Art by Telephone
Transcription
Art by Telephone
80| Art by Telephone ANNE-LOU VICENTE TUCKER NEEL Traduit par Charlotte Gould Pourquoi et comment avez-vous conçu 323 Projects ? J’ai toujours voulu gérer mon propre project space, afin de pouvoir travailler avec des artistes en qui je crois et qui proposent un travail vraiment innovant. Mais le modèle traditionnel de création et de financement d’un tel espace implique de disposer d’un budget non négligeable dont je ne dispose pas. J’ai donc cherché une alternative qui me permettrait d'exposer de l'art et de soutenir les artistes sans avoir à continuellement craindre une potentielle coupure d’électricité. Le système de diffusion audio qui caractérise 323 Projects tire son origine de ma propre pratique. Depuis 2006, je m’intéresse à la façon dont les musées s’éloignent peu à peu du principe de l’audioguide, lui préférant des numéros de téléphone que peuvent composer les visiteurs souhaitant écouter des explications sur les œuvres. J’ai commencé à utiliser des systèmes de numéros de téléphone et de répondeurs dans mon travail afin d’ajouter des éléments sonores à des œuvres indépendantes ou d'interagir avec d’autres institutions. Je me suis aperçu que je pouvais me servir de systèmes de boîtes vocales sur Internet pour rendre l’art audio accessible à tous, tout le temps, n'importe où. Il m’a simplement suffi de choisir un numéro (323.843.4652) et de créer un site (323projects.com). L’identité visuelle et l’infrastructure que j’ai développées pour la galerie imitent volontairement celles d’un espace d’exposition conventionnel, avec un design minimaliste et épuré, une programmation régulière d’expositions individuelles et collectives, des invitations sous forme de cartes de visites (ce qui semble approprié pour une galerie dont l’adresse est un numéro de téléphone), des communiqués de presse, et même des vernissages auxquels on peut assister grâce à un simple coup de fil. J’arrive à gérer le projet de façon extrêmement économique, puisque la maintenance du site, la boîte vocale et la promotion ne coûtent presque rien. Grâce à cette absence de contraintes et parce je ne suis pas dans l'obligation de vendre ni d'avoir affaire aux collectionneurs ou aux conseils d’administration, je peux donner carte blanche aux artistes avec qui je collabore. Je peux autant travailler avec des artistes reconnus qu'émergents, et même engager des personnes qui ne se disent pas artistes. Et surtout, je suis fier que 323 Projects soit aussi accessible, ouvert à quiconque est muni d’un téléphone, ce qui, d’après moi, permet d’élargir la réception de l’art en général. En quoi votre projet s'inscrit-il dans la lignée de Dial-A-Poem de John Giorno, en même temps qu’il le réinvente ? 323 Projects doit beaucoup au projet conçu par Giorno à la fin des années 1960, qui consistait en un réseau de dix téléphones à New York qui répondait aux appels en diffusant des enregistrements de poètes et d’artistes contemporains, comme William Burroughs ou John Cage. Giorno est un véritable génie, et je trouve que son travail est précurseur d’une majeure partie de l’art interactif d’aujourd’hui. 323 Projects fonctionne selon un système proche de celui qu’utilisait Dial-A-Poem : un message enregistré puis diffusé par téléphone. Il est d’ailleurs étonnant de constater combien la structure qui consiste à appeler un numéro pour recevoir une information sonore a si peu changé depuis le lancement du projet de Giorno. L’appareil téléphonique reste une constante dans notre vie quotidienne. La différence principale entre 323 Projects et Dial-A-poem réside dans l’évolution des technologies, qui permet aujourd'hui aux artistes de mieux contrôler leurs contenus et d’interagir davantage avec le public. 323 Projects ne se contente pas de |81 répéter les mêmes pistes en boucle lorsqu’un correspondant appelle. Les artistes participant ont davantage de prise sur leur contenu audio. Le système de répondeur est paramétrable via Internet et ils peuvent choisir de mettre en ligne des œuvres très courtes ou très longues, tout en contrôlant leur ordre de lecture, et même le moment de la journée où certaines pistes seront téléchargées sur la boîte mail. À la différence de Dial-A-Poem, 323 Projects est pourvu d’un solide site Internet que de nombreux artistes ont intégré à leur projet. Par exemple, Joe Sola l'a utilisé pour montrer les vidéos qu’il a tournées parallèlement à la bandeson de son projet More Cinematic Artforum Reviews of Joe Sola’s Work. 323 Projects permet également aux personnes qui appellent de laisser des messages dont les artistes peuvent ensuite s'emparer. Ainsi, Yann Novak a recueilli des sons d’ambiance laissés sur le répondeur et s’en est servi pour créer un nouveau montage sonore, Drift/Net, disponible en téléchargement gratuit sur le site de la galerie. L’une des différences fondamentales entre le projet de Giorno et le mien réside dans le fait que je gère 323 Projects comme un espace d’art contemporain. J’espère qu’en ces temps où la mondialisation domine la production et la consommation d’art, ma petite galerie sera l’occasion d’encourager la critique, d’attiser des discussions sur le statut de l’art et des galeries, et d’interroger la façon dont les lieux d’exposition pourraient toucher des publics plus larges. J’aimerais un jour la développer et ouvrir des succursales à New York, Londres, Berlin, Shanghai, Paris, etc. Quel genre d’artistes invitez-vous et comment investissentils cet espace-temps d’exposition très flexible ? Comme beaucoup de galeries, je fais appel à certains artistes soit parce que je les connais personnellement et que je respecte leur travail, soit parce qu’ils m’ont été recommandés par des amis ou collègues. Mais honnêtement, je collaborerais volontiers avec quiconque a une façon innovante d’envisager mon espace. Dès le départ, j’ai pris le parti de travailler autant avec des « artistes » à proprement parler qu’avec d’autres intervenants, dans la mesure où leurs idées apportaient un souffle nouveau au lieu. J’aimerais à l’avenir travailler avec davantage de non-artistes, qu’ils soient avocats, cuisiniers, travailleurs du sexe ou comptables. L’une de mes expositions préférées parmi celles organisées jusqu'à présent était « The Patter of Tiny Brains » organisée en 2012 par l’artiste et critique Doug Harvey, qui présentait des pistes enregistrées par des enfants et adolescents. Elle me tient à cœur parce qu’elle posait la problématique de la valeur des créations d’enfants par rapport aux productions d’adultes « professionnels ». Et puis certaines parties de la bande-son étaient vraiment tordantes. Pour beaucoup d’artistes, la galerie est un lieu parfait pour enrichir des projets qu’ils présentent ailleurs, dans le monde tangible. Ainsi, lors de son exposition « Sniper » en 2011, Christopher Russell lisait l’ouvrage du même titre qu’il venait de publier, pour finalement brouiller la bande-son, traduisant de la sorte la nature frénétique du texte. Plus récemment, le duo d’artistes Chan & Mann a collaboré avec la galerie pour concevoir un audioguide (narré par leurs parents respectifs) de leur exposition, organisée simultanément à la Ben Maltz Gallery de l’Otis College of Art & Design. Je prends aussi beaucoup de plaisir chaque année à organiser l’exposition collective de la galerie, que je lance par un appel à projets de grande envergure. La première, « Hot Town », s’inspirait de la brutalité de la chaleur estivale, avec un total de vingt-deux participants, parmi lesquels des artistes, décorateurs, écrivains et musiciens. « October Surprise » abordait l’approche des élections présidentielles de 2012 et comptait trente participants, dont mon propre père. Pour ce genre d’exposition, j’ai coutume d’accepter tous types d’enregistrements, en mentionnant chaque artiste dans le communiqué de presse et sur le site de la galerie. C’est merveilleux de faire participer tant de personnes et de leur donner accès à un lieu qui peut toucher encore plus de gens, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, à n’importe quelle heure, n’importe où. 82| Art by Telephone Why and how did you conceive 323 Projects? I always wanted to run my own project space so I could work with artists I believe in and present truly innovative work. But the traditional model for creating and supporting a physical space involves access to lots of money I don't have. I wanted to find an alternative that would allow me to exhibit art and support artists without having to constantly worry about keeping the lights on. The audio delivery system that defines 323 Projects came out of my own work. Starting back in 2006 I became interested in how museums were moving away from guided audio tours to phone numbers visitors call to hear didactic text. I started using phone numbers and voicemail systems in my artwork as a way to either add audio elements to individual pieces or to interact with outside institutions. I realized I could use Internetsupported voicemail systems to make audio art accessible to anyone, at anytime, anywhere. All I had to do was pick a number (323.843.4652) and set up a website (323projects.com). I consciously created a visual identity and infrastructure for the gallery mimicking a conventional ANNE-LOU VICENTE TUCKER NEEL How does it both follow and reinvent John Giorno's Dial-A-Poem? contemporary art space, with clean reductive design, regular solo and group shows, invitations in the form of business cards (which seems appropriate for a gallery whose address is a phone number), press releases, and even openings anyone can attend simply by picking up their phone. I am able to run the space in an extremely sustainable manner because maintaining the website, voicemail, and promotion is very affordable. Because of this lack of constraints and because I don't have to sell anything or answer to collectors or a board of directors, I can let the artists I work with do whatever they want. I can work with established and emerging artists. I can even engage people who don't call themselves artists. Most of all I am proud that 323 Projects is so accessible, open to anyone with a phone, which I believe works to broaden the reception of art in general. |83 323 Projects is deeply indebted to Giorno’s project from the late 1960s, where a bank of ten phones in New York answered callers with any number of audio recordings of works by contemporary poets and artists like William Burroughs and John Cage. Giorno is such a genius and I think his work prefigured much of the interactive network-based art we see today. 323 Projects operates with a delivery system similar to Dial-APoem: a recorded message delivered over the phone. It’s amazing that the basic structure of calling a phone number and receiving audio hasn't changed much since Giorno’s project was initiated. The telephone is still such a constant fixture in our lives. The big difference between 323 Projects and Dial-A-Poem is that today we have technologies allowing artists to control their content better and interact more with audiences. 323 Projects doesn't randomly cycle through audio when a caller reaches the gallery. Artists who participate have more control. The voicemail system is managed over the web and they can upload very short and very long audio works and carefully control the order their works play, even dictating what time of day certain pieces will load into the voicemail system. Unlike Dial-A-Poem, 323 Projects has a robust website, which many artists have integrated into their projects. Joe Sola, for example, used it to show videos he made to correspond with the audio in his project, More Cinematic Artforum Reviews of Joe Sola's Work. Also 323 Projects has the capabilities of letting callers leave voicemails, which artists can then use. So, for example, Yann Novak was able to collect ambient sounds recorded and left on these voicemails and rearranged them into a new audio work, Drift/Net, which you can download for free on the gallery’s website. One of the fundamental differences between Giorno’s project and my own is that I direct 323 Projects like a contemporary art space. I hope that in this age of globalized art production and consumption, my little gallery can create a critique, sparking conversations about what art and a gallery can be and how exhibition spaces can connect with broader audiences. One day I’d love to expand it and open branches in New York, London, Berlin, Shanghai, Paris, etc. What kind of artists do you invite and how do they make use of this very flexible exhibition space-time? Like many galleries, I reach out to artists either because I personally know them and I respect their work, or they were referred to me through friends and colleagues. But honestly I will work with anyone who has an innovative vision for what they can do with the space. From the beginning I set out not just to work with artists, but with anyone who had a mind-blowing idea for the space. In the future I’d love to collaborate with more non-artists, from lawyers to chefs, sex-workers to accountants. One of my favorite exhibitions among those put on so far was “The Patter of Tiny Brains”, organized in 2012 by the artist and cultural critic Doug Harvey. The show presented audio generated by children, up to and including adolescents. I loved it because it investigated how we ascertain and value the creative output of young people as opposed to “professional” adults. Plus, some of the audio was pantswettingly funny. Many artists find the gallery a perfect venue for enriching projects they have going on elsewhere, out in the physical world. For example, Christopher Russell’s show “Sniper” from 2011 consisted of the artist reading his recently released book of the same name over the course of his exhibition, mixing and scrambling audio near the end to reflect the frenetic nature of the text. More recently the artist duo Chan and Mann devised their show with the gallery as an audio tour (led by their respective parents) for an exhibition of their work held simultaneously at the Ben Maltz Gallery at Otis College of Art & Design. I also love organizing the gallery’s yearly group show through a widely disseminated open call. The first one, “Hot Town”, was about the brutal heat of summer. Twenty-two people participated, including artists, designers, writers, and musicians. “October Surprise” addressed the impending 2012 presidential elections and thirty people participated, my own father included. I normally accept any and all audio I get for these shows, crediting each artist in the press release and on the gallery’s website. It’s wonderful to involve so many people and to provide them with a venue that can reach even more interested callers, 24/7, any time, anywhere.