Marie-Hélène Lafon : D`un Cantal natal et mortel
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Marie-Hélène Lafon : D`un Cantal natal et mortel
Pays : France Périodicité : Mensuel OJD : 18953 Date : JUIN 16 Page de l'article : p.112-113 Journaliste : Juliette Einhorn Page 1/2 Portrait MARIEHELENE LFON D'un Cantal natal ^ et mortel H Fille de paysans, prof de lettres classiques, elle a quitte grâce aux mots ce pays enclavé. Elle y revient par le même biais, en creusant sans relâche dans une terre âpre et noire Par Juliette Einhorn Marie-Hélène Lafon, en 2014 Tous droits réservés à l'éditeur N ette, dense, la voix de Mane-Helene Lafon au telephone, fait re sonner les vibrations de son pays le Can lai Si ses « lignes de tension » se situent entre Pans et « ce pays perdu a mille metres d altitude » quitte a 18 ans, elle a garde une perception organique des choses une fa çon frontale de « tailler sa route, creu ser sa trace, faire son gîte» Alexandre Vialatte le disait l'Auvergne est une île Les êtres y sont, plus qu'ailleurs peut-être, marques par la géologie La romancière décrit quant a elle un « pays ramasse sur lui-même, clos et voue a le rester autant par les fatalités de sa géographie et de son climat que par les rugueuses inclinations de ses habitants » Dans « La fleur sumatu relie », nouvelle du recueil Histoires tout juste paru, elle distingue, au sem du massif volcanique du Cantal, un « pays bas ou tout est plus doux », le < bon pays », et le « pays den haut >, « au temps sauvage », qui est le sien Quand on habite « au toit du monde », dans les confins, peut-êtrenenredes cend on jamais tout a fait Pourtant, il a fallu partir Quand on est issue de la petite agriculture de montagne au milieu des annees 1960 on sait d'emblée qu'on ira gagner sa vie ailleurs Sl le monde paysan, au début du XX" siecle était le socle de la popu lation française (plus de SO %), il est devenu totalement résiduel (moins de 3 %), et le travail a la ferme n'est plus une perspective « J'ai grandi dans un univers voue a disparaitre Mes per sonnages sont traverses par ce choc qui ressemble a une mort » Cette re lanon tres forte au monde de lenfance est teintée de paradoxe un monde au quel on est attache, maîs duquel il va falloir s'arracher - souvent si Ion est une fille, pour une carriere dans la fonction publique, a I abn des aléas Poste, chemin de fer, enseignement, tel était le < programme parental tacite » Pour elle ce sera les lettres LIBELLA 1002787400508 Date : JUIN 16 Page de l'article : p.112-113 Journaliste : Juliette Einhorn Pays : France Périodicité : Mensuel OJD : 18953 Page 2/2 dassiques a Pans, comme la Claire des Pays, le plus autobiographique de ses livres Elle y raconte l'incubation du pays premier dans le monde rencon tre, l'appropriation du monde citadin et de ses codes culturels et sociaux Claire, comme son auteur, est habitée de résurgences, tels les cheveux de sa camarade de faculté, Lucie, qui lui font penser aux crinières des chevaux Les traces de ce monde d'avant se re trouvent dans l'écriture le registre des images, maîs aussi le lexique Parce quelle sent qu'ils disparaissent, elle in sere, « comme une marqueterie », des termes vemaculaires «J'aime le paradoxe de cette expression, "inscrire une trace" Une trace peut etre durable, maîs aussi fugace (une trace dans la neige), ou illisible, comme celle des animaux dans les bois, que ne savent lire que ceux qui ont la connaissance de ces choses, et qui pour les autres est non seulement illisible, maîs invisible » Lbrahte, aussi, contraste avec son goût des mots chatoyants Férue de philologie, de langues anciennes, agrégée de grammaire, elle aime ce rapport technique a la langue, « le matériau textuel en lui même, l'unité mot, l'unité phrase » Enseignant au college le français, le latin et le grec, elle veut « donner acces au sens » « Je dis a mes élevés que faire du latin e est faire du Lego mental, on emboîte les caisses » Ce goût des périodes latines, des jeux syntaxiques la poussera, petit a petit, a élargir sa phrase, a repous ser le point Maison « mangée d'ombre » Si elle ne commence a écrire qu'a 34 ans, c'est pour se laisser, peut-être, un temps d'absorption Son écriture une precision photographique, presque chirurgicale, un enfoncement progressif dans le reel, teinte de me lancohe - elle observe de pres ce qui est aujourd'hui loin d'elle Ses auteurs de prédilection - Genêt, Calaferte - sont des transfuges sociaux, qui se sculptent une vie par la langue Elle l'écrit dans Tous droits réservés à l'éditeur Traversee (2013) ecnre et partir procèdent du même mouvement De la cette esthetique de la trace Ses personnages sont les produits contraries d'un monde en tram de s'effondrer Dans Les Derniers Indiens (2008), la dynastie des Santoire meurt de ne jamais s'être mélangée « Marie sentait la nuit que la mort de la mere avait ete comme une sorte de frontière, ils l'avaient franchie, ensemble ils étaient de l'autre côte, elle ne savait pas de l'autre côte de quoi, maîs de l'autre côte, et ils ne seraient pas re joints » « Trouée, mangée d'ombre », leur maison est habitée de plus de morts que de vivants En un orgueil de dasse irréductible, la mere voue ses enfants au malheur plutôt qu'accepter toute ouverture Ici la perte du fils Pierre, revenu pour mourir, semble préférable a son depart pour « faire maison » avec une divorcée De même lit-on entre les lignes que son frere Jean a commis l'irréparable avec l'assentiment tacite de la mere S'en estil pris a l'Alice, la bâtarde des voisins? La mere en garde le trophee (une ceinture verte), l'Alice n'étant a ses yeux qu'un produit dérive bon a être dépecé dans les bois noirs de l'hiver Les meres, dans ces livres, régentent la sexualité de leurs fils L'inceste se lit en creux « Liturgie », dans Histoires, raconte le lavage de dos rituel du pere par ses deux filles Décrivant un pro cessus inverse a celui des Derniers Indiens, L'Annonce (2009) console par sa dimension « profondement navrée et douloureuse » Paul, en dépit du vieux monde incarne par sa sœur et ses ondes, va élargir sa vie en accueillant Annette, rencontrée par petite annonce, et son fils Or Paul est de la même generation que l'auteur, nee en 1962 louverture, peut-être, est devc nue possible Au cœur de la nature, les maisons sont le personnage central des romans hommes et femmes sont des corps a l'intérieur du corps plus grand de la demeure, elle-même inscnte dans le corps du paysage Dormant dans les hts ou sont nes et morts ceux de leur sang, ce sont des personnages lignée, qui portent en eux « les vieux morts », et la terre ancestrale Paul est de cette « race verticale » paysanne, la terre lui confère une énergie tellunque qui lui permet de s'opposer au monde de l'avant et de trouver sa place dans celui d'aujourd'hui Pour Mane-Helene Lafon, l'écriture est une course de fond chaque texte doit trouver la bonne distance Un motif peut lui sortir des doigts sous forme de roman, puis se reinventer en nouvelle, ou l'inverse Ses Histoires, qui reprennent les douze textes d'Organes (2006) et d'autres inédits, sont bées non seulement les unes aux autres maîs a ses autres textes Personnages, maisons, bêtes, objets (mazagrans, robe de mariée) deviennent des « composantes lancinantes » qui cristallisent ce qui la traverse Une même « pâte thématique malaxée depuis vingt ans » Dans cette vaste constellation romanesque, la nou velle « La maison Santoire » a ete de tachée du roman Les Derniers Indiens, et le dernier tiers du Soir du chien (2001), son premier roman, est reapparu sous la forme du texte « Ro land », resserre autour du point ne vralgique « Hier Roland s'est pendu avec ses bottes » Son « nombril » tex tuel7 la forme du récit de vie-ce n'est pas un hasard si Vies minuscules de Pierre Michon et Un cœur simple de Flaubert sont ses livres cultes « Tenter vainement de ramasser une vie dans un paquet de pages C'est a tenter toujours et a ne reussir jamais » Une œuvre « violemment auto biographique », ou elle serait partout « en pieces et morceaux », garçonnet de 12 ans aussi bien que femme de 72, l'autobiographie de chacun ne valant que si elle s'élargit a celle de tous Son œuvre capte une résonance - le frisson de ce qui est invisible, pour rentrer a l'intérieur des choses De l'autre côte • A LIRE Histoires, MARIE-HELENE LAFON, ed Buchet Chastel, 320 p 16 € Professeur de lettres classiques a Paris, Marie-Hélène Lafon est l'auteur, chez BuchetChastel, de sept romans, dont te Soir du chien (2001), Sur la pho (2003) Le recueil Histoires (2016) rassemble des nouvelles déjà publiées et d'autres médites A l'exception de Mo (2005), ses livres sont situes entre son pays natal et Paris On lui doit aussi Albun (2012), un abécédaire autour du Cantal LIBELLA 1002787400508