COMPTE-RENDU DU LIVRE EXPLORING THE SYNTAX
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COMPTE-RENDU DU LIVRE EXPLORING THE SYNTAX
COMPTE-RENDU DU LIVRE EXPLORING THE SYNTAX-SEMANTICS INTERFACE DE ROBERT D. VAN VALIN, JR. (2005) ADEL JEBALI UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL Introduction Ce livre se veut une suite à Van Valin et Lapolla (1997), qui est un livre d'introduction à la théorie fonctionnelle appelée la grammaire du rôle et de la référence (désormais RRG). Cette théorie linguistique a vu le jour dans les années 1980 dans les recherches de William Foly et de Robert D. Van Valin, Jr. (Foley et Van Valin (1984)). C'est une grammaire fonctionnelle et, comme toute grammaire fonctionnelle, elle considère que la langue est un instrument d'interaction sociale, dont le but est d'établir des relations communicationnelles. L'accent est ainsi mis sur l'usage, la fonction de communication et le contexte social. Nous pouvons en conclure que cette théorie ne met pas les applications formelles au centre de ses préoccupations. La formalisation est ici un outil et non un but en soi-même. C'est pour cette raison que RRG se démarque du courant linguistique dominant, à savoir l'École de Cambridge. Elle s'en démarque aussi par une vision particulière de l'universel et du spécifique dans les langues naturelles et met en doute l'universalité de la plupart des catégories syntaxiques traditionnelles comme le syntagme verbal, les notions de sujet, d'objet direct et d'objet indirect, pour ne citer que ces exemples. Notons, finalement, que cette théorie se base sur certaines avancées théoriques précédentes dont les plus éminentes sont la théorie des classes de verbes de Vendler (1967), qui a servi de cadre pour l'analyse sémantique, et la théorie de la structure de l'information développée par Lambrecht (1986; 1987; 1994), qui a servi de base pour l'analyse pragmatique. Les objectifs En parcourant la préface du livre, nous pouvons conclure que l'auteur se fixe comme objectif de consacrer une introduction à RRG, qui se veut à la fois une suite, une récapitulation et une mise au point des travaux effectués dans le cadre de cette grammaire depuis la publication de Van Valin et Lapolla (1997). Le livre est aussi un manuel scolaire de RRG destiné aux enseignants qui veulent présenter cette théorie à leurs étudiants. Cependant, aucun exercice n'est offert et le lecteur est donc référé aux exercices du livre introductif précédent qui date de 1997. RÉLQ/QSJL Vol III, No 1, Automne/Fall 2008 En tant qu'introduction à RRG, ce livre ne présuppose pas une familiarité avec cette théorie ni une connaissance même superficielle de ses préceptes. Il présuppose néanmoins une bonne base en linguistique générale et surtout en syntaxe, en sémantique et en pragmatique. C'est pour cette raison qu'aucun des concepts « traditionnels » de la linguistique n'est défini ici et qu'il est préférable d’avoir une bonne connaissance des enjeux linguistiques pour comprendre la portée exacte des hypothèses avancées par l'auteur. En tant que livre d'introduction, cet ouvrage atteint à notre avis ses buts. Nous n'avons eu aucun mal à cerner les concepts de base, et le formalisme adopté, qui est celui de Johnson (1987), s'inspire en grande partie du formalisme des arbres syntaxiques auxquels nous sommes habitués. La présentation de RRG procède de manière méthodique simple, mais efficace. L'auteur commence par définir l'objet étudié, à savoir la langue, du point de vue de RRG. Cette définition entend la langue en tant qu'outil de communication sociale entre les individus et ne privilégie pas les aspects cognitifs ni les structures abstraites. De cette définition ressortent trois concepts essentiels: les structures grammaticales (ou la syntaxe), le sens (ou la sémantique) et le contexte social (ou la pragmatique). Cette définition nous permet de déduire ce qui est universel et ce qui est spécifique à une langue. Les buts communicatifs de base sont perçus comme étant universaux, alors que la nature de l'interaction entre la syntaxe, la sémantique et la pragmatique trace les limites de la variation linguistique. Cette distinction se trouve reflétée dans le plan du livre : le premier chapitre étant consacré à la syntaxe, le deuxième à la sémantique et le troisième à la pragmatique. Les chapitres suivants sont consacrés aux interfaces entre la syntaxe, la sémantique et la pragmatique ainsi qu'à l'application des concepts de base sur des structures plus complexes, à savoir la coordination, la subordination, la formation du passif, etc. La délimitation de ce qui est universel dans les langues et de ce qui est plutôt spécifique fait partie des objectifs de RRG en général et de ce livre introductif en particulier. Cette préoccupation émane des deux questions fondatrices de cette théorie: si la linguistique était basée sur l'étude de langues comme le diyarbal (une langue ergative) et le lakhota (une langue qui marque la tête) plutôt que sur l'étude de l'anglais (une langue accusative et qui marque le dépendant), comment serait-elle de nos jours? Et comment l'interaction entre la syntaxe, la sémantique et la pragmatique dans les différents systèmes grammaticaux peut-elle être expliquée? La réponse à ces deux questions se trouve dans les différents chapitres de ce livre. L'auteur a réussi à nous donner une image d'une théorie linguistique différente de son image actuelle teintée par l'élévation des règles d'une seule langue, en l'occurrence l'anglais, au rang de principes universaux. Selon Van Valin, ce ne sont pas les notions de syntagme verbal, de sujet ou d'objet qui sont universelles, notions difficilement applicables sur des langues très différentes de l'anglais, mais plutôt le rôle de la langue dans son contexte social, à savoir assurer la communication entre les êtres humains. 40 RÉLQ/QSJL Vol III, No 1, Automne/Fall 2008 Le contenu scientifique et théorique Les objectifs fixés par l'auteur et le plan de son livre l'ont amené à traiter plusieurs sujets encore problématiques dans l'analyse linguistique et à remettre en cause certaines notions. Pour ne donner qu'un exemple de cette démarche qui reste fidèle aux objectifs du livre et par conséquent aux objectifs de RRG, nous exposons brièvement le concept de structure de la proposition. Pour l'auteur, la proposition n'a pas une structure abstraite selon un schéma X-barre ou autre, qui serait universelle. Rappelons que ce schéma repose principalement sur la constitution interne du syntagme verbal, la proposition (ou la phrase) n'étant qu'une extension de ce composant (la tête de la phrase et la même que la tête du SV). Selon Van Valin, par contre, une théorie de la structure de la proposition digne de ce nom, ne doit jamais imposer des traits sur des langues qui en sont dépourvues sous prétexte qu'ils sont « universaux ». Elle doit respecter certaines contraintes: elle doit, tout d'abord, être capable de représenter l'interaction entre la syntaxe, la sémantique et la pragmatique. Elle doit ensuite révéler des aspects de la structure grammaticale, qui seraient universels et basés sur une vraie typologie des langues. Ceci amène l'auteur à proposer une structure qu'il qualifie de « stratifiée », reposant sur des notions applicables sur toutes les langues. Ces notions sont le nucléus, le noyau et la périphérie. Le nucléus a un pendant sémantique qui est le prédicat. Le noyau a pour pendant sémantique le prédicat en plus de ses arguments, et la périphérie subsume les composants non argumentaux de la phrase. Ces unités hiérarchiques sont définies sémantiquement plutôt que syntaxiquement, et par ce fait-même aucun ordre n'est imposé sur leur apparition dans une proposition. Cette structure s'avère compatible avec toutes les langues, qu'elles soient configurationnelles à ordre fixe et à marquage du dépendant (comme l'anglais), à ordre libre (comme le diyarbal) ou à marquage de tête (comme le lakhota ou le tzotzil). Il est clair que l'auteur essaie tout au long du livre d'adopter des notions et des concepts d'une grande généralité, inspirés la plupart du temps de la logique classique (comme, par exemple, l'acnat, le patient et la proposition), pour ne pas tomber dans les « erreurs » qui ont marqué les autres théories, à savoir faire du spécifique un trait universel, et pour que la syntaxe, la sémantique et la pragmatique soient en concert dans les moindres détails de la théorie. Les grands absents L'auteur accorde une importance majeure à la sémantique et à la pragmatique dans l'investigation des phénomènes syntaxiques. Cela lui permet d'atteindre une certaine généralité et de résoudre des problèmes qui concernent des langues très diverses. Cependant, cet effort est marqué par une négligence totale des composantes morphologiques et phonologiques de la langue. En voulant se démarquer du courant d'analyse chomskyen, qui place la syntaxe au coeur de la théorie linguistique, Van Valin place la sémantique dans cette même position et omet de traiter des aspects 41 RÉLQ/QSJL Vol III, No 1, Automne/Fall 2008 morphologiques et phonologiques. Cependant, nous pouvons déduire de certains passages que la morphologie n'a aucun statut différent de celui de la syntaxe dans le cadre de RRG. Les « opérateurs » est la notion utilisée dans ce cadre pour désigner les composantes morphologiques de la proposition, qui expriment le temps, l'aspect, la modalité, etc. Ces opérateurs n'ont eu droit qu'à trois paragraphes à la page 50. L’auteur justifie que l’absence de toute représentation de ces opérateurs dans son livre est due à leur grande complexité sur le plan sémantique. Quand nous savons que plusieurs théories linguistiques, dont le programme minimaliste, accordent à ces mêmes opérateurs une place de choix, en tant que locus de la variation linguistique et en tant qu'éléments indicateurs des positions syntaxiques, nous ne pouvons que constater cette absence de la grammaire RRG et de son livre introductif. Un point de vue global Le livre est très bien structuré et l'auteur est demeuré fidèle aux points qu'ils a soulevés dans l'introduction. La table des matières reflète cette réalité et donne un aperçu de la structure de la théorie présentée par l’auteur. Les titres sont clairs et intuitifs. Les deux index des langues et des sujets traités nous permettent de facilement repérer les informations recherchées et la bibliographie est à la hauteur des ambitions théoriques de l'auteur, ce ce qu'elle fait référence à presque toutes les théories linguistiques. Nous pouvons affirmer que le livre atteint ses objectifs et introduit les concepts et les hypothèses de RRG de manière pédagogique, malgré l'absence des exercices. Notons que le plan adopté ici est presque entièrement reproduit sur la page introductive de cette grammaire sur son site Web à l'adresse suivante: http://linguistics.buffalo.edu/research/rrg/rrg_paper.html. Nous ne pouvons que conseiller ce livre à toute personne qui veut en savoir plus sur cette grammaire fonctionnelle. L'absence d'un traité des composantes morphologiques et phonologiques est un point saillant. Cependant, ceci reflète plus une carence dans la théorie elle-même qu'une carence dans le livre qui lui sert d'introduction. Références Foley, W. et R. Van Valin, Jr. 1984. Functional Syntax and Universal Grammar. Cambridge: Cambridge University Press. Johnson, M. 1987. « A New Approach to Clause Structure in Role and Reference Grammar ». Davis Working Papers in Linguistics, no 2, pp. 55-59. Lambrecht, K. 1986. Topic, Focus and the Grammar of Spoken French. Thèse de doctorat non publiée, Univ. of California, Berkeley. ___________ .1987. « Sentence Focus, Information Structure, and the Thetic-Categorial Distinction ». BLS, no 13. pp. 366-382. 42 RÉLQ/QSJL Vol III, No 1, Automne/Fall 2008 ___________ .1994. Information Structure and Sentence Form. Cambridge: Cambridge Univ. Press. Van Valin, R., Jr. et R. LaPolla. 1997. Syntax: Structure, Meaning & Function. Cambridge: Cambridge University Press. Vendler, Z. 1967. Linguistics in philosophy. Ithaca: Cornell Univ. Press. Le site Web de RRG: http://linguistics.buffalo.edu/research/rrg.html 43