TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE CERGY-PONTOISE N

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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE CERGY-PONTOISE N
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE CERGY-PONTOISE
N° 1600067
___________
CP
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
M. Younes X.
___________
M…
Juge des référés
___________
Ordonnance du 8 janvier 2016
__________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le juge des référés,
49-06-01
80-01-01
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 7 janvier 2016, M. Younes X., représenté par Me
Tcholakian, demande au juge des référés, statuant sur le fondement des dispositions de l’article
L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d’enjoindre au ministre de l’intérieur, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard
à compter de la notification de l’ordonnance, de rapporter l’arrêté du 10 décembre 2015, par
lequel il a été astreint à résider sur le territoire de la commune de Goussainville, avec obligation
de se présenter trois fois par jour au commissariat de police de Goussainville et de demeurer dans
les locaux où il réside, tous les jours de 21h30 à 7h30 ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1
du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d’urgence est remplie, dès lors que l’acte attaqué l’empêche de vivre
normalement et que l’urgence est présumée ;
- cet arrêté porte une atteinte aux libertés fondamentales que constituent la liberté d’aller
et venir, la liberté de travailler et la liberté de se soigner ;
- il est gravement et manifestement illégal car il est entaché d’incompétence ; il
méconnaît l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 en ce qu’il ne précise pas les conditions selon
lesquelles l’autorité administrative doit assurer sa subsistance ; les faits qui fondent la mesure
d’assignation à résidence ne le concernent pas ; ils ne sont pas suffisamment précis ; l’arrêté ne
précise pas le terme de la mesure d’assignation à résidence.
Par un mémoire, enregistré le 7 janvier 2016, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de
la requête.
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Il soutient que les conditions posées par l’article L. 521-2 du code de justice
administrative ne sont pas remplies.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°55-385 du 3 avril 1955 ;
- la loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015 ;
- le décret n°2015-1475 du 14 novembre 2015 ;
- le décret n°2015-1476 du 14 novembre 2015 ;
- le décret n°2015-1478 du 14 novembre 2015 ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné M… pour statuer sur les requêtes présentées sur le
fondement de l’article L. 511-2 du code de justice administrative.
Après avoir lu son rapport et entendu, au cours de l'audience publique du 8 janvier 2016 à
10 heures :
- les observations orales de Me Tcholakian, avocat de M. X. et de M. X.,
- et celles de Mme Rolland, représentant le ministre de l’intérieur.
La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience publique.
Considérant ce qui suit :
I – Sur les dispositions applicables :
1. L’article L. 521-2 du code de justice administrative dispose que : « Saisi d'une
demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures
nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit
public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans
l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés
se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».
2. En application de la loi du 3 avril 1955, l’état d’urgence a été déclaré par le décret n°
2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire
métropolitain et en Corse et prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre
2015, par l’article 1er de la loi du 20 novembre 2015. L’article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa
rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015 dispose que : « Le ministre de l'intérieur peut
prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans la
zone fixée par le décret mentionné à l'article 2 et à l'égard de laquelle il existe des raisons
sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre
publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. (…). Enfin, il
résulte de l’article 1er du décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015, tel que modifié par le décret
n° 2015-1478 du même jour, que les mesures d’assignation à résidence sont applicables à
l’ensemble du territoire métropolitain et de la Corse.
3. Il appartient au juge des référés de s’assurer, en l’état de l’instruction devant lui, que
l’autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la
sauvegarde de l’ordre public, n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté
fondamentale, que ce soit dans son appréciation de la menace que constitue le comportement de
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l’intéressé, compte tenu de la situation ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence, ou dans
la détermination des modalités de l’assignation à résidence. Le juge des référés, s’il estime que
les conditions définies à l’article L. 521-2 du code de justice administrative sont réunies, peut
prendre toute mesure qu’il juge appropriée pour assurer la sauvegarde de la liberté fondamentale
à laquelle il a été porté atteinte.
II – Sur l’assignation à résidence de M. X. :
4. Par un arrêté du 10 décembre 2015, le ministre de l’intérieur a astreint M. X. à résider
sur le territoire de la commune de Goussainville, avec obligation de se présenter trois fois par
jour, à 9 heures, 14 heures et 19 heures, y compris les jours fériés ou chômés, au commissariat de
Goussainville, lui a imposé de demeurer tous les jours de 21h30 à 7h30, dans les locaux où il
réside, et a subordonné tout déplacement en dehors du lieu d’assignation à résidence à une
autorisation écrite du préfet du Val-d’Oise.
5. M. X. demande, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice
administrative, qu’il soit mis fin à cette mesure d’assignation à résidence qui porte une atteinte
grave et manifestement illégale à sa liberté d’aller et venir, de travailler et de se faire soigner.
6. Il y a lieu d’apprécier si les conditions posées par l’article L. 521-2 du code de justice
administrative sont remplies.
A – Sur la condition d’urgence :
7. Eu égard à son objet et à ses effets, notamment aux restrictions apportées à la liberté
d’aller et venir, une décision prononçant l'assignation à résidence d’une personne, prise par
l’autorité administrative en application de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, porte, en principe
et par elle-même, sauf à ce que l’administration fasse valoir des circonstances particulières, une
atteinte grave et immédiate à la situation de cette personne, de nature à créer une situation
d'urgence justifiant que le juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l’article
L. 521-2 du code de justice administrative, puisse prononcer dans de très brefs délais, si les
autres conditions posées par cet article sont remplies, une mesure provisoire et conservatoire de
sauvegarde. (CE, 11 décembre 2015, n° 395009).
8. Pour faire échec à cette présomption d’urgence, le ministre de l’intérieur se prévaut de
l’intérêt public qui s’attache, dans le cadre de l’état d’urgence décrété pour faire face à une
menace exceptionnellement grave pesant sur le territoire national, à ce que la mesure
d’assignation ne soit pas suspendue, compte tenu des faits graves et suffisamment vraisemblables
qui fondent la mesure prise à l’encontre de M. X.. Toutefois, ces considérations générales ne
constituent pas, par elles-mêmes, des circonstances particulières susceptibles de renverser la
présomption d’urgence.
9. Par ailleurs, si le ministre de l’intérieur fait valoir que M. X. a saisi le tribunal plusieurs
semaines après la mesure d’assignation à résidence, cette circonstance n’est, en toute hypothèse,
pas de nature à faire disparaitre l’urgence qu’il y aurait, le cas échéant, à faire cesser dans les plus
brefs délais, une atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale.
10. Il résulte de ce qui précède que la condition d’urgence posée par l’article L. 521-2 du
code de justice administrative doit être regardée comme remplie.
B – Sur la condition tenant à l’atteinte grave et manifestement illégale portée à une
liberté fondamentale :
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11. Une décision prononçant l'assignation à résidence d’une personne, prise par l’autorité
administrative sur le fondement de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, porte atteinte à la liberté
d’aller et venir, qui constitue une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de
justice administrative.
12. Il convient d’apprécier si l’atteinte portée, par la mesure d’assignation à résidence
contestée, à la liberté d’aller et venir de M. X. est à la fois grave et manifestement illégale. Pour
soutenir qu’il en est ainsi, M. X. invoque plusieurs moyens.
-
Sur l’appréciation de la menace que constitue le comportement de M. X.
13. Pour prendre cette mesure d’assignation à résidence le ministre de l’intérieur s’est
fondé sur les éléments mentionnés dans une « note blanche » des services de renseignement, qui
a été produite au débat contradictoire.
14. Il résulte de cette note blanche que M. X. est un islamiste radical, proche de Farid
Benyettou, instigateur de la filière du 19ème arrondissement de Paris, en charge de
l’acheminement de combattants djihadistes vers l’Irak, démantelée en 2005. Cette note précise
également qu’il fréquente assidûment la mosquée radicale Al Fatah de Noisy-le-Sec et a côtoyé le
terroriste Cherif Kouachi, auteur des attentats terroristes contre l’hebdomadaire Charlie hebdo en
janvier 2015. Elle souligne encore que, militant pro-djihadiste, il tient un discours anti occidental
et antisémite et approuve l’action des moudjahiddins de l’Etat islamique tant sur la zone
irako-syrienne que sur le territoire national. Enfin, elle mentionne que M. X. est apparu en étroite
relation avec Thamer Bouchnak, impliqué dans le projet d’évasion du terroriste Smain Ait Ali
Belkacem et est également en contact avec l’islamiste radical Amirouche Belounis, qui a rejoint
récemment la zone irako-syrienne pour prendre part au djihad. Il a pour projet de rejoindre les
rangs de l’Etat islamique et de participer aux combats menés par les djihadistes.
15. M. X. soutient, tout d’abord, que ces faits ne le concernent pas en se prévalant de
l’erreur que comportait son état civil sur la convocation qui a été remise à sa mère le 15
novembre 2015 en vue de la notification du précédent arrêté d’assignation en résidence dont il a
fait l’objet ce jour-là. Toutefois, il n’est pas contesté que l’arrêté du 10 décembre 2015 ne
comporte pas d’erreur quant à son état civil et que la note blanche mentionne les éléments
d’identification
le
concernant.
M. X. ne peut donc sérieusement soutenir que, du fait de l’erreur d’état civil qu’il invoque, les
faits mentionnés dans la note blanche ne le concernent pas.
16. M. X. soutient ensuite que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas suffisamment
précis pour laisser craindre qu’il constitue une menace pour l’ordre public. Il fait valoir que ces
faits ne sont pas compatibles avec son état de santé dégradé, du fait de la narcolepsie et de
l’asthme dont il souffre, et avec les démarches de recherche d’emploi qu’il a entreprises.
17. Toutefois, d’une part, ces faits, que le requérant a formellement niés lors de l’audience
publique, comportent des éléments précis, contrairement à ce qu’il soutient. D’autre part, les
circonstances, établies par les pièces du dossier, que M. X. souffre des pathologies mentionnées
au point 16 et qu’il soit à la recherche active d’un emploi, ne remettent pas, en elles-mêmes, en
cause les faits qui lui sont reprochés. Enfin, de la circonstance qu’il fréquente souvent la
mosquée de Goussainville, il ne peut être déduit qu’il ne fréquenterait pas également la mosquée
de Noisy-le-Sec.
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Sur la détermination des modalités de l’assignation à résidence
18. M. X. soutient, en premier lieu, que l’arrêté du 10 décembre 2015 méconnait les
dispositions de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 en ce qu’elles disposent que « l’autorité
administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes
astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille ».
19. Toutefois, ces dispositions n’imposent pas que les conditions du respect de
l’obligation qu’elles prévoient soient précisées dans l’arrêté portant assignation à résidence. Le
moyen n’est donc pas fondé.
20. M. X. soutient, en second lieu, que l’arrêté du 10 décembre 2015 est illégal en ce qu’il
ne précise pas le terme de la mesure d’assignation à résidence.
21. Ainsi que l’a jugé le Conseil Constitutionnel (CC, 22 décembre 2015, décision n°
2015-527 QPC), en vertu de l’article 14 de la loi du 3 avril 1955, la mesure d’assignation à
résidence prise en application de cette loi cesse au plus tard en même temps que prend fin l’état
d’urgence et, si le législateur prolonge l’état d’urgence par une nouvelle loi, les mesures
d’assignation à résidence prises antérieurement ne peuvent être prolongées sans être renouvelées.
22. Il en résulte qu’en l’absence de précision dans l’arrêté du 10 décembre 2015 sur la
durée de la mesure d’assignation à résidence de M. X., il y a lieu de considérer que cette mesure
prendra fin au terme de l’état d’urgence, fixée par le législateur au 26 février 2016. Le moyen par
lequel il est soutenu que l’arrêté attaqué serait illégal en raison de l’absence de mention du terme
de l’assignation à résidence n’est donc pas fondé.
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Sur l’incompétence dont serait entaché l’arrêté attaqué
23. Il résulte de l’instruction que, contrairement à ce que soutient M. X., l’arrêté du 10
décembre 2015, qui a été signé par Mme Sylvie Cendre, adjoint au sous-directeur des libertés
publiques du ministère de l’intérieur, n’est pas entaché d’incompétence.
24. Il résulte de ce qui précède qu’il n’apparaît pas, en l’état de l’instruction, qu’en
prononçant l’assignation à résidence de M. X. au motif qu’il existait de sérieuses raisons de
penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics et en en
fixant les modalités d’exécution, le ministre de l’intérieur, conciliant les différents intérêts en
présence, aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir.
25. En conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par M. X. sur le
fondement de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, dont toutes les conditions ne
sont pas remplies.
26. Enfin, l’Etat n’étant pas la partie perdante dans la présente instance, les dispositions
de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux
conclusions présentées par M. X. au titre des frais exposés par lui et non compris dans les
dépens.
ORDONNE:
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Article 1er : La requête de M. X. est rejetée.
Article 2 :
La présente ordonnance sera notifiée à M. Younes X. et au ministre de
l’intérieur.
Fait à Cergy-pontoise, le 8 janvier 2016
La juge des référés,
Le greffier,
signé
signé
La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne ou à tous
huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties
privées de pourvoir à l’exécution de la présente décision.