la chanson une nuit

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la chanson une nuit
 Thématique : Art, Etat et Pouvoir Problématique : Comment l’artiste entretient‐il le devoir de mémoire ? Nuit et Brouillard
Qu’est‐ce que la musique savante occidentale ? La musique savante occidentale est considérée en premier lieu comme une musique de tradition écrite, préservée sous la forme d'une notation musicale par opposition aux musiques populaires et traditionnelles transmises oralement ou par enregistrement, depuis la musique médiévale jusqu’à nos jours.
Rappels ‐ Définitions Ostinato : Formule mélodique ou rythmique répétée obstinément Registre : Etendue générale des sons joués (grave, médium, aigu) / voix de ténor, soprano, baryton, … Domaine : musique vocale, instrumentale, instrumentale et vocale Genre : chanson, rock, opéra, … Effectif : instrument(s) et/ou voix entendu(s) Nuance : Intensité, volume sonore Temps strié : musique pulsée, rythmes que l’on peut frapper, accents précis, impression de régularité et de mouvement. Temps lisse : musique sans pulsation ni accents, rythmes irréguliers, imprévisibles, qu’on ne peut frapper que difficilement. Figuralisme : évocation musicale d’une idée, d’une action, d’un sentiment ou encore de dépeindre une situation. DECOUVERTE DE L’ŒUVRE : (écrire les bonnes réponses ou barrer les mauvaises) Généralités Epoque contemporaine Genre chanson Langue française Domaine : musique pour voix / musique instrumentale / pour voix et instruments → Climat, atmosphère, caractère: Lourde, pesante, tragique, sombre, grave, oppressante, poignante, solennelle … Adjectifs pouvant définir le climat, l'atmosphère, le caractère pathétique, poignant, dramatique, tragique, grinçant, pénible, agressif, violent, joyeux, insouciant, solennel, calme, comique, énergique NE PAS SURLIGNER ! Temps lisse / Temps strié Texte 9 strophes de 4 vers rimés → forme des rimes : rimes embrassées ou plates La chanson adopte donc une forme strophique / rondo / binaire Nombre de pieds par vers (~syllabes): 12 → on parle d’alexandrins Thème Joué par un chanteur / un chœur Voix de soprano / baryton / ténor Avec une mélodie plutôt répétitive / toujours différente Nuances stables / qui évoluent Tempo lento / moderato /presto (environ 72 BPM) Tracer la courbe mélodique des 3 premières phrases : (courbe ascendante, puis descendante à chaque fois) La dernière phrase mélodique de la première strophe est conclusive / suspensive Accompagnement (sur l’ensemble de la chanson) Joué par un chanteur / un chœur / un instrument / plusieurs instruments Le rythme utilisé est répétitif / changeant (on parle d’ostinato) Familles représentées cordes / percussions / vents Lequel commence : le thème ou l’accompagnement ? ‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐ INTRODUCTION : Dans tous les domaines artistiques, les artistes, qui ont vécu ou qui ont été informés de l’horreur de la guerre, ont transmis dans leurs œuvres leurs réactions, leurs sentiments, leurs émotions, leur message. Ces œuvres sont d’autant plus importantes qu’elles aident à fixer à jamais la guerre dans la mémoire de chacun d’entre nous, dans l’espoir que de telles horreurs ne se reproduiront plus jamais. Ainsi, l’œuvre d’art permet à l’artiste : – de figer ce que la « mémoire des souvenirs » ne peut conserver intact, donc de participer au devoir de mémoire – de dénoncer, de critiquer, donc d’être dans un acte d’engagement. BIOGRAPHIE : Jean Tenenbaum, dit Jean Ferrat, né le 26 décembre 1930 à Vaucresson (Seine‐et‐Oise) et mort le 13 mars 2010 à Aubenas (Ardèche), est un auteur‐compositeur‐interprète français. Auteur de chansons à texte, il alterne durant sa carrière, chansons sentimentales, poétiques et engagées et a souvent maille à partir avec la censure. Reconnu pour son talent de mélodiste, il met en musique et popularise nombre de poèmes de Louis Aragon. Fidèle, sa vie durant, à ses idéaux communistes, il n'en conserve pas moins sa liberté vis à vis du parti communiste français, n'hésitant pas à s'en démarquer sur différents sujets. Bien que peu présent dans les médias et malgré son retrait de la scène à quarante‐deux ans, cet ardent défenseur de la chanson française connaît un grand succès critique et populaire. Apprécié d'un large public, Jean Ferrat est considéré, à l'instar de Ferré, Brassens et Brel, comme l'un des grands de la chanson française. Né d'un père ayant fui les pogroms* russes :"Je ne connaissais pas ses origines, sachant à peine qu'il venait de Russie. J'ai su qu'il était juif quand il a dû porter l'étoile jaune." [Il sera arrêté et, comme des milliers d'autres, disparaîtra à Auschwitz]. La rafle fut préparée, organisée et exécutée par la police française. CONTEXTE HISTORIQUE ET SIGNIFICATION DE L’ŒUVRE : Charles de Gaulle (1890‐1970), président de la République Française de 1958 à 1968 et Conrad Adenauer (1876‐1967) chancelier de la RFA de 1949 à 1963. Ils ont formé de 1958 à 1963 le premier «couple» franco‐allemand qui s’est imposé à l’époque comme le moteur de l’Europe : tous avaient conscience que la paix en Europe reposait largement sur la réconciliation entre Allemands et Français. Nuit et Brouillard en allemand : Nacht und Nebel : il s’agit d’un décret de 1941 stipulant que « toutes les personnes représentant un danger pour la sécurité de l’armée allemande (autrement dit les opposants ou les « indésirables » : les communistes, socialistes, juifs, tsiganes, homosexuels, handicapés mentaux) seraient transférées en Allemagne et disparaîtraient dans le secret absolu ». Jean Ferrat a écrit cette chanson en mémoire des victimes des camps de concentration nazis de la Seconde Guerre mondiale, et en particulier en mémoire de son père, Juif émigré de Russie mort dans le camp d’Auschwitz. C’est un hommage à tous ceux qui ont disparu dans les camps de concentration ; cette chanson apparaît à cet égard comme un pavé dans la mare et complètement à contre‐courant de ce que l'on peut écouter à la radio ou à la télévision à cette époque. Ferrat veut faire entendre la mémoire des disparus et s’engage contre l’oubli. On peut interpréter l’œuvre de la façon suivante : Nacht (nuit), c'est l'oubli. Nebel (brouillard), c'est la fumée dans laquelle les déportés ont tragiquement disparus. Ce rappel de l'Holocauste n'est pas le bienvenu en 1963. À cette époque, les vedettes de la chanson, Johnny Hallyday, Sheila, ont entre 16 et 18 ans, n'ont pas connu la guerre et sont le symbole de cette époque « yé‐yé ». La jeunesse née du baby‐boom de l'après‐guerre veut s'amuser et profiter : c'est le début des Trente Glorieuses et de la société de consommation. Si aucune censure officielle n'est prononcée à l'égard du morceau, sa diffusion à la radio est jugée inopportune. Déconseillée par le directeur de l'ORTF, la chanson passera en contrebande, un dimanche à midi, dans le "Discorama" de Denise Glaser (émission télé de l'époque). Le disque se vend alors à plus de 300.000 exemplaires, à contre‐courant des "yéyés". Pour cette chanson Jean Ferrat reçut "le grand prix du disque de l'Académie Charles‐Cros" en 1963. Ce fut le début du succès pour le chanteur. PRESENTATION DE L’ŒUVRE : TEXTE : Le texte comporte 9 couplets en alexandrins et en rimes variées (plates ou embrassées). Le chant comprend donc 2 grandes parties : Les 6 premières strophes représentent le passé : récit narratif, description de la vie dans les camps. Les 3 dernières strophes représentent le présent : on note un changement au niveau de la temporalité : après avoir raconté les faits, l’auteur prend la parole, ce qui témoigne de l'aspect engagé du poète. Il souhaite accomplir un devoir de mémoire, informer, rendre hommage. On observera une modulation* qui suit la structure du texte : la 1ère partie (6 couplets) est en Do Majeur puis elle module d’un demi ton plus haut dans la 2ème partie pour marquer la coupure entre le passé et le présent. Il s'agit là d'un figuralisme. ELEMENTS MUSICAUX : •
La formation instrumentale et vocale est la suivante : une guitare acoustique, des timbales, une basse électrique, des flûtes traversières, des cuivres, des cordes frottées et une voix soliste de baryton (celle de Jean Ferrat) Particularité : la chanson comporte un ostinato *. On peut également noter une tension progressive par l'ajout progressif d'instruments. Le genre musical : la chanson française La forme : il s’agit de la forme strophique (pas de refrain), même si l’on observe 2 parties qui alternent (une grave = A, et une plus aiguë = B) La structure de la chanson : introduction instrumentale / A / B / A / B / A / B / modulation * (évoquant le présent) A / B / A, puis ostinato guitare Le tempo : il est moderato (environ 72 BPM) Les nuances : elles évoluent : d’abord mf, puis crescendo jusqu’à la 6ème strophe. Et enfin decrescendo à partir de la 8ème strophe. •
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Introduction Un rythme de marche obstiné s’installe et ne quittera plus l’accompagnement musical jusqu’à la fin de la chanson. D’abord joué aux timbales, auxquelles vont s’ajouter une guitare et une basse électrique. Il s’agit d’un ostinato rythmique. Par sa répétition, il évoque le voyage interminable et le roulement des roues sur les rails. Il s'agit là d'un figuralisme. La 1ère strophe correspond au thème A. On y entend les timbales et la basse qui continuent leur ostinato rythmique, ainsi que la voix. La mélodie est simple pour mettre le texte en valeur. Elle est syllabique (une note = une syllabe). La 2ème strophe correspond au thème B. Variante mélodique de A, plus aiguë : la dramatisation et la tension sont plus marquées. La guitare remplace les timbales dont elle reprend le rythme de marche. ème
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PLAN POUR LES AUTRES STROPHES : Dans la 3 strophe des instruments des flûtes traversières se rajoutent. Puis dans la 4 des cuivres. Dans la 5 , ils disparaissent. Puis ème
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6 strophe : les cuivres reviennent, et des cordes frottées se rajoutent. C’est le climax * du morceau. En fin de 6 strophe, on observe un pont instrumental avec une ème
modulation. Puis une césure musicale (une pause). L’accompagnement s’arrête brusquement. Le silence peut évoquer ainsi la mort. 7 strophe : crescendo de nouveau, avec ème
cordes, ostinato des cuivres, timbales, guitare, basse. Enfin, dans la 8 strophe, les cuivres jouent des notes tenues (longues) et non plus l’ostinato. Puis decrescendo avant la dernière strophe. Les cuivres, cordes et bois disparaissent. Restent la guitare et la basse qui concluront le morceau après le chant en decrescendo final. VOCABULAIRE Modulation * : en harmonie tonale, une modulation désigne un changement de tonalité, sans interruption du discours musical. Pogroms * : terme utilisé pour décrire les attaques accompagnées de pillage et d'effusion de sang contre les juifs en Russie, perpétrées par la majorité chrétienne, sans réaction des autorités ou avec leur assentiment, entre 1881 et 1921. Climax * : en musique, le climax est le point culminant d'un morceau — notamment en musique symphonique romantique – moment où la nuance fortissimo et l'agitation musicale maximale sont obtenues grâce à un tutti orchestral. 1. Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent 2. Ils se croyaient des hommes, n'étaient plus que des nombres Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés Dès que la main retombe il ne reste qu'une ombre Ils ne devaient jamais plus revoir un été 6. Les Allemands guettaient du haut des miradors La lune se taisait comme vous vous taisiez En regardant au loin, en regardant dehors Votre chair était tendre à leurs chiens policiers 3. La fuite monotone et sans hâte du temps Survivre encore un jour, une heure, obstinément Combien de tours de roues, d'arrêts et de départs Qui n'en finissent pas de distiller l'espoir 7. On me dit à présent que ces mots n'ont plus cours Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amour Que le sang sèche vite en entrant dans l'histoire Et qu'il ne sert à rien de prendre une guitare 4. Ils s'appelaient Jean‐Pierre, Natacha ou Samuel Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vishnou D'autres ne priaient pas, mais qu'importe le ciel Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux 8. Mais qui donc est de taille à pouvoir m'arrêter ? L'ombre s'est faite humaine, aujourd'hui c'est l'été Je twisterais les mots s'il fallait les twister Pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez 5. Ils n'arrivaient pas tous à la fin du voyage Ceux qui sont revenus peuvent‐ils être heureux Ils essaient d'oublier, étonnés qu'à leur âge Les veines de leurs bras soient devenues si bleues 9. Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent Paroles de la chanson Nuit et Brouillard de Jean Ferrat (1963)