, Commune de Saint Fréjoux
(Corrèze).
Les sites médiévaux retenus sont :
la motte féodale végétalisée de Drouille, Commune de
Saint Eloi (Creuse) ;
le site de Châtelus, Commune de Saint Sulpice le
Dunois (Creuse) ;
les ruines du Château de Ventenat, Commune de
Châteauponsac (Haute-Vienne) ;
les ruines du Château de Ventadour, Commune de
Moustier Ventadour (Corrèze).
1. - Présentation des sites
1.1. - Sites d’époque gallo-romaine
Villa de Bussière-Etable (87)
Le toponyme qui désigne le village voisin (à 250 m environ)
évoque à la fois la présence d’une buxaie (Bussière) et d’un
gîte d’étape (du latin stabulum) : en effet, un très ancien
cheminement est tracé à environ 500 m au nord des ruines.
Le site boisé est localisé entre Châteauponsac et Bessines. Il
219
A. GHESTEM
occupe le rebord du plateau qui domine la vallée de la
Gartempe. Le site correspond aux restes d’une villa dont on
remarque les vestiges représentés, d’une part, par les
murets et, d’autre part, par des affleurements pierreux en
sous-bois. Le muret le plus important subsiste sur une hauteur d’environ 1 m et est situé en limite nord du bois.
Agglomération gallo-romaine du Bois de la Tourette,
Commune de Blond (87)
Il s’agissait très probablement d’un centre minier et artisanal
où l’on exploitait et travaillait l’étain. Aux abords immédiats
des vestiges, la topographie totalement bouleversée correspond aux tranchées d’exploitation d’un filon de quartz stannifère. Les vestiges se présentent sous la forme d’amas pierreux. Sur les ruines antiques croit un très vieux taillis de
charmes mêlé de tilleuls, chênes pédonculés et érables
champêtres. Dans la strate arbustive domine le buis qui a
colonisé préférentiellement les éboulis. La tempête de 1999
a provoqué des chablis qui nuisent actuellement à la lisibilité de l’aspect original du site.
Villa gallo-romaine des Couvents, Commune de La
Chapelle Montbrandeix (87)
Ce site n’est connu que par la fouille qui y a eu lieu. Les éléments archéologiques ont montré une zone artisanale (avec
moyen fourneau et four de potier) sur laquelle prendront
place ensuite des bâtiments d’habitation. Les vestiges ne
sont actuellement que très peu apparents et quelques indicateurs végétaux les signalent heureusement le long de la
route départementale n°64.
Vestiges gallo-romains de la « Ville d’Antone »,
Commune de Pierre-Buffière (87)
Les vestiges occupent le sommet d’une colline à l’extrémité
d’une ligne d’interfluve. Les parcelles qui les renferment
sont dénommées « les Boissières », toponyme dérivé de
Buxus. Les buis sont présents dans les fourrés sous futaie qui
recouvrent des mamelons de terrains et des affleurements
de murs ou même encore dans des haies. Il semble désormais établi qu’il s’agit non pas d’une villa rurale mais d’une
véritable agglomération en raison de la situation et de l’importance des structures.
Le site de la Grange, Commune de Saint Fréjoux (19)
Il s’agit de deux bosquets de hêtres établis sur des monticules
et apparaissant sur les cartes sous la forme de croissant ou de
demi-lune. Ces buttes boisées sont situées près de SaintDezery au nord-est d’Ussel (19) sur la commune de SaintFréjoux entre le village de La Grange et l’ancienne abbaye de
Bonnaygue. La carte archéologique de la Corrèze (Lintz,
1992) signale à cet endroit l’existence de « substructions
couvrant plusieurs hectares ». Il s’agit de structures galloromaines partiellement affleurantes qui seraient celles d’une
grande villa où résidait le maître du domaine. Des matériaux
de nature volcanique (trachyte et basalte), donc étrangers à la
région, ont été retrouvés par les archéologues dans ce site et
semblent provenir de l’Auvergne voisine.
220
1. 2 - Sites d’époque médiévale
La motte de Drouille, Commune de Saint Eloi (23)
Le site est localisé à l’ouest de Sardent sur la Commune de
Saint Eloi près de la RD 940. Le site a un aspect classique de
motte féodale ; au pied de celle-ci coule le ruisseau de
Drouille. Parmi les mottes étudiées dans la région, celle de
Drouille est apparue comme l’une des mottes les plus
typiques et les plus importantes. La base de la motte est renforcée par un muret de pierres qui cerne l’ouvrage et qui est
plus particulièrement visible sur les parties ouest et sud.
L’ensemble de la motte est végétalisé et occupé par un petit
bois. Le toponyme « Drouille » est formé sur le nom gaulois
du chêne, drull.
Les mottes de Châtelus, Commune de Saint Sulpice le
Dunois (23)
A 4 Km environ de la Celle-Dunois, un éperon de confluence
dominant vers le nord un gué sur la rivière Creuse avait été
fortifié : l’aménagement incluait deux mottes constituées de
pierres accumulées séparées par un fossé décaissé dans le
rocher vif ; au sud de cet ensemble, un second fossé large et
profond isolait ce réduit fortifié du plateau de Châtelus. Sur
les deux côtés, les pentes sont très abruptes, il y a une différence d’altitude d’environ 30 m entre le sol à la base des
mottes et le niveau des rivières (la Creuse et un de ses
affluents). Les versants de l’éperon et les mottes elles-mêmes
sont recouverts de bois de chênes et de charmes.
Les ruines du Château de Ventenat, Commune de
Châteauponsac (87)
Situé près du bourg de Châteauponsac, ce petit château, édifié au XVe siècle et détruit en 1793, contrôlait un gué sur la
Gartempe depuis l’escarpement dominant la rive gauche de
cette rivière. Son plan était rectangulaire avec quatre tours
aux angles. Les ruines du château se trouvent à la limite entre
les bois qui occupent le fond de la vallée et les cultures du plateau. L’une des tours subsistantes à l’angle nord-est, éventrée,
est associée à un mur d’enceinte assez bien conservé. Une
végétation forestière s’étend en contrebas de la muraille
jusqu’aux rives de la Gartempe. Le mur est partiellement couvert par les frondaisons d’arbres qui ont pris racine dans ses
fondations.
Les ruines du château de Ventadour, Commune de
Moustier-Ventadour (19)
Les ruines qui subsistent aujourd’hui s’échelonnent entre le
XIVe siècle (donjon circulaire et courtine septentrionale) et le
XVIe siècle (vestiges de la chapelle). Le site occupe un éperon
rocheux (l’étymologie du toponyme Ventadour, d’origine
gauloise signifie « hauteur en forme d’éperon ») au
confluent du ruisseau de la « Vigne » et du ruisseau « La
Soudayette ». Les ruines sont à découvert mais environnées
de bois. Les vestiges sont encore très importants. Parmi les
sites médiévaux que nous avons étudiés, c’est celui qui présente l’ensemble de ruines le plus considérable et dont l’état
est le moins dégradé. Une grande partie du mur d’enceinte
A. GHESTEM
subsiste, flanqué de tours. L’entrée du château était protégée
grâce à la présence d’un fossé dissuadant l’envahisseur.
L’ensemble bénéficie actuellement d’une consolidation.
L’espace délimité par l’enceinte est plat. Sur l’extrémité sudest de l’éperon rocheux, les ruines se prolongent par une terrasse avec des restes d’éléments structurés encore visibles.
2. - Analyse de la végétation
Deux tableaux de végétation présentent la flore particulière
des stations correspondant aux sites gallo-romains (tableau I)
et aux sites médiévaux (tableau II) comparée à celle de stations témoins environnantes.
Les espèces y sont classées selon leur appartenance aux divers
groupes écologiques mentionnés dans la Flore Forestière
Française (J.C. Rameau et al., 1989). Citons :
ceux des xérophiles, des neutrocalcicoles et des calciclines ;
ceux des neutrophiles et des neutroclines ;
ceux des nitroclines et des nitrophiles ;
celui des espèces de large amplitude ;
et, enfin, ceux des acidiclines et des acidiphiles.
1
1
1
1
1
1
i
i
Dans deux autres tableaux (tableaux III et IV) apparaissent,
pour chacun des sites, le nombre d’espèces ainsi que le nombre total correspondant aux principaux groupes écologiques.
Enfin, les valeurs moyennes calculées pour les deux types de
sites apparaissent dans les tableaux V et VI. On peut ainsi
apprécier la comparaison entre sites et témoins correspondants et remarquer les éléments significatifs suivants :
le nombre total des espèces (c’est-à-dire la biodiversité
végétale) est en général, bien supérieur dans les divers
sites ;
le groupe des xérophiles, neutrocalcicoles et calciclines et
celui des nitrophiles et nitroclines sont bien représentés
dans les différents sites, respectivement 11 à 12 % pour
les premiers et 20 à 25 % pour les autres ;
le taux de présence des neutrophiles et des neutroclines
apparaît souvent assez voisin entre sites et stations témoins
mais, quand même, de temps à autre, supérieur dans les
sites ;
par contre, et très logiquement, les acidiphiles et acidiclines
ont un taux de présence bien supérieur dans les stations
témoins (38 à 50 %).
Stations du site
1 2 3 4 4
4
5
5
5
5
22 22 +2 +2 55 +2 55
+
+
1
Hors site
2 3 4
5
Xérophiles
Buxus sempervirens
Neutrocalcicoles
Campanula trachelium
Rosa gr. canina
Tamus communis
Calciclines
Acer campestre
Brachypodium sylvaticum
Cornus sanguinea
Euonymus europaeus
Ligustrum vulgare
Neutrophiles et Neutroclines
Anemone nemorosa
Carpinus betulus
Conopodium majus
Corylus avellana
Crataegus monogyna
Dryopteris filix-mas
Euphorbia amygdaloides
Eurhynchium striatum
Galium odoratum
Hedera helix
Lamiastrum galeobdolon
Melica uniflora
Poa nemoralis
Polygonatum multiflorum
Potentilla sterilis
Prunus avium
Prunus spinosa
Pulmonaria affinis
Stellaria holostea
Vicia sepium
Vinca minor
22 55 12
i
+
i
+
i
+2
+2
+
+
+
+2
+ + +2 22
11
11
+
+
+2
+2 +2
+
+2
+ +2
+ +2 +2
+2 +2
+2
11
+
+2
21
13
45 +2
+2
+
+2 + +
21 + 21 + 33
+2 22 44 33 +2
+
i
i + i
12
+ +
11
+ +
+2
+ +
+2
+2
23
+2
+2
+
21 12 12 22 45 22 44 12 44
34 12 +
21
+2
44
+2 22
+2
21
+2
23 11
+2 +2 12
+2
+2
+2 +2
+2 +2
+2 +
+
+2
+
i
i + + +2
+2
i
+
32
11 +2 +2
+
12
+2
+2 +2
+2
+2
+
i
11
+2 +2
+2
+
+2 23
+
+2
+2 +2
12
23
21
+
+
12 21 +2 +2
44
i
+2
+
+
+
+
+
44
+
+2
+2
+
+2
+
+2
+
+
Tableau I : Composition floristique des sites gallo-romains. Seules les espèces présentes deux fois au moins sont présentées. Sites : 1 - Bussière Etable, 2 - Bois de la
Tourette, 3 - les Couvents, 4 - Ville d’Antone, 5 - la Grange.
221
A. GHESTEM
Neutronitroclines
Arum maculatum
Fraxinus excelsior
Geranium robertianum
Geum urbanum
Listera ovata
Myosotis sylvatica
Ranunculus ficaria
Veronica chamaedrys
Veronica hederifolia
Neutronitrophiles
Alliaria petiolata
Bryonia dioica
Galium aparine
Glechoma hederacea
Rumex acetosa
Sambucus nigra
Urtica dioica
Large amplitude
Betula pendula
Fagus sylvatica
Hyacinthoides non-scripta
Ilex aquifolium
Populus tremula
Quercus robur
Ranunculus repens
Acidiclines
Circaea lutetiana
Epilobium montanum
Galeopsis tetrahit
Lapsana communis
Lonicera periclymenum
Luzula pilosa
Milium effusum
Moehringia trinervia
Rubus sp.
Scrophularia nodosa
Tilia cordata
Acidiphiles
Carex pilulifera
Castanea sativa
Cytisus scoparius
Deschampsia flexuosa
Hieracium sabaudum
Holcus mollis
Polytrichum formosum
Pteridium aquilinum
Teucrium scorodonia
Viola riviniana
Nombre d'espèces
1
1
1
1
1
12
i
+
i +2
i
i
1
Stations du site
1 2 3 4 4
+2 +2 +
22
i
i
i
+2
12
4
5
+
11 22 +
+2
+2 +2
i
i
+2
+2
+2
5
5
5
+
+
+
+
+
+
1
Hors site
2 3 4
5
i
+
+2 +2
+
+
+ + +2 11
+2
11
i
i 11 + 11
+
+2 +2 +2
11
+
11
+ +2
+
11 +
+2
+ +2
21
+
+2 + +2 +2 +
+2
+2
+
+
+
+
+
+2
+2
55 11
i
44 +2
+2
33 44 12
+
+2
+
+2
i
+
+2 +2 +
12
33
+
33 +2 +
11
+
i
+2
+
+
+
+2
+
+
+
+2
+2
12
11
+
+2 +2 +2
+2
22 +2
11
+
11
12
+2
+
11
i
+2
+
+
+
+2 +2
+2
+
22
+
+
+
+
22
+
+
+
11
12
+
+
+
32
13
11
44
+
+
i
+2
+2
+2
+
27
i
34
+2
33
+2
+2
+2
21
+
12
11
12
+2
+
11
+2
44
+2
+
22
44
+2 +2
+
+2
+
12
i +2
+
45 33 +2
+
+2
i
55
+2
15
19
9
+2
24
38
19
35
28
+
28
+
31
19
+
19
+2
+
+
34
+2
17
19
16
+
+2
15
7
Tableau I suite : Composition floristique des sites gallo-romains. Seules les espèces présentes deux fois au moins sont présentées. Sites : 1 - Bussière Etable, 2 - Bois de
la Tourette, 3 - les Couvents, 4 - Ville d’Antone, 5 - la Grange.
222
A. GHESTEM
6
6
6
6
7
7
Stations du site
8 8 8 8 9
9
9
9
9
9
9
6
Hors site
7 8 9
Xérophiles
Buxus sempervirens
Silene nutans
Sorbus aria
Neutrocalcicoles
Berberis vulgaris
Clinopodium vulgare
Echium vulgare
Inula conyza
Origanum vulgare
Ribes alpinum
Rosa gr. canina
Viola hirta
Calciclines
Clematis vitalba
Euonymus europaeus
Neutrophiles et Neutroclines
Acer pseudoplatanus
Arrhenaterum elatius
Brachypodium pinnatum
Briza media
Carpinus betulus
Corylus avellana
Crataegus monogyna
Dactylis glomerata
Dryopteris filix-mas
Eurhynchium stockesii
Eurhynchium striatum
Hedera helix
Homalothecium sericeum
Poa nemoralis
Polygonatum multiflorum
Potentilla sterilis
Prunus avium
Prunus spinosa
Rubus gr. discolor
Ruscus aculeatus
Stellaria holostea
Neutronitroclines
Achillea millefolium
Cruciata laevipes
Fraxinus excelsior
Geranium robertianum
Silene dioica
Verbascum div sp
Veronica chamaedrys
Neutronitrophiles
Adoxa moschatellina
Chelidonium majus
Galium aparine
Urtica dioica
33 33 23
32
22
22 +2
i
+2
33
+2 +2
+2
+2
i 11
+
+ + +2
+
+2
+
+2
21
+2 +2
i
i
+2
12 12 12 2 +2
+
+
+
i
+
i +2
+2
+
i
23
+2
11
+
+2
+
i
i
13 +2
+2
22 55
i
21
44 33 12 +
12 55 32 12
33 + + 12 +2 +2
+
+2
+2
+2 12 11 +2
+2
+ +2 i 12 i +2
+ +
+2
+ +2
+ + +
+2
+2
+2 12
+2
11
22
+2 +2 22 12
12 12 12 +2 +2 22 31 22
+2 +2
+2 11 +2
21 + 12
+
i
+2 +
+ +
+
+
+
+2 +2
21
12
22 +2
+2
+2
+2
+2
12 +2
12
+2 +2
+2
+2
+ i +2 +
22
12 +2
+2 +2
11
+2
i
12
22
12 +2
12
+
+2
i
+2 i
+2 +2 12 +2
+2
12 +2 +2
+
+
+2 +2
+
+2
+
+
i
+2
+
+2
Tableau II : Composition floristique des sites médiévaux. Seules les espèces présentes deux fois au moins sont présentées. Sites : 6 - Drouille, 7 - Châtelus, 8 - Château
de Ventenat, 9 - Château de Ventadour.
223
A. GHESTEM
6
Large amplitude
Asplenium trichomanes
Betula pendula
Campanula rotundifolia
Fagus sylvatica
Hieracium gr. murorum
Hyacinthoides non-scripta
Hypnum cupressiforme
Ilex aquifolium
Quercus robur
Rhytidiadelphus triquetrus
Scleropodium purum
Thuidium tamariscinum
Acidiclines
Epilobium montanum
Galeopsis tetrahit
Lapsana communis
Lonicera periclymenum
Moehringia trinervia
Oxalis acetosella
Poa pratensis
Rubus sp.
Scrophularia nodosa
Acidiphiles
Agrostis capillaris
Anthoxantum odoratum
Asplenium adiantum-nigrum
Castanea sativa
Cytisus scoparius
Deschampsia flexuosa
Digitalis purpurea
Holcus mollis
Polypodium vulgare
Pteridium aquilinum
Teucrium scorodonia
Viola riviniana
Nombre d'espèces
Tableau II : (suite)
224
6
6
6
7
7
Stations du site
8 8 8 8 9
+2
+2
+2
+
9
9
9
9
9
6
+
i
+2
55
+2
+2
+
+2
i
+2 + +2
33 33 +
+2
+2 32
+
12
12
+2
+2
i
+2
+
+
+ +2 11
+2
33 +2
12
11
+2
21
i 33 55
22 +2
+2
i
+2
12 22
+
+2
i
+
+2
+
11 +2 32 33 12 11
+2
i
+2
+2
+
11
+
+ +2
+2 +2
+2
i
+2
23
+ 12
11 +2
22 12
+
+2
+
+2
+
+2
+2
+2 +
+2
+2 +2
+
12 22
+2
+
+
23
43 +
+2
+
+
i
+
+2
11
33 11
Hors site
7 8 9
i
i
33
+
9
+
+2 44
+2 +2
i
+
33
+2
+
+2
+2 +2
+2
+2 +
+2
18 18 16 26 16 23 11 14 19 18 18 18 24 25 18 20 31 13
+ +2 34
i
+
+ +
9
17 11
A. GHESTEM
Bussière
Etable
Site Témoin
Xérophiles
1
0
Neutrocalcicoles
3
0
Calciclines
2
0
Neutrophiles et Neutroclines 17
5
Neutro-nitroclines
10
0
Neutro-nitrophiles
10
0
Large amplitude
6
3
Acidiclines
6
4
Acidiphiles
4
5
17
TOTAL 59
Bois de la
Tourette
Site Témoin
1
0
0
0
1
1
10
4
1
0
1
0
3
7
6
3
2
4
25
19
Les Couvents
Site Témoin
1
0
2
0
2
0
10
2
3
0
4
0
5
2
5
2
6
10
38
16
Antone
Site Témoin
1
0
3
1
5
0
18
8
8
1
7
0
2
0
6
1
0
3
50
14
Saint Fréjoux
Site Témoin
1
0
1
0
2
0
20
1
8
0
6
0
8
2
9
0
6
4
61
7
Tableau III : représentation des groupes écologiques d’espèces dans les sites gallo-romains étudiés.
Drouille
Châtelus
Ventenat
Ventadour
Site
Témoin
Site
Témoin
Site
Témoin
Site
Témoin
Xérophiles
1
0
1
0
0
0
3
0
Neutrocalcicoles
1
0
0
0
1
0
13
0
Calciclines
1
0
1
0
1
0
2
0
Neutrophiles et Neutroclines
9
4
12
4
10
2
19
2
Neutronitroclines
5
1
2
0
5
1
13
0
Neutronitrophiles
6
1
1
0
2
1
6
0
Large amplitude
5
4
6
2
6
5
9
4
Acidiclines
7
3
2
1
5
2
9
2
Acidiphiles
11
0
7
2
8
6
8
3
TOTAL
46
13
32
9
38
17
82
11
Tableau IV : Représentation des groupes écologiques d’espèces dans les sites médiévaux étudiés.
225
A. GHESTEM
Sites
Témoins
Groupes écologiques
n
n
%
n
n
%
Xérophiles
1
5,2
11,2
0
0,4
2,7
Neutrocalcicoles
1,8
0,2
Calciclines
2,4
0,2
Neutrophiles et Neutroclines
15
15
32,2
4
4
27,4
Neutronitroclines
6
11,6
24,9
0,2
0,2
1,4
Neutronitrophiles
5,6
Large amplitude
4,8
4,8
10,3
2,8
2,8
19,2
Acidiclines
6,4
10
21,5
2
7,2
49,3
Acidiphiles
3,6
5,2
Nombre total
46,6
14,6
0
Tableau V : nombre moyen d’espèces (n) et pourcentage (%) appartenant aux différents groupes écologiques (sites gallo-romains).
Sites
Groupes écologiques
Témoins
n
n
%
n
n
%
Xérophiles
1,25
6,25
12,6
0
0
0,0
Neutrocalcicoles
3,75
0
Calciclines
1,25
0
Neutrophiles et Neutroclines
12,5
12,5
25,3
3
Neutronitroclines
3
Neutronitrophiles
6,25
0,5
Large amplitude
6,5
4,8
10,3
2,8
2,8
19,2
Acidiclines
5,75
10
21,5
2
7,2
49,3
Acidiphiles
8,5
5,2
Nombre total
49,5
14,6
Tableau VI : nombre moyen d’espèces (n) et pourcentage (%) appartenant aux différents groupes écologiques (sites médiévaux).
226
24,0
A. GHESTEM
3. - Analyses pédochimiques
Ces analyses ont concerné la mesure du pH ainsi que celle
du taux de cations échangeables (Ca++, Mg++, K+) et du
taux de saturation du complexe absorbant. A une exception près (site de Chatelus), toutes ces valeurs sont nettement supérieures dans les sites étudiés par rapport aux
témoins.
Les tableaux qui vont suivre (tableaux VII à X) rassemblent
les résultats comparatifs des analyses pédochimiques,
ainsi que les valeurs moyennes, pratiquées dans les sites
gallo-romains et médiévaux et dans les stations hors sites.
Bussière Etable Bois de la Tourette
pH
Les Couvents
Antone
Saint Fréjoux
Site
Témoin
Site
Témoin
Site
Témoin
Site
Témoin
Site
Témoin
5,05
4,8
5,3
4,9
6,4
6,1
6,7
4,5
4,85
4,3
Cations échangeables
CaO (ppm)
2720
337
2607
582
2730
2378
6998
338
2888
277
MgO (ppm)
340
74
504
158
416
430
293,3
96
413
60
K2O (ppm)
552
162
418
168
363
608
359
134
536,5
215
Taux de saturation
59
10,7
57,9
26,6
73,1
75,3
119,5
15,6
55,5
7,5
Tableau VII : Caractères pédochimiques des sites gallo-romains étudiés.
Caractères
pédochimiques
Sites
Témoins
5,66
4,92
CaO (ppm)
3588,6
782,4
MgO (ppm)
392,26
163,6
K2O (ppm)
445,7
257,4
73
27,14
MOYENNE
pH
Cations échangeables
Taux de saturation
Tableau VIII : Valeurs moyennes (sites gallo-romains étudiés).
Drouille
Châtelus
Ventenat
Ventadour
Site
Témoin
Site
Témoin
Site
Témoin
Site
Témoin
5,3
4,8
4,5
5,3
5,85
4,6
8,2
4,5
CaO (ppm)
1072
399
276,5
445
2590
670
12428
247
MgO (ppm)
192,5
87
213
369
156,5
145
547
47
K2O (ppm)
344,5
197
189,5
84
187,5
261
1825
117
Taux de saturation
36
15,2
14,6
30,7
101
23,6
229,6
11,4
pH
Cations échangeables
Tableau IX : Caractères pédochimiques des sites médiévaux étudiés.
227
A. GHESTEM
Caractères
pédochimiques
Sites
Témoins
5,96
4,8
CaO (ppm)
4091,62
440,25
MgO (ppm)
277,25
162
K2O (ppm)
632,62
214
95,3
20,22
pH
MOYENNE
Cations échangeables
Taux de saturation
Tableau X : Valeurs moyennes (sites médiévaux étudiés).
A travers ces exemples, mais aussi de bien d’autres, nous
avons pu montrer en Limousin que l’originalité de la flore
de certains sites résultait d’anciennes occupations aux
époques gallo-romaine ou médiévale (Ghestem, 2002).
4. - Archéologie et végétation en forêt
d’Orléans
De telles observations ont pu être faites également dans
la région Centre au sein de la forêt d’Orléans (Ghestem et
al., 2003). Ainsi, par exemple, on reconnaît assez facilement le tracé de l’ancienne voie romaine allant d’Orléans
à Sens à la présence d’une flore tout à faite particulière et
très fortement diversifiée. Nous avons retrouvé le tracé
précis de cette voie dans une publication de J. Soyer
(1936). Par ailleurs, cette voie figure sur les cartes au
1/25000 de la forêt.
Déjà, dans son histoire de la forêt d’Orléans parue en
1892, P. Domet, ancien conservateur des forêts, signalait
que J. de Saint-Venant, membre de la Commission de
révision de l’aménagement de la forêt, avait au cours de
ses missions, remarqué sur une bande parfaitement droite
et d’une très faible largeur l’existence d’un fouillis de
végétaux calcicoles qui font absolument défaut au sein de
la végétation naturelle de la forêt.
J. de Saint-Venant a rendu compte dans le Bulletin de la
Société Archéologique et Historique de l’Orléanais (1889)
des fouilles qu’il exécuta en plusieurs points sur le tracé
reconnu, au sein de cette bande de végétation (fig. 1).
Partout, il rencontra, protégé par une couche d’humus de
20 à 65 cm, attestant que la route est abandonnée depuis
fort longtemps, un lit (et parfois plusieurs) de pierres disposées en radier, provenant du calcaire de Beauce dont
on ne trouve des affleurements qu’à 10 km au moins de
là, aux environs de Fay-aux-Loges. Ces pierres plates,
généralement posées de chant plus ou moins obliquement et calées par de plus petites, sont parfois consolidées, affirme cet auteur, par un mortier de chaux et de
sable fin. L’épaisseur de chaque lit varie de 16 à 25 cm.
Certes, dit-il, la chaussée avait complètement disparu
sous d’épais dépôts de terre végétale mais les pierres calcaires enfouies ont influencé à la longue la végétation
superficielle en provoquant la venue de plantes spéciales
typiques qui font absolument défaut dans le pays. En
effet, confirme-t-il, partout ailleurs le terrain formé de
sables et d’argiles de la Sologne, de l’étage tertiaire miocène supérieur, est complètement privé de l’élément calcaire. La largeur de cette bande de végétation particulière
correspond à la partie influencée par le voisinage calcaire
d’apport et par le recensement des végétaux qui ont cru
spontanément. Elle peut atteindre jusqu’à 50 m par
endroit. En revanche, la voie proprement dite, même élar-
Figure 1 : Forêt d’Orléans, tracé et coupe de la voie romaine d’Orléans à Sens entre Ingrannes et Chambon (d’après J. de SAINT VENANT).
228
A. GHESTEM
gie fort souvent par l’éboulement des matériaux de la
chaussée, n’occupe qu’une faible partie centrale de cette
bande. Il n’en reste le plus souvent qu’un lit de pierres
large de 4,20 m à 4,50 m.
5. - Impact de la voie romaine sur la
végétation forestière
5.1. - Végétation
Sept stations (sites) réparties sur le tracé de la voie
romaine de Trainou à Ingrannes puis d’Ingrannes à
Chambon, ont fait l’objet d’une étude approfondie de la
végétation. L’analyse de la flore a été comparée à celle de
la végétation forestière témoin, qualifiée de hors sites (A,
B, C, D, E), et dont les caractéristiques sont celles des
forêts thermoacidiphiles étudiées de 1970 à 1974 par A.
Delelis et J.M. Géhu (1975). Du point de vue phytosociologique, ces auteurs avaient classé cette forêt thermoacidiphile de chêne et d’alisier sous la dénomination de
Peucedano-Quercetum roboris Br. Bl. 1967, tout en
regrettant que le nom de l’alisier (Sorbus torminalis, différentielle thermophile) n’ait pu être utilisé pour forger le
nom de l’association qui aurait mérité le nom de SorboQuercetum ou Torminali-Quercetum.
Les relevés de végétation ont été rassemblés dans le
tableau XI. Les espèces sont classées en fonction de
leurs affinités écologiques, selon les groupes établis par
la Flore Forestière Française (J.C. Rameau, D. Mansion
et G. Dume, 1989). On remarquera très facilement à la
lecture de ce tableau que les relevés de végétation
effectués sur le tracé de la voie romaine (sites) montrent une biodiversité végétale plus grande. Par ailleurs,
si les groupes écologiques de large amplitude, acidiphiles et acidiclines, ne montrent pas de grandes distinctions quant à la présence de leurs espèces caractéristiques dans les sites et hors sites, on constate des différences importantes à l’avantage des sites au niveau
des autres groupes neutrophiles et neutroclines et surtout calcicoles-calciclines et nitrophiles-nitroclines.
Parmi les neutrophiles et neutroclines les mieux représentées, citons : la mélique (Melica uniflora), le brachypode des bois (Brachypodium sylvaticum), la violette
des bois (Viola reichenbachiana), la rose des champs
(Rosa arvensis), le sceau de Salomon (Polygonatum
multiflorum), la lamier jaune (Lamiastrum galeobdolon), l’euphorbe des bois (Euphorbia amygdaloïdes), le
fraisier sauvage (Fragaria vesca), le pâturin des bois
(Poa nemoralis), la potentille stérile (Potentilla sterilis).
De plus, remarquons la présence significative, grâce à
son fort coefficient d’abondance-dominance, de la
petite pervenche (Vinca minor) qui, dans sa station,
forme un tapis spectaculaire (relevé n°5).
Les calcicoles et calciclines indicatrices des sites sur la
voie romaine et ses abords sont l’érable champêtre
(Acer campestre), le fusain d’Europe (Evonymus europaeus), le troène (Ligustrum vulgare), le cornouiller sanguin (Cornus sanguinea), la primevère officinale
(Primula veris), le calament officinal (Calamintha sylvatica). Enfin, les plus fréquentes nitrophiles, ou plutôt
nitroclines, sont l’arum tacheté (Arum maculatum) et
l’euphorbe douce (Euphorbia dulcis).
Le tableau XII permet une analyse plus fine car il présente
le nombre (n) et le pourcentage (%) d’espèces appartenant aux différents groupes écologiques. La biodiversité
végétale est très grande dans les sites, comprise entre 26
et 40 espèces (en moyenne 34,1) et seulement 14,2 en
moyenne pour les hors sites.
Les espèces acidiphiles et acidiclines sont très naturellement mieux représentées dans la végétation forestière
environnant les sites (41,6 %) que dans les sites (15,5 %).
On comprend que les pierres calcaires de la voie romaine
évoquées par J. de Saint-Venant ont dû modifier le pH du
sol forestier, constitué de sables très acides.
Cet effet semble se vérifier en ce qui concerne le groupe
écologique suivant des neutrophiles et neutroclines. Le
nombre d’espèces de ce groupe correspond à près de la
moitié des plantes relevées dans les sites alors qu’il ne
représente qu’un tiers dans la flore des hors sites.
En ce qui concerne le groupe des calcicoles et calciclines, la
différence entre sites et hors sites est beaucoup plus nette :
16,9 % par rapport à l’ensemble des espèces relevées dans
les sites et seulement 1,2 % hors sites.
Enfin, il est remarquable de constater l’absence totale
des nitrophiles et nitroclines dans la végétation hors site
et une proportion moyenne de 10,3 % de ces espèces
(ce sont des nitroclines) par rapport à la flore totale
relevée dans les sites.
5.2. - Pédochimie des substrats
Les sols des sept stations (sites) réparties sur le tracé de la
voie romaine ont été analysés, de même que les sols des
milieux forestiers environnants (hors sites). Ont été déterminés : le pH eau et le pH KCl, le rapport carbone sur
azote, le calcaire total en %, le taux de calcium échangeable (CaO en ppm) et le taux de saturation du complexe absorbant. Les résultats de ces analyses pédochimiques figurent dans le tableau XIII. L’analyse comparative de ces résultats fait apparaître les éléments suivants :
le pH (eau) varie dans les sites de 5,8 à 8,2, il est en
moyenne voisin de 6,98 (donc voisin de la neutralité)
alors que, hors sites, il est beaucoup plus bas, variant
de 4,4 à 4,9 (avec une valeur moyenne de 4,68) ;
le rapport carbone sur azote, qui est un bon test de
la capacité minéralisatrice des sols (azote) est en
moyenne de 15,7 dans les sites. La moyenne est
beaucoup plus élevée hors des sites (20,5) ;
229
A. GHESTEM
Relevés n°
Large amplitude
Quercus robur
Quercus petraea A
a1 +a2
Quercus pl
Fagus sylvatica A
a + pl
Ilex aquifolium a + pl
Solidago virgaurea
Stachys officinalis
Linaria repens
Monotropa hypopitys
Rhytidiadelphus triquetrus
Pseudoscleropodium purum
Thuidium tamariscinum
Acidiphiles et Acidiclines
Sorbus torminalis A + a
Sorbus torminalis pl
Pinus sylvestris
Cytisus scoparius a + pl
Populus tremula A + a + pl
Frangula alnus
Mespilus germanica
Betula pendula A + a
Rubus sp.
Deschampsia flexuosa
Melampyrum pratense
Carex pilulifera
Lonicera periclymenum
Pteridium aquilinum
Veronica officinalis
Polytrichum formosum
Milium effusum
Luzula multiflora
Moehringia trinervia
Deschampsia cespitosa
Hypericum pulchrum
Teucrium scorodonia
Calluna vulgaris
Erica cinerea
Potentilla erecta
Neutroclines et Neutrophiles
Carpinus betulus A
a1+a2
Carpinus betulus pl
Corylus avellana a2 + pl
Hedera helix A + a1
Crataegus laevigata a2 + pl
C. monogyna a2
Prunus spinosa a + pl
Hedera helix
Carex sylvatica
Festuca heterophylla
Ruscus aculeatus
Melica uniflora
Neottia nidus-avis
Convallaria maialis
Hyacyntoïdes non-scripta
Stellaria holostea
Brachypodium sylvaticum
Viola reichenbachiana
Rosa arvensis
Polygonatum multiflorum
Lamiastrum galeobdolon
Vinca minor
Fragaria vesca
Hypericum perforatum
Poa nemoralis
Potentilla sterilis
Euphorbia amygdaloïdes
Vicia sepium
Tamus communis
Prunus avium pl
1
2
3
33
11
11
+
+
+
+
+
+
4
5
6
7
A
B
C
D
E
+
33
33
33
33
44
33
33
44
+
11
11
11
11
11
+
+
+
+
+
11
11
+
+
11
+
+
+
33
+
33
+
22
+
11
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
11
+
+
+
+
+
+
+
44
+
+
+
+
+
+
+
+
+
11
+
+
11
+
+
+
+
+
11
+
+
+
11
+
11
+
+
11
+
22
+
+
+
+
11
+
11
33
+
11
11
+
+
+
.+2
+
+
11
12
+
+
12
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
22
22
+
44
+
+
11
+
+
22
33
+
+
11
+
+
+
11
+
+
+
.+2
+
+
+
+
+
+
+
44
+
44
+
+
+
+
11
+
11
+
33
+
+
+
21
11
11
+
+
22
33
11
44
21
33
+
44
11
+
11
+
11
11
11
44
+
+
+
22
11
22
11
23
22
11
22
+
+
+
22
+
+
+
33
11
+
+
+
.+2
+
+
+
11
+
+2
22
44
11
+
+
44
11
+
11
+
+
+
+
+
+
+
+
11
+
+
+
11
+
+
+
+
44
+
11
+
+
22
+
+
+
+
+
+
22
+
11
44
+
i
Tableau XI : impact de la voie romaine sur la végétation forestière.
230
+
+
.+2
+
+
21
+
+
+
+
A. GHESTEM
Calcicoles et calciclines
Acer campestre A
a1 + a2 '+ pl
Euonymus europaeus a + pl
Ligustrum vulgare a + pl
Cornus sanguinea a + pl
Clematis vitalba
Viburnum lantana pl
Carex flacca
Primula veris
Calamintha sylvatica
Euphorbia cyparissias
Aquilegia vulgaris
Melittis melissophyllum
Campanula trachelium
Viola hirta
Nitrophiles et Nitroclines
Fraxinus excelsior A +a1+pl
Ulmus minor a + pl
Ribes uva-crispa
Geum urbanum
Arum maculatum
Euphorbia dulcis
Ajuga reptans
Sanicula europaea
Pulmonaria officinalis
Torilis japonica
Geranium robertianum
Diverses
Calamagrostis epigeios
Orobanche hederae
Prunus gr. domestica pl
+
11
11
11
+
i
11
+
+
+
+
11
11
+
+
+
+
+
+
+
+
+
11
+
+
+
+
+
+
11
22
+
11
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
11
i
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
11
+
11
+
+
+
+
+
+
+
11
i
+
Tableau XI suite : impact de la voie romaine sur la végétation forestière (suite).
Sites (voie romaine)
Hors sites
N° relevés
1
2
3
4
5
6
7
moy
A
B
C
D
E
moy
Nbre d’esp.
26
42
40
35
30
26
40
34,1
15
11
9
19
17
14,2
n
3
3
5
6
4
6
2
4,1
3
3
3
3
4
3,2
%
11,5
7,1
23
5
12,8
20
n
2
7
14
3
2
5
6
5,6
8
%
7,7
16,6
35
8,6
6,7
19,2
15
15,5 53,3 45,4 33,3 47,4 29,4 41,6
n
14
16
13
17,1
16
9
15
14,3
I
II
III
IV
V
VI
%
12,5 17,1 13,3
5
3
3
3
9
7
5
8
24
6
5
53,8 38,1 32,5 48,6 53,3 34,6 37,5 42,6 26,7 27,3 33,3 36,8 47,1 34,2
n
4
8
4
6
6
%
15,4
19
10
17,1
20
n
3
7
2
3
2
1
8
5
8,6
6,7
3,8
%
4
27,3 33,3 15,8 23,5
11,5 16,7
4
9
5,9
0
0
0
0
1
0,2
15,4 22,5 16,9
0
0
0
0
5,9
1,2
3,7
0
0
0
0
0
0
20
10,3
0
0
0
0
0
0
n
0
1
2
0
0
1
0
0,6
0
0
0
0
0
0
%
0
2,4
5
0
0
3,8
0
1,6
0
0
0
0
0
0
Tableau XII : nombre (n) et pourcentage (%) d’espèces appartenant aux différents groupes écologiques (I Large amplitude, II Acidiphiles et acidiclines, III Neutrophiles et
neutroclines, IV Calciclines et calcicoles, V Nitrophiles et nitroclines, VI Diverses).
231
A. GHESTEM
Sites voie romaine
Moy.
Relevés n°
1
2
3
4
5
6
7
pH eau
7,1
6,8
5,8
7,9
7,2
8,2
5,9
pH KCl
6,4
6,2
4,9
7,5
7,1
7,6
5
C/N
16,1
16,9
17,4
13,5
15,5
14,5
Ca O
Hors sites
Moy
A
B
C
D
E
6,985
4,4
4,6
4,8
4,9
4,7
4,68
6,385
3,4
3,6
3,8
3,9
3,4
3,62
15,8 15,671
25
19,9
19,1
16,7
21,8
20,5
5877 2071 1190 10354 7043 5066 1143 4677,7
820
279
423
387
766
534,4
23,7
24,3
29,8
28,6
27,3
26,74
Co3Ca
0,7
% Sat
100
34,1
76,8
5,2
1,7
10,425
56,9 169,2 351,3 215,9 54,7
146,4
Tableau XIII : Analyses chimiques des substrats.
la teneur en calcium échangeable CaO (en ppm) est
près de dix fois supérieure dans les sols prélevés sur
le tracé de la voie romaine (moyenne de 4677,7).
Dans quatre stations, la présence de calcaire total
(réactivité avec HCl) a même été mise en évidence !
Enfin, le taux de saturation du complexe absorbant du
sol est impressionnant dans les sols des sites :
moyenne de près de 150 %. Au contraire, les sols environnant les sites, qui sont les sols naturels de la forêt
d’Orléans apparaissent fortement désaturés avec un
taux moyen de 26,74 % seulement;
Ainsi, l’analyse comparative de la végétation et des
substrats, dans les sites et hors sites, nous apporte ici
aussi l’explication de l’impact de la voie romaine sur la
végétation de la forêt d’Orléans. Les pierres calcaires
amenées de Beauce pour construire cette voie ont
contribué à modifier les caractéristiques des sols : élévation du pH, amélioration du C/N, augmentation du
taux de saturation. L’élévation du pH a permis l’installation d’espèces neutrophiles, cependant que l’amélioration des possibilités de minéralisation de l’azote a favorisé les nitroclines. Enfin, l’augmentation des teneurs en
calcium échangeable a rendu possible l’établissement
d’espèces calcicoles ou calciphiles qui étaient étrangères à la forêt. Les sites explorés le long de la voie
romaine ont ainsi montré :
une biodiversité végétale plus importante que dans les
stations témoins de référence (milieux boisés environnants) ;
une plus forte proportion d’espèces appartenant au
groupe écologique des xérophiles calcicoles et calciclines et à celui des neutrophiles et neutroclines ;
la présence tout à fait particulière des espèces nitroclines ;
232
des caractères pédochimiques prononcés (pH élevé,
teneur prononcée en calcium échangeable et nette
saturation du complexe absorbant).
Nous nous félicitons donc d’avoir pu confirmer, à travers
ces investigations en forêt d’Orléans, les résultats obtenus
en Limousin dans l’analyse de la flore des vestiges archéologiques et particulièrement gallo-romains.
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233
234
Impact de l’habitat du Bas Moyen Age du Goënidou et de
son parcellaire associé sur l’environnement actuel :
approche par une étude de végétation (Berrien, 29)
Quentin LEMOULAND(1), Gwenhaël PERRIN(2)
(1) Laboratoire C2A – Université de Rennes 1 – 35000 RENNES – [email protected]
(2) 11, rue François Broussais – 35000 RENNES – [email protected]
Résumé
Le site du Goënidou est un hameau déserté au XIVe siècle situé sur la commune de Berrien dans les Monts d’Arrée (29).
Il est actuellement couvert par une lande de type ptéridaie. L’étude s’est portée sur une zone test de 50m sur 50m. Elle
porte en son sein 2 bâtiments et 2 talus visibles en microtopographie. Des relevés de végétation et de sol y ont été effectués en maillage (maille de 7m).
Il a été montré que la plupart des espèces végétales actuelles ont une répartition liée aux vestiges (en terme de présence
comme de recouvrement). Des différences de végétation ont été observées :
entre les zones de vestiges et les zones vierges de vestiges,
entre différentes classes de distances aux vestiges,
entre des vestiges de natures différentes (talus Vs bâtiments, parcelles différentes).
En utilisant certains caractères indicateurs de ces espèces (indices d’Ellenberg), il semble que les occupations anciennes
aient modifié l’environnement que se soit en terme de richesse en nutriments, d’humidité, d’acidité du sol, qu’en terme
de fermeture du milieu. Au niveau des vestiges, la végétation est ainsi caractérisée par des espèces de milieux riches, peu
acides, peu exigeantes en eau et en lumière.
Abstract
The site of Goënidou is a deserted settlement abandoned by the late XIVth century. This site is located in the commune
of Berrien in Brittany (France, 29). The site is now covered by heathland dominated by Bracken Fern. The study took place
on an area of 50 metres by 50. In this area, microtopography reveals 2 abandoned buildings and 2 fieldbanks. A vegetation sampling of 46 two-square-metres quadrats was realised.
Most of current vascular plant species have a distribution linked to archaeological features (in terms of presence as well
as cover). Some differences were observed between:
disturbed and undisturbed areas,
different classes of distance to archeological features,
features of different types as well as differences of land use.
By using the ecological behaviour of plants (Ellenberg’s indicators), it appears that past land use has modified the environment in term of nutrient supply, soil moisture, soil acidity and light strategies. So, on archeological features, vegetation is characterized by species from low acid, relatively dry soil with a high nutrient concentration and by species from
closed environment.
235
Q. LEMOULAND, G.PERRIN
1. - Introduction
Les vestiges archéologiques modifient les propriétés physico-chimiques des sols. Les altérations de minéraux et de
porosité ont depuis longtemps été mises en évidence via la
susceptibilité magnétique. Concernant la chimie des sols, la
variation anthropique des concentrations en phosphates a
été largement prouvée (Bethell et Mãte, 1989 ; Craddock
et al., 1985). Il a été montré que ces changements s’appliquent aussi au calcium et au magnésium (Konrad et al.,
1983) et à de nombreux oligoéléments (Bethell et Smith,
1989 ; Linderholm et Lundberg, 1994).
Or les propriétés physico-chimiques du sol conditionnent le
développement de la végétation. Pour des parcelles dont
l’occupation du sol est connue au XIXe s., l’étude de la végétation forestière actuelle a montré que celle-ci témoigne
d’un enrichissement en azote selon l’ancien usage du sol
suivant un gradient forêt/prairie/culture/jardin (Koerner et
al., 1997). Pour des périodes plus anciennes, l’apport de
matériaux exogènes révélé par une végétation « aberrante » (espèces calcicoles sur des terrains acides) est connu
depuis le XIXe s. (Saint-Venant, 1888). Couderc (1983) a
proposé d’élargir l’étude de ces anomalies botaniques à
d’autres groupes écologiques et particulièrement aux rudérales. Des travaux sur des habitats gallo-romains en forêt
ont permis de mettre en évidence des différences écologiques liées à la distance aux vestiges (Humbert, 2002 ;
Lemouland, 2002). L’inefficacité de la prospection aérienne
en forêt a motivé la recherche dans ces milieux (Vigneau et
Dardignac, 2001). Ce travail se propose d’intégrer les
milieux ouverts dans ces problématiques.
La présente étude a été effectuée sur deux bâtiments
désertés à l’époque médiévale et leur parcellaire associé
(Berrien, 29). La zone d’étude est actuellement recouverte
par une lande. L’avantage d’une telle zone est que :
comme en milieu forestier, le site n’a pas été perturbé
par les labours récents ;
contrairement au milieu forestier, l’échelle de travail est
plus fine du fait d’un meilleur recouvrement herbacé
(comparé aux sous-bois).
Ce milieu permet ainsi d’aborder de nouvelles questions
liées à l’échelle d’étude.
Nous montrerons tout d’abord qu’à cette échelle les vestiges ont aussi un impact sur le milieu via l’analyse écologique des espèces et leurs variations de recouvrement.
Nous tenterons ensuite de mettre en évidence, via l’autécologie des espèces, des gradients écologiques en fonction de la distance aux vestiges. Nous verrons enfin dans
quelles mesures la typologie des vestiges et la différence
d’utilisation des parcelles peuvent modifier la végétation.
Figure 1 : Localisation de la zone d’étude au sein de l’habitat déserté du Goënidou.
236
Q. LEMOULAND, G.PERRIN
2. - Localisation et description du site
d’étude
Le site du Goënidou est situé sur la commune de Berrien
(29) dans les Monts d’Arrée (entité archéologique
Patriarche N°29 007 0040). Sa désertion remonterait à la
fin du XIVe siècle. Il est constitué de petits îlots de bâtiments associés à un parcellaire. Etabli sur le versant Sud
d’une vallée, à environ 270 m d’altitude, le site a été
implanté sur un substrat géologique diversifié : des granites au niveau des crêtes, aux quartzites et aux schistes
en descendant vers la vallée.
La zone retenue pour cette étude (fig.1) est la parcelle
n°110 section A1 du cadastre. Deux bâtiments distants
d’environ 15 m et bordés d’un talus commun y sont
observés au sud. Un second talus orienté NNO– SSE délimite deux anciennes parcelles.
La végétation actuelle de la parcelle est représentée par
une lande de type ptéridaie, bordée d’une lande à Ajonc
et Bruyère évoluant vers des groupements de lande haute
à Ajonc et de fourrés au Nord. La partie Sud de la parcelle
présente un effet écotone lié à la proximité d’une friche à
caractère prairial cultivée jusqu’à peu en céréales.
La parcelle montre un gradient hydrique traduit par des
groupements végétaux mésoxérophiles à mésophiles.
3. - Relevés de végétation et de sol
Comme pour toute analyse de végétation, la première
nécessité sur le terrain a été de déterminer l’aire minimale
des relevés. Des quadrats de 2 m2 ont été choisis afin de
maximiser le nombre d’espèces dans les relevés tout en
minimisant le risque de rencontrer plusieurs milieux dans
cette surface.
Afin de couvrir l’ensemble de la parcelle, les relevés ont
été disposés en damier. Chaque relevé se retrouve ainsi à
7 mètres du relevé le plus proche (fig. 2). 4,5 % de la
zone d’étude ont ainsi été échantillonnés.
Le protocole utilisé pour les relevés sur le terrain a été le
suivant :
inventaire des espèces présentes dans chaque relevé,
évaluation du recouvrement de chaque espèce (en %),
comptage du nombre de frondes de Fougère Aigle et
évaluation de sa hauteur moyenne.
Figure 2 : Interprétation archéologique des relevés microtopographiques et emplacement des relevés de végétation.
237
Q. LEMOULAND, G.PERRIN
4. - Interprétation archéologique des
données microtopographiques
Une analyse microtopographique de la parcelle a été
menée (Batt, 2003) mettant en évidence différents types
de vestiges archéologiques interprétables comme étant
des bâtiments et des structures parcellaires (fig.1). Après
calage du plan des vestiges sur celui des relevés, seuls les
vestiges clairement visibles sur le terrain que sont les bâtiments, leurs murets effondrés et les talus ont été pris en
compte. Ces vestiges linéaires ont permis de différencier
quatre surfaces d’occupation ancienne du sol sur la parcelle étudiée (fig. 2).
5. - Prise en compte de l’écologie des
espèces
Chaque espèce possède des caractéristiques écologiques
propres pour les différents facteurs du milieu.
L’autécologie des différentes espèces a pu être quantifiée
par les indices d’Ellenberg (Ellenberg et al., 1992). Les 4
indices utilisés ici sont :
Nitrophilie N : de 1 à 9, les espèces nitrophiles ayant
les valeurs les plus élevées
Basicité R : de 1 à 9, les espèces acidiphiles ayant les
valeurs les plus basses
Humidité F : de 1 à 12, les espèces xérophiles ayant les
valeurs les plus basses
Luminosité L : de 1 à 9, les espèces sciaphiles ayant les
valeurs les plus basses
Le tableau de présence/absence des espèces par relevé a
été croisé avec le tableau des indices d’Ellenberg de
chaque espèce. Pour chaque relevé, il a ainsi été possible
d’établir un indice d’Ellenberg moyen pour chaque facteur en fonction de sa composition floristique.
6. - Prise en compte de l’environnement
archéologique des relevés
En terme de distance au vestige le plus proche
Pour chaque relevé, la distance minimale aux vestiges a
été calculée.
3 classes de distance des relevés aux vestiges ont ainsi été
attribuées :
de 0 à 2 m des vestiges (15 relevés),
de 2 à 5,5 m des vestiges (15 relevés),
de 5,5 à 16,5 m des vestiges (16 relevés).
238
En terme d’occupation du sol
Les usages étant souvent confinés de manière non-exclusive au bâti ou à un talus (éboulis…), il a été décidé d’inclure autour de ces structures une zone tampon de 2,5
mètres. Tout relevé compris tout ou partie dans la zone
tampon a été considéré comme étant dans la zone des
vestiges. Les deux classes de relevés ainsi créées sont :
zone de vestiges (23 relevés). Zone divisée en deux
nouvelles classes :
- bâtis (les 5 relevés leur appartenant strictement)
- talus (les 5 relevés leur appartenant strictement)
zone vierge de vestiges (23 relevés). Zone divisée en
deux nouvelles classes :
- parcelle 1 (les 10 relevés lui appartenant strictement)
- parcelle 2 (les 10 relevés lui appartenant strictement)
7. - Analyse statistique
Aucune analyse de sol n’ayant encore été effectuée,
l’analyse statistique s’est limitée à montrer s’il existait des
différences significatives de végétation en fonction des
classes établies pour chaque facteur archéologique.
Il a ainsi pu être possible de comparer par un test U de
Mann et Whitney, entre les différents états d’une variable
d’environnement archéologique :
les indices moyens d’Ellenberg des relevés
la hauteur moyenne et le nombre de frondes de
Fougère
les recouvrements des espèces
8. - Résultats
Impact anthropique des vestiges :
Les indices moyens d’ELLENBERG calculés sur la composition floristique des relevés montrent des différences écologiques liées aux vestiges (tab.1). Ainsi, les vestiges semblent avoir un impact sur le milieu en terme de nitrophilie, d’humidité et de fermeture du milieu. Les zones de
vestiges sont caractérisées par une végétation de sols plus
riches, plus secs et de milieux plus fermés.
La Fougère aigle, espèce dominante, répond très bien à
cet impact des structures archéologiques sur le milieu
(tab.2). Cet impact se traduit par une augmentation de sa
hauteur (p<0.001) et de nombre de frondes (p=0.002).
Les variations de composition floristique observées précédemment sont dues à des variations de recouvrement de
certaines espèces. La présence de structures affecte ces
recouvrements, soit de manière positive (Fougère,
Houlque molle, Flouve…), soit de manière négative
(Molinie, Bruyère cendrée, Callune…) (tab.2).
Q. LEMOULAND, G.PERRIN
Indice d’Ellenberg moyen
Sur zone de vestiges Sur zone vierge de probabilité d’égalité
(23 relevés)
vestiges (23 relevés)
de moyenne
N(Nitrophilie)
3.17±0.07
2.62±0.11
<0.001
F(Humidité)
5.13±0.06
5.46±0.06
<0.001
L(Luminosité)
6.42±0.06
6.6±0.06
0.031
Tableau 1 : nature de la végétation au niveau des vestiges
Recouvrement moyen (%)
Sur zone de vestiges Sur zone vierge de vesprobabilité d’égalité
(23 relevés)
tiges (23 relevés)
de moyenne
Espèces ayant un recouvrement plus fort au niveau des vestiges
Pteridium aquilinum
87.6±2.3
69.8±3.6
<0,001
Holcus mollis
33.4±7.9
12.4±6.1
0,003
Anthoxanthum odoratum
8.4±3.9
1.0±0.5
0,007
Rubus fruticosus
1.5±0.5
0.7±0.4
0,016
Cytisus scoparius
1.4±0.4
0.6±0.2
0,022
Hedera helix
1.0±0.5
0.2±0.2
0,025
Hyacinthoides non-scripta
2.3±0.5
1.7±0.6
0,048
Espèces ayant un recouvrement plus faible au niveau des vestiges
Molinia caerulea
2.6±2.4
24.5±7.7
<0,001
Erica cinerea
0.2±0.1
5.2±2.4
<0,001
Calluna vulgaris
0.0±0.0
0.4±0.3
0,009
Ulex sp.
1.8±0.8
7.1±3.2
0,010
Cirsium filipendulum
0.1±0.1
1.2±0.6
0,029
Erica ciliaris
0.0±0.0
1.2±0.7
0,036
Potentilla erecta
0.8±0.4
1.0±0.3
0,045
Tableau 2 : espèces à recouvrement vestige-dépendant.
Effet distance
Le traitement en classes de distances confirme l’impact
des vestiges en terme d’enrichissement, d’assèchement et
de fermeture du milieu (fig.3). Les indices N et F montrent
des différences significatives entre chaque classe. La comparaison des indices moyens prouve qu’il existe un gradient croissant de nitrophilie et décroissant d’humidité en
fonction de la proximité des structures. Si des gradients
existent pour les indices N et F, la fermeture du milieu à
proximité des vestiges est moins prononcée.
Ce type de traitement permet en outre de mettre en évidence des différences d’acidité au sein de la parcelle
(fig.3). En effet, les relevés situés au-delà de 5,5 m sont
caractérisés par une végétation plus acidiphile.
239
Q. LEMOULAND, G.PERRIN
Figure 3 : gradients écologiques liés à la distance aux vestiges.
Exemple d’une différence d’impact en fonction de la
typologie des vestiges : comparaison talus / bâti
Le faible nombre de relevés ne permet pas d’affirmer qu’il
existe des différences floristiques majeures liées à la typologie des vestiges. Cependant, il est à noter que les bâtiments semblent plus secs que les talus (p=0.021). Par ailleurs, le Genêt se développe préférentiellement sur les
talus (p=0.033).
Exemple d’une différence d’impact en fonction de
l’occupation ancienne du sol : comparaison parcelle 1 / parcelle 2
La parcelle 1 est caractérisée par un nombre plus important de frondes de Fougère (p=0.003) et de hauteur
réduite (p=0.016). La plupart des espèces communes aux
deux parcelle y ont un recouvrement supérieur (tab.3).
De plus, elle présente de nombreuses espèces lui étant
propres (Carex sp., Hedera helix, Holcus lanatus, Polygala
serpyllifolia, Prunus spinosa, Salix aurita, Scorzonera
humilis, Solidago virgaurea).
240
Seule Molinia caerulea s’exprime préférentiellement dans
la parcelle 2.
9. - Discussion
Modification des propriétés physiques du milieu
Les vestiges comme les talus, fossés, murets modifient la
topographie locale. Ces artéfacts topographiques impliquent différentes situations de pendage et de dévers et,
en conséquence, des variations de drainage et d’ensoleillement.
Leur occupation a altéré la porosité du sol à la suite d’un
piétinement intense sur des zones privilégiées de fréquentation (intérieur des bâtiments). Les effets physiques attribués au piétinement sont : la réduction de l’atmosphère
du sol (Grable et Siemer, 1968 ; Liddle, 1975) et une altération de ses propriétés de drainage. D’autre part, l’abandon du site a entraîné des modifications dans la composition granulométrique du sol du fait de l’effondrement
Q. LEMOULAND, G.PERRIN
Sur parcelle 1
Sur parcelle 2
Probabilité d’égalité
de moyenne
Espèces ayant un recouvrement plus fort au niveau de la parcelle 1
Agrostis curtisii
35.3±6.7
9.0±3.9
0.005
Cirsium filipendulum
2.8±1.2
0.1±0.1
0.005
Potentilla erecta
1.4±0.4
0.3±0.1
0.005
Teucrium scorodonia
6.5±0.7
2.0±1.0
0.005
Hypericum pulchrum
0.7±0.2
0.1±0.1
0.006
Galium saxatile
20.7±7.3
2.3±1.5
0.013
Polygala serpyllifolia
0.7±0.3
0.0±0.0
0.03
Hyacinthoides non-scripta
1.7±0.7
0.5±0.3
0.035
Viola canina subsp. canina
1.1±0.4
0.2±0.1
0.044
53.3±13.0
0.004
Espèces ayant un recouvrement plus fort au niveau de la parcelle 2
Molinia caerulea
3.0±1.0
Tableau 3 : espèces ayant un recouvrement différent entre les deux parcelles anciennes
des structures (augmentation de la concentration en
matériaux pierreux).
Toutes ces transformations entraînent des changements
d’humidité du sol. Ainsi, les zones de vestiges sont plus
sèches (tab.1). L’effondrement des murets plus ou moins
large, voire diffus, peut être à l’origine du gradient
hydrique observé en fonction de l’éloignement aux structures (fig.3). Le bâti montre une végétation plus xérophile
que les talus. Ces différences d’humidité observées peuvent être expliquées par :
la présence de fossés le long des talus à l’origine d’une
certaine rétention en eau des sols,
l’utilisation de matériaux de construction plus ou moins
drainants (talus de terre et bâti en pierre).
L’évolution des propriétés hydriques du substrat induites
par la présence de structures archéologiques a modifié la
dynamique du sol, et ainsi, ses propriétés chimiques.
Modification des propriétés chimiques du sol
L’humidité d’un sol est en partie à l’origine de son acidité.
En effet, l’eau présente dans les sols acidifie le milieu en
fixant le CO2 atmosphérique. Ainsi, les zones éloignées
de plus de 5,5 mètres sont les plus acides (fig.3). Même si
la différence entre les deux premières classes de distance
n’est pas significative, il est à noter que la végétation de
la classe 0-2 mètres est plus acide que celle de la classe 25,5 mètres. Cette classe étant entre autre représentée par
des relevés situés à l’intérieur des bâtiments, le piétinement passé a peut-être joué en ce sens. Cette hypothèse
pourrait être critiquable au sens où le temps écoulé aurait
favorisé le remaniement de ces sols par la pédofaune.
Cependant, le facteur acidité, reconnu comme inhibiteur
de la recolonisation lombricienne, aurait eu un rôle dans
le ralentissement de la décompaction du sol.
Cette hypothétique variation du pH, quoique peu marquée dans la végétation, peut être à l’origine d’une variation de la dynamique des humus. Un pH acide tend en
effet à baisser le S/T et à augmenter le C/N et ceci par le
ralentissement de la minéralisation des litières. Les litières
sont alors plus épaisses, ce qui a pu être observé sur le
terrain.
Les modifications de drainage dues au pendage et à la granulométrie seraient la cause d’un lessivage plus important
au niveau des structures, entraînant de ce fait certains minéraux utiles à la croissance des plantes. Les nitrates fortement
solubles pourraient ainsi être moins présents sur les structures. La végétation nous révèle toutefois le contraire (tab.1
et fig.3). Enregistrant des différences de nitrophilie relativement fortes sur un secteur à végétation de caractère oligotrophe, il faut envisager une cause anthropique dans l’enrichissement du sol sur les structures.
L’apport en éléments nutritifs proviendrait soit de l’accumulation de résidus liés à l’occupation du site (dépotoirs, latrines, cendres, fumure…), soit de la dégradation des matériaux organiques ayant servis à la
construction de l’habitat (bois, chaume…). En dépit de
cette hypothèse, le caractère nitrophile des talus ne diffère pas de celui du bâti. La fonction précise des fossés
à l’époque considérée reste inconnue en l’absence de
fouilles. Il est possible qu’ils aient servi de dépotoir ou
qu’ils aient collectés les lessivats provenant des bâtiments. L’effet observé de dépendance à la distance
peut être la conséquence d’un lessivage lié à la topographie des structures. Par ailleurs, aucun résultat ne
permet de conclure sur l’usage de différences de gestion agropastorale entre les deux parcelles.
Cet enrichissement du milieu tend donc à un développement d’espèces nitrophiles. Sur les vestiges, la disponibilité du milieu en nutriments ne représente plus un facteur limitant. Le recouvrement des espèces augmente
alors et les espèces entrent en compétition vis-à-vis d’autres facteurs comme la lumière par exemple (tab.1 et
fig.3).
241
Q. LEMOULAND, G.PERRIN
Afin de définir cette compétition, l’étude de la réponse de
la Fougère aux vestiges semble nécessaire, cette dernière
étant l’espèce dominante.
Comportement de la Fougère Aigle
Vis-à-vis des vestiges
La Fougère répond de manière positive à la présence de
vestiges, que ce soit en terme de recouvrement (tab. 2),
de hauteur ou de nombre de frondes. La hauteur se
trouve être un bon indicateur de distance aux structures.
Le nombre réduit de frondes dans la parcelle 2 peut être
lié à la présence d’autres espèces arbustives (Molinie,
Ajonc) susceptibles d’opposer une compétition à la
Fougère. La parcelle 2 montre une lande plus évoluée que
dans la parcelle 1, avec des chamaephytes et des graminées cespiteuses plus développées qui empêchent probablement la pleine expression de la Fougère. Un gyrobroyage moins poussé dans le bas du champ lors des opérations de relevé topographique en 2001 pourrait en être
la cause. Sur cette surface, la Fougère compenserait la
diminution de son développement spatial par l’émission
de frondes plus hautes afin de mieux capter la lumière.
La Fougère aigle semble être une bonne indicatrice de
vestiges, d’un point de vue statistique, et ceci tient au fait
que :
elle est présente sur tous les relevés,
son expansion est favorisée par son mode de reproduction végétative (rhizome) et n’est pas gênée par les
espèces herbacées.
En revanche, au vu de ses données autécologiques, il
n’est pas possible à ce stade de mettre en évidence l’influence d’un ou plusieurs facteurs dans l’hétérogénéité
spatiale de cette espèce.
Vis-à-vis des autres espèces
La Fougère est caractérisée entre autre par : une forte
productivité, un recouvrement souvent très important et
un fort pouvoir de colonisation. Elle est en outre capable
d’aller puiser les éléments (N,P,K) en profondeur grâce à
ses rhizomes (présents jusqu’à des profondeurs dépassant
le mètre) et participe ainsi à leur Turn-Over. Elle est par ce
fait une grande compétitrice. Sa litière épaisse limite le
développement des autres espèces alors que ses frondes
peuvent percer. Elle produit en outre des phytotoxines
(Grelen et Hughes, 1984).
Pendant la période de végétation, de part son abondance, la Fougère ne permet l’accès que d’une faible
quantité de lumière au sol. Ainsi, les zones où elle a un
fort pouvoir de recouvrement sont caractérisées par une
végétation de demi-ombre. Ne restent ainsi comme
espèces du tapis herbacé que les espèces les moins exigeantes en lumière (tab.1 et fig.3).
Ces espèces lumière-dépendantes ont ainsi un recouvrement indirectement lié à la répartition des vestiges.
242
Comportement des espèces accompagnatrices
Ces comportements de compétition des espèces vis-à-vis
de la lumière montrent que la présence comme l’absence
d’une espèce peuvent être indicatrices de vestiges. Les
tests statistiques (tab.2) ont permis de mettre en évidence
des espèces indiquant la présence de vestiges :
Par un recouvrement anormalement faible : La fermeture du milieu et son assèchement au niveau des vestiges peut être à l’origine de la disparition locale de certaines espèces plus exigeantes en lumière et en eau ou
moins compétitives pour ces facteurs. Ces espèces sont
par ailleurs bien adaptées à l’acidité élevée des zones
vierges de vestiges.
Par un recouvrement anormalement élevé :
Certaines espèces ne s’expriment pleinement que sur les
zones de vestiges où les nutriments sont suffisants pour
les satisfaire. La présence de vestiges induit aussi un assèchement et une fermeture du milieu. Les espèces les
moins exigeantes en eau et en lumière y sont favorisées.
Elles sont plus compétitives ou mieux adaptées à l’égard
de ces facteurs.
Complexité de l’histoire de la parcelle
La parcelle est marquée par de multiples évènements de
différentes natures, antérieurs, contemporains et postérieurs à la période considérée. Chacun peut avoir un
impact sur le milieu à chaque fois à une échelle différente.
Ces évènements ont induit une certaine hétérogénéité
des facteurs du milieu. L’appréhension de cette hétérogénéité ne peut passer que par la fouille et l’analyse physico-chimique d’échantillons de sol.
10. - Conclusion
Il est indéniable que les occupations anciennes ont un
impact sur l’humidité, l’acidité, la fertilité et la fermeture
du milieu. Cependant, on ne peut pas encore réellement
parler d’espèces indicatrices en l’absence d’analyses physico-chimiques de sol. C’est pourquoi, à l’heure actuelle,
l’étude de la végétation est difficilement adaptable à la
prospection archéologique.
Seule une intervention en phase de pré-diagnostic sur des
chantiers d’archéologie programmée ou préventive en
milieu semi-naturels peut permettre d’aborder les usages
anciens et la typologie des structures. L’analyse des variations anthropiques de la physico-chimie des sols semble
nécessaire à ce stade. Seule une étude conjointe de ces
données avec celles de végétation et de fouille permettra
de comprendre l’impact des usages anciens sur la végétation actuelle.
Il conviendrait à l’avenir d’étudier préférentiellement une
entité paysagère (tache de végétation homogène) et d’en
éliminer les marges afin d’éliminer tout effet écotone.
Q. LEMOULAND, G.PERRIN
Les milieux ouverts seront aussi privilégiés afin de réduire
les risques de compétition vis-à-vis de la lumière.
La complexité des phénomènes impliqués nécessite ainsi
de jongler entre différentes disciplines comme
l’Archéologie, la Pédologie et l’Ecologie.
Remerciements
Nous remercions tout d’abord Julien PETILLON et Loïc
VALERY du laboratoire d’ECOBIO (UMR 6553) pour leur
aide en statistiques. Merci aussi à Michael BATT du SRA
Bretagne pour toute la partie archéologie et microtopographie de l’étude. Nos remerciements reviennent enfin à
Dominique MARGUERIE du Laboratoire d’Archéosciences
qui nous a soutenus dans notre travail depuis le début.
Bibliographie
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243
244
Le projet “Saint Martin”. La mémoire du sol :
Restitution d’un paysage ancien par mesure de l’impact
de l’occupation et de pratiques agraires anciennes sur
le fonctionnement actuel du milieu biophysique.
Jean-Louis MAIGROT (1), Patrice BECK(2), Gérard CHOUQUER(3), Pierre CURMI(1),
Etienne DAMBRINE(4), Jean-Luc DUPOUEY(5), F. FAUCHER(6)
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
(6)
Etablissement National d’Enseignement Supérieur Agronomique de Dijon – BD 87999 – 21079 Dijon Cedex – [email protected]
Université de Paris I – LAMOP – 15 rue Fournerat – 21000 Dijon – [email protected]
Directeur de recherche au CNRS, équipe d’archéologie environnementale, UMR 7041, Nanterre
Unité Cycles Biogéochimiques – INRA – 54280 Champenoux – [email protected]
UMR-EEF, Equipe Phytoécologie forestière – INRA – 54280 Champenoux – [email protected]
Service régional de l’Archéologie de Bourgogne – Hôtel Chartraire de Montigny – 39 rue Vannerie – 21000 Dijon
Résumé
Le projet “La mémoire du sol” trouve son origine dans le séminaire “géographie des pratiques agricoles : temps long,
pratiques agricoles et territoire” qui s’est tenu en mars 2003 dans le cadre des séminaires “Géographie des pratiques
agricoles” organisés par le LISTO-SAD Dijon1. La question principale posée était relative à la prise en compte de l’histoire,
de la longue durée, voire très longue durée dans des raisonnements disciplinaires spécifiques des Sciences du sol et de
la vie, de la Géographie et de l’Agronomie : comment prendre en compte l’histoire pour comprendre la structuration,
l’organisation et le fonctionnement d’un territoire rural. De là, a émergé un ensemble de questions autour d’une problématique centrée sur la “mémoire” du milieu environnant, après prises et déprises anthropiques.
1. - Le Site
A l’occasion d’un affouage réalisé en 2001 dans les bois
de Cestres, sur la commune de Saint-Martin-du-Mont
limitrophe à l’Est de celle de Saint-Seine-l’Abbaye, ont été
redécouverts l’existence et l’intérêt scientifique de vestiges connus et inventoriés depuis au moins 1941 par les
membres de la Commission Archéologique de la Côte
d’Or2 (fig.1). Le long du « Chemin des Vaches » et à
proximité immédiate du « puits Gaillard », des ruines de
bâtiments signalaient l’existence d’un habitat disparu.
Des travaux érudits entrepris alors par Pierre Gounand,
historien résident à Bordes-Bricard, permettaient en première analyse de rattacher cet établissement au domaine
de l’abbaye bénédictine de Saint-Seine et d’en situer la
désertion au début du XVe siècle. Un relevé des structures
visibles au sol et un sondage archéologique réalisé en
2003 confirmaient l’existence d’au moins trois ensembles
de bâtiments entourés de vastes enclos, attestaient la
bonne conservation des vestiges, la fonction agro-pastorale de l’ensemble et la désertion au cours du XVe siècle
après une durée d’occupation difficile à évaluer mais
toute médiévale (fig.2).
Localisé en milieu forestier et inscrit dans un espace limité
par de puissants talwegs paraissant dessiner son territoire
(la « Combe Rat » à l’Ouest, la « Combe d’Eté » à l’Est
et le Val Suzon au Sud), il ne pouvait qu’attirer l’attention
à la fois des historiens-archéologues et des géographesagronomes spécialistes de la dynamique des paysages
agraires et des sols : le gisement offrait la possibilité de
recueillir et d’analyser les indices à la fois anthropiques,
morphologiques, pédologiques et biologiques nécessaires
à l’étude des modalités de formation, de développement
et de transformation d’un territoire rural du Moyen Âge à
nos jours ; il pouvait donner la possibilité de produire un
(1) Maigrot JL. , Soulard C. Laboratoire de recherche sur les innovations en agriculture Dijon (LISTO-D), département Systèmes Agraires et Développement (SAD) INRA.
(2) Mémoire de la Commission Archéologique de la Côte d’Or (CACO), 1938 et 39, Tome XXI,. Fascicule III et IV, page 269-270.
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J.-L. DUPOUEY, F. FAUCHER
0
250
500 m
Figure 1 : Commune de Saint-Martin du Mont - Bois de Cestres. Localisation de l’habitat déserté, (“G1”). Carte IGN 3022-ouest Saint-Seine-l’Abbaye 1/25000 et Extrait
de la mission aérienne Semur-St Seine 1953 (Cliché 099).
modèle d’occupation et d’usage du sol tenant compte
des dynamiques spatiales et temporelles à l’œuvre dans la
longue durée.
Dans le prolongement des résultats obtenus en 2003, une
équipe pluridisciplinaire a été constituée : elle s’est attachée en 2004 à poursuivre l’exploration diagnostic du
gisement en réalisant une enquête approfondie des
sources archivistiques et cartographiques, en opérant
aussi sur le terrain, tant sur l’habitat que sur l’ensemble
de son environnement forestier, des prospections, pédestres et géophysiques, des sondages archéologiques et des
analyses pédologiques systématiques (fig.3).
2. - Contexte Archéo-Géographique
Trois faits singularisent le finage de Saint-Martin-duMont. Sa taille est exceptionnellement grande (3701
hectares au cadastre et les communes de cette superficie
ne se rencontrent dans la région qu’en situation forestière
ou en zone d’habitat dispersé3). C’est le cas ici car le couvert boisé y est fort vaste et l’habitat dispersé sur 5
hameaux et demi4 et sur 3 écarts, parfois de taille supérieure au village-centre. En sus des habitats existants, sont
localisés deux sites abandonnés qui ne participent plus de
l’organisation générale actuelle du finage mais dont les
traces restent fort visibles dans les bois de Cestres dominant au nord le Val-Suzon. Les dénombrements des feux
réalisés à partir de la fin du XIVe siècle5 mentionnent avec
les hameaux toujours présents des habitats disparus
aujourd’hui : les Bordes Gaudot présentes de 1371 à
Figure 2 : Relevé GPS de l’habitat déserté au Bois de Cestres (J.-L. Maigrot, 2003.)
(3) Par exemple, la commune de Saint Martin de la Mer aux marges du Morvan, compte une vingtaine de hameaux pour 2000 hectares.
(4) Autre bizarrerie héritée de l’histoire, le hameau de Fromenteau est partagé en son milieu entre les communes de Saint-Martin et de Trouhaut
(5) Archives départementales de la Côte d’Or, Série B.
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Partant de l’observation, sur la carte topographique
1:250006, d’une structuration du territoire de forme circulaire, parfaitement nette autour de la Borde Pillot, on a alors
appliqué une modélisation s’appuyant sur une analyse gravitaire7. On s’aperçoit ainsi qu’il y a effectivement de la place
sur le territoire actuel de Saint -Martin-du-Mont, mais sous
forêt, pour les finages des deux habitats certes abandonnés,
mais participant bien à une organisation générale du territoire montrant un ensemble d’habitats régulièrement situés
sur le plateau limitant au Nord la haute vallée du Suzon
(Bordes Pillot ; G1 ; G2 ; Plain d’Ahuy).
Figure 3 : vue du site (janvier 2005) en direction du Sud. Reste d’une structure
dégagée partiellement en 2003/2004 et correspondant probablement à une habitation.
1423, Les Bordes Cuylles, La Borde Guenier et Les Bordes
d’Esquilles respectivement attestées plus ponctuellement
en 1371, 1350 et 1381 ; La grange Germaine et La
Nouvelle France n’apparaissant qu’au XVIIe siècle. La localisation de ces habitats désertés reste à préciser mais deux
d’entre eux doivent bien correspondre aux deux sites
désertés localisés sur le terrain et identifiés, en attente,
sous les sigles “G1”, et “G2” (fig. 4).
Cette configuration est en tout cas l’héritage de l’histoire
démographique et du mode d’exploitation, puis du partage « républicain » du domaine foncier de la puissante
abbaye de Saint-Seine, située dans l’actuelle commune
limitrophe de Saint-Seine-l’Abbaye.
Les habitats désertés du bois de Cestres font référence au
mode généralisé de l’exploitation des grands domaines
dans le milieu monastique : la création des « granges »
ou « bordes », ces grosses fermes isolées mettant en
valeur des terres qui peuvent être fort éloignées du centre de la seigneurie. C’est évidemment le cas pour le
domaine de l’Abbaye de Saint-Seine.
A l’instar de la Grange du Mont (Beck, 1989), ils peuvent
de surcroît témoigner de l’évolution générale des structures de peuplement de la fin du Moyen Âge : nés de la
nécessité économique d’exploiter toujours plus de terres
pour répondre à la pression démographique des XIIe-XIIIe
siècles, ils sont installés aux marges des finages constitués, sur des terres ingrates vouées jusqu’alors à l’exploitation extensive du saltus ou de la silva ; ils sont les premiers et finalement les seuls à disparaître au moment de
la déprise démographique et donc agricole du temps de
la Peste Noire.
La consolidation de ces constatations et la validation de
ces hypothèses nécessite une analyse géographique du
finage sur un espace plus vaste et sans barrière chronologique. Aussi, une contribution archéogéographique
s’impose pour rendre compréhensible l’organisation
actuelle du territoire et donner un sens à la localisation
des sites G1 et G2.
Le travail d’archéogéographie en cours (Chouquer,
2004) présente la spécificité suivante. Il s’agit de travailler sur les formes des paysages telles que les documents planimétriques les enregistrent depuis deux siècles et demi environ avec une abondance et une précision grandissantes au fur et à mesure qu’avancent la
cartographie et l’imagerie contemporaines.
Jusqu’à présent on considérait l’agencement de ces
formes comme « actuel », « synchrone », et on en
confiait l’étude au géographe, spécialiste des états planimétriques actuels. S’il pouvait y avoir de l’ancien,
c’était soit du relictuel (rarissime, sauf dans quelques
milieux particuliers), soit du “miraculeusement
conservé”.
La démarche proposée est toute autre. L’actuel est vu
comme une somme assez invraisemblable de passés de
toutes sortes et de tous âges, formant une structure
auto-organisée complexe, dans laquelle il est vain et
dangereux de vouloir périodiser a priori. Ceci exclut,
sauf cas exceptionnel lié à l’existence d’une documentation explicite, de pouvoir répondre aisément à la
question de la confection de la carte du paysage à
l’époque de… Non pas que cette question soit illégitime, bien au contraire. Mais les réponses ne vont plus
de soi et le fait même de s’attacher uniquement à ce
genre de question signe, de ce point de vue, un risque
de lecture morpho-historique assez gênant, c’est-à-dire
un risque de combler par de la rhétorique les vides de
la connaissance.
A Saint-Martin-du-Mont, il s’agira donc d’étudier une
forme produite par les dynamiques de plus ou moins long
terme, et d’envisager les questions suivantes :
(6) Carte IGN 1 : 25 000e 3022 Ouest et Est
(7) L’analyse spatiale met en évidence des structures et des formes d’organisation spatiale récurrentes, que résument par exemple les modèles centre-périphérie, les champs
d’interaction de type gravitaire, les trames urbaines hiérarchisées, les divers types de réseaux ou de territoires, etc.
247
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J.-L. DUPOUEY, F. FAUCHER
des séries de cartes envisageant l’espace concerné à différentes échelles et dessinant des formes précises. Cette
enquête ne se fixera pas comme objectif premier (même si,
encore une fois, la question est légitime) de faire l’histoire
périodisée de cette zone, mais plutôt de dire quels sont les
objets pertinents qui se dégagent de la cartographie des
formes, et selon quelles voies on peut les interpréter.
Elle fournira par conséquent des matériaux pour la
connaissance et la prise en compte des héritages dans
l’actuel, pour leur évaluation à des fins d’aménagement,
pour la connaissance des dynamiques à l’œuvre dans cet
espace particulier.
3. - Ce que nous apprennent les sciences
du sol et l’étude de la végétation
Figure 4 : Emprise théorique des habitats du finage de Saint-Martin-du-Mont. Les
habitats de Saint-Martin-du-Mont : SM-Ce, l’ensemble Saint-Martin, Cestres,
Froideville, Lc, La Casquette, BBr, Bordes Bricard, Fr, Fromenteau, BP, Bordes Pillot;
G1 ; le site d’étude, G2, un site similaire à G1 ; et PAh, Plain d’Ahuy seul habitat à ne
pas relever du finage de Saint-Martin, mais qui participe au mode d’organisation des
finages le long de la vallée du Haut Suzon. La partie centrale n’est pas attribuée à un
habitat mais, sur le terrain, on y observe une configuration parcellaire très particulière
et divers meurgers qui suggèrent l’existence possible d’un autre centre d’habitat.
Le réseau de l’habitat est-il responsable de la forme de
la trame viaire et parcellaire ou bien y a-t-il indépendance entre les deux ?
La forme de la trame viaire et parcellaire présente-t-elle
des régularités ? Si oui, lesquelles ? Et ces régularités
doivent-elles être mises sur le compte d’interventions
sociales volontaires ou, au contraire, de processus autoorganisés ?
Les aménagements des sociétés produisent des formes
et des modelés hybrides : entre hydrographie, végétation, modelé agraire, communication, habitat. Peuventils être cartographiés pour ce qu’ils sont ?
Les territoires historiques repérables (paroisse, commune, canton...) ont-ils été ou non, et en quelle proportion, déterminés par les autres éléments de la planimétrie, trames et réseaux ?
L’enquête archéogéographique produira essentiellement
248
Les pratiques culturales modifient souvent et profondément la structure et le cycle des matières organiques du
sol. Les cycles majeurs du carbone et de l’azote présentent alors des perturbations qui s’observent principalement par des variations importantes des stocks de
matières organiques et l’augmentation globale de la
capacité de minéralisation des sols. En France, en raison
d’un passé cultural ancien, un faisceau d’observations
récentes tend à montrer que ces modifications sont
durables. En effet, depuis la fin du XIXe siècle, dans les
espaces forestiers ayant reconquis un paysage agricole,
l’utilisation ancienne des sols est discernée. Pour les
sols vosgiens, Koerner et al. (1999), Jussy et al. (2001)
montrent que le potentiel de nitrification et la composition isotopique 15N, de l’azote du sol sont différents
selon l’ancien mode d’utilisation des sols : pâture,
champ, pré et jardin. Parallèlement et parfois sur les
mêmes sites, l’étude des populations végétales montre
encore que les modifications des propriétés des sols de
ces forêts récentes se traduisent par la conservation
d’espèces végétales nitrophiles ou phosphorophiles aux
dépens des espèces végétales de la forêt naturelle
(Dupouey et al., 2002 et 2003). Les modifications des
propriétés du sol se traduisent probablement ellesmêmes par des modifications pérennes de la structure
des communautés microbiennes et de la microflore présente. Cette perspective de recherche nous semble également prometteuse pour notre site d’étude de SaintMartin-du-Mont (fig.5).
Quels sont les principaux changements observés par les
équipes INRA de Nancy (Phytoécologie forestière et
Cycles biogéochimiques) dans les sols forestiers présentant un passé agricole ?
sur la structure des sols : le labour et l’épierrement
modifient le régime hydrique (augmentation de la
réserve en eau) et la structure (désagrégation des
agrégats grossiers, compactage).
J.-L. MAIGROT, P. BECK, G. CHOUQUER, P. CURMI, E. DAMBRINE,
J.-L. DUPOUEY, F. FAUCHER
pour les nutriments du sol : les fertilisations organiques et minérales augmentent généralement les
stocks de nutriments disponibles (CEC, phosphore
assimilable, azote-nitrate) et le pH des sols.
concernant les cycles du carbone et de l’azote : les
pratiques culturales, en particulier la fertilisation
organique, tendent dans leur ensemble à augmenter
les capacités de minéralisation des sols. Ainsi, le
potentiel de nitrification nette est généralement plus
élevé et les rapports C/N systématiquement plus bas
dans les sols forestiers ayant eu un passé agricole. Les
abondances naturelles des isotopes de l’azote sont
également différentes dans ces anciens sols agricoles.
Cela se traduit par la mesure de rapports isotopiques
15
N, systématiquement plus élevés dans les sols enrichis par les déjections animales (fumier) et dans les
plantes qui poussent sur ces sols (fougère, Dryopteris
carthusiana).
Comme le résume Jussy et al. (2001) : «… l’influence
des anciennes utilisations agricoles peut être expliquée
par des transferts de fertilité… le rapport restitutions/prélèvements croît généralement dans l’ordre forêtpâture < champ-pré < jardin. … ».
Ces récents travaux soulèvent immédiatement une question d’ordre général : les différents types de sols conservent-ils durablement l’empreinte d’un passé agricole ?
ainsi qu’une question d’ordre méthodologique : le traceur isotopique 15N, est-il un indicateur générique de
l’usage agricole des sols ?
Pour ces deux questions, l’étude du site médiéval de St
Martin-du-Mont peut être une réponse supplémentaire.
Sur ce site archéologique en cours d’étude, la démarche
méthodologique sera la suivante :
des fractions de sols et des sols totaux seront prélevés
à différentes profondeurs : la description en fosses
pédologiques, la cartographie des sols et les analyses
physico-chimiques élémentaires (pH, carbone organique, calcaire total) nous permettront de choisir différentes profondeurs de sols pour les mesures géochimiques et isotopiques. Les analyses géochimiques spécifiques (C/N, formes de l’azote et du phosphore) et les
analyses isotopiques 15N seront effectuées sur une
sélection de sols totaux pour lesquels deux fractions
granulométriques fines du sol total seront également
extraites et analysées.
sur une espèce végétale, ubiquiste sur le site d’étude et
associée à un point de prélèvement de sol, des échantillons ayant un aspect général similaire seront sélectionnés et différents organes de la plante seront prélevés et analysés pour leur composition isotopique 15N :
tige, feuille, racines, graines.
Ces relevés et observations donneront lieu à :
la cartographie et les analyses physico-chimiques élémentaires des sols sur le territoire communal : description des formations pédologiques du secteur d’étude.
Figure 5 : Un exemple de variabilité spatiale des sols en parcelle 15. A proximité d’une construction dont on voit le parement mis à jour par la fouille, on observe un sol
peu épais (10 à 20 cm) sombre, sur le substrat rocheux callovien, compact difficilement pénétrable. A quelques mètres de distance, à l’intérieur d’une structure interprétée
comme un enclos cultural, on observe un sol plus profond (60 à 80 cm), plus clair. La différence de niveau entre les deux surfaces calcaires et la présence de fragments de
poterie jusqu’au contact avec la table rocheuse, suggèrent que le sol observé dans l’enclos a dû être rapporté après creusement.
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la synthèse des données pédologiques, phytoécologiques et archéologiques : identification de situationstypes.
des analyses géochimiques de différents horizons de
sols à proximité et dans les habitats, les bâtisses et les
enclos identifiés ainsi que sur les transects à l’échelle de
la zone d’influence de l’habitat : utilisation des outils
géochimiques et isotopiques pour caractériser et
confirmer les situations-types.
4. - La prospection pédestre
L’objectif principal de la recherche est de permettre la
caractérisation d’un éventuel terroir en lien avec l’habitat
déserté situé dans l’actuelle parcelle forestière n°15
(fig. 1) qui fait l’objet de fouilles archéologiques. La zone
d’étude semble en effet pouvoir correspondre au finage
(ou à une partie du finage) de cette probable dépendance
de l’abbaye de Saint-Seine, tardivement intercalée aux
marges des terroirs déjà constitués et précocement abandonnée. Peut-être s’agit-il de cette “Borde Gaudot” que
les dénombrements médiévaux mentionnent jusqu’en
1423.
Il convenait donc d’appréhender d’un point de vue historique ce micro territoire comme un lieu soumis aux activités humaines et tenter par une approche archéologique
fine de définir celles-ci, de les comprendre pour proposer
des hypothèses d’organisation et d’exploitation du terroir.
Dans le cadre de la prospection à vue, il s’agissait de prendre en compte toutes les anomalies anthropiques visibles
au sol (structures en creux et/ou en élévation). Un accent
particulier a été donné à l’analyse du réseau des chemins.
La prospection doit en effet permettre de caractériser une
éventuelle fossilisation des chemins anciens. Ces derniers
peuvent être considérés comme des marqueurs importants de la structuration de l’espace même si rien ne permet de proposer une date de création et de restituer les
phases d’activation. Un relevé précis des creusements,
dont certains sont liés de façon incontestable à des
extractions de matériaux, des murets (limite Nord du
bois), des tertres, des charbonnières et de toutes les
autres anomalies pédologiques et micro-topographiques
rencontrées, a également été dressé. Quant au ramassage systématique des mobiliers de surface, il s’est révélé
du fait du contexte forestier, largement improductif.
Un repérage à vue a d’abord été effectué, avec un relevé
manuel réalisé en fonction des distances (en pas par rapport
au parcellaire de l’ONF). Les parcelles ont été explorées les
unes après les autres en portant sur une carte au 1/25000e
à la fois le tracé des chemins et la position des anomalies.
Pour les chemins, une première tentative de chronologie
relative a été réalisée : ont été distingués comme critères discriminants la présence d’arbres ou d’arbustes à l’intérieur
même du chemin, la visibilité ou non des ornières et, surtout, le cas échéant, les croisements qui permettent, par
l’analyse de l’intersection d’établir au moins une chronologie relative du dernier usage (fig.6).
Une fois terminé, le repérage général a permis de dresser
un premier état de la recherche sur la totalité des parcelles. Le positionnement précis (Lambert II étendu) est en
cours de réalisation à l’aide d’un GPS (Trimble Géo
Explorer XT) : il alimentera une base de données sous
ArcMap.
Il reste à mener l’étude fine des informations recueillies
qui seule peut permettre, dans une certaine mesure, de
distinguer plusieurs réseaux viaires successifs. Les chemins
reconnus sont en effet d’importances et, sans doute,
de datations et de durées de vie forts diverses.
Certains chemins sont toujours actifs et d’autres sont
visiblement abandonnés (présence d’arbres), totalement ou seulement partiellement : mais depuis
quand ? Tous n’ont pas fonctionné en même temps et
toute l’interrogation porte sur l’individualisation des
différentes strates de mise en place et d’activité de ces
cheminements. Les chemins existant à la fin de
l’époque médiévale ont-ils été abandonnés et/ou ceux
qui sont encore actifs aujourd’hui sont-ils l’héritage
de ceux présents au bas Moyen Age.
En l’état, seules quelques constatations générales
peuvent être énoncées à partir de cette carte générale
des cheminements reconnus, mais elles ne sont pas
négligeables :
5. - Méthodologie
Pour cette recherche, nous avons profité des expériences
réalisées en forêt de Châtillon (Pautrat, 2001 et 2002).
Une méthode identique a été employée avec cependant
une adaptation liée aux spécificités du bois de Cestres,
notamment pour le relevé et la caractérisation des très
nombreux chemins.
250
Figure 6 : Un chemin dans le bois de Cestres, le bas du “chemin des Vaches” vers
la “Combe d’Eté). Ce chemin qui n’est plus utilisé reliait Froideville-St martin au Val
Suzon, à travers l’actuel “Bois de Cestres”, longeant le site “G1”, qu’il devait desservir. Il fait partie de ces grands itinéraires qui structurent le territoire.
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Les cartes IGN actuelles, les plans cadastraux des
XIXe et XXe siècles comme les plans seigneuriaux des
bois de Saint-Seine levés au XVIIIe siècle, sont muets
sur ces bois de Cestres, y montrent de larges
espaces opaques. La prospection y révèle au
contraire un dense et foisonnant réseau de cheminements. Les uns sont traversants, comme le
“Chemin des Vaches”, et relient les agglomérations
du plateau au Val-Suzon ; les autres, prenant sur les
premiers, ne sortent pas des bois, en constituent les
voies de circulation, les axes d’exploitation.
Le «Bois de Cestres» a bien fourni des noeuds de
chemins : dans les parcelles ONF 5, 6, 16, 29 et 38.
Ils amorcent des formes radio-concentriques qui,
selon les schémas classiques d’analyse des formes
historiques du paysage, notamment pour l’époque
médiévale, suggèrent fortement la présence d’habitats. Il faudra y être attentif même si, à première
vue, rien dans la topographie et la pédologie de ces
lieux n’a retenu l’attention. Ce qui est remarquable
c’est que l’habitat déserté de la parcelle 15 n’a
généré apparemment aucun réseau de ce type. Sa
présence ne perturbe pas l’orientation générale
Nord-Ouest / Sud-Est des chemins donnée par le
« chemin des vaches » qui, passant à quelques
dizaines de mètres au sud de l’habitat, paraît être
un chemin structurant très fort. Il rejoint l’ensemble
Cestres-Froideville puis l’abbaye de Saint-Seine au
Nord, descend dans la combe d’Eté pour atteindre
le Val Suzon au Sud.
Certains chemins, notamment sur les limites Nord et
Ouest du massif forestier, débouchent ou traversent
des « chaumes » en train de se fermer ; d’autres,
sous couvert forestier, aboutissent à ce qui semble
bien être des « enclos culturaux », aménagés en
épierrant des espaces correspondant à la présence
de formations superficielles du type « limons de
plateaux ». Ces « clairières », actives ou reconquises par la végétation, qu’il conviendra de renseigner davantage en établissant leur signalement
pédologique et phytosociologique, sont situées
essentiellement dans les parcelles forestières
actuelles 6 et 7, 20, 21 et 31. Elles sont bien loin de
l’habitat de la parcelle 15 et ne sont pas datées. Si
elles témoignent de mises en culture ponctuelles du
massif boisé, rien n’indique qu’elles soient contemporaines de l’habitat.
D’autres structures anthropiques ont été ici et là
repérées. Des mares dont certaines doivent être
contemporaines, servent encore aujourd’hui à l’entretien du gibier. De nombreux creusements se
signalent dans les parcelle 16 et 26, à proximité de
l’habitat déserté : des zones d’extraction sans doute
mais de quoi et de quand? Deux tertres circulaires
situés dans les parcelles 29 et 39, semblent correspondre à des aménagements humains sans doute
anciens mais rien aujourd’hui ne permet ni de préciser la chronologie ni d’évoquer une interprétation
fiable. Les charbonnières se concentrent dans le
secteur Sud du bois à proximité du Val Suzon et des
deux combes (d’été et Rat) : leur présence est liée à
la forge du Val Suzon encore en activité jusqu’au
milieu du XX e siècle (fig.7).
Ce travail de prospection au sol doit être complété fin
2006 par des levées laser aéroportées qui permettent
la réalisation d’un Modèle Numérique de Terrain avec
une résolution spatiale inférieure au mètre y compris
sous forêt (Sittler, 2004).
Figure 7 : Résultat des prospections au sol : cheminements, clairières, charbonnières, creusements et amas pierreux.
6. - La fouille de l’habitat
Après un relevé de la topographie et des anomalies pédologiques de surface des zones concernées, quatre sondages archéologiques ont été ouverts dans quatre secteurs différents de l’habitat déserté, afin d’en évaluer
aussi largement que possible la configuration et la
richesse : l’exploration des profondeurs et des agencements stratigraphiques, des orientations et de la nature
251
J.-L. MAIGROT, P. BECK, G. CHOUQUER, P. CURMI, E. DAMBRINE,
J.-L. DUPOUEY, F. FAUCHER
des structures construites, des fonctions des espaces et
des datations des occupations a été ainsi menée sur un
peu plus de 30 m2 de superficie. Les fouilles actuellement
en cours (2006) confirment l’importance du site qui se
révèle être un petit hameau avec son parcellaire associé.
Les développements ultérieurs permettront, par l’analyse
de l’organisation spatiale de l’habitat et des mobiliers
associés, de préciser les orientations des activités de production du groupe résidant, et donc, de définir des pistes
de recherche pour restituer l’organisation du finage
(fig.8).
modifications des structures paysagères, des flux de
matières, d’évolution de la diversité biologique et de
transformations des peuplements et des écosystèmes. Un
usage long et particulier du milieu peut entraîner une
transformation importante du milieu physique modifiant
les flux et les bilans de matière, les cycles bio-géochimiques, allant jusqu’à dépasser les capacités d’adaptation
des écosystèmes aux changements imposés. Le ou les systèmes en cause étant ouverts, en interaction constante
avec l’environnement global tant naturel (climatique en
particulier) qu’humain (crise économique, sociale et politique), ils peuvent être soumis à de fortes perturbations
exogènes.
Au total, l’histoire, (endogène et exogène) d’un écosystème anthropisé (un anthroposystème) conduit alors à sa
transformation en d’autres systèmes adaptés différemment aux nouvelles conditions avec des réajustements
autour de nouveaux équilibres dynamiques.
Collaborations scientifiques
Figure 8 : Mandibule de bovin sur sol d’utilisation du bâtiment H2.
7. - Le projet Saint Martin
Comment en ce lieu les hommes ont-ils pu tirer parti du
milieu pour en vivre ? Quels aménagements ont-ils dû
réaliser pour cela ? Comment ont-ils organisé leur parcellaire ? Voici quelques questions que l’on peut se poser à
propos du site “G1” en “Bois de Cestres” sur le finage de
la commune de Saint-Martin-du-Mont. Il s’agit alors d’envisager une agronomie historique des pratiques, lesquelles étant des manières concrètes d’agir, ont produit
des formes aujourd’hui archéologiques, des perturbations
qui ont été enregistrées par le milieu. Il faut donc mettre
en relation des formes archéologiques avec des pratiques
disparues, ce qui demande une connaissance historique
des techniques : la question est celle de la mesure des
arrières effets sur le fonctionnement biogéochimique
actuel du milieu.
Répondre à ces questions demande de produire un
modèle d’occupation et d’usage du terrain dans une
perspective dynamique de quelques siècles.
Les réponses des milieux biophysiques à la mise en œuvre
des modes d’occupation et d’usage du milieu se font à
différentes échelles de temps et d’espace, en terme de
252
Ecole doctorale LIS 202. UMR Archéologie, cultures et
sciences 5594. UFR Sciences de la terre. Dijon. (Mordant
Cl., Petit C.).
Equipe GéoSol/Géochimie des interfaces Sol-Eau. Centre
des Sciences de la terre. Dijon. (Levêque J.).
UMR Ecologie et Ecophysiologie forestière. Equipe
Phytoécologie forestière. INRA-Champenoux. (Dupouey
J.L. Royer J.M.).
Cycles biogéochimiques Unité Biogéochimie des écosystèmes
Forestiers. INRA Nancy-Champenoux. (Dambrine E.).
Laboratoire de ChronoEcologie. UMR 6565. Université de
Franche Comté. (Richard H.).
GdR 2137 “TESORA” CNRS. Maison de l’Archéologie et
de l’Ethnologie. Nanterre (Chouquer G.).
Unité Milieu Physique et Environnement. Département
agronomie et Environnement. ENESAD Dijon. (Curmi P.
Maigrot J.L.).
Service Régional de l’Archéologie-Bourgogne. (Faucher F. )
Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris.
Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. (Beck P. )
Autres partenaires
Association des Amis de l’Histoire du Pays de Saint Seine.
(Gounand P., Canat C.).
Commune de Saint-Martin-du-Mont.
Comité de commune du Pays de Saint Seine.
J.-L. MAIGROT, P. BECK, G. CHOUQUER, P. CURMI, E. DAMBRINE,
J.-L. DUPOUEY, F. FAUCHER
Bibliographie
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grange du mont (Charny, Côte d’Or), Document
d’Archéologie Française, n°20, Paris.
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for Forest and Landscape Asserssement. Thies M., Koch
B., Spiecker H., Weinacker H. Editors. Volume XXXVI. Part
8/W2. October, 3-6 2004. Freiburg.
253
254
Effets à long terme des pratiques agricoles sur les
populations d'arthropodes : inventaire du site de
Thuilley-aux-Groseilles (54)
Anne VALLET(1), Michel LOUBÈRE(2), Hervé JACTEL(3), Gilles JACQUEMIN(4),
Jean-Claude STREITO(4), Luc PLATEAUX(4), Thierry ROBERT(4), Nicolas KAMINSKI(4),
André CLAUDE(4), Etienne IORIO(4), Jean-Luc DUPOUEY(5) et Etienne DAMBRINE(6)
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
(6)
ENTOMO-LOGIC, 14 rue Bailly, 54000 Nancy, [email protected]
MALACHIUS, 19, Rue Braconnot, 54000 Nancy, [email protected]
INRA, UMR Biodiversité, Gènes et Ecosystèmes, INRA-Bordeaux, 33612 Cestas, [email protected]
Société Lorraine d'Entomologie, Muséum-Aquarium de Nancy, 34 rue sainte Catherine, 54000 Nancy
UMR Ecologie et Ecophysiologie forestières, INRA-Nancy, 54280 Champenoux, [email protected]
Unité Cycles Biogéochimiques, INRA-Nancy, 54280 Champenoux, [email protected]
Résumé
On étudie l’impact de l’utilisation gallo-romaine ancienne sur la diversité des espèces d’arthropodes dans la forêt de
Thuilley-aux-Groseilles. Dans 6 sites (3 proches des habitats gallo-romains et 3 en zone non perturbée), les arthropodes
ont été piégés dans 4 types de piège pendant une saison de végétation. Sur les 8914 individus identifiés, 433 espèces
ont été déterminées. La diversité de Shannon moyenne par site est élevée (5,5 binons). Il n’apparaît pas de différences
importantes entre types d’utilisation ancienne pour les paramètres classiques de diversité (richesse spécifique, diversité
de Shannon, nombre total d’individus observés). Par contre, les cortèges d’espèces présents sur les sites perturbés ou
non perturbés par l’agriculture ancienne se séparent très nettement sur l’axe 1 de l’analyse factorielle des correspondances du tableau espèces x sites, indiquant la présence fréquente d’espèces liées de façon préférentielle à l’un ou l’autre des types d’utilisation ancienne. Parmi les individus présents sur les sites perturbés dominent les espèces vivant au
dépens des animaux (coprophages, hématophages, parasitoïdes). A contrario, les populations de la forêt non touchée
par l'occupation humaine ancienne sont dominées par les espèces vivant au dépens de la végétation sous toutes ses
formes (phytophages, xylophages, saproxylophages). Ces premiers résultats mériteraient d’être étendus à d’autres sites,
afin en particulier d’écarter le risque de confusion de facteur entre utilisation ancienne et d’autres paramètres environnementaux.
Abstract
We studied the impact of Roman land-use on species diversity of arthropods in the forest of Thuilley-aux-Groseilles. At
6 sites (3 close to the ancient Roman settlement and 3 in surrounding undisturbed areas), arthropods were captured in
4 different types of traps, during one season of vegetation. Among the 8914 individuals identified, 433 species were
determined. Average Shannon diversity per site was high (5.5 binons). There was no important difference between types
of ancient land use for the classical diversity indicators (species richness, Shannon index, total number of individuals
counted). But, the sets of species found in disturbed and undisturbed sites were clearly separated along the first axis of
a factorial correspondence analysis of the species x sites table. Thus, a significant proportion of species preferred one or
the other ancient land-use type. In sites close to the settlement, species feeding upon animals in a broad sense
(coprophagous, hematophagous, parasitoids) dominated. In remote, undisturbed, sites, species feeding on plants dominated (phytophagous, xylophagous, saproxylophagous). These first results indicate that very ancient land-use probably
not only impact soil fertility and plant diversity, but also arthropods community composition. They should be extended
to other situations, in order to discard any confusion between the role of ancient land-use and other confounding factors.
255
A. VALLET, M. LOUBÈRE, H. JACTEL, G. JACQUEMIN, J.-C. STREITO, L. PLATEAUX, T. ROBERT,
N. KAMINSKI, A. CLAUDE, E. IORIO, J.-L. DUPOUEY, E. DAMBRINE
1. - Introduction
Les changements d’utilisation du sol sont l’un des facteurs majeurs d’évolution de la biodiversité. Leur impact a
pour l’instant été principalement étudié sur les végétaux
supérieurs. Nous nous proposons ici de caractériser l’effet
de la mise en culture ancienne sur les populations d'arthropodes. Ce travail fait suite à un précédent projet intitulé “Incidence des pratiques agricoles passées sur la biodiversité végétale en milieu forestier”, au cours duquel il
a été montré que l’usage ancien des sols forestiers à des
fins agricoles engendrait des variations de la composition
de la végétation herbacée, qui pouvaient perdurer pendant de très longues périodes, voire être irréversibles à
l’échelle historique (Dambrine et Dupouey 2000,
Dupouey et al. 2002).
Nous avons travaillé en forêt de Thuilley-aux-Groseilles
(54), dans la région des plateaux calcaires de Lorraine.
Ces plateaux ont été largement occupés au cours de la
période gallo-romaine. Les prospections en cours tendent
à montrer qu’à cette époque la forêt n’occupait qu’une
partie restreinte des surfaces actuellement forestières.
Depuis la fin de l’époque romaine et jusqu’à nos jours,
ces terrains ont été occupés par la forêt et l’agriculture
s’est perpétuée dans le fond des vallées, sur des sols plus
profonds. Par contre, la végétation forestière actuelle
garde la marque de l’occupation agricole ancienne des
sols (Dupouey et al. 2002).
Figure 1 : Carte des structures gallo-romaines et emplacement des relevés effectués.
256
Dans l’écosystème forestier, l’entomofaune est un compartiment important. Les arthropodes interviennent dans de
nombreux processus écologiques ou réseaux trophiques et
contribuent de façon majeure à la biodiversité. De plus, les
caractéristiques de nombreuses espèces à pouvoir de dispersion faible et exigences écologiques plus ou moins
strictes en font de bons indicateurs des changements du
milieu à une échelle spatiale fine. Le but du travail dont
nous présentons ici les premiers résultats est d’évaluer l’impact à long terme des perturbations d’origine galloromaine sur les assemblages d’espèces d’insectes.
2. - Méthodologie
Nous avons échantillonné 6 sites différents situés dans la
forêt communale de Thuilley-aux-Groseilles (figure 1) : 3
sites placés à proximité d’anciennes habitations galloromaines (sites n°1, 2 et 3, nommés ci-après « sites perturbés ») et 3 sites éloignés des vestiges (sites n°4, 5 et 6,
appelés « sites non perturbés »). Sur ces sites, nous avons
effectué un piégeage continu d’avril à septembre 2004
des insectes par différentes méthodes (pièges Malaise,
pièges à fosse, pièges vitre, battage et fauchage de la
végétation). L’utilisation de plusieurs méthodes est indispensable pour inventorier des espèces aux traits d’histoire
de vie les plus variés possible. L’aspirateur (D-Vac) a été
testé à une date, mais abandonné par la suite en raison
de son poids qui le rend difficile à manier pour une personne seule.
A. VALLET, M. LOUBÈRE, H. JACTEL, G. JACQUEMIN, J.-C. STREITO, L. PLATEAUX, T. ROBERT,
N. KAMINSKI, A. CLAUDE, E. IORIO, J.-L. DUPOUEY, E. DAMBRINE
Taxons
Nom commun
Coleoptera
Coléoptères
Dictyoptera, Mecoptera,
Odonata, Raphidioptera
Diptera
Heteroptera
Hymenoptera Formicidae
Hymenoptera Ichneumonidae
Hymenoptera Vespidae
Lepidoptera
Opiliones
Blattes,Mouches-scorpion,
Libellules,Raphidies
Diptères
Punaises
Fourmis
Ichneumons
Guêpes
Papillons
Faucheux
Tableau I : Liste des taxons étudiés.
Parmi les arthropodes récoltés nous avons trié et déterminé les taxons indiqués au tableau I, soit les deux tiers
environ du volume récolté. Les tiques (Ixodidae), fréquentes au battage et au fauchage, ont été comptabilisées sans faire l'objet d'une détermination à l'espèce. Les
Ichneumonidae ont fait l'objet de détermination à l'espèce pour un seul prélèvement sur les 6 sites, daté du
28/09/04. En effet, la détermination de tous les individus
ramassés aurait pris trop de temps vu leur nombre et la
difficulté de détermination dans ce groupe. Parmi les
espèces trouvées, une serait nouvelle pour la France :
Lissonota (Lissonota) clypealis Thomson, 1877. Cette
espèce est connue du Royaume-Uni, d'Allemagne, de
Suisse et d’Italie mais ne semble pas avoir été mentionnée
en France. Un seul hôte lui est connu : Tineola bisselliella
(Lépidoptères) mais celui-ci n'a pas été capturé dans nos
pièges.
3. - Résultats
Au total, 8914 arthropodes ont été déterminés. La plupart proviennent des pièges Malaise (67%) et Barber
(24%). Malgré le petit nombre d’individus collectés (3%
du total), les pièges vitre contiennent 13% des espèces
observées dans l’ensemble des pièges (figure 2). Le nombre d’espèces de Cerambycidae identifiées dans ce type
de piège par exemple est élevé (11), mais avec très peu
d’individus (14 au total). Le battage a permis la récolte de
plus d’individus (340) et d’espèces (30) que le fauchage
(218 individus et 19 espèces). Les individus collectés
appartiennent à 433 espèces différentes, appartenant à
70 familles. Les familles les plus riches en espèces rencontrées sont les Heteroptera, Syrphidae, Tortricidae et
Geometridae (tableau II). En nombre d’individus, les
familles les mieux représentées sont les Syrphidae,
Carabidae, Ichneumonidae, Formicidae et Silphidae. On a
trouvé plus d'individus au total sur les sites non perturbés
comparativement aux sites proches des habitats galloromains (4606 contre 4114, tableau III), mais les nombres
Figure 2 : Nombre d’individus (à gauche) et d’espèces (à droite) identifiés dans les
différents types de pièges.
Nombre d’individus (et d’espèces)
Famille sites perturbés
Syrphidae 1013 (44)
Carabidae
427 (16)
Ichneumonide
394 (11)
Formicidae
267 (20)
Silphidae
328 (6)
Tortricidae
168 (19)
Geometridae
282 (21)
Hepialidae
129 (1)
Pyralidae
37 (7)
Heteroptera
139 (38)
Scarabaeidae
196 (3)
Chrysomelidae
103 (5)
Noctuidae
95 (16)
Ixodidae
87 (1)
Vespidae
64 (4)
Scolytidae
40 (5)
sites non perturbés
1052 (42)
321 (15)
316 (11)
426 (8)
313 (5)
322 (28)
190 (21)
254 (1)
343 (9)
192 (39)
110 (3)
188 (7)
83 (14)
56 (1)
64 (3)
62 (9)
total
2259 (58)
748 (20)
710 (17)
693 (20)
641 (6)
490 (32)
472 (30)
383 (1)
380 (11)
331 (59)
306 (3)
291 (7)
178 (23)
143 (1)
128 (4)
102 (9)
Tableau II : Familles les plus représentées. Seules les familles présentant plus de
100 individus sont indiquées. Dans chaque colonne, le premier chiffre indique le
nombre d’individus identifiés, le second le nombre d’espèces auxquelles ils
appartiennent.
d’espèces étaient comparables (307 contre 304). La
richesse en espèces moyenne par site était aussi un peu
plus élevée dans les zones éloignées des habitats (180
contre 177). Malgré cette richesse en espèces plus élevée,
les sites non perturbés présentaient une diversité de
Shannon un peu plus faible (5,43 binons) que les sites
proches des habitats (5,58 binons), indiquant la présence
plus fréquente d’espèces dominantes dans les sites non
perturbés, et donc une équitabilité légèrement plus
faible.
L’histogramme de répartition des fréquences de présence
(figure 3) montre une forme en J inversé classique.
208 espèces n’ont été rencontrées que dans un seul des
6 sites étudiés, ce qui indique une forte diversité β des
communautés d’arthropodes. 52 espèces étaient présentes dans les 6 sites inventoriés. L'analyse factorielle
des correspondances (figure 4) du tableau de présence/absence des 6 sites x 171 espèces restantes (présentes dans deux à cinq sites) montre que le caractère
perturbé ou non du site structure fortement les communautés d’espèces d’arthropodes présentes puisqu’on
observe sur l’axe 1 de l’analyse une séparation nette entre
les sites proches des habitats gallo-romains (n° 1, 2 et 3)
et les sites non perturbés (n°4, 5 et 6). Ce premier axe,
257
A. VALLET, M. LOUBÈRE, H. JACTEL, G. JACQUEMIN, J.-C. STREITO, L. PLATEAUX, T. ROBERT,
N. KAMINSKI, A. CLAUDE, E. IORIO, J.-L. DUPOUEY, E. DAMBRINE
sites perturbés
sites
non perturbés
nombre d’individus
(et d’espèces)
diversité
de Shannon
équitabilité
de Shannon
site 1
1237 (139)
5,19
1,05
site 2
1455 (195)
5,54
1,05
site 3
1321 (198)
6,02
1,13
moyenne
1338 (177)
5,58
1,08
cumul
4114 (304)
site 4
2065 (205)
5,70
1,07
site 5
1130 (159)
5,54
1,09
site 6
1411 (176)
5,05
0,98
moyenne
1535 (180)
5,43
1,05
cumul
4606 (307)
5,51
1,06
(1)
moyenne générale
1437 (179)
cumul général
8914 (433)
(2)
Tableau III : Diversité taxonomique en arthropodes des 6 sites de Thuilley-aux-Groseilles.
(1) 101 individus provenaient de sites perturbés, mais leur site d’origine n’a pas pu être retrouvé.
(2) pour 194 individus, ni le site d’origine ni le type d’occupation ancienne n’ont pu être retrouvés.
AXE 2
0,8
GALLO1
250
Nombre d'espèces
0,6
FORÊT6
0,4
200
0,2
150
0,0
FORÊT4
-0,2
100
GALLO3
GALLO2
-0,4
FORÊT5
50
-0,6
0,8
0
1
2
3
4
Nombre de sites
5
6
-1,0
-1,2
-1,0
-0,8
-0,6
-0,4
-0,2
-0,0
0,2
0,4
0,6
0,8
1,0
AXE 1
258
Figure 3 : Histogramme des fréquences de présence des espèces : chaque barre
indique le nombre d’espèces rencontrées dans un seul, deux, trois… ou six sites.
Figure 4 : Analyse factorielle des correspondances des 6 sites étudiés en fonction
de la présence/absence de 171 espèces d’arthropodes identifiées dans plus d’un
site et moins de 6 sites. Position des 6 sites dans le plan des deux premiers axes.
sur les 5 qui peuvent être calculés, explique 31% de la
variance totale du tableau analysé. Cinq espèces ont été
trouvées sur les 3 sites perturbés, et dans aucun des sites
non perturbés : Acompsia cinerella (Gelechiidae),
Colostygia pectinataria (Geometridae), Criorhina berberina (Syrphidae), Cybosia mesomella (Arctiidae) et Ponera
coarctata (Pyralidae). A l’inverse, quatre taxons sont présents dans les 3 sites non perturbés et dans aucun site
perturbés : Angerona prunaria (Geometridae),
Closterotomus fulvomaculatus (Heteroptera), cf.
Phteochroa inopiana (Tortricidae) et Scoparia pyralella
(Pyralidae).
Afin de tenter d’expliquer la répartition des espèces trouvées sur chaque site, nous avons étudié l'exigence
trophique des espèces présentes. Nous avons donc recensé les différents types de régimes alimentaires des espèces
lorsque celui-ci était connu. Sachant que les exigences alimentaires sont parfois différentes chez la larve et l’adulte,
notre choix s'est porté sur le stade le plus pertinent. Par
exemple, pour les Diptères syrphidés, nous avons retenu
le régime alimentaire des larves car il est plus diversifié
(saproxylophages, phytophages, prédateurs...) que celui
des adultes qui sont pratiquement tous floricoles. Le
régime alimentaire des larves permet donc de mieux
expliquer la répartition des espèces.
A. VALLET, M. LOUBÈRE, H. JACTEL, G. JACQUEMIN, J.-C. STREITO, L. PLATEAUX, T. ROBERT,
N. KAMINSKI, A. CLAUDE, E. IORIO, J.-L. DUPOUEY, E. DAMBRINE
nombre d’individus (et d’espèces)
site perturbé
site non perturbé
différence (%)
coprophages/détritiphages
207 (6)
115 (7)
+57
hématophages
87 (1)
56 (1)
+43
parasitoïdes
394 (11)
316 (11)
+22
nécrophages
347 (12)
329 (11)
+5
prédateurs
1703 (70)
1771 (53)
-4
omnivores
7 (1)
8 (2)
-13
xylophages
46 (10)
68 (13)
-39
phytophages
1003 (117)
1548 (127)
-43
saproxylophages
46 (13)
115 (19)
-86
Total (exigence trophique connue)
3840 (241)
4326 (244)
-12
Total individus comptés
4114 (304)
4606 (307)
-11
Tableau IV : Répartition des nombres d’individus et d’espèces (entre parenthèses) en fonction de leur régime alimentaire sur les sites gallo-romain et le reste de la forêt.
La colonne « différence » donne, en pourcentage, le ratio : 100 x (nombre d’individus en zone perturbée – nombre d’individus en zone non perturbée) / moyenne des nombres d’individus dans les deux zones.
Le tableau IV donne les nombres d'individus et d’espèces
trouvés en fonction des grandes catégories de régime alimentaire sur chaque type de site. Les espèces ayant des
régimes alimentaires basés sur la végétation au sens large
(phytophages, mais aussi xylophages et saproxylophages)
sont dominantes, aussi bien en nombre d’individus qu’en
nombre d’espèces, sur les sites non perturbés. Par contre,
les espèces ayant des régimes basés sur les animaux au
sens large (coprophages, hématophages, parasitoïdes)
sont mieux représentées, en nombre d’individus, sur les
sites proches des habitats gallo-romains.
Si on reprend chaque type de régime alimentaire,
quelques faits marquants ressortent :
Les hématophages sont composés uniquement de
tiques (Ixodidae), qui sont majoritaires sur les sites galloromains.
Les parasitoïdes sont représentés par les Hyménoptères
ichneumonidés. Dans ce groupe, une espèce domine largement : Pimpla comtemplator (658 individus). C'est un
parasite de Lépidoptères.
Les coprophages sont dominés par la présence d'une
espèce de Scarabeidae : Onthophagus coenobita (216
individus).
Le groupe des phytophages ne montre pas d'espèce
dominant largement les autres. Il faut dire que c'est dans
ce groupe que se trouve la majorité des espèces (174
espèces pour 2551 individus).
Les prédateurs sont les plus abondants en nombre d'individus mais pas en nombre d'espèces (79 espèces pour
3474 individus). Ceci s'explique par la présence d'une
espèce très abondante : Episyrphus balteatus (Diptères
syrphidés) dont les larves se nourrissent de pucerons
(1409 individus ramassés). Les pucerons n'ont pas été pris
en compte dans cette étude mais on peut penser qu'ils
étaient particulièrement abondants sur tous les sites.
Les saproxylophages se trouvent préférentiellement au
niveau de la forêt non perturbée. Il n'y a pas vraiment
d'espèce dominante dans ce groupe représenté par 23
espèces.
Les xylophages sont dominés par la présence d'un scolyte : Anisandrus dispar (71 individus).
Les nécrophages sont dominés par une espèce appartenant à la famille des Silphidae : Oeceoptoma thoracicum (395 individus).
Conclusion
Les populations d'arthropodes diffèrent fortement en
fonction de l'usage ancien des sols. Les populations trouvées sur les sites ayant été occupés pendant la période
gallo-romaine sont relativement homogènes et y dominent les espèces vivant aux dépens des animaux (coprophages, hématophages, parasitoïdes). A contrario, les
populations vivant au niveau de la forêt peu affectée par
259
A. VALLET, M. LOUBÈRE, H. JACTEL, G. JACQUEMIN, J.-C. STREITO, L. PLATEAUX, T. ROBERT,
N. KAMINSKI, A. CLAUDE, E. IORIO, J.-L. DUPOUEY, E. DAMBRINE
l'occupation humaine ancienne sont dominées par les
espèces vivant aux dépens de la végétation sous toutes
ses formes (phytophages, xylophages, saproxylophages).
Les nécrophages, prédateurs et omnivores se répartissent
indifféremment sur tous les sites.
Le régime alimentaire ne suffit certainement pas à expliquer cette répartition des populations d'arthropodes.
Pourtant, il est remarquable de constater que l'usage
ancien des sols touche non seulement la diversité végétale mais également la diversité animale, et pas seulement les espèces liées à la végétation. Tous les niveaux
trophiques de la chaîne alimentaire sont modifiés par la
présence de vestiges gallo-romains datant pourtant de
plus de 2000 ans. De nombreuses causes peuvent expliquer cet impact. On a montré que l’agriculture ancienne
modifie la structure et la chimie des sols, ainsi que la composition en espèces des communautés végétales
(Dupouey et al., 2002). Or, les arthropodes dépendent
fortement de ces facteurs.
Mais ces résultats ne portent que sur un seul site d’occupation humaine ancienne. Il y a donc un risque de confusion entre l’effet de l’agriculture et d’autres facteurs qui
pourraient varier de façon concomitante, malgré le soin
apporté au choix de nos sites, très homogènes en termes
de topographie et de substrat géologique. Il faudrait, afin
de confirmer pleinement le rôle déterminant de l’agriculture ancienne sur les communautés d’arthropodes, pouvoir répéter ces observations sur de nouveaux sites galloromains en forêt.
Remerciements
Nous remercions Patrick Behr et Benoît Pollier qui ont réalisé les cartes des structures gallo-romaines. Ce travail a
été soutenu financièrement par le GIP-Ecofor et le
Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable,
que nous remercions, dans le cadre du programme
« Biodiversité et Gestion forestière ».
Bibliographie
DAMBRINE E., DUPOUEY J.L., 2000, Incidence des pratiques agricoles passées sur la biodiversité floristique en
milieu forestier dans l’Est de la France, Rapport final GIP
Ecofor, 9 p. + ann.
DUPOUEY J.L., DAMBRINE E., LAFFITE J.D., MOARES C.,
2002, Irreversible impact of past land use on forest soils
and biodiversity, Ecology, 83, 2978-2984.
260
Gestion des sites archéologiques
262
La prise en compte du patrimoine archéologique dans
la gestion forestière
L’exemple de l’Île-de-France
Cécile DARDIGNAC
Office National des Forêts – Direction technique, département recherche
Boulevard de Constance – 77300 Fontainebleau
[email protected]
Résumé
La forêt est un milieu riche en vestiges archéologiques. Ceux-ci ne sont pas forcément bien connus mais sont par contre
bien préservés malgré leur sensibilité aux travaux liés à la gestion sylvicole. Depuis plusieurs années, l’Office national des
forêts (ONF) s’intéresse à l’archéologie et à sa prise en compte dans la gestion des espaces boisés. De nombreuses actions
de partenariats entre forestiers et archéologues ont été menées dans différentes régions. En Île-de-France, cette collaboration s’est concrétisée par la création d’une structure de trois archéologues au sein de l’établissement. Pendant cinq ans,
cette « Mission Archéologie » a mené des opérations d’inventaire, de protection et de prise en compte du patrimoine
dans les aménagements forestiers, d’étude de certains sites, de valorisation du patrimoine auprès du public et de sensibilisation des forestiers à l’archéologie.
Abstract
The forest is generally rich in archaeological sites. These are not always well-known but are well preserved in spite of
their sensitivity related to forestry management. For several years, the French Forest Board (ONF) has been interested in
archaeology and is taking it into account in management of wooded spaces. Many partnerships between foresters and
archaeologists were created out in various regions. In the Île-de-France region, this collaboration lead to the creation of
a team of three archaeologists within ONF. During five years, this “Mission Archéologie” carried out inventories, protected and took into account archaeological heritage in forest management, made studies of certain sites, gave added value
to the inheritance for the public and heightened foresters awareness of archaeology.
Dans la plupart des forêts françaises, la présence de nombreux sites archéologiques a pu être constatée. Ces vestiges peuvent être liés à l’histoire et à l’exploitation de la
forêt ou des milieux environnants, mais peuvent également être les témoins d’occupations humaines antérieures
à la forêt actuelle. Effectivement, et contrairement aux
idées reçues, la forêt française n’est pas un « milieu naturel » mais a été marquée depuis des siècles par une forte
anthropisation. De nombreuses études archéologiques,
historiques et paléoenvironnementales montrent dans plusieurs régions une alternance de phases de défrichements
suivies de reprises sylvicoles. Par ailleurs, depuis le XIXe siècle, la surface forestière a énormément augmenté. Il n’est
donc pas étonnant d’y retrouver des vestiges.
Néanmoins, la forêt est un milieu relativement sous-documenté en matière d’archéologie et il est fréquent que la
Carte archéologique nationale présente des étendues
« vierges » à l’emplacement des espaces boisés.
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce fait. La principale
est qu’à l’exception des grands tracés, l’archéologie préventive n’intervient pas en forêt. Or elle représente depuis
plusieurs années la principale source d’informations
archéologiques. Par ailleurs, pendant longtemps les programmes de recherche ne se sont pas beaucoup intéressés à ce milieu considéré comme marginal. C’est pourquoi dans bien des régions, la plupart de nos connaissances a été acquise par les prospections des associations
qui n’ont pas toujours eu les moyens financiers ou un
appui scientifique et technique pour les aider. Enfin, rappelons que la prospection aérienne qui a permis de repérer beaucoup de sites en milieu rural est inopérante en
forêt et que la végétation forestière entraîne également
de fortes contraintes pour la prospection pédestre habituellement utilisée en milieu boisé.
263
C. DARDIGNAC
Malgré tout cela, la forêt présente un gros avantage :
celui de bien préserver les vestiges. Effectivement, grâce
au couvert végétal, on est dans un milieu où les sols ont
été beaucoup moins érodés et remaniés qu’en milieu
agricole. De nombreuses structures de différentes
époques sont donc susceptibles d’être retrouvées bien
conservées, parfois même en relief (levées de terre, fossés, murs, terrasses…), alors qu’elles ont souvent été arasées ailleurs. La forêt peut donc être considérée comme
un véritable « conservatoire » des vestiges archéologiques.
Paradoxalement à ce qui vient d’être écrit, les sites
archéologiques sont sensibles aux travaux liés à la gestion
forestière. En effet, si la forêt est un milieu qui les préserve bien, le développement de la mécanisation depuis
une cinquantaine d’années peut nuire à leur conservation. Ainsi les engins lourds utilisés pour l’exploitation du
bois (débardeuses, grumiers) peuvent entraîner des problèmes de tassement du sol et creuser des ornières, parfois profondes lorsque les travaux sont pratiqués sur sols
meubles ou mouilleux (Rendez-vous techniques 8). De
même, les travaux de plantation ou de dessouchage portent atteinte au sous-sol, même sur une faible profondeur, et sont susceptibles de détruire les vestiges conservés en surface. D’autres opérations comme le brûlage des
rémanents ou la construction d’infrastructure (routes
forestières, parkings) peuvent également provoquer des
dégâts sur les sites.
Au regard de la richesse, de l’état de conservation et de
la sensibilité du patrimoine archéologique forestier, l’importance de le connaître, de l’étudier et de le sauvegarder
apparaît donc comme une évidence dans le cadre d’une
gestion durable. Enfin, de nombreuses études récentes
montrent que l’histoire de la forêt et de l’occupation des
sols a des conséquences directes sur la végétation, la biodiversité actuelle et la productivité (Dupouey et al. 2002a
et 2002b). Une meilleure connaissance du patrimoine
archéologique peut donc apporter des éléments de compréhension sur la dynamique des peuplements forestiers
sur le long terme.
1. - Un intérêt croissant pour le
patrimoine archéologique à l’Office
national des forêts
Depuis une quinzaine d’années, l’ONF est sensible au
patrimoine historique et archéologique présent dans les
forêts qu’il gère (Lecomte, 1997) et des contacts, voire
des liens étroits entre forestiers et archéologues ont été
noués dans une grande partie des régions de France
(Alléhaux et al., 1998). Dans la plupart des cas, ces
contacts ont été établis avec les Directions régionales des
affaires culturelles / Service régionaux d’archéologie
(DRAC/SRA) mais parfois aussi avec d’autres interlocu-
264
teurs comme des universitaires, chercheurs, collectivités
territoriales ou associations d’archéologie. Ces coopérations ont pu être ponctuelles (fouille d’un site, consultation en vue de travaux, valorisation de vestiges…) ou suivies sur plusieurs années (échanges de données, protection et prise en compte des vestiges dans la gestion forestière, programmes d’inventaires ou d’études, actions de
communication…). Au cours du temps, certaines d’entre
elles ont été formalisées par la signature de conventions.
Par exemple, un protocole d’accord a été signé en 1997
entre l’ONF et la DRAC de Bourgogne (Pautrat, 2001). Il
vise à définir des objectifs généraux de collaboration
entre ces deux organismes afin, entre autres, de favoriser
l’inventaire, l’étude et la préservation des sites archéologiques. Une autre convention a été signée en 1997 entre
l’ONF et l’association Pyrene pour la fouille d’un site
archéologique en Ariège. Plusieurs autres exemples pourraient ainsi être cités.
Par ailleurs, des actions de formation du personnel de
l’ONF au patrimoine archéologique existent depuis plusieurs années. Ces formations ont pour objectifs de sensibiliser les agents à l’archéologie, les informer sur les
aspects juridiques, leur donner des clefs pour apprendre à
identifier des vestiges sur le terrain puis à les prendre en
compte dans la gestion forestière. Un stage de 4 jours à
l’échelle nationale a été mis en place chaque année entre
1994 et 2001 au Centre national de formation forestière
de Velaine-en-Haye, et ce avec la collaboration du service
régional d’archéologie de Lorraine (Lecomte, 1997).
D’autres formations d’une durée de 1 à 4 jours
construites sur un modèle assez proche ont vu le jour
dans différentes régions comme l’Alsace, la Bourgogne,
la Normandie, la Franche-Comté, le Limousin…
Généralement, elles sont réalisées en partenariat avec les
services régionaux d’archéologie.
Le développement de cette sensibilité à l’archéologie qui
est observée depuis plusieurs années à l’ONF peut également être attribué au fait qu’une méconnaissance de la
présence de vestiges entraîne de gros problèmes. Ainsi en
Alsace, en 1995, la création d’une tranchée de débardage
à travers une enceinte protohistorique inconnue du forestier a suscité de la part des archéologues et du public de
nombreuses attaques dans la presse locale (Lecomte,
1997). L’erreur a pu être « réparée » et a donné naissance en 1997 à la signature d’une convention d’échange
des données entre l’ONF et la DRAC/SRA d’Alsace afin
d’éviter que de telles situations ne se reproduisent.
En 1999, l’intérêt croissant de l’ONF pour le patrimoine
s’est concrétisé par le recrutement de quatre archéologues, pour une période de cinq ans, au sein même de
l’établissement : l’un d’entre eux étant rattaché à la
Direction régionale de Lorraine et les trois autres, formant
une structure, à celle de l’Île-de-France. Jusqu’à cette
date, les forestiers de la région Île-de-France n’avaient eu
que quelques contacts ponctuels avec les archéologues et
le Service régional de l’archéologie. La création d’un
C. DARDIGNAC
« service » archéologique dans cette région s’explique
non seulement par la richesse du patrimoine mais également par l’importance des enjeux patrimoniaux et d’accueil du public dans des forêts très fréquentées (Vigneau
et al., 2001).
2. - La Mission Archéologie de l’ONF en
Île-de-France
Dès le départ, la création de cette structure s’est faite en
partenariat avec la DRAC/SRA et très rapidement deux
conventions ont été signées. La première, une convention
cadre, définit les objectifs communs des deux organismes. La deuxième, une convention d’échange des données, fixe leurs modalités d’échange et d’utilisation. Par la
suite, la Mission Archéologie a également signé des
conventions de partenariats et/ou d’échange de données
avec certaines collectivités territoriales (Service archéologique départemental des Yvelines, Service départemental
d’archéologie du Val d’Oise) et une association (Société
d’art, d’histoire et d’archéologie de la vallée de l’Yerres).
Ces différents partenariats, ainsi que d’autres n’ayant pas
été formalisés, ont permis de créer ou renforcer des liens
entre forestiers et archéologues et ont surtout contribué
à ce que la Mission Archéologie puisse répondre aux
objectifs qui lui étaient demandés : dresser l’inventaire
des sites archéologiques dans les espaces gérés par l’ONF
en Île-de-France, favoriser la protection et la prise en
compte de ces vestiges dans la gestion forestière, mener
des études sur certains sites, valoriser auprès du public
une partie de ce patrimoine et enfin sensibiliser les agents
de l’ONF à l’archéologie et à sa prise en compte dans la
gestion sylvicole (Bénaily et al., 2000).
2.1. - Inventorier le patrimoine archéologique forestier
La réalisation d’inventaires archéologiques en milieu
forestier implique tout d’abord un rassemblement des
données existantes mais souvent dispersées. Consulter le
SRA, les collectivités territoriales (l’Île-de-France est une
région où presque tous les départements sont dotés d’un
service archéologique), les associations ayant prospecté
en forêt et bien sûr les forestiers eux-mêmes est la première étape. Lorsque cela est possible, il est bien souvent
enrichissant de compléter ce corpus de données par des
informations issues de recherches en archives. Textes,
cartes et plans anciens peuvent fournir des renseignements sur certains sites voire permettre d’en découvrir de
nouveaux (présence d’anomalies parcellaires ou topographiques, microtoponymes, mentions de bâtiments à telle
date…).
Comme il ne peut être question, faute de temps et de
moyens, de prospecter systématiquement l’ensemble
d’une forêt, seules les informations acquises de la
manière précédemment décrite sont ensuite vérifiées sur
le terrain. Une prospection fine est donc organisée autour
de chaque site ou indice de site. Elle permet de préciser
sa localisation (des relevés GPS sont effectués systématiquement), de vérifier la nature, la répartition et l’étendue
des structures conservées et visibles en surface ainsi que
leur état de conservation. Parfois, la découverte de mobilier archéologique affleurant ou présent dans les chablis
permet d’attribuer le site à une période chronologique.
L’ensemble de ces informations est ensuite traité sur une
base de données couplée à un SIG. Elles sont alors communiquées au SRA qui définit des degrés de protection
pour chaque site. Des mesures de conservation peuvent
également être préconisées, souvent en concertation
avec les agents forestiers. Cependant, la protection des
sites fait généralement l’objet d’actions bien spécifiques
(cf. § suivant). A la fin de l’étude, l’inventaire est bien
entendu retransmis à tous les gestionnaires de la forêt.
La réalisation d’un inventaire archéologique est une opération qui prend du temps. La Mission Archéologie ne
pouvant les réaliser rapidement sur toutes les forêts de la
région, ils ont été effectués en fonction des demandes ou
priorités de l’ONF (forêts présentant un patrimoine particulièrement riche, aménagements en cours de révision…). Par contre, suite à la tempête de 1999, des
« pré-inventaires » comprenant uniquement les données issues de la Carte archéologique du SRA, non vérifiées sur le terrain, donc pouvant contenir des erreurs ou
imprécisions, ont été communiqués aux gestionnaires
pour la plus grande partie des forêts franciliennes.
L’objectif était de pouvoir tenir compte rapidement de la
présence des sites archéologiques dans les nombreux travaux d’exploitation qui devaient suivre.
2.2. - Protéger et gérer ces sites
Réaliser un inventaire archéologique sur une forêt n’est
pas forcément suffisant pour que les sites soient pris en
compte dans la gestion forestière. Le forestier ne pensera
pas toujours à consulter cette étude à chaque fois que
des travaux sont réalisés dans une parcelle. De plus, nous
avons constaté que des études archéologiques sont parfois « retrouvées » après quelques mois ou années d’oubli involontaire… La prise en compte des vestiges peut,
dans ce cas, arriver un peu tardivement. Il est donc nécessaire d’entreprendre des actions spécifiques et systématiques concernant la protection et la prise en compte des
vestiges dans la gestion sylvicole.
Plusieurs solutions, complémentaires, sont envisageables.
La première est d’intégrer les informations archéologiques dans le sommier de la forêt. Le sommier est un
document tenu à jour par parcelle, pour chaque forêt
relevant du régime forestier, et dans lequel sont inscrites
toutes les interventions réalisées et les évolutions du
patrimoine. Il s’agit en quelque sorte de la « mémoire
écrite de la forêt ». Or il existe pour les sommiers des
fiches « vestige(s) et élément(s) culturel(s) remarquable(s) »
265
C. DARDIGNAC
(fiches A50r/c) dans lesquelles le patrimoine archéologique peut tout à fait s’inscrire. Elles présentent l’avantage de pouvoir signaler chaque site avec un certain nombre de remarques et de détails, notamment en ce qui concerne
les actions et travaux menés. Malheureusement, force est de
constater que les sommiers ne sont pas toujours consultés, remplis et mis à jour comme ils devraient l’être pour
chaque forêt. Cette action pour la prise en compte des
vestiges ne doit donc pas être menée seule.
La deuxième solution consiste à insérer les données
archéologiques dans les aménagements forestiers lors de
leur révision. Il s’agit, pour chaque forêt soumise au
régime forestier, d’un document de gestion qui planifie
les fonctions économiques, écologiques et sociales pour
une durée moyenne de 10 à 20 ans. Ce document est
incontournable et sera forcément consulté par le forestier.
Cela ne veut pas dire qu’il faut alourdir ce document déjà
complexe en intégrant toutes les informations relatives à
chaque site archéologique. L’objectif est de ne mentionner que les éléments nécessaires, et ce dans certaines parties bien spécifiques. Pour plus de détails, le forestier
devra ensuite consulter le sommier de la forêt.
La Mission Archéologie a collaboré à différentes révisions
d’aménagements forestiers et a établi un « modèle »,
non figé, servant de base pour l’intégration des données
archéologiques (Dardignac et al., 2003 ; Dardignac et
Dunoyer, 2006). S’il est facilement reproductible, il
implique néanmoins la contribution du Service régional
de l’archéologie. Les données archéologiques doivent être
insérées dans plusieurs parties de l’aménagement. La première correspond à l’Analyse des besoins économiques et
sociaux – Richesses culturelles (chapitre 1.2.8.). Cette partie doit présenter succinctement la liste (et la localisation
par parcelle) des différents sites historiques et archéologiques ainsi que ceux protégés au titre des Monuments
historiques. Elle peut être accompagnée d’une carte de
localisation présentant les degrés de protection définis
pas le SRA. Ces degrés (faible, moyen ou fort) sont établis
en fonction de différents critères comme l’intérêt scientifique du site, son degré de conservation, le remaniement
ou déplacement éventuel des structures… Cette carte
peut présenter également des zones à sensibilité archéologique. Ces zones correspondent aux sites pouvant
s’étendre au-delà de l’emprise repérée sur le terrain lors
de la prospection. Elles ne requièrent aucune protection
mais méritent une attention particulière à l’occasion des
travaux forestiers puisque de nouvelles structures peuvent
être découvertes. Notons que l’aménagement forestier
est un document public. Dans un soucis de confidentialité
des données, et pour éviter les risques de pillage et de
fouilles clandestines fréquents en forêt, cette carte doit
faire partie des cartes non divulguées, au même titre que
les cartes de relevés des espèces végétales et animales
remarquables (espèces protégées et menacées). Enfin,
cette première partie doit rappeler que d’autres sites
archéologiques sont très probablement présents dans la
266
forêt et que toute découverte fortuite, notamment au
cours de travaux, doit être signalée au SRA.
La deuxième partie de l’aménagement dans laquelle les
données archéologiques doivent être insérées correspond
au Programme d’action – Protection des sites d’intérêt
culturel (chapitre 5.2.8.). Elle présente les mesures de protection et de gestion conservatoire qui doivent être appliquées sur les sites. Il est préférable que ces mesures soient
définies conjointement par les archéologues du SRA et les
forestiers (agent patrimonial, aménagiste). L’objectif est
effectivement de définir des mesures simples, qui soient
adaptées aux sites et qui soient peu contraignantes pour
la gestion sylvicole. Ces mesures peuvent concerner la
gestion forestière en elle-même (ex : éviter de laisser se
développer les arbres de gros diamètres sur les structures
archéologiques), mais également l’exploitation (ex : proscrire le passage d’engins mécanisés sur le site et dans un
périmètre de 10 mètres autour des structures) ou les
conditions de débardages (ex : débarder uniquement sur
sol sec ou gelé, ou prévoir des couloirs de débardage spécifiques entre les structures ou encore débardage à cheval conseillé). Dans l’ensemble on se rend compte qu’à
l’exception de certains sites nécessitant des mesures de
gestion conservatoires bien spécifiques, la plupart des
sites peuvent être facilement pris en compte avec les
mesures simples comme les deux premières citées en
exemple.
Enfin, pour certaines forêts, des informations peuvent
être ajoutées dans une troisième partie de l’aménagement, celle qui concerne le Programme d’action –
Mesures concernant l’accueil du public (chapitre 5.2.6.). Il
s’agit uniquement des sites qui sont mis en valeur pour le
public. Cette partie présente donc les équipements à réaliser (panneaux de valorisation, sentier de découverte…),
l’entretien que ces opérations impliquent (débroussaillage
des sites, consolidation des structures…) ainsi que les partenaires scientifiques et financiers potentiels pouvant participer à ces projets.
2.3. - Etudier et valoriser ce patrimoine
Si l’étude de sites archéologiques ne faisait pas partie des
objectifs principaux de la Mission Archéologie, celle-ci a
tout de même participé ou lancé certaines opérations
destinées à acquérir des informations supplémentaires sur
des sites peu connus. Sans vouloir décrire toutes les opérations dans le détail, on peut mentionner la réalisation
de plusieurs sondages archéologiques sur différents sites,
notamment après la tempête de 1999 qui les avait perturbés. Si ces opérations, très ponctuelles, n’ont pas toujours
permis de définir la fonction des sites, elles ont servi à
mieux cerner leur chronologie d’occupation et à connaître le degré de conservation des structures. Par ailleurs,
dans le cadre d’un programme européen, plusieurs opérations ont été lancées. Une microtopographie, financée
par le SRA, a été réalisée sur une motte médiévale et a
C. DARDIGNAC
permis de mettre en évidence l’emplacement du donjon
et d’autres structures. Des prospections géophysiques
(électriques et magnétiques) ont aussi été menées sur un
site gallo-romain. Ce type de prospection, généralement
pas ou peu pratiqué en milieu forestier a ainsi été testé
dans ce contexte. Elles ont mis en évidence de nouvelles
structures et ont permis de mieux évaluer l’étendue du
site. Enfin, des analyses palynologiques couplées à des
datations 14C ont été entreprises dans une tourbière pour
avoir un aperçu de l’évolution de la végétation et du couvert forestier dans ses alentours. La densité de sites
archéologiques, notamment de l’époque gallo-romaine,
remettant en cause l’ancienneté de la forêt, les résultats
de ces analyses ont permis d’avoir de nouvelles données
sur la dynamique d’occupation des sols par l’homme au
cours des deux derniers millénaires.
Concernant la mise en valeur du patrimoine auprès du
public, certaines formes peuvent poser des problèmes en
forêt. Effectivement, il existe de multiples moyens pour
présenter nos connaissances, mais il faut tenir compte du
fait que les sites localisés en forêt ne sont pas forcément
très bien connus et ont rarement fait l’objet de fouilles
archéologiques. La valorisation in situ avec la pose de
panneaux d’explications n’est donc pas forcément la
meilleure solution. Elle risque en plus, dans beaucoup de
cas, d’entraîner des piétinements ou d’inciter des fouilleurs clandestins à faire des sondages, ce qui nuirait à la
préservation des vestiges. Néanmoins, la Mission
Archéologie a participé à plusieurs projets de valorisation.
Certains ont eu lieu à l’occasion des journées du patrimoine (panneau d’information et visite guidée de sites),
d’autres sont permanents : réalisation d’un film documentaire visible par le public dans un centre d’accueil,
création d’un panneau présentant l’ensemble du patrimoine d’une forêt, participation à la réfection d’un panneau sur un monument historique…
2.4. - Sensibiliser les forestier au
patrimoine archéologique
La sensibilisation des forestiers au patrimoine archéologique est un point incontournable si l’on veut que celuici soit pris en compte dans la gestion. Il est effectivement
essentiel que les agents aient un certain nombre de
connaissances et de réflexes, tant sur les sites archéologiques qu’ils connaissent déjà que sur de nouvelles structures pouvant attirer leur attention.
Nous venons de voir que les formations destinées au personnel de l’ONF se sont développées depuis une dizaine
d’années à l’échelle nationale et régionale, et qu’elles
sont en général très demandées. Jusqu’en 1999, rien
n’avait été organisé au niveau de l’Île-de-France. La
Mission Archéologie a commencé à organiser des journées ou demi-journées de sensibilisation pour les forestiers, en fonction des études en cours sur les différentes
forêts. Les agents étaient alors conviés sur le terrain pour
repérer les différents sites et voir les moyens de protection
envisagés. Parallèlement à cela, une plaquette présentant
la structure de la Mission Archéologie, ses objectifs et ses
actions a été largement diffusée auprès de tout le personnel de la région. Ces premiers contacts ont ainsi permis
les débuts d’une étroite collaboration entre forestiers et
archéologues.
En 2001, un stage régional construit sur un modèle
proche de la formation nationale a été mis en place avec
la participation du SRA. D’une durée de deux jours, il proposait des exposés en salle sur l’archéologie et sa législation, la Carte archéologique, le repérage de sites en forêt
ainsi que plusieurs visites de sites. Cette formation, très
appréciée, a été suivie d’un grand nombre de demandes :
inventaires archéologiques sur certaines forêts, visites de
sites et de structures non identifiées, conseils de gestion… Ce stage n’a pu être reconduit les deux années suivantes pour des problèmes de restructuration de l’établissement mais a été remis en place à partir de 2004. Il
touche désormais sur l’ensemble de la Direction territoriale Île-de-France – Nord-Ouest et est réalisé avec la collaboration des SRA de Haute-Normandie et de Picardie.
L’expérience menée par la Mission Archéologie au niveau
de la Direction territoriale Île-de-France – Nord-Ouest a
été particulièrement concluante. Le fait d’avoir trois
archéologues travaillant à plein temps sur les forêts de la
région a permis à l’ONF de développer des actions qui
n’auraient pu avoir lieu ailleurs, qu’il s’agisse du nombre
d’inventaires et de prospections menées en forêts, du travail de prise en compte dans la gestion ou des études
engagées sur certains sites. Par contre, la création d’une
structure spécifique présente un inconvénient : dans les
autres régions les forestiers ont créé leurs propres relations avec les SRA ; en Île-de-France la Mission
Archéologie a servi d’intermédiaire. Les forestiers ont
alors acquis la démarche de se renseigner auprès d’eux et
non auprès du SRA.
3. - Vers une prise en compte de
l’archéologie à l’échelle nationale
Si l’ONF est sensibilisé à l’archéologie et à l’importance de
sa prise en compte dans la gestion forestière depuis une
quinzaine d’années, il semble que cet intérêt aille en s’accroissant. Au terme de ses cinq ans d’existence, la Mission
Archéologie n’a pas été reconduite en temps que structure mais un poste a été ouvert au niveau de la Direction
territoriale pour l’une des trois personnes. De son côté, la
Direction territoriale Lorraine a également ouvert un
poste pour son archéologue même si ses missions se sont
diversifiées et qu’il ne travaille plus à plein temps en
archéologie. Enfin, un poste a été créé au niveau national
au sein de la Direction technique – département
267
C. DARDIGNAC
recherche pour l’une des trois personnes de la Mission
Archéologie.
Après de nombreuses expériences menées dans différentes régions, il apparaît donc que l’ONF souhaite poursuivre la prise en compte des données archéologiques et
la développer à l’échelle nationale. La création de ce
poste et la reprise dès 2005 de la formation nationale qui
avait été suspendue suite à la réorganisation de l’établissement en sont les principaux témoignages. Le travail que
cela implique est cependant très important. Dans un premier temps, il conviendrait non seulement de poursuivre
les actions déjà entreprises mais également de les harmoniser. Jusqu’à présent les différentes régions ont construit
chacune leur propre modèle (souvent proches) pour l’inventaire et surtout la prise en compte du patrimoine
archéologique dans la gestion forestière. On observe
donc une certaine disparité. Une harmonisation est donc
nécessaire, surtout dans l’objectif de pouvoir développer
cela dans les régions où aucune ou peu d’actions ont été
menées jusqu’à présent. Pour l’instant différents projets
sont en cours de réalisation. Des contacts ont été établis
avec le Ministère de la culture et de la communication /
Sous-direction de l’archéologie, de l’ethnologie, de l’inventaire et du système d’information (SDARCHETIS) en
vue d’un partenariat. Par ailleurs, des réflexions sont
menées pour généraliser la prise en compte de l’archéologie dans les aménagements forestiers.
Bibliographie
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Archéologie et espaces forestiers,
l’accord complémentaire
Stéphanie JACQUEMOT
Ingénieur d’étude – Service régional de l’archéologie de Lorraine
Direction régionale des affaires culturelles – 6 place de chambre – 57000 Metz
[email protected]
Résumé
Les espaces forestiers sont des lieux de recherche très prisés des archéologues. Depuis qu’elle existe, la forêt protége les
vestiges et la chance nous est donnée d’étudier des ensembles parfaitement conservés. Il en résulte que ces dernières
années, archéologues et forestiers ont noué des relations privilégiées, tant pour assurer l’étude et l’inventaire du patrimoine archéologique, que pour mettre en œuvre les mesures de protection et de prévention désormais souhaitées par
tous. Depuis plusieurs années le Service régional de l’archéologie de Lorraine a engagé une politique de sensibilisation
des agents pour une meilleure prise en compte de ce patrimoine dans le cadre des aménagements forestiers.
Abstract
The forest is a very good field of research for archaeologists. It is protecting the archeological sites, and it is bringing us
the opportunity to study very well preserved settlements. As a result, today, archaeologists and foresters are working
together, to study and to survey the heritage, and to protect it too. Over the last years, the Archaeological Service of
Lorraine has been making the foresters aware of that topic, for a better preservation of the heritage within the context
of woodcutting.
1. - L’espace forestier
En France l’espace forestier occupe 26% du territoire
national. Cette donnée justifie, à elle seule, l’intérêt que
peuvent porter les archéologues à ce milieu particulier, à
première vue immuable et pourtant sans cesse en mutation. La forêt lorraine occupe le quart du territoire régional, ce qui lui vaut d’être deuxième à l’échelle nationale
pour sa production de bois. Les peuplements se répartissent sur trois grands ensembles naturels que sont les plateaux calcaires, les montagnes vosgiennes et les plaines
lorraines. La diversité et l’étendue des espaces offrent à
qui veut s’y intéresser un vaste champ d’étude. La propriété foncière y est majoritairement publique. Elle bénéficie d’une gestion raisonnée, dictée par les orientations
nationales mises en œuvre par l’Office national des forêts.
Avant la tempête, les principaux objectifs concernent la
conversion des taillis sous futaies, le rajeunissement des
sapinières vieillies et la purge de la mitraille dans les forêts
de guerre. Les 220 000 hectares de forêts domaniales
appartenant à l’Etat, bénéficient d’un régime de gestion
propre, destiné à maintenir ou à améliorer les différentes
fonctions écologique, économique et sociale de la forêt,
préservant ainsi toutes ses potentialités. La gestion des
350 000 hectares de forêts appartenant aux collectivités
publiques est plus orientée. Elle tendra à satisfaire les
intérêts des propriétaires, dans le respect toutefois des
conditions définies par le Code forestier. La gestion forestière est ainsi définie au sein de programmes d’aménagements concertés. Ces outils de gestion durable impliquent une bonne connaissance du milieu et la prise en
compte des éléments spécifiques à chaque forêt, dont le
patrimoine constitue la part prédominante de sa fonction
culturelle.
C’est sur ce terrain d’intérêts communs qu’archéologues
et forestiers vont naturellement se rencontrer.
2. - La forêt conservatoire
Tout comme la prairie, la forêt joue un rôle protecteur
particulièrement efficace contre l’érosion des sols. Elle
permet la conservation de certaines constructions en terre
et fossilise les vestiges en élévation. Ces espaces très
conservateurs sont paradoxalement peu étudiés. La prospection en milieu forestier est restée longtemps réservée
à la seule recherche de sites remarquables, telles les
importantes nécropoles tumulaires prisées des archéo-
269
S. JACQUEMOT
logues au XIXe siècle. Aujourd’hui encore, l’absence de
mobilier en surface dissuade toujours le prospecteur habitué à repérer les épandages d’artefacts sur sols labourés.
Pourtant les indices qui trahissent les occupations
anciennes sont nombreux sous couvert végétal. Leur
repérage demande une approche plus « environnementale », où l’observation du milieu naturel devient objet
d’étude : ici un micro relief qui géomorphologiquement
n’a pas sa raison d’être, là une plante calcicole sur un sol
acide. Le regard cherchera les anomalies topographiques
et phytographiques qui marquent le paysage. Le champ
d’étude s’en trouve élargi : là où sur sol nu quelques vestiges éventrés par les labours témoignent ponctuellement
d’une occupation, ici la forêt permet la reconnaissance de
grands ensembles structurés. Outre les éléments matériels, le contexte végétal livrera des informations propres
aux modes de vie : la présence de plantes rélictuelles
anciennement introduites ou encore la disposition ordonnée de certains arbres ou arbustes sont des témoins
vivants qui trahissent des pratiques parfois très anciennes.
L’absence de mobilier datant pourrait, a priori, constituer
une gêne pour l’interprétation archéologique. Toutefois
l’état de conservation des vestiges autorise le plus souvent une bonne lecture de structures repérées et une
identification fonctionnelle généralement aisée. Ainsi les
forêts lorraines sont de vastes conservatoires, derniers
milieux où il est encore permis d’observer des ensembles
parfaitement conservés. Cette dimension patrimoniale
conduira les gestionnaires du patrimoine à plus d’exigence et d’attention face aux risques qui mèneraient à la
perte irrémédiable de ces témoins culturels.
Photo 1 : Les espaces forestiers : derniers conservatoires des nécropoles protohistoriques.
3. - L’Office national des forêts
Etablissement public à caractère industriel et commercial,
l’ONF est une entreprise au service du public. L’office est
responsable de la gestion et de l’équipement du domaine
forestier de l’Etat, ainsi que de la mise en valeur du patri-
270
moine forestier des collectivités locales, en étroite collaboration avec celles-ci. Il est investi de missions de protection, surveillance, aménagement et gestion. L’effectif lorrain compte environ 2000 fonctionnaires et plus de 200
entreprises d’exploitation. Après la tempête de l’hiver
1999, le contrat qui lie l’Etat à l’établissement public définit clairement les objectifs assignés à l’office. La reconstitution des forêts détruites nécessite la révision des plans
d’aménagement et l’amélioration de la productivité
impose un changement de méthodes de travail et la réorganisation des services. Désormais les aménagistes
devront adapter la gestion forestière aux exigences du
rendement économique. La mécanisation pour l’exploitation de la forêt est la règle et l’impact sur le patrimoine
archéologique devient une réelle préoccupation pour les
forestiers. Pourtant les sommiers des forêts sont pauvres
en informations patrimoniales. Quelques fois un forestier
passionné y aura signalé quelques anciennes bornes repérées lors d’un martelage, ou mentionné la présence d’un
tumulus retrouvé dans les archives forestières. Désormais
le recensement des contraintes historiques et archéologiques devient un préalable à la rédaction des nouveaux
plans et nécessite d’enquêter auprès des services.
4. - Le Service régional de l’archéologie
L’archéologie vise à étudier les traces matérielles laissées
par les sociétés passées. Service déconcentré du ministère
de la Culture et de la Communication, le service régional
de l’archéologie compte une dizaine d’agents. Il a pour
mission de recenser, étudier, protéger et faire connaître le
patrimoine archéologique de sa région en collaboration
avec les archéologues des autres institutions. Dans ce
cadre il veille à l’application de la législation archéologique rassemblée dans le Code du Patrimoine, dont les
dispositions réglementent en particulier la recherche programmée et les activités d’archéologie préventive. Bien
culturel de l’humanité, le patrimoine archéologique bénéficie des mesures de protection ou de sauvegarde arrêtées
par le préfet sur proposition du conservateur de l’archéologie. Les mesures conservatoires visent à préserver un
potentiel d’étude pour les générations futures. Elles
conduisent parfois à la protection au titre des
Monuments Historiques des sites d’intérêt majeur, bien
souvent en raison de leur caractère monumental. Les
mesures de sauvegarde, quant à elles, sont pour l’essentiel dictées par les projets d’aménagement. Elles sont
mises en application lorsque les vestiges sont menacés et
se traduisent le plus souvent par la prescription d’étude
préventive préalable à leur destruction. Toutefois ce
« droit du patrimoine » n’a de réelle existence que si
l’archéologue veille à la conciliation respective de l’intérêt
scientifique et du développement économique. La
« Carte Archéologique » sera son outil d’aide à la décision. Cet inventaire qui recense les données archéolo-
S. JACQUEMOT
giques connues sur le territoire régional, doit lui donner
une connaissance aussi complète que possible des lieux
d’implantation humaine, et ce pour toutes les périodes de
l’humanité. Cette banque de données ne s’alimente
pourtant qu’au gré de l’actualité des découvertes et ne
donne qu’une vision très partielle du potentiel archéologique d’un territoire. La majorité des vestiges reste
enfouie et difficilement détectable. Malgré le recul et l’expérience il est toujours difficile à l’archéologue d’établir a
priori des « zones à potentiel », y compris dans les
espaces forestiers qui paraissent à première vue plus
faciles à identifier. C’est donc au regard des risques
encourus qu’il évaluera ses prescriptions archéologiques.
concertation, les travaux sylvicoles peuvent s’adapter à la
préservation des vestiges. Ces mesures conservatoires ne
sont pourtant pas sans conséquences pratiques et financières sur la gestion forestière, c’est pourquoi elles ne
peuvent raisonnablement s’appliquer à tous les sites.
Ainsi, l’archéologue devra nécessairement opérer ses
choix au regard de l’intérêt scientifique ou patrimonial
5. - L’impact des travaux forestiers
Au regard des projets d’infrastructures ou d’urbanisme,
l’impact des travaux sylvicoles sur la conservation des vestiges archéologiques paraît à première vue négligeable.
C’est sans doute pour cette raison que les fouilles préventives ou de sauvetage en forêt sont quasi-absentes des
bilans nationaux. Pourtant la filière bois ne s’est jamais si
bien portée et la gestion des forêts françaises induit
chaque année des travaux mécanisés aussi destructeurs
que le seul programme routier. Les communes rurales
tirent un profit non négligeable de la vente de leur bois,
pour certaines c’est leur principale ressource. Aussi on
comprendra que rares sont les exemples où il est possible
de geler l’exploitation forestière pour simple raison
archéologique. Généralement le compromis sert l’intérêt
de l’économie touristique, où la forêt ludique devient
plus-value et le patrimoine objet de toutes les attentions.
Les orientations régionales forestières dictent les modes
de traitement sylvicoles et s’accompagnent de mesures
techniques et financières aptes à favoriser l’émergence
d’entreprises compétentes, performantes et fortement
mécanisées. Il en ressort qu’aujourd’hui, l’ensemble des
travaux manuels est supplanté à l’emploi généralisé d’engins, y compris pour les simples travaux d’entretien.
Désormais, ce ne sont plus les coupes ni les labours qui
portent préjudice aux vestiges, mais bien le nivellement
du sol permettant l’accès au peuplement. Pratiqués à
l’aide d’engins selon un maillage d’axes espacés, pouvant
aller de 5 à 10 mètres, ces travaux s’avèrent totalement
destructeurs pour les vestiges en micro relief. En outre la
généralisation de cette pratique conduit nécessairement à
la création de nouvelles pistes, parkings, aires de retournement, adaptés à la circulation des tracteurs, débardeurs, débusqueuses, porters et autres nouveaux
engins… La réalisation de ces travaux de génie civil est
pourtant bien souvent compatible avec la préservation du
patrimoine. Contrairement aux zones urbanisées, la quasi
absence de contrainte foncière en forêt autorise plus facilement le déplacement des ouvrages sur les secteurs
moins fragiles. Et pour peu qu’ils aient été définis en
Photo 2 : Difficile exploitation des bois sur les fortifications en terre de l’oppidum
gaulois de Boviolles (55).
des vestiges concernés.
6. - Des intérêts partagés
Héritiers d’un patrimoine à transmettre, archéologues et
forestiers sont investis des mêmes missions. Leur sujet
d’étude s’inscrit dans le temps. C’est donc naturellement
qu’ils mettront en commun leur compétence au service
d’une politique raisonnée où patrimoine archéologique et
forestier peuvent mutuellement s’enrichir de leur lien
naturel et culturel. Les forestiers ont toujours eu un souci
patrimonial. Au fil des siècles, ils ont adapté la gestion
forestière aux besoins des hommes. Actuellement nos
sociétés prennent conscience de la nécessité de préserver
le patrimoine et les milieux naturels pour y permettre un
développement équilibré. Les forestiers sont des « généralistes » garants de la bonne « santé » de ce capital. Ils
ont une grande expérience du terrain et leur capacité
d’observation du milieu en fait des informateurs privilégiés pour les scientifiques qui doivent coopérer avec eux
pour appréhender au mieux la complexité de ce milieu. Il
y a une dizaine d’années, archéologues et forestiers se
rencontraient dans les forêts lorraines. La curiosité
d’abord, l’intérêt professionnel ensuite, longtemps ils ont
noué des relations d’échanges où la compétence des uns
servait le travail des autres. De cette collaboration est né
le stage de formation intitulé “repérage et protection des
sites archéologiques” organisé depuis 1994 au Centre
National de Formation Forestière à Velaine-en-Haye (54).
Chaque année, ce stage accueille 25 techniciens et ingé-
271
S. JACQUEMOT
nieurs venus de toute la France. Sur les bases d’une information théorique (administrative, juridique, méthodologique, scientifique), le programme concentre les sorties
de terrain en vu de sensibiliser les forestiers à la reconnaissance des différents vestiges et à leur problématique en
matière de gestion forestière. Cette rencontre annuelle
entre professionnels s’enrichie des expériences de chacun
et permet d’identifier de nouveaux modes de gestion
conservatoire, souvent simples et adaptées aux situations
les plus complexes. De retour sur leur triage, bon nombre
de forestiers mettront à profit leurs connaissances, tant
pour alimenter le fichier régional de la carte archéologique que pour enrichir le sommier des forêts. De cette
dynamique, un peu partout en France, se multiplieront les
formations locales, certains services se rapprocheront
pour convenir de conventions d’entre aide. A cette
époque, on salue également les initiatives de recrutement
d’archéologues au sein de quelques directions régionales
de l’office. Rien, jusqu’à l’avènement des réformes, ne
nécessitera de formaliser cette collaboration plus philanthropique que contractuelle. La tempête de 1999, qui
sites ont été sélectionnés et seuls 160 ont pu être expertisés, certaines forêts étant inaccessibles. Le bilan plus ou
moins lourd selon les secteurs, fait état d’une moindre
proportion de sites détruits, ou partiellement détruits par
les chablis (75), que de sites menacés à court terme par
les travaux d’exploitation ou à long terme par les travaux
de repeuplement. Concernant les mesures de sauvetage,
seuls les sites majeurs protégés au titre des Monuments
Historiques ont bénéficié de l’aide financière exceptionnelle du ministère de la culture pour leur remise en état.
Au vu des dommages, cette aide fut surtout utilisée pour
compenser les surcoûts ou pertes d’exploitation liés à la
contrainte archéologique (débardages non destructifs).
Concernant les sites non protégés, les mesures d’urgence
se limitèrent (quand c’était possible) à l’échantillonnage
et au relevé des vestiges mis au jour. En somme cette
tempête n’aura pas d’effets plus destructeurs que les différents travaux d’urbanisme ignorés chaque année du
service. Paradoxalement, ces visites « imposées » furent
l’occasion d’identifier de nouveaux indices dans des
forêts jusqu’alors peu prospectées… En effet le bilan ne
s’évalue pas sur les dégâts immédiats, mais plutôt sur les
effets induits par les programmes de reconversion des
forêts détruites, pour lesquelles, aujourd’hui encore, il est
difficile de maîtriser la totalité des travaux. Le post tempête fut toutefois l’occasion de généraliser le contact
avec les forestiers à l’échelle de la région et d’affirmer le
principe d’une consultation systématique du service. Mais
sans conteste, cette catastrophe naturelle sera surtout
dommageable à l’économie forestière puisqu’elle
conduira à la restructuration de l’Office national des
forêts.
8. - ...viennent les réformes
Photo 3 : Mise au jour lors de travaux sylvicoles du système défensif d’un site de
hauteur protohistorique.
mena à la réorganisation de l’ONF, associée à la nouvelle
législation archéologique en 2001 fut le départ des nouvelles relations.
7. - Après la tempête...
Au lendemain de la tempête du 26 décembre 1999, qui
a fortement touché la région Lorraine, il a fallut organiser
le recensement des dégâts occasionnés au patrimoine
archéologique et mettre en œuvre dans l’urgence les
mesures de sauvetage et de prévention. 56 bénévoles ont
été mobilisés pour expertiser les 1600 sites conservés
sous forêts. La priorité fut donnée aux sites qualifiés de
« vulnérables », tels que les nécropoles de tumulus, les
sites de hauteur fortifiés et les mottes féodales. En l’absence d’information concernant les zones détruites, 300
(1) Institut national de recherche archéologique préventive.
272
Alors que s’opère progressivement la réorganisation de
l’Office, une nouvelle législation archéologique se met en
place. Des caractéristiques communes aux deux réformes,
on retiendra la création « d’agences opérationnelles »,
venant renforcer l’action des services, et une révision des
textes législatifs et réglementaires. Depuis la loi du 17 janvier 2001, « relative aux procédures administratives et
financières en matière d’archéologie préventive »,
l’agence locale de l’INRAP1 se voit confier la mise en
œuvre des opérations archéologiques prescrites par le service régional de l’archéologie. Désormais tout projet
d’aménagement, inscrit dans un zonage de consultation
arrêté par le Préfet de région, pourra faire l’objet de prescriptions archéologiques préventives si les travaux sont de
nature à porter atteinte à la conservation des vestiges.
L’activité forestière, qui jusqu’alors échappait au régime
déclaratif, entre désormais dans le champ d’application
du décret 2002-89 qui stipule en son article R442-3-1
que « sont soumis à déclaration préalable du Préfet de
région … les travaux d’affouillement, de nivellement ou
S. JACQUEMOT
d’exhaussement de sol liés à des opérations d’aménagement d’une superficie supérieure à 10 000 m2 et affectant
le sol sur une profondeur de 0,50 m … ainsi que les travaux de préparation du sol ou de plantations d’arbre ». En
somme, l’ensemble des travaux sylvicoles est concerné
par cette mesure. Plus d’une année fut nécessaire au service régional de l’archéologie pour élaborer les zonages
de consultation des 2337 communes lorraines et pour
assurer la diffusion des arrêtés auprès des différents services instructeurs. Aujourd’hui il est trop tôt pour mesurer
le réel impact de cette nouvelle procédure en faveur du
patrimoine. On en découvre en revanche les premières
difficultés. Seuls quelques zonages ont été arrêtés sur des
sites majeurs en forêt et déjà le service est dans l’incapacité de gérer de manière satisfaisante les premières déclarations de travaux. En outre, le caractère administratif des
nouvelles relations tend à limiter le contact direct avec les
agents et rend plus difficile le suivi des opérations sur le
terrain. Parallèlement, les dix agences forestières de l’ONF
se voient confier de nouvelles charges pour la reconstitution des forêts détruites. Les objectifs de rendement occasionnent aux agents plus de travail administratif et moins
de temps passé sur leur triage. D’évidence, l’application
stricte des règles d’archéologie préventive en accompagnement des travaux sylvicoles est illusoire. La centaine
d’archéologues de l’INRAP, déjà fortement mobilisée sur
les chantiers d’urbanisme, n’est pas d’une grande aide.
En outre, l’exonération des travaux forestiers à la redevance fiscale pour le financement de l’archéologie préventive, rend quasi impossible l’organisation de chantiers
de fouilles de sauvetage en forêt. C’est donc par la prévention que sera désormais admis le principe d’une prise
compte du patrimoine dans la gestion forestière. Ainsi
dans le cadre d’une convention d’échanges, la direction
régionale de l’ONF en Lorraine s’engage à fournir le parcellaire numérisé des forêts en cours de révision d’aménagement. En retour le SRA lui communique la localisation
des sites qu’il juge utile de préserver, accompagnés des
recommandations de gestion ou de prescriptions conservatoires. Ces mesures particulières appliquées à la gestion
des travaux sylvicoles n’exonèrent cependant pas les
forestiers du régime réglementant les découvertes fortuites.
9. - Prise en compte du patrimoine dans
l’aménagement des forêts
La nouvelle la loi d’orientation sur la forêt du 9 juillet
2001 offre ainsi un compromis équitable pour satisfaire
aux intérêts respectifs du patrimoine et de la forêt. Le
Code forestier modifié, prévoit, pour les forêts soumises
à des régimes de classement ou de protection, une simplification des procédures par l’approbation des autorités
compétentes du plan de gestion (document d’aménagement pour les forêts publiques). Une fois le plan de ges-
tion déclaré conforme aux réglementations, toutes les
interventions prévues sont exemptées de demande d’autorisation. En clair, mieux vaut prévenir que guérir. On
notera que ces procédures, qui exonèrent du régime
déclaratif les travaux visés au document d’aménagement,
ne peuvent cependant être mises en œuvre que pour les
sites bénéficiant d’un régime de protection au titre des
Monuments historiques ou au titre du Code de l’environnement. Toutefois l’interprétation de l’article 414-4 du
code de l’environnement (visé par la nouvelle loi d’orientation forestière) semble autoriser plus largement la prise
en compte du patrimoine dans les règles d’aménagement. Ce dernier précise que « chaque année, le représentant de l’Etat dans sa région, porte à la connaissance
de l’Office national des forêts… la liste des sites ou secteurs protégés dans les espaces boisés…ainsi que ceux
concernés par toute autre législation de protection ».
Ainsi, en application du Code du Patrimoine, les zonages
archéologiques ont lieu d’être annexés au document
d’aménagement. On l’a déjà vu, cette mesure vient en
aide aux gestionnaires du patrimoine à plusieurs titres.
Elle épargne les lourdes procédures d’instruction et minimise les interventions dans l’urgence. Au regard de l’intérêt archéologique, les modalités de gestion sont établies
en concertation avec le service et permettent l’adaptation
des travaux sylvicoles à la conservation des vestiges.
Enfin, les prescriptions émises sont opposables et durables pour les quinze années d’aménagement, garantissant ainsi la pérennité d’application des modalités prévues. C’est dans le cadre de la révision de l’aménagement
de la forêt domaniale de Verdun, qu’archéologues et
forestiers ont étudié les solutions adaptées à l’exploitation
forestière des 10 000 hectares du célèbre champ de
bataille de 1916. Pour ceux qui en douteraient, les vestiges de la grande guerre sont des biens culturels appartenant à la mémoire collective et relèvent pleinement de
la législation archéologique. On les recense sur environ un
tiers des forêts lorraines et leur prise en compte dans la
gestion forestière est une problématique constante. La
réflexion menée sur la forêt domaniale de Verdun fut l’occasion de d’identifier les modalités de gestion les mieux
adaptées aux forêts de guerre.
10. - Devoir de mémoire et gestion
forestière
Après les évènements tragiques de 1916 (plus de
300 000 morts, 60 millions d’obus tirés), les terrains bouleversés portent les plaies ouvertes du champ de bataille.
Les lois de 1919 et 1923 permettent à l’Etat de racheter
les terrains qui les confie à l’administration des Eaux et
forêts pour boisement. De 1927 à 1934 plus de 6000
hectares seront plantés en résineux en vu de reconstituer
les sols et recouvrir d’un vert « linceul », le champ des
horreurs… Dans ce vaste jardin d’épicéas subsistent les
273
S. JACQUEMOT
reliques d’anciens bois communaux dont la régénération
sera laissée à la nature. Des dizaines d’années plus tard,
les résineux peu adaptés aux conditions locales, imposent une reconversion de la forêt au profit d’un peuplement de feuillus, naturellement présents sur les côtes de
Meuse. Ainsi depuis trente ans s’opère la transformation
de la forêt de Verdun. Chaque année, environ une centaine d’hectares fait l’objet de plantations, installées à
l’abri des résineux. La multiplication des cloisonnements
d’exploitation et les charrières conduisent au nivellement
du sol sur plus de 40% des surfaces forestières. Plus ou
moins denses selon les secteurs, ces bandes gomment
irrémédiablement les cicatrices de la bataille. Pourtant,
au cœur de ce sanctuaire, 850 hectares de site sont classés depuis 1967. On y rencontre les principaux monuments historiques (forts de Vaux, de Douaumont, tranchées des baïonnettes, Ossuaire de Douaumont,
Nécropole nationale, Monument aux morts des israélites…) fréquentés par 200 à 300 000 visiteurs chaque
année. Ce lieu de recueillement, soigneusement entretenu pour le souvenir, ne saurait faire oublier les nombreux témoins historiques présents sur la totalité de l’espace boisé. Aucun inventaire ne recense les milliers de
tombes, abris et autres constructions peu spectaculaires
autour des villages détruits. Les innombrables sapes,
réseaux de tranchées, boyaux de communication sont
difficilement lisibles sur ces hectares de terrain bouleversés par les trous d’obus. On comprend donc la difficulté
à entretenir la forêt sans porter dommages à ces vestiges. Pourtant l’enjeu sylvicole ne peut faire oublier la
mémoire. Pour des raisons inconnues, jusqu’en 2004, les
interventions forestières sur le site classé se sont faites
hors du cadre réglementaire. C’est à l’occasion de la révision de l’aménagement 2006-2020 que des modalités
de gestion ont été arrêtées en étroite concertation des
services (ONF, DIREN2, SDAP3, SRA) et en association
avec les acteurs impliqués dans le devoir de mémoire4.
L’intérêt du plan réside dans l’adaptation des contraintes
à la situation actuelle du site. Ainsi les secteurs, considérés comme déjà fortement nivelés ont été laissées à la
production forestière sans prescriptions particulières. En
revanche, sur certaines parcelles conservant un potentiel
archéologique intéressant, les travaux sylvicoles ont été
réglementés. Outre la préservation de tous les vestiges
bâtis (recensés ou non), ces mesures ont permis de mettre en réserve foncière une sélection de tranchées peu
spectaculaires mais significatives de l’histoire du front.
Leur tracé linéaire sur plusieurs kilomètres rendant difficile l’adaptation des cloisonnements, un nivellement
pour le passage des engins y fut ponctuellement toléré.
Le plan réglemente également les modalités d’associa-
(2) Direction régionale de l’environnement.
(3) Service départemental de l’architecture et du patrimoine.
(4) Associations des anciens combattants et du Souvenir Français.
274
tion du service aux opérations de martelage dans les
secteurs mal documentés, où des prospections complémentaires doivent être menées.
Ainsi trois années furent nécessaires à la concertation
pour aboutir à un juste compromis permettant à la fois
le respect historique des lieux (y compris hors du site
classé) et une gestion forestière productive et
moderne. Sans préjuger de l’intérêt à multiplier cette
démarche sur tous les espaces boisés, on retiendra surtout le bénéfice de la concertation au profit d’une gestion patrimoniale et forestière durable. En effet, nul ne
sait de quoi sera fait demain et l’incertitude du devenir
des services dans un contexte économique et politique
renouvellé incite, autant que possible, à mettre en
œuvre les mesures conservatoires qui garantiront le
potentiel d’étude des générations futures.
11. - Sylva salvatrice
Hier nourricière, aujourd’hui productrice, tant qu’elle
servira l’intérêt des hommes, la forêt sera l’objet de
toutes les attentions. Assurée d’intérêt collectif, la
forêt de demain n’en reste pas moins une ressource
non renouvelable, toujours aussi fragile. Ainsi il en va
de la volonté des pouvoirs publics de s’adapter à
l’évolution des pratiques pour assurer sa pérénité.
Ainsi, la dernière loi d’orientation forestière s’appuie
sur une volonté de dialogue renouvelé entre tous les
acteurs et partenaires. Les recommandations du rapport J.L. BIANCO : « la forêt, une chance pour la
France » (1998), portent au plan international la gestion durable des forêts françaises, notamment dans le
cadre des conférences ministérielles du processus paneuropéen d’Helsinki sur la protection et la valorisation
des forêts en Europe. La vocation d’une forêt multifonctionnelle est réaffirmée et trouve sa place au sein
de nouveaux outils intégrant toutes les dispositions
législatives concourant à la protection de la biodiversité et des paysages. Les chartes forestières de territoires associent très largement l’ensemble des partenaires institutionnels, associatifs ou privés et définissent désormais les enjeux de la forêt sur les bases
d’une stratégie forestière négociée. Ainsi, plus que
jamais le patrimoine est l’affaire de tous. Désormais,
archéologues, propriétaires, élus locaux, gestionnaires
de la forêt, peuvent veiller à ce que le patrimoine de
l’humanité soit protégé, étudié et valorisé dans le respect des intérêts de la collectivité. L’objectif est louable, la tâche est longue… espérons que les bonnes
volontés ne baisseront pas les bras face aux difficultés
S. JACQUEMOT
récemment rencontrées à l’occasion des imprévisibles
tempêtes, feux de forêts…. mais aussi celles imputables aux simples réalités de la vie souvent décourageantes pour les plus motivés.
Remerciements
Mes remerciements s’adressent en premier lieu aux nombreux forestiers lorrains, qui depuis de longues années
investissent de leur temps et de leur passion au service du
patrimoine. Le fruit de cette collaboration revient pour
beaucoup à Christian Daynac, formateur à l’école forestière de Velaine, qui a impulsé le principe d’une rencontre
annuelle entre professionnels. Un remerciement particulier est adressé à Olivier Marcet, Ingénieur aménagement
à l’agence forestière de Verdun, pour avoir concrétisé
cette collaboration et pour avoir fait la démonstration
qu’un programme d’aménagement forestier peut être à
la fois respectueux de la mémoire et garant d’une gestion forestière moderne.
Crédits photographiques
Philippe FRIGERIO
Stéphanie JACQUEMOT
Orientations bibliographiques
Ministère de l’Agriculture et de la Forêt - Directives de
gestion de la forêt domaniale et orientations nationales pour l’aménagement des forêts appartenants
aux collectivités publiques et aux autres personnes
morales bénéficiant du régime forestier Fontainebleau 1990.
AMAT J.P., 1999, La forêt entre guerres et paix, étude
de biogéographie historique sur l’Arc meusien de
l’Argonne à la Woevre, Thèse de doctorat es lettres et
sciences humaines mention géographie, Université de
Lille I.
AMAT J.P., 1987, Guerres et milieux naturels : les forêts
meurtries de l’Est de la France, 70 ans après Verdun,
Espace géographique, 3.
ALLEHAUX F., BRONDEAU A., GOZAL M, 1998,
Patrimoine archéologique en forêt : pistes pour un programme d’actions [Rapport de TEG, Ecole Nationale de
Génie Rural des Eaux et Forêts], 57 p.
CARDEW M., 2002, La forêt et le paysage après la tempête Lothar, Direction régionale de l’agriculture et de la
forêt, Nancy.
Conseil Général du Val de Marne, 2003, Charte forestière
de territoire de l’Arc boisé. Diagnostics, orientation et
propositions d’actions 2004-2008, Créteil.
275
276
La collaboration archéologique entre le service régional
de l’archéologie de Haute-Normandie et l’Office National
des Forêts pour la gestion des vestiges archéologiques
Thierry LEPERT(1), Jean MESCHBERGER(2)
(1) ingénieur d’études, Mission de la Recherche et de la Technologie du ministère de la Culture, Service Régional de l’Archéologie de Haute-Normandie,
UMR 7041-archéologie et sciences de l’antiquité – [email protected]
(2) technicien, Office National des Forêts, Direction Territoriale Ile-de-France – Nord-Ouest, Agence Régionale de Haute-Normandie – [email protected]
Résumé
Comme dans la plupart des Régions, les massifs forestiers de Haute-Normandie sont riches de vestiges archéologiques
appartenant à des sites souvent particulièrement bien conservés. Cette réalité de mieux en mieux connue et reconnue,
reste majoritairement à l’écart des pratiques de l’archéologie contemporaine. Les fouilles programmées ou les prospections de natures diverses sous couvert boisé ne sont certes pas exceptionnelles. Leurs apports en termes de résultats
scientifiques, de sensibilisation du public et des forestiers, n’est pas contestable. Ces investissements multiples ne résolvent cependant pas la question de la prise en compte du patrimoine archéologique dans les pratiques sylvicoles. Si le
cadre législatif et réglementaire en vigueur en France accorde une protection juridique à l’ensemble des vestiges, répertoriés ou non, son application au quotidien demeure problématique. La récente loi sur l’archéologie préventive (2001)
n’apporte pas d’amélioration notable à ce contexte. Il convient donc de trouver des voies parallèles qui, tout en respectant l’esprit des textes, relègue leur application à la lettre aux situations d’exceptions.
L’état des travaux communs de l’Office National des Forêts et du Service Régional de l’Archéologie est le fruit de cette
approche mesurée dont l’objectif est la gestion cohérente de l’ensemble du patrimoine archéologique au sein des forêts
domaniales.
Abstract
Like in most regions, the forest areas in the Haute-Normandie region are full of archeological vestiges that belong to
usually particularly well-preserved sites. This reality -that more and more people are aware of and acknowledge- is usually kept away from contemporary archeological works. Sure enough, it is not exceptional to program excavations or to
prospect forests in different ways. What these actions bring in terms of scientific results, sensitization of the greater public and foresters, can not be questionned. However, these numerous investments do not solve the issue of taking into
account the archeological heritage in forest management strategies.
Although the applicable legislative and regulatory framework in France grants legal protection to all vestiges, be they
registered or not, its daily implementation remains a problem. The recent law about preventive archeology (2001) does
not bring any notable improvement to this framework. For this reason, parallel paths have to be found, which respect
the spirit of the laws but relegates their strict application to exeptional situations.
The state of the common works between the Office National des Forêts (National Office of Forestry) and the Service
Régional de l’Archéologie (Regional Archeological Department) is the result of this temperate approach, the goal of
which is a coherent management of the entire archeological heritage within state-owned forests.
277
T. LEPERT, J. MESCHBERGER
1. - Introduction
Petite région de deux départements (Eure et SeineMaritime) encadrant la basse vallée de la Seine en aval de
la région parisienne, le coeur historique de la Normandie
est aujourd’hui relativement boisé (20 % du territoire
régional). La moitié de cette couverture forestière est
constituée de forêts domaniales du ressort de l’Office
National des Forêts.
La constitution des grands massifs forestiers actuels
appartient à l’histoire récente de l’occupation du territoire
régional. Ces vastes espaces boisés, publics ou privés sont
l’aboutissement de processus économiques, sociaux et
politiques complexes. Leurs amorces seraient, selon l’état
des travaux (Lequoy, 1975), à rechercher dans le courant
du premier millénaire après J.-C. (Bas Empire romain et
haut Moyen Age…). L’existence de lambeaux de la forêt
primaire holocène tient plus du mythe que d’une quelconque réalité. Depuis les prémices de l’agriculture, dans
le courant du cinquième millénaire avant J.-C. pour notre
région, la très grande majorité des parcelles forestières, a
changé d’affectation à plusieurs reprises. Cette longue
histoire explique aisément la conservation de nombreux
vestiges archéologiques sous couvert forestier. Une situation connue de longue date, mais très irrégulièrement
perçue localement selon la répartition des érudits au
cours des périodes Moderne et Contemporaine. Les premières recherches structurées, en forêts domaniales, ne
sont pas antérieures à la première moitié du XIXe siècle, à
l’exemple de la fouille de la villa de Maulévrier dans les
années 1830 (Penna, 2000).
L’état des connaissances et la prise en compte des vestiges archéologiques dans les pratiques sylvicoles reposait
principalement sur l’investissement individuel des chercheurs et de quelques forestiers. Leurs efforts sont toujours remarquables mais restent trop souvent sans lendemain, après leur disparition ou leur changement de résidence personnelle ou professionnelle.
Après la structuration des Directions Régionales des
Affaires Culturelles du ministère de la Culture dans les
années 1970, les contacts se sont multipliés avec l’ONF
sans pour autant parvenir à une prise en charge commune, cohérente et homogène, du patrimoine archéologique. Une telle situation est en partie imputable à une
méconnaissance mutuelle des impératifs réciproques.
Mais elle incombe principalement à un défaut de localisation fiable et suffisamment précise des vestiges archéologiques déjà inventoriés.
Une fois de plus le fruit de nos travaux est issu d’une rencontre entre archéologues et forestiers. Les contacts
noués auraient pu ne conduire qu’à une simple amélioration des connaissances et de la prise en compte des données archéologiques en forêt domaniale de Lyons-la-Forêt
278
(Eure). Nous avons été tentés par la perspective de développer des actions de gestions et de recherche sur un territoire où les volontés étaient présentes. Ces études de
cas sont des plus justifiées et nécessaires mais le risque est
qu’elles ne deviennent de fait des vitrines masquant une
absence de gestion cohérente du patrimoine archéologique en milieu forestier géré par l’ONF. Si la question est
régulièrement évoquée par les agents de l’Office et des
Services Régionaux de l’Archéologie, elle est loin d’être
résolue. Le cœur du débat est bien évidemment la conciliation des impératifs économiques de la gestion et de
l’exploitation sylvicole avec les souhaits de préservation
des legs anthropiques. Nous nous sommes lancés dans
cette voie avec un double objectif :
gérer les vestiges identifiés,
préserver au mieux les potentiels non reconnus, sources
de renouvellement des thématiques de recherche et
vivier de données indispensables à toute analyse diachronique et spatiale.
2. - Une expérience en forêt domaniale
de Lyons-la-Forêt
En novembre 1993 un agent de l’ONF, exerçant ses fonctions au sein de la division de Lyons, entre en contact avec
le Service Régional de l’Archéologie à l’issue d’un parcours d’obstacles révélateur du manque de lisibilité extérieur des services de la DRAC. C’est « l’entrée » en
archéologie de Jean Meschberger. Les relations, d’emblée
fructueuses, sont rapidement officialisées avec les responsables de la division, puis avec la direction régionale de
l’ONF.
Dans un premier temps, en partant de la documentation
existante, les sites répertoriés par la carte archéologique
ou par d’autres sources, sont localisés et vérifiés sur le terrain. Il s’agit essentiellement de sites gallo-romains.
Rapidement, J. Meschberger acquiert une compétence
toutes périodes confondues. A ce jour les sites archéologiques détectés sont, depuis de nombreuses années, des
sites inédits couvrant toutes les plages chronologiques
depuis le Paléolithique moyen.
Les données récoltées concernent tous les triages de la
forêt de Lyons (une forêt de 11 000 hectares réputée peu
occupée, Dollfus, 1926), ainsi que quelques sites extérieurs au domaine forestier. Outre les découvertes personnelles de l’agent et les informations transmises par ses
collègues, le travail accompli draine régulièrement des
données auprès de la population locale et des inévitables
et indispensables amateurs de toute nature. Les indices
réunis sont vérifiés conjointement à l’occasion de deux à
trois tournées annuelles. Les données nouvelles sont intégrées à la carte archéologique du ministère de la Culture
et les sites inédits déclarés au nom de leur inventeur.
T. LEPERT, J. MESCHBERGER
Figure 1 : fiche A 50 r/c pour les parcelles 835-838.
279
T. LEPERT, J. MESCHBERGER
Figure 1 bis : croquis annexé à la fiche A 50 r/c pour les parcelles 835-838.
Depuis 1997, toutes les informations sont transcrites sur
les fiches ONF A 50 r/c, relatives aux vestige(s) et élément(s) culturel(s) remarquable(s) (fig.1) et intégrées au
sommier de chaque parcelle ONF. Une copie du document est jointe à la déclaration rédigée par le SRA pour
nourrir le fichier informatique de la carte archéologique.
Les documents papiers sont ensuite versés au fichier communal du SRA. L’information est donc pérennisée au sein
des deux services et les interlocuteurs ont la certitude de
parler des mêmes sites archéologiques et de disposer de
données exploitables par chacun, selon ses missions et
son domaine de compétence.
280
La fiche A 50 r/c devient l’archive papier source de toute
dématérialisation (fichiers informatisés, SIG) des données
archéologiques vérifiées et localisées au sein d’une parcelle ONF. Il garantit la validité de l’information utilisée
tant à des fins de gestion patrimoniale et sylvicole qu’à
des fins de recherches. Cette fonction peut être remplie
par n’importe quel autre document de nature similaire. Il
se doit d’être la mémoire validant les informations et
recensant les interventions communes sur le site. Il est
complété autant que de besoin (fig.1 bis).
T. LEPERT, J. MESCHBERGER
Figure 2 : les symboles carrés localisent les sites détectés par J. Meschberger depuis 1993.
Cette collaboration, au départ informelle, a fait la preuve
de ses méthodes et de ses résultats (chiffres sur Lyons :
89 sites inédits et environ autant d’indices de sites et d’informations complémentaires concernant des vestiges
déjà répertoriés (fig.2). Il a rapidement paru judicieux de
la faire connaître pour susciter de nouvelles initiatives,
sans cependant prôner un investissement professionnel et
surtout personnel à la hauteur de celui de J. Meschberger.
Cette initiative s’est traduite par la mise en place d’une
formation professionnelle.
3. - Une formation professionnelle interrégionale
En 1995, Jean Meschberger participe à la deuxième session du stage intitulé « archéologie : repérage, protection et mise en valeur des sites en forêt ». Cette formation, organisée à Nancy par le Centre National de
Formation Forestière (CNFF) et le Service Régional de
l’Archéologie de la DRAC de Lorraine, montre combien la
prise de conscience de la nécessité d’une intervention
commune, des forestiers et des archéologues, se généralise. Le dossier « Forêt et archéologie » publié dans le
numéro 71 de la revue Arborescences (Lecomte, 1997)
dessine un état de la question à travers la présentation de
nombreuses expériences locales. Cependant une formation nationale ne peut ni rendre compte des grandes
diversités régionales et, par conséquent, proposer les
adaptations nécessaires, ni toucher un nombre satisfaisant de stagiaires.
Pour tenter de pallier ces carences, une formation déconcentrée est organisée à partir de 1999 grâce au chargé de
mission inter-régional de formation professionnelle
(Monsieur Gérard Esprit) ONF pour les Régions Haute et
Basse Normandie, Bretagne et Pays de la Loire. Outre une
sensibilisation de base à la détection des vestiges archéologiques et à leur prise en compte dans les pratiques sylvicoles quotidiennes, l’objectif affiché est de toucher suffisamment d’agents de l’Office pour couvrir progressivement l’ensemble des divisions et des groupes techniques.
Le résultat des premières sessions (1999 à 2002) est relativement satisfaisant en terme de dispersion géographique des stagiaires. Leur intérêt pour le patrimoine culturel, en général, est indéniable. Il explique sans doute en
grande partie leur inscription à un stage dont la finalité
est a priori bien éloignée des principales préoccupations
281
T. LEPERT, J. MESCHBERGER
Figure 3 : Jean Meschberger lors de la préparation de
la formation « archéo » 2004, en forêt de Lyons.
Figure 4 : cliché du sondage ouvert en 2000 sur la
commune de Rosay-sur-Lieure (27). 1 m 60 de stratigraphie gallo-romaine incluant à sa base un paléosol sur
loess (sol brun lessivé).
de gestion et d’exploitation sylvicole. A l’issue de cette
journée les participants ont rejoint leur triage avec une
conception et une approche nouvelle du patrimoine historique, et archéologique en particulier. Au cours de la
formation, l’accent est mis sur les conditions préférentielles de conservation des vestiges en milieu forestier.
Dans la mesure du possible, la session de formation est
précédée de l’ouverture d’un sondage (fig.3) qui permet
une visualisation sur le terrain des potentiels stratigraphiques (fig.4 et 5) récurrents des sites « forestiers »,
potentiels généralement réduits à néant en milieu agricole ouvert.
Les premiers retours d’informations indiquent que l’investissement des stagiaires et des formateurs s’avère payant.
Mais, si la pertinence de la formation est bonne, seuls des
investissements personnels exceptionnels permettraient
d’apurer le passif concernant les vestiges archéologiques
découverts antérieurement (vérification et localisation
parcellaire, intégration des informations nécessaires dans
les dossiers correspondants afin de permettre leur prise
en compte tant par l’ONF que par les services de la
DRAC). En outre, la réorganisation récente de l’Office
National des Forêts et les gains de productivités qu’elle
demande font que le temps disponible pour des actions
non directement productives est limité. En d’autres
termes, il s’avère nécessaire d’accompagner cet effort de
formation professionnelle par une remise à niveau pro-
282
Figure 5 : cliché du sondage ouvert en 2004 sur le
micro-relief 1 de la figure 1bis, commune de Touffreville
(27). 1 m 40 de stratigraphie gallo-romaine incluant à
sa base un paléosol sur argile sableuse (podzol?).
gressive de l’état de la documentation antérieure.
4. - Résorber le passif
Il ne saurait être question d’aller aussi loin qu’à Lyons-laForêt. La prise en compte du patrimoine archéologique ne
figure pas parmi les missions premières de l’Office
National des Forêts, qui respecte par ailleurs ses obligations légales en la matière. Toutefois, l’établissement
public dispose désormais au sein de quelques directions
territoriales et de sa direction nationale de compétences
certaines en matière d’inventaire archéologique en milieu
forestier.
D’un commun accord, nous avons utilisé ces compétences pour assainir la situation de l’ensemble des forêts
domaniales de Haute-Normandie. Cette action ne pouvait
se concevoir, dans un esprit de saine gestion, sans assurer
à l’ONF un soutien financier. Les financements sont à
rechercher auprès des DRAC ou des collectivités territoriales selon le statut des massifs concernés. Ils peuvent
prendre la forme de contrats d’études ou de subventions.
Dans notre cas, il s’agissait presque exclusivement de
forêts domaniales. Cette initiative, prise en 2003, a donc
été financée par les deux partenaires DRAC-ONF sur un
ratio de 80%-20% pour atteindre les objectifs suivants :
sur la base des données de la carte archéologique et
T. LEPERT, J. MESCHBERGER
des connaissances des agents des unités territoriales,
localiser et vérifier les sites,
rédiger les fiches A 50 r/c, les intégrer au sommier de
chaque parcelle, les transmettre au SRA pour insertion
dans les dossiers communaux et enregistrement dans la
carte archéologique nationale,
sensibilisation des agents et recherche d’un volontaire chargé de suivre la question archéologique
avec la DRAC au sein de chaque unité territoriale,
en plein accord avec l’Agence Régionale ONF de
Haute Normandie.
Les deux premiers points ont été pleinement réalisés
en 2004 et 2005, nécessitant six mois à plein temps
pour une personne. Pour le troisième, seule l’identification d’un correspondant archéologie au sein de
chaque unité territoriale est encore incomplète à ce
jour. De plus le correspondant archéologie pour l’ensemble de l’Agence Régionale de Haute-Normandie,
qui devait devenir l’interlocuteur unique du SRA a,
depuis notre colloque de Velaine-en-Haye, quitté la
Région. Cette évolution des parcours professionnels,
des plus normales, nous conforte dans la nécessité de
constituer une ressource documentaire de base, certes
minimaliste mais vérifiée et disponible des deux côtés,
même si les documents sont « perdus » dans un dossier communal ou dans un sommier plus ou moins
bien suivi.
5. - Bilan
La très grande majorité des sites archéologiques antérieurement répertoriés en forêt domaniale est désormais localisée sans ambiguïté au sein du parcellaire forestier. Leur
structuration apparente et leur état de conservation sont
mieux estimés. Il nous est donc possible d’élaborer une
politique de gestion des vestiges identifiés qui tienne
compte de leur intérêt scientifique potentiel, de leur présence plus ou moins marquée au sein des massifs et des
contingences techniques et économiques des pratiques
sylvicoles contemporaines.
La prochaine étape consistera à reprendre ces données pour en assurer l’intégration et la prise en
compte dans les différents aménagements forestiers
après définition de normes de gestion en concertation
avec l’Agence Régionale et le responsable « patrimoine » à la direction nationale de l’ONF. Les choix à
opérer s’avéreront souvent douloureux, d’autant plus
que nous n’oublions pas que nous ne raisonnerons
que sur une connaissance très partielle du patrimoine
archéologique « forestier ».
La préservation des potentiels non reconnus à ce jour,
évoqués dans l’introduction du présent article, n’a pas
été oubliée. Les directives locales d’aménagements
ONF (actuelles directives régionales d’aménagements)
pour la Haute-Normandie ont été révisées en 1999.
Des mesures prophylactiques ont été définies : limiter
les curages de mares, respecter les fossés et talus, ne
pas niveler les micro-reliefs... Ces prescriptions de
base sont depuis reprises lors des révisions des aménagements forestiers.
A partir de 2004, la formation professionnelle interrégionale, a été repensée à la lumière des expériences
antérieures, en concertation avec nos collègues chargés de ces questions au niveau national (Direction
Technique, Département recherche).
Ce long travail d’harmonisation des connaissances est
un préalable favorable à une saine gestion des vestiges. Il n’est pas pour autant incontournable comme
l’indiquent les expériences différentes conduites dans
quelques régions. Cette voie correspondait à notre
sensibilité. Par contre, cet acquis assure un socle
documentaire et relationnel serein propice à l’accueil
et au développement de programmes de recherches
spécifiques qui n’auront pas vocation à être systématisés. Gestion et recherche archéologiques doivent
être distinguées tout en restant en étroite relation. En
ce sens notre contribution au thème « gestion des
sites archéologiques en forêt » est largement complémentaire des problématiques abordées et des résultats
exposés lors des deux journées du colloque.
6. - Conclusion
Notre ambition est d’assurer une prise en compte
minimale mais homogène des vestiges archéologiques
au sein des forêts domaniales.
Une telle démarche se conçoit sur les moyen et long
termes. Elle n’est en rien spectaculaire et reste donc
difficile à valoriser. C’est pourquoi il nous semble fondamental de miser sur les intervenants en place, tant
du côté des forestiers que des archéologues. Les
moyens à mobiliser sont minimes une fois le passif
résorbé. Il s’agit plus d’une attention quotidienne,
d’une sensibilisation de base permettant au forestier
de réagir sereinement lorsqu’il se trouve confronté au
patrimoine archéologique, patrimoine qui reste très
majoritairement à découvrir.
Le travail de sensibilisation a donc visé les agents de
terrain mais aussi la direction régionale de l’ONF pour
valider les engagements individuels. L’objectif premier
affiché est de vérifier et de pérenniser l’information
archéologique dans les fichiers du SRA et dans le sommier des parcelles concernées. Des mesures spéci-
283
T. LEPERT, J. MESCHBERGER
bles que parce que nous nous trouvons face à une
structure publique d’envergure. Souhaitons qu’il en
soit encore ainsi pour longtemps.
Bibliographie
DOLLFUS M.-A., 1926, Etude archéologique du canton de Lyons-la-Forêt (Eure) et fouilles pratiquées au
Quartier du Bout-de-Bas de Lyons-la-Forêt, Bulletin de
la Société Normande d’Etudes Préhistoriques, Tome
XXV, années 1922-1924, p.125-148.
LECOMTE F. (dir.), 1997, Forêts et archéologie,
Arborescences,71, p.2-41.
Figure 6 : forêt de Retz, sondage ouvert en 2005, maçonneries gallo-romaines en
élévation sur 80 cm.
fiques n’ont été à ce jour qu’exceptionnellement préconisées, partant du postulat que la meilleure protection est la connaissance du potentiel.
Dans ce climat favorable, nos relations se resserrent
d’une année sur l’autre. Elles n’ont pas été affectées
par la restructuration profonde de l’ONF au cours de
ces dernières années. Seule la formation mise en place
en 1999 ne s’est pas déroulée en 2003, pour faciliter
la restructuration du service de formation inter-régional. Après un retour en forêt de Lyons en 2004, la session 2005 s’est tenue en Picardie (forêt domaniale de
Retz, Aisne). A partir de 2006, elle se déroulera sur
deux jours pour mieux répondre à la demande des stagiaires.
Le caractère inter-régional des formations professionnelles de l’ONF nous a offert l’occasion d’élargir l’expérience. Notre meilleure récompense est que, désormais, la demande de mesures spécifiques plus poussées en faveur du patrimoine archéologique émane
des agents et des services gestionnaires de l’ONF. Si
certaines prescriptions sont évidentes pour les sites à
caractère exceptionnel, des préconisations plus systématiques sont à élaborer avec prudence, en concertation avec la direction nationale de l’Office, compte
tenu de leurs conséquences économiques possibles.
Enfin, pour terminer, un regret... La prise en compte
du patrimoine archéologique au sein des forêts privées reste largement impossible en raison de la multiplication des interlocuteurs. Ce qui revient à constater
que les travaux engagés avec l’ONF dans de nombreuses régions et au niveau national ne sont possi-
284
LEQUOY M.-C., 1975, La Forêt de Brotonne à
l’époque gallo-romaine, Groupe Archéologique du Val
de Seine.
PENNA B., 2000, Les fouilles de la villa de Maulévrier
(1837-1832), Les manuscrits de Louis-François Le Sage
(1762-1851) sur Caudebec-en-Caux et ses environs,
p.171-201.
Palimpsestes et héritages des polémopaysages dans
les massifs du Saillant de Saint-Mihiel
Frédéric STEINBACH(1), Jean-Pierre HUSSON(2)
(1) Office National des Forêts – Agence de Neufchâteau – 22 chemin de Gréty – 88300 Neufchateau – [email protected]
(2) Professeur, Département de Géographie – Nancy 2 – Boulevard Albert 1er – 54000 NANCY – [email protected]
Résumé
Après la guerre, le classement en Zone Rouge du Saillant de Saint-Mihiel fige les polémopaysages sous des forêts résineuses mêlées à des essences feuillues, ce qui traduit la capacité à cicatriser des régénérations. En décembre 1999, alors
que le retour progressif aux peuplements initiaux s’effectue, le passage de Lothar provoque d’importants chablis. Il recrée
des paysages proches de ceux de 1918 et sort de leur position fossilisée les vestiges de guerre. L’exploitation, la vidange
des bois, les travaux à entreprendre amènent, de façon inédite, à reconsidérer ce territoire placé entre mémorialisation,
suivi archéologique et reconstitution sylvicole.
Abstract
After the First World War, the Saillant de Saint-Mihiel was classified Zone Rouge this heavily fought over ground was
progressilevy covered by resinous forest, interspersed by decidious species, this demonstresting a naturel heating capacity. However, in December 1999, while the woods were returning to their pre-war condition, the Lothar storm uprooted many trees, almost recreating the1918 style landscape and unearthing many remains of the war. In a imprecedented situation, the cleanry of the grounds, the tasks to be undertaken, have led this territory to be considered as a memorial, as an archaeological dig and as a site for reforestation.
1914-1918 sont des dates inscrites en lettres de sang
dans l’histoire de l’humanité. Elles sont synonymes d’effroyables boucheries, de lots quotidiens de souffrance et
de morts, de meurtrissures des corps et des âmes, de
mutilations (Puyot, 2004).
L’Histoire a surtout retenu de ce conflit les dates des offensives, le nom des commandants, les pertes infligées aux
différents belligérants. Avec le recul qui crée de la résilience, voire de l’oubli, d’autres approches de ces heures
tragiques de notre histoire sont désormais possibles. Le
devoir de mémoire et de souvenir des sacrifices payés
relève aussi d’une approche archéo-géographique liée à
travers le prisme de paysages qui « sentent » encore la
guerre, l’impact des combats qui sont ancrés dans la
matrice du sol. C’est le palimpseste, avec ses armatures,
ses maillages, ses réseaux. Près d’un siècle après les faits,
la forêt a enseveli et fossilisé les lignes de front en réinvestissant le territoire devenu pour les archéologues un objet
de recherche et une source confrontable avec une foule
d’autres matériaux (photographies aériennes prises entre
1914 et aujourd’hui, carnets de guerre, etc). L’espace
concerné appréhendable en fonction des diverses échelles
emboîtables (du trou d’obus au massif forestier) est soumis à une dynamique drapante forestière qui fut salvatrice
chaque fois que la topographie heurtée née des combats
fut conservée. Cet exposé est placé à la croisée de l’histoire et de la mémoire des lieux, de l’évolution sylvicole sur
des types stationnels inédits et enfin de l’archéologie des
polémopaysages. Il part d’une genèse explicative des massifs, nous éclaire ensuite sur les processus de préservation
générés par les reboisements et enfin amène à s’interroger
sur la gestion post-tempête à arrêter.
1. - La genèse des massifs
1.1. - L’état du sol après la guerre : des topographies à
l’aspect laniéré, des substrats martyrisés
Le succès de l’offensive franco-américaine du 12 septembre 1918 sur le secteur du Saillant de Saint-Mihiel est très
rapidement commenté par la presse locale et nationale.
Les populations exilées n’ont alors qu’une envie : revenir
et retrouver leurs biens.
285
F.STEINBACH, J-P. HUSSON
La ligne de front n’ayant quasiment pas évolué du 25 septembre 1914 au 12 septembre 1918, et le secteur ayant
à plusieurs reprises fait l’objet d’intenses combats, les sols
et les habitats ont énormément souffert. Durant 48 mois,
des hommes et leurs machines de destruction se sont fait
face dans des affrontements d’une violence inouïe, laminant les sols, rayant de la carte des villages, déchiquetant
les forêts dont les lisières ont été militairement occupées
comme point d’ancrage. Du village de Flirey, une seule
maison reste habitable, les villages de Remenauville,
Régniéville et Fey-en-Haye, qui étaient à un moment ou
un autre situés en première ligne, sont totalement rasés.
Dès leur libération, certains ont même servi de carrières
pour la remise en état du réseau routier lors de l’offensive
libératrice.
Avant la guerre, les finages de ces villages lorrains ne différaient pas d’ailleurs. Le blé, l’orge, le seigle et l’avoine
étaient cultivés sur un parcellaire organisé en fines
lanières souvent réduites à 10 ou 20 ares. Les prairies
étaient rares et la plupart artificielles, les agriculteurs
introduisant des plantes fourragères dans la partie de l’assolement mise en jachère. Ainsi, ces plantes enrichissaient
le sol en azote tout en fournissant de la nourriture au
bétail. Les forêts, quant à elles, étaient en majorité des
propriétés communales reléguées à l’extrémité du finage.
La plupart étaient gérées en taillis-sous-futaie et composées d’essences feuillues.
L’impact de la guerre bouleverse totalement ces terroirs.
Les sols sont remués par les tranchées prolongées par des
boyaux et par les impacts des bombardements parfois
diluviens, qui mettent le sol en souffrance (photo 1). Avec
l’apparition de la guerre de position et des destructions
qui l’accompagnent, les fantassins s’enterrent en pleine
campagne. Va alors se développer, notamment sur le
front de Flirey, une technique de combat ancestrale mais
modernisée, la guerre de mines. Cette technique consiste
à creuser sous les lignes adverses, à bourrer une chambre
d’explosif puis à la faire sauter pour détruire les défenses
ennemies. A Flirey, 130 de ces actions se déroulent sur un
linéaire réduit de 1200 mètres de front, y créant des
entonnoirs dont les plus imposants ont un diamètre avoisinant les trente mètres et une profondeur de huit à dix
mètres. L’openfield est ainsi transformé en une succession
de cratères.
Les forêts sont également défigurées. Initialement elles
servent de camouflage aux troupes. Lors de la contreoffensive française menée sur le plateau de Haye le 25
septembre 1914, les troupes allemandes battent en
retraite pour se positionner sur les lignes de crêtes et à la
lisière des forêts. Sous cette protection naturelle se développent les zones de cantonnements. On y installe des
dépôts pour abriter les troupes et les matériels des observations terrestres et aériennes. Les forêts alimentent la
ligne de front en ressources naturelles : des planches et
286
des madriers pour construire les abris et étançonner les
sapes, des gaulis pour le gabionnage des tranchées, des
moyens et gros bois pour obtenir du charbon de bois et
du bois de feu. Les forêts de la ligne de front sont en partie déchiquetées par les obus envoyés sur les retranchements qu’elles abritent. Celles de l’arrière sont épuisées
par les prélèvements sauvages effectués par les troupes
en campagne ou au repos.
Au retour des civils, le paysage est méconnaissable. Ce
n’est que ruines sur l’ensemble de la ligne de front. Il faut
en priorité se loger alors même que de nombreux villages
sont rayés des cartes. Avant même d’espérer la remise en
état des terrains, il convient de retrouver les limites de
propriétés puisque l’essentiel des bornes ont disparu. Les
habitants, qui pour la plupart ont tout perdu, sont encore
confrontés aux soucis administratifs inhérents aux règlements des indemnisations ou encore au rachat par l’Etat
des biens jugés irrécupérables, pour créer la Zone Rouge.
Les dédommagements de guerre accordés aux habitants
qui ont perdu leurs habitats, terrains et outils de travail,
s’effectuent sur ce secteur, au cours de l’année 1923.
L’Etat rachète la quasi-totalité des terrains agricoles et des
habitats ruinés situés dans la zone de combats. Les forêts
domaniales ou des collectivités territoriales n’y sont pas
incluses, mais elles vont, elles aussi, bénéficier d’aides
spécifiques à leur reconstitution.
Photo 1 : Photo allemande de la ligne de front située au nord-ouest de Flirey prise
le 22 août 1917. Elle témoigne des bouleversements du sol occasionnés par les
combats. Le parcellaire est celui de la future forêt domaniale des Hauts-de-Mad.
(Source : collection particulière)
F.STEINBACH, J-P. HUSSON
1.2. - La création des Zones Rouges
La question de la reconstruction des zones de combats
est abordée assez tôt. Les violents combats de septembre
1914 sur la Marne ont occasionné de nombreuses destructions, amenant très tôt des politiciens à s’interroger
sur la manière dont il faudrait reconstruire le pays. Le vote
de la loi du 26 décembre 1914 fait de la restauration des
régions dévastées et de la remise en état du sol une tâche
prioritaire pour le gouvernement. Dès novembre 1914, la
fixation du front et son corollaire, la guerre de position,
accroissent l’ampleur des destructions. L’État décide alors
de mener une véritable réflexion sur le devenir des
champs de bataille. Les décisions ainsi prises peuvent être
appliquées dans les secteurs où se sont opérés des retraits
de troupes allemandes. Dès le début de l’année 1918, le
ministère des Régions Libérées peut ainsi commencer ses
enquêtes de terrain sur l’évaluation des destructions. De
son côté, le législateur développe des outils juridiques
pour définir le cadre d’intervention de l’État. Les circulaires du 17 janvier 1918 et du 1er février 1919 précèdent
la loi sur la Réparation des dommages causés par les faits
de guerre, qui est votée le 17 avril 1919. Convaincus que
l’Allemagne paiera l’intégralité des dommages de guerre,
les parlementaires français adoptent au printemps 1919
le principe d’un dédommagement individuel et intégral
des propriétaires sinistrés. L’Etat s’engage à prendre en
charge les travaux de remise en état des terres, mais
impose aux communes l’élaboration de plans d’urbanisme au travers de la Loi Cornudet. Il encourage également les sinistrés à se regrouper au sein de coopératives.
Les travaux de remise en état commencent sur une partie
du territoire, mais faute d’une définition juridique précise,
les terres fortement bouleversées sont gelées et aucun
travail n’y est réalisé. Il faut attendre la circulaire 134 du
13 mars 1920 qui précise la notion de terres incultivables
pour définir une nouvelle politique. Sont dites incultivables « les terres pour lesquelles on juge inadmissible soit
les frais, soit les délais de remise en état de productivité
comparable à l’état d’avant-guerre » (Amat, 2000). Dans
les faits, sur le territoire qui nous intéresse, il ne semble
pas que la notion de délais de remise en état de productivité ait été prise en compte. D’après la délimitation de la
Zone Rouge, autrement dit le liseré coloré en rouge qui
englobe ces terres, c’est plutôt l’aspect économique qui a
été retenu. Entre Flirey et Fey-en-Haye l’espace classé en
Zone Rouge correspond au tracé de la ligne de front. Ce
classement concerne principalement les habitats et les
terres agricoles. La reconstitution forestière n’exige pas
expressément un sol plane, nettoyé de toutes les traces
laissées par les combats (tranchées, abris, munitions …).
Elle peut continuer à se développer ou renaître à partir
d’une topographie heurtée. Malgré cette latitude, sur le
territoire de Flirey, l’Etat va racheter des forêts privées
cédées par actes du 31.12.1925 et 21.09.1926. Ces
achats sont réalisés en vue de la reconstitution forestière,
mais sans intégrer les parcelles concernées à la Zone
Rouge.
Les habitants sont dédommagés de la perte de leurs
biens, suivant des critères de rachat que nous ne connaissons pas. Il semble que les remboursements aient pris en
compte la surface, le type d’occupation du sol, et peutêtre le rendement. Les terres désormais dénommées
“Zones Rouges” sont classées en trois catégories :
Les terrains susceptibles d’être remis en état de culture
plus ou moins complète et destinés, en principe, à être
rétrocédés à des particuliers, tous travaux de désobusage, destruction des projectiles et enlèvement des
réseaux de fils de fer préalablement exécutés par l’Etat.
Les terrains non susceptibles d’être remis en culture et
destinés à être boisés en vue de la formation ou de la
reconstitution des forêts domaniales.
Les terrains destinés à être classés comme vestiges de
guerre ou transformés en camps d’instruction militaire.
Pour les deux premières catégories citées, « le classement est prononcé par le ministère des Régions Libérées
sur présentation du Préfet, après avis des maires des communes concernées ». Un lotissement par commune des
terrains rachetés par l’Etat et destinés à être vendus sera
effectué par l’Administration. Les lots de 1 à 25 hectares
sont mis en vente dans la forme normale et sur mise à
prix à l’hectare fixée par l’Administration.
A égalité d’offres, la priorité est donnée aux sinistrés,
propriétaires de terrains rachetés par l’Etat, puis aux
autres habitants de la commune, et enfin aux habitants
des communes limitrophes.
Le critère de délimitation de la “Zone Rouge” peut faire
l’objet de critiques puisqu’il est essentiellement critérié
sur des paramètres économiques et non sur l’aspect sécuritaire. Nous constatons que la Zone Rouge englobe
davantage les positions allemandes que alliées. Cette
observation s’explique par le fait que les troupes allemandes se sont très rapidement retranchées dans des
abris profonds, comportant des ouvrages bétonnés. Les
substrats concernés sont presque toujours irrécupérables
et donc intégrés au classement en Zone Rouge.
Les forestiers sont associés au tracé des délimitations des
terrains destinés à créer les futures forêts domaniales de
Front de Haye et des Hauts de Mad. En 1925, ces espaces
sont remis à l’administration des Eaux et Forêts en vue
d’être boisés.
1.3. - La politique de reconstitution forestière
L’acte de naissance des forêts domaniales de Front de
Haye (650 ha) et des Hauts de Mad (290 ha) date de
1925. Plus qu’une naissance, cette date est celle d’une
287
F.STEINBACH, J-P. HUSSON
renaissance, d’une volonté de réattribution d’une forêt
nouvelle à un territoire meurtri.
En forêt de Front de Haye, les travaux débutent immédiatement par la plantation de plusieurs milliers de feuillus,
notamment des chênes, des hêtres et des frênes. L’année
suivante 3000 épicéas sont introduits dans la même parcelle. En 1927, les forestiers poursuivent la plantation de
feuillus mais repiquent surtout des pins noirs d’Autriche
et des épicéas communs. Si la plantation de frênes semble être abandonnée, de nombreux plants d’érables sycomores sont introduits. Sur le massif des « Hauts de Mad »,
les premiers travaux de plantation débutent en 1927. Le
processus est inversé de celui que nous venons de présenter, à savoir, l’introduction d’érables sycomores en quantité supérieure aux plants de pins noirs d’Autriche, de
douglas et d’épicéas communs.
Nous ne connaissons pas les raisons qui ont amené les
forestiers à inverser la dominance de plants entre les feuillus et les résineux. Cette inversion n’est pas liée à l’ancienne occupation du sol, puisque dans les deux cas, nous
sommes en présence d’espaces anciennement cultivés. Si
l’on s’en réfère à la note définissant les travaux de reboisement à entreprendre en fonction de l’ancienne occupation du sol, il est préconisé de reboiser en « peuplements
mélangés avec introduction d’essences exotiques appropriées à la région, notamment le Douglas »1. Dans les
faits, la plantation en peuplements mélangés est respectée avec l’introduction de quatre à six essences comprenant des feuillus et des résineux, même si nous observons
des inégalités au niveau du nombre de plants par
essence.
Par le terme « essences exotiques », le rédacteur a certainement voulu désigner toutes les essences forestières
non présentes à l’état naturel dans les forêts avoisinantes,
soit toutes les essences résineuses, comme le douglas, le
sapin de Vancouver, le mélèze d’Europe, le pin noir
d’Autriche et l’épicéa commun. Ce sont ces deux dernières essences qui sont le plus couramment utilisées
pour le secteur concerné, mis à nu, décapé où il fallait en
préalable à toute action à long terme recréer une
ambiance forestière2.
Entre 1928 et 1934, les replants feuillus introduits périssent faute d’avoir été installés sur un substrat un peu
rétabli (le découpage avait laissé des substrats minéralisés
mêlés à du « militaria » (Amat, 2000). De nombreux
matériaux avaient été arrachés à la roche mère parfois
pulvérisée par la violence des déflagrations dues au pilonnage et aux actions de mine, recouvrant la terre arable et
la faisant disparaître. Les essences feuillues n’ayant plus
d’horizon humique pour se développer n’ont pas arrivé à
s’implanter ni à survivre sur ces horizons bouleversés.
Malgré les difficultés énoncées, dès la fin de l’année
1933, le Front de Haye est presque entièrement parcouru
en première plantation. A peine un quart des parcelles,
soit 144,68 hectares, reste livré au pâturage3. Dès 1934
commencent les opérations de regarnis. A la même date,
la plantation des Hauts de Mad est achevée. Plusieurs
dizaines de milliers de plants sont utilisés pour effectuer
les regarnis. Ce chiffre paraît important. Un courrier du
brigadier des Eaux et Forêts Billaudel d’Essey-Maizerais en
date du 19 décembre 1937 nous éclaire à propos des
échecs sylvicoles initiaux. Cette lettre destinée à son supérieur précise que dans certaines parcelles « la réussite des
premières plantations est pour ainsi dire nulle ».
Beaucoup de jeunes plants dénués d’abri ont séché ou on
souffert du froid.
La seconde Guerre Mondiale bouleverse le processus de
reconstitution de ces terrains. Le repiquage de plants s’interrompt. Les 137,68 hectares de la forêt de Front de
Haye « non parcourus » et donc restés à l’état de prairies sont incorporés dans des Ostland prévus par l’administration allemande d’occupation afin d’être mis en culture.
Au lendemain de la guerre, les travaux de reforestation
reprennent par des regarnis ponctuels dans les parcelles.
Là encore, plusieurs centaines de milliers de plants résineux sont introduits en regarni. Ces travaux entrepris
entre 1950 et 1958 sont subventionnés par le Fonds
Forestier National. A cette date, les travaux de plantation
cessent puisque des projets d’implantation de dépôts
d’hydrocarbures pour le compte du ministère des Armées
sont envisagés4 (photo 2). L’administration forestière ne
souhaite plus engager de nouveaux frais dans les plantations sans connaître la zone concernée par ces implantations. Après avoir défini les périmètres choisis (SaintBaussant, Vilcey-sur-Trey, Thiaucourt-Régniéville) pour
bâtir ses dépôts, l’Armée mobilise l’essentiel du potentiel
de main d’œuvre locale disponible. Elle offre des salaires
attrayants contre lesquels l’administration forestière n’a
pas la possibilité de rivaliser5.
Le rythme des travaux sylvicoles entrepris s’en ressent
alors qu’il faut progressivement organiser la phase de
(1) Note du directeur général des Eaux et Forêts à destination du conservateur de Nancy, en date du 1er décembre 1925. Carton « Reboisement Front de Haye » Agence
O.N.F de Meurthe-et-Moselle Nord, Nancy.
(2) Brouillon d’un courrier titré « Instructions sur la Zone Rouge », ni signé ni daté, carton « Reboisements Front de Haye », Agence O.N.F. Meurthe-et-Moselle Nord,
Nancy qui signale que « Le pin noir semble être avec l’épicéa, mais surtout le premier, les essences qui conviennent le mieux à la région ».
(3) Courrier du brigadier des Eaux et Forêts Billaudel d’Essey-Maizerais à Monsieur le garde général des Eaux et Forêts à Briey en date du 19 décembre 1937, carton
« Reboisements Front de Haye », Agence O.N.F. Meurthe-et-Moselle Nord.
(4) Dossier « aliénation de 58ha 44a 55ca créant le dépôt U.S de Metz A, carton « F.D. Hauts de Mad », Agence O.N.F. Meurthe-et-Moselle Nord, Nancy.
(5) Note du 24 janvier 1957 de Monsieur Pigne en sa qualité d’Ingénieur Principal des Travaux des Eaux et Forêts, faisant le point sur les sommes allouées dans le cadre des
contrats du Fond Forestier National et les travaux à réaliser pour les travaux de reboisement de la forêt domaniale de Front de Haye, dossier exercice 1958, carton
« Reboisement Front de Haye », Agence O.N.F. Meurthe-et-Moselle Nord, Nancy.
288
F.STEINBACH, J-P. HUSSON
Photo 2 : Vue aérienne de 1958 de la forêt domaniale des Hauts-de-Mad présentant les travaux de boisements et l’implantation du dépôt d’hydrocarbures de SaintBaussant. L’enrésinement donne un coloris foncé à ces forêts, par rapport à la régénération naturelle réalisée dans les forêts communales alentours (Source : collection particulière).
transition amenant la réintroduction sous couvert des
pins noirs alors en position dominante et des épicéas. Ces
résineux constituent le peuplement de transition et atteignent un âge d’exploitabilité. De ce fait ils présentent un
état sanitaire moyen et de nombreux cas de dépérissement ont pu être observés. Pour lutter contre ce problème sanitaire, le besoin de régénération est prématurément entamé. Il débute dans les années quatre-vingts
mais accuse vite du retard par rapport aux objectifs initialement prévus.
Aujourd’hui, il y a urgence à faire aboutir la phase de
transformation le plus rapidement possible, tant que nous
pouvons encore compter sur ce qui reste du peuplement
de transition malmené par la tempête du 26 décembre
1999, de plus en plus menacé par son état sanitaire.
La forêt domaniale du Bois-le-Prêtre relève d’un cas de
figure différent de celui des deux massifs précédemment
étudiés. Cette forêt dite « ancienne » existait avant la
première Guerre Mondiale. Sa superficie actuelle (347,74
ha) est très proche de celle de 1914 (309,12 ha). Pendant
quatre années, les combattants français et allemands se
sont affrontés en son sein au cours d’effroyables attaques
faisant près de 14000 victimes. Malgré ces terribles événements, cette forêt n’est pas intégrée à la Zone Rouge
alors que son sol et ses peuplements sont effroyablement
meurtris par les combats.
Avant la guerre, cette forêt était en conversion, étant
progressivement préparée à passer du taillis sous futaie
à la futaie feuillue. Cette opération était déjà réalisée
sur un quart de la forêt. Au lendemain des combats, les
forestiers établissent le bilan des dégâts subis dans les
peuplements : 177,19 hectares sont totalement
détruits, 83,27 hectares sont fortement endommagés
et 86,39 hectares sont subsistants. Les parcelles déclarées totalement détruites se situent de part et d’autre
de la ligne de front (fig.1).
L’évaluation des dégâts étant faite, les forestiers s’attachent à retrouver les limites et exploiter les arbres
mitraillés et les quilles qui ne peuvent plus servir de
semenciers. Ensuite, ils entament la reconstitution des
peuplements endommagés. Cette question a été
abordée à plusieurs reprises durant le conflit. Le souci
est exprimé par des hommes politiques, en particulier
Louis Marin ou encore par des forestiers engagés dans
le conflit, témoins des souffrances faites aux bois.
Après 1918, les actes concrets succèdent aux
réflexions préliminaires menées. Dans les archives
forestières, nous n’avons trouvé que peu de traces sur
la reconstitution forestière à engager dans les forêts
touchées par les combats. Seul un courrier du
Directeur Général des Eaux et Forêts adressé à
Monsieur le Conservateur de Nancy, en date du 1er
décembre 1925, stipule qu’en règle générale, dans les
anciens massifs forestiers où l’état boisé n’a pas entièrement disparu, qu’il convient de :
289
F.STEINBACH, J-P. HUSSON
En 1959, les 347,74 hectares de la forêt domaniale de
Bois-le-Prêtre se répartissent ainsi : 309,60 hectares possèdent une couverture feuillue naturelle, 36,62 hectares
sont issus de la politique de reboisement (photo 3). Cette
forêt est composée d’essences mélangées et intègre des
zones de taillis pauvres héritées des événements passés.
En 1974, ces zones sont plantées en résineux après avoir
été nivelées. Avec le recul, cette pratique peut être jugée
malheureuse. Le nivellement est une opération coûteuse.
Elle gomme les traces du passé et surtout bouleverse des
sols qui étaient en cours de lente reconstitution. Devant
l’insuccès de la reprise des plants, le recours à la régénération artificielle est définitivement abandonné au profit
de la régénération naturelle.
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Figure 1 : Cartographie des dégâts occasionnés par les combats au Bois-le-Prêtre.
(Source : collection particulière)
procéder au plus tôt à l’exploitation des bois mitraillés
susceptibles d’être vendus,
dégager les semis d’essences précieuses,
reboiser les vides.
Ce courrier mentionne la présence potentielle de semis.
L’observation des cartes postales et photos de la ligne de
front confirme cela. Malgré les forts bouleversements du
sol, la vie a repris, les semis sont abondants. Le rédacteur
qui a retranscrit l’état de destruction des peuplements
mentionne la présence de nombreux semis de hêtres, de
chênes et de charmes. Les recommandations sont alors
faites de planter dans les vides de l’érable sycomore, du
frêne et du chêne.
En 1926 commencent les premiers travaux de plantations
et de dégagement de semis. Jusqu’en 1931, 61 850
plants sont introduits. Ces travaux contrairement à ce que
nous pouvons penser, ne sont pas localisés dans les parcelles les plus détruites. Le nombre de plants reste faible
en comparaison avec la superficie de cette forêt, ce qui
laisse sous-entendre que de nombreux semis sont présents. Cette hypothèse est confirmée par les relevés de
déclarations de travaux mentionnant de nombreux dégagements de semis échelonnés entre 1927 et 1936. Les
photographies prises sur les anciens champs de bataille
démontrent cette réalité.
Le 10 juin 1931 est signé le document d’aménagement
provisoire, établi pour une durée de 12 ans. Il préconise la
plantation de pins noirs d’Autriche là où la futaie a été
complètement détruite. 5000 plants sont alors introduits.
Comme dans le cas précédent, le déclenchement de la
Seconde Guerre Mondiale, engendre l’arrêt de la politique de reconstitution des massifs forestiers.
290
En 1990, l’aménagiste décrit cette forêt comme étant
une hêtraie âgée de 60 à 70 ans sur 94 % de sa superficie, les 6 % restant étant classés en taillis pauvre et ruiné,
soit environ 21 hectares.
1.4. - La tempête Lothar
Le 26 décembre 1999, l’ouragan Lothar traverse d’Ouest
en Est le pays et détruit d’immenses espaces forestiers.
Les forêts domaniales du Front-de-Haye, des Hauts-deMad et du Bois-le-Prêtre dont une partie importante des
bois sont sur le retour ou prématurément vieillis sont
sévèrement touchées par cet événement. Les hautes
futaies résineuses en âge d’exploitabilité mais qui ne
l’étaient pas puisque la transformation était seulement en
cours de réalisation, sont hachées par la force du vent. De
nombreux résineux sont cassés à mi-hauteur par le vent
qui s’est engouffré dans leurs ramures. Suite à la catastrophe, 12 000 m3 sont exploités sur la forêt des Hautsde-Mad, 50 000 m3 en forêt de Front-de-Haye. Les régénérations naturelles et artificielles de hêtres entreprises
depuis moins d’une vingtaine d’années, n’ont pas été
touchées par ces événements du fait de leur faible hauteur. La commercialisation des chablis s’avère très aléatoire étant donné la faible qualité des bois. Ils sont donc
destinés à la trituration pour être transformés en panneaux de particules.
Dans la hêtraie du Bois-le-Prêtre, les sols superficiels
installés sur la dalle calcaire ne permettent pas aux systèmes racinaires de s’ancrer en profondeur. Les sols ont
été détrempés par les pluies abondantes qui ont précédé le passage de Lothar. Cette situation génère de
nombreux chablis, 15 000 m3 y sont commercialisés. Il
s’agit essentiellement de hêtres. Là aussi, faute de
mieux et dans l’urgence qui s’impose, la grande majorité de ces bois est destinée à la trituration voire au
chauffage pour les plus gros bois suspectés de la présence de mitraille. Une partie de ceux ayant un diamètre compris entre trente-cinq et soixante centimètres
est destinée au marché du tranchage.
F.STEINBACH, J-P. HUSSON
saisons et les forestiers vont attendre qu’ils soient en âge
d’exploitabilité pour entamer les travaux de transformation. Durant toute cette période, les vestiges ont ainsi pu
bénéficier de la protection du couvert forestier.
Cette dernière n’affecte pas les vestiges situés sur les
terres agricoles exclues du classement en Zone Rouge. Au
fur et à mesure de la remise en état de culture de ces parcelles, les reliefs ont été nivelés. En dehors de quelques
abris bétonnés difficiles à gommer du paysage, il ne reste
guère de vestiges visibles en milieu ouvert.
2.2. - Les vestiges menacés par l’exploitation
forestière
Photo 3 : Vue aérienne de la forêt du Bois-le-Prêtre en 1958, les peuplements
foncés correspondent aux enrésinements. (Source : collection particulière)
Des quilles parsemant les parcelles, des sols bouleversés
par les galettes, voici à quoi ressemblent les forêts dévastées par la tempête. Cette vision est semblable à celle
apocalyptique des forêts touchées par les combats au lendemain de la Première Guerre Mondiale.
2. - Les héritages historiques
2.1. - La forêt protectrice
Au début des années vingt, lors des discussions menées
sur le devenir possible des zones de combats, la polémique grandit à propos du boisement de la Zone Rouge.
Pour beaucoup d’anciens combattants, cette technique
était synonyme de destruction des vestiges. A l’inverse,
pour l’Etat, cette politique était le moyen idéal de cacher
le plus rapidement possible, et à moindre coût, les meurtrissures inscrites sur les polémopaysages tout en les
conservant par la fossilisation.
Lors de la création de ces forêts, les seuls travaux de sols
qui ont été entrepris relèvent de l’organisation du parcellaire. Les plantations ont peu endommagé la topographie
heurtée du champ de bataille, puisqu’elles étaient réalisées manuellement. Les plants disposés en quinconce, à
1,50 mètre les uns des autres, représentaient l’introduction de 4 444 plants à l’hectare, ce qui correspond à une
densité élevée.
Pendant près de 60 ans, ces tiges plantées lors des premières campagnes de boisement croissent au rythme des
Au milieu des années quatre-vingts, les peuplements résineux créés arrivent en âge d’exploitabilité, le sol forestier
étant reconstitué par soixante années de boisements. Les
personnels de l’Office National des Forêts décident de s’engager dans un processus de transformation, qui a pour
objectif, de retrouver une forêt stationnelle. Localement les
hêtraies croissent sur substrat calcaire. Les peuplements
sur pied sont exploités, ce qui nécessite la pénétration
d’engins dans les parcelles. Les tranchées fossilisées constituent un obstacle physique à la mobilisation des bois, ce
qui engendre des frais supplémentaires d’exploitation. La
transformation attendue, autrement dit le passage à la
hêtraie s’effectue par plantation par coupe rase sous
bande d’abri. Des bandes sont ouvertes sur une largeur
de six à dix mètres dans le peuplement existant qui va
jouer un rôle d’abri pour les jeunes plants de hêtres. Lors
de cette ouverture, les bandes préparées sont généralement nivelées. Cette opération est traumatisante pour les
peuplements installés sur des sols brutalement remodelés, et s’intègre mal dans le paysage. Lorsque les plants de
hêtres atteignent une hauteur de douze mètres, les
bandes d’abris mitoyennes sont à leur tour exploitées.
Ces travaux peuvent intervenir plus tôt dans le temps si
l’état sanitaire des peuplements l’exige. Afin de réaliser
d
e
s
travaux dans les bandes d’abris ou dans les bandes de
plantation, il est nécessaire de maintenir un cloisonnement d’exploitation entre elles. La surface du sol est nivelée sur cette emprise. Ces travaux de sols permettent une
pénétration plus facile des engins pour assurer les travaux
ultérieurs ainsi que des ouvriers amenés à entretenir
régulièrement ces peuplements. Au final, par les procédés
choisis, les exploitations réalisées depuis une vingtaine
d’années effacent les traces du passé. L’orientation des
cloisonnements est établie en fonction de l’ensoleillement
et du sens du vent, sans tenir compte du positionnement
des vestiges. Il serait pourtant relativement aisé de prendre en compte l’ensemble de ces paramètres de manière
à concilier préservation et exploitation. Il suffirait d’établir
des cloisonnements positionnés en priorité parallèlement
aux tranchées les plus importantes. Ces dernières allant
dans diverses directions, il conviendrait d’atténuer légère-
291
F.STEINBACH, J-P. HUSSON
ment les reliefs aux endroits coupés par les cloisonnements de manière à conserver la mémoire du sol. De
même, les cloisonnements pourraient être tracés de part
et d’autre des vestiges les plus marqués. L’utilisation de
telles pratiques nécessiterait de déroger aux règles de sylviculture qui préconisent la réalisation de cloisonnements
à intervalles réguliers. Cette pratique dérogatoire faciliterait la conservation des vestiges qui pour l’instant ne font
pas l’objet de protections particulières et de ce fait ne
sont guère pris en considération dans les aménagements
forestiers.
2.3. - Les mesures de protection
A ce jour, les mesures de protection concernant les vestiges militaires de cette période sont quasi inexistantes.
Ces traces ne semblent pas assez vielles pour être considérées comme des vestiges archéologiques. C’est mal
interpréter le contenu de la loi de 1941 relative à la réglementation sur les fouilles archéologiques. Cette dernière
stipule que « nul ne peut effectuer sur un terrain lui
appartenant ou appartenant à autrui des fouilles ou des
sondages à l’effet de recherches de monuments ou d’objets pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire, l’art ou
l’archéologie, sans en avoir au préalable obtenu l’autorisation ». La Grande Guerre constitue bien un événement
majeur de l’histoire de France et de l’histoire de l’humanité. A ce titre, elle a généré des vestiges qui doivent être
préservés. A ce jour, seul vingt-neuf sites et monuments
historiques sont classés au titre de la loi de 1913 et quatre le sont ou sont en cours au titre de la loi de 1930. La
surabondance des vestiges encore visibles sur les champs
de batailles qui correspondent aux trois massifs évoqués
laisse indifférents la plupart des citoyens. Cette situation
pénalise toute velléité de conservation et il est impossible
de tout conserver. L’érosion du souvenir et du devoir de
mémoire amène à faire peu de cas des zones chargées
d’histoire dramatique que nous évoquions. L’Etat a fait
en sorte de valoriser et protéger un certain nombre de
sites reconnus, laissant les autres tomber dans l’oubli.
Sur le secteur qui nous concerne ici, il n’existe pas pour
l’instant de sites protégés. Pourtant, dès le lendemain de
la guerre, des forestiers ont fait en sorte de préserver certaines zones qu’ils considéraient comme des sanctuaires.
Ainsi, les trois villages détruits de Remenauville,
Régniéville et Fey-en-Haye ont été englobés dans la forêt
de Front-de-Haye. Dans les aménagements forestiers, ces
ruines sont classées « hors aménagement », ce qui sousentend que l’on n’y réalise aucun travail. Trois hectares
situés autour de l’emplacement de la Croix des Carmes,
en forêt domaniale du Bois-le-Prêtre furent ainsi classés
par les forestiers, dès 1918, ce qui permit de conserver le
sol en l’état. Sur ce haut lieu des combats, Français et
Allemands perdirent autour de 7000 combattants de part
et d’autre.
En décembre 1995, le Préfet de Meurthe-et-Moselle a
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commandé à la DIREN une étude préalable au classement
du site du Bois-le-Prêtre. Le résultat a été présenté en juin
1997. Il préconisait de mettre en place une mesure de
classement au titre de la loi de 1930 sur la protection des
sites. Actuellement, le périmètre d’étude est en phase de
finalisation et l’enquête publique va alors pouvoir commencer. Pour prendre en compte la préservation des vestiges subsistants, il va falloir dans un premier temps réaliser la cartographie de l’existant en croisant les données
cartographiques indiquées sur les canevas de tir avec les
informations qui concernent les travaux de sols réalisés
jusqu’à présent. Il faudra ensuite définir les zones de préservation des vestiges subsistants et en dresser un état
des lieux. Enfin, il conviendra de rédiger le plan de gestion forestière décrivant les modes d’intervention dans
ces secteurs.
3. - Les nouvelles interrogations
3.1. - Quelle gestion forestière post-tempête ?
Au lendemain de la tempête, tout comme au lendemain
de la guerre, les démarches à effectuer ont été similaires.
Les forestiers ont pratiquement dû appliquer les mêmes
modes d’intervention, en évaluant dans un premier
temps les dégâts, puis en commercialisant les bois avant
de songer à la reconstitution.
Les travaux de débardage créent d’innombrables détériorations des infrastructures existantes. Les polémopaysages à nouveau renversés par la violence des vents
méritaient une réflexion particulière, un traitement hors
norme de leurs vidanges. L’ONF a ponctuellement mis
en place plusieurs modes d’exploitation spécifiques
dans un souci de préserver certains sites sensibles.
Aussi, sur les trois hectares du Bois-le-Prêtre, il a été
décidé de ne pas commercialiser les chablis afin d’éviter
la pénétration de lourds engins sur cette zone relique,
ce qui serait néfaste à la conservation en l’état du lieu.
Les nombreuses ferrailles encore présentes sur ce secteur auraient certainement constitué un frein à la
vidange des chablis. Il était nécessaire d’enlever prudemment ces bois pour garder une bonne lisibilité des
vestiges. L’agent ONF en charge de cette forêt a proposé à un affouagiste consciencieux de réaliser ce travail en lui spécifiant les contraintes à respecter. Les bois
débités ont alors été sortis à l’aide d’une brouette et
d’un petit tracteur, lors de périodes climatiques particulières, permettant de ne pas endommager les sols avec
des ornières difficiles à cicatriser.
Sur les villages détruits de Fey-en-Haye, de Remenauville
ainsi que sur le site des entonnoirs de mines de Flirey, sites
valorisés ou en passe de l’être, c’est à l’aide de la traction
animale que les bois ont été exploités. Les grumes résineuses moins denses que les grumes feuillues ont été
débardées à cheval et amenées au bord des routes, prêtes
F.STEINBACH, J-P. HUSSON
à être chargées par les grumiers. Cette technique n’a pas
occasionné de dégâts au niveau des sols. Les chevaux
opérant avec une grande maniabilité, il n’a pas été nécessaire de leur aménager des couloirs d’exploitation. Le
recours à cette technique est très intéressant, sous réserve
de veiller à ce qu’il ne subsiste pas de ferrailles au sol afin
d’éviter de blesser les chevaux.
Ces méthodes douces adoptées sur des sites bien précis
ont contribué à leur préservation. Ce préalable précède la
question de la reconstitution des forêts.
3.2. - Quelle reconstitution forestière ?
Ayant déjà eu à gérer par le passé d’importantes chutes
de chablis, l’ONF a décidé de ne pas travailler dans la précipitation. Un temps de réflexion était nécessaire pour
aborder la question de la reconstitution forestière.
L’ampleur des dégâts, le manque d’ouvriers forestiers et
d’engins de débardage et de transport, conduisaient à la
prudence avec en préalable le classement des priorités à
opérer. Les forêts du secteur qui nous concerne ont mauvaise réputation auprès des acheteurs. Des bois y sont
encore mitraillés et d’importantes surfaces posent des
problèmes d’exploitabilité liés aux bouleversements du
sol.
Dans les forêts de la Zone Rouge, les grands chablis occasionnés par le passage de Lothar ont pour conséquence
immédiate de précipiter le processus engagé de la transformation. Devant les surfaces énormes à reconstituer, les
professionnels de la filière bois doivent favoriser le recours
à la régénération naturelle. Les 70 années d’enrésinement
ont heureusement permis la reconstitution d’un sol forestier favorable à l’apparition de semis feuillus. Dès 2001,
de nombreuses parcelles sont concernées par la présence
de semis de hêtres. C’est à leur préservation que les forestiers s’attachent à travailler afin qu’ils constituent les peuplements de demain. Pour ce faire, les parcelles sont cloisonnées tous les douze mètres afin de permettre l’entretien futur de la régénération. Au niveau des semis, il est
décidé de ne pas pratiquer de sélection et ainsi d’obtenir
une biodiversité accrue, et profiter des apports de certaines essences. Ainsi, la grande quantité des semis de
frêne sert à former un couvert très vigoureux en début de
cycle du gaulis. Faute de trouver la ressource en eau
nécessaire, cette essence finit par dépérir. La transition
ménagée a eu l’avantage d’apporter l’ombre nécessaire
au développement sous abri des semis de hêtres.
3.3. - Quels héritages naturels pour demain ?
Les polémopaysages drapés par les forêts ont à la fois
enseveli des vestiges militaires et un héritage naturel à
relier à l’ancienne occupation des finages avant 1914.
Ces legs relèvent de trois types de catégorie d’objets.
Les champs de bataille conservent des plantes obsidionales, marqueuses d’une activité humaine passée. Ainsi
sur les villages détruits, et principalement sur celui de Feyen-Haye, le promeneur averti peut, au fil des saisons,
découvrir une dizaine de plantes introduites par l’Homme
à diverses époques d’avant-guerre. Ces plantes sont soit
relictuelles, soit nourricières, soit ornementales ou encore
médicinales. Il s’agit de groseillers rouges, de perce-neige,
de jonquilles cultivar, de seringa, de doronic orientale, de
lilas rose, de houblon …. Pour cette dernière espèce,
nous savons qu’elle a été introduite sur le secteur par les
familles mosellanes ayant opté pour l’exil au lendemain
de la guerre de 1870. En 1914, il subsistait encore sept
houblonnières, localisées dans les meix, sur le plan de
l’ancien village de Fey-en-Haye. L’héritage légué est fragile. Le moindre bouleversement du milieu naturel sur
lequel ces plantes se trouvent risque d’entraîner leur disparition.
Le milieu étudié abrite encore quelques arbres relictuels
qui ont été témoins de la guerre. Dans les anciennes
forêts proches de la ligne de front, il subsiste des arbres
porteurs des stigmates des combats. Au lendemain de la
guerre, il avait été demandé aux forestiers d’exploiter les
quilles. Certaines furent préservées, même profondément
meurtries. Elles correspondent à des arbres qui conservaient leur rôle de semencier, nécessaire à la reconstitution des forêts endommagées. Ainsi, des sujets meurtris
sont parvenus jusqu’à nous. Certains comportent de
nombreux impacts de balles, de fragments d’obus ou de
grenades, d’autres sont encore équipés d’isolateurs électriques fixés sur leur tronc ou d’échelons permettant d’accéder à la fourche transformée en poste d’observation.
L’essentiel de ces individus sont en fin de vie. De derniers
témoins vivants, ils deviennent pour quelques-uns des
reliques. C’est le cas de la quille de chêne mitraillé présente à la Croix des Carmes. Ce témoin des combats est
très poignant pour ceux qui le découvrent. L’ONF est
depuis quelques années interrogé par les communes environnantes, sur la manière de conserver cette bille de bois,
aujourd’hui soumise à un état de dégradation avancé. La
solution la plus raisonnable est de la sortir du site, de la
sécher puis de traiter le bois avant de lui donner une destination muséographique. La plupart de ces reliques vont
finir leur vie en bois de chauffage.
Plus globalement, les reboisements effectués pour recréer
de l’ambiance forestière sont aujourd’hui les derniers
témoins végétaux des combats de la Grande Guerre. Ces
boisements de la Zone Rouge définis par l’introduction de
résineux ont très fortement marqué le paysage.
Aujourd’hui, ces peuplements résineux se font de plus en
plus rares et l’on peut se demander s’ils méritent d’être
partiellement préservés comme témoin d’une époque.
Est-il pertinent d’opérer cette préservation qui, pour
témoigner, figerait ponctuellement un sylvosystème par
définition dynamique, cyclique ? Si le changement d’essences n’interpelle pas un néophyte des questions forestières ou paysagères, il doit en revanche amener les spécialistes de ces questions à s’interroger sur la présence
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F.STEINBACH, J-P. HUSSON
pérenne de cette bande enrésinée étendue tout du long
du Saillant et même au-delà. C’est vu du ciel que le
constat est le plus flagrant. En effet, du Nord de Verdun
à Pont-à-Mousson, il est possible de suivre l’ancienne
ligne de front en suivant ces enrésinements. Or, la transformation qui est entreprise depuis maintenant une vingtaine d’années fait, peu à peu, disparaître ce traceur. D’ici
quelques décennies, ces forêts dites « nouvelles » mais
qui renouent avec l’ancienne logique stationnelle des
lieux vont alors avoir le même faciès que les forêts
« anciennes ». Les feuillus, et notamment les semis de
hêtres, s’installent peu à peu sous les peuplements résineux, ils colonisent ces espaces forestiers aux sols
humiques reconstitués sur lesquels ils sont en station
contribuant par là même à gommer une partie de l’empreinte paysagère héritée de la Grande Guerre. En
ouvrant brutalement les peuplements, la tempête Lothar
crée d’innombrables clairières. Ces dernières favorisent
l’implantation des semis, engendrant ainsi l’accélération
de ce processus de gommage des boisements heurtés des
polémopaysages meurtris.
En conclusion, les préoccupations historiques ici exprimées en terme de palympseste enfouis (le front et les
réseaux de tranchées) rencontrent les processus de dynamiques forestières brutalement perturbés par les grands
chablis occasionnés par le passage de Lothar. Cette
confrontation montre la complexité des phénomènes à
identifier, analyser, gérer et faire évoluer. Une réflexion
globale, pleinement pluridisciplinaire, ouverte, audacieuse et dialoguée doit permettre d’accompagner les
changements opérés sur le matériau forestier vivant et de
soigner les représentations à attendre de ces massifs placés entre production et préservation mémoriale.
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ISBN : 978-2-84207-319-0
Prix TTC : 19 euros
9 782842 073190