Ni voisins, ni membres. La «périphérisation» des Balkans

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Ni voisins, ni membres. La «périphérisation» des Balkans
A. Cattaruzza et E. Chaveneau, Ni voisins ni membres. la «périphérisation» des Balkans...
Ni voisins, ni membres. La
«périphérisation» des Balkans
occidentaux via le processus
d’adhésion à l’UE
Emmanuelle Chaveneau
Amaël Cattaruzza
[email protected]
[email protected]
Résumé
Neither neighbours nor
members. The western Balkans
«peripherisation» through the
EU membership process
Cet article montre l’ambiguité des relations entre
l’Union européenne et les pays des Balkans
occidentaux en attente d’intégration. En effet,
malgré la feuille de route précise établie par
l’UE pour l’intégration de ces régions, celle-ci
semble compromise à court terme par la notion
de « capacité d’intégration » récemment mise
en avant par Bruxelles. Cet éloignement de la
perspective d’adhésion, combiné à l’intervention
croissante de l’UE dans la conduite des différentes
politiques nationales, crée un double processus de
périphérisation pour les pays de la région.
This paper aims to study the ambiguous relationship
between the European Union and the countries
of the Western Balkans which are waiting for their
accession. Indeed, despite the precise agenda
defined by EU for the integration of this region, the
process is delayed by the notion of « integration
capacity », recently asserted in Brussels. The delayed
membership perspective and, in the same time,
the increasing EU’s political intervention in various
internal policies implemented by these states tends
to reinforce their “EU periphery status”.
Balkans, Union Européenne, périphérie, intégration,
processus d’adhésion, géographie politique,
géopolitique, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie,
Monténégro, Macédoine, Albanie
Balkans, European Union, periphery, integration,
accession process, political geography, geopolitics,
Croatia, Bosnia-Herzegovina, Serbia, Montenegro,
Macedonia, Albania
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n°2 (02-2007)
Le couple centre/périphérie est utilisé en
géographie politique et en géopolitique
« pour désigner des pôles de puissances, les
centres dominants, entourés de périphéries
dominées. Ces outils ne servent qu’à introduire
une hiérarchie des territoires en termes de
puissance » (Rosière, 2003, p. 296). Cette
définition pointe d’emblée le caractère
relationnel et a priori a-territorial de ce binôme.
Toutefois, elle propose une vision quelque
peu statique, figée des relations entretenues
entre le ou les centres et la ou les périphéries.
Concernant notre sujet, à savoir l’étude des
relations entre Balkans et Union européenne,
cette dualité dominant/dominé nous semble
pouvoir être précisée et repensée sous une
forme plus dynamique. Les relations politiques
qui se sont instaurées depuis les années 90 ne
sont pas un simple calque des dissymétries de
flux (économiques, migratoires, de capitaux)
évidentes entre ces deux espaces. Elles les
préfigurent, et dans l’état actuel, semblent les
conforter au lieu de les réduire. Donc cette
relation centre/périphérie doit être analysée
comme un processus politique (centralisation/
périphérisation), autant, voire davantage, que
comme un constat économique ou social.
Cette antériorité du politique sur les facteurs
économiques s’est manifestée par exemple au
cours des années 90 dans les pays d’Europe
d’orientale, alors que le redéploiement des flux
économiques et migratoires de l’Est vers l’Ouest
ne faisait que succéder à un bouleversement
politique majeur, l’effondrement du mur de
Berlin et la chute du système soviétique.
Les Balkans occidentaux, que nous définirons
dans ce texte comme les pays dont l’intégration
n’est pas encore réalisée, à savoir la Croatie, la
Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro,
la Macédoine et l’Albanie (région également
désignée dans les textes officiels comme « Europe
du Sud-Est »), seront ici analysés comme des
espaces en voie de « périphérisation » politique,
c’est-à-dire dont l’action est en partie influencée
voire soumise aux exigences d’un centre,
l’Union européenne. Bien que la voix de l’Union
européenne ne soit pas toujours très audible
sur la scène politique internationale, elle joue
un rôle fort dans les Balkans occidentaux par
le biais de la promesse d’adhésion, qui devient
alors un moyen de pression. Toutefois, il s’agit
de ne pas avoir une vision trop schématique
d’une dynamique qui serait insufflée de
manière unilatérale par un centre autoritaire
et dominant. Comme nous le verrons dans cet
article, cette relation centre/périphérie n’existe
qu’à travers une action politique réciproque,
plus ou moins librement consentie, par le centre
comme par la périphérie.
Puisqu’ils ont vocation à intégrer l’Union
européenne, les Balkans n’entrent pas dans le
cadre de la politique de voisinage. Pour la même
raison, ils ne sont pas inclus dans le partenariat
euro-méditerranéen, qui ne concerne que la
rive sud et est de la Méditerranée (Darbot,
2005). Ils n’en constituent pas moins une
périphérie géographique directe de l’UE puisque
la frontière communautaire borde la Croatie,
la Serbie, la Macédoine et l’Albanie, ainsi que
le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine pour
ce qui concerne les frontières maritimes. Pour
autant, avec l’adhésion de la Roumanie et de la
Bulgarie en janvier 2007, ces pays se retrouvent
en situation d’isolat au sein de l’UE, comme
un « trou blanc » sur la carte politique de
l’Union (Sanguin, 2005). Au vu de la politique
communautaire, ils ne sont donc ni voisins, ni
membres, mais sont en situation d’ « entredeux » pour une durée indéterminée.
Nous essayerons de voir comment la proximité
spatiale des Balkans occidentaux se traduit dans
une relation centre/périphérie particulière, pas
seulement économique mais aussi politique,
dans une relation de voisinage tout à fait
originale par rapport aux liens établis à l’Est
avec les pays d’Europe orientale et au Sud avec
les pays méditerranéens.
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A. Cattaruzza et E. Chaveneau, Ni voisins ni membres. la «périphérisation» des Balkans...
La vocation européenne des
Balkans : choix politique ou
fatalité ?
Des Balkans « voisins » aux « futurs
membres »
Au début des années 90, alors que la Yougoslavie
éclatait, la politique communautaire visait
essentiellement à contenir les conflits. Il
s’agissait alors d’un volet de sa politique
extérieure. La crise du Kosovo en 1999 a modifié
cette perspective : l’intégration de ces Etats à
l’UE est désormais envisagée. Dès lors, aux yeux
de Bruxelles, les Balkans quittaient leur statut de
région bordière à contenir pour devenir une zone
périphérique à intégrer. Cette évolution dépend
également du renversement démocratique
qui, dans le même temps, se déroulait dans les
Balkans. Les anciens dirigeants nationalistes,
hommes forts de la guerre (Tudjman en Croatie,
Milošević en Serbie, Izetbegović en BosnieHerzégovine), disparaissaient de la scène
politique au cours de l’année 2000, laissant la
place à une nouvelle génération démocratique
et pro-européenne. Le changement de cap de
l’UE concernant la région est lisible également
dans les programmes d’aide économique qui
se sont succédé au cours de cette décennie. Le
programme PHARE était l’instrument financier
de l’Union européenne, mis en place en 1989
pour assister les PECO dans leur transition
vers le régime démocratique et l’économie de
marché. Originellement dédié aux seuls 10 pays
d’Europe centrale et orientale (Bulgarie, Estonie,
Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie,
Slovaquie, Slovénie, République tchèque), ce
programme fut élargi aux pays des Balkans dès
1995. Il fut utilisé en Bosnie-Herzégovine pour
la reconstruction. Puis, le programme OBNOVA
créé en 1997 fut consacré à la reconstruction
des pays ex-yougoslaves. Il précise les modalités
d’attribution des aides en introduisant la
notion d’« approche régionale ». Les Balkans
deviennent un problème spécifique et l’Union
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européenne forge des réponses adaptées.
Quelques années plus tard, les Sommets de
Zagreb (novembre 2000), de Nice (décembre
2000) puis de Thessalonique (juin 2003) ont
permis aux dirigeants européens d’affirmer
la vocation des pays de l’Europe du SudEst à intégrer l’UE. Le politologue Nebojša
Vukadinović précise que la stratégie européenne
pour le développement régional des Balkans
occidentaux a été clairement affichée lors
du Sommet de Thessalonique : « A défaut de
présenter un calendrier, l’Union européenne,
fidèle à son orientation politique générale,
insiste sur la nécessité de former une zone de
libre-échange dans les ‘Balkans occidentaux’
où la Serbie-Monténégro occuperait une place
centrale » (Vukadinović, 2004, p.215). Cette
prise de position de l’UE crée dès lors, au sein
des populations des Balkans occidentaux, un
horizon d’attente.
Pourtant, force est de constater que les pays de
la région ne sont pas tous au même niveau dans
leur démarche vers l’intégration. La Slovénie
est membre de l’UE depuis 2004. La Croatie
et la Macédoine sont candidates officielles. La
Bosnie-Herzégovine et la Serbie sont en retard
par rapport à leurs voisins ex-yougoslaves et
leur adhésion reste une perspective lointaine,
comme pour l’Albanie et le Monténégro bien
que ceux-ci aient récemment signé leur Accord
de Stabilisation et d’Association (ASA). Pour bien
comprendre les progrès respectifs de chacun
de ces pays vers l’adhésion, il est important
de décrire et d’expliquer la feuille de route
spécifique établie par l’UE pour l‘Europe du
Sud-Est.
Une feuille de route précise imposée
par l’UE
Pour les pays d’Europe du Sud-Est, l’UE
avait ébauché, dès le sommet de Zagreb
de novembre 2000, un certain nombre de
règles et de préconisations en vue de leur
intégration. Elle aboutit à la mise en place
d’un outil de pré-adhésion : l’Accord de
n°2 (02-2007)
Stabilisation et d’Association. Il s’agissait d’aider
les pays concernés à se réformer, à la fois
économiquement et politiquement, en prenant
en compte leur situation spécifique d’instabilité
à la suite des guerres. Après les étapes de
pacification et de reconstruction, l’UE entamait
une politique de stabilisation régionale. Via
l’ASA, et à la différence de ce qui avait été fait
précédemment pour préparer l’élargissement à
l’Europe centrale et orientale, l’UE cherchait à
prendre en compte à la fois des aspects matériels
(reconstruction des infrastructures, relance
de l’économie) et immatériels (pacification ou
reconstruction identitaire).
Le sommet de Zagreb fixait pour les pays de
la région, les objectifs prioritaires à mettre en
œuvre pour accéder, sur une base individualisée,
à la négociation d’un ASA de la façon suivante :
précisant également les étapes à suivre dans le
processus de stabilisation et d’association (cf.
tableau ci-dessous). Nous voyons ainsi comment
les instruments créés pour préparer l’adhésion
des pays des Balkans occidentaux deviennent
un levier politique permettant au « centre »
européen d’influencer les « périphéries »
balkaniques.
Etat des lieux des différentes
situations nationales
Bien que l’approche de l’UE soit régionale,
chaque Etat passe à son rythme les différentes
étapes vers la signature de son ASA, et vers la
candidature officielle (cf. Figures 1 et 2).
- démocratisation et réconciliation
(règlement négocié des différends, respect
des droits de la personne et en particulier
des minorités, respect des obligations
internationales, notamment auprès du TPIY,
règlement durable de la question des réfugiés
et personnes déplacées, respect des frontières
internationales des Etats),
Les pays des Balkans occidentaux présentent des
situations très différentes. Celles-ci s’expliquent
en grande partie par l’histoire récente. La
Macédoine a été le pays précurseur, organisant
dès 1998 des groupes de travail consultatifs.
Il faut rappeler que la Macédoine n’avait alors
pas encore connu la guerre et se distinguait
des autres républiques ex-yougoslaves par son
gouvernement pro-européen. Elle est ainsi la
première à avoir signé un ASA le 9 avril 2001,
sous la pression de l’UE qui cherchait à prévenir
l’embrasement d’un conflit albano-macédonien
dans le Nord et l’Ouest du pays (Blazevska, 2005).
Partie plus tard mais arrivée plus vite, la Croatie
est de loin aujourd’hui l’Etat le plus avancé dans
les négociations d’adhésion avec l’UE. Elle est
devenue candidat officiel en novembre 2005,
soit six ans après avoir entamé le processus
de stabilisation et d’association. Cette rapidité
s’explique par le zèle de tout un gouvernement
convaincu que l’intégration européenne était la
seule issue à la crise économique et politique
du pays. L’Albanie, après avoir lancé des
groupes de travail dès novembre 2000, a signé
son ASA le 12 juin 2006, malgré des difficultés
pour accomplir les réformes demandées, les
- coopérations régionales (dialogue
politique, établissement d’une zone régionale
de libre échange, coopération dans le domaine
de la justice et des affaires intérieures, lutte
contre le crime organisé).
Cet accord est doublé d’un volet financier :
l’Assistance communautaire à la Reconstruction,
au Développement et à la Stabilisation
(CARDS), programme successeur de PHARE et
OBNOVA1, doté, pour la période 2000-2006,
de 4,65 milliards d’euros (Darbot, 2005). Les
financements sont conditionnés par la mise
en œuvre des réformes préconisées par l’UE
(coopération régionale et avec le Tribunal pénal
international – TPI – entre autres), qui ont fait
l’objet d’un accord bilatéral entre chaque Etat
et la Commission européenne, cette dernière
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A. Cattaruzza et E. Chaveneau, Ni voisins ni membres. la «périphérisation» des Balkans...
Figure 1. L’avancée du processus de Stabilisation et d’Association Etat par Etat en
septembre 2006
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n°2 (02-2007)
querelles de partis prenant le pas sur la volonté
de réforme. Plus récemment, le Monténégro
est pour le moment le dernier Etat de la région
à avoir signé un ASA, le 15 mars 2007. Cette
avancée vers l’Europe moins d’un an après son
indépendance semble confirmer la stratégie
des dirigeants monténégrins, qui pronaît que
la séparation avec la Serbie leur faciliterait les
discussions avec l’UE.
processus, la signification de l’adhésion évolue
nécessairement au sein de chaque Etat. Les
perspectives d’adhésion ébauchées à partir
des années 2000 étaient entre autres perçues
comme des solutions de sortie de crise politique,
aussi bien du côté de l’UE que du côté des Etats.
Aujourd’hui, le risque de conflit s’amenuisant
dans de nombreuses régions, les attentes des
populations ont évolué et l’UE est peut être
moins à même d’y répondre.
Finalement, deux pays attendent encore
de signer leur ASA. Tout d’abord la BosnieHerzégovine, que la division tricéphale de l’Etat
(Sanguin, 2001) et la tutelle internationale
(Robin-Hunter, 2005) rendent inapte à conclure
un tel accord. Ensuite la Serbie, dont le manque
de coopération avec le Tribunal Pénal de la Haye
et la séparation récente d’avec le Monténégro
ont un temps clos les négociations avec l’UE.
Cette dernière, pourtant, dès le lendemain du
référendum d’indépendance monténégrin,
reconnaissait l’avancée du processus de
stabilisation et d’association réalisée par l’Etat de
Serbie-et-Monténégro comme acquise pour les
deux nouveaux Etats. Cependant, la poursuite
des négociations avec la Serbie ne pouvait se
faire qu’après qu’une entente ait été trouvée
à propos de la coopération avec le TPI. Avec
le Monténégro, elle supposait l’établissement
de nouvelles structures étatiques ; dès le 16
septembre 2006, soit un peu moins de quatre
mois après son indépendance, les négociations
ont effectivement repris entre l’UE et la petite
république. En revanche, elles n’ont repris
avec la Serbie que le 14 juin 2007, après que la
coopération du pays avec TPI2 ait été réellement
constatée.
Comme nous le voyons, quel que soit le
pays concerné, le processus d’adhésion est
un processus à moyen, voire long terme. La
Croatie, qui s’est efforcée de remplir chaque
condition rapidement, aura mis six années
pour arriver au statut de candidat officiel. La
plupart des autres pays mettront davantage
de temps. Si bien qu’entre le début et la fin du
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A. Cattaruzza et E. Chaveneau, Ni voisins ni membres. la «périphérisation» des Balkans...
N
SLOVENIE
A. Cattaruzza - juin 2007
HONGRIE
Ljubljana
Zagreb
CROATIE
Novi Sad
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Kosovo
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BULGARIE
Skopje
Tirana
MACEDOINE
ALBANIE
0
100 km
LEGENDE
Frontière internationale
Pays en cours de négociation d'un ASA
Ligne frontière intra-étatique
Pays ayant signé un ASA
Capitale
Pays candidat officiel à l'adhésion à l'UE
Capitale de province
Pays membre de l'UE
Figure 2. Les Balkans vers l’adhésion
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n°2 (02-2007)
La signification de l’adhésion pour
les pays des Balkans occidentaux
problèmes de taille qui constituent des facteurs
potentiels de déstabilisation dont le principal
est le règlement de la question du Kosovo. En ce
qui concerne les relations que le pays entretient
avec l’UE, la situation est aujourd’hui un peu
plus favorable puisque les négociations, gelées
pendant un an et demi à cause du manque de
collaboration avec le TPI, ont finalement repris
le 14 juin 2007.
Si, jusqu’au début des années 2000,
l’adhésion à l’UE pouvait représenter pour
une partie des populations un facteur
possible de démocratisation des différents
régimes politiques, cette préoccupation s’est
aujourd’hui estompée grâce à l’arrivée au
pouvoir de nouveaux leaders. En revanche,
l’enjeu économique devient primordial
dans tous les débats nationaux de la région.
Schématiquement, on pourrait dire que l’UE
symbolise aujourd’hui, pour les groupes les plus
europhiles, un potentiel de développement
économique et pour les plus europhobes, une
menace d’ingérence.
En Bosnie-Herzégovine, la division du pays,
depuis les accords de paix de 1995, en deux
entités et trois zones ethnico-politiques3,
influence de facto le jeu politique national. Les
partis nationalistes au pouvoir depuis la fin de
la guerre, SDA (Parti d’Action Démocratique)
bosniaque, SDS (Parti Démocratique Serbe)
serbe et HDZ (Communauté Démocratique
Croate) croate, en refusant le projet d’une
Bosnie-Herzégovine unitaire et multiethnique
prôné par les institutions internationales rendent
hypothétique une quelconque négociation
d’adhésion. Et même si les élections d’octobre
2006 ont amené à la Présidence collégiale4 deux
candidats favorables au maintien d’une Bosnie
unitaire, Haris Silajdžić (SBiH) et Željko Komšić
(SDP, Parti social-démocrate), le réprésentant
serbe persiste dans son sécessionisme, allant
jusqu’à envisager la tenue d’un réferendum en
Republika Srpska à propos de l’indépendance
de l’entité.
Les mouvements nationalistes des autres pays
ont soit évolué vers une position europhile (par
pragmatisme économique et stratégique), soit
adopté cette optique dès leur création. Ainsi,
pour le Monténégro, le mouvement nationaliste
monténégrin d’opposition, l’Alliance libérale,
s’est opposé dès le début des années 90 aux
positions de Belgrade et aux guerres yougoslaves
(Cattaruzza, 2004). Sous son impulsion se
développe une opinion publique à la fois
nationaliste et anti-Milošević. Celle-ci explique
l’évolution du parti au pouvoir à Podgorica,
le DPS (Demokratska Partija Socialista – Parti
Démocrate des Socialistes) qui, depuis 1997,
Survol des forces politiques nationales
pro et anti-européennes
Ce constat semble pouvoir s’appliquer à chaque
contexte national. Nous pouvons néanmoins
distinguer deux grandes catégories de situations.
D’un côté, les pays dans lesquels les partis
nationalistes s’opposent aux préconisations de
l’UE (Bosnie-Herzégovine, Serbie), de l’autre,
ceux où les mouvements nationalistes ont
intégré la perspective européenne dans leur
programme (Croatie, Monténégro, Macédoine,
Albanie).
Dans la première catégorie, les partis nationalistes
perpétuent un discours ethno-territorial
excluant et développent des idées contraires à
certaines exigences communautaires (intégrité
des tracés frontaliers, respect des minorités).
Pour la Serbie, la situation est délicate puisque,
au sein même de son gouvernement, se trouvent
représentées des forces pro-européennes et
d’autres qui sont au contraire très critiques visà-vis de l’UE. De plus, la montée en puissance
dans l’opinion serbe des Radicaux, parti ultranationaliste et anti-européen, pourrait entraver
ou ralentir les perspectives d’intégration de la
Serbie. Enfin, l’Etat serbe reste confronté à des
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A. Cattaruzza et E. Chaveneau, Ni voisins ni membres. la «périphérisation» des Balkans...
sous l’impulsion de son leader, Milo Djukanović,
s’est ouvertement engagé vers l’Europe et vers
l’intégration du Monténégro. Ce parti, principale
composante de l’actuel gouvernement, est sorti
renforcé de la dernière consultation référendaire.
Or la question de la réconciliation nationale
entre pro-indépendantistes et pro-unionistes
reste en suspens5. Cette division politique se
superpose avec la question européenne. De
fait, les indépendantistes se sont toujours
prononcés en faveur de l’intégration, tandis
que les partis défendant l’Union avec la Serbie
furent longtemps divisés à propos de l’avenir
européen du Monténégro. Toutefois, depuis
l’indépendance, la perspective européenne fait
l’objet d’un consensus politique unanime.
par la question de l’adhésion, soit du fait des
préconisations qu’elle émet, est devenue un
sujet incontournable. Les débats nationaux
sont inévitablement polarisés autour de la
question européenne. Le rapport centrepériphérie devient donc un élément structurant
des clivages politiques internes aux périphéries.
Se faisant le miroir des rapports de force
économiques entre l’UE et la région, les
programmes politiques nationaux convergent
progressivement vers la seule et unique option
européenne. Ne pourrions-nous pas y voir une
certaine forme d’acceptation politique de la
« périphérisation » ?
Les réformes de pré-adhésion
comme vecteur d’ingérence
politique ?
La Croatie, pour sa part, ne s’est résolument
tournée vers l’UE qu’après la mort de son
président Franjo Tudjman, le 10 décembre
1999, dont les positions ultra-nationalistes
confinaient à l’enclavement politique et à
l’isolement du pays sur la scène internationale.
L’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de
centre-gauche et d’un président europhile,
Stjepen Mesić, a lancé le pays, dès 2000, dans
une véritable course à l’adhésion, considérée
comme unique perspective. (Chaveneau, 2004).
Aujourd’hui, l’ancien parti politique nationaliste,
créé par Franjo Tudjman, le HDZ (Communauté
Démocratique Croate), s’est lui-même rallié à
l’option européenne, et son retour au pouvoir,
en 2004, ne s’est pas traduit par un changement
de cap sur cette question.
Enfin, en Macédoine, le projet européen est
l’un des rares enjeux qui met d’accord les partis
albanais et les partis macédoniens. Dans ce pays
fragilisé par les oppositions nationales, tous se
prononcent en faveur de l’intégration, suivant
en cela leurs opinions publiques (Ragaru & Slim,
2004). Il en va de même en Albanie où tous les
partis sont officiellement pro-européens mais se
montrent dans les faits incapables de dépasser
leurs désaccords pour adopter les réformes
réclamées par l’UE.
Ce panorama politique révèle que l’UE, soit
Au-delà de ce simple jeu d’influence du centre
vers la périphérie, l’UE exerce une véritable
pression sur la restructuration générale des
pays (sur les plans économique, politique,
administratif mais aussi judiciaire et social)
depuis la fin des conflits. De fait, la logique
de l’intervention européenne oscille entre
le rôle de médiateur et celui de décideur,
projetant sur les Etats des Balkans ses propres
stratégies et représentations de sortie de crise.
Aujourd’hui, cet interventionnisme semble
fonctionner sous la forme d’un échange tacite
entre le centre européen et ses périphéries en
attente d’intégration : que les préconisations
politiques et économiques soient suivies et
les pays périphériques avancent sur la route
de l’intégration, débloquant des aides et des
subventions ; qu’elles ne soient pas écoutées et
la situation se gèle.
Dès 1991, la question des minorités nationales
fait échouer la demande de la Croatie d’être
reconnue comme Etat indépendant. Ainsi,
le 11 janvier 1992, la Commission Badinter,
chargée d’étudier les dossiers des entités
qui demandent la reconnaissance (Slovénie,
Croatie, Bosnie-Herzégovine, République Serbe
de Krajina en Croatie, et Republika Srpska en
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n°2 (02-2007)
Bosnie-Herzégovine), refusa une première fois
la candidature croate puisque la Constitution
n’affirmait pas clairement le respect des droits
des minorités nationales, qui représentaient
alors plus de 12% de la population totale de l’exrépublique yougoslave. Ensuite, les propositions
de lois successives émises par la Croatie ont
été jugées insuffisantes. La rédaction de la loi
a finalement été faite sous la surveillance de la
Commission de Venise, qui n’a eu de cesse de la
retoquer durant deux ans, jusqu’à ce qu’une loi
acceptable à ses yeux, c’est-à-dire totalement
conforme aux normes communautaires, voie le
jour et soit adoptée en décembre 2002.
Cet exemple montre l’influence directe que peut
avoir l’UE dans la définition des lois nationales.
Son rôle a pu être encore plus évident ailleurs
dans la région. La gestion des tensions à la
fin des années 90 et début 2000, dans les cas
serbe et macédonien, apparaît aujourd’hui
comme la vitrine du succès de la diplomatie
européenne dans la région (Bordes, 2005). Dans
les deux cas, l’Union européenne est intervenue
directement : officiellement simple médiatrice,
elle a, concrètement, fait pression sur les
interlocuteurs pour aboutir à un compromis.
Cela a été très clair en Serbie et au Monténégro,
où l’Union européenne a fait plus que de
donner le cap. Elle s’est investie énergiquement
en s’opposant à l’organisation d’un référendum
d’indépendance au Monténégro en 2001 et en
supervisant un nouveau dialogue entre les deux
partenaires. Ceux-ci aboutirent, bon gré mal
gré, à la signature des Accords de Belgrade, le 14
mars 2002, et à la création de la Communauté
d’Etats de Serbie-et-Monténégro. Ces accords
étaient alors accueillis froidement par les
opinions publiques des deux Etats. Rappelons
néanmoins que l’UE a eu, pour la Serbie-etMonténégro, une réponse assez pragmatique à
la question nationale monténégrine. Devant le
constat que la coopération des autorités serbes
et monténégrines au sein de l’Etat commun
ne fonctionnait pas, Bruxelles proposa en
septembre 2004 le principe de « double voie »
vers l’intégration européenne. Avec ce principe,
l’UE acceptait de faire un pas en arrière,
tolérant désormais l’idée d’une harmonisation
différentielle entre les deux Etats, et le fait de
pouvoir négocier ponctuellement avec Belgrade
ou Podgorica directement, sans en référer au
pouvoir communautaire. Toutefois, ce faisant,
l’UE réaffirmait la nécessité pour le Monténégro
de coopérer au bon fonctionnement de la
Communauté d’Etats.
Dernièrement, elle s’est également impliquée
dans l’organisation du référendum monténégrin
en fixant le seuil de 55% des votes exprimés pour
valider l’indépendance. Aussi surprenant que
cela puisse paraître de prime abord, ce seuil n’est
toutefois pas qu’une simple décision arbitraire.
Outre que, depuis 2001, les experts européens
s’inquiètent de l’effet de jurisprudence que
pourrait constituer l’indépendance des 650 000
habitants du Monténégro sur les deux millions
d’Albanais du Kosovo, il s’agissait surtout pour
les négociateurs de trouver un compromis
acceptable entre l’opposition unioniste et le
gouvernement indépendantiste, qui avaient
depuis longtemps abandonné tout dialogue.
On pourrait également se référer au cas
macédonien, où, par un acte diplomatique fort,
l’Union européenne a réussi à obtenir en 2001,
avec les Accords d’Ohrid, une entente officielle
entre Macédoniens et Albanais (Ragaru, Slim,
2004). Dans ces différentes situations, le rôle
de l’UE est évident bien que les Etats aient
conservé leur pouvoir décisionnaire.
La situation de la Bosnie-Herzégovine et du
Kosovo illustre un troisième type d’intervention,
encore plus poussé, de l’UE, puisque nous
avons affaire à de véritables protectorats.
Dans ces deux entités, les gouvernements,
s’ils ont un pouvoir gestionnaire, peuvent
être révoqués par le Haut-Représentant des
instances internationales (UE et ONU). Or,
comme le remarquait à juste titre le politologue
Jacques Rupnik, on assiste actuellement
à une européanisation des protectorats
internationaux en Bosnie-Herzégovine, au
Kosovo et en Macédoine (Rupnik, 2002), l’ONU
transférant peu à peu ses compétences sur le
48
A. Cattaruzza et E. Chaveneau, Ni voisins ni membres. la «périphérisation» des Balkans...
terrain à la seule UE. Cette prise en main par
l’UE des zones de crises dans les Balkans induit
l’idée d’un glissement progressif d’une politique
de protectorat et de stabilisation à une politique
d’intégration (Rupnik, Lequesne, 2005).
Du point de vue du centre bruxellois et des
périphéries balkaniques, cet interventionnisme
européen se justifie par l’adhésion programmée
de chacun de ces Etats. Or, il apparaît aujourd’hui
que cette potentielle intégration échappe en
partie aux pays candidats. La notion de « capacité
d’absorption », apparue après la dernière vague
d’élargissement (mai 2004) - et devenue par
la suite la «capacité d’intégration» dans le
vocabulaire officiel - implique que les prochaines
adhésions seront conditionnées par la situation
du centre autant, si ce n’est davantage, que par
les réformes accomplies par les périphéries.
De telles préoccupations expliquent en partie
que l’adhésion de la Croatie ait été repoussée
au plus tôt à 2010, alors que le pays, qui avait
achevé son ASA avec succès, espérait intégrer
en même temps que la Roumanie et la Bulgarie.
Cette condition s’applique à tous les futurs
candidats balkaniques et a un effet lourd sur
l’engouement européen des populations.
Des populations de l’engouement
européen à l’euroscepticisme
Les populations des Balkans accueillent de façon
contrastée cette nouvelle « périphérisation »
et ce que certains considèrent comme une
ingérence dans leur souveraineté. En Croatie, le
crédit de l’UE reste faible au fil des sondages et
des réformes. D’après les dernières statistiques
d’opinion réalisées par la Commission
européenne au printemps 2006, seuls 34%
des Croates interrogés seraient favorables à
l’adhésion de leur pays. (cf. tab.2). Ce chiffre
était encore inférieur au printemps 2005,
puisque l’adhésion à l’UE ne récoltait que 27%
d’opinions favorables face à 29% d’opinions
défavorables.
Comme le remarquait Laura Šakaja dès
2001, le concept « d’Ouest » commence à
devenir ambivalent chez les Croates (Šakaja,
2004). Des connotations négatives lui sont
quelquefois associées pour des raisons à la
fois politiques (scepticisme d’une partie de
l’opinion sur la capacité de l’UE à résoudre les
crises régionales, débats sur la coopération
croate avec le Tribunal pénal international)
Figure 3. Pensez-vous que l’adhésion de votre pays à l’UE est (ou sera) une
bonne ou une chose pour votre pays ?
Pensez-vous que l’adhésion de votre pays à l’UE est (ou sera), pour votre pays :
EU 25
Croatie
Bonne
55%
34%
Mauvaise
13%
25%
Ni bonne ni mauvaise
28%
36%
Sans opinion
4%
4%
Eurobaromètre 65, opinion publique dans l’Union Européenne, source : National Report Executive Summary : Croatia, Union
Européenne, printemps 2006
49
n°2 (02-2007)
et
économiques (peur d’un impérialisme
économique européen qui aspirerait l’économie
croate). Ainsi, quand bien même l’instauration
des normes et préconisations européennes
s’accélérerait, il faudrait encore s’interroger sur
la volonté réelle d’intégration des populations
à l’Union européenne dans le cadre qui leur est
actuellement proposé.
Schengen se distribuent, du moins pour la
Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro,
l’Albanie et la Macédoine, au compte-goutte.
Ainsi, l’effet de centre-périphérie, qui est a
priori un phénomène relationnel, trouve une
concrétisation spatiale dans les flux de personnes
aux frontières de l’espace Schengen. En ce
sens, la perspective européenne des Balkans
devient une perspective « subie ». A contrario,
une perspective « choisie » impliquerait un
engouement fort de la population (ou au
moins d’une partie de la population jouant
un rôle actif de propagande et de diffusion de
l’idéologie européenne) et, du côté européen,
une acceptation, voire un accompagnement,
des projets d’affirmation nationale des pays en
voie d’intégration.
En Serbie, le président Vojislav Koštunica
soulignait dès 2003, lors d’une interview, qu’une
véritable intégration à l’Union européenne
devrait passer par un travail d’introspection
collective sur le passé récent, autant du côté des
populations des Balkans que de celui de l’Union
européenne (Financial Times, 28 janvier 2003).
Outre l’image enthousiasmante de « l’Eldorado »
européen et du potentiel économique qu’offrirait
l’insertion dans l’UE (Teokarević, 2004), une
partie des habitants, en Serbie, nourrit des
ressentiments envers l’Europe occidentale et
son engagement dans les conflits yougoslaves.
La reconnaissance de l’indépendance de la
Croatie et de la Bosnie-Herzégovine, le blocus
économique des années 90, les bombardements
pendant la guerre du Kosovo sont autant de
faits qui ont profondément affecté certains
Serbes. Aujourd’hui, l’annonce d’un réglement
prochain de la question du Kosovo sous forme
d’une indépendance sous tutelle internationale
accroît encore un peu ce ressentiment, même si
cette question ne dépend pas de l’UE mais des
Nations Unies. Dans ce contexte, la procédure
de pré-adhésion et la politique de l’Union
vis-à-vis de la Serbie peuvent engendrer des
mouvements de contestation et de repli sur soi
nationalistes.
Conclusion
En agitant la carte politique de l’intégration
et en prenant progressivement à sa charge
les protectorats internationaux (BosnieHerzégovine, Kosovo) issus des conflits
yougoslaves, l’UE est donc devenue un centre
décisionnel pour les Balkans. Nous avons vu
comment la mise en place d’une politique
spécifique de pré-adhésion, avec les Accords
de Stabilisation et d’Association, prolonge les
procédures d’adhésion pour les pays de la
région. En outre leur situation de nouveaux
Etats en construction combinée aux incertitudes
frontalières et étatiques qui caractérisent
les Balkans, a incité l’Union Européenne à
un interventionisme auquel elle n’était pas
habituée et peut-être pas préparée (accords
d’Ohrid, accords de Belgrade, négociation sur le
référendum monténégrin). De fait, contrairement
au rôle qu’elle a joué pour préparer l’adhésion
des autres pays d’Europe Centrale et Orientale,
se contentant de superviser la bonne application
de l’acquis communautaire chez les candidats,
l’Union européenne doit dans les Balkans
participer à la construction et au renforcement
de futurs Etats membres. Elle quitte de facto la
Dans les Balkans occidentaux, ces représentations
populaires négatives de l’UE sont confortées par
ce que l’on pourrait désigner comme un « vécu
de périphérie », c’est-à-dire un sentiment
d’être délaissé par le centre. Ce sentiment
émerge du fait que certaines de ces zones
sont dans une situation socio-économique très
difficile, ou encore que les visas vers l’espace
50
A. Cattaruzza et E. Chaveneau, Ni voisins ni membres. la «périphérisation» des Balkans...
fonction d’évaluateur pour revêtir celle d’acteur
politique au sein des pays de la région.
De l’autre côté, la « périphérisation » politique
de ces pays s’est traduite par l’acceptation,
de bon gré ou avec résignation, d’un certain
nombre de contraintes plus ou moins fortes
dans l’orientation des différentes politiques
gouvernementales. Nous avons montré que
les réactions des sociétés et de leurs dirigeants
étaient très diversifiées. La promesse d’une
amélioration de la situation économique
accompagnant les procédures d’adhésion
peut quelquefois suffir à créer un consensus
politique pro-européen, comme en Croatie, en
Macédoine et au Monténégro. Au contraire,
le sentiment d’une ingérence européenne et
l’incertitude d’une adhésion à court ou moyen
terme peut encourager des mouvements
de replis nationalistes et eurosceptiques,
comme en Serbie ou en Bosnie-Herzégovine.
Ces mouvements sont alors renforcés par les
difficultés que les populations rencontrent pour
franchir les frontières Schengen et l’impression
qu’elles ont d’être reléguées au rang d’européens
de « seconde zone ». Cette situation mérite
toute l’attention de l’Union européenne car elle
pourrait à terme fragiliser les mouvements proeuropéens dans cette région.
travers une action ciblée sur la reconstruction,
la normalisation des relations interethniques
(dont le problème du retour des réfugiés) et
l’établissement d’un Etat de droit, les bases d’une
relation politique dissymétrique entre l’UE et les
Balkans étaient déjà posées. Ce constat dévoile
a posteriori l’ambiguïté de l’action humanitaire,
qui aide tout en créant une dépendance, même
si l’état d’urgence dans la région rendait alors
cette intervention nécessaire. Cette ambiguïté
était sans doute d’autant plus forte que l’action
provenait d’une institution politique telle que
l’Union européenne.
Finalement, notre analyse fait ressortir en
filigrane les différentes étapes (la temporalité)
de ce processus de mise en périphérie des
Balkans par l’Union européenne. Elle montre
qu’il s’est déroulé sur une durée relativement
courte, allant des conflits yougoslaves et de leur
résolution jusqu’à l’affirmation actuelle d’une
perspective d’intégration européenne, soit sur
une durée de quinze ans.
En effet, l’aide financière à la reconstruction
ou à la transition économique des pays des
Balkans s’est peu à peu transformée en outil
pour promouvoir la démocratie libérale
contre les régimes nationalistes issus de l’exYougoslavie. Nous glissons déjà vers une
seconde phase. Cette transformation de l’action
humanitaire en levier politique est évidente
dans la Yougoslavie d’après 1992, réduite à la
Serbie et au Monténégro, particulièrement
pendant le conflit au Kosovo (1998-1999). Le
pays est alors soumis à un blocus international,
dont sont préservées les régions s’opposant au
régime de Slobodan Milošević (Monténégro
et municipalités d’opposition en Serbie).
Ces dernières bénéficient également d’aides
économiques de l’UE, lesquelles revêtent une
dimension désormais ouvertement politique
et sont dirigées contre le pouvoir de Belgrade.
La pression politique exercée par l’UE est alors
légitimée par des valeurs universelles (droits de
l’homme, démocratie), qui masquent encore
le processus de « périphérisation » politique,
emportant bon an, mal an, l’assentiment de la
société civile.
Une première étape, au cours du conflit et dans
les années qui suivent la guerre de BosnieHerzégovine, se traduit par une intervention
humanitaire et de pacification, dans laquelle l’UE
est un acteur parmi d’autres de la communauté
internationale (et pas le plus influent). A
Ce processus n’apparaît réellement et ne
s’accentue qu’au cours d’une troisième étape,
celle de la perspective d’intégration, après
la chute des anciens régimes. A partir du
sommet de Zagreb, l’annonce officielle de la
vocation des pays de l’Europe du Sud-Est à
51
n°2 (02-2007)
Références bibliographiques
adhérer instaure une situation d’attente chez
les populations de la région, jusque parmi
leur encadrement politique, situation qui crée
les conditions de la périphérisation politique.
Aujourd’hui, ce processus de périphérisation
progresse en même temps que la perspective
d’intégration à court terme s’éloigne à cause de
facteurs internes à l’UE, et que « l’entre-deux »
balkanique, ni voisin, ni membre, devient un fait
potentiellement durable.
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& E. CHAVENEAU-LE BRUN, L’ex-Yougoslavie dix
ans après Dayton, Paris, L’Harmattan, pp. 220229
Notes
1. L’UE prépare une refonte des outils financiers de préadhésion qui aboutira à un programme unique, remplaçant
tous ceux existant à l’heure actuelle, l’Instrument d’Aide
de Pré-adhésion (IAP). Les pays bénéficiaires seront
répartis en deux catégories, en fonction de leur statut
soit de pays candidat, soit de pays candidat potentiel. Les
pays candidats potentiels continueront de recevoir une
aide conformément aux axes actuels du règlement CARDS.
Les pays candidats recevront le même type d’aide, mais
bénéficieront en plus d’une aide pour la préparation à la
mise en œuvre des fonds structurels et de développement
rural après l’adhésion et pour la mise en œuvre intégrale
de l’acquis communautaire.
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mouvement. La redéfinition du nationalisme
monténégrin dans les crises yougoslaves »,
Revue d’Etudes Comparatives Est-Ouest, vol.35,
mars-juin 2004, n°1-2, pp. 351-373
2. Si la Serbie n’a toujours pas réussi à livrer le général
Mladić, que réclame le TPI, elle a arrêté et extradé le
général Zdravko Tolimir le 31 mai 2007, ainsi que l’ancien
chef de la police de Serbie, Vladimir Djordjevic, inculpé
pour ses actions au Kosovo.
CHAVENEAU-LE BRUN E., 2004, « La rupture
politique en Croatie et le repositionnement
stratégique du pays », in RICHARD Y. et A.-L.
SANGUIN (dir.), L’Europe de l’Est quinze ans
après la chute du mur, Paris, L’Harmattan,
pp. 261-266
3. La Bosnie-Herzégovine est de fait constituée de deux
entités, La Republika Srpska, zone serbe, et la Fédération
de Bosnie-Herzégovine, avec en son sein une zone croate
et une zone bosniaque.
CHAVENEAU-LE BRUN E., 2006, « Croatie. La
ligne droite , enfin ! », Le Courrier des pays de
l’Est, n° 1056, juillet-août 2006, pp. 218-231
4. La Présidence de la Bosnie est composée de trois
membres, un par communauté nationale. Chacun préside
huit mois d’affilée, donc 16 mois en tout pendant son
mandat de 4 ans.
DARBOT-TRUPIANO S., 2005, « L’Adriatique
ex-Yougoslave et l’Union européenne : entre
adhésion et partenariat », in SANGUIN A.-L.,
A. CATTARUZZA & E. CHAVENEAU-LE BRUN,
L’ex-Yougoslavie dix ans après Dayton, Paris,
L’Harmattan, pp. 231-238
5. En effet, les résultats du référendum d’indépendance de
mai 2006 ont dévoilé une forte opposition entre ces deux
groupes. Les premiers ont récolté 55,3% des suffrages,
emportant à l’arrachée la victoire, tandis que les second
mobilisaient 44,7% des voix, principalement dans le Nord
du pays.
52
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