Visualisez ou téléchargez un exemplaire du bulletin.

Transcription

Visualisez ou téléchargez un exemplaire du bulletin.
1
LA ROUTE INCONNUE
▬▬▬ N° 37 , juin 2014 ▬▬▬
Publication buissonnière gratuite réservée aux Amis
▬▬▬▬ d’ ANDRÉ DHÔTEL ▬▬▬▬▬
2
En couverture :
Camille Claus, Strasbourg XV, transposition
(1972, huile sur toile, 81 x 65 cm).
La Route inconnue a quinze ans (voir page 24).
Son premier bulletin, paru en janvier 2001,
comportait un dessin et un texte inédits de
Camille Claus (1920-2005).
En 1957, ce peintre alsacien ami d’André Dhôtel
avait illustré Les Voyages fantastiques de Julien Grainebis
(voir notre bulletin n° 12).
Pour fêter ce quinzième anniversaire,
nous reproduisons en 4e page de couverture ce dessin des origines
et, en 1re page, un tableau de semblable inspiration :
envol en ville, envol aux champs…
Merci à Louise Claus-Bock, fille de l’artiste,
membre de La Route inconnue,
de nous avoir autorisés à reproduire le tableau.
LA ROUTE INCONNUE
Association des Amis d’André Dhôtel
16 quater, rue des Côtes de Vannes
78700 CONFLANS-SAINTE-HONORINE
tél. : 03 22 41 48 24. Courriel : [email protected]
site internet : www.andredhotel.org
Président d’honneur : François Dhôtel
Membres d’honneur : Christian Bobin, Patrice Delbourg, Philippe
Delerm, Pierre Drachline, Christine Dupouy, Jérôme Garcin, Lorand
Gaspar, Michel Gillet, Philippe Jaccottet, Georges Monti, René de Obaldia
de l’Académie française, , Patrick Reumaux, Gilles Sacksick, Raphaël Sorin,
Noël Tuot.
In memoriam : Jacques Brenner, Camille Claus, Jean-Claude Darnal, Jean
Grosjean, Alfred Kern, Maurice Nadeau, Jean-Claude Pirotte, Marcel
Schneider.
Conseil d’Administration : François Dhôtel (président d’honneur),
Philippe Blondeau (président), Roland Frankart (secrétaire), Michèle Gillet
(secrétaire-adjointe), Emmanuel d’Yvoire (trésorier), Nils Blanchard,
Azouz Jemli, Patrick Pluen, Michel Tack.
3
■ Sommaire
■ Editorial, par Philippe Blondeau
4
■ « Plus que Rimbaud c’est Verlaine… »,
par Christine Dupouy
5
■ Chronique dhôtelienne, par Nils Blanchard
7
■ Une nouvelle d’André Dhôtel inédite en recueil :
10
Jean René dans le square
■ J’ai pêché dans le courant avec un ami,
par Patrick Reumaux et André Dhôtel
14
■ Trois itinéraires de lecteurs
17
■ Vie de l’association
25
■ Quatre projets en voie de réalisation
29
■Petites nouvelles de l’actualité dhôtelienne
■Parmi les livres
Publié avec le soutien du Centre National du Livre
Reproduction interdite (textes, illustrations et photos)
sauf autorisation de l’auteur ou des ayants droit.
Directeur de la publication : Philippe Blondeau
Impression : Reims-Copie
37
40
4
ISSN : 1762-9683
5
Editorial
Au moment de terminer ce bulletin nous apprenons la mort
de Jean-Claude Pirotte, le 24 mai, à l’âge de 74 ans. Le quinzième
anniversaire de notre association, évoqué dans les pages qui suivent,
se trouve ainsi soudainement assombri. Jean-Claude Pirotte était en
effet membre d’honneur de « La Route inconnue » depuis l’origine ;
membre d’honneur mais aussi membre actif car il n’avait jamais
refusé son aide ou son soutien à divers projets, notamment aux
événements qui marquèrent le centenaire d’André Dhôtel ; par
ailleurs nos lecteurs ont souvent pu apprécier ses illustrations dans
notre bulletin.
Avec Jean-Claude Pirotte disparaît un des derniers écrivains
proches d’André Dhôtel, dont il fut l’ami et l’un des lecteurs les plus
pénétrants, ne laissant jamais passer une occasion de défendre son
œuvre. On peut affirmer sans excès que ses articles critiques ne sont
pas pour rien dans la reconnaissance de Dhôtel.
Si l’univers romanesque de Jean-Claude Pirotte est fort
éloigné de celui d’André Dhôtel, c’est peut-être dans la poésie qu’il
lui ressemble le plus, dans ce lyrisme distancié et d’une grande
simplicité mais où des décalages insensibles ouvrent des perspectives
étonnantes, parfois étranges.
La lecture étant le meilleur hommage qu’on puisse rendre à
un écrivain, relisons donc Pirotte, poète et prosateur. Nous lui
consacrerons très largement notre prochain bulletin ; en attendant
nous vous invitons à lire l’hommage que lui rend Christine Dupouy
dans le présent numéro.
Outre ses rubriques habituelles et son petit lot de raretés, ce
bulletin vous invite à découvrir « trois itinéraires de lecteurs »,
preuve que l’œuvre de Dhôtel n’a pas perdu avec le temps son
pouvoir de séduction. Que ces trois lecteurs soient donc remerciés
pour leur témoignage.
Philippe Blondeau
6
D.R.
« Plus que Rimbaud c’est Verlaine… »
C’est par Dhôtel que je suis venue à Pirotte, à l’occasion
d’un colloque que j’avais organisé à Provins en 1998, hors de toute
structure universitaire et avec l’aide de la mairie. Qui m’avait
indiqué l’éternel vagabond, fils spirituel de Dhôtel ? Peut-être Yves
Charnet, qui parla de « Dhôtel selon Pirotte », montage lyrique de
phrases de l’écrivain belge ?
Pirotte, toujours incertain, avait été placé en dernier. Et l’on
signalait son apparition ici ou là, dans tel ou tel bistrot, et soudain à
l’heure dite – 16 heures ? – il surgit, dépenaillé, en T-shirt, des dents
en mauvais état, mais souverain dès qu’il prit la parole. Voici ses
premiers mots :
Mon existence d’adolescent s’est passée dans l’œuvre de
Dhôtel. […] Je suis vraiment un personnage de fiction, et c’est ce
sentiment que j’avais quand j’ai rencontré un livre ou l’autre de
Dhôtel.1
1
In Lire Dhôtel, textes réunis par Christine Dupouy, Presses Universitaires
de Lyon, 2003, p. 11. Dans ce qui suit, nous renverrons directement à cette
édition.
7
Pirotte a d’abord connu l’œuvre, puis l’auteur, quand celui-ci
a eu 77 ans (Pirotte lui est mort à 74 ans, miné par un cancer et toute
une vie d’alcool et de tabac. Dhôtel lui, vivra jusqu’à 91 ans) :
Je ne voyais dans les histoires racontées par Dhôtel que le côté
vagabond, traînard, paresseux, jean-foutre, qui ne veut pas aller à
l’école ; le côté buissonnier de Dhôtel, c’était quand même cela qui
me permettait de croire que j’avais le droit d’exister. […] Et quand
nous nous sommes vus, nous avons décidé de traîner ensemble, et
j’ai eu la chance de traîner ainsi avec Dieu. (pp. 12-13)
Pirotte était lumineux et chaleureux. De cette première
rencontre naquirent des amitiés, avec Jean Meysonnier qui fonda la
société des Amis de Dhôtel, et avec moi. Et c’était toujours le même
bonheur de trouver dans la boîte une enveloppe (pas une simple
lettre, j’insiste) enluminée par Pirotte, et bien sûr à l’intérieur les
belles et chaleureuses missives.
Pirotte a beaucoup écrit, suivant sa pente naturelle bien sûr
mais aussi poussé par une contrainte économique, puisqu’il essayait
de vivre, plutôt mal que bien, de sa plume. Il est l’auteur de proses
généralement qualifiées de « romans », comme Cavale en 1997, mais
nourries d’une inspiration que l’on sentait très autobiographique.
Après tout, lui qui se prenait pour un personnage de Dhôtel, qu’avaitil mieux à faire que de raconter sa vie ?
Mais c’est le poète surtout que nous regretterons, lui qui dans
La Vallée de misère (2003) disait préférer Verlaine à Rimbaud. Et
bien comme cet autre ascendant ardennais – l’Ardenne, de Rimbaud
à Goffette, deVerlaine à Follain et Dhôtel, est un pays de poètes –
qu’il écrivait de façon un peu naïve, en vers plus ou moins réguliers,
assonancés, tout en dégustant une prune. Telle est la vision que nous
aimerions retenir de Pirotte.
Christine Dupouy
8
Chronique dhôtelienne
André Dhôtel et l’intelligence artificielle
Dans The Independent, le premier mai, a été publiée une tribune
de quatre éminents scientifiques : Stephen Hawking, Stuart Russel,
Max Tegmark et Frank Wilczek, sur les enjeux des progrès actuels
dans ce qu’on appelle l’intelligence artificielle. En la lisant, m’est
venue à l’esprit l’intrigue de L’île aux oiseaux de fer2, l’étrange
utopie dhôtelienne mettant aux prises Julien Grainebis avec un pays
insulaire où les hommes se sont laissés dominer par des machines.
Dans le conte, c’est clairement expliqué, la société de l’île a fait le
choix d’accepter cette domination, elle l’a même tout d’abord
organisée. Ainsi un habitant du lieu, Eloi, explique à Julien : « Nous
l’avons disposé nous-mêmes [le gouvernement des robots] et
l’exécution en est rigoureuse. » (Page 66.) Eh oui, les métalliques
oiseaux, pour ne parler que d’eux, ne se sont pas créés tout seuls !
Quoique…
Les quatre scientifiques commencent par présenter un état des
lieux sommaire des recherches sur l’intelligence artificielle et leurs
retombées possibles : « La recherche dans le domaine de
l’intelligence artificielle (I. A.) progresse rapidement. De récentes
avancées majeures, telles les voitures sans conducteur [que l’on
retrouve dans le livre de Dhôtel] (…) sont sans doute les prémices
d’une course dans le domaine des technologies de l’information,
accélérée par des investissements sans précédent, et se basant sur
des fondements théoriques de plus en plus performants. Et tout cela
est probablement peu au regard de ce qu’apporteront les prochaines
décennies.
2
André Dhôtel, L’île aux oiseaux de fer, Grasset, 1956.
9
« Les bénéfices potentiels de ces avancées sont immenses (…),
l’éradication des guerres, des maladies, de la pauvreté étant ce
qu’on pourrait espérer en priorité. Réussir à créer de l’intelligence
artificielle serait alors le plus grand événement de l’histoire. »
Jusque là, on serait dans la partie abritée de l’île. N’oublions pas
qu’au début du roman, Julien Grainebis est sauvé d’une possible
noyade, puis d’un requin, par les oiseaux de fer. Il découvrira
ensuite, en dépit de divers désagréments plus ou moins graves, une
cité où chacun pourrait avoir sa place, où
tout, jusqu’à la météorologie, participe à
l’édification d’une béatitude générale. On
flâne dans de longues et magnifiques
avenues en terrasses où des robots somme
toute sympathiques (le bon Monsieur Z) et
des psychologues un peu trop belles guident
(voire déniaisent) les errants…
Attention cependant : les auteurs de
l’article de The Independent poursuivent :
« Malheureusement,
cette
réussite
[historique] pourrait aussi être la dernière,
à moins que nous apprenions à parer à
certains risques. A court terme, les armées
dans le monde lorgnent du côté de systèmes d’armements autonomes
qui pourraient eux-mêmes choisir et éliminer des cibles ; l’ONU et
Human Rights Watch ont plaidé pour un traité interdisant de telles
armes (…) »3
Pas d’ONU ni de Human Rights Watch dans le conte de Dhôtel.
L’île aux Oiseaux vit en autonomie, retirée du monde. Et ses
3
Un article de Nathalie Guibert publié dans Le Monde du 14 mai 2014 fait
écho à nos quatre scientifiques, sous le titre : « Une première réunion
internationale pour réguler l’usage des “robots tueurs”. ― Les ONG ont
réussi à mobiliser l’ONU sur la question de ces futures armes. »
Il commence ainsi : « Les“robots tueurs” n’existent pas encore dans les
armées, mais la question de leur prohibition est déjà sur la table, au nom de
l’éthique de la guerre. Une première réunion internationale d’experts du
désarmement, informelle, se tient sur le sujet du 13 au 16 mai au siège des
Nations unies à Genève (…) »
10
volatiles métalliques choisissent et éliminent des cibles ; Julien
Grainebis manque lui-même d’être victime de ses anciens
sauveteurs…
L’article se poursuit en envisageant les conséquences à plus long
terme d’un développement de l’intelligence artificielle, qui pourrait
s’auto-améliorer,
aller
jusqu’à
contrôler
marchés
et
gouvernements… de même que les habitants de l’île aux Oiseaux
finissent esclaves de leurs machines pourvoyeuses de bonheur.
« Nous ne pouvons plus rien contre notre appareil technique. La
moindre tentative de rébellion nous livre entièrement à sa force
exécutoire » reconnaît (page 92) le « grand mécanicien » de l’île.
Et les auteurs de The Independent de prévenir : « Alors que les
conséquences à court terme de l’I. A. dépendent de qui la contrôle, à
long terme, ses conséquences dépendront de notre capacité à
seulement la contrôler. » Et de regretter que « peu de recherches
sérieuses soient consacrées à ces questions autour du contrôle de
l’intelligence artificielle ».
On peut se demander ce qu’André Dhôtel aurait pensé d’un tel
article. Aurait-il simplement souri en songeant que tout ceci n’est
que conte ? Ou aurait-il envoyé un aïeul de Julien Grainebis à l’île
aux Oiseaux (où l’on parle anglais), muni de quelques exemplaires
de The Independent ?
Nils Blanchard
__________
11
Une nouvelle d’André Dhôtel inédite en recueil
Jean René dans le square
Jean René criait ou chantait dans le fond d’une boîte de fer
blanc et ses regards semblaient un peu morts. Il est difficile
d’analyser les sons que peut rendre une boîte de conserves où la voix
se perd. Jean René parvenait à en distinguer trois, dont le plus
saisissant était une sorte de rire immense et délicieux. Sans doute
cette musique avait-elle charmé le gardien du square, car, tout à
l’heure, lorsque cet homme était passé, il n’avait pas fait observer au
gamin que c’était malséant de s’asseoir, les jambes pendantes, sur le
socle de la statue de Flore et il l’avait laissé sur son perchoir. Puis le
gardien avait gagné la porte grillagée, là-bas, d’où il regardait les
rues désertes de la petite ville.
Jean René, encouragé par cette solitude, poursuivait avec
ténacité son profond petit concert. Des oiseaux venaient par moments
et, par moments, les cailloux jetaient des feux sous le soleil.
Toutefois, Jean René considérait peut-être surtout les cheminées et
les toits noirs de l’usine, derrière les hêtres pomponnés. Il entendait
aussi, dans le voisinage, ce ruisseau qui sert d’égout à la banlieue.
Et une dame vint à passer. Elle était vieille, majestueusement
habillée de noir. À Jean René son visage fané parut un masque qui ne
pouvait évidemment jamais sourire, quoiqu’il fût éclairé par des yeux
purs comme le ciel. Mais le ciel n’avait rien à voir dans cette affaire,
si l’on s’en rapporte aux événements qui suivirent.
12
La vieille dame laissa tomber son sac devant la statue et elle
13
La vieille dame laissa tomber son sac devant la statue et elle
ne s’en aperçut pas tout de suite. Jean René avait déjà entendu dire
que les préoccupations accablent l’humanité et il ne s’étonna pas de
cette étourderie. Il admit cela comme un fait naturel et, regardant
cette fois le bout de ses pieds nus, il salua la chute du sac d’un
murmure prolongé, sans se soucier d’avertir la dame.
Puis un autre passant arriva. C’était un jeune homme assez peu
coquet. Il ne portait qu’un pantalon et une chemise. Il avait des
bretelles roses, mais dont les pattes étaient remplacées par du fil
électrique. Le gamin retira son visage de la boîte pour sourire au
nouveau venu, qui ne s’en aperçut guère car il avait déjà ramassé le
sac au milieu de l’allée et il considérait cet objet avec une grande
avidité. Jean René fit sonner un appel au fond de sa boîte.
Et voici soudain que la dame, toute bouleversée, revint sur ses
pas et se mit à crier « au voleur ». Le jeune homme ne fit pas un
geste, étonné sans doute aussi bien par la frénésie de la dame que par
le soleil calme qui baignait le square.
— Madame…, murmura-t-il, sans songer même à lui rendre le
sac.
Mais le gardien venait d’accourir.
— Monsieur l’agent, dit la dame, ce voyou m’a volé mon sac
et si vous n’étiez pas venu bien vite, il m’aurait peut-être assassinée.
— J’ai trouvé ce sac dans l’allée, juste devant la statue, dit le
jeune homme.
— On vous connaît, jeune homme, dit le gardien, et vous ne
nous ferez pas croire…
— Il me l’a volé, protestait la dame. Comment aurais-je pu le
laisser tomber. Il me l’a arraché sans que je m’en aperçoive.
Jean René retira encore son nez du fond de la boîte et il se mit
à crier clairement : « Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai ! » On ne
prêta d’abord aucune attention à ces clameurs et le gardien saisit au
collet le jeune homme aux bretelles roses, après avoir gracieusement
salué la dame.
— Que vous le reconnaissiez ou non, dit le gardien, vous avez
volé ce sac.
Alors Jean René hurla de nouveau que n’était pas vrai. Le
jeune homme regarda de son côté et lui sourit :
— Il y a un témoin, dit-il.
14
— Un témoin ? s’exclama le gardien qui s’approcha de Jean
René.
— Ce n’est pas vrai, cria encore Jean René.
— Vous voyez bien que ce n’est pas vrai, dit le gardien. Ce
morveux ne peut témoigner en votre faveur.
Puis comme Jean René assurait de nouveau que ce n’était pas
vrai, le gardien le gifla avec une vigueur suffisante pour le réduire au
silence, puis il emmena son prisonnier dont l’indignation
s’exaspérait. La vieille dame poursuivit triomphalement son chemin.
Alors le square fut de nouveau désert. Des oiseaux se posèrent
ici et là. L’usine restait noire. Les cailloux brillaient par instants.
Jean René replongea son nez dans la boîte et il se mit à répéter
sourdement : « Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai ! » Il n’y avait rien
de plus doux au monde que cette sonorité inédite, qui n’était pas un
rire ni un sanglot, – tout simplement la chanson de ce matin-là.
(Combat, édition magazine du dimanche, 1ère année, n°5,
samedi 28, dimanche 29 avril 1945, page 1)
illustration de Michèle Gillet
__________
15
J’ai pêché dans le courant avec un ami
par Patrick Reumaux et André Dhôtel
(Photographies de Gyula Zarand)
Le 12 avril dernier, après le déjeuner qui a suivi notre assemblée
générale à Attigny, une brève descente dans la vallée de l’Aisne, au pied du
Mont-de-Jeux, a été proposée à ceux qui avaient fait le déplacement au
pays d’André Dhôtel.
À leur intention, nous reproduisons deux textes, de Patrick
Reumaux et d’André Dhôtel, qui évoquent les après-midi d’été passés
ensemble au bord de la rivière dans les années 1960-1980.
Dans Demain, et demain, et demain (Anabet éditions, 2007),
Patrick Reumaux explique comment il a braconné dans Shakespeare : « J’ai
lu Shakespeare, guettant le vol en zigzag des bécassines : mes poèmes.
Dans les prés, dans les bois, les landes, les marais, j’ai lu Shakespeare à
l’affût, braconnant dans les broussailles, pêchant au vif dans les intrigues
des joncs, laissant filer le leurre jusqu’au fond des rêves, l’hameçon d’or
dans la gueule. »
Au bord de la rivière du Mont-de-Jeux, son braconnage
shakespearien lui a fait pêcher au vif Ophélie dans les « fantastiques
guirlandes » des renoncules flottant dans le courant que son ami ne quittait
pas des yeux.
Pendant des années, dans les Ardennes pouilleuses, à un
coude de l’Aisne, j’ai pêché dans le courant avec un ami. Pour le
plaisir d’être ensemble, nous pêchions à deux avec une seule gaule.
Celui qui prenait un poisson passait la gaule à l’autre. Mon ami était
un poète, aussi ne parlions-nous jamais de poésie. Il me disait que les
hommes de lettres, les grands hommes, les poètes lauréats, étaient
des Messieurs. Il me disait :
– Georges Limbour, qui dans sa jeunesse grimpait en haut
des réverbères pour avoir un point de vue nouveau sur le monde,
appelait ces gens-là les Messieurs.
16
Au ton de mon ami qui avait une voix douce et une ironie
meurtrière, je me jurais de ne jamais, au grand jamais, devenir un
Monsieur.
Il me disait aussi :
– Regardez, regardez… Fair and fresh and sweet…
J’avais beau regarder, je ne voyais rien. Mais belle et fraîche
et douce était l’herbe. Sur le gravier venaient sautiller les bergeronnettes entre les touffes où poussait une bizarre crucifère aux fleurs
jaunes, le roripe des berges. Les chevaliers cul-blanc rayaient la
surface de l’eau comme des martins-pêcheurs. De temps à autre un
rat d’eau plongeait. Puis passait la micheline de sept heures et quart.
Je demandais : « Sommes-nous déjà dans l’éternité ? » Il ne
répondait pas. Personne ne répondait. À part le temps, je me
demandais ce qui s’était passé. Beaucoup de choses : une petite
fiancée les tresses dénouées, une morte qui n’en finissait pas de
revenir, de mourir et de revenir, les cheveux dénoués en de
fantastiques guirlandes.
Chaque été, mon ami ne quittait pas des yeux le courant,
faisant corps avec le devenir de l’eau où se déroulaient les guirlandes
Suzanne et André Dhôtel avec Patrick Reumaux au bord de l’Aisne en 1978
17
des renoncules flottantes, ces tresses de fleurs blanches à peine
rehaussées d’une touche de jaune. Regardez le courant, les fleurs qui
se soulèvent, on dirait qu’elles respirent, regardez les guirlandes, les
longues tresses, Ophélie mariée en robe de morte avec des reflets de
soleil et de vent sur les joues, Ophélie qui revient dès que fleurit la
chevelure des renoncules plus vivantes encore dans la mort que dans
la vie, car le courant ne s’arrête jamais […].
Trente ans avant, dans Terres de mémoire, André Dhôtel avait, lui
aussi, évoqué ces parties de pêche en double. Il commence par se moquer
des pêcheurs appliqués, des travailleurs de la gaule, des « Messieurs » du
rondeau bien rempli :
Si vous venez amorcer l’avant-veille ou la veille une place de
pêche, si vous tendez trois lignes dont une tenue à la main, si vous
vous ingéniez à prendre les grains de
blé et les asticots avec des pinces pour
éviter les odeurs nocives, si vous
utilisez une ligne suréquilibrée qui
permette de saisir les moindres touches
et qui exige une vigilance inexorable,
vous avez des chances de repartir le soir
avec un rondeau débordant de poissons,
mais vous aurez accompli une journée
de travail.
Puis il énumère divers moyens
favorables
à
l’inaction
[qui]
n’empêchent pas d’obtenir des résultats
honnêtes mais n’ont rien de commun
avec cette obstination à employer
chaque minute. […]
Troisième moyen : pêcher en
compagnie d’un ami à qui on passe sa ligne chaque fois qu’on a pris
un poisson et attendre qu’à son tour il ait sa chance.
De nos jours, c’est le poisson qui a sa chance : il a plus à craindre
des cormorans et des hérons que des rares pêcheurs. Quant aux guirlandes
de renoncules, elles ont disparu, victimes de l’agriculture intensive.
18
Trois itinéraires de lecteurs
Pourquoi chacun de ses lecteurs, un jour, en est-il venu à
lire Dhôtel ? Autant de réponses que de lecteurs. En voici trois. Un
nouveau membre de notre Conseil d’administration, un de nos plus
récents adhérents et une lectrice anonyme tenant un blog retracent
leurs itinéraires de lecture dhôtelienne.
1 – Concomitances d’intérêts
Nils Blanchard vit en Alsace. Outre la chronique dhôtelienne
de ce numéro, il a donné plusieurs textes à notre bulletin. Depuis
notre dernière assemblée générale, il est membre du Conseil
d’administration.
C’est à l’école, me semble-t-il, que j’ai commencé de lire
André Dhôtel, à travers quelque extrait du Pays, peut-être. Mes
parents m’ont offert les volumes de la collection Folio junior du
Pays où l’on n’arrive jamais, justement, et de L’enfant qui disait
n’importe quoi. Puis, je ne sais quand exactement, j’ai lu Un soir,
que mon père avait alors dans sa bibliothèque. J’en ai gardé un
souvenir étrange : quelques bribes, un peu comme d’un rêve dont, au
réveil, on ne se souvient que de rares images (je ne l’ai pas relu
depuis). Ensuite, les lectures se sont accumulées au cours des années
mais aussi de divers voyages. Je me souviens par exemple avoir lu en
Suède, pendant des congés d’été, Histoire d’un fonctionnaire, que
j’avais emprunté à la bibliothèque universitaire d’Angers. Ou encore,
Le village pathétique a été lu entre deux services de nuit, au
Maryland où je travaillai quelques mois.
Naturellement, mon goût pour l’œuvre d’André Dhôtel m’a
mené à La route inconnue. Un article que j’y ai envoyé il y a déjà
quelques années a été très gentiment reçu, puis diverses
concomitances d’intérêts m’ont incité à en écrire d’autres. Sur
proposition de Roland Frankart, j’ai posé ma candidature au conseil
d’administration lors de la dernière assemblée générale de
l’association.
19
De formation d’historien (je suis pour l’heure professeur en
collège) j’ai travaillé récemment pendant mes scandaleuses vacances
(« j’ai été professeur… à cause des longues vacances ! » a dit André
Dhôtel à Jérôme Garcin ; ah, le sulfureux bonhomme !) sur les
déjeuners littéraires de Florence Gould, auxquels notre écrivain de
prédilection a participé un temps.
Pour l’heure professeur, j’ai quelques projets, chantiers plus
ou moins aboutis comme ces textes sur le Japon, sur un site de club
d’arts martiaux.
Nils Blanchard
2 - De La Route inconnue (le téléfilm)
à la Route inconnue (l’association)
Florent Simonet est un des plus jeunes d’entre nous, jeune
par l’âge et par l’entrée dans notre association (il a adhéré à la
Route inconnue fin 2013). Natif de Vouziers, il y a été lycéen ; après
ses études à Paris, il est revenu vivre en terre ardennaise. Il habite à
Charleville, lit Dhôtel depuis dix ans et retrace pour nous son
itinéraire de lecteur.
Je suis né à Vouziers en 1977. Ces deux coordonnées de lieu
et de temps, qui semblent plus propres à ouvrir un récit
autobiographique qu’un examen de conscience littéraire, ne sont pas
inutiles pour comprendre comment André Dhôtel a d’abord été pour
moi une figure familière – et malgré tout mystérieuse – de mon
enfance. Sans que je l’aie jamais rencontré, sans que j’aie rien lu de
lui avant l’âge adulte, sans que j’aie vraiment pu mettre un visage sur
son nom avant de longues années, André Dhôtel a toujours existé
dans les conversations des grandes personnes qui composaient mon
entourage, de sorte qu’il représentait assez bien, pour l’enfant que
j’étais, quelque chose comme « le grand écrivain du département ».
C’est un raccourci injuste car, après l’avoir lu, je sais que c’est un
grand écrivain tout court. Mais dans ma perception d’enfant,
l’ancrage ardennais d’André Dhôtel a été la donnée primordiale. Je
savais que mon oncle (Noël Tuot, qui est membre d’honneur de la
Route inconnue) connaissait l’écrivain. À mes yeux, cette
20
fréquentation d’un proche parent et d’un homme illustre avait le
double effet de faire rejaillir sur mon oncle un peu du prestige qui
entourait le nom d’André Dhôtel et en même temps de démythifier
André Dhôtel, un grand homme qu’on pouvait fréquenter, un voisin
célèbre qui n’était pas inaccessible dans sa tour d’ivoire.
Parmi mes plus vieux souvenirs, André Dhôtel reste associé au
tournage du téléfilm de Jean Dewever, La Route inconnue. J’avais
cinq ans. J’habitais alors au Chesne où mes parents occupaient un
logement de fonction le long du canal des Ardennes. Je n’ai aucun
souvenir direct du tournage, mais j’ai très bien perçu alors le climat
particulier, comme une courte effervescence locale et familiale, qui
a baigné durant quelques jours Le Chesne, chef-lieu de
canton routinier, sans doute bien moins idyllique que ne le laisse
penser le titre d’une nouvelle de Dhôtel. Le téléfilm fut diffusé. J’en
revois des images où les deux bicyclettes défilent sur le chemin de
halage. L’écran de télévision opérait ce déplacement, magique pour
un enfant, d’un décor quotidien dans le monde de la fiction.
Dans le quotidien L’Ardennais (éditions du 31 août et du 1er sept. 1983),
au moment de la diffusion du téléfilm La Route inconnue.
21
J’avais appris également qu’à Louvergny, où habitaient mes
grands-parents, le château de Touly avait servi de décor pour une
autre scène de l’adaptation du roman et qu’une vieille dame du
hameau des Courgillots apparaissait dans le téléfilm comme
figurante. Trente ans après, j’ai cherché à vérifier l’exactitude de ces
souvenirs. Faute d’avoir pu visionner le film, je m’en suis remis au
témoignage des habitants du village, qui ont confirmé le premier
souvenir. On avait demandé au propriétaire du château de Touly de
faire sortir de la cheminée une fumée bien visible, ce qu’il avait
obtenu non sans mal en faisant brûler du bois vert. Au propriétaire
d’une parcelle voisine, on avait aussi demandé de percer une haie.
Un autre plan montre la route qui longe le cimetière de
Louvergny. En revanche, ma mémoire est fautive pour ce qui touche
aux Courgillots. Je ne sais pas d’où vient ce faux souvenir ni quelle
est l’origine de ma confusion.
Je suis venu tard à la lecture de Dhôtel, après mes études.
J’avais lu le hors-série du Curieux Vouzinois (juin 2000) consacré à
André Dhôtel. Je connaissais également la notice du Lagarde et
Michard présentant, sous la rubrique « Réalisme et merveilleux », un
extrait du Village pathétique. Elle est ainsi rédigée qu’elle ne m’a
jamais encouragé à aller lire cet auteur pour qui les Ardennes
« joue[nt] dans son œuvre un rôle analogue à celui de la Sologne
dans celle d’Alain-Fournier ». À la relire aujourd’hui, elle me paraît
pourtant honnête pour un manuel décrié ; elle restitue correctement la
vulgate de ce que la critique littéraire dit sur André Dhôtel. Surtout,
elle a le grand mérite de ne pas avoir classé Dhôtel avec les auteurs
régionaux (bourguignons, cévenols, provençaux, bretons) réunis dans
la rubrique suivante.
Manquait, en fait, la révélation d’une première lecture. Pour
moi, ce fut La Tribu Bécaille, en février 2004, trouvé dans une
librairie parisienne, peu après la réédition en Folio. Cette lecture eut
le grand mérite de renverser les idées a priori qui jusque là m’avaient
peut-être inconsciemment détourné de lire Dhôtel. Je découvrais un
auteur bien différent de l’écrivain de terroir, ou de l’écrivain pour
enfants, ou simplement de l’écrivain contemporain sans valeur
particulière, que je me figurais jusque là. Dans La Tribu Bécaille, je
trouvais d’emblée deux traits des romans de Dhôtel qui me touchent
le plus dans l’œuvre entière : la rêverie s’attachant à un lieu donné
22
pour banal mais qui ne l’est pas (une cité avec des souvenirs
carolingiens : les lecteurs du roman savent-ils à quel point c’est
rarissime et à quel point l’histoire d’Attigny-Aigly est singulière ?),
d’autre part la capacité, que j’envie, des personnages à rompre
brutalement avec leur routine.
Quelques mois plus tard, je lisais coup sur coup deux autres
romans d’André Dhôtel : Le Pays où l’on n’arrive jamais, qui me
paraissait incontournable mais que j’ai lu sans passion, et
L’Honorable Monsieur Jacques. Pour le premier, le titre avait un air
de paradoxe qui annonçait que je ne retrouverais pas le point fixe
géographique qui donne son orientation à tant de romans de l’auteur.
Cette lecture venait après La Tribu Bécaille et mon attente de lecteur
se trouvait déçue. Dans les livres d’André Dhôtel, je préfère les
promenades dans les sentiers battus aux voyages au long cours. Ce
n’est qu’après avoir lu les aventures en Saumaie de l’ingénieur
Soudret que je suis devenu un lecteur fidèle de Dhôtel. L’Honorable
Monsieur Jacques contient tout ce qui me charme dans l’écriture de
Dhôtel4. Le détail de ces charmes demande sans doute à être
explicité, mais ce serait entrer dans un exercice de critique littéraire
qui excède le cadre de cette chronique. Je conclurai plutôt en
dressant le rapide bilan d’une vingtaine de lectures dhôteliennes.
L’enchantement a recommencé avec chaque nouveau volume. Pour
un lecteur qui a un goût déjà formé, tous les livres d’un même auteur
ne se valent certes pas. Mais même dans les volumes qui me
paraissent plus faibles que d’autres que je considère comme des
chefs-d’œuvre, j’ai le plaisir de retrouver certains motifs de
prédilection et une atmosphère dans laquelle je suis à l’aise. C’est
pourquoi j’ai toujours quelques livres d’André Dhôtel en réserve
dans ma bibliothèque.
Florent Simonet (mai 2014)
4
J’ai offert ce roman à une amie québécoise, qui découvrait ainsi Dhôtel et
qui me fit une réponse dont un paragraphe mérite peut-être d’être cité si cet
intertexte inattendu n’a jamais été signalé ailleurs dans le bulletin de la
Route inconnue : « J’ai lu une allusion à André Dhôtel dans la Brève
histoire des fesses (Hennig). Comme je n'avais jamais, ô grand jamais
entendu parler de cet auteur-là avant, tout de même, il fallait que je te fasse
part de cet étrange hasard (ou « drôle d'adon », comme on dit ruralement). »
23
3 - sur le site « Solalia, selon l’humeur du jour »
Une lectrice, qui n’est pas membre de La Route inconnue, a
récemment raconté sur son blog comment c’est Christian Bobin qui
lui a fait découvrir André Dhôtel.
13 octobre 2013
Lassée par l’absence de réponse et l’impression de n’être lue
que par des ordinateurs, j’ai supprimé mon blog il y a quelques jours.
Je le regrette aujourd’hui. Ce blog me manque, et peut-être y avait-il
quelqu’un, en Ukraine, en Serbie, en Indonésie, ailleurs... pour qui
j’étais devenue un petit accompagnement quotidien. Qu’est-ce qui
empêche de rêver ?
Alors je reviens partager avec vous un peu de mon décor, de
mes lectures, de ma vie.
14 octobre
« J’irais volontiers frapper à la porte d’André Dhôtel. Il a
beau être mort aujourd’hui, il est bien plus contemporain que la
plupart des auteurs vivants. Une grande partie de ma vie se trouve
encadrée par deux de ses phrases : "Il ne se sentait pas mûr pour
cette solution désespérée qui consiste à adopter un mode de vie
normal", et puis cette autre : "Quand on découvre un être lumineux,
sans que cela ait aucun rapport avec le simple amour ou le rêve, on
ne peut plus vivre comme à l’habitude". [...]
Quand je lis André Dhôtel, je fais plus que le lire : je
travaille. J'ai une petite règle d’écolier, et je relis chaque histoire
jusqu’à y trouver les merveilles qui m’avaient échappé dans une
première lecture. Ces phrases, extatiques comme peuvent l’être des
24
champignons découverts dans un sous-bois, je les souligne. C’est
une vraie expérience, comme s’il y avait notre nom caché à
l’intérieur de sa parole. Et quelquefois c’est la merveille, parce qu’il
y a des roses qui poussent dans les livres parfois. " Un jour, dit-elle,
j'ai entendu une porte claquer dans le désert." C'est plus costaud et
inouï d'avoir écrit cette phrase que d’avoir découvert le schéma qui
va permettre d’engendrer tous les ordinateurs de demain. »
Christian Bobin, propos recueillis par Lydie Dattas,
dans La Lumière du monde.
Merci, Christian Bobin, de m’avoir fait découvrir André Dhôtel.
Je viens de commander Le Pays où l’on n'arrive jamais.
21 octobre
Je lis Le Pays où l’on n'arrive jamais, d’André Dhôtel
recommandé par Christian Bobin.
Très agréable. C’est une sorte de Pilgrim’s Progress
moderne.
J’en suis à peu près au même endroit dans les deux livres 5,
c’est amusant. Dans The Pilgrim’s Progress de Bunyan, Christian et
Hopeful se demandaient il y a quelques jours comment quelqu'un qui
a fait une part du chemin peut choisir de revenir en arrière. Et ici,
après avoir parcouru d’étranges forêts sur un cheval sauvage, et avoir
été accueilli et nourri par un gentil garçon sourd qui l’aide à avancer:
« Gaspard ne disait mot. Il ne cessait de penser à la meilleure façon
5
Quand j’étais étudiante, il y a des livres au programme que je n’ai pu finir.
J’avais décidé, pour deux d'entre eux, Walden et The Pilgrim’s Progress, de
les reprendre plus tard et de les terminer. J’ai commencé par Bunyan, dont
je lis une ou deux pages le soir, de loin en loin.
25
de quitter son hôte. En tout cas rien ne pourrait l’empêcher de faire
ce qu’il voudrait » (il veut rentrer chez lui, où il sait qu’il sera mal
accueilli et pas heureux du tout).
24 octobre
« De belles résolutions, constatait Niklaas, de louables efforts. Mais
que nous est-il demandé de plus que d’attendre la lumière du ciel ? »
Le Pays où l'on n’arrive jamais, J'ai lu, p.207
Voilà le genre de phrase que Christian Bobin doit noter
comme un écolier lorsqu’il lit André Dhôtel.
Et le genre de phrase que je note quand je lis Christian Bobin.
27 octobre
Je relis mes notes et suis frappée par une phrase de Christian
Bobin à propos de sa lecture d'André Dhôtel :
« Ces phrases, extatiques comme peuvent l'être des
champignons découverts dans un sous-bois, je les souligne. C'est une
vraie expérience, comme s’il y avait notre nom caché à l'intérieur de
sa parole. »
Et je pense soudain que cela doit être ça, le coup de foudre :
on voit quelqu’un, un inconnu, et c’est comme s’il y avait notre
nom caché à l’intérieur de sa présence.
__________
26
Vie de l’association
1 - La Route inconnue a quinze ans
des noms, des chiffres, une carte
Notre association a été fondée le 24 avril 1999, au cours
d’une assemblée constitutive, réunie à Paris, qui se donna pour objet
de « perpétuer le souvenir de l’écrivain André Dhôtel et de mieux
faire connaître sa vie et son œuvre ».
Placée dès sa fondation sous la présidence d’honneur de
François Dhôtel, elle eut comme premier bureau : Jean Meysonnier à
la présidence, Christine Dupouy au secrétariat et Maurice Gâchiniard
à la trésorerie (Philippe Blondeau lui succéda dès l’année suivante).
Les autres membres du Conseil d’administration étaient Jean-Pierre
Abraham, Agnès Baldellon, Brigitte Buffard-Moret, Pierre
Drachline, Jean-Claude Pirotte, Gilles Sacksick et Raphaël Sorin.
Au terme de sa première année d’existence, l’association
comptait 46 membres cotisants et 14 membres d’honneur. Parmi ces
46 premiers membres cotisants, 15 sont toujours adhérents de
l’association : Jean-Claude Guiselin, Gilles Ortlieb, Jean-Pierre
Canon, Pierre Pouchain, Denise et Nicole Rigal, Philippe Blanc,
Christian Marcipont, Valérie Naze-Dhôtel, Michel Gillet, Philippe
Majewski, Sophie Horay, Claude-Edmond Braulx, Philippe
Blondeau, Georges d’Achon (cités dans l’ordre d’inscription sur le
registre des adhérents tenu par Jean Meysonnier).
À eux la palme de la fidélité.
Ce noyau des premiers temps représente 10 % de l’effectif
actuel de la Route inconnue. Depuis plusieurs années celui-ci gravite
autour des 150 membres. Ce chiffre est loin d’être négligeable car
beaucoup d’associations d’amis d’écrivains ne dépassent pas les 100
adhérents et des auteurs de plus grande notoriété qu’André Dhôtel
gravitent autour d’un effectif qui dépasse rarement 300 : Rimbaud a
250 amis, Max Jacob 235, Flaubert 350, Alain-Fournier 300,
Corneille 130. Les amis de Jules Renard étaient 11 à leur dernière
assemblée générale, ceux d’Alphonse Daudet 15 (nous étions 18 le
12 avril à Attigny).
27
Le registre des adhérents comporte exactement 324 noms +
23 membres d’honneur, soit 347 membres actuels ou anciens.
Comme on le voit sur la carte ci-dessous, les « bassins d’adhésions »
sont la région parisienne (une centaine), les Ardennes et la Marne
(une cinquantaine), la Belgique (une quarantaine), la Seine-et-Marne
(une vingtaine).
Derniers chiffres, en guise de bilan de ces quinze années :
depuis sa fondation, la Route inconnue a publié 11 cahiers et 37
bulletins, soit 4000 pages de lectures dhôteliennes.
Rendez-vous en 2029 pour le bilan des trente années.
Roland Frankart
Répartition géographique des 347 membres actuels ou anciens
de la Route inconnue.
28
2 – Retour en images sur notre Assemblée générale
À la tribune :
Roland Frankart,
Philippe Blondeau,
Emmanuel d’Yvoire
.
Dans la salle des mariages
de la mairie d’Attigny :
une partie de l’assistance.
Déjeuner
au Mont-de-Jeux
29
Visite de la maison
d’André Dhôtel
Descente dans la vallée
La vallée de l’Aisne
depuis le Mont-de-Jeux
Photographies
de Laetitia Ginailhac
et Alain Poncet.
30
Quatre projets en voie de réalisation
1 – Des rééditions
Les éditions La Clef à molette, basées à Montbéliard,
projettent de rééditer quatre livres d’André Dhôtel.
Cette jeune maison a été fondée en 2012 par Alain Poncet,
membre de la Route inconnue. Graphiste-plasticien de formation,
Alain Poncet, la cinquantaine venue, se lance dans l’édition afin de
satisfaire son goût ancien pour la conception et la fabrication de
livres. Il définit ainsi son projet :
« La Clé à molette est une maison d’édition indépendante qui
investira indifféremment le champ de l’art contemporain et celui de
la littérature, qu’elle soit d’hier ou d’aujourd’hui. L’art contemporain dans toutes ses dimensions et la littérature dans toute son
exigence. En jouant parfois avec la notion de genre, nous nous
proposons d’éditer et de défendre des œuvres et des auteurs qui nous
plaisent et en lesquels nous croyons ».
Pour en savoir plus, consulter le site : www.lacleamolette.fr
Alain Poncet a commencé par investir le champ de l’art
contemporain : en mai 2013, il a publié un premier livre, Objets
dérivés, qui fait le point sur dix années de travaux du plasticien
Raphaël Galley. Ouvrage tiré à 600 exemplaires et présenté depuis sa
parution dans diverses manifestations en Franche-Comté.
Quant à la littérature, il va l’aborder en publiant des
nouveautés mais aussi en rééditant des livres épuisés, dont quatre
titres d’ André Dhôtel. Dans sa collection Hodeïdah !, il va rééditer
Un soir et La Route inconnue en 2014, L’Île à la croix d’or et Les
Lumières de la forêt en 2015.
Une aide du Centre Régional du Livre de Franche-Comté lui
a été accordée.
La collection Hodeïdah ! sera au format « semi poche »,
soit 125 x 190 mm. Hodeïdah ! est une des exclamations d’Alexis
dans L’Enfant qui disait n’importe quoi.
31
Alain Poncet présente ainsi les quatre livres qu’il va
rééditer :
« Un soir est un recueil de nouvelles parfois âpres et sans
concessions, ou l’on découvre un Dhôtel inhabituel et au regard aigu.
La Route inconnue aurait été qualifié de « roman choral » si
le terme avait été en usage à sa parution ; André Dhôtel y convoque
toutes les composantes de son univers dans un chassé-croisé
éblouissant.
L’Île de la croix d’or, qui nous emmène en Grèce, est un
roman de la jeunesse et de la formation. Son jeune héros y démêle un
écheveau subtil et enchanteur au cours d’un curieux voyage qui
l’amène vers la découverte de lui-même et de son destin.
Concernant Les Lumières de la forêt, l’idée serait de rééditer
ce livre, initialement de lecture suivie pour le cours moyen, sous
forme d’une longue nouvelle, avec de nouvelles illustrations. Il s’agit
en fait, bien avant l’heure, d’une passionnante fable en faveur de la
nature et de l’écologie. Il n’y a pas d’âge pour lire cela. »
__________
32
2 – Un concert / histoire
Le musicien Lionel Rolland (né en 1967, il vit dans l’Ain)
nous annonce la préparation d’un « concert / histoire » sur Le Pays
où l’on n’arrive jamais.
Après de nombreuses expériences dans les Musiques du
monde pendant douze ans, Lionel Rolland s'est plongé dans l'univers
des suites de Jean-Sébastien Bach ces trois dernières années. En
écoutant presque exclusivement les enregistrements des années 50 à
60 du pianiste canadien Glenn Gould, et en s'imprégnant aussi
beaucoup du jeu de Dinu Lipati, un premier concert-ciné La Fenêtre
(en duo avec Sylvain Nallet) est né en 2012. Aujourd'hui, Lionel
Rolland est toujours tenté par ce travail d'écriture plus occidental
qu'oriental. Mais les liens avec les paysages et les livres (Jean
Giono, Jean-Pierre Abraham, Jirô Tanigushi, et... André Dhôtel) lui
semblent nécessaires. Un espace où la musique tente d'être l'image
ou les mots d'une histoire....
Note d’intention rédigée par Lionel Rolland :
GASPARD
un concert / histoire qui réunit :
■ un trio à cordes
jouant une musique
joyeuse, couleur soleil,
comme l'enfance en été.
Une musique pour un
départ vers l'aventure et
le jeu. Avec le timbre
de la Mandoline 5
chœurs,
qui
peut
rappeler
le
Choro
Brésilien ; un son d'un
autre temps avec le
Clavichord, rebondis-
33
sant, libre et élastique comme l'enfance ; ainsi qu'une Guitare 8
cordes, aux graves puissants et rugueux, aux aigus brillants....
■ des morceaux choisis du roman d'André Dhôtel Le Pays où l'on
n'arrive jamais, puisqu'il est devenu un compagnon indissociable de
la musique du Trio, un fil conducteur pour composer. Ainsi, les titres
des musiques portent déjà quelquefois les noms des chapitres (Le
cheval pie, Niklaas et ses musiciens, Le grand pays …). L'idée de
faire se côtoyer sur scène des morceaux de ce livre avec les
morceaux de musique est apparue naturellement. Imaginons une voix
qui pourrait surgir de la musique ou d'entre les musiques, un
narrateur invisible en quelque sorte, mais à la voix proche,
« radiophonique ».
***
Je vois cette création musicale comme une occasion (ou une
chance, peut être ?) de se (re) plonger dans l'univers de l'enfance. Les
musiques que j'entends, qui me viennent, et que je travaille ensuite
avec la guitare 8 cordes, m'embarquent dans un monde d'aventures,
de fugues, de départs précipités, de rencontres imprévues,
surprenantes (mais tellement à propos, opportunes). Comme au
détour d'un chemin, ou d'un bois, qui s'ouvrirait sur des horizons
toujours plus vastes. Une musique fugueuse au débit qui ne
s'essouffle pas.
« Le cheval filait bon train et ne paraissait nullement disposé à modérer sa
course, pareille à un beau vent d'été. /....et à partir de ce moment il prit une
telle allure que Gaspard se crut vraiment transporté dans un autre monde.
C'était un galop d'une légèreté si étonnante que l'animal semblait ne pas
toucher la terre. »
Cet univers, j'ai le plaisir de le trouver quelquefois dans des
lectures « jeunesse » (Bibliothèque verte et compagnie, celles de
mon enfance), dans lesquelles je m'autorise la « vraie vie facile»,
celle où l'on peut croire que tout est possible. Mais, c'est plus
précisément dans la lecture du livre d' André Dhôtel Le Pays où l'on
n'arrive jamais, que j'ai retrouvé cette fantaisie que l'on n’autorise
qu'aux enfants. Les traits caractéristiques des musiques que je
compose ces derniers temps, en songeant à un trio à cordes, ont
34
trouvé écho dans ce roman. Roman dans lequel j'ai été, dès le début,
emmené dans un vaste territoire, puis (sans être perdu
géographiquement) je ne sais où, par un récit qui surprend quant aux
endroits où il fait passer, qui rebondit sans permettre (entre deux
rebonds) de savoir où sera le prochain appui.
« Gaspard s'élança. Son pied se pris dans une racine. Au moment où il
tombait en avant, il eut la vision du ciel qui surplombait le vaste
moutonnement de la forêt. La chute fut un peu amortie par l'herbe mais le
garçon passa cul par dessus tête, et il eut beau s'agripper aux plantes, il lui
fallut rouler jusqu'au bas. La terre et le ciel passèrent tour à tour devant ses
yeux. Le dernier bond que fit Gaspard là où le talus devenait vertical, le
projeta vers le milieu de la route. Il pensait s'écraser sur le goudron
lorsqu'il sentit entre ses mains la
crinière du cheval.»
Une histoire d'été, dans laquelle il ne fait jamais froid, où
trouver à manger et à boire n'est pas un souci, et rencontrer de
nouveaux amis aux caractères bien spécifiques est le pain
quotidien..... Et ainsi imaginer un « concert / histoire » dans lequel
mes musiques sont comme les chemins multiples que dévalent les
héros du roman : elles empruntent des chemins mélodiques sans
cesse différents. À l'image de « poupées russes » qui s'ouvriraient
indéfiniment. Une histoire où l'on croit jusqu'au bout qu'il y a tout à
découvrir sans savoir ce que l'on cherche. Une musique qui avance
sans doutes, bien souvent entraînée par un élan instinctif / non
identifié / imprévisible.
« Gaspard ne put faire autrement que d'enfourcher le vélo. Ils partirent, et,
peu de temps après, ils roulaient sur un chemin cahoteux au milieu de la
forêt. Puis ils quittèrent le chemin, prirent un sentier, et suivirent une
étroite piste ménagée pour les chasseurs qui filait tout droit sur deux
kilomètres. Au bout de la piste, une clairière. Après le rideau d'un nouveau
taillis, ils débouchèrent sur une campagne libre avec des villages semés
dans l'étendue. »
Lionel Rolland
35
3 – Un espace André Dhôtel à Attigny
André Dhôtel disait pour plaisanter qu’à Attigny, en matière
de notoriété, son seul rival était Charlemagne. Si la grand place porte
le nom de l’Empereur à la barbe fleurie, celui d’André Dhôtel a été
donné à une rue et à l’école. Le souvenir du souverain tout comme
celui du romancier sont rappelés dans les guides touristiques mais,
sur place, les visiteurs constatent avec dépit qu’il n’y a rien à voir, ni
sur l’un, ni sur l’autre. Le « dôme » dit de Charlemagne date de la
Renaissance et deux plaques portant son nom ne suffisent à
renseigner sur l’œuvre d’André Dhôtel.
Cela va changer. La bibliothèque d’Attigny, jusqu’à maintenant logée – à l’étroit – dans la mairie, va être transportée sur un
autre côté de la place, juste à côté de la maison dont une plaque
signale qu’ « André Dhôtel a vécu ici ». Vides depuis quelque temps,
les locaux de deux anciens magasins vont être réaménagés pour
accueillir la bibliothèque. Plus au large, ses responsables vont donner
à ce lieu des allures de petite médiathèque. Un espace, éclairé par
Juste à droite du kiosque, les deux vitrines (fermées) de la future bibliothèque.
Sur la maison suivante (ferronneries aux balcons), une plaque porte l’inscription :
« Ici a vécu André Dhôtel ».
36
l’une des deux vitrines, sera consacré à André Dhôtel. Les hôtesses
de l’office du tourisme tout proche pourront ainsi orienter vers la
bibliothèque les visiteurs en quête de renseignements sur le
romanciers natif du cru. L’office du tourisme est situé sous « le
kiosque à musique où les fleurs tiennent la place des musiciens qui
ne viendront jamais ». Les temps d’ouverture de la bibliothèque
devraient être élargis, si bien que les aménagement en cours de
préparation devraient avoir un taux d’utilisation accru.
Que pourra-t-on voir dans l’espace André Dhôtel ? Dans des
vitrines seront exposés divers objets et documents, fournis par
François Dhôtel ou déjà détenus par la ville d’Attigny, notamment la
machine à écrire sur laquelle Suzanne Dhôtel a tapé les textes de son
mari (voir la couverture de notre bulletin n° 33), ou l’édition
bibliophilique de La Longue histoire illustrée par J.J.J. Rigal. Les
vingt panneaux de l’exposition André Dhôtel, jour fabuleux, conçus
en 2000 par Philippe Blondeau et depuis conservés par François
Dhôtel, vont être entreposés à Attigny et exposés par rotation dans
cet espace. Le « fonds Dhôtel » de la bibliothèque, plutôt maigre
actuellement, va être étoffé.
On ne peut en dire plus pour l’instant car, si le principe de
cet espace est acquis, les détails de sa mise en œuvre restent à
préciser.
Le maire aimerait que les choses se fassent sans tarder. Les
subventions qu’il a demandées ont été accordées. Les travaux à
réaliser ne seront pas importants (essentiellement la réfection des
peintures). Cet espace a donc de bonnes chances de voir le jour dans
un bref délai.
Dernière précision : la vitrine à travers laquelle on pourra
voir divers souvenirs dhôteliens était autrefois celle du Bazar de
l’hôtel de ville (ou Bazar Verdelot, dont bien des habitants se
souviennent). Pouvait-on espérer meilleur endroit pour l’auteur de
Un jour viendra ? Le bazar de Durand et Falort, qu’il y décrit avec
délectation, est inspiré du bazar de Vouziers, mais il est probable que
le bazar d’Attigny suscita chez lui un aussi vif intérêt. Et plus d’un
personnage de Dhôtel a affaire au commerce : Bertrand Lumin et sa
librairie, Charles Crevain ou M. Baisemain et leur salon de coiffure,
Gabrielle Berlicaut et son hôtel du Grand Cerf…
37
Espérons seulement que le bazar-bibliothèque sera plus
fréquenté que les commerces d’Aigly, au tout début de La Tribu
Bécaille : « La grande place (c’est la place Marchal), est entourée de
commerces pimpants où l’on voit entrer un client par heure ».
4 – Un catalogue
Comme annoncé dans notre dernier numéro (page 25), la
librairie « Le Livre à venir » de Cuisery (près de Tournus), va
publier un catalogue de livres d’André Dhôtel.
38
Petites nouvelles de l’actualité dhôtelienne
Thèse. Le 12 janvier 2013, à l’université de Limoges, PierreAntoine Navarette a soutenu une thèse intitulée : « Espace et tensions
de signification : toposyntaxe, route et structure de chemin dans Le
Mont Damion d’André Dhôtel ».
Il la résume ainsi :
« La thèse que nous soutenons défend l’idée selon laquelle il existe,
dans une perspective phéno-générative, un schème spatial
directionnel au sein de l’œuvre d’André Dhôtel, Le Mont Damion,
c’est-à-dire une structure d’ensemble élémentaire qui oriente, dans
un procès de signification spatial complexe, une axiologisation des
dispositifs spatiaux et qui se décline en configurations spatiales
directionnelles plus élaborées, configurations axées sur la catégorie
[route]. Nous avons réalisé cette étude en sémiotique de l’espace post
greimassienne en partant d’une sémantique textuelle d’inspiration
rastierienne appliquée à l’œuvre dhôtelienne. »
Résumé du résumé (toujours par l’auteur) : « Il s'agit d'une
étude sémiotique visant à dégager les articulations logiques et les
principes de formation du sens dans l'œuvre romanesque d'André
Dhôtel, Le Mont Damion ».
Pour nos lecteurs qui ne seraient pas familiers de cette
discipline, précisons que la sémiotique est la « science générale des
modes de production, de fonctionnement et de réception des
différents systèmes de signes qui assurent et permettent une
communication entre individus et/ou collectivités d’individus »
(dictionnaire Larousse).
La thèse de M. Navarette a été mise en ligne sur Internet.
Roman. L’auteur d’une critique de livres pour la jeunesse m’a
envoyé le 22 mars dernier la recension qu’il avait faite d’un roman
de Gisèle Bienne, Le pays où quelqu’un nous attend (L’Ecole des
loisirs, 186 pages, 9 € 50). Sa critique commence ainsi :
39
« Gisèle Bienne est née dans l’Aube, a fait des études
secondaires en Haute-Marne, a enseigné quelques années on ne sait
où et vit à Reims. Elle a choisi de faire un clin d’œil à André Dhôtel,
écrivain phare pour la jeunesse, né dans les Ardennes, en choisissant
un titre Le pays où quelqu’un vous attend qui rappelle le titre Le pays
où l’on n’arrive jamais de l’écrivain natif d’Attigny, au sud-ouest de
Charleville-Mézières. De plus elle a choisi de faire passer une partie
de l’action de l’ouvrage Le pays où quelqu’un vous attend dans le
sud du département des Ardennes alors qu'une part non négligeable
du récit se déroule dans un village fort proche du lac du DerChantecoq ou lac-réservoir Marne, plutôt vers Vitry-le-François.
Enfin, autre point commun, ces deux livres parlent d’enfants qui
fuguent. »
Texte complet sur le site critiqueslibres.net
Dédicace. Un roman d’André Dhôtel provenant de la bibliothèque de
François Nourrissier, mort en 2011, était récemment en vente sur le
site Priceminister. Il s’agit d’un exemplaire du service de presse de
Pays natal, portant la dédicace : « Pour François Nourrissier en
cordial hommage ». Prix : 173 €
Livres numériques et audio. Au catalogue de la B.N.F.A.
(Bibliothèque Numérique Francophone Accessible), figurent cinq
livres d’André Dhôtel : Le Bois enchanté et autres contes, Le Pays
où l’on n’arrive jamais, La Nouvelle chronique fabuleuse, Quand je
te reverrai.
A ce même catalogue ces quatre titres existent également en
livres audio, avec voix humaine pour Le Pays (durée : 7 h 29 mn),
voix de synthèse pour les autres.
Visite. Le 20 mars dernier, la M.J.C. de Charleville-Mézières a
inscrit à son programme mensuel de visites le pays d’André Dhôtel.
Une vingtaine de personnes ont donc passé la journée au Mont-deJeux et dans ses environs, en compagnie du secrétaire de La Route
inconnue.
Salon du livre. Lors du dernier salon du livre à Paris, en mars,
Nicole Rigal, membre de la Route inconnue, tenait le stand de sa
40
maison d’édition Arenella, dans l’espace Art square. Elle y a
présenté le poème d’André Dhôtel, Le Chemin, illustré par Edmond
Rigal son grand-père, qu’elle avait édité en 1980, et le livre La
Longue histoire, illustré par son père J.J.J. Rigal, édité en 1978 par
les Bibliophiles de France et de Normandie.
Portraits. Vues sur Internet, ces deux photographies où l’on aperçoit
deux portraits d’André Dhôtel par Gilles Sackscick. Elles illustrent
un article sur une exposition de l’artiste à Brive en 2012.
__________
41
Parmi les livres
et revues
Jean-Claude Pirotte. Gens sérieux s’abstenir ou La tentation du
sonnet, Le Castor astral, février 2014, 104 pages, 13 €
Frédéric Chef avait rédigé cette chronique en mars, peu après la
parution du livre. « Pirotte se bat, écrit-il, contre ce qui lui reste à vivre
avec le panache et l’uppercut des humoristes noirs ».
Depuis, le combat a pris fin.
Sonnets sonnants, trébuchants, sonnets précis, sonnets
vagues : Jean-Claude Pirotte versifie comme il respire et quel que
soit l’air qu’il respire. Gens sérieux s’abstenir est le recueil d’une
centaine de sonnets plus ou moins réguliers et peu importe. En
poésie, c’est le poète qui poétifie, selon les règles auxquelles il se fie.
N’empêche, la contrainte est celle de l’heptasyllabe, à peu près
respectée. Le vers se fait élastique jusqu’à l’alexandrin aléatoire,
parfois. Pirotte traque sans combattre un furtif sonnet, s’amusant du
piège qu’il s’est tendu de versifier son quotidien en mesure, l’ordre
corseté du sonnet l’obligeant à débusquer la rime et fourbir deux
quatrains puis deux tercets : je n’ai de goût / que pour l’ampoule et le
drapé le style / et la perversité de l’inutile.
Voilà pour la forme, très en forme, avec un humour
dévastateur qui fera mentir les grognons raillant un auteur en
grisaille. Rien n’est moins vrai ici, tant il s’agit d’écrire des sonnets
comme on tisse une toile / dans le vaste univers brillant des
arachnides / où le temps est réglé par décret des étoiles. Les minutes
font leur sale boulot sur nous tous, Pirotte se bat contre ce qui lui
reste à vivre avec le panache et l’uppercut des humoristes noirs. Noir
léger ou noir profond, toutes nuances : je deviens la mort qui court /
à mes basques son discours / je le prononce moi-même. Le poète est
celui qui prend les devants et le taureau par les cornes, fixant les
règles d’une vie éloignée de l’argent facile, des écrans surchauffés,
de l’heure d’été, des prémonitions absolues de l’incendie planétaire,
de la fonte des glaces, des pilules roboratives et du rétrécissement du
minimum vital.
42
Revient la nostalgie d’une enfance si loin, si proche, que la
laisse du poème retient : j’ai plus de septante ans je rêve /comme un
vieux gamin de sept ans / je me promène dans la neige / à la
recherche du temps. Pirotte se défend d’avoir un avenir – ses
semblables en sont persuadés – vivant au jour le jour : l’avenir est un
marécage / de cambouis où nous pataugeons. Il y a matière aussi à
l’hommage, comme toujours chez Pirotte, aux Ludions de Léon-Paul
Fargue, un compagnon / sans égal un vrai mentor, aux Cent mille
milliards de poèmes de Queneau et leur mécanique oulipienne, ou
encore à Franck Venaille quand il effectue la descente de l’Escaut.
Pirotte, en fin de compte, doute de l’expérience qu’il mène
et, avec une autodérision salutaire, reconnaît ne pas savoir où il va :
j’ai voulu les faires boiter / ces misérables sonnets / comme moimême je boitais / et boite encore en ces années. C’est parfaitement
réussi, pense le lecteur, que cette poésie délassera des formes sans
forme et d’une certaine préciosité souvent involontaire des
« poètes ».
Conclusion : ce poème est casse-gueule / je n’aurais pas dû
l’écrire /et mieux vaudrait le détruire. Le chroniqueur se dit la même
chose devant son papier gondolé.
Frédéric Chef
Yves Lepesqueur. « Reconnaître, connaître, ne rien savoir », dans le
n° 77 de la revue L’Atelier du roman, édition Flammarion, mars
2014, pages 113 à 124, 17 €
Dans le dernier numéro de la revue trimestrielle L’Atelier du
roman, Jean-Yves Gillon, membre de La Route inconnue, a publié,
sous le pseudonyme d’Yves Lepesqueur, un article sur André Dhôtel.
En 2011, il avait déjà donné à cette revue un texte sur Ce lieu
déshérité, que nous avions reproduit dans notre neuvième cahier,
André Dhôtel et la Grèce.
Cette fois, Yves Lepesqueur s’est intéressé à Ma chère âme,
Pays natal, Le Train du matin, Un jour viendra. Il y étudie les
thèmes de la réminiscence et de la reconnaissance différée, qu’on
trouve souvent dans les romans de Dhôtel : deux personnes se sont
connues, se retrouvent, renouent sans se reconnaître, dans un éclair
43
se reconnaissent un jour. « La récurrence obstinée d’un thème si
particulier et si malcommode à ajuster dans une intrigue, si propre à
faire lever les sourcils des réalistes, doit répondre à une profonde
nécessité. On soupçonne qu’il peut conduire au cœur de l’œuvre. »
Yves Lepesqueur poursuit : « Reconnaître, c’est passer audelà de la personnalité publique vers une vérité cachée plus brûlante.
[…] Ce qui est en cause, c’est toujours la révélation de sa face
cachée, sa face de “ sauvagerie ”, pour remprunter un autre terme
dhôtelien. Voir la vérité secrète d’une personne, c’est toujours, chez
Dhôtel, la re-voir. Le moment déterminant n’est pas la première fois
que l’attention a été alertée par le mystère de l’aimée ; c’est celui où
on la reconnaît, où l’on retrouve la première vision. » On n’est pas
loin de la réminiscence platonicienne. « Reconnaître la personne que
d’abord on n’avait pu identifier, c’est aller de sa vérité apparente à sa
vérité secrète. »
Mais les personnages qui se sont reconnus doutent ensuite de
cette reconnaissance, car il est impossible de savoir qui est vraiment
l’autre, d’où des désaccords entre les amants, débouchant sur « la
gloire des couples irréconciliés ».
Suit une réflexion sur le rapport entre l’inachèvement et le
progrès, qui fait intervenir Bergson et Péguy et aboutit à cette
conclusion : « Entièrement voué à l’insaisissable, à l’éclat furtif de la
vie, qui n’est pas engrangeable dans le passé au nom d’un futur
annoncé, Dhôtel, par ses récits hors du temps, fait écho à l’une des
plus fécondes agitations intellectuelles de son siècle, sans affirmer
aucune position ni participer à aucun débat. »
Roland Frankart
Pascal Gibourg. « Plutôt trahir que tricher (Variation sur André
Dhôtel ) », dans la revue trimestrielle publiée par le collectif
remue.net, qui existe uniquement en version numérique. Texte daté
du 29 septembre 2013. À lire sur Internet (il suffit de taper le titre).
Plutôt trahir que tricher ? Titre surprenant à propos de
Dhôtel. C’est que Pascal Gibourg se réfère à Deleuze dans cette
variation sur trois livres : Le Mont Damion, Pays natal et La
Rhétorique fabuleuse. (« Ce qu’il faut comprendre, c’est que la
44
tricherie fait système. Et pour rompre ce système, il n’y a qu’une
seule voie : la trahison ».)
S’il existe un merveilleux dhôtelien, il y a aussi chez lui un
appel à la rupture, au changement radical, une critique de la société,
même si elle n’est pas le nerf de ses fictions. Une critique de la
rationalité aussi. Dans Pays natal, par exemple, Félix dénonce
l’ordre social auquel il souscrivait, après s’être laissé entraîner hors
du droit chemin par son ami Tiburce. « Dhôtel n’est pas politique, il
n’est pas militant, mais il n’empêche que la fonction des devenirs qui
sont au travail dans son œuvre n’est pas ans rapport avec les combats
d’aujourd’hui ».
Impossible de résumer en quelques mots la suite de cette
variation qui associe Dhôtel, Shakespeare et Dostoïevski dans cette
lecture deleuzienne. Citons-en les dernières lignes :
« Qu’il erre sur les routes ou qu’il reste dans sa chambre,
l’écrivain n’a de cesse de creuser son sillon, moyen de s’épanouir.
André Dhôtel n’était pas du genre à pousser de hauts cris et à prendre
la vie pour ce qu’elle n’est pas. En dépit de l’adversité, il se faisait
attentif à son entourage, curieux de la vie des fleurs ou des
champignons, émerveillé par la richesse et la diversité des êtres et la
variété de la nature. On raconte qu’il écrivait dans son lit. Il savait
être paresseux — forme singulière de désobéissance —, mais d’une
paresse supérieure, parce que généreuse, florissante. »
Pascal Gibourg est membre de la Route inconnue.
Roland Frankart
__________
45

Documents pareils