investissements guidés par le passif

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investissements guidés par le passif
Mythes et réalités des
investissements guidés par le passif L’
investissement guidé par le passif (IGP) n’est pas un
concept nouveau; il s’agit d’une philosophie de
gestion qui est utilisée depuis longtemps, notamment
par les compagnies d’assurance. Toutefois, plusieurs
facteurs ont fait en sorte de rehausser la popularité
de l’IGP pour les caisses de retraite lors des dernières
années. Parmi ceux-ci, notons la dégradation de la
situation financière et l’augmentation de la maturité des caisses de retraite, le
faible niveau des taux d’intérêt, un marché boursier à la baisse ainsi que
l’émergence de nouvelles normes comptables.
par Claude Turcot
L’IGP permet de focaliser sur la
mission première du fonds de pension :
payer des prestations de retraite. Le fait
d’inclure le passif dans la modélisation
donne une toute autre perspective et peut
avoir un impact majeur sur les décisions
à prendre. Par exemple, imaginons le cas
d’une caisse de retraite qui n’aurait qu’une
seule classe d’actif, et faisons l’hypothèse
que cette classe d’actif a une corrélation
de 1 avec le passif et la même volatilité
que celui-ci. Il est fréquent de vouloir
ajouter des actifs non-corrélés avec les
actifs existants pour fins de diversification et de réduction de risque.
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Dans notre exemple, il serait au
contraire risqué d’ajouter un actif noncorrélé puisque les actifs existants sont
parfaitement corrélés avec le passif. On
peut tout de même vouloir ajouter cet
actif, non pas pour réduire le risque, mais
plutôt parce que l’on pense que l’accroissement du risque est compensé par un
rendement plus élevé.
Pas de l’immunisation
Clarifions une idée fausse largement
répandue : l’IGP n’est pas de l’immuni­
sation ! L’objectif de l’IGP n’est pas
nécessairement d’éliminer les risques,
AVANTAGES
mais plutôt de sélectionner le niveau
et la source des risques en fonction du
budget de risque de la caisse de retraite.
Il s’agit d’éliminer les risques non
rémunérés sans nécessairement réduire
le potentiel de rendement.
Il faut bien comprendre que l’IGP
ne change rien au principe suivant : le
rendement anticipé est fonction du risque
que l’on accepte de prendre. L’IGP
permet au comité de retraite de mieux
cerner les risques. Si celui-ci décide de
réduire son budget de risque, la réduction
du rendement anticipé n’est pas du à
l’IGP, mais bel et bien aux décisions
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Investissements guidés par le passif
prises à la suite d’une meilleure connaissance des enjeux financiers.
Si nous désirons résumer l’IGP en
une seule équation, nous obtenons
l’équation suivante :
IGP = X % (portefeuille réplicatif)
+ Y % (portefeuilles
productifs d’alpha/bêta)
Il est maintenant clair que l’immuni­
sation est un sous-ensemble de l’IGP :
nous obtenons de l’immunisation
seulement lorsque X=100 et Y=0. De
plus, on s’aperçoit que l’on peut utiliser
un effet de levier en s’assurant que (X +
Y) > 100.
Implanter une stratégie IGP
en 4 étapes
Il est important de rappeler que l’IGP
n’est pas une stratégie d’investissement
mais un processus. La première étape
du processus consiste pour le comité
de retraite à bien définir ses objectifs,
que cela soit en terme de conservation
de surplus, de stabilité des cotisations,
de ratio de solvabilité, ou autres. À cette
étape, il doit aussi décider du budget de
risque. Si l’on se reporte à notre équation
de l’IGP, ces décisions auront un impact
sur les variables X et Y, c’est-à-dire sur
les pondérations accordées aux différents
portefeuilles.
Par la suite, il faut s’assurer de bien
comprendre la nature du passif et les
risques qui y sont reliés. Tous les passifs
ne sont pas nés égaux ! Par exemple, on
n’aborde pas un passif composé de
prestations reliées à un salaire final de
la même façon qu’un passif dont les
prestations sont composées de montants
nivelés. De même, il importe de savoir
de quelle façon et à quel moment
l’inflation affecte le passif. La démographie du régime est aussi un élément
important. Finalement, il est primordial
de déterminer quel est le passif qui est
le plus préoccupant pour le comité de
retraite : s’agit-il du passif calculé sur
base de valeur marchande, de capitalisation, de solvabilité ou encore de
comptabilité ? Chacun de ces passifs
étant calculés différemment, cette
décision aura un impact majeur sur
la définition du portefeuille réplicatif.
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avril 2008
La troisième étape consiste en
l’établissement de l’indice de référence.
Cette étape est primordiale puisqu’elle
influe directement sur la stratégie
d’investissement. L’indice de référence
doit refléter le passif et tenir compte à
la fois des préoccupations du comité de
retraite et des caractéristiques du régime.
Si les objectifs du comité de retraite
impliquent l’utilisation de levier financier ou de produits dérivés, l’indice de
référence doit en tenir compte, tout
comme il doit tenir compte du fait que
le régime est en surplus ou en déficit.
L’établissement de cet indice de référence
est une tâche complexe; d’autant plus
que l’offre de certains produits financiers
est particulièrement limitée au Canada,
comme c’est le cas pour les obligations
à très long terme, les obligations à rendement réel, les swaps à long terme et les
swaps d’inflation. La tâche est d’autant
plus ardue que dans la plupart des cas, il
ne s’agit pas de couvrir une série de flux
financiers, mais plutôt une méthodologie
d’évaluation actuarielle, méthodologie
ayant parfois des liens très indirects avec
la réalité des marchés financiers.
En dernier lieu, il faut déterminer la
stratégie optimale, c’est-à-dire celle qui
aura la plus haute probabilité que les
objectifs soient atteints, et procéder à sa
mise en œuvre. Il est souvent préférable
de mettre en place la stratégie graduellement. Ainsi en s’attaquant aux risques
non payants en priorité, on peut viser à
réduire les risques sans sacrifier la
performance. Par la suite, on pourra
chercher à améliorer la relation risque/
rendement des portefeuilles.
Un cas concret
Afin de mieux comprendre ce processus,
examinons le cas d’une caisse de retraite
ayant une approche diversifiée. Ainsi,
dans un premier temps, l’élimination
des risques non rémunérés s’effectue en
substituant au portefeuille obligataire,
aligné sur un indice de marché, un
portefeuille obligataire construit en
fonction de l’indice de référence. Par la
suite, on pourra employer des produits
dérivés pour augmenter le ratio de
couverture et ainsi diminuer encore plus
l’exposition aux risques de fluctuations
des taux d’intérêt.
AVANTAGES
Pour la seconde étape visant à
améliorer la relation risque/rendement
de notre portefeuille, nous pourrions
songer à ajuster la politique de répartition
des actifs, soit directement ou encore à
l’aide de produits dérivés. Ensuite, le
comité de retraite pourrait souhaiter
utiliser de nouvelles classes d’actifs afin
de mieux diversifier ses risques tout en
recherchant un rendement excédentaire.
Finalement, des stratégies plus complexes
de transfert d’alpha et de bêta pourraient
être introduites.
Grâce aux ressources dont elles
disposent, les caisses de retraite de taille
moyenne/grande auront plus de facilité
à implanter la solution optimale. Elles
peuvent ainsi utiliser plus facilement
des produits dérivés au comptoir, avoir
accès à certaines classes d’actifs plus
sophistiqués et obtenir la mise en place
d’une solution taillée sur mesure.
Pour ce qui est des caisses de retraite
de taille plus modeste, la situation est un
peu plus problématique. À cause de leur
taille, ces caisses n’ont pas accès à la
gestion distincte. De plus, il leur est plus
difficile dans le contexte canadien d’avoir
recours à des solutions sophistiquées,
voire à du levier financier. La situation
serait meilleure si ces caisses avaient
accès à des fonds communs offrant la
possibilité d’investir des montants à
chaque échéance sur la courbe des taux
de rendements, tel qu’il en existe au
Royaume-Uni. De tels fonds seront
disponibles bientôt au Canada. En
attendant, le portefeuille d’obligations
structuré est au mieux une approximation
bancale du passif à partir d’un mélange
de fonds communs basés sur des indices
de marché.
L’IGP constitue une approche
gagnante permettant de mieux gérer le
risque sans sacrifier le rendement, pourvu
que le bon indice de référence soit utilisé.
De plus, une solution peut généralement
être mise en place en faisant seulement
des changements mineurs à la politique
de placement actuelle. s
Claude Turcot est
premier vice-président chez
Investissements Standard Life.
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