Passeurs de langues, de cultures et de frontières : la transidentité de

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Passeurs de langues, de cultures et de frontières : la transidentité de
Trans— No 8 : À tu et à toi
« La transidentité de Dai Sijie et Shan Sa »
Sophie CROISET © 1
Passeurs de langues, de cultures et de frontières : la
transidentité de Dai Sijie et Shan Sa, auteurs chinois
d’expression française
Sophie CROISET
L’expression littéraire est un acte puissant par
lequel un être construit son identité à la fois
individuellement et collectivement.
Christiane Albert
Durant la seconde moitié du XXe siècle, des aventuriers du langage venus de Chine ont tracé
une voie nouvelle au sein du dédale des lettres françaises. Dai Sijie (1954-) – romancier,
cinéaste, célèbre pour le roman transposé à l’écran Balzac et la Petite Tailleuse chinoise
(Gallimard, 2000) – et Shan Sa (1972-) poétesse et romancière notamment primée pour La
joueuse de Go (Grasset, 2001 Prix Goncourt des Lycéens) – font partie de ces écrivains au
parcours peu anodin, aux côtés de François Cheng (1929-) ou encore Gao Xingjian (1940-),
pour ne citer que les plus célèbres.
Tous deux nés en Chine, ils y ont passé leur enfance et adolescence. Pour des raisons
personnelles qui seront explicitées, ils ont trouvé en l’hexagone une terre d’accueil, et dans la
langue de Molière, un défi à relever. Faisant un pari risqué, ils ont choisi cette dernière
comme outil de travail, et le lectorat français comme interlocuteur privilégié. Effectuant un
grand écart géographique, ils créent un pont linguistique et culturel extraordinaire. Cette
situation, d’équilibriste commis d’office, conduit, il va sans dire, à un positionnement
identitaire spécifique et complexe. La problématique touche ces auteurs en exil sous de
multiples facettes. Nous en analyserons les aspects littéraires et exposerons la manière dont
leur transidentité surgit dans les œuvres romanesques.
Dans une perspective sociologique et sociolinguistique, nous approcherons les auteurs
(Dai Sijie, Shan Sa) et le contexte de production1 pour étudier les différents versants de cette
transidentité : sur le plan de l’énoncé par le caractère complexe de l’altérité ou du Divers2; sur
le pan linguistique par la manière dont le conflit des langues est géré dans l’écriture et
stylistique par la volonté de parer le discours français d’un voile d’étrangèreté ; enfin sous un
angle institutionnel faisant ressortir le problème toujours en débat que posent les étiquettes
« française » ou « francophone ».
De la transidentité
La notion de transidentité est aujourd’hui largement diffusée dans les gender studies, et
comprise comme un changement d’identité sexuelle. Elle peut cependant être prise dans une
acception qui dépasse le critère sexuel pour toucher à d’autres aspects de l’identité et
caractériser la position de l’écrivain dit « francophone » ou, plus largement, l’auteur en
situation de contact des langues et des cultures. Le terme fait écho aux concepts de plus en
1
2
Dominique Maingueneau, Linguistique pour le texte littéraire, Nathan, 2003.
Victor Segalen, Essai sur l’exotisme, Paris, Fata Morgana, 1978.
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plus véhiculés dans les études francophones tels que transculturalité, transnationalité, ou
transterritorialité.
La question de l’identité de l’écrivain francophone a été abordée à maintes reprises et sa
complexité n’est plus à établir. Les propos de Christiane Albert présentant les Actes du
colloque « Francophonie et Identités Culturelles » en annoncent la consistance : « Ainsi le
rapport qui s’établit, dans le cadre de la francophonie, entre la langue, l’histoire et l’identité
est un rapport complexe, qui se donne à lire dans un contexte multiculturel3. »
Selon Daniel Delas « l’écrivain francophone est et n’est pas un étranger4 ». Pour
reprendre les propos d’Azade Seyhan, l’auteur en situation d’exil5 est « neither here nor
there6 ». Il est in-between, vivant et produisant sur un point d’intersection linguistique et
culturelle, il a « l’obligation de jouer en partie double, d’être ici et ailleurs, d’occuper deux
lieux à la fois ce qui le contraint à rester dans l’entre-deux7 ». Citons encore Josias
Semunjanga évoquant une dualité identitaire attachée, spécifiquement, à une situation
postcoloniale mais adaptable à tout auteur « excentrique8 » : « Dans le contexte postcolonial,
la quête identitaire n’est pas seulement ambivalente, elle est aussi dualiste dans la mesure où
le sujet postcolonial a hérité aussi bien que de la culture de l’ex-métropole par la scolarisation,
les médias, la culture, ou les arts9. »
L’auteur en situation de bi- ou plurilinguisme et d’hétérogénéité culturelle présente une
identité « par-delà » – d’où le préfixe « trans- » – qui se manifeste, par voie littéraire, dans la
langue, le style, les thèmes et les classifications théoriques. Il ne peut entrer dans un cadre
national, culturel, ou linguistique défini selon des catégories rigides et indépassables. Le
concept de transidentité est donc ici posé comme caractéristique d’un individu, qui par un
processus d’acculturation associé à des situations de colonisation, post-colonisation ou d’exil,
se retrouve à la croisée de plusieurs langues et/ou cultures, défiant par ses œuvres littéraires la
territorialité de la littérature. Il joue et se joue de l’Ici et de l’Ailleurs, savoure le Divers10 en
mouvement, et ses œuvres appellent une analyse éclairée, c’est-à-dire, transculturelle.
De la Chine à la France : précisions biographiques et définition du corpus
Dai Sijie et Shan Sa, par lesquels nous illustrons la notion, arborent cette caractéristique de
transidentité. Ils connaissent deux cultures, se servent de deux langues, et produisent des
œuvres qui s’en ressentent. Pour appréhender correctement la situation des auteurs, leur
regard sur la langue d’écriture et le contexte de production, nous proposons quelques éléments
biographiques. Cet éclairage nous permet de présenter le corpus sur lequel s’appuient nos
considérations.
Dai Sijie (1954-) est issu d’une famille bourgeoise de la province de Fujian. Subissant
les affres de la Révolution culturelle durant son adolescence, le jeune « intellectuel
bourgeois » est envoyé en rééducation dans un village des montagnes du Sichuan (19711974). Ce déplacement forcé lui permit d’entrer en contact avec la littérature française grâce à
3
Christiane Albert (dir.), Francophonie et identités culturelles, Paris, Karthala, 1999, p. 9.
Daniel Delas « Étrangèreté » in Michel Beniamino, Lise Gauvin (dir.), Vocabulaire des études francophones.
Les concepts de base, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2005, p. 73.
5
L’exil chez Seyhan implique un déplacement géographique mais nous pouvons l’envisager comme exil
purement linguistique, reprenant l’idée d’« exilé du langage » (cf. Anne-Rosine Delbart, Les Exilés du langage.
Un siècle d’écrivains français venus d’ailleurs [1919-2000], Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2005).
6
Azade Seyhan, Writing Outside the Nation, New York, Princeton University Press, 2000, p. 11.
7
Marie Dollé, L’imaginaire des langues, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 13.
8
Anne-Rosine Delbart, op. cit., p. 49.
9
Josias Semunjanga, « Identité culturelle », in Michel Beniamino, Lise Gauvin (dir.), op. cit., p. 97.
10
Victor Segalen, op. cit.
4
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la découverte de livres interdits possédés par un rééduqué d’une bourgade voisine. Cette prise
de contact, largement exposée dans le roman Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, le guide
vers des cours de français lors de son retour dans la vie estudiantine à côté d’un cursus
d’histoire de l’art. Et lorsqu’il remporte un concours national lui offrant une bourse d’étude à
l’étranger (1986), il choisit la France, où il se lance très vite dans l’écriture de scénarios puis
de romans. Il est actuellement l’auteur de quatre œuvres romanesques en langue française sur
lesquels se base notre réflexion : Balzac et la Petite Tailleuse chinoise (Gallimard, 2000), Le
complexe de Di (Gallimard, 2003), Par une nuit où la lune ne s’est pas levée (Gallimard,
2007), et L’acrobatie aérienne de Confucius (Flammarion, 2009).
Shan Sa (1972-) est née de parents intellectuels à Pékin. Poussée par sa mère dès son
plus jeune âge, elle écrit et publie des poèmes, d’abord dans des revues, jusqu’à l’édition d’un
recueil (1983) intitulés les Poèmes de Yan Ni. En 1987, elle devient membre de l’association
des écrivains de Pékin. Suivent deux autres œuvres poétiques en chinois : La libellule rouge
(Éditions des Nouveaux Bourgeons, 1988), Neige (Éditions des Enfants de Shanghai, 1989),
ainsi qu’un recueil de nouvelles destiné aux enfants : Que le printemps revienne (Éditions des
Enfants de Si Chuan, 1990). La vie de l’auteure est bouleversée par les événements de la
place Tian’an-men en 1989, auxquels elle a assisté aux premières loges, en tant qu’étudiante
impliquée dans les manifestations. Dégoûtée et amère, elle choisit de quitter le pays et de
rejoindre son père, alors professeur à la Sorbonne. Décidée à poursuivre la carrière d’écrivain
entamée dans sa patrie, elle se tourne vers la langue française, l’appréhende, l’apprend et la
prend tant et si bien que sa bibliographie en français, outre un ouvrage sur la calligraphie, un
recueil de nouvelles et une œuvre poétique, compte aujourd’hui cinq romans : Porte de la
Paix Céleste (Rocher, 1997), La joueuse de Go (Grasset, 2001), Impératrice (Albin Michel,
2003), Les conspirateurs (Albin Michel, 2005), Alexandre et Alestria (Albin Michel, 2006).
Altérité et Divers
Bien installés dans l’hexagone, tous deux connaissent une situation d’exil au sein d’une
société aux antipodes culturels et linguistiques de leur patrie. Pour garder un lien d’encre et de
papier avec celle-ci mais aussi pour jouir de la liberté offerte par l’écriture en français en
racontant son vécu, en relatant des événements gommés ou enjolivés par la propagande, ils
laissent transparaître leurs origines dans les textes et proposent volontiers des histoires de
Chinois sur fond de Chine.
Toutefois, l’auteur choisissant l’idiome du pays d’accueil, répondant à un « horizon
d’attente11 », vise un public qui ne dispose pas de tous les éléments nécessaires à la
compréhension d’un univers qui lui échappe. Il importe que l’écrivain se fasse, pour reprendre
l’expression de Jean-Marc Moura, « l’anthropologue de sa propre culture12 » et introduise un
indispensable ethnotexte, c’est-à-dire un « ensemble de vignettes explicatives consacrées à la
réalité ethno-culturelle » du pays d’origine. Nombreuses sont les assertions éclairantes faisant
référence au quotidien chinois, mœurs et coutumes sont exposées et commentées dans des
propositions commençant par « En Chine », « Les Chinois », « Chez les Chinois », « Tous
ceux qui vivent en Chine », « Les Asiatiques », « La coutume locale », etc.
Prenant cette position d’entre-deux, mais aussi par l’éloignement dans l’espace et la
découverte de nouveaux codes culturels et sociétaux appréhendés en France qui font office de
contrastes, les auteurs portent un autre regard sur leur patrie. L’essai L’Orientalisme contient
une affirmation intéressante à cet égard : « Plus on est capable de quitter sa patrie culturelle,
11
12
Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978.
Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo, « Ethnotexte » in Michel Beniamino, Lise Gauvin (dir.), op.cit., p. 69.
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plus on a de facilités à la juger13. » Se positionnant dans l’espace français ou francophone et
choisissant le lectorat français comme destinataire privilégié, l’auteur voit sa vision se
modifier. L’altérité change de côté et l’autre change de costume : « Aussi l’immigré est-il un
personnage problématique qui met en scène ce qui se joue dans la relation avec l’Autre et
ouvre ainsi une véritable réflexion sur l’altérité en même temps qu’il pose la question des
origines ou de la perte des origines14. »
L’autre n’est plus tellement le Français mais plutôt le Chinois devenu lointain. Le
Divers prend un autre visage, celui du pays de l’enfance qui, par un processus de comparaison
induit par la situation des auteurs, semble différent, voire curieux. Les propos de Segalen tiré
de l’Essai sur l’Exotisme sont éloquents à cet égard.
L’exote du creux de sa motte de terre patriarcale, appelle, désire, subodore des au-delà.
Mais habitant ces au-delà, – tout en les enfermant, les embrassant, les savourant, voici la
Motte, le Terroir qui devient tout à coup et puissamment Divers. De ce double jeu
balancé, une inlassable, intarissable diversité15.
Les textes s’en ressentent. Les auteurs n’écrivent pas comme des Français natifs, ni
comme des Chinois en Chine. Le regard qu’ils portent sur l’une des cultures est tributaire du
miroir de l’autre. L’extrait suivant, tiré des Conspirateurs de Shan Sa, est représentatif de
cette prise de distance en même temps que de la conscience de la vision des Occidentaux sur
la Chine. Les propos sont tenus par l’héroïne Ayamei, chinoise exilée en France depuis 1989.
La Chine a évolué depuis 1989. Le clan des réformistes a gagné et deux générations de
dirigeants, après Deng Xiaoping, ont poursuivi le développement de l’économie. La
Chine est devenue une puissance qui compte parmi les grands. En Occident, un Chinois
n’est plus un démuni, un opprimé qui inspire la pitié, il est considéré comme un acheteur,
un investisseur et un partenaire potentiel auquel il faut faire la cour. Le peuple chinois est
indifférent au discours sur les Droits de l’homme, il veut s’acheter une maison, s’offrir
une voiture et se faire masser par des filles tout en regardant la télévision, c’est cela son
droit de l’homme ! C’est pourquoi la Chine a rejoint l’organisation mondiale du
commerce où seules comptent la croissance économique et la frénésie consommatrice. La
Chine s’est éveillée mais elle a perdu son âme16 !
Le processus de distanciation débouche chez Shan Sa sur une critique sévère de la
société chinoise qui passe par l’exposé des événements tragiques de Tian’an-men dans Porte
de la Paix Céleste ou Les conspirateurs, ou par la mise en œuvre d’une atmosphère
globalement négative, sombre, triste, qui caractérise l’ensemble de ses romans comme
symbole d’un bonheur impossible en Chine. Les œuvres de Dai Sijie, dont la première a pu
être traduite et publiée en Chine, sont quant à elles caractérisées par une forte dose d’humour,
d’ironie et de dérision, grossissant les traits d’un empire du Milieu bizarre autant qu’étrange
dont l’arriération est mise au-devant de la scène. Le complexe de Di est le roman le plus
représentatif de cette tendance qui y atteint son paroxysme dans ce récit épique où les
curiosités et absurdités s’enchaînent page après page. On y trouvera par exemple, des
informations sur les règles en vigueur dans le domaine de la corruption comme l’illustre
l’extrait ci-dessous.
Cette fente discrète, à peine perceptible, était le signe secret que l’on acceptait de recevoir
une lettre de créance. Conventionnellement, le corrupteur devait y glisser une enveloppe
13
Edward Saïd, Orientalisme, L’Orient vu par L’Occident, Paris, Seuil, 1997, p. 290.
Christiane Albert, L’immigration dans le roman francophone contemporain, Paris, Karthala, 2005, p. 17.
15
Victor Segalen, op. cit., p. 290.
16
Shan Sa, Les Conspirateurs, Paris, Albin Michel, 2005, p. 89-90.
14
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rouge contenant le pot-de-vin et conformément à la règle, le bénéficiaire faisait semblant
de n’avoir rien vu17.
Le ton se veut ironique, les termes « conventionnellement » et « conformément à la
règle », vocabulaire presque législatif pour une action moralement douteuse, en sont les
indices. Tout au long du récit, le héros parcourt la province du Sichuan qui révèle ainsi de
bien curieux atours présentés comme « normaux » par le narrateur naïf, comme cet endroit où
les dames riches peuvent s’acheter des femmes de ménage. On notera notamment l’ironie
présente dans le nom de la rue : le Grand Bon en Avant alors que ce centre d’achats contribue
à la mise en scène d’une société arriérée.
Situé au pied d’une montagne rocheuse, le marché aux femmes de ménage occupait
entièrement une ruelle pavée, en pente douce, qui avait gardé le nom dont on l’avait
baptisé à l’époque de la Révolution : la rue du Grand Bon en Avant. Elle longeait le
fleuve Yangzi, souvent couvert de brouillard, par lequel les maîtresses de maison, des
citadines pour la plupart, venaient chercher des domestiques. Après avoir garé leur
voiture sur la rive opposée, elles traversaient le fleuve sur de petites barques à moteur,
entraient dans la ruelle, et comme un marché aux légumes, comparaient la marchandise et
chicanaient sur le tarif18.
La transidentité des auteurs se révèle au sein des récits et conditionne le décor, l’intrigue
et les personnages qui se colorent en fonction du contexte de production. Il importe donc que
l’étude de l’énoncé passe par une approche sociologique qui rende compte du parcours de
l’écrivain. De la même manière, une étude sociolinguistique s’avère éclairante pour une
analyse des faits de langues et des effets de style.
Langue d’accueil, langue accueillie ?
Le côté optionnel et individuel de la prise de position linguistique des auteurs engendre un
principe de création essentiel : le respect. La langue de l’Autre ne s’est pas imposée. Ils l’ont
abordée, empruntée. Position d’autant plus obligeante que l’Autre, le francophone, constitue
le public principalement visé. Ceci dit, la « surconscience linguistique » de l’écrivain
francophone, pour reprendre la dénomination de Lise Gauvin, ne saurait être ignorée. Lors
d’une interview qui suivit la sortie du roman, La joueuse de Go, Shan Sa a parlé de son style
en des termes qui retiennent notre attention.
Écrire en français c’était pour moi la meilleure façon de faire le pont entre la Chine et la
France. […] Et j’espère que cette langue française est écrite de telle manière qu’à travers
elle, on aperçoit ce qu’est la langue chinoise. C’est peut-être là ce qui fait le style de tous
mes livres19.
Bien que jonglant avec deux idiomes diamétralement opposés, les écrivains se
présentent effectivement comme bâtisseurs de passerelles linguistiques, tout en gardant un
regard scolaire sur la langue d’accueil. Et cette ambivalence donne lieu à une écriture, qui,
loin d’être métissée, se pare d’une ombre chinoise en filigrane. Subtilement, les lignes
françaises se parfument de Chine et se voient marquées du souvenir d’une langue visuelle,
d’une écriture imagée et poétique.
La dimension respectueuse s’affirme et se remarque au niveau lexical. En effet, le
codeswitching ou procédé d’alternance n’est que peu plébiscité. Les mots en chinois (pinyin)
sont distribués avec parcimonie et dans une position d’« encastrement morphosyntaxique » ou
17
Dai Sijie, Le Complexe de Di, Paris, Folio, 2005, p. 104.
Dai Sijie, ibid., p. 150.
19
http://www.zone-litteraire.com/entretiens.php?art_id=330
18
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« matrix language frame20 ». La langue matrice, le français, fournit à la langue encastrée, le
chinois, le cadre morphosyntaxique. La syntaxe n’est donc pas perturbée, garantissant
accessibilité et lisibilité au public francophone. De plus, la permutation linguistique est
aisément justifiable. La langue française ne peut désigner avec précision des items spécifiques
à la culture d’origine des auteurs. Noms propres (personnes, lieux, dates), nourriture,
habillement, fêtes et coutumes, faune et flore, sont autant de réalités quotidiennes, typiques,
qui appellent l’utilisation de mots chinois. Pratiquement nécessaires dans des récits ancrés
dans un décor chinois largement proposés par les deux auteurs, ils constituent le facteur non
négligeable d’authentification de récits qui accueillent volontiers ce type d’intrusion. Utilité,
imbrication et discrétion se présentent donc comme les conditions d’apparition du mot
étranger, qui bien souvent d’ailleurs s’efface derrière un calque français, témoignant d’une
volonté d’appropriation linguistique maximale.
Ceci dit, la plume des auteurs est pourtant pétrie d’étrangèreté, amenée par les traits
particuliers de l’écriture chinoise qui ont conditionné le regard littéraire des auteurs jusqu’à
l’âge adulte. La langue française devient ainsi, pour reprendre les propos de Daniel Delas,
« un lieu de rencontre plutôt que le temple d’une identité permanente21 ». La visualité des
idéogrammes, le système fonctionnant par association de caractères porteurs de son et de
sens, parfois imagés, parfois symboliques, a favorisé l’influence de la dimension poétique
dans toute production artistique et littéraire. De plus, la calligraphie se plaçant au cœur d’un
« système sémiotique fondé sur une relation intime avec le réel en sorte qu’il n’y ait pas de
rupture entre signes et monde22 » contribue à renforcer la puissance poétique des mots. Par
ailleurs, par le truchement de cet art visuel traditionnel, le lien entre écriture et peinture s’est
également vu consolidé.
Ajoutons à cette tripartite, la proximité existant entre l’écriture et la musique, liée au
caractère monosyllabiques des idéogrammes voués à la mise en place de constructions
rythmées. En outre, la présence de tons dans la langue parlée reflète la dimension musicale de
toute prise de parole ou lecture de texte.
En Chine, les arts ne sont pas compartimentés : un artiste s’adonne à la triple pratique
poésie-calligraphie-peinture comme à un art complet où toutes les dimensions spirituelles
de son être sont exploitées : chant linéaire et figuration spatiale, gestes incantatoires et
paroles visualisées23.
L’analyse stylistique éclairée par ces observations fait ressortir, chez les auteurs, des
singularités remarquables. Nous exposons à présent ces procédés stylistiques, représentatifs
d’un mariage délicat entre deux langues qui habitent les écrivains, et témoins de la nécessité
d’un regard analytique transculturel.
Shan Sa : une poésie venue d’ailleurs
Les romans de Shan Sa présentent, de manière générale, un haut degré de poésie. Plus timide,
il est vrai, dans ses premiers récits24, l’auteure s’envole de romans en romans, vers cette
prédisposition jusqu’à proposer un roman sous la forme d’une sorte de long poème en prose :
Alexandre et Alestria (Albin Michel, 2006). Rimes, assonances, allitération, asyndètes,
20
Carol Myers-Scotton, Duelling Languages. Grammatical Structure in Codeswitching, Oxford, Clarendon
Press, 1993.
21
Daniel Delas, op. cit.
22
François Cheng, L’écriture poétique chinoise, suivi d’une anthologie des poèmes des Tang, Paris, Éditions du
Seuil, 2006, p. 13.
23
Ibid., p. 15.
24
La poésie se fait véritablement apparente à partir de La Joueuse de Go (Grasset, 2001).
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polysyndètes, répétitions, anaphores sont autant de figures qui s’offrent généreusement et
immanquablement à la vue du lecteur, particulièrement dans ce dernier roman où anaphores,
phrases nominales en asyndètes, énumérations, rimes et allitérations ne cessent de
s’enchaîner.
Te souviens-tu, Hephaestion, de nos jeunes années où nous courions où nous courions
dans la forêt comme des faons ?
Te souviens-tu, Hephaestion, de notre première étreinte ?
Te souviens-tu, Hephaestion, de ce rayon de soleil qui entrait par le grand portail du
temple et de ce tapis de lumière qu’il déroulait à nos pieds25 !
Hennissements des chevaux.
Roulis des carrosses.
Cris des cochers26.
Leurs crinières éparpillaient une pluie de sang. Le hurlement des hommes se mêlait au
hennissement de leurs coursiers qui tombaient pour ne plus se relever. Les flèches
sifflaient. Les lances, les boucliers, les massues, les tridents, les haches, les fouets de fer
étincelaient. Là où les armes brillaient, le sang giclait, les organes se répandaient, les
membres et les têtes se brisaient. L’odeur de la sueur et du sang me suffoquaient27.
Le bruissement des habits et le claquement des chaussures se mêlaient au tintement des
verres, au trottinement des chevaux, au brouhaha des conversations, au tintamarre des
maisons qui s’élevaient28.
Ces quelques extraits se perdent au milieu d’une foule d’exemples dans ce roman qui
constitue l’apogée de l’ascension littéraire de l’auteure vers le pic de la poésie. Ils sont, tout
autant, représentatif d’un penchant global qui anime les romans de l’auteure.
Une figure fréquemment rencontrée dans les romans de Shan Sa attire également
l’attention compte tenu du caractère imagé de la langue chinoise, évoqué ci-dessus : la
métaphore. Véritable porte-drapeau de la poésie chinoise, où elle trouve sa résidence
permanente, celle-ci est propulsée au-devant de la scène par le système idéographique.
« Chaque idéogramme est d’une certaine manière une métaphore en puissance29 » on en
trouve aisément dans la langue ordinaire ; on en retrouve, transcendées, dans la poésie.
Petite Sœur m’aimait plus que je ne l’avais aimée. J’étais l’arbre qui avait étendu son
feuillage sur le royaume de sa vie. Elle était une passagère qui s’était blottie sous mon
ombrage. Sans moi, elle se dessécherait30.
La vie quotidienne me noyait dans ses vagues31.
Le retour à la vie normale est aussi imperceptible qu’un battement de cils32.
La nuit était à mes pieds et des lumières scintillaient, ici et là comme les feux des bateaux
25
Shan Sa, Alexandre et Alestria, Paris, Albin Michel, 2006, p. 30.
Ibid., p. 21.
27
Ibid., p. 69.
28
Ibid., p. 74.
29
François Cheng, op. cit., p. 94.
30
Shan Sa, Impératrice, Paris, Le Livre de Poche, 2004, p. 56.
31
Ibid., p. 249.
32
Shan Sa, Porte de la Paix Céleste, Paris, Folio, 2002, p. 79.
26
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sur un océan sombre33.
Le cœur du soleil était un lac où bouillonnaient des larves cramoisies34.
Métaphores simples, filées, comparaisons métaphoriques abondent dans les œuvres de
Shan Sa même s’il s’agit d’évoquer la réalité la plus banale, mettant en avant l’automaticité
de cette construction dans le langage chinois. Nous verrons que Dai Sijie en est tout aussi
friand.
Enfin, on observe des occurrences répétées de transposition d’art, amenant la présence
de petits tableaux décorant la narration, et rappelant la proximité de l’écriture et de la peinture
chez les lettrés chinois. Précision descriptive, utilisation de couleurs, et pause narrative
permettent à l’auteure de dessiner par les mots et d’offrir au lecteur de petits portraits
imbriqués dans le récit (à nouveau présents en grand nombre dans Alexandre et Alestria).
L’obscurité du salon me rappelle la chambre à coucher de chez Jing, sombre comme un
tombeau impérial : les meubles laqués noirs exhalent un parfum lourd, les fissures au mur
dessinent des fresques mystérieuses. Le lit recouvert d’une soie cramoisie brodée d’or est
un brasier éternel35.
Le palais de la Rosée Précieuse exhibait ses parterres d’iris et d’orchidées. Ses plafonds,
hauts comme la voûte céleste, ses rideaux de perles, ses paravents calligraphiés, ses
galeries sinueuses, formaient le labyrinthe des intrigues. Ses portes innombrables
s’ouvraient sur un bout de ciel, un toit incliné, une fenêtre en forme de lune, une rocaille
tourmentée par les glycines, un étang émeraude où dansaient des grues blanches36.
D’un côté les Macédoniens et les Grecs, tête nue, tunique de lin, qui dénudaient les bras,
les épaules et les jambes. Leurs sandales de cuir montraient des pieds poilus et des orteils
aux ongles noirs. De l’autre, des fonctionnaires perses, coiffés de turbans, enveloppés de
brocart qui retombait sur des chaussures brodées de fil d’or37.
Le lien écrivain-poète-peintre s’esquisse ainsi dans l’écriture romanesque de l’auteure,
témoignant de l’importance, pour l’analyse, de l’éclairage fourni par un bagage théorique sur
la langue chinoise. Aussi la notion de stylistique interculturelle ou transculturelle trouve ici
tout son sens. La patte littéraire de Shan Sa ne peut totalement être appréhendée, expliquée,
sans un regard tourné vers ses origines.
Dai Sijie ou l’œil du « peintre inspiré »
La spécificité de l’écriture de Dai Sijie repose sur le caractère poétique et complexe des
passages descriptifs, qui sont autant de tableaux bigarrés conçus sur un mode impressionniste.
La poésie ainsi mise en place par l’auteur se déploie à travers l’utilisation de métaphores,
personnifications, de jeux sur les couleurs et les sonorités, qui, par leur présence au fil des
pages, confèrent aux romans – dont le thème peut être rude – un visage délicat et harmonieux.
La phrase qui ouvre l’incipit du Complexe de Di constitue une bonne illustration de ce
phénomène stylistique.
Une chaîne de fer recouverte de plastique translucide rose se reflète, tel un serpent
luisant, dans la vitre d’un wagon derrière laquelle des feux de signalisation se rétrécissent
33
Ibid., p. 199.
Shan Sa, Alexandre et Alestria, op. cit., p. 135.
35
Shan Sa, Porte de la Paix Céleste, op. cit., p. 179.
36
Shan Sa, Impératrice, op. cit., p. 107.
37
Shan Sa, Alexandre et Alestria, op. cit., p. 76.
34
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en des points émeraude et rubis et sont engloutis par la brume d’une chaude nuit de
juillet38.
La description d’une scène nocturne, vue depuis la fenêtre d’un train, passe par une
sorte de flou artistique (appuyé par la « brume ») aux teintes éblouissantes. Les suivantes,
empruntées au roman Par une nuit où la lune ne s’est pas levée, figurent également cet arrêt
sur image, ici plus appuyé encore, conduisant à une esquisse bariolée et mélodieuse,
dégageant une atmosphère et un son particuliers.
La tête de l’oiseau, peinte en couleurs transparentes, avec des ombres délicatement
dégradées, un rendu anatomique détaillé et naturel, cette tête fragile, vibrante, empreinte
d’une profonde solitude, renvoyait à l’empereur sa propre image de petit garçon de trois
ans juché sur un trône d’or filigrané porté par quatre dragons entrelacés, qui s’élevait à
une hauteur que l’œil de l’enfant avait peine à atteindre, ce trône sur lequel il lui avait
semblé que son corps sans poids se transformait en celui d’un petit oiseau blotti sur un
nid haut perché, dans cette salle d’audience où régnait un froid glacial et si paradoxal que
cela pût paraître, un silence de mort, où les cris assourdissants des milliers de courtisans
qui se prosternaient devant lui retentissaient comme dans un gouffre énorme, pour se
confondre en de longs échos sombres et effrayants39.
On notera que l’objet, le petit oiseau, est à l’origine d’un exposé détaillé, mais pas assez
précis pour que le lecteur puisse l’apercevoir entre les lignes. Les formes sont suggérées et
tracées dans le texte, comme le serait un trait de calligramme, à la fois porteur de sens et
empreint d’abstraction. Au gré des métaphores – figure liant les mots à l’image – les éléments
s’enchaînent et se bousculent jusqu’à finir en un « brouhaha silencieux », symbole de cette
soigneuse confusion.
Mon souvenir le plus vif de cette visite est un jardin suspendu au flanc d’une falaise ;
lorsqu’on y descendit par un sentier peu fréquenté et très boisé, le soleil fit une timide
apparition puis déchira subitement les nuages et monta en puissance jusqu’à ce que le
jardin luisît au cœur d’une végétation vert sombre tel un îlot de sable baigné de lumière.
C’était un jardin sans fleur ni plante uniquement constitué de minuscules cailloux
glissants, minutieusement alignés de manière à créer une illusion de vagues ondulantes
poussées les unes par les autres et dont il me semblait entendre le bruit de l’étreinte
comme un murmure de flots qui s’interpellent40.
Nous retrouvons à nouveau, les mêmes effets de style, le même jeu sur les couleurs, les
métaphores et le bruit. Et cette combinaison d’éléments se pose en témoin des origines de
l’auteur et permet au texte de se colorer d’un voile de Chine. À la lecture des romans, on ne
manquera pas de percevoir une progression vers cette tendance. Moins affirmés dans les
premiers pas de l’auteur, ce genre de passages descriptifs voit accroître sa présence et sa
longueur au fil des œuvres. Nous en proposons une dernière illustration tirée de L’acrobatie
aérienne de Confucius.
D’abord, les volumes concernant le ciel sur des étagères peintes du beau jaune de l’or pur,
la couleur des robes de l’empereur. Le matin, dans la lumière tamisée de la tente –
souvenez-vous qu’elle était en toile verte – ils se paraient des reflets sombres du fleuve
Jaune, que tachetaient des îlots formés par le caractère écrit des étiquettes ; à midi ils
évoquaient les topazes brûlées, et le soir, les rizières à la saison des récoltes, leurs pailles
de riz luisant sur le couchant. Après minuit, quand le dernier lecteur s’était retiré, que les
lampes étaient éteintes, et que seul le clair de lune pénétrait dans la tente, tous ces écrits
sur la voûte universelle, le gouvernement céleste, le registre des destins, l’art de la
divination d’après les nuages, tous ces livres traitant des planètes, du soleil, de la lune,
38
Dai Sijie, Le Complexe de Di, Paris, Folio, 2005, p. 11.
Dai Sijie, Par une nuit où la lune ne s’est pas levée, Paris, Gallimard, 2007, p. 27.
40
Ibid., p. 128.
39
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des astres, de l’origine du cosmos, du paradis, etc., qui dormaient sur les rayons jaunes, se
teintaient d’améthyste41.
Le tableau en mouvement, rendu par les flots d’une prose haletante, apparaît comme un
kaléidoscope coloré et métaphorique dont les teintes et aspects se muent sans cesse sous
l’influence d’un formidable jeu de lumière.
La prose de Dai Sijie renferme ainsi ces peintures narratives particulières, qui se
profilent à foison au sein des œuvres, et affirment la spécificité de la plume de l’auteur. Et
cette propension à l’usage des métaphores, à la précision des couleurs, et des sonorités qui
composent des passages d’une grande poésie donne à l’écriture – au vu des considérations
exposées plus haut – un goût venu d’ailleurs.
Des écrivains en transit ?
L’originalité du parcours des écrivains et la spécificité de leur production littéraire créent une
difficulté de classement des œuvres et des auteurs eux-mêmes. Il est malaisé de parler de
littérature chinoise d’expression française : les auteurs écrivent en France, pour un public
français et, les thèmes abordés et le ton proposé décourageant les éditeurs, ne sont que très
peu « exportés » vers la Chine. D’un autre côté, les portes de la littérature « française » ne leur
sont pas ouvertes. Ils restent ainsi, en transit, errant entre des catégories nationales qui ont
atteint leurs limites. Aussi sont-ils placés dans un ensemble hétéroclite dans lequel ils
retrouvent tout autre écrivain d’expression française venu d’ailleurs : la ou les littératures
« francophone(s) ».
Cette zone tampon fait figure de purgatoire où se rencontrent nombre d’écrivains qui
« n’entrent pas dans les rangs » territoriaux de la littérature. Cependant, à l’heure d’une
globalisation évidente et toujours en expansion, elle se pose en témoin de l’impossibilité de
contenir des objets de création dans des considérations nationales. Dai Sijie et Shan Sa,
auteurs francophones ? Pas faux en soi, mais l’appellation comporte une connotation
dévalorisante supposant leur « classement » au sein d’une catégorie floue et bigarrée qui les
dépose à la porte d’une sacro-sainte littérature française. La notion montre ses faiblesses et
démontre un besoin de repenser les catégorisations en sortant des frontières étatiques. À
terme, il nous semble opportun d’aller vers une littérature française « globale » au sein de
laquelle se définissent des sous-ensembles cohérents. Effectuer cette avancée, c’est
reconnaître la transidentité des auteurs et répondre aux défis de la mondialisation.
De la nécessité d’un décloisonnement : transterritorialité et transdisciplinarité
Pour conclure, nous insisterons sur l’importance de la prise en compte du caractère
transnational de certains auteurs et œuvres qui induit d’une part, dans l’analyse, l’utilité d’un
regard éclairé par le miroir de l’Autre, et d’autre part, la nécessité de décloisonnement des
catégories territoriales.
Par ailleurs, afin de saisir au mieux la complexité et la diversité résidant dans les
productions des auteurs, la transdisciplinarité comprenant des axes sociologique, littéraire et
linguistique se pose ici comme fondamentale. Une approche « trans- », multiple et éclairée
s’avère indispensable pour cerner des auteurs « trans- », ces écrivains qui comme Shan Sa et
Dai Sijie, sont au cœur d’un formidable dialogue.
41
Dai Sijie, L’acrobatie aérienne de Confucius, Paris, Flammarion, 2009, p. 74.
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