Cathédrales - Savoirs et Perspectives
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Cathédrales - Savoirs et Perspectives
Le 17 avril 2014 Autour de l’exposition « Cathédrales » Romantisme, Impressionnisme, Modernité d’après la conférence de Sylvain Amic, directeur des Musées de Rouen, conservateur en chef du patrimoine, spécialiste de la période contemporaine. Le Musée des Beaux-Arts de Rouen, en collaboration avec la ville de Cologne, accueille une exposition sur le thème des cathédrales dont le but est d’explorer la place et la modernité de celles-ci dans l’imaginaire collectif et le débat national, depuis Goethe et Hugo jusqu’à la Première Guerre mondiale. Sur 1300 m² 180 œuvres couvrant 2 siècles de créations, 60 artistes et 120 objets nous sont présentés avec une grande diversité d’approche et de sensibilité. Deux dates bornes ont été retenues : 1789, début du cataclysme révolutionnaire et 1914, début du premier conflit mondial. L’élan suscité autour du projet témoigne d’un intérêt renouvelé pour ce sujet, autant populaire qu’érudit, art né en France au XIIe mais qui s’est propagé dans la vallée du Rhin et qui fut redécouvert au XIXe après des siècles d’incompréhension. I/ Rappel historique Le Gothique naît au XIIe avec l’abbé Suger qui fait édifier la basilique de Saint-Denis. Longtemps, il est considéré comme l’art des Goths, des barbares et des païens, d’où son nom. Cependant, les premières manifestations d’intérêt apparaissent dans les arts décoratifs au XVe : châsse de saint Taurin (évêque d’Evreux) en forme de cathédrale et retable de la prédication de saint Géry, montrant une vue de la Sylvain Amic - Autour de l’exposition « Cathédrales » Page 1 cathédrale Sainte-Gudule (premier aperçu pictural de l’art gothique). La Renaissance italienne, le Baroque et le Classicisme éloignent pour un temps le goût du Gothique. Le style tombe en désuétude pendant plusieurs siècles. Le mot cathédrale devient un adjectif jusqu’au XVIIIe, époque à laquelle on s’y intéresse à nouveau et où il redevient un substantif (lieu du siège de l’évêque). Paul Delaroche, le premier, réhabilite l’art gothique en le représentant parmi les allégories féminines symbolisant les quatre piliers de l’Art dans sa commande pour l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Cette redécouverte n’est pas sans problème. On ne peut oublier les destructions révolutionnaires dont la Galerie des Rois de Notre-Dame de Paris détruite dans un excès de zèle, par le comité révolutionnaire en 1792, comme étant un symbole de l’origine du droit divin. La cathédrale réapparaît pourtant dans sa fonction politique : une maquette en buis, réalisée à l’occasion du sacre de Charles X en 1825, et la production d’assiettes en céramique de Sèvres en attestent. De la Monarchie à la République, le XIXe et le XXe ont repris l’habitude des célébrations dans les cathédrales : Te Deum, sacres, inhumations, selon des rites immuables. Mais on a su aussi dissocier le sacré de la tradition nationale et de l’Art. II/ Le Romantisme allemand Goethe, subjugué par la cathédrale de Strasbourg, contribue à vouloir faire du Gothique, un art national allemand et un lieu de la tradition germanique. Il écrit dès 1772 : De l’architecture allemande. Si Erwin von Steinbach, architecte à Strasbourg, est censé avoir inventé l’architecture allemande, von Schwind invente sa vie en peignant « Le rêve d’Erwin von Steinbach ». Caspar David Friedrich, grand romantique, fait apparaître la cathédrale comme un rêve nimbé dans la verdure et Carl Friedrich Schinkel donne une vision onirique d’une « Cathédrale au bord de la mer » en 1815. Il réalise aussi d’excellents dessins de la cathédrale de Reims. Dans un tableau de 1839, « Der kӧlner Dom von Westen », Carl Georg Enslen représente la cathédrale de Cologne, en réalité inachevée depuis cinq siècles et qui le sera jusqu’en 1880. III/ Les influences anglaises Contrairement à la France, ce pays n’a jamais coupé avec le Gothique. De nombreux peintres s’y intéressent. Turner peint « Interior of Ely cathedral » en 1797 et « South view from cloisters, Salisbury cathedral » en introduisant le Romantisme fantastique et le goût de la ruine. David Roberts peint le « Porche de la cathédrale de Rouen » en 1831 dans un cadrage repris ultérieurement par Monet. Ainsi, les Anglais introduisent le goût du paysage normand quand les Français préfèrent le paysage italien. Constable dans « Salisbury cathedral from the bishop’s grounds », en 1825, représente de grandes futaies domestiquées où l’homme a sa place. Corot, avec «la collégiale de Mantes » ou « vue de l’intérieur de la cathédrale de Sens » en 1874, renouvelle le paysage et s’intéresse au monumental. Il emprunte au vocabulaire de Constable en mettant un personnage au premier plan. Paul Huet, dans sa « vue générale de Rouen » exécutée en 1831, avec les méandres de la Seine et les falaises, établit un point focal : la cathédrale, dont il reconstitue, de mémoire, la flèche déjà brûlée. IV/ Victor Hugo Pénétré de l’œuvre de Chateaubriand qui a écrit Le génie du Christianisme et à propos duquel il dit : « je serai Chateaubriand ou rien », Victor Hugo remet la cathédrale au goût du jour bien que son prédécesseur l’ait conçu comme un art barbare. Dans « Victor Hugo sur fond de Cathédrale de Reims », Jean Alaux le représente en 1825, jeune écrivain prometteur, en phase avec le goût du Gothique. En effet, il publie Notre-Dame de Paris en 1831 et dessine le frontispice de l’ouvrage. Sylvain Amic - Autour de l’exposition « Cathédrales » Page 2 Cet art le nourrit et il identifie même son livre à l’édifice. Pour Auguste Vacquerie, les tours de Notre-Dame étaient le H de son nom. V/ Arts décoratifs « à la cathédrale » Progressivement, les familles se dotent de décors « cathédrale » comme la princesse Marie d’Orléans, fille de Louis-Philippe, qui fait aménager un salon gothique qui lui sert d’atelier, en 1838, aux Tuileries. On trouve aussi de nombreuses chaises de style gothique chez Honoré Jacob Desmalte, Jeanselme et Beauchesne. Ce nouveau style réinterprète le Gothique, libère la créativité des artistes. On retrouve cette inspiration dans les papiers peints, maquettes, pendules représentant Notre-Dame de Paris dont une donnée à Victor Hugo par son éditeur en 1836, des paires de flacons (1835) de chez Baccarat ou Saint-Louis, des services à thé, des éventails à pointes brisées gothiques. VI/ Naissance de la notion de patrimoine En défendant le vieux Paris contre les modernes, Victor Hugo contribue à la naissance de la notion de patrimoine, défendue également dans Les voyages pittoresques et romantiques de l’ancienne France par Taylor, Nodier et Cailleux qui commencent par la Normandie avec des vues de la cathédrale de Rouen et qui conçoivent un répertoire des monuments. La notion émerge aussi chez les grands romantiques. Prosper Mérimée, inspecteur des monuments historiques, utilise des photos de Bacot et Mieusement, des moulages, des gravures, des dessins de Ruskin (dont les quadrilobes du portail des libraires à Rouen que Proust viendra observer plus tard). Si Ruskin défend l’idée de préserver le monument sans y toucher, Viollet-le-Duc prêche au contraire l’idée d’un monument remis dans son état idéal, d’où la construction de la flèche de Notre-Dame de Paris et celle du Stryge conçu par Charles Nègre en 1853, monstre gothique et emblématique qui contemple la ville moderne et son stupre ! Ce monstre moderne va impressionner le photographe Brassaï (années 30) et le peintre Chagall en 1953. VII/ Impressionnistes et sculpteurs Tous les peintres impressionnistes ont été marqués par le thème de la cathédrale, de Jongkind le précurseur à Monet ou Pissarro et Sisley. Comme Monet avec ses cathédrales de Rouen dont l’influence est incontestable, Sisley entreprend une série représentant l’église de Moret-sur-Loing à différentes heures du jour(1893). Les sculpteurs s’y intéressent également : Rodin conçoit une œuvre originale en 1908 dite « la cathédrale » où deux mains droites emprisonnent un volume d’air et se rejoignent pour prier, les doigts symbolisant les nervures d’une nef gothique. En 1881, il réalise aussi « la porte de l’enfer », maquette en plâtre inspirée du baptistère de Florence, dans un foisonnement de sculptures. Monet est subjugué par cet artiste qui sait si bien magnifier la spiritualité dans la pierre. VIII/ Les Symbolistes La cathédrale s’impose aussi comme motif essentiel dans ce courant. Dès 1888, Emile Zola dans Le Rêve prend la cathédrale comme décor essentiel du roman et dessine lui-même un portail. En 1907, Odilon Redon entreprend de peindre « le vitrail ou l’allégorie», fenêtre ouverte sur le monde de la spiritualité, réinterprétation très libre de sa vision du vitrail. Avec « Les anges voyageurs », Gustave Moreau voit la cathédrale comme un perchoir d’où ils observent le monde tandis qu’Auguste Morizot dans son triptyque Sylvain Amic - Autour de l’exposition « Cathédrales » Page 3 de 1911, « Ombre, ténèbres, lumière », transforme la cathédrale en un espace végétal et Paul César Helleu dans « L’intérieur de la cathédrale de Reims » revient aux aspects plus symboliques et religieux. IX/ La Grande Guerre Beaucoup de cathédrales proches du front ont souffert et subi de graves dommages durant le conflit : Ypres, la première mais surtout Reims, qui donne une vision d’enfer, laissant les gargouilles cracher la fonte en feu, vision très bien rendue par Bourdelle qui réalise 100 gouaches sur « le martyre de Reims ». D’autres monuments sont également touchés : Amiens, Arras, Soissons, Noyon, Verdun. L’Allemand devient le barbare qui détruit, celui qui veut faire disparaître le patrimoine français. Toute une propagande s’organise autour de la destruction des cathédrales, utilisant les affiches, le cinéma, les cartes postales pour mieux forcer le trait et susciter l’émoi. Les Allemands se défendent aussi en rappelant que Metz est aussi détruite. Intense médiatisation autour de la défense du patrimoine et surtout de la cathédrale, symbole de l’identité nationale. X/ Les Postimpressionnistes Ce courant émerge au-delà de la guerre avec Albert Marquet ,« Notre-Dame de Paris » à différentes périodes de la journée, Othon Friesz, « Etude pour la cathédrale de Rouen », Maximilien Luce, Robert Delaunay qui perçoit le Gothique comme proche du Cubisme dans la peinture de « Saint-Séverin » , Picasso avec sa « Notre-Dame de Paris » en 1945, Nicolas de Staël et son immense « Cathédrale », mais aussi des artistes allemands : Helmuth Macke, August Deusser, Lyonel Feininger dont « La Cathédrale du futur » fait la couverture du Manifeste du Bauhaus en 1919, et qui réalise toute une série de l’église de Gelmeroda, entre 1913 et 1936. Conclusion Le contemporain se passionne pour le Gothique. Les Américains se sont inspirés de la tour de Beurre de Rouen pour bâtir la Tribune Tower de Chicago. Cette fascination se retrouve dans des réalisations très récentes : œuvre de Delvoye : « Caterpillar », cathédrale sur chenille et de François Morellet, clin d’œil actuel aux cathédrales de Monet. Bibliographie Cathédrales 1789-1914, un mythe moderne, Connaissance des Arts Hors-série n° 621. Cathédrales 1789-1914, un mythe moderne, éditions d’art Somogy, parution 11/06/2014. Sylvain Amic - Autour de l’exposition « Cathédrales » Page 4