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ENQU Ê TE
Noémie
lvovsky
Le jeu sous la braise
DOSSIER
SAPEURS-POMPIERS
Un MYTHE
SOUILLé
la fabrique de
la honte
ORGASME
Pourquoi les femmes
hurlent-elles ?
Droits des femmes
un ministère
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concours
les couv des
lectrices
#27 - Septembre 2012
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G R A N D E
enquê t e
S a p e u r s - p o m P I ER S
un mythe
souillé
Ils sont réputés forts, courageux, entraînés, dévoués et figurent dans le haut du tableau des fantasmes féminins.
Et ils aiment bien en profiter. Alertée par de récents scandales sexuels qui ont entrouvert la porte des casernes,
Causette s’est attardée sur les rapports que les soldats du feu entretiennent avec la gent féminine. Elle s’est rendu
compte que règlements et déontologie ne pèsent pas lourd face à une partie de fesses collective. Du piège à filles
du 14 juillet au viol en réunion, le mythe du pompier prend un sacré coup. Enquête sous l’uniforme.
Le dossier que tient l’avocat Rodolphe Constantino entre
les mains est lourd. Les faits, s’ils sont avérés, éminemment
graves : viol en réunion, viols et agressions sexuelles sur une
mineure de moins de 15 ans. Les personnes mises en cause :
vingt sapeurs-pompiers de Paris et de sa petite couronne.
Voilà deux ans que sa cliente, aujourd’hui âgée de 17 ans, a
déposé plainte, avec ses parents. Peu avant l’été, Me Constantino décide de parler de cette affaire dans la presse. En plein
scandale dit de « l’affaire du bus » (voir l’encadré), à la suite
duquel plusieurs militaires de la Brigade de sapeurs-pompiers
de Paris (BSPP) ont été mis en examen pour viol, les pompiers
voient rouge. Leur image est un temple que personne ne voudrait voir profané. Les quelque 250 000 soldats du feu répartis
sur tout le territoire sont en effet habitués — et attachés — à
avoir une excellente réputation. Et pourtant.
« Des sollicitations quotidiennes »
Alain est jeune retraité. Il a fait une carrière de pro chez
les sapeurs-pompiers. Et il le concède sans détour : « On
nous prend pour des héros, des supermen. » « Beaucoup
d’hommes pompiers sont attirés par la valorisation sociale
que leur offre le métier, surtout vis-à-vis des nanas, estime
Laurie 1, ancienne sapeur-pompier volontaire dans l’Aveyron.
Les muscles saillants, le gel bien mis en toutes conditions…
Ce sont des petits coqs. »
Il suffit d’aller humer l’ambiance électrique d’un bal du 14 juillet dans une grande caserne du Sud-Est de la France pour
s’en convaincre. Ce soir-là, plus d’un millier de personnes
sont venues se déhancher au son d’une musique de boîte
de nuit. Il est presque 2 heures du matin quand une dizaine
de pompiers s’éclipsent dans la salle de gym de la caserne.
Quelques pompes et tractions plus tard, les muscles regonflés, l’uniforme ajusté, ils sont portés en triomphe par d’autres
pompiers et déposés sur des podiums pour offrir à leur
public un strip-tease bouillant. Le champagne coule sur les
torses bombés et épilés de ces Chippendales d’un soir, que
viennent caresser frénétiquement les femmes accourues en
nombre. Le temps d’une soirée, hébétées, elles tiennent dans
leurs bras… LE fantasme 2. Plus débridée que d’ordinaire,
cette prise de la Bastille ?
1. Les prénoms ont été modifiés. 2. Selon un sondage Ipsos réalisé en 2006 sur « les Français et le sexe », 47 % des femmes interrogées estimaient
que le métier de pompier était celui qui suscitait chez elles le plus de fantasmes.
40 • CAUSETTE #24
CAUSETTE #27 • 41
grande enquête
Pas vraiment. Pour les pompiers, c’est la routine du bal. Une
tradition qui « rapporte » : « Le 14 juillet, vous faites votre marché pour l’année, vous remplissez le répertoire de numéros
de téléphone », explique en riant le représentant national d’un
syndicat de pompiers. Et le reste de l’année ? Ben, c’est
pareil. « Vous n’imaginez pas le nombre de sollicitations dont
on fait l’objet. À Paris, c’était quotidien », se souvient le syndicaliste, qui a débuté à la BSPP.
Dans l’Est de la France, la secrétaire d’une caserne confirme :
« On reçoit chaque semaine des mails, des lettres, des coups
de téléphone de femmes qui souhaitent prendre contact avec
tel ou tel pompier qu’elles ont croisé. » Elle, goûte peu cet
engouement. Au contraire, elle y voit un terrain propice à des
« dérives ». Et le lâche tout de go : lorsque l’affaire du bus a
éclaté, elle s’est sentie « limite contente » que quelqu’un ait
eu « le courage de porter plainte pour que la porte s’ouvre un
peu ». Elle l’affirme : « J’ai vu des trucs, je continue à en voir.
Des comportements lamentables, parfois salaces. » L’éventail
des écarts de conduite est large : de la malheureuse initiative
des pompiers de Ribeauvillé (Haut-Rhin) qui croyaient être
bien inspirés en posant nus, un gant posé sur le sexe, pour
un calendrier 2006 vendu au profit de l’œuvre des pupilles,
aux parties de sexe collectif dans la caserne.
Soirées libertines à la caserne
Michaël s’est engagé à la BSPP en 1995. C’était un rêve de
gosse. Mais il a vite déchanté devant les « égarements » de
ses collègues sur fond d’alcoolisation : « Dans ma caserne, le
14 juillet, c’est un quinté qui se prépare. Les poulains se
donnent des objectifs. Ils repèrent la fille qui en pince pour le
costume, pas farouche. Et c’est parti. Quand elle commence
à atteindre un taux d’alcoolémie correct, la séduction naturelle du pompier se voit boostée. Le but ultime est d’amener
cette fille dans les chambrées... Ce qui est absolument interdit. Une fois, ils étaient trois à passer sur elle à tour de rôle.
Pour moi, c’était une forme de viol. » Marjorie 1, la vingtaine, a
longtemps fréquenté une caserne de la région lyonnaise... et
ses petites sauteries : « Pendant l’année, alors qu’ils sont de
garde, les pompiers appellent des filles pour faire des soirées
dans le mess [cantine de la caserne, ndlr]. La musique est à
fond, il y a de l’alcool. Et il y en a toujours quelques-unes qui
montent [dans les chambres, ndlr], si elles ont envie... »
Une incartade en entraînant souvent une autre, certaines
casernes se transforment peu à peu en lieu de libertinage.
La Grande-Motte, Poitiers, Antibes... Nombreux sont les
articles de la presse régionale qui relatent comment des
pompiers se sont fait épingler par leur hiérarchie alors qu’ils
organisaient des partouzes pendant leurs heures de garde,
à quatre, dix ou quinze, embringués ici dans une chambre,
là-bas dans un gymnase.
Transport de couples échangistes
À Lyon, des pompiers se sont adonnés à ces plaisirs peu réglementaires pendant près d’un an. Au cours de l’année 2003,
« des adultes venaient faire de l’échangisme [parfois depuis
l’étranger, ndlr], se souvient un chargé de communication au
Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) du
Rhône. Ça avait lieu à la caserne de Meyzieu et à l’aéroport
Saint-Exupéry », les pompiers travaillant sur les deux sites. Un
soir, plusieurs d’entre eux auraient même prétexté une fausse
intervention pour assurer le transport des couples échangistes en véhicule opérationnel. Mais ils commettent l’erreur
de publier des photos de leurs ébats sur un site libertin et leur
hiérarchie finit par tomber dessus. Le colonel Serge Delaigue
décide alors de surprendre ses brebis galeuses en flagrant
délit et, un soir d’octobre 2003, épingle quatre pompiers en
compagnie d’une femme et de deux hommes nus dans la
caserne de Meyzieu. Des sanctions sont prises, allant jusqu’à
l’exclusion définitive du principal organisateur des réunions
coquines. Le colonel a voulu frapper fort.
Mais il faut croire que certains ont la mémoire courte.
Fin 2011, le SDIS du Rhône devait à nouveau rappeler à
l’ordre ses troupes. Dans les casernes de Rillieux-la-Pape et
de Lyon-Corneille, des sapeurs-pompiers avaient organisé
des soirées sexe en compagnie de deux filles. Informée de
ces agissements, la direction procède à des exclusions temporaires. « Les casernes sont un lieu de travail, rappelle-t-on
au SDIS. Et ce type d’affaires est très préjudiciable pour la
profession. » Les règlements intérieurs sont pourtant explicites : « Il est interdit d’accueillir toute personne extérieure
au SDIS dans les locaux ou bâtiments de service. » 3 Mais
l’appétence de certains pour le sexe semble plus forte que
les réglements.
Jouer avec les limites
Michaël rapporte : « À la BSPP, ces pratiques sont vraiment
répandues. » Il analyse : « Le pompier se prend au jeu. Ce
sont, pour beaucoup, des gamins débarqués de province.
Leur famille est loin, ils ont le sentiment d’appartenir à une
élite, ils sont adulés par les filles... La tentation est grande
d’accéder à des expériences qui ne leur seraient pas
accessibles dans d’autres circonstances. » Le sociologue
Ryad Kanzari, qui a étudié la vie de plusieurs casernes de
pompiers 4, explique cette hypersexualisation du milieu par
trois raisons : « D’abord, en caserne, il y a beaucoup de temps d’attente. Ensuite,
c’est un milieu quasi exclusivement masculin. Enfin, il fonctionne avec des symboles, notamment celui de l’homme fort et viril. Et le fait de séduire beaucoup de
femmes et de le faire savoir en fait partie. »
Un officier va plus loin. Interrogé par Var-Matin en août 2011 au sujet de la révélation de « partouzes » organisées à la caserne d’Antibes, l’homme, qui a souhaité
garder l’anonymat, condamne : « Ces débordements sont, à mon sens, la conséquence de nombreuses années d’impunité. Depuis longtemps, quelques pompiers
jouent avec les limites [...]. Et, comme personne ne les a jamais sanctionnés, ils se
croient intouchables. Et vont toujours plus loin. »
« Tous mes collègues le font »
Le reste de la réponse se trouve chez les intéressés qui évoquent sans complexes
ces fêtes du sexe. « On risque des jours d’arrêt, ça peut aller très loin, reconnaît
Marc 1, 25 ans, membre de la BSPP contacté via un site de rencontres dédié aux
pompiers. Mais ça se fait. Ce sont des choses viriles, de bons moments dont on
se souvient. » Lola Vinci, une actrice X, livre la même analyse : « Les mecs qui ont
un métier dangereux, ils ont envie de relâcher la pression, de faire les cons », tente
d’expliquer la jeune femme, qui assure avoir « participé à une dizaine de soirées en
casernes ». « Et puis ils se laissent entraîner par leurs copains, et c’est à celui qui
fera le truc le plus fou. » Reste à se faire discret face à la hiérarchie : « Le soir, ce sont
un peu les hommes du rang qui gèrent la caserne », explique Marc. Et quand les
officiers ne sont pas là, « tout est possible ».
L’affaire du buS
Le 6 mai dernier, un pompier de
Paris de 24 ans dépose plainte à
Paris pour viol. L’homme, membre
de l’équipe de gymnastique de la
BSPP, accuse un de ses collègues
de l’avoir violé après une séance
de bizutage qui aurait mal tourné.
Les faits se seraient produits
dans un autocar en provenance de
Colmar, devant d’autres pompiers,
dont deux officiers. Quelques jours
plus tard, un deuxième pompier
porte plainte pour des coups qu’il
aurait subis dans le même autocar.
Le 11 mai, une dizaine de pompiers
sont mis en examen, dont un pour
viol et agression sexuelle en
réunion. Tous sont suspendus de
leur fonction et l’équipe de
gymnastique est dissoute.
3. Chaque SDIS a son règlement. Extrait de celui du Territoire de Belfort. 4. Être pompier, de Ryad Kanzari. Éd. Lieux Dits, février 2012. 12 euros.
42 • CAUSETTE #27
CAUSETTE #27 • 43
grande enquête
grande enquête
« Enquête » porno chez les pompiers
C’est dans la revue Hot Vidéo de novembre 2010 que la Fédération nationale des
sapeurs-pompiers de France a découvert les « à-côtés » de la vie de caserne.
Le magazine pornographique vendait en couverture une « enquête-vérité » sur
« les pompiers et le sexe ». Il avait réuni une dizaine d’entre eux ainsi que quelques
actrices X pour une séance photo des plus chaudes. Le lecteur pouvait également
découvrir le témoignage d’un pompier ayant participé en caserne « à plus de quarante
parties de baise en groupe », ainsi qu’un article sur les « sarceuses ». « À l’origine, la
“sarceuse” était la femme réservée au Sarce, le vieux pompier qui a de l’ancienneté »,
explique la revue. Aujourd’hui, le terme désigne « toutes les filles qui fréquentent
les casernes, pour une nuit ou de manière plus régulière. Et elles sont nombreuses... »
44 • CAUSETTE #27
Il est tellement facile de se faire
convier à une petite sauterie en uniforme qu’en vingt-quatre heures,
Causette a réussi à prendre contact
— via un site de rencontres — avec un
membre de la BSPP, et à établir avec
lui un plan pour entrer de nuit dans
une caserne par « une petite porte
1
dérobée ». Jean , à peine 20 ans,
les cheveux ras et les joues roses,
est encore un novice. Mais il entend
bien profiter agréablement du pouvoir
que lui confère l’uniforme. Et intégrer
ainsi le club des initiés : « Tous mes
­collègues le font depuis des années,
c’est rien de compliqué. Il suffit d’ouvrir une porte, on fait ce qu’on a à faire
et à 6 heures du matin, vous partez. »
Comme dans un moulin.
Les jeunes pompiers de la BSPP ont
beau pérorer, ils reconnaissent que
l’incident du bus a jeté un froid parmi
les équipes. « Le général a donné des
ordres précis à chaque caserne, il
ne veut pas qu’on ait une mauvaise
image », relate Marc, le jeune pompier
de Paris. En province aussi, « le rappel
à l’ordre du général a été diffusé pour
information », explique Céline Guilbert,
au conseil d’administration de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers
de France (FNSPF). Dans un courrier
électronique que Causette s’est procuré, un SDIS de province alerte ses
équipes : « Merci d’être attentif sur les
formations que vous piloterez. Suite
aux événements du bus de la BSPP
et ce type de problèmes, vous risquez
d’en être responsables. Je vous rappelle qu’on ne forme plus comme il y a
trente ans. » Mais les bizutages ne sont
pas les seules pratiques visées par la
direction. Le SDIS met en copie de
son mail un article de presse relatant la
condamnation en première instance, à
Castres, en mai dernier, d’un pompier
de 45 ans pour abus sexuel sur une
mineure, jeune sapeur-pompier volontaire âgée de 14 ans.
Sofian 1, pompier de 22 ans dans le Var, confirme ce que l’on
commence à deviner. Ce n’est pas uniquement l’épisode du
bus qui est en cause : « Il y a eu trop de problèmes, du genre
la fille à la caserne, on se fait un plan cul, elle porte plainte, on
est tous dans la merde. » Marc corrobore : « Nous, on appelle
ça les cas soc’ [sic]. Elles te la font à l’envers. Elle se fait attraper, elle rentre chez elle, et puis elle va à l’hôpital et à la gendarmerie. Moi, je finis par me méfier. »
Julie n’avait que 13 ans
Les parties de jambes en l’air ne seraient donc pas toutes
doublées de parties de plaisir. Le séisme provoqué par l’événement du bus est venu le rappeler en faisant remonter à
la surface d’autres dossiers embarrassants, tel que celui
défendu par Me Rodolphe Constantino. Sa cliente, Julie 1,
n’avait que 13 ans lorsque tout aurait commencé. L’avocat la
décrit comme une fille fragile, sujette à l’époque à des crises
de tétanie récurrentes qui lui font perdre connaissance : « Elle
a écumé les hôpitaux et les cliniques d’Ile-de-France, shootée
aux anxiolytiques et aux antidépresseurs. » Les sapeurs-pompiers sont souvent amenés à la secourir lors de ces épisodes,
chez elle, à l’école, au supermarché... L’avocat précise :
« Environ 140 fois », entre 2008 et 2010.
L’un de ces pompiers, âgé de 19 ans et membre de la
BSPP, affecté à la caserne de Bourg-la-Reine (Hauts-deSeine) prend le numéro de Julie lors d’une intervention, puis
contacte la jeune fille pour aller plus loin. Pas empêché par
son âge ni par son état de vulnérabilité manifeste, il va l’inviter dans son appartement des Yvelines, fin 2009, en compagnie de deux collègues, pour avoir des rapports à plusieurs.
Julie ne dit rien à personne, elle décrit parfois les faits dans
son journal intime où elle compare ce qu’il lui arrive aux épisodes de scarification qu’elle s’inflige par ailleurs. Et puis
sa mère surprend des textos, c’est l’élément déclencheur.
« Julie va révéler avoir fait l’objet d’une vingtaine de viols par
vingt pompiers différents, dont dix-sept de la BSPP, explique
Me Constantino. Ils se communiquaient son numéro et la
contactaient via Facebook ou son portable. Ils lui demandaient de descendre de chez elle et avaient un rapport sexuel
sur le capot d’une voiture ou dans un parking. »
« Un sentiment de toute-puissance »
La mineure « n’était pas en capacité de consentir compte
tenu de son état de santé », souligne l’avocat. Suite au
dépôt de plainte, les pompiers sont entendus par la police.
« Ils ont reconnu des rapports sexuels et / ou des échanges
pornographiques. Ils ont expliqué que, pour eux, c’était une
cochonne, qu’ils avaient tous leurs histoires de cochonnes. »
Et d’analyser : « On leur renvoie une image d’hommes beaux,
de sportifs, de sauveurs. Difficile de ne pas céder à un sentiment de toute-puissance, en tout cas dans leur rapport
aux femmes. » Julie, elle, est totalement démolie. Elle est
déscolarisée, ne sort plus de chez elle. En mars 2011, l’épisode de l’appartement débouche sur la mise en examen
des trois pompiers pour viol en réunion sur mineure. Ils sont
exclus de leurs casernes respectives. Et les autres ? « Rien,
constate Rodolphe Constantino. Alors que les charges sont
graves et concordantes, ils n’ont pas été mis en examen. »
Pas plus qu’ils n’ont été sanctionnés en interne.
Sollicitée, la BSPP n’a pas donné suite à notre demande d’interview. Mais dans un entretien au JDD, en mai, Pascal Le Testu,
son porte-parole, se justifiait : « Ces rencontres d’ordre privé
ont eu lieu en dehors du service et à l’extérieur des enceintes
militaires. » On pourrait considérer l’événement comme circonscrit, exceptionnel parmi des aventures coquines libres et
consenties entre adultes. Mais l’histoire de Julie rappelle celle
d’une autre adolescente. À Marseille, cette fois.
Descente aux enfers
Stéphanie est une jeune fille de 14 ans qui souffre de graves
troubles comportementaux. En conflit avec ses parents, elle
écume les foyers de la ville et fugue régulièrement. Au début
de l’année 2004, elle s’amourache d’un marin-pompier de
22 ans, rencontré sur intervention. Assez vite, son nouveau
petit ami lui propose de participer à une partie de sexe collectif avec plusieurs camarades de son bataillon. Dans un
premier temps, à son domicile, puis – elle a alors 15 ans — à
la caserne de Malpassé, dans les quartiers nord de Marseille. Au moins une autre mineure, de 17 ans, participera à
ces rapports en groupe, issue « d’un foyer et qui avait des
problèmes psychiatriques », se souvient l’avocate de la mère
de Stéphanie, Magali Dejardin. Plusieurs centaines de clichés à caractère pornographique seront réalisés par le pompier au cours de ces rapports. La descente aux enfers de
Stéphanie se prolonge. Son petit ami, sans un radis et sans
scrupule, décide de la prostituer. C’est là qu’elle sera interpellée pour racolage sur la voie publique et qu’elle confiera
son histoire aux policiers. Son ami est mis en examen pour
proxénétisme sur mineure, et dix de ses camarades sont
mis en examen pour corruption de mineure. Anéantie, Stéphanie est placée en établissement psychiatrique. C’est là,
le 13 juillet 2004, le jour du bal des pompiers, que la jeune
fille se suicide par pendaison.
Dans la presse, la hiérarchie militaire se dit « profondément
choquée », mais « récuse tout lien direct [entre les faits incriminés et] le suicide ». L’ex-petit ami sera condamné à quatre ans
de prison ferme, tandis que les dix autres seront relaxés.
Me Magali Dejardin se souvient : « Ils étaient dans le déni. Et
CAUSETTE #27 • 45
d’évacuer un syndicaliste de la Fédération autonome du
département ayant siégé au conseil de discipline. Maintenant, on cherche la sérénité. » Son collègue, du même syndicat : « Une erreur au niveau de la carrière, ça arrive à tout le
Captation d’images pédo-pornographiques
monde. » Surtout, ne pas entacher la réputation des pompiers.
C’est peut-être aussi ce que plaidera l’avocat des sept pom- À la FNSPF : « Il y a des dérives localisées, croit Céline Guilbert.
piers de la caserne d’Abbeville, dans la Somme, qui attendent Mais normalement il n’y a pas de femmes susceptibles d’end’être jugés en correctionnelle. En août 2010, un de leurs trer à l’intérieur des casernes. Je ne pense pas que ça arrive
camarades les a dénoncés à la direction alors qu’ils orga- tous les jours. Je pense que les gars sont assez intelligents
nisaient, selon lui, des partouzes en compagnie de la petite pour ne pas répondre à ces sollicitations. »
amie de l’un d’eux. Celle-ci était alors à peine âgée de 16 ans. Michaël, lui, n’y croit pas et a d’ailleurs jeté l’éponge au bout de
« Les soirs, le chef de centre n’est pas là, il y a des chambres cinq ans d’engagement, écœuré. Quand on lui demande s’il
de garde... Malheureusement, on a des personnes bien, et pense que l’affaire du bus pourrait sonner la fin de la récré, il
d’autres... », explique une responsable, un peu embarras- hoche la tête : « Qui va aller vérifier sur le terrain ? Les gens qui
nous dirigent n’y sont pas. Et
sée, du SDIS de la Somme.
est-ce qu’ils ont vraiment intéLes sept soldats du feu sont
sapeurs-pompiers en France.
rêt à chambouler ce milieu ?
poursuivis pour corruption de
Compte tenu des contraintes
mineure et captation d’images
de professionnels
de volontaires,
du métier, s’ils appliquent la
pédo-pornographiques. Tous
de militaires répartis entre la Brigade de Paris
tolérance zéro, ils pousseront
n’ont pas reconnu les faits,
et le Bataillon des marins-pompiers de Marseille.
les pompiers à la fuite. »
mais tous ont été mis à pied
en attendant leur procès. « Il
parmi les sapeurs-pompiers civils.
y a sûrement eu un manque
Leila MINANO et Julia PASCUAL
Source : ministère de l’Intérieur, statistiques des services d’incendie et de secours, édition 2012.
au niveau des parents, tente
Photos : Franck Juéry pour Causette
leur avocat a intelligemment plaidé. Il a expliqué que le sexe
était une sorte d’exutoire, de défouloir pour ces jeunes qui
côtoyaient la mort et la souffrance tous les jours. »
248 300
79 %
16 %
5 %
13 % de femmes
46 • CAUSETTE #27

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