Où cultiver sa poire pour la soif

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Où cultiver sa poire pour la soif
Où cultiver sa poire pour la soif ?
Les taux d’intérêt ultra-bas ont rendu la quête de rendement nettement plus ardue. Et aussi plus
audacieuse. Vous voulez un coupon conséquent, vous devez alors, aujourd’hui, être disposé à
prendre certains risques. C’est ce qui fait la différence entre un rendement de 1, 3, 5 ou 7%.
En Allemagne et au Danemark, les choses en sont déjà là. Certaines banques y imputent des
intérêts négatifs sur l’épargne. Les clients doivent payer une ‘taxe de stationnement’ pour placer
leur argent sur un carnet de dépôt. Deux banques allemandes avaient déjà réclamé des intérêts
négatifs l’an dernier, mercredi c’était au tour d’un acteur danois de rejoindre le mouvement.
Afin de maintenir les bénéfices à niveau, la banque FIH Ehrvervsbank entend faire payer les
épargnants à partir du mois prochain. En Belgique, les établissements bancaires ne peuvent pas
imputer des intérêts négatifs sur un livret d’épargne classique (voir ci-dessous).
Il n’y a pas que les banques qui imputent des « taxes de stationnement », certains pays et
certaines entreprises en font de même. Depuis le mois de juin de l’année dernière, l’État belge a
émis différents bons du Trésor (présentant des durées de 3, 6 et 12 mois) avec un rendement
négatif. Même lorsque vous souhaitez placer votre argent plus longtemps auprès du Trésor, il
arrive que vous deviez -apporter une contribution. Le taux belge à deux ans fluctue autour de 0,10%. Les faibles rendements des titres de la dette publique chassent les investisseurs vers les
obligations d’entreprise, où le rendement est toujours un peu plus élevé, causant ainsi une
augmentation du cours des titres en question de la dette publique et une diminution des
intérêts. On en arrive ainsi à une situation où une obligation du géant suisse de l’agroalimentaire Nestlé, échéant en 2016, génère un rendement de - 0,002%.
À quoi sont dus ces intérêts ultra-bas ? C’est la faute de Mario Draghi. Le président de la Banque
centrale européenne (BCE) a ramené le taux de base dans la zone euro à un niveau
historiquement bas de 0,05%. À côté de cela, l’Italien injectera dans les 19 mois à venir quelque
1.140 milliards d’euros dans la zone euro, en achetant des obligations d’État, accroissant ainsi, à
nouveau, la pression sur les taux du marché. L’objectif de la BCE est d’inciter les entreprises et
les ménages à investir et permettre ainsi une relance de la croissance et de l’inflation. Le revers
de la médaille est que l’épargne passive ne rapporte quasiment plus rien. Le moment est venu
d’agir.
UN CARNET D’ÉPARGNE EN BELGIQUE DOIT RAPPORTER AU MOINS 0,11%
Le rendement d’un carnet d’épargne réglementé est réglé par la loi belge et doit comprendre un
taux de base et une prime de fidélité. Cela signifie qu’un taux négatif n’est pas possible, sauf si
l’Arrêté Royal s’y rapportant est adapté. Les taux minimum spécifiques ne sont pas mis en avant,
mais d’après la fédération du secteur Febelfin, le taux de base doit au moins s’élever à 0,01%et
la prime de fidélité à 0,1%, ce qui représente au total 0,11%sur une base annuelle. D’autres
carnets de dépôt peuvent toutefois avoir un rendement négatif.
POUR LES AUDACIEUX
Le gestionnaire de fonds Knut Huys (Deutsche Bank) est clair : ‘Il est impossible d’obtenir un
coupon de 7%d’une manière sûre’. Par conséquent, les possibilités énumérées ci-dessous ne
s’adressent pas aux personnes cardiaques.
’Le réal brésilien est l’une des rares devises qui permettent encore d’obtenir 7% net, mais elle
est assortie d’un risque élevé en raison de la croissance économique décevante alliée à une
inflation trop élevée. Par ailleurs, l’enquête dans les affaires de corruption au sein de
l’entreprise pétrolière publique Petrobras a ébranlé la confiance des investisseurs. Il convient
donc de faire preuve d’une grande prudence. Ou alors optez pour un fonds qui investit dans des
obligations de pays émergents, ce qui permet ainsi de répartir le risque’, affirme Koen Van de
Maele, spécialiste obligataire du gestionnaire de patrimoine Candriam. ‘Lors de l’achat d’une
obligation, vérifiez également l’émetteur. La banque allemande de développement KfW propose
notamment une obligation en réaux brésiliens échéant en 2016 avec un coupon net de 8,93%.
Celle-ci est garantie par l’État allemand, réduisant quasiment à zéro le risque lié au crédit.’ La
Banque européenne d’investissement (rating AAA) émet également des obligations libellées
dans la devise brésilienne. ‘Notamment des titres de créance échéant en 2017 avec un coupon
net de 7,595%. Le risque lié à la devise est encore renforcé dans le cas de cette obligation parce
que le coupon et le remboursement se font obligatoirement en euros. Par conséquent,
l’investisseur n’aura pas la possibilité, à l’échéance finale, de réinvestir immédiatement le réal
en attendant un meilleur taux de change.’ Le réal est toutefois coté à un niveau historiquement
bas par rapport à l’euro’, déclare Raphaël Goldwasser (Oblis).
Les actions à haut dividende représentent évidemment une autre option, mais à la Bourse de
Bruxelles, rares sont les valeurs qui réalisent un rendement de dividende de 7%. ‘Le Groupe
RTL s’en approche sensiblement’, explique le spécialiste en actions Tom Simonts (KBC
Securities). ‘La société de médias présente par ailleurs un bilan sain, mais étant donné qu’il ne
s’agit pas d’une entreprise belge, mais luxembourgeoise, vous êtes soumis à une double
imposition lors de la distribution du dividende, ce qui réduit le rendement net à 4,17%.’
Il est également possible d’obtenir des dividendes élevés par le biais de fonds spécifiques,
notamment le fonds d’actions High Dividend de KBC. ‘Dans celui-ci, nous sélectionnons les
actions d’entreprises mondiales qui versent un dividende supérieur à la moyenne, et nous
vérifions également la viabilité du dividende en question. L’entreprise génère-t-elle
suffisamment de liquidités pour pouvoir continuer à payer ses dividendes ou doit-elle puiser
dans ses réserves’, se demande le stratège Dirk Thiels (KBC Asset Management). Depuis sa
création, le fonds a généré chaque année un rendement de 7,98%. Vous pouvez par ailleurs
choisir de recevoir les dividendes ou de les capitaliser. ‘La récente évolution a déjà poussé de
nombreux investisseurs à passer des coupons classiques aux actions à hauts dividendes. En cas
d’augmentation des taux d’intérêt, un mouvement inverse pourrait se dessiner. En Europe, cela
ne devrait pas se produire dans un futur immédiat, mais aux États-Unis, cette possibilité existe’,
affirme Thiels.
INVESTISSEZ DANS UN FONDS COMBINÉ
Dans la quête constante de rendement, certains gestionnaires de fonds proposent des fonds
mixtes qui investissent dans des obligations à haut rendement en combinant des actions à haut
dividende, des titres immobiliers et d’infrastructure. ‘Ces fonds existent déjà depuis un certain
temps dans le monde anglo-saxon, mais ont également commencé à prendre pied au cours de
ces deux dernières années en Europe continentale’, déclare Knut Huys (Deutsche Bank). ‘Nous
recommandons notamment JPMorgan Global Income, Invesco Pan European High Income et
Fidelity Multi Asset Income. Un investisseur ne peut toutefois pas perdre de vue que ces fonds
mixtes ne visent pas la préservation du capital. Ils promettent uniquement de distribuer
régulièrement les coupons et les dividendes obtenus. La majorité de ces fonds ne prend aucun
risque lié aux devises parce que les devises étrangères sont couvertes. En moyenne, ils ont un
rendement de 4 à 5%, brut bien entendu.’ De cela, il convient encore de déduire 25% de
précompte mobilier.
Les investisseurs expérimentés peuvent également faire leurs devoirs eux-mêmes. Le
rendement net du dividende d’une action telle que Gimv se situe juste en dessous de 5%. ‘Avec
l’administration flamande comme actionnaire, qui apprécie un dividende élevé, Gimv est un
investissement qui présente un haut degré de sécurité. Notez toutefois que l’action est
actuellement cotée avec une prime par rapport à sa valeur intrinsèque, et que vous paierez donc
plus que ce qu’elle ne vaut sur le marché’, déclare l’analyste Hans D’haese (Banque Degroof).
La société liégeoise d’imagerie EVS est également attrayante avec un rendement de dividende
net de 5,10%. ‘Mais l’entreprise a connu des problèmes l’année dernière, ce qui a donné lieu à
une certaine incertitude concernant le dividende’, affirme Simonts.
INVESTIR DANS LE DOLLAR NÉO-ZÉLANDAIS
Nous descendons d’un cran sur l’échelle des risques. Avec un compte à terme du nouveau
casseur de prix sur le marché belge, la banque maltaise Nemea Bank, vous êtes relativement à
l’abri. La banque offre 3% sur cinq ans. La mise minimum est toutefois de 1.000 euros. Le
compte tombe sous le système de garantie maltais, qui prévoit une garantie de 100.000 euros
par personne par banque. Sachez toutefois qu’il n’existe aucun rating pour cette banque, ce qui
complique l’évaluation de la solvabilité de cet établissement.
Avec des rendements de dividendes nets avoisinant les 4%, les actions des gestionnaires
immobiliers représentent également une option. Par exemple les Ascencio, Immobels ou WDP
de ce monde. ‘Il s’agit d’entreprises ne présentant que de faibles risques, et dont l’immobilier en
portefeuille connaît un haut degré d’occupation’, affirme le spécialiste en actions Tom Simonts
(KBC Securities). Frank Vranken (Puilaetco Dewaay) avertit toutefois : ‘Les faibles taux ont fait
en sorte qu’une grande partie des capitaux a été investie dans les sicafs immobilières, avec
comme conséquence une certaine spéculation. Si les taux devaient connaître une légère
augmentation, ces sommes spéculatives qui ont été rapidement engrangées pourraient
disparaître tout aussi rapidement, avec comme conséquence des baisses de cours. C’est la raison
pour laquelle j’ai une préférence pour les gestionnaires immobiliers qui présentent un bel
historique de croissance. Aedifica et Retail Estates constituent d’excellents exemples.’ Les
actions à dividendes typiques telles que Belgacom ou Elia proposent également un rendement
de dividende net de 3% au moins. Cela vaut également pour l’assureur Ageas (3,6 %). ‘Le terrain
de jeu s’élargit par ailleurs, étant donné qu’un nombre croissant de banques reprennent leurs
distributions de dividendes’, fait remarquer Simonts.
Les obligations de très bonne qualité dans le dollar néo-zélandais (NZD) représentent une autre
option. À moyen terme, des rendements de plus de 3% pourraient être réalisés. Avec des
émetteurs tels que la BEI ou la Banque mondiale, le risque lié au crédit est faible. Cependant, le
risque lié à la devise demeure. ‘Selon moi, le NZD ne perdra pas par rapport à l’euro, les taux
d’intérêt sont nettement plus élevés et l’économie connaît une forte croissance’ affirme
Vranken. Raphaël Goldwasser : ‘Une obligation d’entreprise de Volkswagen Financial Services
en NZD (durée : jusqu’en 2019) rapporte un coupon net de 2,957%, une obligation du même
émetteur en euros ne rapporte que 0,46%.’
LE CARNET D’ÉPARGNE DEMEURE UNE OPTION
Si vous recherchez un rendement (net) d’1%, vous trouverez votre bonheur dans le bon vieux
carnet d’épargne. De nombreux comptes rapportent moins aujourd’hui, mais ils sont tout aussi
nombreux à réaliser ce rendement visé. Souvent, il s’agit des dits comptes de fidélité – un livret
d’épargne avec un faible taux de base et une prime de fidélité plus élevée – sur lesquels vous
devez laisser reposer votre argent au moins un an. En ce qui concerne les bons de caisse ou les
comptes à terme, seule une poignée de banques (Nemea, MeDirect, DHB et NIBC Direct)
proposent au moins 1% net sur une durée d’un an. Les rendements demeurent maigres sur des
durées plus longues également.
Les obligations d’entreprise représentent aussi une option. ‘Notamment les titres de créance
d’entreprises libellés en couronnes norvégiennes. À moyen terme – trois à cinq ans – vous
pourrez réaliser des rendements de plus d’1%’, affirme le stratège Frank Vranken (Puilaetco
Dewaay). Il reste évidemment le risque lié à la devise, mais je vois du potentiel pour celle-ci,
attendu qu’elle a été quelque peu affaiblie en raison de la baisse des prix du pétrole.’
Raphaël Goldwasser de la plate-forme obligataire Oblis met en avant une obligation libellée en
dollars d’Amazon (arrivée à l’échéance en 2019). Celle-ci rapporte 1,59% net. ‘Amazon occupe
une position dominante dans le secteur du commerce en ligne. Avec un rating de AA-, c’est un
émetteur solide. C’est avant tout le risque lié à la devise qui joue. Une baisse du dollar par
rapport à l’euro peut donner lieu à des pertes considérables de change, mais étant donné que
l’économie américaine réalise de meilleures performances que l’économie européenne, une
forte dépréciation semble improbable.’
SONJA VERSCHUEREN
© De Tijd, 14/2/2015, traduction libre du français