SOY NERO
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SOY NERO
Un supplément réalisé par Zérodeconduite.net LUMIÈRES SUR En partenariat avec Sophie Dulac Distribution UN FILM, QUATRE PAGES D’ÉCLAIRAGES SOY NERO SENORITA FILMS ET SOPHIE DULAC DISTRIBUTION PRÉSENTENT “Une fable qui synthétise toute la géopolitique du monde” TÉLÉRAMA Un film de Rafi Pitts Au cinéma le 21 septembre ÉDITORIAL KAFKA MADE IN USA de milliers à avoir été envoyés sur les champs de bataille afghans ou irakiens. Un certain nombre a été naturalisé à titre posthume. Ceux qui sont revenus restent des citoyens au conditionnel, expulsables au moindre délit mineur. Anglo-iranien empêché de tourner en Iran depuis l’interdiction de son précédent film (The Hunter, 2001), Rafi Pitts sait ce que l’exil et le déracinement veulent dire. Il livre avec Soy Nero une réflexion tragi-comique sur l’identité et la citoyenneté, qui résonne profondément avec l’actualité d’un monde de plus en plus obsédé par les frontières et les murs de toutes sortes. U N F I L M D E R A F I P I T T S UNE PRODUCTION TWENTY TWENTY VISION - SENORITA FILMS EN CO-PRODUCTION AVEC PIMIENTA FILMS - PALLAS FILM ET ZDF/ARTE AVEC JOHNNY ORTIZ, RORY COCHRANE, AML AMEEN, DARRELL BRITT-GIBSON, IAN CASSELBERRY, ROSA FRAUSTO, KHLEO THOMAS, ALEX FROST ET MICHAEL HARNEY SCÉNARIO RAFI PITTS, RAZVAN RADULESCU DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE CHRISTOS KARAMANIS DÉCORS MALAK KHAZAI, MAX BISCOE COSTUMES ALEXIS SCOTT SON STEPHAN VON HASE-MIHALIK, DANIEL IRIBARREN, LARS GINZEL MONTAGE DANIELLE ANEZIN MUSIQUE RHYS CHATHAM CASTING LISA ESSARY, HEIDI LEVITT PRODUCTEURS ASSOCIÉS HOLGER STERN, MEINOLF ZURHORST PRODUCTEUR EXÉCUTIF MATTHAIOS VOULGARIS CO-PRODUCTEURS NICOLAS CELIS, GEORGES SCHOUCAIR PRODUCTEURS THANASSIS KARATHANOS, RITA DAGHER, MARTIN HAMPEL RÉALISATEUR RAFI PITTS VENTES INTERNATIONALES PRODUIT PAR EN ASSOCIATION AVEC AVEC LE SOUTIEN DE Soy Nero Un film de Rafi Pitts Nero a 19 ans, il a grandi aux ÉtatsUnis puis s’est fait déporter au Mexique. Étranger dans le pays de ses parents, il est décidé à repasser la frontière coûte que coûte. Il parvient enfin à retrouver son frère, Jesus, qui vit à Los Angeles. Pour échapper à la vie de misère à laquelle le condamne sa condition de clandestin, sa dernière chance pour devenir américain est de s’engager dans l’armée. Nero rejoint le front des green card soldiers. + d’infos sur : http://www.sddistribution.fr Ce document ne fait pas novation aux obligations publicitaires. © DR Ils ont une vie, une famille, un travail souvent, mais aucune existence légale pour l’État américain : eux, ce sont les 11 millions de clandestins, essentiellement latinos, dont l’administration Obama n’a pu régler la situation, et que le démagogue Donald Trump a mis au centre de sa campagne. À travers les tribulations tragicomiques de son jeune héros, Soy Nero dépeint le cauchemar kafkaïen auquel ressemble parfois la vie d’un clandestin latino. Il éclaire le cas méconnu des « green cards soldiers », clandestins engagés dans l’US Army contre la promesse de naturalisation. Depuis 2001, ils sont des dizaines © 2016 - TWENTY TWENTY VISION FILMPRODUKTION - SENORITA FILMS - PIMIENTA FILMS - ZDFARTE Par Vital Philippot ENTRETIEN JAMES COHEN Soy Nero , le nouveau film de Rafi Pitts, raconte l’histoire d’un jeune Mexicain rejoignant l’armée américaine pour obtenir la nationalité du pays qui l’a vu grandir avant de l’expulser. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce système des green card soldiers ? REPÈRES James Cohen - Selon mes recherches, il y aurait environ 65 000 non-citoyens admis dans les forces armées américaines. Pour y être accepté, il faut au moins avoir la green card, la carte de résident permanent aux États-Unis. Dans le film, Nero est interrogé par les agents de la Border Patrol (police des frontières) lorsqu’il tente de rejoindre le territoire américain une première fois et ne possède visiblement ni green card ni aucun papier prouvant qu’il réside ou a résidé sur le territoire national. Le fait qu’il devienne soldat n’est théoriquement pas possible mais sa situation renvoie malgré tout à ce cas de figure qui existe, celui du non-citoyen qui s’engage dans les forces militaires et qui a un minimum d’existence légale aux États-Unis. Depuis 2002, plus de 100 000 soldats ont été naturalisés après une certaine durée de services. D’autres l’ont été après être morts au combat. Soy Nero sort dans le contexte chargé des élections présidentielles américaines, dont le sort des clandestins est devenu un des enjeux majeurs. James Cohen, spécialiste des questions ethnoraciales et de migrations aux États-Unis, revient sur l’itinéraire singulier de Nero et sur ses résonances avec les problématiques de l’Amérique contemporaine. Propos recueillis par Pauline Verduzier Nero se présente comme un « dreamer », un Mexicain cherchant à profiter du « Dream Act », une loi qui visait à régulariser les personnes entrées illégalement en tant que mineurs aux ÉtatsUnis. J. C. - Les défenseurs des droits des immigrés plaident depuis très longtemps pour une mesure qui donne un statut légal aux 10 à 11 millions de sans-papiers dont la vie s’est passée très largement dans le pays, pourvu qu’ils n’aient pas de problèmes avec la justice. Ainsi, George Bush puis Barack Obama ont d’abord appelé de leurs vœux une loi dite de « réforme intégrale de l’immigration » qui aurait permis une porte d’entrée vers la citoyenneté pour ces personnes. Cette loi, évoquée à plusieurs reprises depuis 2001, n’a en réalité jamais été votée. Ce qu’on appelle « Dream Act» était un projet de loi couvrant non pas tous les sans-papiers, mais seulement les jeunes âgés de 15 à 31 ans, soit ceux qui sont arrivés aux États-Unis avec leurs parents en bas âge. Mais cette mesure n’a pas non plus été adoptée. J. C. - Pas stricto sensu. En revanche, il peut y avoir au niveau des États des mesures de compensation ou de solidarité du type « Dream Act », qui n’ont pas autant de force que la loi fédérale mais qui peuvent ouvrir des droits considérables en ce qui concerne l’admission dans des universités publiques, la possibilité de travailler ou d’avoir un permis de conduire. Une solution provisoire a aussi été proposée par l’administration Obama en 2012. Il s’agit d’un décret qui a fait que 700 000 ou 800 000 jeunes sont pour l’instant nonexpulsables. Si la loi finit par changer, ce décret favorisera la reconnaissance de leur statut de résident et plus tard de citoyen. Que sont devenus les « dreamers » ? J. C. - Le débat au niveau national autour du « Dream Act » a permis à une génération de jeunes de s’informer sur leurs droits, de se former politiquement, de comprendre à quelle sauce ils se faisaient manger et ce qu’ils pouvaient faire pour se défendre ! Dans le film, Nero est finalement celui qui revendique le plus son identité américaine, même face aux autres soldats qui, eux, ont la nationalité. Depuis 2006 environ, un large mouvement des dreamers s’est constitué. Certains sont devenus des militants chevronnés comme Erika Andiola qui a grandi Il n’existe donc pas de « Dream Act » tel qu’il est présenté dans le film ? 65 000 Estimation du nombre actuel de soldats de nationalité étrangère dans l’armée américaine. 11 millions Le nombre actuel de clandestins vivant aux États-Unis, selon les estimations les plus récentes. 2001 Date de proposition du projet de loi « Dream Act » au Sénat américain. La loi est bloquée en 2010. « Il y a un sens à comparer la situation des arabo-musulmans en France et celle des Latinos aux États-Unis. » dans l’État de l’Arizona et a pu, malgré toutes les restrictions, avoir une formation universitaire. Elle est devenue l’une des plus importantes porte-paroles du mouvement et l’une des premières à intégrer le camp du candidat de gauche Bernie Sanders pour représenter le mouvement des droits des immigrés. Dans le film, Nero a été expulsé du territoire américain. Comment fonctionnent ces expulsions de Latinos clandestins aux États-Unis ? J. C. - C’est tout l’enjeu de l’administration Obama. Son discours consiste à dire qu’on Jesus, le grand frère, de Nero, incarne pour lui un modèle de réussite. Mais là encore les apparences sont trompeuses. EN LIGNE Retrouvez l’intégralité de cet entretien sur le site : zerodeconduite.net ne devrait pas expulser des personnes qui n’ont pas de problèmes avec la loi parce que ce sont des résidents honnêtes qui travaillent, envoient leurs enfants à l’école et qui sont tout à fait dignes de la communauté nationale. Il n’y a donc pas de raison de les expulser, sauf dans les cas de criminalité qui peuvent ouvrir beaucoup plus rapidement la porte à l’expulsion. Autrement dit, on renvoie les criminels chez eux même si ce n’est pas chez eux, on ne garde que les bons éléments. Comment cela se traduit-il dans les faits ? J. C. - Dans les faits, l’administration semble avoir eu beaucoup de mal à contrôler certaines branches de l’État fédéral qui expulse à tour de bras – jusqu’à 400 000 personnes annuellement ! – sans trop regarder les motifs d’expulsion. Ce système peut aussi paraître discriminant puisqu’on va exclure des personnes qui ont eu un parcours presque sans faute, mais qui peuvent être confrontées à la délinquance. Cela justifie même l’expulsion de green card soldiers pour des délits mineurs. C’est le cas des soldats qui reviennent du combat en Irak ou en Afghanistan avec un syndrome de stress post-traumatique et attendent l’obtention de leur citoyenneté. On peut, dans ce contexte, commettre des délits ou tomber dans la drogue et se retrouver expulsable alors qu’on a servi dans l’armée. Tout cela crée parfois des situations absurdes, par exemple à l’heure d’enterrer un soldat. Dans le film, une scène dépeint l’enterrement d’un Mexicain qui a servi dans l’armée pour obtenir la nationalité être enterré au Mexique, près de la frontière, par ses camarades de combat. On est en pleine campagne pour la présidentielle américaine. Est-ce que les prises de position très dures de Donald Trump sur les Latinos visent à « normaliser » le discours raciste dans la population ? J. C. - Oui, Trump le fait exprès. Ce discours correspond à ses convictions. C’est un discours qui porte parmi les personnes qu’il veut mobiliser, c’est-àdire ceux qui refusent d’être complexés par un certain racisme anti-immigrés. Les Latinos qui votent sont de plus en plus nombreux et constituent désormais une force. Ils votent globalement à 70% pour le Parti démocrate. Selon les sondages, on peut créditer Trump au mieux de 15 à 20% de l’électorat latino car il a très peu fait pour calmer le jeu. Pendant les primaires, il s’est fait photographier en train de manger un taco bowl comme tentative de « rapprochement »... Les Républicains savent qu’ils devraient améliorer leur pourcentage de vote latino pour assurer leur avenir électoral mais ils ne font rien pour et Trump représente le paroxysme de l’aile conservatrice, dans le sens d’une réaction des Blancs contre la diversité émergente de la population américaine. Quel est l’état des discriminations contre la minorité latino ? J. C. - Cette population concerne environ 50 millions de personnes, dont les deux-tiers sont citoyens. Dans le lot, tous ne sont pas discriminés ; des gens ont parfaitement réussi. Mais globalement parlant, les Latinos ont plus de difficultés d’accès à une vraie insertion socio-économique. Une scène dans le film symbolise tout cela. Nero se rend dans une maison de luxe du quartier de Beverly Hills qui semble être la maison de son frère, ce qui s’avère, au final, n’être qu’une vaste illusion. À l’échelle des macrocomparaisons sociologiques et historiques, il y a un sens à comparer la situation des arabo-musulmans en France et celle des Latinos aux ÉtatsUnis parce que dans les deux cas, même s’il y a évidemment beaucoup de différences, on a une situation de transition par laquelle la composition ethnique de la population change. On va vers un avenir où le poids démographique de ces groupes, en augmentant, pourra entraîner des changements dans les mentalités, dans les modes de représentation et aussi dans l’ouverture à la représentation politique. Mais dans les deux cas, dans un avenir prévisible, le problème des discriminations se posera encore. James Cohen, professeur à Institut du monde anglophone à l’Université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle. Il est notamment l’auteur d’À la poursuite des « illégaux ». Politiques et mouvements anti-immigrés aux ÉtatsUnis (éditions Le Croquant, 2012). INTENTIONS RAFI PITTS CINÉ-ANALYSE Nero semble toujours en butte à un environnement hostile, où il n’a pas sa place. L’ABSURDITÉ DU MONDE par Vital Philippot plus particulièrement des États-Unis, « - Where are you from ? » demande le « un pays d’immigrants qui rejette policier au jeune clandestin. l’immigration » (Rafi « - South Central Los Angeles » lui Pitts). répond le jeune homme avec un Les séquences les plus marquantes du parfait accent yankee, avant de lui film sont celles qui expriment cette donner l’adresse de son frère, dans le absurdité sous forme de fulgurantes quartier huppé de Beverley Hills. La métaphores visuelles : une partie de séquence qui suit (la découverte de volley-ball jouée par dessus le mur de la villa luxueuse du grand frère) tient séparation avec le Mexique, un passage du rêve éveillé, dont le réveil sera de frontière favorisé par le feu d’artifice douloureux. du nouvel an… Dans Soy Nero les apparences sont La mise en scène use de plans larges généralement trompeuses, et le qui confrontent son héros à un spectateur souvent pris au piège de ses environnement oppressant : que ce idées reçues. soit au Mexique ou aux Anglo-iranien Les séquences les États-Unis, dans un vivant entre Paris barrio misérable ou une et Londres, le plus marquantes villa de milliardaire, réalisateur Rafi du film sont celles Nero ne semble jamais Pitts porte sur les qui expriment cette à sa place, toujours États-Unis un regard sous la menace d’une décalé, jamais dupe absurdité sous forme expulsion physique ou du rêve américain. de fulgurantes symbolique. Il a enquêté de longs Ironiquement, c’est en mois pour écrire métaphores visuelles gardant à son tour une le scénario, nourri frontière (un checkpoint posé au milieu ensuite par le vécu de comédiens nonde nulle part, dans le no man’s land du professionnels. désert irakien) que Nero trouve enfin sa De nombreux films ont été réalisés place et des perspectives d’avenir. sur la frontière qui sépare les ÉtatsMais il suffit d’un accroc pour dépouiller Unis du Mexique, et sur le destin Nero de son identité, et que le « Dream généralement peu enviable des Act » se transforme en cauchemar candidats à l’émigration. Mais Soy Nero kafkaïen : le titre performatif du film refuse à la fois l’émotion du mélo et la (« je suis Nero ») résonne alors de charge du pamphlet : il se contente de manière tragiquement ironique. pointer avec une sèche ironie, mi-drôle, mi-tragique, l’absurdité du monde, et « Au départ, il y a eu cet arrêt prononcé contre moi par la justice iranienne et qui m’interdit de retourner dans mon pays. Moi, je suis un mélange de mère iranienne, de père anglais, de beaupère français, et j’ai toujours circulé à peu près librement entre ces pays, ces cultures. Cette interdiction d’aller en Iran a rendu concrète l’idée de frontière, qui a commencé à me travailler. Une grande question m’est venue : pourquoi veut-on appartenir à quelque chose, un état, un pays, une nation ? Où sont les frontières ? Où sont les murs ? Et qui a besoin de les traverser ? Très vite, je me suis concentré sur le cas américain, parce que c’est l’exemple même du pays d’immigrants connaissant aujourd’hui un problème avec l’immigration. Et je suis tombé sur le cas de ces soldats immigrés, les green card soldiers, qui s’engagent pour obtenir la citoyenneté américaine. Celle-ci est octroyée après deux ans de service, ou rétrospectivement, en cas de mort au combat. Le fameux « Patriot Act », décidé par George Bush après le 11 septembre et qui durcissait la chasse aux immigrants, comprenait aussi un volet « Dream Act », qui permettait aux migrants illégaux de rejoindre l’armée américaine pour devenir « green card soldier » et éviter l’expulsion. Mais lorsqu’ils obtiennent leur naturalisation, ces citoyens ne sont pas tout à fait à l’abri pour autant. Il suffit d’un minuscule prétexte (une altercation ou une histoire de cannabis) pour expulser les soldats qui ont été naturalisés de cette manière. Malgré toute sa gravité, je ne voudrais pas que l’on rapporte Soy Nero à son seul « sujet ». Ce n’est pas un film qui cherche à ouvrir un dossier d’actualité sur les réfugiés ou l’immigration clandestine. Un film est la somme des choix d’un cinéaste, une expression unique, qui devient un individu à part entière. » Né en 1967, Rafi Pitts est l’auteur de cinq longs-métrages dont The Hunter (2011), It’s Winter (2006) et Sanam (2000). Retrouvez toute l’actualité du cinéma sur www.zerodeconduite.net