Une nouvelle théorie de la cinétique des réactions radical

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Une nouvelle théorie de la cinétique des réactions radical
J. Chim. Phys. (1 999)96, 20-29
O EDP Sciences. Les Ulis
Une nouvelle théorie de la cinétique
des réactions radical-radical
N.J.B. ~ r e e net
* A.G. Rickerby
Departmenf of Chemistry, King's College,
Strand, London WC2R 2LS, U.K.
Correspondance et tirés-à-pan
ABSTRACT
Radical recombination reactions are of central importance in radiation chemistry.
In generai such reactions are slower than diffusion-controlled because of the radical
spins. The rate constant is corrected by a multiplicative spin statistical factor, which
represents the probability that the radicals encounter one another in a reactive state.
However, this method does not account for the possibility that the reactivity of a pair
may recover following an unreactive encounter, for example by spin relaxation or by a
coherent evolution of the spin faction. In this paper we show how the spin statistical
factor can be corrected for the recovery of reactivity. The new theory covers a large
range of mechanisms for the recovery of reactivity, and gives simple analytical results.
Both steady-state and transient solutions are presented and the former are tested
against experiment for the reaction between the hydrated electron and oxygen, and for
the magnetic field effect on the rate constant of an elementary reaction.
Key words : radical reactions, diffusion kinetics, boudary conditions, spin control,
magnetic field effects.
RÉSUMÉ
Les réactions de recombinaison entre deux radicaux libres ont une grande
importance en chimie sous rayonnement. En général, du fait du spin des radicaux, de
telles réactions sont moins rapides que ceiles qui sont contrôlées par la diffusion. Les
constantes de vitesse sont comgées par un facteur multiplicatif, le facteur statistique
de spin, qui représente la probabilité pour que les radicaux se rencontrent, l'un avec
l'autre, dans un état réactif. Cependant, cette méthode ne tient pas compte de la
possibilité pour que la même paire se rencontre plusieurs fois en raison de rencontres
non-réactives. Ensuite la réactivité de cette paire peut se rétablir par exemple par
relaxation de spins, ou par évolution cohérente d'une superposition des états de spin.
Dans cet article on démontre comment on peut comger le facteur statistique de spin
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pour le rétablissement de la réactivité. La nouvelle théorie couvre un large domaine de
mécanismes de rétablissement de la réactivité ; elle donne des résultats analytiques
simples pour le facteur statistique modifié. On présente des solutions dans l'état
stationnaire et des solutions transitoires; les premières sont testées pour la réaction
entre l'électron hydraté et l'oxygène et également pour l'effet d'un champ magnétique
sur la constante de vitesse d'une réaction élémentaire.
Mots-clé : réactions radicalaires, cinétiques contrôlées par la diffusion, conditions aux
limites, réactions contrôlées par le spin, effets du champ magnétique.
INTRODUCTION
De nombreuses réactions importantes en chimie sous rayonnement sont contrôlées
partiellement par la diffusion et partiellement par le spin. En général l'analyse des
résultats expérimentaux est fondée sur la théorie de Smoluchowski, réduite par un
facteur statistique de spin, ou bien sur la condition aux limites de radiation [1,2]. Les
deux méthodes possèdent des caractéristiques indésirables. Selon la première, après
une rencontre non-réactive, la réaction devient à jamais impossible. Par contre, selon
la deuxième méthode, il n'est plus possible de spécifier une probabilité de réaction
non-nulle par rencontre ;en effet un nombre idhi de rencontres suit presque sûrement
une première rencontre dans une *ode
infinitésimale [3,4]. Un deuxième problème,
soulevé par la condition aux limites de radiation, est que toute rencontre est considérée
comme identique à la première. En réalité il est peu probable que la cause de l'absence
de réaction ait changé lors d'une deuxième rencontre survenant rapidement après.
Dans cet article on introduit un nouveau iype de condition aux limites: la première
rencontre est traitée comme distincte des rencontres successives.
Dans cette
formulation la réactivité d'une paire se rétablit (suite à une rencontre non-réactive)
selon un modèle imposé. La théorie retient l'approximation de difision, qui est le seul
formalisme jusqu'à présent pour obtenir des résultats explicites, mais elle évite le
problème de rencontres infiniment rapides. La réactivité se rétablit après chaque
rencontre non-efficace. De telles limites sont nouvelles, tant dans la littérature de la
physicochimie que dans la mathématique des processus de difision. La théorie est
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très flexible, permettant d'adapter plusieurs modèles de rétablissement de la réactivité.
Dans cet article, on analyse le cas où la réactivité suit une oscillation cohérente.
LA PROBABILITÉ DE RÉACTION APRÈS UNE RENCONTRE NONEFFICACE
La clé de la formulation est le traitement d'une deuxième rencontre suivant une
rencontre non-efficace à la distance de rencontre a. La paire devient tout de suite nonréactionnelle et elle le reste jusqu'à ce qu'elle atteigne une distance a+& où la réactivité
commence à se rétablir. Soit P(T) la probabilité de réaction lors d'une deuxième
rencontre si elle se produit à un temps T après le commencement du rétablissement de
réactivité. Finalement on passe à la limite &+O
pour que le rétablissement de réactivité
commence aussitôt après la première rencontre.
Soit w,(t) la densité du premier temps de rencontre pour une paire issue d'une
distance a+&. Suivant une rencontre non-efficace la paire doit se séparer en a+&avant
que le rétablissement de la réactivité ne puisse commencer. Durant cette période, dont
la densité de probabilité est désignée w2(t), la limite a est réfléchissante. On obtient la
densité du temps de réaction depuis une rencontre non-réactive, At), de la manière
suivante. Pour qu'une réaction ait lieu au temps t, la distance a+&doit être atteinte à
un temps t, 5 t, où la réactivité commence à se rétablir. II existe deux possibilités
exclusives:
1. La première rencontre a lieu au temps t et la probabilité de réaction est P(t-t,).
2. La première rencontre a eu lieu au temps t, 2 t, et elle était non-efficace (probabilité
1-P(t2-1,)); le processus a recommencé avec P = O au temps t2, la réaction ayant lieu
finalement, après l'intervalle t-t2.
On combine ces deux possibilités dans une équation de renouvellement:
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j] w 2 ( t 1 ) W 1 (-t 2t
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, - P~ ( ~~t ,~) ) f ( t - t2)dt1df2
O 0
(1)
Le premier terme représente la possibilité 1, où la réaction se produit à la première
tentative, et le deuxième terme représente la possibilité 2, où la première rencontre n'a
pas donné lieu à réaction et où celle-ci se produit lors d'une rencontre subséquente.
Les deux termes sont des convolutions, ce qui suggère une solution par la méthode de
la transformation de Laplace. Soit v(t) = w,(t)P(t)et représentons les transformées de
Laplace par un -;alors:
iY,(s>W
f0 ) = 1 - G$ (sXiT1
( s )- V ( s ) )
où s est la variable de Laplace. Dans la limite
E
+ O,
où le rétablissement de la
réactivité commence dès que la distance a est atteinte, il est simple de démontrer que
Gl
=
l+O(e), G2 =
1 + 0 ( ~ 2 ) et
=
O(&).L'équation ( 2 ) tend donc vers une limite
finie et % ne contribue en rien à la solution
-
f ; le temps d'attente avant que la
diffusion n'atteigne a+& est donc négligeable, et à partir d'ici on l'omet.
APPLICATIONS
La recombinaison géminée
Il est facile de généraliser la méthode aux paires qui ne ne sont pas en contact à
l'instant initial. Si la paire commence à une distance r, la densité du premier temps de
rencontre est notée wo(r,a,f). Soit q(t) la probabilité de réaction pour la première
rencontre, alors on trouve une équation de renouvellement pour la densité du temps de
réaction, w(t),
t
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Le premier terme représente la probabilité que la réaction se produise à la première
rencontre, alors que le deuxième terne décrit la probabilité que la première rencontre
soit non-efficace et que la réaction suive après un retard de t-f. Si la probabilité q est
indépendante du temps, alors on obtient
Constante de vitesse
Jusqu'ici on n'a analysé que la diffusion d'une paire, et les calculs sont exacts selon
la théorie de la diffusion. Cependant, il faut appliquer la théorie aux constantes de
vitesse pour des réactions homogènes. Il existe une relation exacte entre les cinétiques
d'une paire géminée et la constante de vitesse de la même réaction [5-81, a savoir
Cette relation n'est plus exacte, parce qu'elle est fondée sur l'approximation des
paires indépendantes8 (comme la théorie de Smoluchowski elle-même). Néanmoins,
cette approximation semble être fiable. Substituons pour % l'équation (4):
i,,=4T[
q(1 -%,)+ Y
q(1- Ci,) + Y
l-%,+Y ] j i q ( s ) d r = [
l-iY,+Y ] ~ I ( s )
où k,(t) est la constante de vitesse qui appartiendrait à la réaction si elle était vraiment
contrôlée par la diffusion [5-81.
MODELE OSCILLATOIRE DU RÉTABLISSEMENTDE LA RÉACTIVITÉ
La théorie couvre plusieurs modèles du rétablissement de la réactivité, mais ici on
ne considère qu'un modèle oscillatoire, qui modélise des réactions contrôlées par le
spin.
P(t)= psin2(pt)
(7)
La probabilité de réaction commence a zéro et oscille entre O et p en fonction du temps
écoulé depuis la rencontre la plus récente. Ce modèle est approprié aux réactions
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contrôlées par le spin, où la réactivité de la paire est modifiée par une interaction
cohérente, par exemple le mélange des états singulet et triplet induit par la présence
d'un champ magnétique. La théorie de la transformation de Laplace donne la relation
donc
D'après le théorème de la valeur finale on trouve une expression de la probabilité
pour que la réaction se produise finalement après une rencontre non-réactive:
SOLUTION EXPLICITE
L'application la plus importante de la méthode est celie où des particules sphériques
diffisent dans un espace isotrope, dont la solution est bien connue9 :
où D' est le coefficient de diffision relative. Alors l'équation (9) devient
où
0=
'(w
2
+ s)
. ûn peut utiliser le théorème Tauberien pour obtenir la
probabilité d'une réaction, étant donné que la première rencontre était non-efficace:
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ce qui montre la dépendance familière asymptotique 1/41. Au temps court:
ainsi la probabilité de réaction croît initialement comme une fonction quadratique du
temps, ce qui reflète la forme quadratique de la réactivité à temps court.
À partir de l'équation (6) on peut maintenant trouver une équation de la constante
de vitesse d'une réaction homogène où la réactivité se rétablit d'une manière
oscillatoire:
et dans l'état stationnaire
km= 4zD1a
(16)
les valeurs choisies pour q et p dépendent du système considéré. Le facteur qui
multiplie 4nD'a dans l'équation (16) est la correction du facteur statistique de spin
pour le rétablissement de la réactivité. Si le rétablissement de la réactivité est moins
rapide que la difision ( 2 ~ 1
«
~l),' la correction tend vers q, et la réaction ne peut
se produire qu'à la première rencontre.
COMPARAISONS
Il n'est pas facile de valider cette nouvelle théorie par l'expérience, car il y a peu de
réactions où les paramètres (les coefficients de diffusion, par exemple) sont connus
avec certitude.
Cependant la réaction entre l'électron hydraté et O2 est bien
caractérisée. La dépendance des coefficients de diffusion par rapport à la température
[IO] et la constante de vitesse [Il-141 ont été mesurées; Bartels et al. ont aussi
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proposé une distance de rencontre [l O]. La réaction est partiellement contrôlée par la
diffusion a cause du couplage dipolaire dans l'état triplet d'O2 [IO]. Les paires de
rencontre sont de deux types: les états Q,
(quartet) qui restent non-réactifs pendant
une.longue période; les 213 des rencontres initiales qui restent, occupent soit les états
Q,,,
soit les états réactifs D,,,
(doublet), qui sont mélangés par le couplage dipolaire.
Une rencontre doublet provoque une réaction immédiate, tandis qu'une rencontre Q,,,
est non-réactionnelle, mais la réactivité se rétablit selon le modèle oscillatoire. Il y a
une conversion , Q,,,
t, D,,,
toutes les 3.83 ps.
multipliée par 213 pour exclure les rencontres Q,
moitié des rencontres non-exclues sont D,,,,
et p
Appliquant l'équation (16)
on prend q
=
=
112, parce que la
1, car après une rencontre Q,,,
l'état de spin oscille entre les états quartet et doublet.
Figure I. Constante de vitesse de la réaction e-, + 0 2 . [.'..]: 113 Smoluchowski; [-- - -1,
condition aux limites de radiation (2parmètres variés)12;[-1:
modèle de l'équation (16). p=l,
q= 1/2, P=d{2x3.83) p " ; [; 1: résultats
La figure 1 montre des comparaisons. La nouvelle théorie (où aucun paramètre n'a
été modifié) est supérieure au modèle empirique d'Elliot et aLI2 et à la théorie de
Smoluchowsla avec un facteur statistique de spin (113). Il reste un écart d'environ
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IO%, un résultat acceptable, étant données les incertitudes sur les paramètres
employés.
La théorie permet de calculer l'effet d'un champ magnétique sur la vitesse d'une
réaction radical-radical.
Les états TI et T-1 restent non-réactifs et sont exclus,
réduisant la constante de vitesse par un facteur de %. Des rencontres S sont réactives
et celles TOsont non-réactives, mais l'interaction Zeeman mélange les états To et S, ce
qui est à l'origine du rétablissement de la réactivité après une rencontre To. Dans
l'équation (16) on met alors p = 1 et q
=
%. Le résultat est identique à celui obtenu
(avec beaucoup plus de peine) par résolution de l'équation de Liouville stochastique
pour le système à deux états.
aléatoire
u
L
0.0
I
O-'
I
BIT
1 .O
Figure 2. Comparaison entre la nouvelle théorie (-1 et l'équation de
Liouville stochastique [pointsJpour trois états de spin initiaux, a à o i r
1 Tl->, 1 To+>et un mélange non-cohérent de ces états.
La méthode est également transposable à des systèmes comprenant plusieurs
interactions, par exemple un système de deux radicaux avec un noyau magnétique
(interaction de Zeeman et couplage hyperfh). La méthode décrite ici n'est plus
exacte, parce qu'elle voudrait que toute cohérence entre les états soit détruite sur
toutes les rencontres, tandis qu'en réalité la cohérence entre les états non-réactifs est
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conservée. Cependant, on présente des comparaisons entre la nouvelle méthode et la
solution numérique de l'équation de Liouville stochastique dans la figure 2, qui montre
que l'approximation est acceptable en ce qui concerne les cinétiques.
REMERCEMEN'S
Cette recherche a été subventionnée par EPSRC (UK).
RÉFklumCEs
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